palimpseste Chroniques

"Passons au rêve français !"

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Cela faisait plusieurs semaines qu'elle avait accepté l'entretien. Mais plusieurs fois, elle avait reporté. "Trop tôt", disait-elle. "Je ne le sens pas", répétait-elle. Et puis elle a rappelé pour dire qu'elle était "prête". Et qu'après la "diète médiatique" qu'elle s'était imposée depuis la rentrée, le temps était venu, pour elle, de "dire les choses".

Parler, donc. Mais sur quel ton ? Ce mercredi 17 octobre, dans son bureau de Montparnasse où elle reçoit Le Monde, Ségolène Royal prévient d'emblée : "Je ne veux pas apparaître comme une donneuse de leçons." Anticipant qu'on l'interrogerait sur les difficultés du gouvernement, elle a griffonné quelques formules sur de petites feuilles blanches, et s'y rattachera à plusieurs reprises pendant l'entretien, aux moments où les mots pourraient dépasser sa pensée. "Je veux que la gauche réussisse. Je dois donc être au-dessus et en avant. Je ne veux pas jouer les Mère Fouettard."

Par souci du "gagnant-gagnant", comme elle dit, on ne l'entendra donc pas sur les débats qui traversent le gouvernement et la majorité. Sur la dépénalisation du cannabis et le droit de vote des étrangers, par exemple, on connaît ses réserves, mais elle refusera de les réaffirmer.

Sur la procréation médicalement assistée, la présidente du conseil régional de Poitou-Charentes, qui n'a jamais hésité à afficher ses convictions sur les sujets de société, quitte à prendre à revers ses camarades socialistes, n'entend pas aujourd'hui jouer les trouble-fête.

Sur les affaires privées, l'ex-candidate à la présidentielle garde la même discrétion. Comment a-t-elle vécu le fait que le chef de l'Etat ne la salue pas, l'autre jour, dans les couloirs de l'ONU ? "Ne revenons pas sur cet incident", dit-elle, précisant simplement qu'elle s'en est expliquée "avec François" et que "la page est tournée". Elle n'en dira pas davantage, refusant toute question qui pourrait la "ravaler à un personnage de théâtre de boulevard", n'acceptant de répondre qu'à celles qui s'adressent à la "femme politique".

Cette semaine a été annoncée en conseil des ministres la création de la Banque publique d'investissement (BPI), que vous réclamez depuis longtemps. Est-elle conforme à vos attentes ?

Je ne peux que m'en féliciter, bien sûr. Mais pour que la BPI soit pleinement une réussite, il faut que trois critères soient remplis. Le premier, c'est la rapidité de sa mise en œuvre, d'ici un mois, compte tenu du manque criant de fonds de roulement dont souffrent les PME.

Le deuxième, c'est sa puissance d'intervention : la BPI doit avoir une vraie force de frappe, et qu'on ne retombe pas dans les erreurs du fonds stratégique d'investissement (FSI), bureaucratique et lent. Troisième critère de réussite, c'est l'appui sur les régions, car aucune PME n'ira frapper à la porte d'un guichet à Paris. Les antennes régionales de la BPI doivent engager 80 % des dépenses. Sinon, on retombera dans un système rigide où les filières les plus innovantes seront ignorées.

Cinq mois après l'élection de François Hollande, quel regard portez-vous sur l'action du gouvernement ?

Cette première phase de l'action gouvernementale est une opération vérité réussie: le chef de l'Etat a pris la mesure de la crise, il a dit la vérité aux Français, il a mis fin aux opérations de diversion du gouvernement précédent, il a réparé les injustices les plus flagrantes et rétabli la sérénité républicaine. De ce point de vue, ces cinq premiers mois ont été constructifs.

Maintenant, il faut passer à une nouvelle phase, celle des réformes de structures promises dans le programme présidentiel : réforme du système financier, réforme fiscale, révolution écologique, avenir de la jeunesse. En un mot, après l'"opération vérité", passons au "rêve français".

Comprenez-vous l'impatience des Français pour qui le gouvernement ne va pas assez vite et pas assez loin ?

Bien sûr, et le gouvernement aussi l'a comprise, en accélérant. Il faut quand même rappeler ceci : dix ans de droite au pouvoir, donc dix ans d'habitudes pour l'administration, ce qui a forcément créé des freins et des blocages quand le nouveau pouvoir s'est installé.

Face à cela, la réponse, c'est la densification de l'impulsion politique, car la haute administration, en France, est loyale, mais elle se met dans le mouvement si le pouvoir politique fixe clairement un cap et donne du sens à son action.

Ce cap, justement, trouvez-vous qu'il manque aujourd'hui à l'action gouvernementale ?

C'est le moment de le donner, après les bonnes décisions d'urgence et les mesures courageuses pour réduire les déficits que la droite a laissés. Les Français ont besoin de comprendre le sens des efforts qui leur sont demandés. Prenons par exemple les 3 % de déficit en 2013. Le président de la République a été clair, car il faut protéger les Français contre les risques de la dette, et il n'y a pas la moindre contestation à avoir sur le sujet.

Mais c'est un critère comptable, pas un objectif politique. La question, c'est d'expliquer pourquoi il faut atteindre les 3 %, au nom de quel projet de société. Je suis sûre qu'alors les Français vont reprendre confiance en l'avenir.

Claude Bartolone, le président socialiste de l'Assemblée nationale, ou Harlem Désir, le premier secrétaire du PS, ont exprimé des doutes sur les 3%. Les comprenez-vous ?

Disons qu'ils étaient en phase de rodage... Après les tâtonnements compréhensibles du début, l'heure est venue de la cohésion sans faille.

Vous dites cela aussi pour les ministres ? Les uns et les autres ont pris leurs marques. Des talents individuels se sont affirmés.

Mais un gouvernement, ce ne sont pas seulement des individus qui s'additionnent, ce sont des hommes et des femmes qui se mettent au service d'un projet collectif. Voilà ce qu'on attend maintenant : passer de l'addition des talents individuels à leur démultiplication pour construire l'avenir du pays.

En clair, sur la dépénalisation du cannabis, Vincent Peillon aurait dû se taire...

Il a reconnu son erreur. En effet, toute prise de parole qui permet à la droite d'avoir un angle d'attaque est à éviter. Les Français veulent un gouvernement fort. Il faut donc bannir l'éparpillement et l'improvisation.

Jean-Marc Ayrault manque-t-il d'autorité ?

Le premier ministre est solide alors qu'il est la cible d'attaques très rudes. Mais si la politique était facile, ça se saurait ! J'exhorte la droite à cesser d'utiliser un vocabulaire injurieux que jamais nous n'avons utilisé par respect pour le débat démocratique dans l'opposition.

Ses difficultés prouvent qu'il s'attaque aux vrais problèmes, car le choix a été fait de prendre les mesures difficiles au début du quinquennat. En complément, il s'agit maintenant d'en expliquer le sens.

Mais comment ?

En disant clairement comment on va atteindre nos objectifs et la vision du pays dans cinq ans. Par exemple, comment crée-t-on des emplois dans l'économie de l'intelligence ? Comment réalise-t-on la révolution écologique ? Comment transforme-t-on la France en pays d'entrepreneurs ? Comment fait-on pour que les jeunes soient dans une meilleure situation à la fin du quinquennat qu'au début ? Comment permet-on aux catégories populaires et aux classes moyennes de croire à nouveau dans la promesse républicaine d'ascension sociale ? Comment redore-t-on, en cinq ans, ce talisman de la gauche qu'est l'éducation nationale, en la hissant au premier rang ? Quelle Europe voulons-nous ? Voilà ce que les Français veulent savoir : quels sont les objectifs fixés et comment on les atteint. Mais cela passe aussi par une profonde rénovation de notre système de gouvernance.

Qu'entendez-vous par là ?

Depuis l'élection présidentielle, il y a eu l'apaisement avec les partenaires sociaux. Les corps constitués, méprisés par le gouvernement précédent, ont été réintégrés au dialogue démocratique. Tout cela est très positif et permet d'engager trois autres changements.

Le premier, c'est la démocratie parlementaire. Le Parlement doit retrouver un espace d'initiative. Il faut davantage de propositions de loi pour accélérer le rythme des réformes. Il aurait pu y en avoir davantage lors de la session parlementaire de juillet.

Le deuxième changement, c'est la démocratie territoriale. Il y a beaucoup d'attente, la nouvelle phase de décentralisation doit permettre aux régions plus d'efficacité et de rapidité pour l'emploi, en s'appuyant sur un Etat enfin en phase avec elles.

Le troisième changement, c'est la démocratie citoyenne et participative. Les grandes réformes structurelles que j'évoquais ne réussiront que si les Français sont associés. Je pense en particulier à la grande réforme fiscale promise pendant la campagne. Si l'on veut que l'impôt ne soit pas seulement vécu comme une punition mais comme un élément de cohésion nationale, il faut un grand débat démocratique.

A une semaine du congrès du PS, quel regard portez-vous sur la succession de Martine Aubry ? Le PS d'aujourd'hui est loin de celui que vous défendiez en 2008, quand vous ambitionniez d'être première secrétaire...

Je vous accorde que cela peut paraître un peu étrange que le parti à l'origine des primaires ouvertes à tous les citoyens ait adopté des statuts conduisant à une prédésignation du premier secrétaire par quelques-uns. Cela dit, essayons de voir le côté positif : au moins, cette fois, on n'aura pas un congrès d'affrontement, mais un congrès d'apaisement.

"Le temps viendra où je serai utile", aviez-vous déclaré après votre défaite aux législatives. Le temps est-il venu de nouvelles responsabilités ?

Oui, je vous confirme que ma passion pour la politique est intacte et que je veux toujours être utile à mon pays. Ce temps viendra pour la bonne raison que, quand la tâche est difficile et immense, il faut rassembler toutes les forces et toutes les expériences.

Propos recueillis par David Revault d'Allonnes et Thomas Wieder