palimpseste Chroniques

Hollande-Ayrault, les deux font l’impair
Libération 14 oct

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RÉCIT Des coups de com foireux aux silences et absences inexplicables, les relations se dégradent depuis un mois entre l’Elysée et Matignon.

Par GRÉGOIRE BISEAU, LAURE BRETTON


Les torts sont partagés. Depuis plusieurs jours flotte entre Jean-Marc Ayrault et François Hollande une ambiance chargée d’agacements réciproques. A écouter leurs conseillers respectifs à l’Elysée comme à Matignon, commencent à s’exprimer ouvertement des doutes, des irritations, des impatiences et les premières résignations. Ce n’est pas (encore ?) de la défiance, mais le signe que le couple de l’exécutif ne va pas aussi bien qu’il le dit. Parfois, il faut juste écouter ce qu’il y a entre les mots pour entendre un début de malaise. Un fidèle de François Hollande dans le texte : «Ayrault, il est loyal, sérieux… mais c’est vrai qu’il n’est pas… il n’est pas… enfin c’est pas, c’est pas… flamboyant. Il n’enflamme pas les foules, quoi.» Un alter ego dans l’entourage du Premier ministre, évoquant la fâcheuse habitude du Président à faire cavalier seul : «Il n’y a pas de volonté de nous planter de sa part, mais c’est pesant.»

A Matignon, certains conseillers pestent contre la mainmise de l’Elysée. Au Château, on s’emporte contre le manque d’initiative politique de la rue de Varenne. On s’échange par journalistes interposés des arguments d’une confondante mauvaise foi. Comme si l’important était d’abord de défendre sa propre boutique. Un député socialiste s’énerve : «Que le Président balaie devant sa porte et dise clairement quel type de présidence il souhaite exercer. S’il veut être le chef de la majorité et le chef du parti, qu’il le dise et on rétablira le petit-déjeuner de la majorité à l’Elysée.» Un conseiller ministériel abonde : «Ayrault est avant tout soucieux d’anticiper ce que Hollande attend. Mais, comme le chef de l’Etat ne le dit pas clairement, il est totalement bridé.» Résultat : «Les collaborateurs d’Ayrault sont tétanisés. Il faut les rassurer tellement ils manquent de confiance en eux», dit-on à Bercy.

Quand on lui soumet l’idée que François Hollande puisse ne pas faciliter la tâche de son Premier ministre, ce proche du chef de l’Etat s’emporte : «Mais que voulez-vous qu’il fasse de plus ? Il passe son temps à répéter partout qu’il a une confiance absolue en son Premier ministre.» Sauf que le doute s’est immiscé depuis un reportage diffusé mi-septembre sur France 2.

Péremption. Tout avait été piloté et pensé par les équipes de communication de l’Elysée et de Matignon : donner l’image d’un couple uni et soudé face à l’adversité. Tournage exclusif au Conseil des ministres. Interview croisée des deux intéressés. Et puis cette confession de Hollande, en forme de lapsus, sur la date de péremption de son Premier ministre : «Son prédécesseur est resté cinq ans. Est-ce que ça s’est bien terminé ?» Et voilà l’opération reconquête plantée par la faute du chef de l’Etat. On ne retient plus qu’un seul message : les jours d’Ayrault sont désormais comptés.

Dès lors, les malentendus n’ont plus cessé. Après le discours de politique générale du Premier ministre début juillet - qui avait déjà déçu à l’Elysée -, celui sur les «nouvelles perspectives européennes», début octobre, était très attendu. Mais Ayrault a livré dans l’Hémicycle «un texte sans arête, selon un parlementaire. Ça sentait le : "plus vite ce sera fini mieux ce sera"». Un rendez-vous raté car peut-être impossible. Pour dépasser le traité, Ayrault espérait bien dessiner les étapes suivantes de la construction européenne. Niet de l’Elysée au motif que ce sujet est présidentiel. Sauf que Hollande, depuis qu’il est en poste, s’est bien gardé de faire la moindre explication de texte aux Français. «C’est clair qu’on n’a pas facilité la tâche du Premier ministre, confie un proche de Hollande. Le Président est tout à fait capable de s’appliquer le principe de précaution [de ne pas parler, ndlr] pour se protéger.» Pour un autre conseiller présidentiel, la mission d’Ayrault était certes «circonscrite, mais il aurait pu faire les choses autrement».

«Une bêtise». La séquence du traité et des 17 «non» socialistes a aussi révélé un Président très impliqué dans la bidouille interne, comme s’il était le chef de la majorité. «On commence à réaliser que beaucoup de choses passent au-dessus de nos têtes», soupire un des piliers du groupe PS à l’Assemblée. En cause, l’accord scellé entre l’aile gauche et le chef de l’Etat en vue du congrès de Toulouse. Un deal topé au sommet qui a pu libérer les tentations nonistes. Après le vote, pris entre quatre yeux par Bruno Le Roux, le patron des députés, Benoît Hamon, ministre et chef de file de la gauche socialiste, brandissait son portable en proposant, pour appuyer sa défense, de montrer… des SMS présidentiels !

Sur les grands sujets économiques, l’Elysée n’est pas très aidant non plus. Le jour de son passage à l ’émission Des paroles et des actes sur France 2 , Ayrault reprend une antienne fiscale ficelée la veille par Bercy et l’Elysée affirmant que «neuf foyers français sur dix ne seront pas impactés par les hausses d’impôts» contenues dans le budget 2013. Argumentaire très vite contesté par la droite… et par certains ministres. «Puisque ce n’est pas ce que les Français allaient constater sur leur feuille d’impôts, c’était une bêtise d’en faire un slogan», critique un ministre de Bercy.

Quant au projet de transférer 40 milliards de cotisations sociales vers la CSG qui a fuité dans la presse, il a pris tout le gouvernement et plusieurs conseillers à l’Elysée de court. Avant que tout le monde ne réalise que la parole venait probablement de tout en haut. «Hollande agit comme il l’a toujours fait et ne sait pas faire autrement : sans déléguer et tout seul», grince-t-on dans l’entourage du Premier ministre, qui n’a pas pu faire autre chose que de démentir le chiffre de 40 milliards.

«Inclinés». Mais, au Château, on a aussi ses griefs. Certains s’agacent que les réunions interministérielles (RIM) présidées par le chef du gouvernement ne produisent pas ou peu de décisions. Ce que confirme le conseiller d’une ministre pour qui «ces RIM ne riment à rien».

Et puis, et peut-être surtout, il y a cette absence de réactivité politique du Premier ministre sur des dossiers ultrasensibles. Comme le silence complet de Matignon pendant cinq jours après le double meurtre d’Echirolles. Conséquence : c’est Hollande qui décide d’aller au débotté sur les lieux, flanqué de son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. «Si le Premier ministre avait voulu y aller, on se serait bien sûr inclinés», persifle-t-on à l’Elysée. Autre contretemps : les déclarations du Premier ministre lors de l’opération antiterroriste à Strasbourg et à Cannes le 6 octobre. Pendant qu’elle se déroulait, il parlait culture à Lille. Et de reprendre la parole trois jours après les appels de Valls et Hollande à l’union nationale.

Toute cette crispation n’affecterait pas leur relation personnelle. Les deux hommes s’entendent toujours «parfaitement bien» selon un ministre. Mais comme ce couple déteste le conflit… «Dans cette histoire, personne n’est surpris, conclut un parlementaire qui les connaît par cœur. N i François par Jean-Marc, ni Jean-Marc par François.»