Chronique du quinquennat

Eloge de la lenteur

 

Les Franciliens perdent près de 2 jours et demi par an dans les embouteillages

Paradoxe sans doute le plus criant de nos société qui luttent à coup de compétitivité, de nouvelles technologies et de flux tendus pour obtenir la circulation la plus rapide du capital ; qui jettent par flots continus des hordes de citadins stressés sur les quais de gare et de métro ; qui produisent des ordinateurs dont la vitesse de traitement de l'information et la capacité de stockage feraient rougir de modestie le plus péremptoire des surdoués ; font se succéder à rythme enivré sommets de la dernière chance à Conférences historiques pour résoudre une crise financière qui dissout nos richesses à mesure que nous les y injectons ... tout cela pour parvenir aux plus jolies complexes de lenteur qui soient.

En comptant bien un francilien passera, au fil de sa vie active, quelque chose comme 105 journées c'est-à-dire 3 mois et demi dans sa voiture ... à ne pas avancer.

Georges le solitaire vient de disparaître à plus de cent ans ... mais dernier de son espèce : singulier contrepoint quand même. Nos vitesses confinent à la lenteur ; plus nous nous déplaçons loin moins nous voyageons ; nos aéroports nous donnent l'illusion de pouvoir parcourir le monde avec la célérité de la lumière mais sont obstrués par les contrôles de sécurité et la méfiance généralisée. Nos villes enflent au rythme de nos démesures et rognent toujours plus un environnement qui gronde. Nous occupons tout l'espace et nos courbes démographiques laissent si peu de place aux autres espèces qui disparaissent à la vitesse de notre absence d'angoisse. La Fontaine avait pourtant raison : c'est bien celui-là qui va le plus lentement qui à la fin l'emporte. Faut-il vraiment attendre que nos sociétés deviennent podagres pour qu'enfin elle aspirent à un peu de lenteur - à défaut de sagesse ? ou bien au contraire même ces cohortes de retraités contamineront-elles encore le monde de leur impatience effrénée ?

L'impuissance pointe ici : qui est ce point tragique où l'écart est maximum entre la frénésie de nos efforts et la vacuité de nos résultats. L'impuissance est toujours paradoxe : elle est rarement vacuité ; presque toujours trop plein. C'est bien au moment où Babel allait toucher le ciel qu'elle fut détruite. Nous y sommes : à cette croisée exacte où l'acmé de nos efforts frôle le zénith de nos impuissances. Nous n'avons même plus à espérer que se combinent puissance de la jeunesse et sagesse de la vieillesse : toutes deux affichent insolente stérilité.

Le lent cours du monde file vers notre suprématie mortifère : comme si nous n'arrivions plus à rien ou que même l'intensité de nos efforts vinssent à se retourner contre nous.

Il est temps de nous asseoir ; d'apprendre à respirer !

Au fond Prométhée n'est pas plus malin qu'Epiméthée.

 

 


 


 

 

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