Histoire du quinquennat

" La posture du "président normal" ne suffira pas pour gouverner " Denis Muzet, sociologue, président de l'Institut Médiascopie

Qu'est-ce qui caractérise la communication de François Hollande et celle du gouvernement ?

M. Hollande a pris le contre-pied de l'hyperprésident. Il a délégué ; il laisse son premier ministre gouverner et sait se mettre en retrait ; ses interventions sont ponctuelles, précises et pondérées. En outre, alors que Nicolas Sarkozy avait voulu faire croire que l'action présidentielle pouvait être instantanée, il l'a replacée dans sa durée, celle de la conception, de l'élaboration, de la concertation, puis de la délibération.

A la différence, encore, de M. Sarkozy, M. Hollande essaie de rassembler les Français et respecte les corps intermédiaires. Il va sur le plateau de France 2 ; il se rend au Conseil économique, social et environnemental pour présenter sa politique sociale. C'est un retour, sinon au " normal ", du moins à une gouvernance tempérée, qui est l'essence même de la Ve République.

Peut-il tirer longtemps encore sur le crédit que lui procure ce contraste ?

Pour les Français, qui ont été dopés, voire drogués au sarkozysme, jusqu'à saturation, cette médication " hollandaise " a eu, dans un premier temps, un effet anesthésiant selon certains, apaisant selon d'autres. Dans nos enquêtes qualitatives, que corroborent les sondages, on voit qu'il y a, globalement, une bonne surprise, y compris chez des électeurs de droite, plutôt heureux de ce climat d'apaisement. Mais ce style, qui se définit en creux et pas en plein, ne sera pas suffisant. Plus on va s'éloigner de l'élection, moins cette réponse sera satisfaisante.

En outre, s'il a su faire reconnaître son style, récompensé en termes de popularité, et s'il a laissé exister son premier ministre, celui-ci ne lui offre pas plus un bouclier que François Fillon n'en offrait à M. Sarkozy. Sobre jusqu'à l'excès, Jean-Marc Ayrault paraît cantonné à un seul rôle de pédagogie. Cela laisse autour de lui un vide, dans lequel certains ministres s'engouffrent, d'où parfois une impression de flottement.

Modestie, simplicité : cette banalisation de l'exercice du pouvoir correspond-elle aux attentes ?

Oui, incontestablement. D'abord parce qu'il y a une demande très forte de morale dans les comportements : ne pas mélanger l'argent privé et l'argent public, ne pas cumuler les mandats, ne pas profiter des largesses de la République. S'ajoute à cela l'état des finances publiques. La simplicité, c'est de l'argent économisé dans l'usage des deniers de la République, même si on sait que, dans la masse budgétaire, la réduction des dépenses de l'Elysée, celle des rémunérations du président, du premier ministre et des ministres sont une goutte d'eau dans un océan. Enfin, les Français ont compris que, aujourd'hui, la puissance est du côté de la finance et de l'économie. La crise et les agences de notation l'ont démontré. Donc, pour les dirigeants politiques, à pouvoir modeste, comportement modeste.

N'a-t-on pas le sentiment que le président et le gouvernement font diversion, cachent leur jeu, retardent les décisions les plus difficiles ?

Ce sentiment est la conséquence d'une insuffisante mise en perspective de l'action dans le temps. M. Hollande devrait faire apparaître davantage les différents plans de son action : celui de l'action immédiate, sur lequel le gouvernement a pris les mesures que l'on sait (plafonnement des rémunérations des patrons d'entreprises publiques, encadrement des loyers...) ; ensuite celui de la rentrée ; puis 2013, avec les engagements de réduction de dépenses qu'il va falloir prendre ; enfin, le temps, plus lointain, des objectifs du quinquennat. Mais le sentiment d'un attentisme naît aussi de la machine à combustion médiatique, qui crée de l'urgence permanente pour susciter les audiences. Dans nos enquêtes, on voit que cette impatience ne touche qu'une minorité de Français. Dans l'ensemble, le gouvernement est crédité de s'être mis au travail.

François Hollande a-t-il fait preuve de leadership ?

La posture du " président normal " était efficace pour conquérir le pouvoir, mais elle ne suffira pas pour gouverner durablement. Il va devoir inventer autre chose. La situation est difficile, tant au plan national, en matière économique, qu'au plan international, avec la Syrie notamment. Dans un tel contexte, il y a besoin d'un pouvoir fort. M. Hollande a une force d'entraînement ; il l'a démontré, à l'échelle européenne, en parvenant, avec les chefs de gouvernement italien, Mario Monti, et espagnol, Mariano Rajoy, à faire adopter par la chancelière allemande, Angela Merkel, la ligne de la croissance, qui reste d'ailleurs à confirmer. Mais s'il veut entraîner les Français, il lui faut forger un grand récit. Les contraintes de la campagne l'ont amené à entretenir le flou sur sa vision de l'avenir, pour pouvoir passer entre les critiques et se faire élire un peu par défaut. Cela a été bien joué tactiquement. La question est maintenant : " Qu'est-ce qu'il y a derrière ? Quelle France propose-t-il dans quinze ans ? "

Les Français ont intégré la nécessité de la rigueur. On l'a vu à l'automne 2011 au moment des plans Fillon, dont ils trouvaient qu'ils n'allaient pas assez loin. Ils sont prêts à participer individuellement à l'effort, à deux conditions : qu'il soit équitablement partagé - de ce point de vue, des gages ont été donnés depuis trois mois -, mais aussi qu'on voie à quoi il va mener, qu'il va déboucher sur un mieux pour nos enfants, sinon pour nous. Pour l'instant, on ne voit pas de chemin vers un horizon prometteur.

Propos recueillis par Patrick Jarreau