Elysées 2012

Sur la référence au care

 

Une quête morale

Il n'est sans doute pas étonnant que le dernier tome de la Méthode d'E Morin porte précisément sur l'éthique. (1)

Le paradoxe est que, tout au long des années soixante, la morale parut être l'ultime rémugle d'une bourgeoisie étriquée et réactionnaire, alors que, désormais, elle semble pouvoir devenir la forme même du réveil, sinon de la révolte au moins d'un projet moderne. La réponse en est à chercher dans cette remarque de Grimaldi

On aura remarqué que la notion même de devoir est contraire à celle d'adaptation. On s'adapte en effet à ce qui est, non à ce qui devrait être. Aussi est-on d'autant plus capable de s'adapter qu'on est moins soucieux de son devoir. Sentir l'intense exigence d'un devoir, c'est déjà refuser de s'adapter aux circonstances. Ceux qui ne s'adaptent pas : les rebelles, les dissidents, les ci-devant, les insoumis (2)

Ce qui fait toute l'ambivalence de la question morale, mais aussi de ce discours sur le care, mais enfin de la posture que semble vouloir adopter Aubry pour cette campagne présidentielle. Qui expliquent aussi les critiques que cette référence a suscitées. Ne pas sombrer dans le sentimentalisme, décidemment ; pas non plus dans un discours réactionnaire sur les valeurs bien sûr ; mais pourtant tenter, nonobstant, de fonder un doiscours nouveau, moderne, mobilisateur.

Telle est précisément l'analyse d'E Morin :

Ce sont les bases mêmes de l'éthique qui sont en crise. La question n'est pas celle du bien agir qu'il faille ajuster aux nouvelles techniques et au développement des connaissances ; non, ce sont les valeurs qui fondent cette éthique qui sont en crise - la morale donc. Dieu est mort ; la loi s'impose tellement peu que nos dispositifs politiques par exemple fiscaux prennent acte de son dévoiement pour justifier des libéralités ; les connaissances au développement si rapides sont désormais si difficile d'accès qu'elles ne parviennent pas à donner un sens à notre action ; sans même compter le développent des techniques qui, manifestement, nous donnent plus de pouvoirs que de sagesse.

De toutes façons, même si Heidegger poussa loin la provocation en affirmant la science ne pense pas, il eut néanmoins raison en ceci que l'esprit scientifique tente de penser le monde mais certainement pas notre rapport au monde; encore moins notre rapport à l'autre.

Nous avons ainsi devant nous un monde mis à disposition, réquisitionné, mis à sac d'ailleurs , un espace politique monopolisé par une classe de nanti, et une masse, écrasée, isolée, déracinée. Le tout entraîné dans une course folle menée par ce nouveau capitalisme financier qui contribue encore plus à la déréalisation du monde et des individus.

Il n'est pas difficile alors de mener un bilan où règnent effectivement détérioration du tissu social, recul de la solidarité, déresponsabilisation accrue, promotion de l'égoïsme sous les aunes bien-pensantes de l'utilitarisme et de l'intérêt bien calculé peut-être, mais qui souligne encore mieux l'égocentrisme qui s'y niche *

Un bilan aggravé par les périls environnementaux qui confèrent à la crise une acuité et une urgence inédite.

Faut-il pour autant renoncer ? L'approche d'E Morin nourrie de la pensée du complexe, assurée en même temps que ce qui y prédomine c'est justement le feed-back qui fait un même phénomène être à la fois cause et conséquence, lui fait précisément espérer que ce soit de la gravité même de la situation, de l'urgence aussi, que pourront naître les issues : exemple pris de juin 40.

le probable n'est pas certain et souvent c'est l'inattendu qui advient.(3)

Où les voit-il ces issues ? dans les initiatives prises à la base, ici et là, tant du côté des associations que des individus, dans les innovations écologiques assumées non par les états mais par des groupes isolés, dans la force capacité de résistance, d'entraide, de débat qu'Internet promeut et que les états de toute manière ne pourront pas contrôler ...

D'où ses préconisations à la gauche telle qu'il la rêve, l'espère :

- une démocratie participative, qui permette à chacun d'assurer son rôle de citoyen, désormais favorisée par les étonnants moyens qu'offre Internet

- l'intégration de la morale dans les critères de recrutement des candidats, de leur capacité et volonté de bienveillance - où l'on retrouve l'une des préoccupations du care

- une pensée politique qui sache intégrer les origines libertaires, socialistes et communistes de son histoire à une pensée écologique. Car l'enjeu reste que les sources théoriques de la gauche, que ce soit les Lumières, Marx ou les libertaires seront restés dans cette même logique productiviste qui a mené dans le mur.

La voie nouvelle conduirait à une métamorphose de l'humanité : l'accession à une société-monde de type absolument nouveau. Elle permettrait d'associer la progressivité du réformisme et la radicalité de la révolution **

C'est tout l'intérêt de la démarche de Morin : on a pu, récemment, se gausser de ce que ce soit deux nonagénaires qui ouvrent la voie ; j'y vois au contraire le signe que le futur ne se peut de toutes façons pas préparer sans les assises de notre passé.

Mais j'y vois la preuve aussi que la démarche à proposer n'a de sens que si elle est globale, assise sur la complexité : qui est le sens même de l'expression politique de civilisation.  (4) Il ne suffira pas, il ne suffira plus, de proposer quelques mesures techniques, quelques stratégies fiscales, ou quelque aide sociale :

où la politique se doit d'être de civilisation tient justement dans cette obligation de conjuguer politique, social, économique et environnemental ;

où elle se doit d'être complexe tient à la nécessité de se penser et poser dans le cadre même de l'objet-monde, et non pas derrière telle ou telle frontière frileuse.

où la politique se doit d'être morale c'est d'engager les individus, dans leurs complexités en embrassant tout à la fois leur rationalité et leur sensibilité, leur aspiration à la liberté et la nécessité pour chacun d'être au monde, et donc de nouer des liens.

La sensation demeure que notre monde est trop à la croisée pour se cntenter des recettes classiques qui ont toute échoué et plutôt suscité le populisme que l'espérance ; que notre pays est trop engoncé dans une stratégie insolente qui en aura sapé les ultimes bases encore solides pour ne pas être meurtri et se contenter seulement de quelque litanie libérale ; que le sentiment de l'urgence est trop vif quoique diffus encore, et la colère trop sourde pour ne pas en appeler à un projet globzl.

Si c'est cela que voulait dire Aubry en évoquant le care, elle a raison !

Mais qu'elle s'y tienne ! Parce que la promesse est trop forte.

Reste à comprendre la référence à Lévinas ....

L'autre chez Lévinas


1) Sur Edgar Morin

- voir documentaire

- Lire : construire des objets deconnaissance

- Vidéos sur complexité humanisme etc

- Vidéos sur mode de penser et sur culture de masse

- Entretien Janvier 2011 à l'occasion de la parution de La voie

- Point de vue dans le Monde : Ce que serait ma gauche Mai 2010

- La méthode 6 L'éthique

2) L'individu au XXIe siècle

3) Les nuits sont enceintes Le Monde Janvie 2011

4) On se souvient qu'en 2008 Sarkozy avait repris au vol l'expression de Morin non sans susciter quelques réactions

5) voir vidéo de France Culture La gauche est-elle morale ?


Vidéos


Dialogue entre Edgar Morin et Daniel Cohn-Bendit par EuropeEcologie


Edgar Morin par franceinter

notamment au début sur la crise de la pensée politique


Edgar Morin et la redécouverte des vieux sages par Mediapart


Edgar MORIN : "Du chaos naît l'espoir dans la... par tv5mondelinvite

 


Les matins - Stéphane Hessel et Edgar Morin par franceculture