Palimpsestes

Présidentielles 2012

L'impact " Mohamed Merah " sur les postures et les discours

           

Pour François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Eva Joly, la bataille politique ne s'est pas non plus arrêtée. Le candidat centriste et celui du Front de gauche avaient officiellement décidé de ne pas suspendre leur campagne. Mme Le Pen, elle, espère récolter les fruits de ce qu'on nomme dans son entourage son rôle de " briseuse " de tabous. Quant à Mme Joly, sa ligne a semblé flottante et a réveillé d'anciennes fractures internes.

François Bayrou : changer " le ton et le fond " de la campagne

Comment continuer à faire de la politique en pareille circonstance sans être taxé de faire de la " récupération " ? C'est l'exercice périlleux auquel tente de se livrer depuis trois jours M. Bayrou. Il a décidé de ne pas interrompre sa campagne, à l'inverse de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, depuis la tuerie de Toulouse. " Je pense que la campagne ne s'est jamais interrompue. La présence des responsables politiques dans ce débat a été continuelle et le président a lui même conduit les opérations, la communication autour de cette affaire et je n'en fais pas grief ", s'est justifié le candidat centriste, jeudi 22 mars, sur RMC.

La veille, fidèle à sa ligne de conduite, il avait maintenu son meeting à Nancy, après avoir assisté à la cérémonie en hommage aux soldats tués à Montauban. Comme il avait, deux jours plus tôt, tenu sa réunion publique à Grenoble après s'être rendu à une cérémonie en mémoire des victimes à la synagogue de Toulouse.

De retour de Montauban, le président du MoDem s'est félicité d'avoir vu les " responsables politiques rassemblés ". " Il y avait beaucoup d'émotion et de retenue dans la manière dont les uns et les autres ont assisté à cet hommage ", a-t-il affirmé. Avant de souhaiter que les candidats " se souviennent des événements que nous avons traversés et qu'ils en tirent la détermination que le ton et le fond de la campagne électorale changent ".

" J'ai la certitude qu'aucun des problèmes ne pourra trouver de réponse si nous continuons dans la politique ordinaire, classique, dans les affrontements que nous suivons depuis des années ", a-t-il affirmé. Puis il est, très vite, revenu à ses thèmes classiques - le " produire en France ", la réduction de la dette, la nécessaire " moralisation " de la vie publique...

Dans cette période où tout le monde fait de la politique en s'attachant à nier en faire, M. Bayrou a pris des " risques ", convient-on dans son entourage. A Grenoble, lundi, dans un meeting qu'il a présenté comme un moment de " réflexion nationale ", il avait posé le diagnostic d'une société malade, portant en elle les germes de la violence. Il avait aussi, sans le nommer, ciblé M. Sarkozy.

Il s'attache désormais à dire qu'il n'a " cité le nom d'aucun responsable politique " Entre-temps, il a été violemment épinglé par Alain Juppé. " Ne rajoutons pas l'ignoble à l'horrible ", a asséné le ministre des affaires étrangères, le visant, sans le citer. Mercredi, M. Bayrou a subi un nouvel assaut, de la part de Mme Le Pen cette fois. La présidente du FN, citant M. Bayrou et Jean-Luc Mélenchon, a estimé que " tous ceux qui ont essayé de profiter politiquement de ces assassinats sont disqualifiés ".

A l'heure où chaque camp accuse les autres de vouloir instrumentaliser les drames de Montauban et Toulouse, M. Bayrou a repris l'argument à son compte. " L'extrême droite cherche à surfer sur la situation ", a-t-il répondu à la candidate FN, qui a estimé que " le risque fondamentaliste a été sous-estimé dans notre pays ". Fidèle à sa ligne de Grenoble, mais avec plus de prudence, M. Bayrou a pointé, à Nancy, " une certaine décomposition de notre vivre ensemble " et la " montée de l'intolérance ". Sur ces thèmes, a-t-il regretté, il n'y a pas eu " un mot ". " J'espère que cela va changer et que l'on aura le courage de regarder ces choses en face ", a-t-il estimé sans s'appesantir sur ce sujet brûlant.

Jean-Luc Mélenchon garde le cap

Comme M. Bayrou, M. Mélenchon a décidé de continuer à faire campagne. Mercredi, il était à Bobigny et à Gennevilliers quand les autres candidats étaient quasiment tous à Montauban pour les obsèques des soldats tués. L'eurodéputé a décidé de ne pas modifier son agenda. " A quel titre y serais-je ? Parce que je suis candidat ? Ce n'est pas un statut ! Ce serait prolonger la campagne devant les cercueils ", a-t-il jugé avant de s'engouffrer dans le métro.

Direction donc Bobigny pour une visite sur le thème des services publics. M. Mélenchon y était est attendu avec Pierre Laurent, le secrétaire national du Parti communiste, sur le parvis de la préfecture. Après une minute de silence, le candidat du Front de gauche a attaqué d'emblée par un " Je suis ici à ma place ! ". L'ex-sénateur a mis en garde contre toute stigmatisation des musulmans et toute instrumentalisation des drames de Toulouse et Montauban. " Quelle que soit notre foi, il n'y a pas de place dans ce pays pour mener des guerres de religion. (...) Aujourd'hui, nous disons que nous ne croyons pas qu'un seul musulman ait quoi que ce soit à voir avec un dégénéré pareil ", a-t-il lancé devant deux cents personnes.

M. Mélenchon a tenu à adresser ses " félicitations " à la police nationale avant d'enchaîner sur la nécessité d'avoir " un Etat en France et pas seulement un marché ". " Toutes les tâches de sûreté doivent être assumées par les forces préposées à cet office ", par " une police républicaine disciplinée et non pas par les officines privées que nous voyons pulluler de tous côtés ", a-t-il lâché. Une habile transition pour vanter les services publics qui " sont le patrimoine de ceux qui n'en ont pas ".

Quelques minutes plus tard, il dénonçait les " propos fielleux " de Mme Le Pen et " sa petite musique de haine alors que les morts ne sont même pas encore enterrés ". Dans la matinée, la candidate du FN avait publié un communiqué intitulé " Aux salauds ", mettant notamment en cause M. Mélenchon. L e candidat du Front de gauche expliquait ne pas regretter d'avoir mis en cause la veille Jean-Marie Le Pen, qui avait repris des propos de l'écrivain collaborationniste et antisémite Robert Brasillach, mi-février. " J'ai dit qu'il fallait faire attention aux citations. Il faut toujours avoir le soin de ne pas citer ceux qui font l'apologie des meurtres ", avait-il déclaré.

M. Mélenchon a quitté Bobigny en début d'après-midi pour Gennevilliers pour visiter des immeubles insalubres et murés. L'après-midi aurait pu se terminer sur un discours appelant de nouveau à " ne pas laisser le poison se répandre " mais une dispute avec un photographe, en fin de journée, vint ternir cette journée.

La soirée aura été plus heureuse pour M. Mélenchon : trois figures du Nouveau Parti anticapitaliste - Pierre-François Grond, Myriam Martin et Hélène Adam - ont appelé à voter pour lui dans une tribune publiée jeudi dans Libération. Un sondage CSA, aussi rendu public jeudi, ne lui aura pas non plus échappé. M. Mélenchon y est donné pour la première fois à 13 % des intentions de vote, à égalité avec M. Bayrou et à seulement 0,5 point de Mme Le Pen.

Marine Le Pen : frapper vite et fort

Elle fut une des premières à suspendre sa campagne après l'assassinat des enfants juifs, lundi à Toulouse. Mais, mercredi, quelques heures après le début de l'assaut, elle fut aussi la première à rouvrir les hostilités. Pour les frontistes, la campagne de Mme Le Pen n'a pas à être " réaxée ". " Nous n'avons pas à réorienter notre campagne. La gravité de cette tuerie va faire que les sujets qu'elle porte vont s'imposer d'eux-mêmes, à savoir, le fondamentalisme islamique et la question de la sous-estimation des risques ", estime Florian Philippot, le directeur stratégique.

En tout cas Mme Le Pen se sent légitime sur ces sujets qu'elle aborde depuis bien avant la campagne présidentielle. " Les gens reconnaissent à Mme Le Pen une certaine crédibilité. Elle n'a jamais éludé ces thèmes ", continue M. Philippot.

L'équipe frontiste en est sûr, même si elle ne le formule pas aussi directement : la candidate récoltera les fruits de son rôle de " briseuse " de tabous. " Cela montre que Mme Le Pen a raison d'aborder certains sujets et que les autres ont tort de se cacher les yeux ", veut croire M. Philippot.

Les tueries de Toulouse et Montauban, et le fait que le principal suspect, Mohamed Merah, se revendique d'Al Qaida, peuvent relancer la campagne de Mme Le Pen qui peinait à décoller. La présidente du FN a appliqué les mêmes recettes qui lui avaient réussi il y a un an, lors de " l'affaire DSK " : une omniprésence médiatique qui oblige ses adversaires à se positionner par rapport à ses déclarations.

Avec la thématique du " laxisme ", elle peut viser à la fois Nicolas Sarkozy et la gauche. Pour le premier, les piques sont dures. " On va taper sur le bilan du chef de l'Etat, le laxisme du gouvernement et les promesses non tenues notamment sur les armes en banlieue ", avance M. Philippot.

Invitée jeudi 22 mars sur France Info, Mme Le Pen a déclaré, à propos du long délai que s'est donné le RAID avant de lancer l'assaut, que " le gouvernement - avait - peur des réactions dans un certain nombre de quartiers aux mains des fondamentalistes islamistes " en cas de mort du suspect. Elle a également mis en cause les services de renseignements français. Un fait inhabituel pour celle qui défend systématiquement les forces de l'ordre : " On devrait tout savoir sur cet homme-là déjà. Les services de renseignement ont-ils mis toutes les précautions de leur côté ? ", s'est-elle interrogée.

Autre argument dans l'éventail FN : les " interventions extérieures hasardeuses ". " On a excité le fondamentalisme avec les interventions en Libye et en Afghanistan ", poursuit M. Philippot. Une manière de faire porter une responsabilité indirecte au gouvernement dans les événements de Toulouse et Montauban.

La gauche, quant à elle, sera visée par les accusations - classiques - " d'angélisme " qui aurait " déteint sur la droite ". " Ils sont dans le déni du problème depuis des années. Quand on dénonce le fondamentalisme, ils disent que l'on stigmatise ", énonce notamment Florian Philippot.

Sur France Info, Marine Le Pen a ainsi lancé : " Bien sûr qu'il faut stigmatiser le fondamentalisme musulman ! Il faut même le pourchasser ! " La candidate du Front national a ensuite appelé les " Français musulmans " à venir " à nos côtés " pour combattre ce qu'elle appelle " le fascisme vert ".

Enfin, dernier argument, celui qui vise François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. Ces derniers se seraient " décrédibilisés " en pointant, pour le premier le climat de la campagne, et pour le second Jean-Marie Le Pen et le FN.

Pour autant, Marine Le Pen ne veut pas se laisser enfermer dans la thématique de l'insécurité : jeudi après midi, la prétendante à l'Elysée devait ainsi rencontrer, " à leur demande ", les postiers du Trilport (Seine-et-Marne) pour parler également et à son tour, " des services publics ".

Eva Joly : flottements internes

La période qui s'est ouverte depuis les assassinats de Montauban et de Toulouse est difficile à gérer pour les écologistes, car les problématiques abordées sont autant d'occasions de rouvrir d'anciennes fractures, de révéler d'importantes divergences de vues au sein du mouvement. Vieux débat chez les écologistes, en période d'union nationale : faire comme les autres ou clamer leur différence ? C'est la première option qui a été choisie, non sans remous.

Ainsi Mme Joly s'est recueillie à Toulouse devant l'école où les enfants ont été massacrés, avant d'assister à Montauban, mercredi, aux obsèques des soldats assassinés. " Je ne vais pas aller contre l'évidence et vous dire que le côté tous derrière le chef de l'Etat, dans les plis du drapeau fait partie de notre tradition. Mais dans des circonstances comme celle-ci, les écologistes doivent montrer qu'ils font partie de l'arc républicain ", tranche Stéphane Sitbon, directeur de campagne de Mme Joly.

La veille, la direction d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV) avait reçu des mails très vifs de militants se demandant pourquoi le parti n'en faisait pas autant quand des enfants palestiniens périssaient lors d'échanges de coups de feu entre Israéliens et Palestiniens.

Le soutien sans faille à la cause palestinienne est en effet un des " fondamentaux " du parti, réaffirmé à chaque conseil fédéral, et porté sans complexe par la secrétaire nationale Cécile Duflot, patronne du parti. L'avocat Pascal Durand, porte-parole d'EELV, a organisé la réunion au cours de laquelle il est intervenu, aux côtés de Jacques Archimbaud, un des historiques du parti, pour régler cette question. La parole de M. Archimbaud, ex-mao, venu de la gauche radicale, et antimilitariste de toujours, a contribué à calmer les esprits et à faire accepter à une partie de la base, très réticente, les choix du parti et de l'équipe de campagne de Mme Joly.

La question de la présence de Mme Joly sur le terrain ayant été péniblement réglée, reste à savoir quelle parole politique porter sur ces événements. Or, là aussi, le terrain est miné. Pascal Durand, défend une ligne claire  : " Je refuse absolument que l'on établisse une passerelle entre le discours stigmatisant de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant, que nous condamnons depuis toujours, et l'acte de cet homme. "

Mme Joly est-elle en contradiction avec cette " ligne " ? Non, répond son entourage. Pourtant, le malaise est grand chez certains depuis ses déclarations, mercredi 21 mars sur France 2, évoquant un " discours stigmatisant qui n'arrange rien ", et " une période de cinq années où on a monté les Français les uns contre les autres ".

Mme Joly a-t-elle, de par ses déclarations, établi la fameuse " passerelle " dont ne veut pas son parti ? Jean-Paul Besset, député européen (EELV) le pense, et lance, sarcastique : " Al-Qaida n'est pas un enfant de la politique de Sarkozy. Mme Joly devrait se taire pour éviter de dire encore des bêtises et, in fine, rendre service au chef de l'Etat. " A EELV, les réunions d'après campagne s'annoncent mouvementées.

Raphaëlle Besse Desmoulières, Pierre Jaxel-Truer (à Nancy), Anne-Sophie Mercier et Abel Mestre