Palimpsestes

Présidentielles 2012
Les candidats à la présidentielle perplexes face au drame de Toulouse

 

 

Et maintenant ? Que dire ? La complexité du parcours de Mohamed Merah est à l'évidence un casse-tête pour les politiques, qui restent dans leur grande majorité partagés entre deux envies : celle de considérer l'affaire comme un simple fait-divers relevant de dérives individuelles, et celle d'examiner l'affaire par le prisme du politique pour régler éventuellement quelques comptes, présidentielle oblige, et formuler au passage des propositions.

Si la parole ne se libère pas totalement, c'est sans doute parce que nombre d'entre-eux donnent raison sans le dire à l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin (UMP) : " L'affaire fait souffler un vent de gravité sur la campagne. Toutes les polémiques retomberont sur le nez de ceux qui les lancent. Les gens ont apprécié la classe politique pendant ces événements, ils l'ont trouvée à la hauteur et ne voudraient pas que le débat redescende. " L'affaire est complexe, l'opinion publique en a conscience. Gare, donc, aux dérapages.

Les socialistes, qui ont pris l'habitude de voir leurs campagnes présidentielles percutées par des faits divers, en conviennent: il s'agit cette fois de bien plus que cela. Le scénario qui se dessine de la trajectoire de Mohamed Merah leur pose de sérieuses questions.

Ils ne les esquivent pas, mais se gardent bien d'en faire une machine de guerre politique contre leur principal adversaire. " C'est un fait de société dans le sens où depuis des années, il y a sur le sol français une infime minorité de jeunes perdus qui décident de passer de l'autre côté et de devenir des ennemis ", résume Manuel Valls, directeur de la communication de François Hollande. " Cela révèle une faille dans notre système républicain. Le mélange de déclassement social et de crise identitaire provoque cette dérive qui aboutit à la terreur. "

Le diagnostic reste classique. Un peu trop, aux yeux de certains camarades. " Pourquoi ce gamin, qui était français et non pas parachuté par une force obscure depuis l'étranger, s'est identifié à des combats qui n'ont rien à voir avec les nôtres et est devenu un tueur ? Cela mérite qu'on s'interroge ", estime Razzye Hammadi, ancien président du MJS. Pour ce candidat aux législatives à Montreuil (Seine-Saint-Denis), " nous avons un problème de sensibilité sur ces questions. Nos dirigeants qui ne vivent pas dans les territoires ou les milieux qui peuvent produire ce genre de profil. Ca crée un angle mort. "

Manuel Valls dément, qui rappelle que le réseau d'élus du PS est en première ligne: " Les socialistes vivent cette situation au quotidien ", assure le député et maire d'Evry, qui avait voté la loi sur la burqa en juillet 2010 contre la consigne de son groupe parlementaire. " Nous savons bien que dans les mosquées ou sur Internet, il peut y avoir des prêches ou des messages dangereux, que l'antisémitisme est profondément ancré dans certaines banlieues. La seule voie possible pour s'en sortir: République, école, laïcité ", martèle M. Valls.

Certains déplorent la frilosité ambiante et tentent de formuler une parole forte. Pour l'essayiste Alain Minc, visiteur du soir de Nicolas Sarkozy, la démocratie française va devoir faire des choix douloureux. " On ne fait pas assez le parallèle avec les attentats de Londres : c'est le même nombre de morts. On avait accusé à l'époque le communautarisme anglais. Mais il nous arrive la même chose. Cela n'a rien à voir avec l'intégration, le social, cela relève des affaires policières. La question, c'est quel degré d'interventionnisme policier dans la démocratie ", assure-t-il. " En France, Nicolas Sarkozy n'a pas touché au droit de la garde à vue, au droit d'intervention de la police, c'est-à-dire aux choses consubstantielles des libertés publiques. Si l'on surveille les gens qui prennent un charter pour l'Afghanistan, ce n'est pas un drame ", poursuit M. Minc. Selon lui, " ce n'est pas le modèle d'intégration qui est en cause. Arrêtons ! A ce degré de violence, ce n'est pas le sujet ".

Le refus de tout travail théorique sur ce sujet s'accompagne dans le camp sarkozyste d'une évidente satisfaction. " Le régalien qui faisait partie des thèmes forts de Nicolas Sarkozy est conforté ", estime Brice Hortefeux.

L'heure n'est pas à la remise en cause dans le camp sarkozyste après les événements dramatiques de Toulouse. " On ne peut pas savoir comment les choses vont tourner, a répété à plusieurs reprises Nicolas Sarkozy vendredi 23 mars lors d'une visite à Valenciennes. Le traumatisme est très grand dans le pays devant ces monstruosités, il faut en tenir compte. "

Mais pour le président-candidat, pas question qu'un fait divers aussi dramatique soit-il remette en cause la politique qu'il mène depuis cinq ans. Et surtout pas en faveur des quartiers sensibles pour lesquels, aime à rappeler M. Sarkozy, la France a engagé 43 milliards d'euros. " C'est une réussite extraordinaire, a-t-il redit vendredi lors de la visite d'un chantier de rénovation. Les banlieues aujourd'hui sont apaisées parce qu'elles sentent, les habitants sentent qu'on s'occupe d'eux ", a assuré M. Sarkozy. " Ça ne veut pas dire que tout est réglé ", a-t-il cependant ajouté, en réitérant sa promesse d'un deuxième plan de rénovation urbaine.

Certains pensent néanmoins avoir tout à gagner à formuler un diagnostic musclé, dans la mesure où il correspond à une ligne défendue depuis toujours. C'est bien sûr le cas du FN. Pour le Front national, les tueries de Toulouse et de Montauban sont le symptôme de plusieurs dérives, dont il ne s'estime pas responsable.

Dérives de certains quartiers, banlieues et cités, " tenus par les fondamentalistes ". Dérive aussi du système judiciaire, qui s'est enfoncé, selon lui, dans une " culture du laxisme ". " L'itinéraire de Mohamed Merah met au jour une hybridation entre l'islam radical et la voyoucratie, estime Florian Philippot, directeur stratégique de la campagne de Marine Le Pen. Que faire ? Force est de constater que les solutions proposées demeurent des plus classiques. " Il faut faire appliquer la laïcité partout sur le territoire et sortir de la culture de l'excuse ", ajoute le haut fonctionnaire. Selon M. Philippot, la réponse doit être double : d'abord sécuritaire, avec une " reprise en main de la lutte antiterroriste " et la " remise en place de la double peine ". Mme Le Pen promet par ailleurs régulièrement de reconstituer, si elle est élue, les effectifs des forces de l'ordre supprimés depuis 2005, sans oublier l'organisation d'un référendum sur la peine de mort.

François Bayrou a d'abord campé lui aussi sur une stratégie offensive consistant à lier explicitement les événements de Toulouse à la pratique du pouvoir de Nicolas Sarkozy, sans le nommer. Mais il a rapidement infléchi son discours, dès que l'identité de Mohamed Merah a été connue. Le président du MoDem a pris des risques, lundi 19 mars, en posant le diagnostic d'une société malade de ses divisions. Offensif, il a aussi a dénoncé ceux qui font " flamber les passions " en " montant les uns contre les autres ". Accusé par l'UMP et le PS d'avoir voulu " récupérer " l'événement, il s'attache, depuis, à ne pas trop en faire sur la question.

" Comment des gamins qui ont reçu une éducation républicaine peuvent adhérer à des idées aussi lontaine de la République? ", se demande son conseiller Jean-Luc Bennahmias. Pour autant, François Bayrou ne devrait pas, dimanche, lors du grand meeting qu'il doit tenir au Zénith de Paris, s'appesantir sur cette question. " On passe à autre chose ", dit-on au MoDem. " Se saisir frontalement de cette question est impossible. Heureusement, on bute sur un cas particulier. Il est difficile d'aller plus loin que les phrases qu'a employées François à Grenoble ", convient M. Bennahmias.

Le temps du deuil, en politique, durera le temps de celui où chacun attend l'autre au tournant pour l'accuser de vouloir instrumentaliser le drame. Le risque est aussi, en évoquant des problèmes sociétaux, de paraître trouver des excuses au tueur. Les troupes centristes se prononcent désormais sur des mesures concrètes. Christophe Madrolle, secrétaire général adjoint du MoDem, livre une piste: " Je suis éducateur. La police de proximité était une vraie mine de renseignement. Sa disparition a supprimé un échelon ", estime-t-il.

Les écologistes butent sur les mêmes problèmes que les autres. Si Mme Joly n'a pas hésité à mettre indirectement en cause le chef de l'Etat, en dénonçant, mercredi 21 mars, " un discours stigmatisant qui n'arrange rien ", ils ne sont pas allés au-delà. Yannick Jadot, membre de l'équipe de campagne de la candidate, précise que " Nicolas Sarkozy n'est pas responsable de Toulouse ", même si " un certain discours politique a construit des gamins en perdition ".

Jean-Luc Mélenchon fait, lui, preuve d'une retenue inhabituelle en estimant qu'il ne faut pas " politiser cette affaire, et qu'il faut éviter de relancer des guerres religieuses ".

Au fond, la plupart des candidats partagent la même envie : jeter un voile pudique sur Mohamed Merah et son histoire. Trop complexe, trop lourd. Nicolas Sarkozy souhaite parler sécurité, et l'équipe de Hollande se retrouve confrontée à une épineuse question : combien de temps leur faudra-t-il pour, selon l'expression d'un parlementaire PS, " replacer l'épicentre de la campagne sur les questions sociales " ? C'est désormais leur seule priorité.

Anne-Sophie Mercier (avec le service politique)