Albert Einstein
On the Method of Theoretical Physics,
cité par R. Blanché,
« La Méthode expérimentale et la Philosophie de la physique »,
Ed. Armand Colin 1969, p. 274.
Mais
si l'expérience est le commencement et la fin de toute notre connaissance au
sujet de la réalité, quel rôle est laissé, dans la science, à la raison ? Un
système complet de physique théorique consiste en concepts et en lois de
base pour relier ces concepts avec les conséquences qui dérivent de là par
déduction logique. C'est à ces conséquences que doivent correspondre nos
expériences particulières, et c'est la dérivation logique de ces
conséquences qui, dans un ouvrage purement théorique, occupe de beaucoup la
plus grande partie du livre. (...)
Nous venons d'assigner à la raison et à l'expérience leur place dans le
système de la physique théorique. La raison donne au système sa structure ;
les données de l'expérience et leurs relations mutuelles doivent
correspondre exactement aux conséquences de la théorie. C'est uniquement sur
la possibilité d'une telle correspondance que reposent la valeur et la
justification de l'ensemble du système, et spécialement de ses concepts
fondamentaux et de ses lois de base. Sinon, ceux-ci ne seraient que de
libres inventions de l'esprit humain n'ayant aucune justification a priori,
ni par la nature de l'esprit humain ni de quelque autre manière que ce soit.
Les concepts et les lois de base dont on ne peut pousser plus loin la
réduction logique constituent, dans une théorie, la partie indispensable et
qui ne peut plus être rationnellement déduite. On ne peut guère nier que le
but suprême de toute théorie est de rendre ces éléments irréductibles de
base aussi simples et aussi peu nombreux qu'il est possible sans avoir à
renoncer à la représentation adéquate d'une seule donnée de l'expérience.
(...)
Si donc il est vrai que la base axiomatique de la physique théorique ne peut
être obtenue par une inférence à partir de l'expérience, mais doit être une
libre invention, avons-nous le droit d'espérer que nous trouverons la bonne
voie ? (...) Je suis convaincu que la construction purement mathématique
nous permet de découvrir les concepts et les lois qui les relient, lesquels
nous donnent la clef pour comprendre les phénomènes de la nature.
L'expérience peut, bien entendu, nous guider dans notre choix des concepts
mathématiques à utiliser ; mais il n'est pas possible qu'elle soit la source
d'où ils découlent. Si elle demeure, assurément, l'unique critère de
l'utilité, pour la physique, d'une construction mathématique, c'est dans les
mathématiques que réside le principe vraiment créateur. En un certain sens,
donc, je tiens pour vrai que la pensée pure est compétente pour comprendre
le réel, ainsi que les Anciens l'avaient rêvé.