Histoire du quinquennat

Manuel Valls :
"Il n'y aura pas de régularisation massive des sans-papiers"
LE MONDE du 27.06.2012
Cécile Prieur, David Revault d'Allonnes et Elise Vincent

Manuel Valls, ministre de l'intérieur, définit la politique migratoire qu'il entend mener. Il annonce plusieurs circulaires : une pour mettre fin à la rétention des familles ; une autre pour uniformiser et préciser les critères de régularisation ; une troisième, enfin, pour faciliter les naturalisations. Il annonce également l'adoption d'une loi pour créer notamment un nouveau titre de séjour de trois ans. Mais il entend rester "ferme" et ne pas procéder à des régularisations massives.

Vous avez gardé dans votre périmètre l'asile et les naturalisations. Ce découpage, qui a été créé par le précédent gouvernement, vous est reproché par une cinquantaine d'associations de défense des droits des étrangers, qui regrettent que ces dossiers n'aient pas été délégués au ministère de la justice. Que leur répondez-vous ?

Manuel Valls : Le ministère de l'intérieur n'est pas uniquement le ministère de la sécurité, de l'ordre. Il est aussi, et je veux l'affirmer avec beaucoup de force, le ministère des grandes libertés publiques, de l'asile, des cultes. Je veux sortir de la vision très étroite qui a été celle de mes prédécesseurs depuis 2002. Cette conception imprègne encore les associations qui, je peux le comprendre, ont été marquées par ces dix années passées. Mais maintenant, ce débat n'a plus lieu d'être. J'entends être le ministère d'un Etat dans toute sa plénitude, ouvert, généreux, mais qui définit des règles claires et qui les fait appliquer de manière ferme.

Ces mêmes associations vous accusent de mener la même politique "sécuritaire" que Nicolas Sarkozy...

Je comprends l'impatience des associations. Mais les faits parlent d'eux-mêmes. Une première décision importante a été prise, le 31 mai dernier : elle concerne l'abrogation de la circulaire Guéant qui réduisait l'accès au marché du travail des étudiants étrangers.

Vous avez été été pointé du doigt par le Défenseur des droits, Dominique Baudis, sur le placement en rétention des familles avec enfants. François Hollande avait promis, durant la campagne, d'y mettre fin.

Conformément à l'engagement du président, tout est mis en oeuvre pour y mettre un terme. La circulaire est prête, elle sera publiée dans les prochains jours. Elle annoncera l'arrêt immédiat de la rétention des familles et précisera les règles de leur assignation à résidence. La rétention des familles ne se fera plus que pour celles qui n'auront pas respecté leur assignation à résidence ou ne se seront pas présentées à l'embarquement en cas d'expulsion. Elle se fera en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Allez-vous développer les mesures alternatives à la rétention pour tous les étrangers en situation irrégulière ?

Je ne veux prendre aucune décision dans la précipitation. Je ne veux pas, non plus, donner un signal qui engendre de faux espoirs et un "appel d'air". C'est ma responsabilité. Nous devons par contre, c'est vrai, travailler à bâtir une solution alternative plus humaine. En droit communautaire, la rétention n'est effectivement que la dernière solution.

Il existe un très grand nombre de sans-papiers qui ne sont ni expulsables ni régularisables en l'état du droit. Donnerez-vous des consignes aux préfets pour sortir de cette impasse ?

Les régularisations doivent se faire en s'appuyant sur des critères précis, objectifs, compréhensibles, à la fois par ceux qui sont dans cette situation, ceux qui pourraient venir sur notre sol national, et nos compatriotes. Ces critères sont les années de présence en France, la situation par rapport au travail, les attaches familiales, la scolarisation des enfants.

Ils ont été interprétés de manière beaucoup trop restrictive et n'ont pas été appliqués de manière uniforme sur l'ensemble du territoire par le précédent gouvernement. Une circulaire pour les préciser est donc en préparation. Je veux mettre fin à l'arbitraire. Mais les personnes susceptibles d'être éloignées - et il y en aura - doivent être traitées dignement et être en mesure de faire valoir leurs droits.

Ces critères, toutefois, ne permettent de trouver une issue que pour les familles, pas pour les célibataires présents en France depuis parfois dix ans, et ils sont très nombreux...

Pour ces derniers, outre leur durée de présence, le critère peut être le travail. Mais leur sort touche au sujet plus large des besoins en termes de migration économique de la France. Or, cette question doit être débattue au Parlement et avec les partenaires sociaux, comme l'a promis François Hollande.

La précision des critères pourrait-elle vous amener à un volet de régularisations plus ample que celui du gouvernement Fillon, qui était d'environ 30 000 par an ?

Non, je ne le crois pas. Aujourd'hui, la situation économique et sociale ne permet pas d'accueillir et de régulariser autant que certains le voudraient. C'est ma responsabilité de ministre de l'intérieur de le dire. Je l'assume.

Allez-vous revoir la politique des titres de séjour pour les étrangers en situation régulière ?

Le droit au séjour doit être rendu plus simple, plus lisible. Ce qui ne veut pas dire moins exigeant. Les difficultés à obtenir un titre de séjour sont des facteurs de fragilisation économique, psychologique, sociale, et donc des obstacles à l'intégration. Il nous faudrait essayer de légiférer cette année, et à ce titre, créer un titre de séjour intermédiaire d'une durée de trois ans qui permette de stabiliser ceux qui vivent et travaillent de manière régulière sur le sol national. J'ai, à ce propos, été révolté par le sort réservé à ces étrangers qui se retrouvent dans les files d'attente devant les préfectures pour renouveler leurs papiers pendant des heures, la nuit, ou dans le froid. Ça n'est pas ça, la France.

En 2010, environ 33 000 personnes ont été reconduites à la frontière. Allez-vous maintenir cet objectif ?

Je ne jugerai pas l'action des préfets sur la base du nombre de reconduites exécutées. Cela a trop pesé sur le travail du corps préfectoral. Ça ne veut pas dire qu'il faut casser le thermomètre. Mais cela fera l'objet d'un travail d'évaluation dépassionné.

Quelle sera donc votre politique en matière de lutte contre l'immigration illégale ?

Nous nous attaquerons aussi aux filières d'immigration clandestine qui exploitent la misère humaine. Cela implique un redéploiement de nos forces de sécurité et de nos moyens de contrôle. Mais je veux que les personnes qui aident les sans-papiers à titre désintéressé [le délit de solidarité] ne soient plus sanctionnées.

Que ferez-vous de la loi Besson, entrée en vigueur en juin 2011, qui a donné plus de pouvoir au juge administratif pour éloigner les sans-papiers ?

L'idée n'est pas de légiférer sans cesse. Je veux juste m'assurer que toute personne frappée d'une mesure d'éloignement soit en mesure de faire valoir ses droits à chaque étape de la procédure. Si cela doit passer par un changement législatif, il y aura un changement.

Concernant les naturalisations, desserrerez-vous l'étau mis en place par vos prédécesseurs ?

La naturalisation, c'est une réussite pour la France. Elle ne doit plus être pensée comme l'issue d'un parcours du combattant mais comme l'issue d'un processus d'intégration. Il faut redonner la totale possibilité de devenir français. Depuis deux ans, les naturalisations ont chuté de 40 %. C'est la conséquence de choix politiques délibérés, mais non écrits, non dits.Je veux inverser cette tendance. Dès cet été, une circulaire sera signée, en ce sens, avec des critères transparents.

Le président s'était engagé à ramener "à six mois" l'examen des demandes d'asile, aujourd'hui de 18 mois. Allez-vous mettre en oeuvre cette promesse ?

La réduction des délais de traitement est une priorité. Mais cela sera fait en fonction des arbitrages budgétaires du premier ministre. Car il faut des moyens supplémentaires pour traiter le stock des demandes d'asile et désengorger les centres d'hébergements où ces demandeurs sont logés.

Est-ce que vous ne risquez pas, avec ces annonces, d'apparaître comme le "monsieur Sarkozy" du gouvernement ?

Non. La politique de Nicolas Sarkozy a été marquée par des coups de menton et par l'idée que l'immigré était responsable des problèmes des Français. Revenir sur les symboles, ce n'est pas rien ! Il est vrai qu'il n'y aura pas de régularisation massive des sans-papiers. Etre de gauche, ce n'est pas régulariser tout le monde et se retrouver dans une impasse. Il faut mener une politique républicaine, conforme aux valeurs de la France, tenir compte de la situation économique et sociale de notre pays et poser, effectivement, des critères. La politique que j'applique n'est pas celle de Manuel Valls, c'est celle du président de la République et du premier ministre.

Le FN a réalisé des scores élevés lors des dernières élections. Vous n'avez pas, par ailleurs, la majorité des 3/5 au Congrès. Dans ce contexte, souhaitez-vous toujours faire adopter le droit de vote des étrangers aux élections locales par voie référendaire ?

C'est un engagement du président de la République. Il lui appartient de déterminer dans quelles conditions il sera mis en oeuvre.