Approche du politique

Le contrat vu par Hobbes

HobbesNous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales de querelles : premièrement, la rivalité; deuxièmement, la méfiance; troisièmement, la fierté.
La première de ces choses fait prendre l'offensive aux hommes en vue de leur profit. La seconde, en vue de leur sécurité. La troisième en vue de leur réputation. Dans le premier cas, ils usent de la violence pour se rendre maîtres de la personne d'autres hommes, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs biens. Dans le second cas, pour défendre ces choses. Dans le troisième cas, pour des bagatelles, par exemple pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère de la leur, ou quelque autre signe de mésestime, que celle-ci porte directement sur eux-mêmes, ou qu'elle rejaillisse sur eux, étant adressée à leur parenté, à leurs amis, à leur nation, à leur profession, à leur nom.
Il apparaît clairement par là qu'aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun.”

 

Se donner à l'Etat

La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l'attaque des étrangers, et des torts qu'ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c'est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté. (...) Cela va plus loin que le consensus ou la concorde: il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun; j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude, ainsi unie en une seule personne est appelée une République, en latin CIVITAS.

 

Et parce que l’état de l’homme, comme il a été exposé dans le précédent chapitre, est un état de guerre de chacun contre chacun, situation où chacun est gouverné par ses propres motifs et qu’il n’existe rien, dans ce dont on a le pouvoir d’user, qui ne puisse éventuellement vous aider à défendre votre vie contre vos ennemis, il s’ensuit que, dans cet état, tous les hommes ont un droit sur toutes choses, et même les uns sur le corps des autres. C’est pourquoi aussi longtemps que dure ce droit naturel de tout homme sur toute chose, nul, aussi fort ou sage fût-il, ne peut être assuré de parvenir au terme du temps de vie que la nature accorde ordinairement aux hommes.
En conséquence c’est un précepte, une règle générale de la raison, que tout homme doit s’efforcer à la paix aussi longtemps qu’il a un espoir de l’obtenir; et quand il ne peut pas l’obtenir, qu’il lui est loisible de rechercher et d’utiliser tous les secours et tous les avantages de la guerre. La première partie de cette règle contient la première et fondamentale loi de nature qui est de chercher et de poursuivre la paix. La seconde récapitule l’ensemble du droit de nature, qui est le droit de se défendre par tous les moyens dont on dispose.
De cette fondamentale loi de nature par laquelle il est ordonné aux hommes de s’efforcer à la paix, dérive la seconde loi: que l’on consente, quand les autres y consentent aussi, à se dessaisir, dans toute la mesure où l’on pensera que cela est nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit qu’on a sur toute chose; et qu’on se contente d’autant de liberté à l’égard des autres qu’on en concéderait aux autres à l’égard de soi-même. Car aussi longtemps que chacun conserve ce droit de faire tout ce qui lui plaît, tous les hommes sont dans l’état de guerre. Mais si les autres hommes ne veulent pas se dessaisir de leur droit aussi bien que lui-même, nul homme n’a de raison de se dépouiller du sien, car ce serait là s’exposer à la violence (ce à quoi nul n’est tenu) plutôt que se disposer à la paix. Cette loi est celle de l’Évangile qui dit: tout ce que tu réclames que les autres te fassent, fais-le leur ainsi que la loi commune à tous les hommes qui dit: quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris.
Se dessaisir de son droit sur une chose, c’est se dépouiller de la liberté d’empêcher autrui de profiter de son propre droit sur la même chose […]


On se démet d’un droit, soit en y renonçant purement et simplement, soit en le transmettant à un autre. En y renonçant purement et simplement quand on ne se soucie pas de savoir à qui échoit le bénéfice d’un tel geste. En le transmettant, quand on destine le bénéfice de son acte à une ou plusieurs personnes déterminées. Et quand un homme a, de l’une ou l’autre manière, abandonné ou accordé à autrui son droit, on dit alors qu’il est obligé ou tenu de ne pas empêcher de bénéficier de ce droit ceux auxquels il l’a accordé ou abandonné; qu’il doit, car tel est son devoir, ne pas rendre nul l’acte volontaire qu’il a ainsi posé; et qu’un tel acte d’empêchement est une injustice ou un tort, étant accompli sine jure. La transmission mutuelle de droit est ce qu’on nomme contrat