Histoire du quinquennat

Eleanor Roosevelt l’insoumise
V Trierweiler
Match du 7 juin

Tiens donc ! Une First Lady journaliste n’est pas une nouveauté. Evidemment, il faut regarder de l’autre côté de l’Atlantique pour trouver ce cas unique et ne pas hurler au scandale. Il faut aussi se transposer dans le passé pour comprendre que la modernité n’a pas attendu le siècle d’Internet. Une biographie – qui tombe à pic – nous relate l’extraordinaire vie d’Eleanor Roosevelt, épouse de Franklin Roosevelt. « First Lady et rebelle », tel est le sous-titre de l’ouvrage de Claude-Catherine Kiejman paru chez Taillandier. Bien vu. Pour retracer la vie de l’épouse du président aux quatre mandats, l’auteur a mené une enquête approfondie, rencontré ses descendants et de nombreux historiens américains. On connaissait déjà beaucoup de cette petite fille, née Roosevelt, qui accumula les blessures d’enfance. Par ses Mémoires d’abord : « Ma mère était troublée par mon absence de beauté et je le savais car, à cet âge, les enfants ressentent ce genre de choses. » Elle n’a que 6 ans lorsqu’elle comprend qu’elle est dépourvue de grâce mais compense par sa ténacité et son intelligence. A 8 ans, elle perd sa mère et à 10, son père adoré.

Certains de ses professeurs lui donneront l’affection qui lui manque. A 20 ans, la jeune fille épouse un cousin éloigné : Franklin Delano Roosevelt. C’est un nouveau départ pour la jeune fille Wasp (White Anglo-Saxon Protestant). Le livre de Claude-Catherine Kiejman est passionnant. L’auteur ne se contente pas de raconter une vie hors norme. Elle s’attache également à décrypter en quoi le rôle de cette First Lady peu ordinaire fut indispensable à son mari. Pourtant rien ne la prédestinait à ses combats futurs. Prisonnière d’une éducation sévère, « elle n’imagine même pas qu’une femme puisse faire carrière dans un domaine qui n’appartient qu’aux hommes ». Pas plus qu’elle n’est favorable au vote des femmes. C’est même grâce aux positions de son mari qu’elle évolue : « Si mon mari était féministe, il me fallait sans doute l’être aussi. » Une première guerre traversée, des douleurs personnelles l’engagent à prendre toute sa place. En 1919, elle franchit une étape. Passionnée par le Rassemblement international des travailleuses, elle s’investit dans différents combats peu politiquement corrects : « Les femmes et le pouvoir, les races et les classes, la guerre et la paix, les droits de l’homme… »

Elle signe des éditoriaux, prend position, s’émancipe

Elle poursuit le militantisme avec The League of Women Voters ainsi qu’au sein de la division féminine du comité démocratique. Mais un drame s’abat sur le couple. FDR reste paralysé des deux jambes suite à une polio alors qu’Eleanor est devenue indispensable au Parti démocrate. En 1930, Franklin Roosevelt, malgré son handicap, décide de se porter candidat à la magistrature suprême et voilà que les critiques pleuvent sur Eleanor : l’influence-t-elle ? s’interroge la presse. « Mon mari prend ses propres décisions, nous discutons beaucoup ensemble, et quelquefois je m’oppose à lui, mais il décide toujours tout seul. » Une fois son mari élu deux ans plus tard, elle précise encore : « Non, cette élection ne m’excite pas. Cela m’est égal. Quelle différence pour moi ? » La toute nouvelle First Lady va même plus loin : « Je n’ai jamais voulu être épouse de président et je n’en ai pas plus envie aujourd’hui. » Voilà qui est clair !

Revenu dans la lumière, son mari la préférerait dans ­l’ombre. Avec regrets, elle renonce à ses activités politiques mais signe des éditoriaux dans « Women’s Democratic News ». Peu à peu Franklin Roosevelt la charge toutefois de le seconder à travers le pays : « Elle sera ses yeux et ses oreilles », explique l’auteur. Celle qui organise des projections privées, où elle invite les domestiques noirs et blancs, s’affranchit de plus en plus des codes de la bonne société. Elle prend fait et cause contre la discrimination, encourage les femmes à ­s’affirmer et signe un article osé, « Epouses de grands hommes ». Cette mère de six enfants assume d’avoir des opinions parfois différentes de FDR et refuse d’être ­réduite au silence. « Redoutant d’avoir une vie qui ne lui soit propre », elle va jusqu’à se lier d’une amitié amoureuse avec Lorena, journaliste à l’Associated Press. S’émancipant de plus en plus, elle écrit ­désormais pour le ­« Woman’s Home Companion » et pour différents journaux. Elle ­accepte même le poste de rédactrice en chef dans un magazine féminin avant de se voir confier une chronique qui changera le cours de sa vie. Chaque jour, elle remet son texte intitulé « My Day » dans lequel elle raconte sa vie à la Maison-Blanche. Elle ne s’interdit d’y aborder aucun sujet, ni social, ni politique, ni même international surtout à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Non seulement l’ensemble de la presse américaine n’y voit pas matière à polémique mais, au contraire Eleanor devient, grâce à cette chronique qu’elle tiendra jusqu’à sa mort, extrêmement populaire. Le « New York Times », le « Washington Post » et bien d’autres journaux ­prestigieux saluent leur « nouvelle consœur ». Un livre qui ­devrait passionner les journalistes français, et pas seulement