palimpseste Chroniques

Transparence

Un mot à la mode en ce moment ! Ce qui laisse à voir à travers soi !

J'aime le mot qui, invariablement glisse de la spiritualité la plus éolienne à l'érotisme le plus glauque. D'un côté une exigence de pureté qui frôle aisément la tyrannie ; de l'autre ce jeu subtil mais si rapidement vulgaire où l'on joue à cacher ce que l'on désire révéler ou, ce qui revient finalement au même, s'amuse à révéler ce que l'on fait mine de camoufler.

Le mot le dit - il faut toujours faire confiance aux mots : le à travers de trans suggère bien un voile, une gaze qui s'interpose entre moi et ce qu'il y a à voir dont la fonction se joue aimablement de l'ambivalence . Au fond, la transparence est peut-être le pendant de la vérité : celle-ci dé-voilet ; celle-là dé-montre.

Récemment le terme est entré, à l'occasion de l'affaire Cahuzac, dans le registre de la vertu politique. C'est nouveau.

Il suffit de faire une recherche dans les archives du Monde pour s'apercevoir qu'à la Libération, elle concerne l'art, la peinture ou la photographie souvent ; la poésie plus rarement. Pas la politique. Il suffit aujourd'hui de faire une recherche image sur Google pour voir qu'y alternent photos de modes aux drapés suggestifs et hommes politiques.

Au fond tout est là : nous ne détestons pas tout voir mais répugnons à montrer ; au même titre que la vulgarité est toujours la transparence de l'autre. Je ne suis même pas certain d'aimer la pureté : elle est tellement le prétexte des tueries que c'en est à vomir. Les incorruptibles sont souvent dangereux - Robespierre - ou niais !

Foucault l'avait bien montré : la modernité a inventé la transparence de la cité et se donna la police pour y parvenir. Le grand rêve du pouvoir n'est pas ailleurs : que tout et tous se voient ! Staline, Hitler mais aussi Comte ou Maurras l'avaient compris : il faut pour cela briser l'individu ! Rome avait inventé le droit privé et donc dressé une frontière au-delà de quoi le politique était infranchissable ; y revenir est toujours dangereux même si peut-être nécessaire. D'où les réticences , d'où les craintes même si elles peuvent paraître roublardes de laisser accroire qu'il y eût quelque chose à cacher. Il n'y a pas plus hypocrite que le puritanisme où l'on veut nous entraîner ; mais pas plus douteux que les appels lyriques à la liberté individuelle.

On appelle cela une aporie !

Curieux comme nous parvenons toujours à trouver des arrangements avec nos désirs même les plus glauques ; comme nous butons à nourrir une relation saine avec l'argent !

Il suffit de relire les réticences des uns et des autres lors du débat à la Chambre (1907 mais le projet de Caillaux sera bloqué au Sénat jusqu'en 14) où l'on institua l'impôt sur le revenu : c'est qu'il supposait dénonciation fiscale (oh le vilain mot) et déclaration - autant dire une transparence jusque là inédite pour ce vieux pays catholique où la richesse devait se retenir de tout tapage. Nos anciens savaient fouailler les âmes et ne brûlaient les corps que pour mieux sauver les âmes. Désormais nous frappons au porte-monnaie en croyant y trouver l'expression d'une quelconque vertu !

Mais tous oublient qu'il n'est pas de lumière projetée, sans ombre délaissée ; que, sans doute c'est plutôt celle-ci qui aide à comprendre celle-là que l'inverse. Nous le savons depuis Thalès ... les étoiles ne prennent sens qu'au fond du puit.

Et s'il y avait plus d'épaisseur dans le mensonge que dans cette mièvre et piteuse incantation à la transparence ? La bête toujours brâme sous l'ange et nous en dit tellement plus.

Et qu'on se souvienne que les mains propres ne le demeurent jamais longtemps.