Histoire du quinquennat

Alain Juppé : "L'UMP doit clarifier ses valeurs" LE MONDE du 18.06.2012

Quelle est votre analyse de ce scrutin ?

C'est une nette victoire pour le Parti socialiste, qui dispose d'une majorité absolue des sièges à l'Assemblée nationale. La principale explication de cette poussée de la gauche particulièrement forte, c'est le calendrier électoral qui fait que la présidentielle commande tout. D'autre part, l'argument utilisé par les socialistes pour faire peur aux Français en brandissant le spectre de la cohabitation a fonctionné. Pour autant, il n'y a pas d'enthousiasme pour le PS, comme en témoigne le taux d'abstention très élevé.

Le Front national entre à nouveau à l'Assemblée ; qu'en pensez-vous ?

Ils sont beaucoup moins nombreux qu'en 1986, quand François Mitterrand avait instauré la proportionnelle, et beaucoup moins que si le Parti socialiste rétablissait la proportionnelle, comme il envisage de le faire. La gauche n'a pas à avoir de comportement de vierge effarouchée par rapport à ça. Je ne vois pas pourquoi on se focalise là-dessus : soit on interdit le Front national, soit on estime qu'un élu est un élu.

Etes-vous en accord avec la stratégie "ni Front national ni front républicain" adoptée par l'UMP ?

Nous l'avons adoptée collectivement. Nous avons une incompatibilité de valeurs, de programme et de stratégie avec le FN: de valeurs, car ce parti n'a jamais clarifié ses positions sur l'antisémitisme et la Shoah ; de programme, car on ne peut pas s'entendre avec un parti qui prône la sortie de l'euro; de stratégie, enfin, car le Front national fait tout pour nous faire battre. D'un autre côté, nous ne pouvons pas nous allier avec une gauche que nous combattons.

Certaines personnalités de l'UMP, comme Nathalie Kosciusko-Morizet, estiment à titre personnel préférer voter pour un candidat PS en cas de duel avec le Front national ; qu'en pensez-vous ?

Ça dépend des cas. Si le candidat socialiste est un social démocrate fréquentable, pourquoi pas. Si c'est un excité mélenchoniste, certainement pas.

Que doit faire désormais l'UMP ?

Deux choses. Nos parlementaires doivent d'abord se mettre en ordre de marche. Le PS a fait des promesses, on attend maintenant la facture. Le débat sur la loi de finances rectificative va être, à cet égard, extrêmement important. On va voir si le matraquage fiscal ne touche que les plus riches ou s'il impacte également les classes moyennes. J'attends d'entendre le gouvernement sur la croissance car, pour l'instant, il n'est que dans l'incantation.

La deuxième tâche qui nous attend est la préparation du congrès du mois de novembre, avec un souci prioritaire, mettre au clair ce qui nous rassemble. Si l'on se limite à s'intéresser à ce qui nous distingue, ce n'est pas suffisant. Les courants, c'est bien, mais il faut d'abord clarifier.

L'UMP n'est donc pas au clair ?

Apparemment non, quand on entend certains de nos amis affirmer qu'ils se reconnaissent dans les valeurs du Front national. Il y a un trouble dans notre électorat, mais notre rôle n'est pas de reproduire ce qui se dit sur les marchés, de suivre les tendances, il faut tracer une voie. Nous devons clarifier nos positions par un travail commun sur la charte des valeurs de l'UMP, qui date de 2002 et nécessite d'être réactualisée.

Quelles sont, selon vous, ces valeurs que l'UMP doit réaffirmer ?

Je crois en une France entreprenante et travailleuse, à l'économie de marché et à la récompense du travail. Je crois également en une France juste et solidaire, ce qui ne veut pas dire l'assistanat, mais la responsabilité, l'éducation. Troisièmement, je crois en une France qui doit être moteur d'une Europe non bureaucratique, mais politique, capable de défendre plus efficacement ses intérêts économiques et sociaux.

Le quatrième pilier, c'est l'attachement à la nation, qui se construit sur une intégration réussie et suppose le rejet de la xénophobie et de l'islamophobie. C'est notre différence fondamentale avec le Front national.

Serez-vous candidat à l'élection pour la présidence de l'UMP ?

Je ne souhaite pas aborder cette question aujourd'hui. Ce serait inconséquent de se lancer dans des candidatures au lendemain d'une défaite. Le moment des candidatures viendra dans le courant du mois d'août.

Propos recueillis par Vanessa Schneider