Histoire du quinquennat

Vite, changer de mode de scrutin, changer de République
F Bonnet Médiapart

Au moins la situation est-elle claire. Dix-huit mois après l’annonce de sa candidature à la présidence de la République, en janvier 2011, François Hollande dispose aujourd’hui d’à peu près tous les pouvoirs. Des pouvoirs qu’aucun autre chef d’État ou de gouvernement n’a aujourd’hui en Europe, tant le présidentialisme de nos institutions est puissant. L’ancien premier secrétaire du PS, oublié ou simplement méprisé de 2007 à l’automne 2011, aura ainsi réussi un parcours sans faute. Un long parcours qui le met désormais dans une position similaire à celle de François Mitterrand en 1981, lorsque la gauche accédait enfin au pouvoir pour la première fois sous la Ve République.

Il n’y a pas que de l’habileté dans le long chemin parcouru par François Hollande. La vague rose, qui marque ce second tour des élections législatives, est le résultat final d’une stratégie faite de convictions et d’une analyse pointue des évolutions de notre société, mais surtout des pesanteurs de notre système politique et des redoutables mécaniques institutionnelles. Car c’est bien d’une vague rose qu’il s’agit avec un PS, seul, qui emporte une majorité absolue à l’Assemblée. Situation inédite depuis 1981 ; situation extravagante au vu des réalités politiques de ce pays.

Fin connaisseur de la carte électorale, de nos institutions et de notre système électoral, François Hollande a su jouer à plein de trois leviers qui organisent aujourd’hui notre représentation politique : le présidentialisme, le localisme et le mode de scrutin majoritaire à deux tours.

1 - Depuis l’annonce de sa candidature, ce présidentialisme est assumé.

Passant du « nous » au « je », Hollande a donné tous les signes nécessaires pour rejouer le grand film « la rencontre d’un homme et d’un peuple ». En s’éloignant du PS ; en s’émancipant du programme socialiste ; en ne respectant pas l’accord politique passé entre les Verts et le parti socialiste à l’automne 2001 ; en revêtant sans distance les habits du président. Jusqu’au couac de cette semaine passée : le fameux tweet de Valérie Trierweiler venant souligner la fusion du public et du privé comme l’invraisemblable rôle d’une « première dame » présente et pourtant non prévu par la Constitution.

2 - Le localisme a été le moteur de la reconquête progressive du parti socialiste.

Il contrôle aujourd’hui la majorité des grandes villes, une large majorité des départements et la quasi-totalité des régions. L’apologie des « territoires », la défense, contre toute évidence, d’une décentralisation engloutie dans l’enchevêtrement des compétences, donc trop souvent dans l’irresponsabilité politique, l’organisation ahurissante d’un pays avec cinq ou six niveaux d’administration (mairie, syndicats intercommunaux ou d’agglomération, département, région, national, Europe) ont certes été critiquées par les socialistes. Ils s’en sont accommodés avec plaisir, y voyant autant de refuges face à un pouvoir de droite.

Cela n’a pas été sans impact sur le profil de la nouvelle Assemblée nationale : un député est-il un élu de la nation ou le représentant d’un territoire ? Le PS n’a jamais vraiment répondu à cette question, laissant ainsi quelques barons locaux – tel Gérard Collomb à Lyon – organiser la dissidence contre l’accord national PS/EELV, et ne parvenant pas à empêcher la candidature d’Olivier Falorni contre Ségolène Royal à La Rochelle.

3 - Le troisième tient au cœur même de notre système de représentation.

Le mode de scrutin et le choix fait sous Lionel Jospin d’une inversion du calendrier électoral. En rendant automatique la tenue d’élections législatives un mois après le scrutin présidentiel, cette réforme les a vidées de tout enjeu politique pour en faire un vote de confirmation et de cohérence par rapport au choix présidentiel (lire notre précédent article). Dès lors, le rouleau compresseur ne peut être arrêté. Ce fut le cas en 2007, avec une chambre bleu horizon pour Nicolas Sarkozy. Ça l’est à nouveau avec cette élection, qui amplifie encore le choix fait avec la présidentielle, comme en témoigne par exemple l’élection de tous les ministres, dont plusieurs étaient pourtant dans des configurations très difficiles.

 

Mauvais signal

L’écrasante victoire du parti socialiste, ce 17 juin, qui fait d’un coup basculer le pays d’un tout-UMP à un tout-PS, peut bien sûr être une bonne nouvelle pour tous ceux qui souhaitaient enfin sortir de dix-sept années de présidence de droite. Mais elle dit aussi, à sa manière, toute la profondeur de la crise de représentation politique.

Il y a d’abord l’abstention.

Nous avions souligné son niveau record la semaine dernière et les dangers que recelait cette désaffection civique. L’effet s’est encore amplifié ce dimanche avec un nouveau record battu : plus de 44 % ! Du jamais vu dans une élection nationale. Cette distance, ce désintérêt ou ce refus d’un type de scrutin jugé inutile devraient inquiéter au plus haut point les responsables politiques. Il n’en a rien été ce dimanche soir, personne n’évoquant ce qui est bel et bien le retrait choisi et voulu par les citoyens d’un jeu politique perçu comme inutile ou sans enjeu.

Il y a ensuite un décalage grandissant.

Décalage entre les nouveaux équilibres de l’Assemblée nationale et ce que nous savons des réalités politiques au vu des précédentes élections ou des scores en voix des différentes formations. Jean-Marc Ayrault, dans une intervention fort prudente dimanche soir, a parlé de « démocratie parlementaire » : comme s’il prenait acte de l’urgence d’établir de sérieux contre-pouvoirs. Mais cette Assemblée est forgée par la maladie présidentialiste française. L'arrivée de nouveaux députés, avec l'élection (enfin !) de plus de femmes, de plus de jeunes, tient certes aux efforts accomplis par le PS dans sa désignation des candidats, mais sa concrétisation est aussi le résultat des amplifications provoquées par le scrutin majoritaire.

Car sur l'essentiel, Jean-Luc Mélenchon n’avait pas tort de souligner que tout en progressant de « 600 000 voix lors de ce second tour par rapport à 2007 », le Front de gauche allait perdre presque la moitié des députés obtenus par le seul PCF en 2007.

Il en est de même de toutes les formations dites « petites » : droite centriste, MoDem, écologistes mais aussi Front national. Le parti de Marine Le Pen obtient, dans des configurations locales exceptionnelles, deux députés. « On ne combat pas des idées avec un mode de scrutin », a remarqué Laurent Fabius, notant qu’il n’est pas normal qu’un courant politique qui pèse environ 15 % ne dispose pas d’une représentation au Parlement… Le constat doit valoir pour les autres. Les écologistes, qui ont été la surprise des dernières élections régionales, ne doivent leur vingtaine de députés qu’au bon vouloir du PS. Situation anormale, infantilisante, et organisant le rejet de la politique.

Il y a enfin le constat qui peut être dressé au soir de ce 17 juin.

Ceux qui ont animé le débat public depuis des mois, voire des années, mais n’ont pas été dans la machinerie socialiste, ont tous été battus. C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon. Mais aussi de Ségolène Royal. De François Bayrou (sans citer Eva Joly qui ne se présentait pas, certes, mais qui est au fond des oubliettes).

Certains verront dans les défaites de Ségolène Royal et de François Bayrou la fin définitive du sarkozysme. Les deux étaient candidats en 2007 : ainsi disparaissent les acteurs de la précédente présidentielle. C’est un constat trop rapide pour être pertinent. Car tandis que de 2007 à 2011, le PS se perdait dans ses luttes internes, que se construisait, sous l’égide de l’agence de communication Euro-RSCG, la candidature de Dominique Straus-Kahn, qu’il était question de « pacte de Marrakech », Ségolène Royal et François Bayrou furent les seuls à dénoncer avec acharnement les dégâts du sarkozysme.

L’élimination de Mélenchon, Royal et Bayrou est un mauvais signal donné aux millions d’électeurs qui ont vu dans ces personnalités un autre rapport à la politique, d’autres propositions et d’autres possibles. La défaite de Ségolène Royal, et les larmes de crocodile versées par Martine Aubry ou Laurent Fabius, est, en creux, celle du parti socialiste et de François Hollande, incapables tous deux d’éviter une humiliante défaite à une personnalité atypique qui, par ces coups de boutoir, ses méthodes et ses propositions, a pourtant fortement obligé un parti endormi dans ses routines notabilières à bouger et à se mobiliser.

Dès lors, la vague rose ne doit pas masquer ce qui se profile au-delà de ce premier horizon. Rien n’est réglé d’une crise politique majeure qui peut se résumer en cet incroyable paradoxe : le Sénat représente aujourd’hui sans doute mieux la réalité politique de ce pays que l’Assemblée ! C’est le signe que nos institutions marchent sur la tête. Et qu’il est urgent, pour recréer ce lien politique entre les citoyens, de s’atteler à une vaste refonte démocratique.

D’abord en modifiant le mode de scrutin ; ensuite en redéfinissant les pouvoirs du Parlement et ceux de la présidence. La VIe République, ce projet porté par une partie du PS, par le Front de gauche, par les écologistes, certes avec des contenus différents, ne doit pas être qu’une figure rhétorique des campagnes électorales. En un mois, quatre votes successifs viennent de le démontrer : elle est aujourd’hui une urgence citoyenne.