palimpseste Chroniques

À La Rochelle, les doutes commencent à poindre
Médiapart 25 AOÛT 2012 |
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX

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Jean-Marc Ayrault est venu donner des gages. Samedi, le premier ministre était l'invité de l'université d'été du PS à La Rochelle. Après le flottement des dernières semaines et les critiques de la gauche du PS, l'exécutif veut remobiliser les militants et rassurer ses électeurs. Peu avant 18 heures, le premier ministre déboule dans une salle archi-comble, aux côtés de Martine Aubry, au son d'une curieuse version instrumentale du Nougayork de Nougaro. Vêtu d'une estivale veste bleue, Jean-Marc Ayrault répond à une série de questions – plutôt inoffensives – des Jeunes socialistes.


Visiblement, le chef du gouvernement a l'intention de faire entendre sa voix, lui qui avait plutôt raté son discours de politique générale, début juillet. Comme un nouveau départ. « Nous avons une double responsabilité, commence le premier ministre (…) être capable de faire face aux urgences, aux injustices les plus criantes, aux attentes les plus fortes et à la fois inscrire notre action dans la durée. » Ayrault adopte un ton dramatique : « La situation que nous trouvons est une des plus difficiles qu'aucun gouvernement ait eu à traiter depuis très longtemps. L'affaiblissement de la France, la crise de l'euro, l'état du monde, la faible croissance, les dangers au Moyen-Orient, la situation en Syrie et en Iran. Nous avons le devoir de faire face et de tenir un devoir de vérité. »

En réponse aux critiques de la gauche du PS, mais aussi aux socialistes sceptiques, Ayrault promet : « Je ne veux pas être le premier ministre du tournant de l'austérité. » La salle applaudit. Idem quand, quelques minutes plus tard, le chef du gouvernement confirme le respect strict du non-cumul entre un mandat parlementaire et « tout mandat exécutif local ». Une pique en direction de certains barons du PS, qui ne goûtent vraiment pas cet engagement de campagne de François Hollande, bien qu'il figures dans les statuts du PS depuis trois ans.

Le discours n'est guère flamboyant, mais il donne un peu de baume au cœur des militants et des cadres, dont beaucoup observent les premiers pas de l'équipe Ayrault avec pas mal de questions. L'été a rajouté à leurs interrogations. « On est très nombreux à se dire qu'il y a eu un problème cet été avec l'affaire des Roms. S'il y a évidemment des signaux positifs, j'ai aussi des inquiétudes », explique Christophe Desportes-Guilloux, militant orléanais. Comme ses camarades du mouvement de jeunesse du parti, Juliette Perchepied, secrétaire nationale des Jeunes Socialistes, déplore la timidité du gouvernement au sujet du récépissé sur les contrôles au faciès, une promesse du candidat Hollande, qui semble déjà enterrée. « Une fois au gouvernement, on fait l'expérience de tous ces conservatismes qui s'expriment. Mais cet engagement doit être tenu », insiste-t-elle. À la tribune, Ayrault n'en a pourtant pas pipé mot.

« C'est une parenthèse qui s'ouvre, estime Éric, militant parisien – salarié d'une mairie, il veut garder l'anonymat. Soit la gauche se dépasse, soit on est foutu. » « Les Français ne nous pardonneront pas de ne pas avoir réformé ce pays. On n'a pas le droit à l'échec. Sinon, on ouvre la boîte de Pandore et c'est le FN dans cinq ans, s'inquiète Valérie, militante poitevine. J'espère qu'on ne sera pas gestionnaire et pantouflard. Je serai vigilante. Par ailleurs, l'expérience du pouvoir fait qu'on est très vite déconnecté. On est là pour les remettre sur les rails. » Comme pour s'en prémunir, les organisateurs de l'université d'été ont diffusé une série de films sur le pouvoir, dont Le Prince et son image d'Hugues Le Paige, un documentaire sur la façon dont François Mitterrand se mettait en scène, et L'Exercice de l'État, le film de Pierre Schoeller sur cet « État qui dévore ceux qui les servent ». Voilà les ministres prévenus.

À La Rochelle, cette année, l'ambiance n'est pas franchement à l'euphorie. Plutôt sérieuse, voire un peu grave. « C'est hyper studieux », note Nicolas Soret, jeune premier fédéral de l'Yonne. De fait, le traditionnel bal des ego aux terrasses des cafés rochelais n'a pas eu lieu, même si Manuel Valls s'est distingué par un discours très ferme sur la sécurité. Les ministres se baladent en tenue estivale, surveillés du coin de l'œil par leurs officiers de sécurité. « Il semble que le PS soit au pouvoir : le GIPN est sur les toits », s'amuse sur Twitter la ministre Michèle Delaunay. « On est un peu en mode facho… », s'excuse un membre du SO en vérifiant scrupuleusement les badges à l'entrée. Dans les ateliers et les plénières, les membres du gouvernement multiplient les références aux 60 propositions du candidat Hollande. Certains participants ne cachent pas un certain ennui.

« Effectivement, tout ça n'est pas hyper sexy. On ne vend pas vraiment du rêve », se lamente un jeune conseiller ministériel. Et c'est peu dire que le duel pour la succession de Martine Aubry à la tête du PS en octobre entre Harlem Désir, actuel numéro deux du parti, et Jean-Christophe Cambadélis ne déclenche guère les passions.

« Hypo-président », « hypo-premier ministre »


Dans les couloirs, l'heure est bien davantage au bilan des premières semaines de la présidence Hollande. Et les critiques commencent à poindre. « C'est vrai qu'il y a pu avoir une impression de décalage entre nos premiers pas et ces mauvaises nouvelles qui s'accélèrent, notamment les plans sociaux », concède le porte-parole du PS, David Assouline. « Cet été, on a eu l'impression d'une sorte de vacance du pouvoir, assène l'un d'entre eux. Comme si on avait à la fois un hypo-président et un hypo-premier ministre. »


« Il y a un problème de communication », s'inquiète un dignitaire du parti. « On ne valorise pas assez ce qu'on fait », dit un autre. Plusieurs pointent une communication ministérielle trop verrouillée. D'autres des bugs institutionnels. « Il y a un problème de décision à Matignon, se lamente ce collaborateur de ministre. Alors qu'à l'Élysée, on a l'impression que tous les conseillers ne sont pas très occupés… » « C'est vrai qu'il n'y a pas de coup d'éclat, d'agitation, la com' pour la com' et des annonces tous les trois jours, a souligné Martine Aubry, vendredi soir, devant les journalistes. Mais nous ne sommes pas benêts devant la situation, nous voyons bien ce qui se passe. Je comprends l'impatience des Français, mais je veux leur dire que le président de la République et le premier ministre font tout ce qui est possible pour redresser le pays. »

Avec ses déclarations tonitruantes sur la lenteur du gouvernement, Jean-Luc Mélenchon en a exaspéré beaucoup. « Il joue les Cassandre et se place dans une démarche de non-crédibilité », veut croire David Assouline. « Il est dans une posture désespérément prévisible, qui s'explique par sa lutte interne avec les communistes », lâche son ancien fils spirituel, le député de l'Essonne Jérôme Guedj. « Jean-Luc Mélenchon a dit que François Hollande a gagné grâce à ses voix. Mais c'est grâce aux voix des catégories populaires ! » rétorque le ministre Benoît Hamon, chef de file de l'aile gauche du parti.

Reste que les critiques tapent là où ça fait mal. « On pourrait aller plus vite sur des réformes qui ne coûtent rien comme le cumul des mandats ou le mariage pour les couples de même sexe », remarque un collaborateur de ministre. Ou « sur la taxation à niveau égal du capital et du travail, une des promesses de François Hollande », complète Guedj, proche d'Hamon. Si la proposition du leader du Front de gauche d'organiser un référendum sur le traité budgétaire européen qui sera voté fin septembre au Parlement n'est guère évoquée, le débat fait rage entre les « pro » et les « anti » de l'aile gauche, qui menacent de voter contre fin septembre, lors de son examen au Parlement.

Face aux critiques, les responsables socialistes tentent donc plusieurs parades. D'abord l'anti-sarkozysme, corde qui sera – et ils le savent – bientôt usée. « Quelle serait la rentrée si Sarkozy était là ? La rentrée dans l'éducation nationale aurait été calamiteuse. Et on aurait une augmentation de la TVA », a rappelé Martine Aubry, vendredi soir.

Ils rappellent, à l'instar de David Assouline, que « les 100 jours, c'est du pipeau ! L'Assemblée n'est élue que depuis deux mois ». Ils plaident pour une façon de gouverner moins frénétique. « Les Français ont été un peu drogués au sarkozysme. Par contraste, notre rythme peut paraître anesthésiant. Mais ce n'est pas le cas. Car nous instaurons un autre rapport au temps », plaide Ericka Bareigts, nouvelle députée de la Réunion. « Depuis 1981, c'est la première fois que la gauche est si puissante, rappelle Guillaume Bachelay, député proche de Martine Aubry. La question centrale, c'est comment elle s'inscrit dans la durée. Le changement, ce n'est pas appuyer sur un bouton, mais appuyer une politique dans le temps. Je revendique une temporalité : d'abord le redressement, puis la répartition de la croissance nouvelle. »

Les responsables socialistes le promettent : les prochains mois seront actifs. « On ne va pas arrêter », jure David Assouline. « Dans la feuille de route de l'Assemblée à la rentrée, vous verrez un fil rouge : l'emploi, l'emploi, l'emploi », promet Bruno Le Roux, le patron du groupe PS au Palais-Bourbon, même si la progression du chômage, faute de croissance, ne sera guère enrayée dans les prochains mois.

Au menu, dès la rentrée parlementaire d'octobre : les emplois d'avenir pour les jeunes de moins de 25 ans, les contrats de génération. Mais aussi un texte sur la compétitivité des PME, un autre sur les tarifs de l'énergie et du gaz, et une proposition de loi très attendue sur l'obligation pour les multinationales de céder des sites rentables à des repreneurs potentiels au lieu de les fermer. « Elle arrivera assez vite », promet Le Roux. Avant la fin de l'année, les parlementaires voteront aussi un texte sur la banque publique d'investissement, censée débloquer les prêts aux PME. Quant au ministre de l'économie Pierre Moscovici, il a promis une loi sur la séparation des activités de dépôt et de détail des banques. Un texte très attendu à gauche, où l'on se rappelle des envolées verbales de François Hollande pendant la campagne contre la finance, qu'il avait désignée comme son « ennemi »