Histoire du quinquennat

Campements illicites : le laisser-faire ne résout rien
Libération 14 Août

Par MANUEL VALLS Ministre de l’Intérieur


La grande majorité des migrants quittant leur pays le font dans l’espoir de trouver ailleurs une vie meilleure, un emploi et une éducation pour leurs enfants. Cet espoir est respectable. Dimension forte de la mondialisation, les mouvements migratoires sont accentués par les déséquilibres économiques et sociaux. Les minorités roms d’Europe de l’Est participent de ce mouvement global, au-delà de leur histoire et de leur culture particulière. Reste une responsabilité politique majeure : veiller à l’équilibre de la société que les migrants veulent rejoindre, au bon fonctionnement des mécanismes d’intégration nécessaires à la cohésion sociale.

Ministre de l’Intérieur, en charge des grandes libertés publiques comme de la sécurité, du droit du séjour comme de l’asile et de l’intégration, il me revient d’assumer cette responsabilité. S’agissant du séjour, la présence de migrants ne saurait se traduire par la multiplication et l’enracinement de campements insalubres, dangereux tant pour leurs occupants que pour le voisinage. A cet égard, la passivité conduit tout droit à la réapparition de véritables bidonvilles, pour la plupart situés aux abords de quartiers populaires déjà en proie à de nombreuses difficultés. Tout le monde doit prendre conscience que l’inaction publique face à cette situation serait inacceptable pour les habitants de ces quartiers. Il en va de la préservation des conditions du vivre ensemble. Il n’est pas davantage question de tolérer que des organisations criminelles ou certains clans familiaux organisent l’exploitation de la misère et la mise en coupe réglée d’une partie de ces migrants, les contraignant à des activités délinquantes dont ils tirent des profits réinvestis à l’étranger. C’est l’objectif de l’intense coopération policière nouée avec les autorités roumaines, mais aussi nos voisins espagnols, belges, allemands et italiens, soumis aux mêmes phénomènes, avec parfois les mêmes protagonistes.

C’est bien le laisser-faire qui ne résout rien et la fermeté qui est nécessaire. Et les préfets n’agissent qu’en application de décisions prises par les tribunaux, sur la base de procédures qui ménagent souvent des délais. Je leur demande aussi de faire respecter la dignité humaine en toutes circonstances ; de systématiquement mener un travail préparatoire avec élus et associations humanitaires. En sollicitant les dispositifs d’hébergement d’urgence et d’insertion, il s’agit de favoriser les solutions au cas par cas, après examen social des situations familiales et individuelles, dans le cadre du droit en vigueur. L’action humanitaire et les initiatives décentralisées sont évidemment bienvenues et encouragées. Une partie des réponses se trouve là, à condition que l’on comprenne et admette sincèrement que l’insertion est conditionnée par un cadre individuel, familial ou collectif limité, et non par le maintien de groupes composés de plusieurs dizaines ou centaines de personnes. Ce sont des situations locales objectivement problématiques que traitent les préfectures, en lien avec les collectivités, et non une communauté qui serait visée dans son ensemble ou ostracisée.

Je l’affirme avec force : aucune politique publique ne sera focalisée sur tel ou tel groupe culturel. Par conséquent, il n’y a pas de dispositif national de pilotage chiffré. Je ne désignerai pas de coupables uniques des maux de notre société, les uns ne seront pas montés contre les autres. Par ailleurs, la loi prévoyant l’éloignement vers leur pays d’origine des étrangers en situation irrégulière s’applique aux ressortissants européens ne pouvant subvenir à leur existence après trois mois de séjour. Cette règle vaut sans considération de nationalité ou d’origine, y compris pour les occupants des campements illicites en situation irrégulière. Qu’il s’agisse des retours volontaires proposés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) ou des éloignements contraints, le droit français comme européen est respecté. L’examen de situation est personnalisé et la procédure respectueuse des droits. Toutes les précisions utiles continueront d’être apportées à la Commission européenne.

J’ai, de plus, mis un terme aux objectifs chiffrés imposés aux préfets, qui pouvaient conduire à des dérives. La France prendra toute sa part aux efforts que l’ensemble des pays européens et l’Union européenne doivent collectivement accomplir en faveur de l’intégration des Roms. Mais les réponses premières sont d’abord à trouver dans les pays d’origine. Il leur revient d’assumer leurs responsabilités d’intégration de leurs minorités et de mettre un terme aux discriminations locales qui demeurent fortes. Les institutions européennes jouent à cette fin un rôle essentiel, sur la base d’instruments financiers et de contrôles juridiques dont il faut garantir la pleine effectivité.

L’arrivée sur notre territoire de populations démunies est un défi immense. La stigmatisation, le jeu des peurs et des fantasmes auront été ces dernières années une immense erreur qui a conduit à une forme d’inertie. Nous continuons de la payer d’un soupçon totalement injustifié sur l’action publique menée. Agir vraiment et formuler des réponses plutôt que de trouver des boucs émissaires prend du temps quand les questions sont complexes. Que cela s’accommode mal avec la détresse urgente, j’en suis conscient. Mais cela ne justifie pas pour autant de laisser croître des espaces de non-droit.