Elysées 2012

Présidentielle 2012 : Quel sera l'impact du niveau record de morosité des Français ?

Emmanuel Rivière, Directeur du Département Stratégies d’Opinion (TNS Sofres)

3 Français sur 4* estiment aujourd'hui que « depuis quelques années les gens comme eux vivent moins bien qu'avant ». Cette proportion, inégalée depuis 30 ans que cette question est posée, marque cette rentrée d'un triste record.
Et pour compléter le tableau, 83% des personnes interrogées dans le cadre du baromètre TNS Sofres / Figaro Magazine déclarent qu'en France « les choses ont tendances à aller plus mal »...
 

A qui profite la déprime ?

Voici donc le climat de cette rentrée pré-électorale : un double constat d'échec,  frappant à la fois le pays et ses habitants. Fille de la crise, du chômage redevenu massif et du climat délétère des dernières semaines, cette inquiétude aggravée pèsera sur le scrutin présidentiel.   Quant à savoir de quelle manière, deux logiques s'affrontent : l'une favorable au président sortant consiste à dire que face aux menaces essentiellement économiques, les Français se tourneront vers celui qui a la plus grande expérience,  qui a déjà exercé les responsabilités en période de crise. Depuis l'éviction de Dominique Strauss-Kahn, Nicolas Sarkozy est peu concurrencé sur ce terrain-là. L'autre se contente de rappeler que ce pessimisme structurel des Français ne pourra que réactiver un réflexe tout aussi ancré dans nos habitudes électorales, qui a conduit à remercier quasi-systématiquement les majorités sortantes depuis 1981. Les seules exceptions à ce principe n'ont été obtenues, en 1995 et en 2007, qu'au prix d'une lutte fratricide et d'une quasi dissidence du vainqueur par rapport au pouvoir sortant.

Déjà en 2006...

S'il marque un record, le niveau de morosité de septembre 2011 n'a rien d'exceptionnel. On notera la similitude avec le pessimisme qui a précédé l'élection de 2007. La France de 2006 restait alors marquée par un triple traumatisme : la désillusion des espoirs européens avec le non vainqueur du référendum de mai 2005, les émeutes dans les banlieues à la fin de la même année montrant aux yeux du  monde entier les difficultés de notre modèle d'intégration. Et la dureté du conflit autour du CPE, marqué par la réédition des violences de l'automne et conclu par une étrange abdication d'un pouvoir qui ne promulgue pas la loi qu'il a fait voter en force.
La France  d'alors souffre de se voir déclassée par rapport aux autres nations, et ne croit plus en la pérennité de son modèle. Cette déprime collective a fortement marqué le scrutin présidentiel, dont les trois principaux protagonistes incarnaient en réponse trois modalités d'un changement profond : la détermination et l'engagement de Nicolas Sarkozy tranchant avec la velléité reprochée au pouvoir sortant, la révolution de la démocratie participative expérimentée par Ségolène Royal, et la proposition de François Bayrou de sortir des clivages et des schémas politiques traditionnels. Cette triple promesse de changement a été accueillie avec beaucoup d'espoir, et saluée par un élan de participation électoral qui allait déboucher sur une désillusion non moins profonde.

Une échéance sans espérance

La situation de 2011 est bien différente, et les candidats auront bien plus de mal à redonner espoir. Les niveaux de pessimisme et d'inquiétude sont comparables, mais leur contenu n'est pas le même. En positif, ils sont atténués par le constat que la France n'est pas isolée dans le déclin. C'était une petite consolation au plus fort de la crise : finalement notre modèle avait aussi ses vertus, et une capacité appréciée à amortir le choc qui frappait plus durement ailleurs. Mais le noter c'est aussi admettre une réalité finalement plus grave : ce n'est plus comme en 2006 la France qui est en péril, mais le monde occidental. Et dans l'esprit des Français ce sentiment d'un péril généralisé se double d'un constat d'impuissance des dirigeants. Tout se passe comme si les élites, toutes les élites, avaient perdu le contrôle de l'économie, des marchés, des finances. Comme si les solutions arrachées aux prix de grands efforts n'étaient que des rustines dérisoires. Et face à ces enjeux, le type de solutions proposées il y a cinq ans ne peuvent plus suffire, parce qu'elles n'étaient que des solutions hexagonales, quand les défis sont désormais mondiaux.
A cela s'ajoute la conviction de plus en plus présente à l'esprit des Français que les déficits réduisent considérablement les marges de manœuvre des dirigeants. Enfin, la déception qui a suivi l'élection de 2007 pèse encore sur la capacité de l'opinion à faire confiance aux politiques. Il est donc douteux  que l'expérience et la détermination  présidentielle suffisent à rassurer une opinion qui ne croit plus guère à la capacité d'action du pouvoir. Mais il n'est pas sûr non plus que le rejet des sortants garantisse à l'opposition autre chose qu'un fragile avantage. L'enquête réalisée récemment pour Dimanche + montre avant tout un faible appétit pour l'alternative gauche droite (21% souhaitent la victoire de la droite, 35% celle de la gauche, et 44% ne choisissent pas). 
Les Français ont besoin d'un horizon et d'un cap,  et les candidats  ont encore fort à faire pour l'incarner.