Elysées 2012

L’Europe noyée sous une crise de liquidités

Libération 11 novembre


Les banques européennes, et notamment françaises, se débarrassent de leurs dettes souveraines et font flamber les taux d’intérêt.

Le scénario du pire est en train de se produire : les banques européennes se débarrassent à tour de bras de la dette souveraine des pays de la zone euro jugés «à risques». Ce mouvement, qui a débuté fin juillet, s’accélère et touche désormais la dette hexagonale, qui n’est plus considérée comme un actif tout à fait sûr. C’est ce qui explique la montée accélérée des taux d’intérêt italiens et l’écart de taux de plus en plus grand entre les obligations allemandes et françaises. Spéculation ? «Les fonds spéculatifs ne sont que des acteurs périphériques d’un mouvement inquiétant, parce que général : on est face à un désengagement massif des banques du marché des dettes souveraines», analyse un économiste d’une banque française qui a requis l’anonymat.

Ainsi, BNP Paribas a réduit son exposition aux dettes de la zone euro de près de 21% en se délestant de 10 milliards d’euros au cours du dernier trimestre, dont 8,3 milliards de dettes italiennes. Le Crédit agricole a été un peu plus loin en diminuant son exposition de 27% : en un mois, il a bradé plus d’un milliard de bons du Trésor italien et 850 millions de dette espagnole. Depuis le 1er juillet, la banque verte a fait passer son exposition de 10,717 milliards sur les cinq pays périphériques à 7,285 milliards. De même, la Société générale a vendu 650 millions de dette italienne, 400 millions de dette espagnole, etc.

Auto-alimenté.

Ce sauve-qui-peut général a été lancé par les banques allemandes. La Deutsche Bank, fin juillet, s’est délestée de 8 milliards de dette italienne, ce qui a déclenché la descente aux enfers de la péninsule. Car ce mouvement s’auto-alimente : chaque vente sur le marché secondaire fait baisser la valeur des obligations d’Etat (et donc grimper les taux d’intérêt). Ce qui pousse les autres acteurs de marché à suivre, de crainte de prendre une tôle plus importante. De proche en proche, la panique gagne tout le monde, chacun voulant se débarrasser d’actifs jugés fragiles : «Les marchés sont en train de perdre la raison», se désole l’entourage de Nicolas Sarkozy. Le pire est que cette défiance à l’égard de la zone euro est alimentée, pour l’essentiel, par des acteurs de marché européens (banques, assurances, fonds de pension…) et non par des établissements extérieurs. Il ne s’agit pas seulement d’un mouvement de renationalisation du marché des dettes souveraines, lequel s’était largement internationalisé avec l’euro.

Décote.

Les banques se délestent aussi de leur dette domestique : BNP Paribas a ainsi vendu plus d’un milliard de dette française. Les autres banques, elles, ne «communiquent» pas sur le sujet… Les Etats vont avoir du mal à ramener à la raison des marchés qu’ils ont eux-mêmes affolés en ne tenant pas leurs engagements. Dès le début de la crise grecque, fin 2009, la zone euro avait promis ne pas restructurer la dette grecque. En échange, les Etats ont demandé à leurs banques de ne pas vendre de titres grecs. Mais, le 21 juillet, la zone euro a décidé d’une décote «volontaire» de 21% en moyenne de la dette grecque, décote portée à 50% le 27 octobre… La nécessité de recapitaliser les banques, actée le 27 octobre sous la pression des marchés américains, a accentué ce mouvement. Les Etats ont en effet décidé de les obliger à augmenter leurs fonds propres «durs» (capital, réserves, dividendes non distribués) à 9% de leur bilan, contre 5% actuellement.

Plutôt que de faire appel aux marchés et, donc, diluer leur actionnariat, les banques ont fait le choix de se débarrasser de leurs actifs jugés les plus fragiles, en l’occurrence les dettes publiques : après tout, si on les oblige à se recapitaliser, c’est parce qu’elles ont prêté aux Etats de la zone euro… «Si cela se confirme, on ne le tolérera pas», s’énerve-t-on à l’Elysée : «On a demandé aux banques de ne pas céder d’actifs domestiques et de ne pas réduire l’accès au crédit dans la zone euro.»«Si les banques ne jouent pas le jeu, on peut faire une recapitalisation forcée», menace un proche du Président. Ce qui signifie une prise de participation directe de l’Etat dans le capital des banques.

JEAN QUATREMER