Elysées 2012

Pour la présidentielle, "un scénario de type 2002 ne peut être exclu"

Comment expliquez-vous un tel niveau de défiance ?

Une telle perception de la politique n'est pas nouvelle, mais l'impression d'un monde politique donnant le sentiment d'être parfois dépassé par la crise économique, ainsi que la conjoncture qui charrie constamment son lot d'affaires et de rumeurs, ne contribuent pas à redorer l'image de la représentation politique.

Quel a été l'impact de l'affaire DSK ?

Elle n'a pas bouleversé l'ordre des choses politiques. On l'a vu dans la capacité qu'a eue le Parti socialiste de faire oublier, par le processus de la primaire, le trouble qu'avait pu semer dans les esprits l'épisode du Sofitel de NewYork. Elle a cependant agi comme un poison lent auprès de quatre Français sur dix. Cinq mois après cet épisode, 39 % des personnes interrogées disent que cette affaire a changé plutôt en mal l'image qu'elles avaient des personnalités politiques en général : 44% des jeunes de 18 à 24 ans, 42 % des électeurs du centre, 42 % des électeurs lepénistes, mais aussi 33 % des électeurs de gauche partagent ce sentiment. La classe politique n'avait pas besoin de cela.

Et pourtant l'intérêt pour la politique se renforce…

Soixante pour cent des Français disent s'intéresser beaucoup ou assez à la politique. C'est 5 points de plus qu'en décembre 2009. L'approche de la présidentielle et la "mise en bouche" de la primaire provoquent un sensible regain d'intérêt pour la chose publique et l'envie de dire son mot. Cet intérêt est même très élevé chez les hommes, les personnes âgées, les couches sociales supérieures et un peu plus à gauche qu'à droite. Reste à savoir si ce regain d'appétence sera le vecteur d'une volonté d'alternance ou s'il viendra nourrir une mauvaise humeur protestataire. En même temps qu'une immense majorité de Français dit son intention d'aller voter à l'élection présidentielle, une forte majorité (57 %) se déclare prête à participer à une manifestation pour défendre ses idées. Dans un contexte d'inquiétudes, d'hésitations, d'anticipations parfois assez sombres, chaque citoyen est partagé entre une politisation positive, où se diront des espoirs et des perspectives, et une politisation négative, où se diront des colères et des rejets.

Comment cette défiance peut-elle se traduire dans les urnes ?

Si elle perdure, elle trouvera deux formes d'expression sur le terrain électoral. La première est celle du retrait abstentionniste. La prise de distance par rapport à l'univers politique se traduit par la grève des urnes. Ce type d'abstention protestataire n'a cessé de prospérer au cours des dernières années : les européennes de 2009, les régionales de 2010 et les cantonales de 2011 ont chacune battu, dans leur catégorie, un record d'abstentions. La deuxième forme d'expression est le vote protestataire pour des candidats qui expriment davantage une colère qu'une volonté de dégager et de mettre en œuvre des coalitions de gouvernement. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont, dans des espaces différents, une capacité à être cet exutoire d'une certaine forme de ressentiment politique.

Les autres candidats sont-ils plus fragiles qu'en 2007 ?

En 2007, François Bayrou, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, avaient une capacité à exprimer une partie de la défiance politique et à la réintégrer au cœur du dispositif de pouvoir. Aujourd'hui, cela n'est plus le cas. Nicolas Sarkozy a été institutionnalisé, Ségolène Royal démonétisée, et François Bayrou banalisé. Si, en 2012, aucun candidat au centre du système politique ne parvient à récupérer une partie de cette protestation et de cette défiance, l'élection présidentielle peut réserver des surprises et revenir vers un scénario du type 2002 où, ne l'oublions pas, un haut niveau d'abstentions était allé de pair avec un record d'influence de Jean-Marie Le Pen.

Les Français font davantage confiance à la gauche pour gouverner le pays.

Est-ce un atout décisif pour François Hollande ? Depuis décembre 2009, la confiance en la gauche pour gouverner le pays a sensiblement progressé, de 15 % à 27 %. La gauche revient de loin; 72 % des électeurs de gauche ont aujourd'hui confiance en elle pour gouverner. La confiance en la droite reste, en revanche, à peu près étale sur la période : 22 % en décembr 2009, 21 % en octobre 2011, avec 62 % des électeurs de droite ayant confiance en elle. Cependant, ce retour de la confiance à gauche n'a pas éliminé un climat dominant de défiance politique : 52 % des Français n'ont confiance ni dans la gauche ni dans la droite pour gouverner. Ils sont près de 60 % à penser cela dans la population féminine, chez les travailleurs indépendants et dans les milieux populaires.

La crise renforce la demande de protection. Dans quel électorat est-elle la plus forte ?

Cette demande de protection est nettement majoritaire dans les milieux populaires, sans diplôme ou peu diplômés et parmi les électeurs de la droite de la droite ou en dehors du clivage gauche-droite. Elle se traduit par une demande d'Etat régulateur et de réforme du système économique : 58 % des Français pensent que, pour faire face aux difficultés économiques, l'Etat doit contrôler et réglementer plus étroitement les entreprises, 49 % souhaitent que le système capitaliste soit réformé en profondeur. Ces demandes de contrôle croissant et de réforme économique vigoureuse atteignent de hauts niveaux, particulièrement à gauche et dans la gauche de la gauche, mais aussi au Front national.

L'électorat populaire reste-t-il un enjeu majeur pour 2012 ?

Bien sûr. L'électorat issu des couches populaires (ouvriers et employés) représente 43 % de la population inscrite sur les listes électorales. Bien plus que les électeurs des couches moyennes salariées (21 % de professions intermédiaires) même élargies aux cadres supérieurs et professions libérales (17 % de l'électorat). Aucune présidentielle ne peut se gagner sans le "peuple". Or, aujourd'hui, celui-ci hésite entre une défiance qui pourrait l'emmener sur les voies de l'abstention ou de la protestation lepéniste, un retour de confiance qui pourrait le ramener vers M. Hollande et, enfin, un sursaut de protection institutionnelle derrière M. Sarkozy. La concurrence pour la reconquête de l'électorat populaire touche l'ensemble des candidats et ne peut être ramenée à un face-à-face entre Mme Le Pen et M. Sarkozy.


Propos recueillis par Françoise Fressoz et Thomas Wieder