Elysées 2012

ITV de Thomas Klau


Politologue allemand, Thomas Klau dirige le bureau parisien du Conseil européen des relations internationales (ECFR). Il est notamment le coauteur, avec le correspondant de Libération à Bruxelles Jean Quatremer, du livre «Ces hommes qui ont fait l'euro» (Plon, 1999).

Que vous inspire l'accord annoncé ce lundi à l'Elysée par le président français et la chancelière allemande ?

L'accord est une bonne nouvelle car il prouve que les deux parties tentent de parvenir à un rapprochement de leurs positions, par exemple sur le rôle de la Cour de Justice Européenne. Il contient des éléments importants, comme la determination à conclure un accord à 17 dans la zone euro si un accord à 27 dans l'Union est impossible. Mais il est loin d'esquisser une solution globale et suffisante à la crise qui secoue la zone euro. Le franco-allemand, à l'heure actuelle, avance par petits pas. Ce qui manque, c'est un concept plausible, cohérent et ambitieux pour aider l'Europe à sortir de cette crise et refonder la zone euro à travers une gouvernance politique intelligente et efficace.

Y a-t-il, comme l'affirme François Hollande, plus de convergence entre le PS et le SPD qu'entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ?

On peut en tout cas noter que le SPD s'est déclaré en faveur d'un instrument comme les eurobonds tout comme François Hollande l'a fait plus récemment. Mais le SPD s'est prononcé beaucoup plus clairement que ne l'a fait le PS en faveur d'une gouvernance de la zone euro comprenant un transfert de souveraineté du niveau national au niveau européen pour résoudre cette crise.

François Hollande s'oppose particulièrement à tout contrôle des budgets nationaux par la Cour de Justice Européenne...

Soumettre les politiques budgétaires nationales à un contrôle de la Cour de Justice Européenne, c'est une proposition surtout portée en Allemagne par les chrétiens démocrates (la CDU, le parti d'Angela Merkel, ndlr). Le SPD se prononce beaucoup plus fortement en faveur d'une gouvernance plus ambitieuse exercée par les institutions européennes que sont la Commission et le Conseil. D'autre part, le SPD, davantage que la CDU, conçoit ce nouveau modèle de gouvernance nécessaire comme un ensemble de règles assorties de sanctions plus effectives que celles qui ont existé dans le passé, mais qui doit comprendre aussi un volet politique permettant de favoriser la croissance. Sur ce point, les partis actuellement au pouvoir à Berlin se focalisent exclusivement sur un système de règles et de sanctions, en éludant totalement la question de la croissance, pourtant cruciale à l'heure actuelle.

C'est la traditionnelle priorité allemande pour la lutte contre l'inflation au détriment de la croissance ?

L'attachement à une politique rigoureuse de stabilité des prix est partagé par les chrétiens démocrates comme par les sociaux démocrates. Dans ce domaine, il n'y a pas de nuance. Mais la majorité des sociaux démocrates du SPD considère qu'une politique de coordination et de régulation des politiques budgétaires macroéconomiques dans la zone euro ne peut pas être exclusivement une politique de règles et de sanctions et doit comporter un volet de politiques activement porteuses de croissance. C'est là-dessus qu'il y a un rapprochement de fait entre les socialistes français et les sociaux démocrates allemands, alors qu'entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, il y a un point de désaccord qui n'est pas encore explicite pour l'instant mais qui est clair quand on lit leurs positions respectives: la CDU et Merkel refusent d'entrer dans le débat d'une politique favorable à la croissance qui serait autre chose qu'une politique structurelle incluant, par exemple, une plus grande flexibilité du marché du travail, une réduction des dépenses sociales et peut-être même un démantèlement partiel de l'Etat social.

En France, on a l'impression que toutes ces questions sont forcément abordées en fonction de ce que pensent les Allemands et de ce que la France et l'Allemagne peuvent faire en commun. La France occupe-t-elle aussi une place centrale dans le débat public allemand ou l'Allemagne a-t-elle la tentation de s'en sortir toute seule ?

Une partie des acteurs politiques français fait une lecture inadéquate de ce qu'a véritablement été le débat franco-allemand - et les mouvements de chacun - depuis le début de la crise de la zone euro. En réalité, quand on regarde les instruments qui ont déjà été créés et les principes qui ont été adoptés, force est de constater que l'Allemagne a abandonné beaucoup plus que la France des positions de fond qui paraissaient immuables avant la crise.

Sur quels point l'Allemagne a-t-elle fait des concessions ?

L'Allemagne a accepté qu'en période de crise existentielle de la zone euro, il faille créer des mécanismes de solidarité financière. L'Allemagne a également accepté de fait que la BCE ne soit pas réduite à un rôle de garante de la stabilité des prix, mais qu'elle ait aussi une responsabilité active dans la préservation de la stabilité du système financier en tant que tel. Enfin, l'Allemagne a accepté que la zone euro développe ses propres mécanismes de prise de décision, formels ou informels, ce qu'Angela Merkel refusait encore au début de la crise. Si on regarde ce qu'étaient les positions de chacun au début de la crise et qu'on les compare à ce qu'elles sont devenues maintenant, il est donc inexact de dire que l'Allemagne n'a pas bougé et que c'est la France de Nicolas Sarkozy qui a dû faire tous les pas. En réalité, l'Allemagne a sacrifié beaucoup plus de vaches sacrées que la France.

Ce n'est pas du tout la perception en France...

La perception d'une partie de l'opinion francaise est franchement décalée de la réalité, pour ne pas dire à côté de la plaque. L'Allemagne s'est trouvée contrainte par la nécessité des événements à briser nombre des tabous fondateurs issus du traité de Maastricht à l'origine de la monnaie unique. Comme c'est l'Allemagne qui était en position défensive et à laquelle il fallait arracher les compromis, elle a pu donner l'impression que c'était elle qui maîtrisait le tempo et qui dictait les règles du jeu. C'est de là qu'est née l'idée selon laquelle l'Allemagne aurait imposé son diktat au reste de la zone euro. En réalité, la crise a contraint l'Allemagne à abandonner une partie de la vision de Maastricht. C'est une bonne chose, même si l'Allemagne a encore du mal à l'admettre, car le concept allemand qui a prévalu lors de la mise en place du traité de Maastricht est apparu comme totalement insuffisant pour gérer la zone euro en période de crise.

Et dans le débat public allemand, comment la France est-elle perçue?

En Allemagne, le débat sur la crise ne s'est pas articulé autour de la France. Il a été beaucoup plus porté par une focalisation souvent très négative sur la Grèce et sur les autres pays en grande difficulté. Nicolas Sarkozy a évité de critiquer trop frontalement et publiquement les positions allemandes, même quand les désaccords étaient violents sur le fond. Et ceci a contribué au fait que dans le débat allemand, la position de la France n'a pas été vécue comme quelque chose de menaçant ou de négatif. Le danger de la perte du triple A français a été, et reste, un facteur d'inquiétude, mais il y a eu peu de polémiques sur le sujet. C'est tout à fait différent de la tonalite polémique, fort regrettable, qu'on voit émerger en France à l'égard de la position de l'Allemagne.

Vous pensez aux propos d'Arnaud Montebourg et de Jean-Marie Le Guen?

Il est tout à fait légitime de critiquer vigoureusement les positions du gouvernement allemand dans cette crise, parce que le pouvoir allemand traine des pieds et ne prend pas toute la mesure de la gravité de la crise. Mais le faire en des termes qui sont éminemment propres à faire remonter le souvenir historique de la première et de la seconde guerre mondiale, cela n'apporte rien de positif au débat, et je pèse mes mots. Je trouve regrettable que certains ténors du parti socialiste - pas seulement Montebourg et Le Guen-, en analysant le rapport de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel uniquement en termes de force et de faiblesse, ouvrent la porte à des réflexes nationaux qui peuvent vite devenir nationalistes, et dans lesquels certains se sont hélas précipités avec gourmandise et allégresse. En jouant ce jeu dangereux, une partie de l'opposition française prend le risque de faire monter une mayonnaise nationaliste et d'alimenter le vote du Front national, ou du moins de relégitimer le souverainisme en France.