Elysées 2012

Présidentielle : quand se joue l'élection ?

Dans l'histoire des campagnes présidentielles, existe-t-il un moment où les sondages voient le résultat final ? Retour en chiffres sur cinq scrutins

A un peu plus de 100 jours du premier tour, la présidentielle est-elle pliée ?


Evidemment, nul ne le sait. Même si François Hollande domine dans les sondages, l'histoire montre qu'à cette période de l'année, rares sont les scrutins qui sont déjà joués. Dès les prochains jours, cependant, les rapports de force pourraient se figer. En 2007, c'est mi-janvier que la victoire de Nicolas Sarkozy a été acquise. En 1981 et 1988, c'est début février que les intentions de vote des finalistes se sont stabilisées. Mais 1995 et 2002 le rappellent : quelques semaines, voire quelques jours avant le scrutin, des surprises sont encore possibles.

Février 1981 Mitterrand s'impose durablement

Début janvier 1981, la réélection de Valéry Giscard d'Estaing ne fait guère de doute. Certes, sa cote de popularité s'effrite : de 54 % en octobre 1980, elle passe à 47 % trois mois plus tard. Certes, les intentions de vote en sa faveur baissent. Certes, plus personne n'imagine, comme encore deux mois plus tôt, qu'il sera réélu avec 59 % des suffrages. Mais le chef de l'Etat continue d'être donné gagnant. Et, en termes d'image, son avance est écrasante. Quand la Sofres, entre les deux tours de l'élection, demandera " Qui a le plus l'étoffe d'un président de la République ? ", 51 % des sondés répondront Giscard, 27 % Mitterrand.

Il faut en fait attendre début février pour que la victoire du candidat socialiste apparaisse comme une hypothèse sérieuse. Comment l'expliquer ? Il a d'abord fallu que François Mitterrand fasse le plein des voix parmi les siens. " Jusqu'à la fin de 1980, la guerre Mitterrand-Rocard était telle que de nombreux partisans du premier disaient qu'ils ne voteraient jamais pour le second et vice-versa. Cela a contribué à donner à Giscard une prépondérance apparente ", rappelle le politologue Jean-Luc Parodi. L'effacement de Rocard, en novembre 1980, puis l'investiture de Mitterrand et l'adoption de ses " 110 propositions " lors du congrès extraordinaire du PS, le 24 janvier 1981, créent une dynamique : avant Noël, Mitterrand plafonnait à 19 % dans les sondages. Six semaines plus tard, il est crédité de 25 % des voix, soit à peu près son score définitif du premier tour.

Le deuxième facteur expliquant l'inversion des rapports de force entre Giscard et Mitterrand début février 1981 est la déclaration de candidature de Jacques Chirac, le 3. Tant que les seuls candidats déclarés à droite étaient Michel Debré, Marie-France Garaud ou Michel Jobert, l'hégémonie de " VGE " n'était pas menacée. Avec l'entrée dans la course de son ancien premier ministre, la donne change, d'autant plus que le président du RPR concentre ses tirs sur le chef de l'Etat, dont il va jusqu'à critiquer le " socialisme rampant ". La stratégie est efficace : de 13 % en février, Chirac passe à 20 % mi-avril. Il terminera avec 18 % des voix au premier tour.

Une fois réalisée l'unité des socialistes derrière Mitterrand, et dès lors que la campagne de Chirac est lancée, Valéry Giscard d'Estaing se trouve piégé. Lui-même pense que son entrée en campagne - il attend le 2 mars pour annoncer sa candidature - lui permettra de remonter la pente. Il n'en sera rien. " L'attitude irréelle d'un Giscard, attaqué de toutes parts mais restant enfermé dans sa tour d'ivoire de l'Elysée et attendant le dernier moment pour se déclarer, a été catastrophique pour lui, estime le politologue Jérôme Jaffré. En 1981, quand le président est devenu candidat, l'opinion était déjà cristallisée. Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy court le même risque. "

Février 1988 Chirac passe devant Barre : Mitterrand sûr d'être réélu

S'il fut une campagne présidentielle dénuée de suspense, ce fut celle-là. Dès l'automne 1987, la réélection de François Mitterrand ne fait guère de doute. Relégitimé par la cohabitation, à la fois aux yeux d'une gauche qui ne lui a pas trouvé de leader de substitution et d'une droite qui lui sait gré de s'être soumis au verdict des urnes après les législatives de 1986, il est donné gagnant dans tous les sondages.

La seule incertitude, en réalité, concerne l'affiche du second tour. Jusqu'au début de février 1988, Raymond Barre est le mieux placé pour affronter le chef de l'Etat. Dans cette hypothèse, Mitterrand est donné comme réélu avec environ 52 % des voix, ce qui, compte tenu des marges d'erreur, ne rend pas impossible une surprise, même si celle-ci est peu probable.

Tout change avec l'entrée en campagne de Jacques Chirac. Cette fois, il se déclare le 16 janvier, par une allocution télévisée diffusée depuis Matignon. Quelques jours plus tard, il dépasse Barre dans les intentions de vote. Pour Jean-Luc Parodi, deux facteurs expliquent cette remontée. Le premier est la position institutionnelle de Jacques Chirac qui, à la fois premier ministre et chef de parti, apparaît alors comme le " leader naturel " de la droite. Le second est l'image de Raymond Barre, celle d'un " homme un peu mou " qui, une fois la campagne lancée, ne parvient pas à susciter un réel enthousiasme.

Début février 1988, l'affaire est donc pliée. " Face à Barre, Mitterrand l'emportait de justesse. Une fois assuré d'avoir Chirac comme adversaire, il n'avait plus aucune crainte à avoir ", observe Jérôme Jaffré. Crédité de 55 % des voix au second tour face à son premier ministre, le président sait qu'il n'a pas intérêt à précipiter son entrée en campagne. Il ne déclarera sa candidature que le 22 mars, soit un mois seulement avant le premier tour. Comme pour Giscard sept ans plus tôt, cette annonce n'a aucun effet positif sur les intentions de vote. Mais le président-candidat n'en a cure : avec 13 points d'avance, il fait le minimum, cultiver l'image du " rassembleur " face à un Chirac dépeint comme l'homme d'un " clan ", et se présenter comme le garant de la " France unie ", seul rempart contre " l'Etat-RPR ". La stratégie est payante : le 8 mai 1988, Mitterrand est réélu avec 54 % des voix, soit à peu près le score que lui prédisaient les sondages depuis février.

Février 1995 Balladur s'effondre, Chirac prend l'avantage

Un paradoxe est au coeur de l'élection présidentielle de 1995. D'un côté, l'issue finale ne fait guère de doute : depuis l'humiliante défaite de la gauche aux législatives de 1993, la droite est à peu près sûre de placer l'un des siens à l'Elysée. D'un autre côté, c'est un autre duel que celui longtemps imaginé - Jacques Delors face à Jacques Chirac - qui aura lieu. Parce que le premier a finalement renoncé à se présenter. Et parce que le second n'a pas réussi à s'imposer au sein de son propre camp.

Comme en 1988, le principal enjeu de la campagne de 1995 est donc le nom du candidat de droite qui arrivera en tête du premier tour : compte tenu de l'état de la gauche, celui-ci est quasiment sûr d'être le prochain président. Contrairement à 1988, le résultat de la primaire qui se joue alors à droite est plus surprenant. En décembre 1987, Barre ne devançait Chirac que de 5 points. En décembre 1994, en revanche, Balladur domine Chirac de 11 points. Pour le maire de Paris, qui part de plus bas, la remontée sera plus longue. En 1995, c'est fin février-début mars qu'il s'impose comme le principal candidat de la droite. Un mois plus tard, donc, qu'en 1988.

Plus que la progression de Chirac dans les sondages, c'est la dégringolade de Balladur qui est frappante. Le premier ministre se déclare candidat le 18 janvier 1995, depuis Matignon, comme Chirac en 1988. Dans un premier temps, l'exercice est payant, Balladur progressant de 3 points dans les intentions de vote une semaine après son allocution. Mais très vite, la tendance s'inverse. Car s'il est un premier ministre populaire, il se révèle vite être un mauvais candidat. " En bon sortant, comme Giscard en 1981 et Jospin en 2002, Balladur n'a pas de vrai projet et pense que, pour être élu, il lui suffit de dire : "On continue comme ça". Il donne l'impression, en somme, que le seul enjeu de l'élection est de lui faire traverser la Seine, pour passer de Matignon à l'Elysée ", commente Jérôme Jaffré.

Face à Balladur, Chirac tire profit de quatre éléments. D'abord, il a la haute main sur le RPR dont la mobilisation, en période électorale, est décisive. Ensuite, il séduit massivement les jeunes, à la différence de son rival qui se les aliène. Puis, il exploite habilement l'affaire " Schuller-Maréchal ", qui instille des doutes sur la probité du premier ministre au sein même de son camp. Enfin, il profite de la timide entrée en campagne de Lionel Jospin, qui n'est investi par le PS que le 5 février 1995, pour élargir son espace politique : " En choisissant de faire campagne sur le thème de la "fracture sociale", Chirac mord d'emblée sur la gauche ", rappelle Jérôme Jaffré. Cette capacité à s'imposer dans son camp tout en préemptant une thématique chère à ses adversaires rend la victoire de Chirac quasi sûre à deux mois du scrutin.

Avril 2002 L'indifférenciation plutôt que la cristallisation

A la différence des autres campagnes, celle de 2002 n'est marquée, dans les enquêtes d'opinion, par aucune véritable scansion. Au fil des semaines, Jacques Chirac et Lionel Jospin voient certes leurs intentions de vote s'effriter, mais nul n'imagine qu'ils ne s'affronteront pas au second tour. Pour Jérôme Jaffré, " la vraie cristallisation de l'opinion se fait le 22 avril au matin, quand une majorité de Français se réveille avec la gueule de bois et que la qualification de Le Pen au second tour rend la victoire de Chirac certaine. Avant cela, ce qui caractérise l'opinion est bien plus de l'indifférenciation que de la cristallisation ".

Cette indifférenciation a pour matrice la cohabitation. Comme le rappelle Jean-Luc Parodi, " les enquêtes faites avant l'élection montrent que les gens ne savent plus vraiment à qui attribuer les bonnes et les mauvaises choses. Par ailleurs, ni le président ni le premier ministre ne parviennent à lever une espérance. Puisqu'ils sont tous deux perçus comme incapables d'offrir du neuf, c'est vers d'autres que les électeurs non satisfaits vont se tourner ".

Cette dissémination des voix s'accentue au cours de la campagne. En novembre 2001, Chirac et Jospin concentrent à eux deux 49 % des voix du premier tour. Le 21 avril 2002, ils ne totalisent que 36 % des suffrages exprimés. Parallèlement, d'autres candidats progressent : à gauche, ce dont Jospin ne s'inquiète guère, au centre et à droite, ce dont Chirac ne s'affole pas, et à l'extrême droite, dont la montée dans les sondages est perceptible dès début janvier mais ne s'accentue qu'à la fin d'une campagne dominée par le thème de l'insécurité. Juste à temps pour que certains envisagent, dans la semaine précédant l'élection, la qualification de Le Pen au second tour. Mais trop tard pour qu'une telle hypothèse enraye la dispersion de l'électorat de gauche et entraîne un réflexe de " vote utile " autour de Lionel Jospin.

Janvier 2007 Face à Sarkozy, Royal décroche définitivement

Jamais l'élection présidentielle ne s'est jouée aussi tard qu'en 2002. Jamais elle ne sera pliée aussi tôt qu'en 2007. " Mi-janvier, les jeux sont définitivement faits ", rappelle Jérôme Jaffré. L'observation des courbes le confirme : après le 14 janvier, date que choisit Nicolas Sarkozy pour lancer sa campagne, la domination de celui-ci ne sera plus menacée. Non que les intentions de vote en sa faveur progressent après cette date. Plus qu'une envolée de Nicolas Sarkozy, c'est un inéluctable effritement de Ségolène Royal qui rend désormais certaine la victoire du président de l'UMP.

Dans les intentions de vote, celle-ci n'a fait jeu égal au premier tour avec son adversaire que durant le mois qui a suivi sa victoire à la primaire socialiste du 18 novembre 2006. Et, dans les treize projections de vote de second tour effectuées par la Sofres à partir de l'automne 2006, elle n'a été qu'une seule fois donnée victorieuse, à la mi-octobre. En réalité, d'autres indicateurs que les intentions de vote montrent que, dès cette date, la candidate socialiste est en mauvaise posture. C'est notamment le cas de la stature présidentielle. Alors que celle de Sarkozy ne cesse de se renforcer à partir de mars 2006, celle de Royal ne fait que stagner, avant de décrocher à la fin de l'année.

Pour Jean-Luc Parodi, " c'est en fait au cours des trois années précédentes, bien plus que pendant la campagne en tant que telle qu'ont été posés les fondamentaux de la présidentielle de 2007 ". Comme le rappelle le politologue, c'est dès cette période que Nicolas Sarkozy a fixé les trois axes de sa stratégie de victoire : la mainmise sur son camp, passant notamment par l'élimination de son principal rival, Dominique de Villepin, dans le but d'éviter une guerre fratricide du type Chirac/Balladur ; la préemption du thème du changement, autrement dit le souci de ne pas apparaître comme un sortant alors qu'il est ministre depuis 2002 ; et enfin l'aspiration des voix lepénistes. " Quand Royal est arrivée dans la course, c'était en fait déjà trop tard pour elle ", estime Jean-Luc Parodi.

Thomas Wieder