Palimpsestes

Présidentielles 2012
2012 Morne plaine A Sinclair

 

Comme l'enfant du célèbre conte d'Andersen qui s'écriait "le roi est nu" quand toute la Cour n'osait pas, Daniel Cohn-Bendit a, d'un mot, résumé le brouillard qui enveloppe cette campagne: "on s'emmerde", a-t-il dit.

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Phrase inconcevable en d'autres temps, trois semaines avant une échéance décisive qui décidera de reconduire pour cinq ans un président jusqu'ici très contesté ou d'élire pour la première fois depuis 24 ans un président socialiste insuffisamment désiré.

Mais phrase compréhensible, tant le débat de fond de cette campagne est escamoté. Les deux principaux candidats en portent l'essentiel de la responsabilité: l'un a rendu public un programme en 60 points il y a deux mois au Bourget, mais qui se rappelle vraiment les mesures phares -mis à part les 75% qui ont marqué les esprits? L'autre promet d'annoncer et de chiffrer enfin ses propositions cette semaine -il était temps, un peu plus de quinze jours avant le premier tour!- après avoir chaque jour imaginé une nouvelle loi, l'avoir oubliée le lendemain, et déjà suggéré quatre référendums.

Pourquoi donc les Français qui subissent la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre Mondiale se sentiraient-ils impliqués dans une campagne où ne sont pas débattus, disséqués, discutés les choix qui permettraient de sortir, d'atténuer, de renverser ce marasme dans lequel s'engluent la France et l'Europe?

Quand on voit, après la Grèce, l'Espagne s'enfoncer dans une grave crise sociale et menacer de s'étouffer sous une austérité insupportable, la question est de savoir comment à la fois contenir la dette qui nous étrangle et relancer une croissance sans laquelle le chômage ne saurait reculer. Comment combattre des déficits abyssaux tout en faisant de l'emploi, le centre de toutes les préoccupations. Au lieu de tenter de nous démontrer cela, les prétendants à l'Elysée jouent une autre partition.

Sarkozy a la tête dans les étoiles, le moral au beau fixe, enivré de sondages plus souriants. Du coup, il se fait désormais gentil animateur dans ses meetings, et se plaît dans le rôle de l'humoriste qui raille le manque d'envergure de son adversaire.

Hollande, à l'inverse, se fait trop discret quand l'autre est trop présent, en se disant que moins il offre d'aspérités, moins il prêtera le flanc aux attaques. Il "joue la sécurité de celui qui est en tête", lisais-je cette semaine dans tous les journaux. Mais se souvient-il de la leçon de 2002 où parier sur le seul second tour et le rejet du sortant peut devenir un risque mortel? Là où ses électeurs attendent du souffle, ils ont l'impression qu'il se retient, qu'il s'applique à mettre en œuvre une stratégie a minima, en ménageant Mélenchon, sans braquer Bayrou, tout en gérant imperturbablement le capital accumulé depuis l'élan de la primaire.

Quant à Nicolas Sarkozy, après Toulouse qui lui a donné l'occasion de retrouver la posture de chef de l'Etat, il aurait pu saisir l'occasion de devenir celui qui impulse, suggère, guide les Français quand l'avenir incertain les inquiète. Au lieu de cette attitude à la hauteur des enjeux, il s'entraîne à préparer tous les matins un cocktail fait d'une gorgée de Borloo dans de grandes goulées de Buisson -autrement dit, à insérer une phrase sociale au milieu d'un discours très marqué à droite.

On espérait deviner enfin sa vision qu'impose la gravité de la situation, mais nous aurons eu droit cette semaine à des interpellations de militants islamistes, consciemment et volontairement médiatisées. A tel point que les télés étaient à l'heure pour l'assaut et que le Figaro -pardon, la Pravda, comme l'appellent certains journalistes exagérément effrontés- pouvait l'annoncer avant tout le monde. Pour nous faire croire à sa volonté sincère de protéger la Nation d'un attentat imminent, il aurait fallu que les interventions aient lieu plus tôt, que la presse n'ait pas été conviée pour les mettre en valeur, que le coup de filet électoral ait été moins voyant, bref, qu'il n'ait pas pris les Français pour des gogos.

Ce faisant, entre deux plaisanteries pour se moquer "du petit club des socialistes heureux de se regarder le nombril", il se livre à des appels du pied chaque jour plus visibles vers l'extrême droite, qu'il veut dépouiller au premier tour, avant de tenter de se recentrer au second.

Dans ce seul dernier week-end, Nicolas Sarkozy aura encore durci son discours sur l'immigration en posant non seulement la question de l'intégration, mais maintenant même, de l'assimilation. Et il s'est plu à répéter ce samedi -contre l'avis de toutes les professions judiciaires et au mépris de toutes les traditions du droit- que la victime doit avoir son mot à dire sur la libération conditionnelle du détenu. La séduction de l'électorat frontiste est décidément une entreprise de tous les jours.

De surcroît, en sus des grands enjeux qui concernent la vie de chacun, on aurait pu espérer que des sujets, concernant les libertés publiques ou l'état de droit, soient abordés. Eh bien, non. François Bayrou a tenté de pointer "un champ d'inquiétude et de suspicion très grand sur le financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007" à propos de la mise en détention maintenue de Patrick de Maistre. Pas de réponse.

Des sénateurs, après les polémiques sur l'efficacité de la DGSE et de la DCRI, revendiquent la possibilité d'entendre les responsables de ces institutions policières, mais les ministres de l'Intérieur et de la Défense y ont opposé une fin de non recevoir.

Sur tout ce qui est important, vous ne saurez donc rien.

Alors que la crise déstabilise les plus fragiles, que les troubles sociaux en Espagne pourraient être annonciateurs d'autres secousses ailleurs; alors que -comme le disait dans un tweet joliment impertinent le journaliste économique du Huff Post, Alexandre Phalippou- "après la baisse de la hausse du chômage, voilà l'énorme déficit moins gigantesque que prévu", on a eu droit à l'autosatisfaction triomphante du candidat de droite et à une demi-réaction du candidat socialiste.

Le prétendant néglige le fait qu'on attend d'abord de lui un chemin, une méthode, des moyens. Le sortant veut faire oublier qu'il est au pouvoir depuis 5 voire 10 ans, qu'il a des comptes à rendre à ses concitoyens et des propositions cohérentes à leur faire.

Il reste peu de jours pour mobiliser les Français. Par l'effet de décisions stupides - dénoncées, un peu tard, par le CSA lui-même - il n'y a plus de débats à la télévision à trois semaines des élections, alors que l'abstention menace plus que jamais.

Je suis rarement d'accord avec Nicolas Dupont-Aignan, mais quand il crie que la télévision doit organiser des débats avec tous les candidats, comme ce fut le cas avec succès durant la primaire socialiste, il a raison. Comme est bienvenue sa dénonciation de la paresse des chaînes ou -plagiant volontairement la Ségolène d'autrefois- celle de la "lâchitude" des principaux candidats. C'est la campagne de 2012, ou comment se gâche l'occasion d'un beau et grand débat national.