présent que les forces américaines se trouvent dans Bagdad, qu'il nous
soit permis de placer les événements actuels dans une perspective
historique.
En
un sens, comme l'a fait remarquer le professeur Eliot Cohen de
l'université John-Hopkins, nous sommes entrés dans la quatrième guerre
mondiale. Plus qu'une guerre contre le terrorisme,
l'enjeu est d'étendre la démocratie aux parties du monde arabe et
musulman qui menacent la civilisation libérale à la construction et à la
défense de laquelle nous avons oeuvré tout au long du XXe siècle, lors de
la première, puis de la deuxième guerre mondiale, suivies de la guerre
froide - ou troisième guerre mondiale.
J'espère que sa durée n'atteindra pas les quarante ans et
plus de la troisième guerre mondiale, mais il est certain qu'elle durera
plus longtemps que la première et que la deuxième. Il faut probablement
envisager plusieurs décennies.
Il y a quatre-vingt-six ans, au printemps 1917, lorsque
l'Amérique est entrée dans la première guerre, le monde comptait environ
dix démocraties : les Etats-Unis, le Canada, l'Australie, la
Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne, la France, la Suisse, avec deux ou
trois autres pays de l'Europe du Nord. Le monde était alors composé
d'empires, de royaumes, de colonies, et de divers types de régimes
autoritaires. Aujourd'hui, 120 pays sur les 192 que compte le monde sont
des démocraties.
Ces 120 pays possèdent tous un Parlement élu
régulièrement ainsi que l'amorce au moins d'un Etat de droit. Cela aura
constitué un changement stupéfiant, vécu par de nombreux individus encore
de ce monde. Rien de comparable ne s'est jamais produit dans l'histoire de
la planète.
Inutile de préciser que l'Amérique n'est pas étrangère à
cette évolution, tant par sa contribution à la victoire pendant la
première guerre mondiale que par sa victoire lors de la deuxième aux côtés
de la Grande-Bretagne, avant de finalement l'emporter lors de la guerre
froide. En cours de route, beaucoup de gens ont prétendu, avec le plus
grand cynisme et à divers moments, que les Allemands, les Japonais, les
Russes, ou ceux qui avaient le confucianisme chinois comme tradition, ne
seraient jamais capables de fonctionner en démocratie. Certes, il a fallu
les y aider un peu, mais les Allemands, les Japonais et, aujourd'hui,
jusqu'aux Russes et aux Taïwanais ont fini par comprendre.
Dans le monde musulman, hormis les 22 Etats arabes, où la
démocratie n'a pas cours, il existe des Etats relativement bien gouvernés,
qui évoluent vers la modération, comme Bahreïn. Sur les 24 Etats non
arabes à dominance musulmane, environ la moitié sont des démocraties.
Figurent parmi elles certains des pays les plus pauvres de la planète,
tels le Bangladesh et le Mali. Près de 200 millions de musulmans vivent
dans une démocratie, en Inde. A l'exception d'une province, ils coexistent
en général pacifiquement avec leurs voisins hindous.
Il n'en demeure pas moins un problème spécifique au
Proche-Orient. Hormis Israël et la Turquie, il ne s'y trouve
fondamentalement aucune démocratie. On observe en revanche deux types de
gouvernements : les prédateurs pathologiques et les autocrates
vulnérables. Ce qui ne constitue pas un mélange excellent. Outre l'Irak,
l'Iran, la Syrie, le Soudan et la Libye financent et soutiennent, d'une
façon ou d'une autre, le terrorisme. Les cinq ont cherché à se procurer
des armes de destruction massive.
Il est clair que jamais la guerre terroriste ne
disparaîtra tant que nous ne changerons pas la face du Proche-Orient, ce
que nous avons précisément commencé de faire en Irak. Il s'agit d'une
mission redoutable. Pas plus redoutable cependant que celles que nous
avons déjà accomplies au cours des précédentes guerres mondiales. Le
changement reste à entreprendre dans cette unique partie du monde à
n'avoir aucune expérience historique de la démocratie, à avoir rejeté avec
violence les ingérences de l'extérieur : le Proche-Orient arabe.
Saddam Hussein, les autocrates de la famille royale
saoudienne, tout comme les terroristes, doivent aujourd'hui comprendre
que, pour la quatrième fois en cent ans, l'Amérique a ouvert les yeux. Ce
pays est en marche. Nous n'avons pas choisi ce combat - les fascistes du
parti Baas, les chiites islamistes et les sunnites islamistes ont fait ce
choix -, mais nous y sommes engagés. Et parce que nous sommes maintenant
en marche, il n'existe qu'une façon pour nous de remporter la victoire.
Celle dont nous avons gagné la première guerre mondiale, en combattant
pour les 14 points de Wilson. Celle dont nous avons gagné la deuxième, en
combattant pour la Charte atlantique de Churchill et de Roosevelt. Celle
dont nous avons gagné la troisième, en combattant pour les nobles idées
exprimées par le président Reagan, mais aussi, pour l'essentiel, d'abord,
par le président Truman.
Cette guerre, comme les guerres mondiales d'autrefois,
n'est pas une guerre contre les autres. Ce n'est pas une guerre entre
pays. C'est une guerre de la liberté contre la tyrannie.
L'Amérique doit convaincre les populations du
Proche-Orient que nous sommes de leur côté, exactement comme nous avons
convaincu Lech Walesa, et Vaclav Havel,
et Andreï Sakharov que nous étions de leur côté. Ce qui
prendra du temps. Ce qui sera difficile.
Nous sommes conscients d'inquiéter les terroristes, les
dictateurs et les autocrates. Nous voulons qu'ils soient inquiets. Nous
voulons qu'ils comprennent que l'Amérique est aujourd'hui en marche, et
que nous sommes du côté de ceux qu'ils redoutent le plus : leurs propres
peuples.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis)
par Françoise Cartano.
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par James Woolsey