A Pinochet

Autre temps, autres moeurs!

Automne 1973: très vite le drame chilien rebondit dans le débat français. Les élections du printemps avaient révélé une gauche montante. Cette gauche, c'était celle du programme commun, d'un programme qui faisait de la rupture avec le capitalisme son centre de gravité.

Une victoire de la gauche nous ferait-elle encourir le même risque d'un coup d'état? et le tout Paris de frémir!  et de gloser sur la tradition républicaine de notre armée.

Comparaison n'est pas raison, dit-on.

L'histoire en a décidé autrement. L'ascension de la gauche prit des détours plus lents, rata quelques occasions pour dominer les  années 80.

On n'oublia pas Pinochet, mais Allende, oui! On esquiva le risque parce qu'on renonça à la rupture!

La question de ce temps-là, qui semble si ancienne et curieusement si dépassée, est bien celle de la légitimité de la gauche au pouvoir. D'une gauche qui ne parviendrait à ces cimes qu'en période de crise, y ferait trois petits tours et s'en irait aussitôt, à moins qu'on ne la boutât hors de ce pré carré où elle n'a nulle légitimité. D'une gauche qui serait synonyme de désordre ou de guerre.

La divine surprise fut que pour une fois la gauche parvînt à se maintenir ... mais à quel prix.

Les temps, certes, ont changé, et la guerre froide s'est achevée. Les ennemis n'ont plus ni ligne Maginot, ni mur de Berlin pour se protéger, et le monde de clos, semble s'être ouvert sous cette pateline argutie de la mondialisation. La gauche ne rompt plus avec rien et, non sans aplomb, c'est de l'autre côté que l'on entend désormais revendiquer la rupture, fût-elle tranquille!

Les temps ont changé, les dictateurs aussi! Ils n'ont plus le même ennemi, ni le même dogme.

Pourtant, et si tout ceci revenait au même!

On doute
La nuit...
J'écoute: -
Tout fuit,
Tout passe;
L'espace
Efface
Le bruit.
1

R Aron regrettait que VGE ignorât que l'histoire fût tragique! Et nous savions bien qu'il était sot d'imaginer que l'histoire pût connaître une fin quelconque! Les dictateurs se succèdent, nos heurs et malheurs aussi! Ce ne sont plus les mêmes qui inquiètent, mais l'angoisse est identique! Ce ne sont plus les même qui font rêver, mais, ceci sans doute est nouveau, rêvons-nous encore?

C'est l'histoire qui fait l'homme, et non l'inverse, avions-nous appris: sans doute les grands acteurs de l'histoire naissent-ils des grandes tragédies humaines. Hegel et Marx avaient raison: il y avait dans la politique telle qu'elle fut vécue au 19e et 20 e siècle quelque chose de l'épopée lyrique !

Cet homme était le furoncle d'une tragédie effacée, simplement.

Et si d'aventure l'on devait supputer sous l'un ou l'autre de nos impétrants, quelque tendance dictatoriale, comme on l'entend déjà, souvenons-nous simplement que la période n'est ni assez grave ni assez tragique pour que même l'hyperactivité suspicieuse de l'un ou la bonté un peu niaise de l'autre pussent seulement en dessiner l'opportunité.

Tout fuit, tout passe... même l'horreur prend des allures de banalités.

1 V Hugo, Les Djinns in Les Orientales