"Quel est le point commun entre un "silence éloquent", une "obscure clarté", un "mort vivant", une "douce violence", un "bordel organisé", un "ennemi intime", un "illustre inconnu" ou encore... une "gauche-caviar" et un "bourgeois-bohème" (tiens tiens...) ? Et bien ce sont tous des oxymores (on dit aussi oxymorons), une figure de rhétorique consistant "à rapprocher deux mots qui semblent contradictoires" (définition de mon Petit Larousse en papier... parce que le Wiktionnaire c'est bien mais le papier c'est doux et ça sent bon!)."

Mimie in vivo1

Oxymores

Tenté, évidemment, de commenter ces figures de style si elles n'avaient été repérées ailleurs, ni citées sur les ondes!3

Quelque chose néanmoins dans ces figures qui m'intriguent: on n'affiche jamais tant les différences que pour camoufler les ressemblances; on ne proclame jamais tant les contradictions que pour fomenter une synthèse.

Ces deux-là, oui, se ressemblent voire s'imitent; sans doute parce qu'ils participent du même moule. Peut-être parce qu'ils sont victimes de la même illusion.

La tentation est grande, stimulée par les mêmes artifices de communication glanés dans les mêmes officines, de renvoyer dos à dos les deux impétrants, de fustiger la crise du politique. Sans doute faut-il chercher plus loin.

1e lecture: la tentation de la puissance

La séduisante pratique de l'oxymore renvoie sans doute à une identique mais implicite volonté de puissance confinant à la mégalomanie: l'oxymore suggère que nulle contradiction ne saura résister à la volonté ni à la l'action de l'impétrant. Le doigt pointant ou le bras scandant  la parole forte visent le même effet: l'oeuvre de la force; la force de l'oeuvre!

La leçon a été tirée de 1997 et, sans doute celle de 2002!

Chirac perdit 97 non tant, me semble-t-il, pour l'entourloupe d'une dissolution cousue de fil blanc, que pour l'impuissance proclamée: on ne convoque pas le peuple pour lui avouer ne rien pouvoir faire contre une mondialisation irréversible à laquelle il faudrait se soumettre, se préparer en tout cas! ou pire, pour le désigner comme conservateur de ne pas vouloir passivement se résigner à cette évolution inéluctable!

Le politique est le champ de la volonté, l'espace offert au thaumaturge. Signe même de l'humain qui ne peut s'affirmer au monde qu'en disant non à la fois au monde et à lui-même, le politique n'est pas affaire de gestionnaire! C'est bien tout son problème: comment dessiner un projet sans paraître ipso facto comme un destructeur? proposer un programme sans nier ce qui fut déjà fait? dessiner l'avenir sans insulter le passé?

Le révolutionnaire occupera toujours une place aisée dans ce dispositif: lui, sans crainte, peut exiger, affirmer péremptoirement, s'appuyer sur la volonté ou la science, pour dessiner les lueurs d'un grand soir plein d'espoir. Il est dans son rôle, et son style sera sa figure.

Malheur en revanche au conservateur, honte au réformiste qui devront sans cesse jongler avec la contradiction même de leur posture!

2e lecture: la tentation de l'ordre

Comment, surtout, concilier ordre et progrès?

D'aucuns s'y essayèrent! Comte est sans doute le paradigme de ces philosophies qui tentèrent l'oxymore majeure: il illustre à l'envi qu'à vouloir tracer une venelle entre ces bornes inconciliables; à vouloir entonner une harmonie qui les réconciliât, toujours on rapetasse le progrès sur l'ordre! Dès lors il faudrait entendre ces jolis oxymores comme d'illusoires rhétoriques d'un conservatisme qui ne s'avoue pas, comme ces ritournelles obsédantes qui  vous collent d'autant plus à l'esprit qu'elles sont muettes ou sottes!

Rousseau avait vu qu'entre ordre et liberté il y avait ce je ne sais quoi d'irréductible qui condamnait celle-ci à souffrir devant toute tentation de celui-là!

Il y a peut-être quelque chose de tragique dans le politique qui ne peut que, soit s'embourber dans la réalité fatale de l'ordre soit s'envoler dans le lyrisme facile d'une rhétorique décrépite!

Derrière les mots, la chose, mais la linguistique ne nous avait-elle pourtant pas appris que les mots ne parlent pas des choses?

Ce qu'il s'avoue, là-dessous, n'est-ce pas simplement l'appel au calme? Rassure-toi, peuple, avec moi tu auras et l'espérance et le calme! et le cochon et le lard! L'insoutenable légèreté du politique, qui ne s'avoue pas, qui ne risque rien, qui ne peut rassembler qu'en rassurant et donc se nier soi-même! 

Il y a néanmoins quelque différence entre l'ordre juste et la rupture tranquille!

Ce dernier insère de la continuité où il semble proclamer la brusquerie d'une mutation; artifice obligé pour un impétrant qui est en même temps un sortant condamné à ne pouvoir tout critiquer sans se nier lui-même!

Celui-là, bien plus subtil, se joue à plusieurs étages: qu'il y ait réconciliation entre justice et ordre semble annoncer que l'avenir ne se jouerait plus uniquement pour les classes possédantes mais pour tous et donc que l'égalité serait au bout du chemin de l'ordre. Inversant ainsi l'ordre de prétérition, l'impétrante traduit le mot d'ordre de la gauche dans un registre libéral où l'égalité est le résultat espéré de la liberté individuelle. A moins d'entendre par juste ce qui relève de la morale! Cet oxymore parait d'abord ne pas en être un, c'est en ceci qu'il proclame le masque de l'acteur! Il pourrait ne pas y avoir de contradiction entre justesse et ordre à condition implicite de dépasser Machiavel et nier le réel! Avec des mots simples, de tous les jours, serait-ce ici la forme féminine du politique? la forme morale du politique? Retour de l'ordre moral, comme on parle du retour du refoulé? mais alors, oui, l'oxymore bat son plein: la victoire de la féminité se ferait avec les armes mêmes de l'ultramontanisme le plus éculé: la féminité réduite aux acquêts moralistes!

Figures inversées mais tellement mimétiques d'un même phantasme.

3e lecture: la tentation de la quadrature

Car c'est peut-être ici que le politique dessine au mieux l'impossible espace qu'il tente d'occuper! Celui dialectique du dépassement de toutes les contradictions; celui, non géométrique, du centre. Le politique est un cercle, infernal, qui vibrionne incessamment autour d'un point impossible, invraisemblable; s'agite sempiternellement sans que l'on sache ni puisse jamais deviner si le cercle, ainsi tracé, est un sillon qui ferme, enferme ou ensemence. 

Le cadavre gît toujours au lieu de la fondation: sous l'oxymore, la dépouille de Romulus !

Rêve prométhéen d'un sacrifice où la victime resterait virtuelle; artifice prométhéen où la triche a sa part puisqu'il s'agit de prendre sans payer son écot, de mimer l'obéissance pour mieux commander quand en réalité il s'agit de contrefaire le commandement pour mieux obéir; jeu à parts non nulles où ce qui souffre c'est toujours le réel que l'on nomme d'autant mieux qu'on désapprend de l'aimer, l'homme que l'on appelle d'autant plus qu'on désapprend de le servir: le politique sait mieux que quiconque jongler avec l'irrationnel du rêve où nul des principes n'est respecté, non plus celui d'identité que de contradiction

Je cherche le cadavre qu'abandonnera cette omission du réel; le meurtre qui paiera cette dénégation de l'être.

Je cherche le père assassiné!

Parce que, peut-être, la politique n'est qu'un rêve qui s'épuise de ne pas s'achever en cauchemar!

1 voir son blog

2 sur le paradoxe

3 France Inter le 8 Décembre

voir aussi une référence plus ancienne; non moins pertinente