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Saint Jean Chrysostome
Commentaire sur la 1ère lettre aux Corinthiens (3)

.Ière EPÎTRE AUX CORINTHIENS
Tome IX p. 293-610

 

 

 

 

 

Ière EPÎTRE AUX CORINTHIENS *

HOMÉLIE XXXI. OR, L'OEIL NE PEUT PAS DIRE A LA MAIN : JE N'AI PAS BESOIN DE VOUS, NON PLUS, QUE LA TÊTE NE PEUT DIRE AUX PIEDS : JE N'AI PAS BESOIN DE VOUS. (CHAP. XII, 21, JUSQU'AU VERSET 26.) *

HOMÉLIE XXXII. OR VOUS ÊTES LE CORPS DE JÉSUS-CHRIST, ET MEMBRES D'UNE PARTIE. (CHAP. XII, VERS. 27, JUSQU'AU VERS. 4 DU CHAP. XIII.) *

HOMÉLIE XXXIII. LA CHARITÉ EST PATIENTE; ELLE EST BIENFAISANTE ; ELLE N'EST POINT ENVIEUSE; ELLE N'AGIT POINT A LA LÉGÈRE ; ELLE NE S'ENFLE POINT D'ORGUEIL. (CHAP. XIII, JUSQU'Au VERS. 8.) *

HOMÉLIE XXXIV. OU LES PROPHÉTIES SERONT RENDUES INUTILES, OU LES LANGUES CESSERONT, OU LA SCIENCE SERA ABOLIE. (CHAP. XIII, VERS. 8.) *

HOMÉLIE XXXV. RECHERCHEZ AVEC ARDEUR LA CHARITÉ; MAIS DÉSIREZ LES DONS SPIRITUELS, ET SURTOUT CELUI DE PROPHÉTISER (CH. XIV, VERS. 1.) *

HOMÉLIE XXXVI. MES FRÈRES, NE SOYEZ PAS ENFANTS PAR L'ESPRIT, MAIS SOYEZ DES PETITS ENFANTS POUR LE MAL, ET SOYEZ PARFAITS POUR L'ESPRIT. (CHAP. XIV, VERS. 20.) *

HOMÉLIE XXXVII. QUE VOS FEMMES SE TAISENT DANS LES ÉGLISES; IL NE LEUR EST POINT PERMIS DE PARLER, MAIS ELLES DOIVENT ÊTRE SOUMISES, AINSI QUE LE DIT LA LOI. (CHAP. XIV, VERS. 34.) *

HOMÉLIE XXXVIII. JE VAIS MAINTENANT, MES FRÈRES, VOUS REMETTRE DEVANT LES YEUX L'ÉVANGILE QUE JE VOUS AI PRÊCHÉ, QUE VOUS AVEZ REÇU, DANS LEQUEL VOUS DEMEUREZ FERMES, ET PAR LEQUEL VOUS SEREZ SAUVÉS, SI VOUS L'AVEZ RETENU, COMME, JE VOUS L'AI ANNONCÉ. (CHAP. XV, VERS. 1.) *

HOMÉLIE XXXIX. AINSI, SOIT QUE CE SOIT MOI, SOIT QUE CE SOIENT EUX QUI VOUS PRÊCHENT, VOILÀ CE QUE NOUS PRÊCHONS, ET VOILÀ CE QUE VOUS AVEZ CRU. (CH. XV, VERS. 11.) *

HOMÉLIE XL. AUTREMENT, QUE FERONT CEUX QUI SONT BAPTISÉS *

POUR LES MORTS, S'IL EST VRAI QUE LES MORTS NE RESSUSCITENT POINT? POURQUOI SONT-ILS BAPTISÉS POUR LES MORTS? (CHAP. XV, VERS. 29, JUSQU'AU VERS. 34.) *

HOMÉLIE XLI. MAIS, DIRA-T-ON : EN QUELLE MANIÈRE LES MORTS RESSUSCITERONT-ILS, ET QUEL SERA LE CORPS DANS LEQUEL ILS REVIENDRONT? — INSENSÉ QUE VOUS ÊTES, NE VOYEZ-VOUS PAS QUE CE QUE VOUS SEMEZ NE REPREND POINT VIE, S'IL NE MEURT AUPARAVANT? (CHAP. XV, VERS. 35, 36.) *

HOMÉLIE XLII. LE PREMIER HOMME, NÉ DE LA TERRE, FUT TERRESTRE; LE SECOND HOMME FUT LE SEIGNEUR DESCENDU DU CIEL. (CHAP. IV, VERSET 47.) *

HOMÉLIE XLIII. QUANT A LA COLLECTE POUR LES SAINTS, FAITES LA MEME CHOSE QUE J'AI ORDONNÉE AUX ÉGLISES DE GALATIE. (CHAP. XVI, VERS. 1, JUSQU’A 10.) *

HOMÉLIE XLIV. QUE SI TIMOTHÉE VOUS VA TROUVER, AYEZ SOIN QU'IL SOIT EN SÛRETÉ PARMI VOUS. (CHAP. XVI, VERS. 10, JUSQU'À LA FIN.). *
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXI. OR, L'OEIL NE PEUT PAS DIRE A LA MAIN : JE N'AI PAS BESOIN DE VOUS, NON PLUS, QUE LA TÊTE NE PEUT DIRE AUX PIEDS : JE N'AI PAS BESOIN DE VOUS. (CHAP. XII, 21, JUSQU'AU VERSET 26.)
ANALYSE.

1. Contre l'orgueil dé ceux qui se croient les préférés de Dieu.

2. Suite de la comparaison entre l'Eglise et le corps humain. — Les membres les plus faibles sont les plus-nécessaires.

3. Discussion un peu subtile, souvent très-ingénieuse sur l'égalité dans la diversité des membres, soit du corps, soit de l'Eglise.

4. Du respect pour tous ; ce respect, les attentions, la prévoyance, tout de la part de tous doit être ; pour tous, égal. — Contre l'envie. — Différence de l'envie et de l'émulation. — Comparaison piquante. — Développement chaleureux, éloquent contre la bassesse funeste et exécrable de l'envie.

1. Il vient de corriger l'envie des inférieurs; il vient de consoler le chagrin qu'inspirait naturellement la vue de ceux qui avaient reçu des dons plus glorieux. Maintenant il réprime l'orgueil de ceux qui ont été jugés dignes de faveurs plus hautes. C'est d'ailleurs ce qu'il avait déjà fait quand il discutait avec eux; (en effet, leur dire qu'ils avaient reçu un don gratuit, qu'ils ne jouissaient pas du fruit de leurs bonnes oeuvres , c'était exprimer la même pensée); mais maintenant cette pensée, il la reprend d'une manière plus vive, en conservant la même image. C'est toujours le corps et l'unité du corps, et la comparaison, de ses membres, qui lui inspirent les réflexions les plus agréables pour les fidèles. Ce fait que tous ne formaient qu'un seul corps, ne les consolait pas autant que cette vérité, que la diversité des fonctions ne constituait pas une grande infériorité, et il leur dit : " Or, l'oeil ne peut pas dire à la main : je n'ai pas besoin de vous; non plus que la tête ne peut dire aux pieds : je n'ai pas besoin de vous ". Car, si 1e don est moindre , il est nécessaire ; et, de môme que si le pied manquait dans le corps, il en résulterait une grande incommodité, de même, sans les membres inférieurs l'Eglise boîte, et n'a pas sa plénitude. Et l'apôtre ne dit pas : Or, l'oeil ne dira pas, mais : " Ne peut dire ". Comprenez bien : Quand même ïl aurait voulu dire, quand même il dirait, ses paroles seraient sans valeur, non fondées en nature. Voilà pourquoi l'apôtre , prenant les deux extrêmes, leur prête la parole. D'abord il suppose la main et l'œil, ensuite la tête et le pied, pour développer son exemple. Quoi de (503) plus vil que le pied? Quoi de plus noble que la tête, et de plus nécessaire? Car, c'est là surtout ce qui constitue l'homme, la tête. Et cependant la tête ne suffit pas; elle ne pourrait tout faire par elle-même; si elle pouvait tout faire, les pieds seraient superflus. Toutefois, il ne s'arrête pas là, mais il veut prouver surabondamment son dire, c'est son habitude ; la juste mesure ne lui suffit pas, il va plus loin, et voilà pourquoi il ajoute : " Mais au contraire, les membres du corps qui paraissent les plus faibles, sont, bien plus nécessaires. Nous honorons même davantage les parties du corps qui paraissent moins honorables, et nous couvrons avec plus de soin et d'honnêteté, celles qui sont moins honnêtes (22, 23) ".

Il continue sa comparaison avec les membres du corps, et, par là, il console et il réprime. Je ne dis pas seulement, dit l'apôtre, que les parties les plus considérables aient besoin de celles qui le sont moins,.mais encore qu'elles en ont un grand besoin. S'il y a en effet, en nous, quelque chose d'infirme, de peu honnête, cela est nécessaire, et reçoit un plus grand honneur, et c'est avec raison qu'il dit: " Qui paraissent, et que nous considérons comme moins honnêtes ", montrant par là que ce n'est pas la nature qui parle, mais l'opinion. II n'y a rien en nous qui ne soit honorable, car tout est l'ouvrage de Dieu. Par exemple; qu'est-ce qui paraît moins mériter d'être honoré que les organes de la génératien ?Nous les entourons cependant de plus d'honneur que les autres parties du corps, et ceux qui sont tout à fait pauvres, eussent-ils tout le reste du corps à nu ; ne. souffriront jamais de montrer ces parties nues. Et cependant, ce.n'est pas ainsi que l'on se comporte avec les choses qui sont en réalité moins honorables; il conviendrait de leur marquer plus de mépris qu'aux autres. En effet, dans l'intérieur d'une maison , l'esclave regardé aveu ignominie, non-seulement n'a pas un traitement supérieur, mais il ne reçoit même pas un traitement égal. Ici, au contraire, ces membres jouissent d'un plus grand honneur, et c'est l'oeuvre de la sagesse de Dieu. Parmi nos membres, la nature a donné, aux uns les honneurs, de manière qu'ils n'aient pas à les réclamer; la nature les a refusés aux autres, pour nous forcer à les leur rendre; niais ils ne sont pas pour cela sans honneur, puisque les animaux naturellement n'ont besoin de rien, ni de vêtements, ni de chaussures, ni d'abri, le plus grand nombre d'entre eux du moins. Noire cors néanmoins n'est pas moins honorable que leur corps, pour avoir tous ces besoins. Il suffit de la réflexion pour voir que la nature même a fait ces parties et honorables et nécessaires. C'est ce que l'apôtre lui-même a insinué, ne se fondant ni sur le soin que nous en prenons, ni sur le plus grand Bonheur dont nous les entourons; mais sur la nature même. Aussi,.après avoir parlé des membres faibles et moins honorables, il dit : " Qui paraissent ". Quand il en proclame la nécessité, il ne dit,plus : qui paraissent nécessaires, mais, sans hésitation aucune, il dit qu'ils sont nécessaires. Et c'est avec raison, car, et pour la procréation des enfants et pour la succession de notre race, ces membres nous sont utiles. Aussi les lois romaines punissent-elles ceux qui les détruisent et qui font des eunuques. C'est un attentat contre notre race; c'est un outrage fait à la nature même; périssent les impudiques qui calomnient les ouvrages de Dieu ! De même que les malédictions contre le vin, résultent du vice de ceux qui s'enivrent ; de même pour les malédictions contre le sexe des femmes, il faut s'en prendre aux adultères. Si l'on a regardé ces membres comme honteux, c'est à cause du mauvais usage que quelques-uns en font. Ce n'est pas ainsi qu'il fallait raisonner; ce n'est pas à la nature de la chose que le péché s'attache, c'est à la volonté criminelle qui lé produit. Maintenant quel(lues interprètes pensent que ces membres faibles, et ces membres peu honnêtes et nécessaires, et qui jouissent d'un plus grand honneur, dans-la pensée de Paul, sont les yeux, lesquels sont sans force , mais d'une utilité supérieure aux autres; que les parties lus moins honnêtes sont les pieds, car eux aussi sont entourés d'un grand nombre de soins prévoyants.

2. Ensuite, pour ne rien ajouter à ce développement déjà surabondant, l'apôtre dit " Car pour celles qui sont honnêtes, elles n'en " ont pas besoin (24) ". L'apôtre ne veut pas qu'on lui dise : est-il juste de dédaigner les parties honorables, et d'entourer de ses soins les moins honorables? Ce n'est pas par dédain, dit l'apôtre , que nous agissons ainsi ; mais c'est que ces parties n'ont pas besoin de nos soins. .Et. voyez quel grand éloge il fait (504) de ces parties, avec autant de rapidité que d'à-propos et d'utilité; il ne se contente pas de ce qu'il vient de dire, il y joint une explication : " Mais Dieu a mis un admirable tempérament dans tout le corps., en honorant davantage ce qui était défectueux, afin qu'il " n'y ait point de schisme dans le corps (24, 25) ". Dieu a tempéré, c'est-à-dire, qu'il n'a pas laissé apparaître ce qui était moins honorable. En effet, ce que l'on tempère et que l'on mêle devient un, et on ne voit pas ce que pouvait être auparavant l'objet qui a été mêlé à l'ensemble. Nous ne saurions même pas dire s'il y a. eu un mélange. Et voyez combien de fois l'apôtre dit en passant : " Ce qui était défectueux " ; il ne dit pas : ce qui était déshonnête ou honteux, mais : " Ce qui était défectueux ". Ce qui était défectueux, comment cela? selon la nature. " Lui accordant plus d'honneur " ; et pourquoi? afin qu'il n'y eût point de schisme dans le corps. Les fidèles recevaient là une immense consolation ; cependant , comme ils s'affligeaient d'avoir été moins bien partagés, l'apôtre leur montre qu'ils ont reçu plus d'honneur. " Accordant plus d'honneur ", dit-il, " à ce qui était défectueux "; et ensuite, il explique comment Dieu a parfaitement ordonné, et que tel membre fût défectueux, et qu'il reçût plus d'honneur. Pourquoi? " Pour qu'il n'y ait pas ", dit-il, " de schisme dans le corps ". Il ne dit pas : dans les membres, mais : " Dans le corps ". Et en effet, il y aurait eu une bien grande superfétation si quelques membres avaient été enrichis à la fois des dons de la nature et de ceux de notre prévoyance; tandis que d'autres membres n'auraient rien eu, de ces deux côtés, en partage. Ils se seraient séparés du tout, n'étant pas capables de supporter l'union. Et maintenant, cette séparation ne se serait pas opérée sans dommage pour les autres parties.

Voyez-vous comme l'apôtre montre la nécessité d'honorer davantage ce qui est défectueux? Supprimer ce privilège d'honneur, t'eût été la perte pour tous. En effet, si nous n'avions pas pris un grand soin de ces membres inférieurs, ils auraient souffert, et du dédain de la nature, et du tort que nous leur aurions fait. Leur perte eût été pour le corps un déchirement, et le corps étant déchiré, les autres parties bien supérieures encore auraient péri. Voyez-vous comme le soin de quelques-uns, de ces membres est uni à la prévoyance qui s'occupe des autres? En effet, ils trouvent moins dans leur nature propre leur raison d'être, qu'ils ne trouvent dans le corps leur raison d'être un tout. Aussi que le corps vienne à périr, il ne leur sert à rien d'être séparément pleins de santé; que l'oeil demeure, ou le nez; que chaque membre conserve ce qui lui appartient, mais que le lien avec le corps soit rompu, il n'y a désormais, pour ces membres , aucune raison d'exister. Au contraire , supposez que le corps subsiste, et que ces membres soient endommagés, ils continuent à faire partie du corps; et bientôt ils retrouvent la santé. Mais, dira-t-on peut-être, dans le corps cela s'explique; on comprend qu'un membre défectueux reçoive un plus grand honneur. Mais dans la société des hommes , le, moyen qu'il en soit ainsi? C'est surtout dans la société humaine que vous verrez cette vérité se réaliser. Et en effet, ceux qui sont venus vers la onzième heure, ont reçu les premiers leur salaire; la brebis errante a engagé le pasteur à laisser les quatre-vingt-dix-neuf autres pour courir à sa recherche, et, quand il l'a eu retrouvée, il l'a portée sur ses épaules, et il ne l'a pas chassée; l'enfant prodigue a reçu plus d'honneur que celui qui s'était bien conduit; le larron a reçu la couronne, avant les apôtres, et il les a devancés dans la gloire ; l'histoire des talents vous montre le même fait : celui qui avait reçu cinq talents, et celui qui en avait reçu deux, ont été jugés dignes du même salaire.

Et c'est la marque d'une grande providence , que l'un ait reçu deux talents ; car si on lui eût confié cinq talents , quand il était incapable de les augmenter, il aurait perdu tout ce à quoi il pouvait prétendre; mais ayant reçu deux talents, ayant accompli tout ce qui dépendait de lui, il a obtenu la même récompense que celui qui avait opéré avec cinq talents, et il a eu l'avantage sur lui d'avoir avec moins de labeurs gagné les mêmes couronnes. En effet, c'était un homme comme celui qui- avait reçu les cinq talents, et cependant le Seigneur n'exige pas de lui des comptes aussi sévères; il ne réclame pas de lui autant que de son compagnon d'esclavage ; il ne lui dit pas : pourquoi ne peux-tu pas faire cinq talents? ce qu'il était en droit de lui dire. Pénétrés de ces vérités, n'insultez pas, si vous êtes plus grands, ceux qui sont (505) plus petits. Craignez die vous blesser, avant de les blesser eux-mêmes. Ceux-ci étant séparés de vous, c'en est fait de tout le corps; car qu'est-ce que le corps, sinon un ensemble de membres , comme l'apôtre le dit lui-même : " Aussi, le corps n'est pas un seul membre, mais un ensemble de membres ". Donc, si c'est là ce qui constitue le corps, ayons grand soin que le plus grand nombre reste le plus grand nombre; car autrement, nous recevons une blessure mortelle. Aussi l'apôtre ne se contente-t-il pas, d'exiger que nous ne nous séparions pas les uns des autres; il veut de plus que nous demeurions étroitement unis. En effet après avoir dit : " Afin qu'il n'y ait point de schisme dans le corps ", il ajoute : " Mais que tous les membres aient un égal souci les uns des autres ", et il donne ainsi la seconde raison de la supériorité d'honneur accordée aux membres inférieurs. Car Dieu n'a pas voulu seulement qu'il n'y eût pas de séparation, mais de plus qu'il y eût l'abondance de la charité, et la plénitude de la concorde. Eu effet, si c'est un besoin pour chaque membre de veiller au salut du prochain, ne parlez ni du plus ni du moins, car ii n'y a là ni plus ni moins. Tant que le corps subsiste, il peut y avoir une différence; au contraire, que le corps périsse, il n'en est plus de même. Or, le corps périra si les parties moindres ne subsistent pas.

3. Si donc les membres supérieurs péris;, sent lorsque les inférieurs en sont violemment séparés , ces membres supérieurs doivent avoir autant de souci des autres que d'eux-mêmes, puisque c'est de l'union avec les membres les plus modestes, que dépend le, salut des membres plus grands. Aussi vous aurez beau répéter à satiété, membre obscur, membre inférieur, si vous n'avez pas, pour cet inférieur, autant de souci que pour vous-même; si vous le négligez comme moins important que vous, c'est vous qui souffrirez de cette négligence. Voilà pourquoi l'apôtre ne dit pas seulement : Que les membres aient souci les uns des autres; il dit plus : " Que les membres aient un égal souci les uns des autres " ; c'est-à-dire, que l'attention, que,la prévoyance doit s'étendre sur le plus petit autant que sur le plus grand. Ne dites donc pas : un tel n'est que d'une condition vulgaire ; cet homme, que vous regardez comme le premier venu; considérez que c'est un membre du corps, qui se compose de toutes ses parties; tout aussi bien que 1'œil, ce membre quel qu'il puisse être, contribue à. faire que le corps soit le corps. En ce qui concerne la constitution du corps, nul ne possède plus que le prochain. Car ce qui constitue le corps, ce n'est pas que l'un soit plus grand , l'autre plus petit, mais qu'il y ait pluralité et diversité. De la même manière que vous, plus grand, vous aidez à former le corps; de même cet autre y contribue aussi, en étant plus petit que vous. De telle sorte que la petitesse de celui-ci, en ce qui concerne la constitution du corps, est aussi précieuse que votre grandeur, pour cet harmonieux agencement; il a la même efficacité que vous; c'est ce que va rendre évident une supposition. Supprimons la différence du plus petit et du plus grand, parmi les membres; qu'il n'y en ait plus, ni de plus honorables ni de moins honorables; que tout soit oeil, ou bien que tout soit tête, n'est-il pas vrai que le corps périra? C'est de la dernière évidence. Faisons le contraire; amoindrissons tous les membres; même résultat; de sorte que, par là encore, éclate l'égalité d'importance des inférieurs avec les supérieurs. Faut-il dire encore quelque chose de plus fort? ce n'est que pour faire subsister le corps, que le moindre est le moindre; si donc tel membre est moindre, ce n'est qu'à cause de vous , ce n'est qu'afin que vous soyez grand: Voilà pourquoi l'apôtre réclame de tous , une égalité d'attention mutuelle; après avoir dit : " Que les membres aient un égal souci les uns des autres ", il explique encore cette pensée, en disant : " Et si l'un des membres souffre , tous les autres membres souffrent avec lui; ou si l'un des membres reçoit de l'honneur, tous les autres s'en réjouissent avec lui (26) ".

Si Dieu a voulu, dit l'apôtre, que l'attention réciproque des membres s'étendît sur tous, c'était pour assurer, au sein de la diversité même, l'unité, afin que tout ce qui arriverait fût ressenti dans une communion parfaite. Car, si l'attention pour le prochain est le salut de tous, il est nécessaire et que tous les sujets de gloire et toutes les causes d'afflictions soient ressenties en commun par tous. L'apôtre fait donc ici trois recommandations : pas de division, union parfaite; égale réciprocité d'attention; regarder toute chose qui survient, comme arrivant pour tous. Sans doute, il dit (506) précédemment qu'un honneur plus grand été fait à ce qui est défectueux, précisément à cause de ce que le membre a de défectueux, il veut montrer que l'infériorité même donne un titre à une plus grande part de considération ; mais ici, le point de vue est changé, l'égalité entre les membres se fonde sur- l'égalité d'attention mutuelle. Ce qu'il a voulu, .dit-il, 'en accordant une supériorité, d'honneur , c'est empêcher que le membre inférieur ne fût jugé moins digne d'attention. Mais, pour unir les membres d'une manière parfaite, il ne se borne pas là, il les unit encore par la sympathie dans les joies et dans les douleurs qui surviennent. Souvent, lorsqu'une épine est entrée dans la plante du pied, tout le corps s'en ressent et s'en inquiète, le dos se courbe, et le ventre et les cuisses se contractent, et les mains, comme des satellites, comme des domestiques, s'avancent, retirent ce qui s'est enfoncé, la tête se penche, et les yeux retardent avec une attention soucieuse. Il est évident par là que si le pied a l'infériorité parce qu'il ne peut s'élever comme d'autres membres, il ressaisit l'égalité en forçant la tête à se baisser, il partage ses honneurs, et remarquons surtout cette égalité d'honneurs quand les pieds conduisent la tête, non pour lui faire plaisir, mais par devoir. D'où il suit que si la tête, au point de vue de la considération, a quelque avantage sur les pieds, il suffit pour rétablir l'égalité parfaite que la tête, qui est si noblement partagée, doive honneur et assistance à ce qui est au-dessous d'elle, et ressente également toutes les souffrances du membre inférieur. Car, quoi de pins vil que la plante des pieds? Quoi de plus noble que la tête? Mais le pied marche pour la tête, et emporte tous les membres avec lui.

Voyez encore :s'il arrive quelque accident aux yeux, c'est pour tous les membres, et de la douleur et une inaction forcée; les pieds ne marchent plus; les mains ne travaillent plus ; le ventre ne reçoit plus sa ration ; ce n'est pourtant qu'un mal d'yeux. D'où vient que votre ventre se dessèche, que vos pieds ne vont plus, que vos mains sont liées? C'est que tout le corps est un système où tout se tient, de là l'inexprimable communauté de toutes les affections. Sans cette communauté, il n'y aurait pas la réciprocité d'attention et d'inquiétudes. Voilà pourquoi l'apôtre, après avoir dit : " Que les membres aient un égal souci les uns des. autres ",

a vite ajouté : " Et si l'un des membres souffre, tous les autres membres souffrent avec lui; ou si l'un des membres reçoit de l'honneur, tous les autres s'en réjouissent avec lui ". Et comment, dira-t-on, se réjouissent-ils par sympathie? C'est la tête que l'on couronne, et l'homme tout 'entier se glorifie ; ce n'est que la bouché qui parle, et les yeux rient et se réjouissent ; ce qui cause la joie, ce n'est pourtant pas la beauté des yeux, mais ce que dit la langue. Autre preuve : les yeux sont beaux, et toute la femme en est embellie; et maintenant, si le nez est droit, le cou élégant, les autres membres gracieux, voici que les yeux, à leur tour, respirent la joie et la fierté; et ces mêmes yeux pleurent à chaudes larmes, dans les douleurs; dans les catastrophes qui arrivent aux autres membres, fussent-ils personnellement sans aucune atteinte.

4. Donc méditons ces pensées, tous tant que nous sommes, imitons l'amour mutuel de ces membres bien unis, ne faisons pas le contraire de ce qu'ils font, n'insultons pas aux malheurs du prochain, ne portons pas envie à sa prospérité, une telle conduite n'appartient qu'à des hommes -en délire, qu'à des furieux. Se crever un oeil, c'est la preuve d'une insigne démence, se ronger le poing, c'est la marque d'une folie qui éclate au grand jour. Se conduire ainsi envers ses membres, , tenir la même conduite envers ses frères, c'est également s'assurer le renom d'un insensé, c'est se faire un tort qui mérite qu'on y pense. Tant que ce membre resplendit, c'est votre beauté en même temps qui brille, et tout votre corps est embelli : car cette beauté particulière, le membre ne l'accapare pas pour lui seul, mais il vous donne, à vous aussi, un sujet de vous glorifier : si vous l'éteignez, vous produisez des ténèbres qui enveloppent tout le corps, vous créez un malheur commun à tous les membres; si au contraire, vous conservez sa splendeur, c'est la beauté du corps tout entier que vous conservez. En effet, vous n'entendez jamais dire : voila un bel oeil ; mais, que dit-on ? Voilà une belle femme; et l'éloge de l'oeil ne vient qu'après l'éloge de tout le corps. Il en est de même pour l'Église. En effet, s'il en est, dans son sein, qui jouissent d'une bonne renommée, tout le corps de l'Église recueille le fruit de cette estime. Car les ennemis de l'Église ne cherchent pas les distinctions des personnes (507) dans les éloges, ils adressent leurs éloges à tout le corps. Si tel a l'éloquence en partage, ce n'est pas lui seulement qu'on célèbre par des éloges, mais toute l'Église. En effet; on ne dit pas, un tel est admirable, mais que diton? C'est un docteur admirable que possèdent les chrétiens, et l'éloge est, pour tous, un bien commun. Ainsi ce que les gentils unissent, vous, c'est vous qui 1e divisez, et vous faites la guerre à votre propre corps, à vos propres membres ? Et vous ne voyez pas que vous bouleversez tout? " Tout royaume "; dit Jésus, " divisé contre lui-même sera ruiné ". (Matth. XII, 25.)

Or, maintenant rien ne produit autant la division, la séparation, que l'envie et la haine jalouse, maladie funeste, pour laquelle il n'y a pas de pardon, maladie plus funeste que la racine même de tous les maux. L'avare en effet a du plaisir au moins quand il reçoit quelque chose; l'envieux, au contraire, ne se réjouit pas quand il reçoit, mais quand uri autre ne reçoit pas : car ce qu'il prend pour un bienfait personnel, c'est le malheur d'autrui, ce n'est pas le bonheur qui lui arrive à lui-même; c'est un ennemi commun de toute la nature humaine, et qui se plaît à frapper les membres du Christ : quelle fureur plus détestable que celle-là? Le démon est jaloux de qui?-des hommes, mais il ne porte envie à aucun démon : tandis que vous, qui êtes un homme, c'est contre des hommes que vous ressentez de l'envie, vous vous élevez contre celui qui est de la même famille , du même sang que vous, et c'est ce que le démon lui-même ne fait pas. Et quel pardon pouvez-vous espérer, quelle justification faire entendre, vous qui, à la vue du bonheur d'un frère, tremblez et pâlissez de rage,, au lieu de vous réjouir, de tressaillir d'allégresse.? Soyez l'émule de votre frère, je n'y mets pas d'obstacle : mais soyez son émule par les vertus qui le font estimer; son émule, non pas pour le dénigrer, mais pour vous élever au même faîte que lui, pour montrer la même perfection. Voilà la bonne rivalité; on cherche à imiter, non à faire la guerre; on s'afflige, non du bonheur d'autrui; ruais du mal que l'on ressent en soi :c'est précisément le contraire de la basse envie, qui, négligeant ses maux propres, se dessèche à la vue du bonheur des autres. Le pauvre ne souffre pas tant de sa pauvreté que de l'abondance du prochain : quoi de plus déplorable qu'une telle disposition? L'envieux, je l'ai déjà dit, est en cela plus odieux que l'avare : l'avare en effet se réjouit quand il a reçu quelque chose; ce qui fait au contraire la joie de l'envieux , c'est qu'un autre ne reçoive pas. Donc, je vous en prie, abandonnez cette voie perverse, changez votre envie en une émulation généreuse (car cette émulation est plus puissante pour l'action et communiqué à l'âme unie ardeur plus dévorante que le feu) , et de cette émulation vous recueillerez de grands biens. C'est ainsi que Paul amenait les Juifs à la foi : " Pour tâcher ", disait-il, " d'exciter de l'émulation dans l'esprit des Juifs, qui me sont unis selon la chair, et d'en sauver quelques-uns ". (Rom. XI, 14.) Celui qui ressent l'émulation que voulait l'apôtre, ne se dessèche pas à la vue d'un autre jouissant d'une bonne. renommée, mais il soutire de se voir lui-même en retard.

Il n'en est pas de même de l’envieux quand il voit la prospérité d'autrui , il est comme ces frelons qui vont gâter le travail d'autrui ; jamais il ne fait personnellement d'efforts pour s'élever, mais il pleure à la vue d'un autre qui s'élève, et tente tout pour le rabaisser. A quoi pourrait-on comparer cette maladie ? Il me semble voir un âne lourd et,surchargé d'embonpoint attelé au même timon qu'un agile coursier; l'âne ne veut passe lever, et il cherché, cet animal massif, à tirer l'autre en bas. L'envieux ne pense pas à s'affranchir de son profond sommeil, c'est un soin qu'il ne prend jamais; mais ii n'est rien qu'il ne fasse pour faire tomber, pour abattre celui qui prend son essor vers le ciel; l'envieux c'est le parfait imitateur du démon. Celui-ci, à la vue dé l'homme dans le paradis, n'a pas senti le zèle qui porte à se convertir, mais uniquement l'envie de faire chasser l'homme du paradis: et en le voyant ensuite établi dans le ciel, et les fidèles de la terre jaloux de parvenir là-haut, le démon poursuivant toujours le même dessein , ne cherche qu'à les faire tomber, entassant ainsi plus de charbons ardents sur sa tête. C'est là en effet ce qui arrive toujours : si l'homme à qui l'on porte envie, se tient sur ses gardes, il acquiert une gloire plus brillante ; l'envieux ne fait que rendre son mal plus affreux. C'est ainsi que Joseph a brillé d'une gloire si pure; c'est l'histoire du prêtre Aaron ; les intrigues et le déchaînement de (508) l'envie ont provoqué une fois, deux fois la même sentence de Dieu , et fait fleurir la verge. C'est ainsi que Jacob a joui de l'abondance, et de tous les autres biens. C'est ainsi que les envieux se sont jetés dans mille douleurs inextricables. Pénétrés de toutes ces vérités, fuyons la basse envie. Car pourquoi , répondez-moi, êtes-vous envieux? Parce que votre frère a reçu une grâce spirituelle? Et de qui l'a-t-il reçue ? Répondez-moi : N'est-ce pas de Dieu ? C'est donc à Dieu que s'adresse votre haine, puisque Dieu est l'auteur du présent. Voyez-vous jusqu'où glisse la passion rampante, quel édifice gigantesque de péchés elle élève, quel gouffre de châtiments et de vengeances elle creuse sous vos pieds? Fuyons donc cette odieuse passion, mes bien-aimés; loin de nous l'envie; prions pour les envieux, et faisons tout pour éteindre ce feu qui les mine. Mais gardons-nous du délire de ces malheureux qui, en cherchant à nuire au prochain, ne font qu'allumer contre eux-mêmes une flamme inextinguible. Ne les imitons pas, pleurons, gémissons sur eux. Ce sont eux qui sont blessés, au lieu de faire des blessures aux autres , ils portent dans leur coeur éternellement le ver rongeur, et ils amassent une source de poisons plus amers que toute espèce de fiel. Prions donc le Dieu de bonté, et de guérir ces malheureux , et de nous préserver à tout jamais de leur mal. Il n'y a pas de ciel pour celui que ronge cette lèpre , et en attendant le ciel , la vie présente n'est pas pour cet infortuné une vie. Il n'est pas de teigne, rongeant le bois ou la laine, qui se puisse comparer à ce feu dévorant de l'envie, qui consume les os des envieux et détruit toute la vigueur de l'âme. Voulons-nous nous affranchir, et les autres avec nous, d'incalculables malheurs , repoussons loin de nous cette fièvre détestable, cette corruption la plus funeste de toutes ; pénétrons-nous de la force de l'esprit,, nécessaire pour achever le combat présent, pour obtenir les couronnes à venir; puissions-nous tous les recevoir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui appartient , comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTE.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXII. OR VOUS ÊTES LE CORPS DE JÉSUS-CHRIST, ET MEMBRES D'UNE PARTIE. (CHAP. XII, VERS. 27, JUSQU'AU VERS. 4 DU CHAP. XIII.)
509

ANALYSE.

1. L'Esprit prophétique répandu plus abondamment dans les temps apostoliques que sous la loi ancienne.

2. Résumé des moyens employés par saint Paul pour consoler ceux qui se plaignaient d'être moins bien partagés que les autres dans la distribution des dons spirituels.

3 et 4. Excellence de la charité. — Que tout le reste est vain sans elle. — Que les dons du Saint-Esprit ne servent à rien sans une bonne vie.

5. Comment faut-il comprendre ces paroles de l'Apôtre : Quand même je donnerais tout mon bien aux pauvres, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien !

6-8. La charité est exempte de tout défaut. — Combien la terre serait heureuse si tous les hommes s'entr'aimaient. — Que toutes nos vertus déplaisent à Dieu sans la charité du prochain. — De la chasteté admirable de Joseph. — De la charité de saint Paul. — De l'amour prodigieux que Jésus-Christ a eu pour les hommes.

1. Afin qu'on ne pût pas dire : Pourquoi nous citer le corps pour exemple? Le corps est esclave de la nature, et nos bonnes actions dépendent de notre libre arbitre : il nous a donné cette comparaison comme règle de nos actes, et il s'en est servi pour montrer que l'union établie par la nature entre les membres d'un même corps doit être établie entre nous par la charité. Voilà pourquoi il dit : " Vous êtes le corps du Christ ". Si notre corps ne doit contenir aucun élément de discorde, il ne doit pas, à plus forte raison, y en avoir dans le corps du Christ, et cela est d'autant plus vrai que la grâce est plus puissante que la nature. " Et vous êtes membres d'une partie ". Non-seulement nous sommes tous ensemble le corps du Christ; mais nous sommes membres les uns des autres. Car c'est du corps et des membres du Christ qu'il a voulu parler plus haut, représentant l'humanité comme un ensemble et comme un vaste corps, composé d'une foule de membres , d'une foule de parties qui se rattachent toutes à ce grand corps et qui peuvent se multiplier à l'infini. Mais que signifie ce mot : " D'une partie ? " Il signifie, en ce qui vous concerne, que vous formez une partie du grand édifice. Dans son langage, le mot " corps " veut dire le corps tout entier. Il ne désigne pas l'Église de Corinthe, mais l'Église universelle. Voilà pourquoi il dit: " Vous êtes membres d'une partie ? " c'est-à-dire : Votre église est un des membres de l'Église universelle et de ce corps qui renferme toutes les églises du monde. Vous devez donc être unis non-seulement entre vous, tuais avec l'Église universelle, si vous voulez être justes, si vous êtes les membres d'un même corps. " Et Dieu a établi dans son Église, premièrement des apôtres, secondement des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite ceux qui ont le don des miracles, puis ceux qui ont la grâce de guérir les maladies, ceux qui ont le don d'assister leurs frères, ceux qui ont le don de gouverner, ceux qui ont le don des langues (28) ". Il fait ici ce que j'ai dit plus haut. Comme ceux qui avaient le don des langues étaient fiers de leur science, il met toujours cette science en dernière ligne. Chez lui, les rangs ne sont pas donnés au hasard ; chacun se trouve placé suivant sa valeur. Les apôtres viennent donc en première ligne , parce que toutes les grâces et tous les dons étaient leur privilège. Et il n'a pas dit (510) simplement: Dieu a établi dans son Eglise des prophètes, ou des apôtres; il a ajouté " premièrement, secondement, troisièmement " , pour mettre, comme je l'ai dit, chacun à sa place. " Secondement les prophètes ". Des prophètes, comme les filles de Philippe , comme Agabe, comme ces prophètes de Corinthe, auxquels il fait allusion en ces termes: " Que deux ou trois prophètes élèvent la voix ". (I Cor. XIV, 29.) Et, dans une épître à Timothée, il disait: " Ne néglige pas la grâce, le don de prophétie qui est en toi ". (I Tim. IV, 14.)

Il y avait bien plus de prophètes dans l'Eglise du Christ que sous l'ancienne loi. Ce n'était pas entre les mains de dix, de vingt, de cinquante, de cent privilégiés que le don de prophétie se trouvait concentré ; cette grâce se trouvait répandue sur une foule de têtes, et chaque Eglise comptait un grand nombre de prophètes. Quand le Christ dit : "La loi et les prophètes jusqu'à saint Jean " (Matth. II, 13), il parle des prophètes qui ont précédé sa venue. " Troisièmement les docteurs ". Le prophète est inspiré par l'Esprit-Saint. Le docteur suit souvent ses propres inspirations. C'est ce qui faisait dire à l'apôtre : " Les bons prêtres sont doublement honorables; surtout quand ils se servent, dans leurs travaux, de la parole et de la science ". (I Tim. V, 17.) Mais l'homme qui parle sous l'inspiration du Saint-Esprit, ne travaille pas. Aussi saint Paul a-t-il mis le docteur après le prophète. La parole du prophète. est un présent divin ; la parole du docteur est due au travail. de l'homme. La voix du docteur s'accorde avec celle des saintes Ecritures ; mais c'est sa propre science qui parle par sa bouche. Viennent ensuite " ceux qui opèrent des, miracles, ceux qui ont le don de guérir ". Voyez-vous la distinction qu'il établit ici; comme plus haut? C'est que le don des miracles est plus grand encore que le don de guérison. Celui qui peut faire des miracles châtie et guérit; celui qui a le don de guérir n'est qu'un médecin. Et voyez combien il a raison de mettre le don de prophétie avant le don des miracles et le don de guérison. Quand il disait plus haut : Les uns ont reçu du Saint-Esprit la parole de la sagesse; les autres la parole de la science ; il n'observait pas de hiérarchie, il ne distinguait pas. Mais ici, il assigne des rangs. Pourquoi donne-t-il le premier au don de prophétie? C'est que l'Ancien Testament fait de même. Quand Isaïe s'adressait aine Juifs pour leur démontrer la puissance de Dieu, et la bassesse des démons, en passant, il disait que la divinité se manifestait surtout par la prophétie. Le Christ, qui avait opéré tant de miracles, ne dédaigne pas cette manifestation de sa divinité, et souvent il termine ainsi ses discours : " Je vous ai dit ces choses, afin que, lorsqu'elles s'accompliront, vous croyiez en moi ". (Jean, XIII, 19.) C'est; donc à juste titre que te don e guérison ne vient qu'après le don de prophétie. Mais pourquoi cède-t-il aussi le pas à la science des docteurs? C'est que ce n'est pas la même chose d'annoncer la parole de Dieu, de semer la religion dans les âmes ou de faire des miracles; car les miracles mêmes s'opèrent en vue de la parole de Dieu.

2. Lors donc qu'on instruit par sa parole et , par son exemple, on est au-dessus de tous. Les docteurs, selon saint Paul, sont ceux dont la conduite, comme la parole, est un enseignement. Voilà aussi ce qui fait les apôtres. Quelques-uns de ces dons ont, dans l'origine, été le partage de quelques hommes indignes. Témoin ceux qui disaient: Seigneur, n'avons-nous pris prophétisé en votre nom? N'avons-nous pas fait des miracles? Mais il leur fut répondu: " Jamais je ne vous ai connus; loin d'ici, vous qui faites des oeuvres d'iniquité ". (Matth. VII, 22, 23.) Ce double enseignement de la parole et de l'exemple ne saurait être l'apanage du vice. S'il donne un rang si distingué aux prophètes, ne vous en étonnez pas. Il ne parle pas ici de ceux qui se bornent à prophétiser, mais des hommes dont les prophéties sont des enseignements dictés par l'intérêt public. C'est ce qui devient encore plus clair, quand il dit: " Ceux qui ont le don d'assister leurs frères, ceux qui ont le don de gouverner". Qu'est-ce que " l’assistance? " C'est la protection accordée à la faiblesse. Mais, dites-moi, c'est donc là une grâce divine? Oui, sans doute, c'est une grâce divine que le pouvoir de protéger, de dispenser les secours spirituels. D'ailleurs l'apôtre donne le nom de grâces à beaucoup de choses qui sont des actes de vertu. Il ne veut pas nous laisser tomber dans l'abattement; il veut nous montrer que toujours nous avons besoin de la main de Dieu. Par là il nous dispose à être reconnaissants envers lui, il enflamme notre coeur et élève nos sentiments. " Ceux qui ont le don des langues ". Voyez-vous la place qu'il accorde à ce don, et comme (511) il le met toujours en dernière ligne? Puis, comme cette hiérarchie aux échelons nombreux, blessait les susceptibilités de ceux qui étaient placés au bas, il s'adresse à eux avec véhémence, en leur prouvant par des arguments nombreux qu'ils ne sont pas fort au-dessous des autres. Quelques hommes s'étaient probablement récriés et avaient dit: Pourquoi n'avons-nous as tous été mis au rang des apôtres? Saint Paul les console plus haut. Il leur montre qu'il y a là une hiérarchie nécessaire, en se servant du corps, comme objet de comparaison. " Le corps, dit-il, n'est pas un seul " membre. — Si tous les membres étaient un seul membre, où serait le corps? " Tous les membres, ont leur utilité. " Les grâces manifestes du Saint-Esprit, dit-il, ont été données à chacun, pour l'utilité de tonte l'Eglise ".

En outre, c'est l'Esprit-:Saint qui est le dispensateur commun des grâces, et sa grâce est un don et non une dette : " Les grâces sont différentes, dit-il; mais la source est la même c'est l'Esprit-Saint ". C'est. toujours l'Esprit-Saint qui se manifeste; " chacun reçoit une manifestation du Saint-Esprit ". C'est la volonté de l'Esprit-Saint et de Dieu qui a présidé à la configuration des membres : " C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît. Dieu a placé dans le corps plusieurs. membres, et il les y a placés chacun comme il lui a plu ". En outre les membres subalternes ont aussi leur nécessité " Les membres qui paraissent les moins nobles, dit-il, sont nécessaires ". Ils sont même également nécessaires, parce que, comme les autres, ils contribuent à former l'édifice du corps : " Le corps n'est pas un seul membre; mais l'assemblage de plusieurs ". Les membres les plus nobles ont besoin des moins nobles. " La tête ne peut dire aux pieds : Je n'ai pas besoin de votre secours ". Les membres les moins nobles sont même les plus honorés: " Nous honorons davantage ceux qui ne sont pas en honneur ". Ils concourent tous également au même but : " Tous les membres concourent à produire le même effet, dans un intérêt mutuel ". Ils prennent tous leur part de douleur et de gloire. "Qu'un membre soit soutirant, tous souffrent avec lui; qu'un membre ait quelque avantage, avec lui tous s'en réjouissent ". Après les consolations, viennent les paroles de véhémence et de reproche. Car, je l'ai dit, elles doivent se succéder. Après avoir consolé ses auditeurs, il s'emporte contre eux avec véhémence et leur dit : " Tous sont-ils apôtres? Tous sont-ils prophètes? Tous ont-ils le don de guérir? " il ne s'arrête pas là, il va jusqu'au bout. Tantôt il dit : Tout le monde ne peut tout avoir. " Si tous les membres n'étaient qu'un seul membre, où serait le corps? " Tantôt il laisse tomber quelque autre parole consolante. Il démontrera, par exemple, que les moindres grâces sont dignes d'envie, comme les plus grandes, parce que ces grâces-là aussi ne sont pas accordées à tout le inonde. Pourquoi vous affliger de ce que vous n'avez pas le don de guérir? Songez que votre lot, tout humble qu'il est, est encore un privilége. " Tous ont-ils le don des langues? Tous ont-ils le don de les interpréter? " Les dons les plus précieux n'ont pas été accordés à tous par la main de Dieu ; Dieu n'a fait que les répartir entre ses différentes créatures, et pour les dons les moins précieux, il a agi de même. Il a eu pour but de faire régner entre nous la bonne harmonie et la charité: Il fallait que chacun eût besoin de son prochain, pour être forcé par là de s'unir à son frère. Les arts, les éléments, les plantes, nos membres , tous les êtres sont soumis au même système.

3. Il répand ensuite sur les coeurs abattus une consolation bien capable de les relever et de les apaiser. La voici : " Soyez jaloux ", dit-il, " d'acquérir les dons qui sont les meilleurs.

Et je vais vous montrer une voie plus excellente encore ". Il montre, en parlant ainsi , qu'il fait allusion à ceux qui sont moins bien partagés que les autres; et qu'il dépend d'eux d'être mieux partagés. En disant : " Soyez jaloux d'acquérir ", il demande à ses disciples du zèle et de l'ardeur pour les biens spirituels. Il ne parle pas des dons les plus grands. Il dit : " Les dons les meilleurs ", c'est-à-dire, les plus utiles. Il veut dire : Poursuivez sans cesse les dons spirituels, et je vous indiquerai la voie qui y conduit. Il n'a pas dit : " Tel ou tel don "; mais la voie qui conduit aux dons spirituels, afin de donner plus de valeur à ses promesses. Il veut dire par là : je ne me bornerai pas à vous indiquer deux ou trois de ces dons, mais la voie qui mène à tous les dons du Seigneur, la voie qui , pour dire plus encore, est ouverte à tout le monde. Il ne s'agit point ici de telles ou telles grâces accordées (512) aux uns, refusées aux autres. Il s'agit d'une grâce universelle. Il invite donc tout le monde à y prendre part; car il dit: " Montrez-vous jaloux d'acquérir les dons qui sont les meilleurs, et je vais vous montrer une voie plus excellente encore ". C'est de la charité envers le prochain qu'il veut parler. Puis, avant d'aborder ce qui concerne cette vertu et d'en faire un pompeux éloge, il lui compare les autres dons spirituels et il en fait bon marché, en montrant que sans la charité ils ne sont rien , et c'est ici que brille sa haute sagesse. Car s'il avait à l'instant même entamé le chapitre de la charité, si, après ces mots: "Je vais vous montrer la voie ", il eût ajouté : Cette voie c'est la charité ; s'il n'eût pas, au moyen d'une comparaison , développé son idée , ses paroles auraient fait rire des disciples encore peu faits à ce langage et tout surpris de sa nouveauté. Aussi ne dit-il pas tout de suite le mot de l'énigme. Mais après avoir, par son accent de conviction, éveillé ses auditeurs, après avoir dit: Je vais vous montrer une voie plus excellente encore, après avoir excité leur curiosité, il n'entre pas tout de suite en matière ; mais il enflamme encore la curiosité de ses disciples. Il commence par passer tous les dons spirituels en revue , -pour montrer qu'ils ne sont rien sans la charité. Il fait voir à ses auditeurs combien il leur est nécessaire de s'aimer mutuellement , puisque c'est pour avoir négligé la charité qu'ils se sont attiré tous leurs maux. C'est le moyen de mettre dans tout son jour l'importance de cette vertu.

Les autres dons spirituels, en effet, loin de les réconcilier entre eux et de les attacher les uns aux autres, n'ont fait que les désunir. Mais la charité a concilié et uni ceux que les dons spirituels avaient divisés. Toutefois il ne proclame pas tout de suite cette vérité; mais il va au-devant des désirs de ses auditeurs, en posant pour principe que cette vertu est par elle- même un don spirituel qui mène à tous les autres. Si donc vous ne voulez pas aimer votre frère par devoir , devenez charitable pour recevoir un témoignage plus grand que tous les autres de la bonté divine, et l'un de ses dons les plus magnifiques. Et voyez par où il commence. Il commence par le don qui excitait surtout l'admiration de son auditoire, par le don des langues, et, en parlant de ce don, il lui donne toute son étendue. Il ne dit pas : quand je parlerais des langues inconnues, mais : " Quand je parlerais les langues des hommes ". Qu'entend-il par ce mot " des hommes? " Il veut dire : De tous les hommes qui sont dans l'univers. Et cette hyperbole ne lui suffit pas encore. Mais il en ajoute une autre plus énergique que la première , quand il dit: " Lors même que je parlerais le langage des anges, sans la charité, je ne serais qu'un airain sonore, une cymbale retentissante ". Voyez comme il exalte ce don, pour le rabaisser ensuite jusqu'à terre. Il ne s'est pas contenté de dire : Je ne serais rien; il a dit : " Je ne serais qu'un airain sonore ", c'est-à-dire, un métal insensible et sans âme. Mais que signifie ce mot. " un airain sonore?" Cela veut dire qu'il ne proférerait que des paroles vaines, futiles et sans effet. Et non-seulement, dit-il, ma parole serait mutile; mais elle ennuierait et rebuterait bien des gens. Voyez-vous comme il assimile l'homme sans charité aux objets inanimés et insensibles. Maintenant, s'il parle du langage des anges, ce n'est pas qu'il veuille en faire des êtres matériels; niais il veut dire : Quand je parlerais aussi bien que les anges, quand ils s'entretiennent; je ne serais rien sans la charité. Que dis-je? je serais à charge à mes auditeurs.

Ainsi , quand il dit ailleurs : " Devant lui fléchiront le genou tous les habitants du ciel, de la terre et des enfers ", il n'a pas l'intention de représenter les anges avec des genoux et une charpente osseuse. Il veut exprimer, par les signes usités chez les hommes, une adoration grande et profonde. De même ici il appelle langue non pas un organe de chair, mais l'entretien des anges qu'il désigne par un mot appartenant au vocabulaire des hommes. Puis , afin de mieux faire goûter ses paroles, il ne s'arrête pas au don des langues; il continue, en énumérant les autres dons spi. rituels et les rabaissant tous, quand ils ne sont pas accompagnés de la charité, il fait enfin le portrait de cette vertu et, se servant de l'amplification oratoire , il s'élève des dons les moins précieux aux dons les plus importants. Le don qu'il a placé au dernier degré de l'échelle des grâces,. le don des langues, est celui par- lequel il commence, en arrivant, comme je l'ai dit, par une progression ascendante, aux dons les plus précieux. Après avoir parlé du don des langues, il passe au don de prophétie et dit : " Quand même j'aurais le don de prophétie ", en exaltant ce don.

513

Tout à l'heure il ne s'est pas contenté de dire: Quand je parlerais des langues inconnues; il a dit : Quand je parlerais toutes les langues des hommes. Il a été plus loin; il a dit: Quand je parlerais toutes les langues des anges, et il a démontré qu'un pareil donne serait rien sans la charité. C'est ainsi que maintenant il ne parle pas du don de prophétie simplement, mais de ce don dans toute son étendue. Après avoir dit : Quand j'aurais le don de prophétie, il ajoute: " Quand je con" naîtrais tous, les mystères, et que j'aurais une " science parfaite de toutes choses " , en insistant sur ce don avec emphase.

4. Passant aux, autres dons spirituels, pour ne pas tomber dans une fastidieuse énumération, il place avant tout, en l'élevant bien haut, la mère et la source de tous les dons spirituels. Il dit : " Quand j'aurais la foi ". Cette expression ne lui suffit pas. Il ajoute ce mot employé par le Christ pour marquer les plus grands effets de cette vertu. " Quand j'aurais une foi capable de transporter les montagnes, sans la charité, je ne serais rien ". Voyez comme il rabaisse encore le don des langues. Selon lui , la prophétie a le grand avantage de pénétrer les mystères et d'avoir la toute science; la foi opère avec force, puisqu'elle transporte les montagnes: mais, quand il parle du don des langues, il se borne à dire que c'est un don spirituel. Voyez aussi comme il a su résumer tous les dons en deux mots, " la prophétie " et " la foi ", car tous les signes miraculeux consistent soit en paroles soit en actions. Mais le Christ avait dit que c'était un des moindres effets de la foi de transporter les montagnes. Car c'est en ce sens qu'il a prononcé ces mots : " Avec une parcelle de foi aussi minime qu'un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Passe de ce côté, et elle y passera ". Comment donc se fait-il que Paul fasse consister dans ce miracle toute la puissance de la foi ? Que répondre à cela? Le voici. Saint Paul s'est servi de cet exemple, parce que c'est beaucoup, de transporter une montagne. Il n'a pas voulu renfermer dans cet acte toute la puissance de la foi ; mais il s'est servi de cette image pour développer son idée, pour frapper des hommes simples. Il veut en venir à l'expression de cette vérité : j'aurais beau avoir une foi capable de transporter les montagnes, je ne serais rien sans la charité. " Et quand j'aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, quand j'aurais livré mon corps pour être brûlé, si je n'avais point la charité, tout cela ne me servirait de rien (3) ". Voyez quelle hyperbole ! Voyez comme il développe ces pensées ! Il n'a pas dit : Quand je donnerais aux pauvres la moitié, les deux tiers, les trois quarts de mon bien; il a dit : Quand je donnerais tout mon bien, et il ajoute: " pour nourrir les pauvres ". A la générosité vient s'ajouter ici une tendre sollicitude. " Et quand je donnerais mon corps pour .être brûlé ". Il n'a pas dit simplement: Quand je mourrais, il emploie ici les figures les plus fortes. Il nous met devant les yeux la mort la plus terrible,, le supplice d'un homme brûlé vif, et cette mort ne serait rien, selon lui, sans la charité. Mais, pour montrer jusqu'où va ici l'hyperbole, je dois produire les témoignages du Christ relatifs à l'aumône et à la mort. Le Christ a dit : " Si vous voulez être parfait, vendez tons vos biens; donnez-en la valeur aux pauvres et suivez-moi ". (Matth. XIX, 21.) Puis il dit, à propos de la charité : " La plus grande charité c'est de donner sa vie pour ses amis ". (Jean, XV, 13.) C'est donc là, même aux yeux de Dieu, le plus grand de tous les sacrifices. Et je prétends moi, s'écrie saint Paul, qu'en subissant la mort pour Dieu, qu'en livrant son propre corps pour être brûlé, on ne retirerait pas grand fruit de ce sacrifice, si l'on n'aimait pas son prochain.

Quand on avance que les dons spirituels ne sont pas fort utiles sans la charité, on ne dit rien de bien étonnant; car, dans la vie, il y a des dons spirituels qui n'ont pas grande importance. Bien des hommes ont .prouvé qu'ils avaient reçu en partage certains dons spirituels et pourtant ils ont été punis, comme des méchants qu'ils étaient. Témoin ceux qui au nom du Christ prophétisaient, chassaient les démons, et faisaient force miracles, comme le traître Juda. Les fidèles, au contraire, qui ont mené une vie pure, ont par cela seul été sauvés. Que les dons spirituels, je le répète, ne puissent rien sans la charité, il n'y a donc rien là d'étonnant; mais qu'une vie vertueuse et pure ne puisse rien sans elle, voilà une assertion qui va bien loin et qui crée une grande difficulté. Le Christ, en effet, ne semble-t-il pas décerner les plus hautes récompenses à l'abandon des biens corporels et aux dangers du martyre? Ne dit-il pas au riche, je (514) le répète : " Si vous voulez être parfait, vendez "tout ce que vous avez, donnez-en le prix " aux pauvres et suivez-moi? " Ne dit-il pas à ses disciples, à propos du martyre : " Celui " qui perdra la vie pour moi la retrouvera.

Celui qui ne m'aura pas désavoué devant " les hommes, je ne le désavouerai pas moi devant mon père, qui est dans les cieux ". (Matth. XVI, 25, et X, 32.) Car c'est chose pénible et surnaturelle qu'un pareil dévouement : ils le savent bien, les hommes qui ont obtenu les palmes du martyre. La parole humaine n'est point à la hauteur d'un pareil sacrifice, d'un acte si admirable qui suppose une âme si généreuse.

.5. Et pourtant, nous dit saint Paul, sans la charité, ce merveilleux dévouement ne sert pas à grand'chose, quand même on y joindrait l'abandon de sa fortune. Pourquoi donc ce langage? J'essaierai de l'expliquer, après avoir cherché comment il se fait que l'homme qui distribue tout son bien pour nourrir les pauvres, puisse être cependant un homme sans charité. Car enfin, l'homme qui est prêt à livrer son corps au bûcher, malgré les dons spirituels qu'il peut avoir; peut encore ne pas aimer son prochain. Mais celui qui, non routent de donner ses biens, les distribue pour nourrir les pauvres, comment peut-il se faire qu'il manque dé charité ? Que répondre à cela? Que cette absence de charité chez un pareil Homme est une hypothèse gratuite. L'apôtre, en effet, emploie volontiers de semblables hypothèses, lorsqu'il a recours à l'hyperbole. Ainsi, il dira aux Galates : " Si nous-même, si quelque ange descendu du ciel vient vous annoncer autre chose que ce que je vous ai enseigné, qu'il soit anathème ". (Gal. I, 8.) C'est là une supposition impossible; mais, pour. montrer l'excellence de sa parole, il emploie une hypothèse qui ne pouvait jamais se réaliser. Dans son épître aux Romains, il dit encore : " Ni les anges, ni les dominations, ni les puissances, ne pourraient arracher de nos coeurs l'amour de Dieu". (Rom. VIII, 39.) Jamais les anges n'auraient essayé de rien faire de semblable; c'est donc encore ici une hypothèse impossible, comme ce qui suit : " Jamais nulle autre créature ne pourrait nous ôter cet amour " . Nulle autre créature? Il parle ici de toutes les créatures imaginables, créatures célestes et créatures terrestres. Mais ici encore, il suppose ce qui ne peut être, pour exprimer l'ardeur de son amour. C'est donc aussi ce qu'il fait, lorsqu'il dit: Quand on donnerait tout son bien, ce sacrifice serait inutile, si l'on n'avait pas la charité. Oui, voilà comment on peut expliquer ce passage. Peut-être aussi saint Paul veut-il dire que nous devons nous identifier de coeur avec ceux à qui nous donnons, que nous ne devons pas nous contenter de leur donner froidement, que nous devons les plaindre, venir à eux le coeur brisé, et pleurer avec les indigents.

Voilà pourquoi Dieu a fait une loi de l'aumône. Dieu n'avait pas besoin de nous pour nourrir les pauvres; mais il a voulu nous unir par la charité, nous enflammer d'un mutuel amour; voilà pourquoi il nous a ordonné de nourrir les pauvres. De là encore ces mots de l'apôtre : " Mieux vaut une bonne parole qu'un don : voilà une parole plus précieuse qu'un don ". (Eccli. XVIII, 16, 17.) Et le Maître dit lui-même: " C'est la miséricorde que je veux et non le sacrifice ". (Matth. IX, 13.) On aime d'ordinaire ceux à qui l'on fait du bien, et l'on s'attache à ses bienfaiteurs, et c'est pour resserrer les liens de l'affection que le Christ a établi cette loi. Mais voici à quoi se réduit la difficulté : d'après le Christ, l'aumône et le courage des martyrs sont deux vertus parfaites : d'après saint Paul, elles sont imparfaites sans la charité. Il n'est pas ici en contradiction avec le Christ, à Dieu ne plaise ! au contraire il est avec lui en parfaite harmonie. Le Christ, en s'adressant au riche, ne se contente pas de dire : Vendez vos biens et donnez-en le prix aux pauvres. Il ajoute : Venez ici et suivez-moi. Or pour suivre le Christ, pour se montrer son disciple, il n'y a rien de tel que la charité. " Le meilleur moyen de montrer à tout le monde que vous êtes mes disciples, c'est de vous aimer les uns les autres ", (Jean, XIII, 35.) Et quand il dit : " Celui qui aura perdu la vie pour moi, la retrouvera. Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père dans les cieux ", le Christ est loin de nier que la charité ne joue ici un rôle essentiel, il ne fait que montrer la récompense réservée à ces efforts de courage. D'ailleurs avec le martyre il exige la charité, et c'est ce qu'il a clairement fait entendre en ces termes : " Vous boirez mon calice et vous recevrez mon baptême " (Matth. XX, 23), c'est-à-dire, vous supporterez le martyre, vous serez tués pour moi. Pour ce (515) qui est "d'être assis à ma droite ou à ma gauche ", ce n'est pas qu'il y ait des places où l’on soit assis à sa droite ou à sa gauche, c'est une manière d'indiquer la préséance, l'honneur suprême. " Ce n'est pas à moi à vous le donner ", dit-il, " mais ce sera pour ceux à qui cela sera préparé ". Montrant ensuite à qui cet honneur est préparé, il appelle ses disciples : " Que celui qui voudra être le premier parmi vous , soit votre serviteur à tous " (Ib. V, 26), leçon d'humilité et de charité. C'est une haute charité qu'il demande. Aussi ajoute-t-il : " Le Fils de l'homme n'est pas venu pour se faire servir, mais pour servir les autres et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs " ; il montre par là qu'il faut aimer jusqu'à subir la mort pour ceux que l'on aime: car c'est la plus grande preuve d'amour qu'on puisse leur donner. Aussi dit-il à Pierre " Si vous m'aimez, paissez mes brebis ". (Jean, XIII, 19.) Voulez-vous comprendre la grandeur et la beauté de la charité, peignons-la par. des paroles, puisque nous ne voyons pas son image réelle. Représentons-nous tous les biens dont elle serait la source, si elle abondait en tous lieux. Alors plus de lois, plus de tribunaux, plus de supplices, plus riel de semblable. Si nous nous aimions tous les uns les autres, plus d'outrages; meurtres, luttes, guerres, dissensions, larcins, pillages, tous les fléaux disparaîtraient et le vice ne serait même pas connu de nom. Or les dons miraculeux; loin de produire un pareil effet, ne font qu'exalter la vanité et l'arrogance, si l'on n'y prend garde.

6. Il y a un côté admirable dans la charité. Toutes les autres qualités ne sont pas exemptes d'alliage : le détachement des biens est souvent une cause d'orgueil ; l'éloquence est accompagnée da désir de la gloire; l'humilité a quelquefois .d'elle-même. une conscience superbe. Mais la charité est exempte de toutes ces maladies ; elle ne s'élève jamais aux dépens de celui qu'elle aime. Ne me parlez pas de la charité s'attachant à un seul objet d'affection; regardez la. charité . qui s'étend à tous les hommes également, et c'est alors que vous en verrez la vertu. Ou plutôt, si vous voulez, supposez un seul être aimé et un seul être qui l’aime, qui l'aime, bien entendu., comme on doit aimer. Il trouvera le ciel, sur la terre; il goûtera partout les douceurs de la tranquillité, il se tressera des couronnes sans nombre. Un tel homme ne connaîtra ni l'envie, ni la colère, ni la jalousie, ni l'arrogance, ni la vaine gloire, ni la détestable concupiscence, ni l'amour insensé et ses poisons; il conservera la pureté de son âme. De même que personne ne cherche à se faire tort à soi-même, de même il ne fera pas tort à son prochain. Un tel homme marchera sur la terre, en compagnie de Gabriel. Eh bien! cet homme-là, c'est celui qui possède la charité. Quant à celui qui fait des miracles signales et qui possède la science parfaite, sans la charité, il aurait beau ressusciter les morts par milliers, il n'en tirera pas grand profit, s'il rompt avec l'humanité, s'il ne peut souffrir le contact de ses compagnons de chaîne. Aussi le Christ a-t-il dit que la meilleure preuve d'amour qu'on puisse lui donner, c'est d'aimer son prochain. " Si vous m'aimez plus que ces hommes, Pierre, paissez mes brebis ". Voyez-vous comme il fait encore entendre par ces paroles que la charité est supérieure au martyre ?

Supposez un père qui chérit son fils jusqu'à donner sa vie pour lui, et un ami attaché à ce. père, mais n'ayant pour le fils que de l'indifférence, le père irrité ne fera aucune attention à cet attachement dont il est l'objet et ne verra que le mépris auquel son fils est en butte. Ce qui a lieu ici, quand il s'agit d'un père et d'un fils, a lieu à plus forte raison quand il s'agit de Dieu et des hommes; car Dieu est le meilleur de tous les pères. Ainsi, après avoir dit : " Voici le premier et le plus grand de tous les commandements : Vous aimerez le Seigneur, votre Dieu ", Jésus a dit : " Voici le second ", et il a expressément ajouté, "qui est semblable au premier : Vous " aimerez votre prochain comme vous-même ". (Matth. XXII, 38, 39.) Et voyez avec quelle énergie il exige cet amour ! Il dit, en parlant de Dieu: Vous l'aimerez " de tout votre coeur " ; il dit en parlant du prochain : Vous l'aimerez " comme vous-même ". Ah ! si l'on observait bien ce commandement, il n'y aurait ni esclave ni- homme libre; ni prince ni sujet; ni riche ni pauvre ; ni petit ni grand ; le démon n'aurait jamais été connu : je ne dis pas celui que nous connaissons, mais tout autre, mais cent autres, mais des légions innombrables de démons se seraient trouvées sans puissance, en face de la charité. La paille résisterait au feu plutôt que le démon à la flamme de la charité. Oui, la charité est plus forte qu'un rempart, plus solide que le métal le plus dur. Imaginez (516) quelque chose de plus solide encore que tous les métaux, la charité restera toujours la plus forte. Ni les richesses ni la pauvreté n'en triomphent, ou plutôt, avec la charité, il n'y aurait ni pauvreté, ni richesse excessive, il n'y aurait que les avantages dont la richesse et la pauvreté sont les sources. A la richesse nous demanderions l'abondance, à la pauvreté une existence libre de soucis, et les inquiétudes compagnes de la richesse et la crainte de la pauvreté ne feraient plus notre tourment.

Que dire des avantages de la charité? Quelle vertu ! Quelle joie elle procure ! De quelles douceurs elle nous inonde ! Les autres vertus entraînent toujours quelque mal avec elle ; le jeûne, la tempérance, les veilles entraînent l'envie, la concupiscence, te mépris. La charité au contraire aux avantages qu'elle procure joint des plaisirs délicieux et sans mélange. Comme une abeille laborieuse, elle va de toutes parts recueillir son miel , pour le déposer dans l'âme de celui qui aime. Pour l'esclave, elle rend la servitude plus douce que la liberté. Celui qui aime, aimé mieux obéir que de commander, quoique le commandement ait ses douceurs. Mais la charité change la nature. Elle vient à nous, les mains pleines. Quelle mère est plus caressante ? Quelle reine est plus riche ? Tous les travaux sont par elle légers et faciles. Elle sème de fleurs le chemin de la vertu et d'épines celui du vice. Et remarquez bien ceci. Nous trouvons qu'il est dur de se priver de son bien. Avec elle, nous trouvons que cela est doux. Accepter le bien d'autrui nous semble agréable, avec elle ce n'est plus là un bonheur pour nous, c'est un écueil à fuir. La médisance si douce pour tout le monde devient par elle quelque chose d'amer, tandis que nous trouvons de la douceur à dire du bien des autres; quoi de plus doux,que de louer celui qu'on aime? La colère a sa volupté que la charité lui fait perdre, en extirpant ce vice dans sa racine. L'objet aimé a beau faire, celui qui aime ne se montre jamais irrité. Loin de témoigner la moindre aigreur, il n'a pour celui qu'il aime que des larmes , dès exhortations , des prières. Le voit-il en faute, Il pleure, il est triste, mais cette tristesse a ses charmes; car les larmes et la tristesse de la charité ont plus de suavité que le rire et la joie.

Ceux qui rient ne sont pas aussi heureux que ceux qui pleurent sur leurs amis. Si vous ne me croyez pas, arrêtez leurs larmes et c sera leur causer la plus terrible souffrance. Mais l'amour, dites-vous , ne donne que des plaisirs insensés. Ah ! ne tenez pas un pareil langage; car il n'y a rien d'aussi pur que la véritable charité.

7. Ne me parlez pas de cet amour vulgaire et trivial qui est plutôt une maladie que de la charité et de l'amour. Parlez-moi de cet amour que demande l'apôtre, d'un amour qui cherche les intérêts de l'objet aimé, et vous verrez qu'un pareil amour surpasse celui d'un père. Les avares fuient la dépense, préfèrent la détresse à la douleur de voir diminuer leur trésor. Ainsi l'homme qui aime bien, préférera mille souffrances à la douleur de voir souffrir celui qu'il aime. Comment donc, direz-vous, cette Egyptienne, qui aimait Joseph, a-t-elle voulu l'outrager? C'est qu'elle l'aimait d'un amour satanique. L'amour de Joseph ne ressemblait pas à celui-là ; c'était celui que demandait saint Paul. Considérez les paroles que dictait à Joseph la charité et le langage de cette femme : Outrage-moi , disait-elle, et fais de moi une adultère; rends-toi coupable envers mon mari , bouleverse toute la maison, perds la grâce de Dieu. Et ces paroles prouvaient qu'elle n'aimait pas Joseph, qu'elle ne s'aimait pas elle-même. Mais lui, qui aimait sincèrement, rejeta toutes ces propositions. Et ce qui prouve l'intérêt qu'il lui portait, ce sont les conseils qu'il lui donne. Non content de la repousser, il emploie une exhortation capable d'éteindre sa flamme criminelle: " Mon maître, dit-il, se repose sur moi ; il ne sait pas même ce qu'il a dans sa maison ". (Gen. XXXIX, 8.) II lui rappelle aussitôt son mari, pour lui faire honte. Il ne dit pas : votre mari, mais " mon maître ", pour mieux la retenir, pour la faire réfléchir. Elle est la maîtresse et c'est son esclave qu'elle aime ! Car s'il est mon maître lui, vous êtes ma maîtresse. Rougissez de parler ainsi à votre esclave, songez à celui dont vous êtes la femme, à celui auquel vous voulez vous unir, à celui que vous payez d'ingratitude. Voyez; j'ai pour lui plus d'affection que vous. A cette femme sans délicatesse et sans pudeur, à cette femme incapable d'un sentiment élevé , il parle le langage des souvenances humaines, pour la faire rougir: " Mon maître se repose entièrement sur moi " c'est-à-dire, il me comble de bienfaits; je ne puis donc blesser mon maître dans ce qu'il a (517) de plus cher. Il m'a mis à la tête de sa maison et je viens après lui. " Il ne s'est réservé que vous ". Par ces paroles, il fait remonter cette femme au rang dont elle veut descendre, pour la rappeler à la pudeur et lui montrer la place honorable qu'elle remplit. Il ne s'arrête pas là : Vous êtes sa femme, lui dit-il, comment donc pourrais-je faire une aussi mauvaise action ? Vous me dites : Mon mari n'est pas là, il ignorera l'outrage; mais cet outrage aura Dieu pour témoin. Loin de profiter de ces conseils, elle cherchait à l'attirer. C'était une démence furieuse, ce n'était pas son amour pour Joseph qui la faisait agir, et la suite l'a bien prouvé. Elle prend son mari pour juge , elle dresse son accusation , elle a recours au faux témoignage ; elle fait de son mari une bête féroce auquel elle livre un innocent. Elle fait jeter Joseph en prison. Que dis-je ? Elle fait tout ce qu'elle peut pour causer sa mort , tant elle exalte la fureur de son juge !

Eh bien, Joseph use-t-il de représailles? Non il ne se défend pas, il n'accuse pas cette femme. Mais, direz-vous, on n'aurait pas voulu le croire. Pourtant, il était fort aimé de son, maître, cela est évident, et il en fut toujours aimé. Car, si ce mari furieux ne l'avait pas beaucoup aimé, il l'aurait tué, quand il gardait le silence, quand il ne se défendait pas. C'était un prince égyptien blessé dans son honneur, il le croyait du moins, et cela par un de ses serviteurs, oui, par un de ses serviteurs qu'il avait comblé de bienfaits. Mais toutes ces considérations cédèrent à l'amour et à la sympathie que Dieu mit dans le cœur du maître. Outre cette sympathie et cet amour, Joseph avait pour lui des preuves sérieuses , s'il avait voulu se défendre ; et ces preuves, c'étaient ses vêtements restés entre les mains de cette femme. Si elle avait été en butte à quelque violence , au lieu de montrer les vêtements de Joseph , elle aurait dû montrer sa tunique lacérée, son visage déchiré. " Mais ", dit-elle, " c'est parce qu'il m'a entendue crier, qu'il s'est enfui, en laissant ses vêtements entre mes mains ". (Gen. XXXIX, 15.) Pourquoi donc le dépouiller de ses vêtements ? Que pouviez-vous demander, vous qui étiez exposée à sa violence? D'être délivrée de l'auteur d'un pareil attentat. Mais ce n'est pas seulement sa conduite en cette occasion, c'est le reste de sa vie qui a mis à nu son coeur bienveillant et charitable. Réduit à exposer les motifs de sa longue incarcération , au lieu d'exposer les faits dans toute leur réalité, il se contente de dire : " Je n'ai rien fait; mon malheur est d'avoir été arraché à la terre des Hébreux ". (Gen. LX, 15.) Il se tait sur la femme adultère. Il ne se glorifie pas de son innocence , comme tout autre aurait pu le faire à sa place , dans une circonstance où le récit de ce qui s'était passé n'était pas une affaire de vanité, mais un moyen de repousser les suppositions que pouvait faire naître cet emprisonnement. Si les pécheurs eux-mêmes, en pareille matière, ne s'abstiennent pas d'accuser, quelque déshonorante que soit l'accusation, comment ne pas trouver admirable cet homme qui est resté pur et qui , malgré cela, ne parle point de l'amour de cette femme, ne révèle point sa faute, cet homme qui, monté sur le trône d'Egypte, ne se souvient plus de l'outrage et ne punit point la coupable?

8. Voyez comme il la ménageait, et pourtant cette femme n'aimait pas, mais elle était en démence. Elle n'avait pas de l'amour poux Joseph ; elle voulait satisfaire son caprice. Qu'on pèse bien ses paroles , elles respirent toutes la fureur et le meurtre. Que dit-elle à son mari ? " Vous avez amené ici un esclave hébreu, pour qu'il nous insultât ". (Gen. XXX, 17.) Elle reproche à son mari le bien qu'il a fait : elle lui montre les vêtements de Joseph, cette femme plus cruelle qu'une bête féroce. Ah ! Joseph n'agit pas ainsi. Que dire de sa douceur, lorsqu'à l'égard de ses frères qui avaient failli le tuer, il se montre tel qu'il avait été toujours, ne laissant échapper sur leur compte, ni en particulier, ni en public, aucune parole amère ou fâcheuse. Voilà pourquoi saint Paul appelle la charité la mère de toutes les vertus; voilà pourquoi il la met au-dessus de tous les signes et de tous les dons spirituels. L'or répandu sur les vêtements et sur les chaussures n'est pas, à lui seul, une marque suffisante de la royauté; mais quand nous apercevons la pourpre et le diadème , nous n'en demandons pas davantage, pour la reconnaître. Il en est de même ici. Le diadème de la charité montre suffisamment le disciple du Christ non-seulement à. nous chrétiens, mais encore aux infidèles. " Vous vous ferez reconnaître à tous pour mes disciples , si vous vous aimez les uns les autres ". (Jean, XIII, 35.) Ce signe-là est donc au-dessus de tous les autres, puisque c'est le signalement du disciple de Jésus-Christ. Que d'autres (518) produisent des miracles en foule, s'ils sont divisés entre eux, ils seront 1a risée des infidèles. Qu'ils n'aient aucun miracle à montrer et qu'ils aient les uns, pour les autres une ardente charité, ils seront pour tout le monde un objet de respect, ils seront toujours invincibles.

Si nous admirons saint Paul, ce n'est point à cause des morts qu'il a ressuscités, ce n'est point à cause des lépreux qu'il. a guéris; c'est parce qu'il a dit : " Quel est l'infirme dont je ne partage pas les infirmités ? Quel est l'homme qui est scandalisé, sans que je ne brûle?." (II Cor. XI, 29.) Un millier de signes miraculeux ne valent pas ces simples paroles. Ne disait-il pas lui-même qu'une grande récompense lui avait été réservée ; non pour avoir fait des miracles, mais pour s'être fait infirme avec les infirmes.? Et quelle est cette récompense, poursuit-il? " C'est de prêcher gratuitement l'Evangile ". (I .Cor. IX, 18.) Et quand il se préfère aux apôtres, il ne dit pas : J'ai fait plus de miracles qu'eux, mais " J’ai plus travaillé qu'eux ". (I Cor. XV, 10.) Il allait jusqu'à vouloir mourir de faim, pour sauver ses disciples: " Mieux vaut pour moi mourir ", dit-il, " que de souffrir qu'on me fasse perdre cette gloire ". (I Cor. IX, 15.) Ce n'était pas pour se glorifier qu'il parlait ainsi, c'était pour ne pas avoir l'air de leur faire des reproches. Jamais, en effet; il ne se glorifie de ses bonnes oeuvres, si la circonstance ne l'y porte ; mais alors même qu'il est contraint à le faire, il se donne le nom d'insensé.

Si parfois il se glorifie, c'est des infirmités, des outrages qu'il a dû subir, c'est de sa commisération pour ceux qui souffrent. Témoin ces paroles : " Qui donc est malade, sans que je sois malade avec lui ? " Ces paroles-là en disent plus que les périls affrontés; aussi c'est par elles qu'il finit, pour donner plus de force à son discours. Comment donc ne pas reconnaître notre indignité , si nous nous comparons à lui, nous qui ne savons ni mépriser les richesses, quand il s'agit de notre intérêt véritable, ni donner notre superflu? Ah! saint Paul n'agissait pas ainsi; il se donnait corps et âme, pour que ceux qui le lapidaient, qui le souffletaient, pussent obtenir le royaume des cieux. C'est le Christ, disait-il, qui m'a appris à aimer ainsi, en léguant aux hommes, dans ses commandements, un nouveau système de charité et, en joignant l'exemple au précepte. Le roi de l'univers, jouissante de la béatitude suprême, ne s'est pas détourné de ces hommes tirés par lui du néant, combles par lui de bienfaits, qui l’abreuvaient d'outrages et qui le conspuaient. C'est pour eux qu'il s'est fait homme, qu'il a conversé avec des courtisanes et des publicains, qu'il a guéri des, démoniaques et qu'il leur a promis le ciel. Pour prix de tous ces bienfaits, les hommes l'ont saisi; l'ont souffleté, l'ont garrotté, l'ont flagellé, l'ont bafoué et ont fini par le crucifier. N'importe : il ne s'en est pas détourné encore, mais, jusque sur la croix , il a dit " Mon Père, pardonnez-leur ". (Luc, XXIII, 34.) Le larron qui venait de l'accuser, il lui a ouvert les portes du paradis. Paul, son persécuteur, i! en a fait un apôtre; ses propres disciples, ses disciples fidèles, il les a livrés à la mort, en les sacrifiant aux Juifs qui l'avaient crucifié. Recueillons en notre âme ces exemples donnés par un Dieu, ces exemples donnés par les hommes et tâchons d'imiter ces. illustres modèles. Tâchons d'acquérir, cette charité supérieure à tous les dons spirituels, pour être heureux en cette vie et dans l'autre. Puisse ce bonheur devenir notre partage, par la grâce et le bienfait de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l'honneur, aujourd'hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXIII. LA CHARITÉ EST PATIENTE; ELLE EST BIENFAISANTE ; ELLE N'EST POINT ENVIEUSE; ELLE N'AGIT POINT A LA LÉGÈRE ; ELLE NE S'ENFLE POINT D'ORGUEIL. (CHAP. XIII, JUSQU'Au VERS. 8.)
ANALYSE.

1-4. Explication littérale du fameux texte de saint Paul sur la charité.

5-7. Des effets admirables de la charité. — Combien les saints de l'ancienne Loi, par exemple David et Jacob; excellaient dans cette vertu.

1. Après avoir déclaré que la foi, la science, le don de prophétie, le don des langues, le don d'assistance, le don de guérison ne servent pas à grand'chose sans la charité, il nous la dépeint dans toute sa beauté et dans toute sa pureté. 11 répand sur ce portrait les charmes, c'est-à-dire, les couleurs et les traits de la vertu ; il a soin d'établir entre toutes les parties de cette image une parfaite harmonie. Gardez-vous de n'accorder aux paroles de l'apôtre que peu d'attention, pesez-les au contraire avec soin , l'une. après l'autre ; c'est le moyen d'apprécier ce trésor et l'habileté du peintre. Voyez par où il commence et quelle est la qualité qu'il regarde comme la source de tout bien. Cette qualité , c'est la patience. Voilà la base de toute philosophie ! C'est pourquoi un sage disait : " L'homme patient fait preuve d'une haute sagesse; l'homme impatient n'est qu'un grand fou ". (Prov. XIV, 29.) Et comparant la patience à une place forte, il déclare que la comparaison est tout à l'avantage de cette qualité. Cette qualité est une armure impénétrable, une tour à l'épreuve de tous les assauts. Comme l'étincelle qui tombe sur l'abîme et qui, sans endommager l'abîme, s'éteint d'elle-même , chaque trait imprévu qui tombe sur une âme patiente, s'émousse aussitôt , sans troubler le repos de cette âme. Quoi de plus fort que la patience ! Les armées, les richesses, la cavalerie, les remparts, les armures, tout est faible auprès de la patience. Avec tout cet appareil guerrier, un conquérant , vaincu souvent par sa fureur, se voit renversé comme un faible enfant, en semant -sur ses pas le trouble et la tempête. Mais l'homme patient est comme dans un port, où il goûte un calme profond. Le dommage que vous lui causerez ne pourra émouvoir ce roc; vos outragés ne pourront ébranler cette tour; vos coups s'amortiront sur ce, métal indomptable. La patience s'appelle aussi longanimité, parce que l'homme patient a une âtre d'une vaste étendue, c'est-à-dire une grande âme; car " longueur et grandeur " sont des ternies synonymes. Mais cette qualité vient de la charité et rapporte de grands avantages à ceux qui la possèdent et qui en jouissent.

Ne me parlez pas ici de certaines âmes dont on peut désespérer, de ces hommes qui faisant le mal impunément, se plongent encore plus avant dans le mal. Cette corruption n'est pas l'effet de la patience du sage, mais de la perversité des méchants qui en abusent. Parlez-moi, non de ces hommes pervers, mais de ces âmes plus douces, à qui la patience du sage rapporte un grand profit: quand ces hommes font le mal et qu'on ne le leur rend pas, ils admirent la douceur de l'homme patient, ils y puisent un grand enseignement philosophique. Mais l'apôtre ne s'arrête pas là, et détaillant les autres perfections de 1a charité, il ajoute : " La charité est bienfaisante ". Il y a des hommes en effet pour lesquels la patience n'est pas, la (520) voie de la sagesse, mais un acheminement laborieux vers la vengeance. La charité , dit l'apôtre, ne tombe pas dans ce vice. Voilà pourquoi il ajoute : " La charité est bienfaisante ". Ce n'est point pour attiser la flamme de la colère dans les âmes irritées, qu'elle se montre douce et généreuse, c'est pour apaiser et éteindre cette flamme. Ce n'est pas seulement par une généreuse patience, c'est par ses soins et ses exhortations qu'elle soulage et qu'elle soigne la plaie des coeurs ulcérés par la colère. " Elle n'est pas envieuse ". On pourrait être patient et envieux, et l'envie gâte tout.. Mais la charité évite encore cet écueil. Elle n'agit point légèrement... Cela veut dire : elle n'agit point avec précipitation. L'homme qui la possède est sage et grave ; il marche paisiblement dans la vie. La précipitation est le propre des penchants honteux ; mais la charité n'est point asservie à de pareils tyrans. La paix du coeur est incompatible avec la précipitation et les excès. La charité qui veille sur notre âme comme un bon agriculteur sur un champ, ne donne pas à de pareilles épines le temps de germer. " La charité n'est point gonflée d'orgueil ". Que de gens se glorifient, sous nos yeux, de n'être ni jaloux, ni méchants, ni pusillanimes, ni agressifs ! De pareils défauts en effet ne sont pas l'apanage exclusif de la richesse et de la pauvreté ; ils se rencontrent aussi dans les âmes bien nées ; mais la charité a soin de les extirper tous. Et ici faites bien attention : la patience n'est pas tout à fait la bienfaisance et la générosité. Oc la patience, sans la générosité, est un défaut; elle peut amener la rancune. Mais, grâce à la générosité qui sert d'antidote à ce poison, la charité se conserve pure. La générosité dégénère parfois en faiblesse ; mais la charité est là pour l'en empêcher. " La charité , dit l'apôtre , n'est ni inconsidérée ni orgueilleuse ". La générosité et la patience n'excluent pas non plus l'arrogance; mais la charité nous corrige aussi de cette imperfection.

2. Et voyez : l'apôtre fait servir à l'ornement de cette vertu non-seulement les qualités qu'elle a, mais encore les défauts qu'elle n'a pas. Elle nous mène au bien, dit-il, et elle extirpe le mal. Que dis-je? elle ne laisse pas aux mauvais germes la faculté de naître. L'apôtre n'a pas dit, en effet : La charité est jalouse, mais elle étouffe la jalousie. Elle est arrogante, mais c'est un défaut dont elle se corrige. Il a dit : " La charité n'est ni jalouse, ni inconsidérée, ni gonflée d'orgueil ". Et ce qu'il y a de plus admirable, c'est qu'elle fait le bien sans effort; c'est qu'elle dresse des trophées, sans faire la guerre, sans verser de sang. Ce n'est point au prix de mille sueurs qu'elle donne la couronne à ses adeptes; elle leur donne le prix du combat, sans les condamner aux fatigues. En effet, là où la raison ne rencontre pas la passion pour adversaire, elle n'a pas la peine de lutter : " Elle ne croit pas qu'on puisse la flétrir ". Pourquoi dire, ajoute l'apôtre, que la charité n'est point gonflée d'orgueil ? Elle est si éloignée d'un pareil défaut, qu'elle ne regarde pas comme un déshonneur tout ce qu'elle a souffert pour l'objet aimé. L'apôtre n'a pas dit : La charité qui s'honore elle-même par sa patience, supporte généreusement le déshonneur; il a dit qu'elle ne se sent pas même blessée. Car si les hommes cupides, pour étancher la soif du gain qui les dévore, bravent tous 1es affronts, non-seulement sans honte, ruais avec orgueil, à plus forte raison l'homme qui possède la charité, cette vertu si louable; ne reculera devant aucun affront et ne rougira pas de sa patience. Mais, pour puiser nos exemples â des sources pures, examinons la charité dans le Christ, et nous pourrons apprécier les paroles de l'apôtre. Notre-Seigneur Jésus-Christ était conspué et souffleté par de misérables esclaves; et non-seulement il ne voyait pas là de déshonneur, mais ces affronts étaient poux lui autant de triomphes dont il se glorifiait. Quand il introduisait avec lui dans le paradis un voleur et un assassin, quand il adressait la parole à une courtisane au milieu d'un cercle d'accusateurs, il ne voyait pas là un déshonneur. Il permettait, au contraire, à la courtisane de lui baiser les pieds, d'arroser son corps de ses larmes et de lui faire un voile de ses cheveux; et c'était au milieu de ses ennemis, sur le théâtre de leur haine qu'il donnait un pareil exemple. La charité, en effet, se croit à l'abri de l'humiliation.

Voyez ce père qui tient le premier rang parmi les philosophes et les orateurs. Il ne rougit pas de bégayer avec ses enfants, et ceux qui sont témoins de cet acte de condescendance, loin de blâmer le père, rendent hommage à sa conduite et la citent pour modèle. Les enfants retombent-ils dans les mêmes fautes, le père est toujours là pour (524) les corriger, pour avoir soin d'eux, pour réprimer leurs écarts, et il ne rougit pas de sa minutieuse sollicitude. La charité, en effet, est au-dessus de l'humiliation ; elle a comme des ailes d'or, pour cacher tous les défauts de l'objet aimé. C'est ainsi que Jonathas aimait David. Quand son père lui disait : " Fruit des " amours de quelque fille complaisante, jeune " efféminé " (I Rois, XX, 30), il ne rougissait pas, et c'étaient 'là pourtant des paroles bien insultantes. C'était lui dire : Fils de quelque femme folle de son corps qui provoque les passants, être sans force et sans courage qui n'a rien de viril, c'est pour ta honte et pour celle de ta mère que tu vis. Eh bien ! Jonathas s'est-il irrité de ces insultes? A-t-il été cacher sa honte? S'est-il éloigné de son ami? Et pourtant c'était un fils de roi que Jonathas, et David n'était qu'un vagabond. Malgré cela, il n'a pas rougi de son ami; car la charité n'a jamais lieu de rougir. Ce qu'il y a d'admirable en elle, c'est qu'elle ôte à l'affront tout ce qu'il a de poignant, pour faire trouver, dans ses morsures, une sorte de douceur : aussi Jonathas outragé s'éloigna-t-il de David en l'embrassant, comme s'il venait de recevoir la couronne. C'est que la charité ne connaît pas d'affront. Que dis-je? Elle trouve de la douceur dans les outrages qui font rougir les autres. Ce qu'il y a de honteux, en effet, c'est de ne pas savoir aimer, c'est de ne pas savoir tout braver et tout souffrir pour l'objet aimé. Quand je dis tout, je ne veux pas dire qu'il faille prêter à un ami un coupable ministère. Il ne faut pas s'employer pour lui auprès d'une femme qu'il aime, il ne faut pas lui accorder quelque honteuse demande. Ce ne serait pas là de l'amitié, et c'est ce que je vous ai démontré plus haut, à propos de la femme égyptienne. Celui-là seul sait aimer qui comprend les véritables intérêts de son ami. Celui qui n'a pas un but honorable aura beau protester de son attachement pour vous; il sera toujours votre plus grand ennemi. Ainsi Rébecca qui était fort attachée à son fils, commit une fraude, sans rougir ni sans craindre d'être surprise, en s'exposant à un péril assez grand. Et , comme une contestation s'était élevée entre le fils qui résistait et la mère, elle lui dit : " Que ta malédiction soit sur moi, mon fils ". (Gen. XXVII, 13.)

3. Et voyez-vous l'âme apostolique de cette femme? De même que saint Paul (pour comparer les petites choses aux grandes) consentait à être anathème pour les Juifs, ainsi cette femme, pour que son fils fût bien, consentait à être maudite. Elle lui cédait tout le fruit de cette bénédiction; car elle ne devait pas le partager avec lui. Elle était préparée à tous les malheurs. Et pourtant elle se réjouissait, elle pressait son fils et, malgré l'imminence et la grandeur du péril, elle était impatiente de tout retard. Elle craignait que la soudaine arrivée d'Èsaü ne fît échouer sa ruse. Aussi comme sa parole est concise ! Comme elle presse le jeune homme ! Elle se laisse d'abord contredire, puis elle lui donne une raison qui doit suffire pour le décider. Elle ne lui dit pas Tes objections sont vaines et tes craintes sans motif, puisque ton père est vieux et aveugle. Elle lui dit : Que ta malédiction soit sur moi, mon fils ! Profite seulement du moyen que je t'offre et ne laisse pas échapper le trésor que te livre l'absence de ton frère. Et Jacob lui-même ne fut-il point, durant sept années, un mercenaire aux gages dé son parent ? Cette condition servile et la substitution qu'il fut obligé d'admettre n'en faisaient-elles pas un objet de risée?

Eh bien ! se montra-t-il sensible au ridicule? Se crut-il déshonoré, pour avoir, lui homme libre né de parents libres, lui qui avait reçu une éducation libérale, souffert de la part de ses parents les traitements qu'on inflige aux esclaves, traitements d'autant plus durs que les outrages de nos proches sont les plus poignants de tous? Non ; Jacob ne se crut point déshonoré. Il était soutenu par sa tendresse pour sa race. La charité abrégeait pour lui le temps de ces longues épreuves. " Il lui semblait qu'il n'avait que quelques jours à souffrir " (Gen. XXIX, 30), tant il s'en fallait que son esclavage fût pour lui un tourment et une honte ! Saint Paul avait donc raison de dire : " La charité n'a point à rougir de ses actes; elle ne cherche pas son avantage, elle ne s'irrite pas ". Après avoir dit qu'elle n'a point à rougir de ses actes, l'apôtre nous dit pourquoi : " C'est qu'elle ne cherche point son avantage ". L'objet aimé est tout pour elle, et c'est lorsqu'elle ne peut l'arracher aux suites d'une action honteuse qu'elle croit avoir à rougir. Son déshonneur, s'il pouvait servir à l'objet aimé, ne serait point un déshonneur pour elle; car votre ami c'est vous. Quand l'amitié existe-t-elle en effet ? C'est lorsque (522) celui qui aime et celui qui est aimé ne forment plus deux êtres distincts et font une seule et même personne.

Or, cette assimilation est un effet de la charité. Ne cherchez donc pas votre intérêt, si vous voulez trouver votre intérêt. Car celui qui cherche son intérêt ne le trouve pas. Voilà pourquoi saint Paul a dit: "Qu'on ne cherche pas son intérêt, mais celui du prochain ". (I Cor. X, 24.) Votre intérêt, en effet, s'identifie avec celui du prochain, et celui du prochain avec le nôtre. Si votre or est enfoui dans la maison du voisin et que vous refusiez d'aller l'y chercher et l'y déterrer, vous ne le trouverez jamais. Il en est de même de votre intérêt. Si vous ne le cherchez pas dans l'intérêt de votre prochain, renoncez à cette couronne promise à la charité. Dieu, en effet, a tout arrangé de manière à ce que nous soyons liés les uns aux autres. Vous voulez éveiller un enfant dormeur et l'engager à suivre son frère ; s'il ne veut pas le suivre de bonne volonté, vous mettez entre les mains du frère quelque objet désirable pour l'enfant, pour que l'envie d'avoir cet objet l'engage à suivre celui qui en est possesseur, et votre moyen réussit. Ainsi Dieu a mis l'intérêt de chacun entre les mains de son prochain, afin que nous accourions les uns vers les autres et que nous ne soyons pas divisés.

Voyez plutôt ce qui se passe pour nous autres qui conversons ensemble. Mon intérêt est entre vos mains et votre avantage entre les miennes. Votre intérêt exige que vous connaissiez ce qui est agréable à Dieu. Or c'est à moi qu'a été confié le soin de vous donner l'enseignement qui vous en instruira; vous êtes donc forcés de venir à moi. Quant à moi, c'est mon avantage de vous rendre meilleurs , car pour cela je serai largement payé. Or ce résultat dépend de vous. Me voilà donc forcé de courir après vous pour vous rendre meilleurs et pour obtenir de vous ce résultat avantageux pour moi. Voilà pourquoi saint Paul disait : " Où est mon espoir ? n'est-il pas en vous ? " Et dans un autre passage : " Vous êtes mon espérance,.ma joie, ma couronne de gloire ". Les disciples de saint Paul faisaient donc sa joie. Aussi pleurait-il quand il les voyait périr. D'un autre côté leurs intérêts reposaient entre les mains de saint Paul. Aussi l'apôtre disait-il : " C'est pour l'espoir d'Israël que ces chaînes m'entourent " (Act. XXVIII, 20); et ailleurs : " Je souffre pour mes élus, afin qu'ils obtiennent la vie éternelle ". (II Tim. II, 10.) De pareils dévouements se voient dans la vie: " Car, " dit l'apôtre, " l'épouse, pas plus que l'époux, ne peut disposer de sa personne. Ils appartiennent l'un à l’autre ". (I Cor. VII, 4.) Nous agissons ainsi envers ceux que nous voulons lier. Nous ne laissons à nul d'entre eux la disposition de lui-même, mais nous étendons la chaîne de l'un à l'autre. Voyez ce qui se passe dans l'ordre judiciaire : le juge ne rend pas la justice dans son intérêt; il consulte les intérêts de son prochain. Ses inférieurs cherchent, par leurs hommages, par leurs services de toute manière, à servir les intérêts de leur chef. Les soldats prennent les armes dans notre intérêt, c'est pour nous qu'ils affrontent les dangers. Et nous, c'est pour eux que nous bravons les fatigues ; car c'est nous qui les nourrissons.

4. Ne m'objectez pas que ces hommes, en agissant ainsi , cherchent leur intérêt. Je vous répondrai que, s'ils le cherchent, ils le trouvent dans celui du prochain. Le soldat ne trouverait personne pour le nourrir, s'il ne faisait pas la guerre pour ceux qui le nourrissent; ceux-ci rie trouveraient personne pour les défendre , s'ils ne nourrissaient pas leurs défenseurs. Voyez-vous jusqu'où s'étend la charité et comme elle préside à tout? Mais ne vous lassez point de compter tous les anneaux de cette chaîne d'or. Après avoir dit : La charité ne cherche pas son intérêt, l'apôtre énumère les avantages qui résultent de cette manière d'être. Quels sont-ils? " C'est qu'elle ne s'irrite pas; c'est qu'elle ne pense pas à faire le mal ". Vous voyez que la charité, loin de supporter la tyrannie du vice, ne lui laisse pas seulement mettre le pied chez elle. Il ne dit pas: Elle s'irrite, mais elle surmonte sa colère; il dit: Elle ne s'irrite pas. Il ne dit pas: La charité ne fait pas le mal; il dit: La charité ne pense pas à faire le mal. Loin de se préparer à faire du mal à celui qu'on aime, on n'y songe même pas. Comment donc ferait-elle le mal, comment s'irriterait-elle , cette vertu qui bannit jusqu'à l'idée du mal, et c'est là surtout que se trouve la source de la charité. ".Elle n'applaudit pas à l'iniquité ". C'est-à-dire : elle ne se complaît pas dans la souffrance du prochain. Bien loin de là, " elle aime la justice ". (Rom. XII , 15.) Elle applaudit au bonheur des autres (523) et, comme dit saint Paul: " Elle se réjouit avec ceux qui sont dans la joie; elle pleure avec ceux qui pleurent ". Chez elle par conséquent point de jalousie, point d'orgueil elle fait son bonheur de celui des autres. Voyez-vous comme peu à peu la charité élève ses adeptes au niveau des anges? Exempt de colère, pur de toute jalousie, libre du joug des vices, soustrait aux faiblesses de la nature humaine, 'homme parvient, par la charité, à revêtir là nature impassible des anges. Mais saint Paul ne s'arrête pas là. Que lui reste-t-il donc à dire de plus? Car ses dernières paroles sont toujours les plus fortes. Il nous dit : " La charité supporte tout ". Sa patience, sa douceur l'endurcit contre les outrages , contre les coups, contre la mort, contre tous les mauvais traitements. Voyez le bienheureux David. Y a-t-il une douleur plus grande que celle d'un père qui voit son fils se révolter contre lui, attenter à sa couronne et être altéré du. sang paternel? Eh bien ! voilà ce que le bienheureux David a souffert. Il n'a pas eu le courage délaisser échapper une seule parole amère contre ce fils parricide ; à tous les capitaines qu'il avait chargés de la conduite de cette guerre il recommandait d'épargner son fils, tant sa charité reposait sur des bases solides ! Aussi il supporte tout et montre par là sa constance. Quant à sa bonté, elle éclate dans les paroles, qui suivent. "Il espère tout ", dit-il, " il croit tout, il supporte tout ". Que veulent dire ces mots : il espère tout? Il ne désespère pas, dit-il, du coeur de son fils; quelque vicieux que soit ce fils, il persiste à vouloir le corriger, il l'entoure de sa sollicitude et de ses soins. " Il croit tout ". Il ne se contente pas d'espérer, dit-il, il a confiance dans celui qu'il aime tant : bien que sa conduite ne réponde pas à son espoir, bien qu'il lui cause toujours de nouveaux chagrins, il les supporte encore. Car " il supporte tout ", dit-il. " La charité ne finira jamais". Il met ici la dernière main à son ouvrage. Il nous montre ce que le don de la charité a de plus rare. Que signifie ce mot? " Elle ne finira jamais ". Elle ne meurt pas, elle ne s'use point par la patience : elle est toujours aimante. Celui qui aime en effet ne peut jamais haïr, quelle que soit la conduite que l'on tienne envers lui et c'est là le plus grand fruit de la charité.

Tel se montre saint Paul. " Je voudrais ", dit-il , " exciter une sainte jalousie dans l'âme de ces hommes qui me sont unis selon la chair" (Rom. II, 14) , et il a persisté dans cet espoir. Et il exhortait Timothée en ces termes : Un serviteur de Dieu ne doit pas lutter; il doit être doux envers tout le monde, il doit instruire , en conservant le ton de la modération, ceux qui résistent à la vérité, pour voir si Dieu leur en donnera connaissance. (II Tim. II, 24, 25.) Eh quoi , direz-vous, si ce sont nos ennemis , si ce sont des gentils, ne faut-il pas les haïr? Ce qu'il faut haïr, ce ne sont pas les gentils, c'est leur erreur; ce n'est pas l'homme,: c'est le mal qu'il fait, c'est sa corruption. L'homme en effet est l'oeuvre de Dieu; l'erreur est celle du démon. Ne confondez pas ce qui est à Dieu, et ce qui est au démon. Les Juifs n'étaient-ils pas des blasphémateurs, des persécuteurs insolents qui se répandaient en injures contre le Christ? Saint Paul; qui aimait tant le Christ, les détestait-il pour cela? Non assurément; il les aimait au contraire et faisait tout pour eux. Tantôt il dit : " Je sens dans mon coeur une grande affection pour le salut d'Israël et je le demande à Dieu dans mes " prières " (Rom. XI, 1); tantôt il s'écrie " J'aurais voulu devenir moi-même anathème à l'égard du Christ pour les sauver ". (Rom. IX, 3.) C'est ainsi que parlait Ezéchiel témoin du massacre des Juifs : " Hélas, Seigneur, veux-tu détruire les débris d'Israël?" (Ezéch. IX, 8.) C'est ainsi que parlait Moïse . " Si tu leur pardonnes, épargne-les ". (Exod. XXXII, 31.) Et David que dit-il? " Ceux qui te haïssent, Seigneur, je les haïssais, et la haine qui m'enflammait contre tes ennemis me consumait: c'était du fond du coeur que je les détestais ". (Ps. CXXXVIII, 21, 22.) Mais David, dans ses Psaumes, ne parle pas toujours pour lui. Ne dit-il pas aussi : " J'ai planté ma tente parmi les tentes de Cédar, et auprès des fleuves de Babylone nous nous sommes assis et nous avons pleuré ? " (Ps. CXIX, 5, et CXXXVI,1). Pourtant David n'a jamais vu ni Babylone , ni Cédar. Aujourd'hui du reste Dieu réclame de nous une sagesse encore plus haute que sous l'ancienne loi. Aussi, quand les disciples du Christ lui demandaient de faire descendre le feu du ciel , comme du temps d'Elie, il leur répondait : " Vous ignorez l'esprit de la loi nouvelle à laquelle vous appartenez " . (Luc, IX, 55.)

5. Autrefois en effet ce n'était pas l'impiété toute seule , c'était les impies eux-mêmes que Dieu nous disait de haïr, pour que (524) l'amitié des impies ne fût pas pour nous une occasion de commettre aussi l'iniquité. Aussi Dieu défendait-il de s'unir à eux par le sang, de se mêler à eux, et de tous côtés il élevait des remparts entre eux et son peuple. Aujourd'hui qu'il a guidé nos pas vers une philosophie plus élevée, aujourd'hui qu'il nous a placés trop haut pour que la contagion de l'impiété puisse nous atteindre, il nous fait une loi d'accueillir les infidèles et de les consoler. Il n'y a là rien à perdre pour nous; il y a tout à gagner pour eux.

Que nous dit-il donc? D'avoir pitié des infidèles, au lieu de les haïr. Si vous les haïssez, comment ramènerez-vous aisément ces âmes égarées? Comment vous déciderez-vous à prier pour un infidèle? Sur la nécessité de la prière, écoutez saint Paul : " Je vous en conjure , adressez surtout à Dieu des supplications, des prières, des demandes, des actions de grâces, pour le salut de tous les hommes". (I Tim. II, 1, 2.) Or à cette époque, " tous les hommes " n'étaient pas au nombre des fidèles : c'est évident. Et il dit encore : " Priez pour les rois, pour les hommes constitués en dignité ". Or ces rois, ces personnages étaient des impies et des hommes injustes c'est encore une vérité manifeste. Et pourquoi faut-il prier pour eux? Il nous l'explique, lorsqu'il ajoute: " Ces prières sont une bonne oeuvre, une oeuvre bien vue de notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils parviennent tous à la connaissance de la vérité ". (Ib. 3, 4.) C'est pourquoi s'il trouve une femme païenne unie à un mari fidèle, il ne rompt pas ce mariage. Où trouver, pour une femme, un lien plus étroit que celui qui l'unit à son époux? " Ils ne feront tous deux qu'une seule chair ". (Gen. II, 24.) Il y a là pour unit les âmes et pour y allumer un fervent amour quelque chose de bien puissant. Ah ! si les impies et les hommes injustes deviennent l'objet de notre haine, nous irons plus loin nous haïrons aussi les pécheurs, et notre haine gagnant toujours de proche en proche, nous fera rompre avec un grand nombre de nos frères, que dis-je? avec tous nos frères; car personne, non, personne n'est exempt de péché. S'il faut haïr les ennemis de Dieu, il nous faudra haïr non-seulement les impies, mais encore les pécheurs et alors nous serons pires que des bêtes féroces; nous aurons de l'aversion pour tout le monde et nous serons gonfles d'orgueil comme le pharisien. Ce n'est pas là ce que veut saint Paul.

Comment dit-il? " Reprenez ceux qui sont déréglés , consolez ceux qui ont l'esprit abattu, soutenez les faibles ; soyez patients envers tous ". (I Thess. V, 14.) Mais, me direz-vous, qu'entend-il donc par ces paroles " Si quelqu'un n'obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre " , notez-le et " n'ayez joint de commerce avec lui ". (II Thess. III, 14.) Oui, il parle ici de nos frères. Mais ces paroles n'ont rien d'absolu, rien de rigoureux. Il ne faut pas retrancher les mots qui suivent; il faut au contraire les ajouter ici : Après avoir dit : " N'ayez point de commerce avec lui ", ne joint-il pas à cette recommandation cet adoucissement? " Ne le considérez pas néanmoins comme votre ennemi; mais avertissez-le comme votre frère ". (Ibid. V, 15.)

Voyez-vous comme il nous recommande de haïr le mal et non l'homme ? Car c'est l'oeuvre du démon de nous détacher les uns des autres; il met tous ses soins à faire disparaître la charité du milieu des hommes afin de nous couper toute voie d'amendement, afin d'entretenir l'un dans son erreur, l'autre dans sa haine et de lui fermer ainsi le chemin du salut.

En effet, quand le médecin hait le malade et le fuit, et que le malade déteste le médecin, comment guérira-t-il, s'il n'appelle point le médecin, et si le médecin ne vient point le voir? Pourquoi donc, je le demande, le détester et le fuir? Est-ce parce qu'il est impie? mais c'est pour cela même qu'il faut aller le trouver et le soigner, afin de rappeler le malade à la santé. Que s'il souffre d'un mal incurable, vous devez encore faire ce qui est en votre pouvoir, car Judas aussi souffrait d'un mal incurable, et cependant Dieu n'a point cessé de le soigner. C'est pourquoi ne vous découragez point; car, lors même que malgré tout votre zèle, vous ne l'arracheriez point à l'impiété , vous recevriez la récompense, comme si vous l'aviez fait, et vous feriez que lui-même admirerait votre douceur : et ainsi la gloire en reviendrait tout entière à Dieu vous auriez beau faire des miracles, ressusciter des morts, ou faire n'importe quoi, jamais les gentils ne vous admireront autant que quand ils vous verront doux, bienveillant, (525) et d'un caractère clément. Ce n'est point là un petit effort de vertu, c'est par là que beaucoup seront enfin arrachés au mal. Car rien ne saurait attirer comme la charité : les prodiges et les miracles vous feront envier, mais la charité vous fera admirer et aimer; or, si l'on vous aime, on fera un pas de plus et l'on embrassera la vérité. S'il s'en trouve qui ne deviennent point fidèles d'un coup, ne vous en étonnez pas, ne les pressez point, ne cherchez pas tout à la fois ; laissez-les d'abord vous louer, vous aimer, et c'est ainsi qu'avançant toujours ils finiront parvenir à vous. ,Et, pour que vous sachiez clairement combien cela est important, écoutez comment Paul, se présentant devant un juge païen, se justifie; car il dit : " Je m'estime heureux de me justifier à ton tribunal ". (Act. XXVI, 2.) II disait ainsi, non pour le flatter, loin de là, mais pour le gagner par la douceur. Et il le gagna en partie, et il s'empara du juge, celui que jusqu'alors on croyait être sous le poids d'une accusation, et celui-là même qui fut captivé proclamait à haute voix la victoire de l'apôtre devant tous les assistants : " Peu s'en faut que tu ne me persuades de me faire chrétien ". (Actes, XXVI, 28.)

6. Que répond Paul ? Il étend ses filets, et il dit. " Je souhaiterais que non-seulement toi, mais que tous les assistants fussent ce que je suis, en exceptant ces liens ". (Ib. 29.) Que dis-tu, Paul? " En exceptant ces liens? " Et quelle confiance peut-on avoir en toi pour tout le reste, si tu rougis de ces liens, si tu les rejettes, et cela devant une si grande foule? Est-ce que dans tes épîtres tu ne t'en glorifies point partout? Est-ce que tu ne t'appelles pas l'enchaîné ? Est-ce que tu ne te présentes pas entouré de ces liens comme d'un diadème? Pourquoi donc souhaiter maintenant qu'ils te soient ôtés? Je ne le souhaite point, dit-il, et je n'en rougis point, mais je condescends à la faiblesse de ces hommes, car ils ne peuvent pas encore atteindre à ma gloire. J'ai appris de mon Seigneur qu'il ne faut point insérer une pièce d'étoffe neuve dans une vieille étoffe (Matth. IX, 16) ; c'est pourquoi j'ai parlé ainsi. Notre croyance n'est pas en bonne odeur auprès d'eux, et la croix leur est odieuse. Si donc j'y ajoutais encore ces liens, leur haine n'en serait que plus grande. C'est pourquoi je les ai supprimés, afin que la croyance fût acceptée. En effet, il leur paraît honteux d'être chargés de liens, parce qu'ils n'ont pas encore goûté la gloire qui est chez nous. Il faut donc des tempéraments.

Quand ils auront appris la vraie sagesse, ils connaîtront aussi la beauté des fers, et la splendeur qui naît des liens. Et, en effet, discourant avec d'autres, il appelle ces liens une grâce, disant qu'ils " nous ont été donnés par Dieu, non-seulement pour que nous croyions en lui, mais encore pour que nous souffrions pour lui " (Philipp, I, 29); mais alors il fallait seulement souhaiter qu'entendant parler de la croix, ils n'éprouvassent point de honte. C'est ainsi que saint Paul gagne du terrain. Si l'on introduisait quelqu'un dans un palais, on ne le forcerait point, avant de lui avoir montré le vestibule, d'admirer ce qui est à l'intérieur, et même rien ne lui paraîtrait admirable, s'il n'était instruit de tout, avant d'avoir pénétré dans l'intérieur. De même faut-il discourir à l'égard des gentils avec des tempéraments, avec charité : c'est là la grande maîtresse , celle qui nous peut soustraire à l'erreur, adoucir nos moeurs, aplanir la voie de la sagesse, et avec des pierres faire des hommes.

Et si vous voulez connaître toute vertu, amenez-moi un homme timide qui craigne le moindre bruit et qui ait peur d'une ombre ; qu'il soit colère, intraitable, plutôt bête qu'homme, lubrique et débauché, atteint de tous les vices; livrez-le aux mains de la charité, et introduisez-le en ce gymnase, et vous verrez aussitôt cet homme timide et craintif devenir fort, magnanime, et capable de tout oser. Ce qu'il y a de merveilleux, c'est que ces changements ne sont point naturels, mais dans cette âme timide, c'est la charité qui déploie sa puissance; c'est comme si une épée de plomb, sans devenir de fer, et tout en conservant sa nature de plomb, pouvait produire les mêmes effets que le fer. Faites-y bien attention : Jacob était un homme simple, sédentaire, exempt de travaux et de dangers, menant une vie tranquille et libre, comme une vierge qui ne sort pas de la chambre; ainsi, demeurant chez lui, il était forcé le plus souvent de garder la maison, loin du tumulte et du tracas de la place publique, au sein d'un tranquille repos. Et cependant, quand il fut embrasé des feux de l'amour, voyez, comme cet homme simple et sédentaire est devenu fort et laborieux, et ce n'est point moi, c'est (526) le patriarche lui-même qui vous l'apprend. Car, accusant son beau-père, il dit : " J'ai passé vingt ans avec toi ". (Gen. XXXI, 38, 40.) Et comment avez-vous. passé ces vingt ans? C'est ce qu'il nous apprend encore lui-même :. " Brûlé par la chaleur du jour et le froid de la nuit, et le sommeil s'éloignait de mes paupières ". Voilà ce que, disait cet homme simple, sédentaire, et qui menait une vie si paisible. Qu'il fût timide, c'est ce qui n'est point démenti par ceci, que, quand il s'attendait à voir Esaü, il mourait de crainte. Mais voyez comme l'amour a rendu cet. homme timide plus hardi qu'un lion. Comme un guerrier placé au premier rang, il était prêt à soutenir le choc de cet ennemi qu'il croyait si farouche et avide de carnage, et à faire de son corps un rempart pour ses femmes, et le premier il désirait voir, sur le champ de bataille, celui qu'il craignait et qu'il redoutait. L'amour de ses femmes l'emportait en lui sur la crainte. Voyez-vous comment, quoique timide, il devient tout à coup hardi, non par un changement de caractère, mais par la force que donne l'amour? Car, qu'il fût timide même dans la suite, c'est ce qui est démontré, par ceci, qu'il changeait sans cesse de demeure.

Il ne faut point croire que ces paroles soient une accusation contre le juste. Ce n'est pas, en effet, un crime d'être timide, cela est naturel; c'en est un seulement, quand la crainte nous fait transgresser nos devoirs. Un homme naturellement timide peut devenir par piété fort et magnanime. Voyez Moïse : ne s'est-il pas sauvé par la crainte d'un , seul Egyptien, pour s'en aller dans l'exil? Cependant ce fugitif, qui n'avait point supporté les menaces d'un seul homme, après avoir goûté le miel de la charité, par un beau mouvement et sans que personne l'y forçât, était prêt à mourir avec ceux qu'il aimait. ". Si tu leur remets ", dit-il, " leurs péchés, remets-les ; sinon, efface-moi aussi du livre que tu as écrit" . (Exod. XXXII, 31.) Que l'amour donne la douceur à l’homme farouche, et la chasteté au débauché, c'est ce qu'il n'est point besoin de prouver par des exemples : cela est clair pour tous : fût-on plus cruel que toute bête fauve, l'amour vous rend plus doux qu'un agneau. Car qu'y avait-il de plus cruel et de plus furieux que Saül? mais quand sa fille délivra son ennemi, il ne prononça pas même une parole amère contre elle, et celui qui avait tué tous les prêtres à cause de David, quand il vit que sa fille l'avait fait évader de sa maison, ne trouva pas même contre elle une parole d'indignation, quoiqu'elle se fût rendue coupable de fraude envers lui ; il était retenu par le frein plus puissant de l'amour. De même que la douceur, la charité donne la continence : si quelqu'un aime sa femme comme il faut l'aimer, quoiqu'il soit naturellement débauché, il n'en verra point d'autre, contenu qu'il est par l'amour de sa femme; car il dit : " L'amour est puissant comme la mort ". (Cant. VIII, 6.) Ainsi, on n'est débauché que parce qu'on n'aime point. Puis donc que la charité est ouvrière de toute vertu; il faut la faire entrer dans nos âmes avec le plus grand soin, afin qu'elle nous apporte de nombreux biens, et pour cueillir à jamais ses fruits abondants, toujours certains, et qui ne se corrompent point. C'est ainsi que nous obtiendrons les biens éternels : puissions-nous les acquérir par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance et l'honneur, aujourd'hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXIV. OU LES PROPHÉTIES SERONT RENDUES INUTILES, OU LES LANGUES CESSERONT, OU LA SCIENCE SERA ABOLIE. (CHAP. XIII, VERS. 8.)
ANALYSE.

1. La charité supprime tous les maux.

2. La connaissance que nous avons de Dieu en cette vie ne peut être qu'une connaissance imparfaite.

3. Eloge de la charité.

4-7. Avec quelle ardeur il faut embrasser la charité. — Combien Dieu a fait de choses pour unir les hommes entre eux. — Des mariages. — Pourquoi bien les a défendus entre parents. — Comparaison de deux villes, l'une toute de riches, l'autre toute de pauvres. — Du respect pour l'Ecriture. — N'y rien ajouter, n'en rien retrancher. — D'où viennent les richesses et la pauvreté. — Dieu attend les mauvais riches à pénitence.

1. Après avoir montré l'excellence- de la charité, en ce que les grâces et les succès du monde ont besoin d'elle, après avoir énuméré toutes ses vertus, et montré qu'elle est le fondement de la philosophie parfaite, il montre dans un nouveau et troisième point quelle' est sa valeur. Et il le fait pour persuader à ceux qui sont humbles qu'ils ont le principal des biens, et que s'ils ont la charité, ils ne possèdent pas moins et possèdent même plus que ceux qui sont combles de faveurs; et aussi pour rabaisser ceux qui, combles de ces faveurs, en seraient enorgueillis, et pour leur montrer qu'ils n'ont rien s'ils n'ont la charité. Les hommes s'aimeront entre eux quand l'envie et l'orgueil seront supprimés parmi eux, et d'un autre côté, s'ils s'aiment les uns les autres, ils écarteront loin d'eux ces vices. Car " la charité n'est sujette ni à l'envie ni à l'orgueil ". Ainsi il a entouré les hommes comme d'un mur solide, et de cette concorde générale qui supprime tous les maux, et n'en devient que plus ferme, il leur a présenté toutes les raisons qui peuvent relever leur courage. C'est un même esprit qui donne, dit-il, et il donne en vue de l'utilité ; il distribue ses dons comme il lui plaît, et il les distribue à titre de faveurs et non de dettes. Quelqu'un eût-il reçu de moindres dons, il compte cependant parmi les élus, et jouira de grands honneurs; celui qui en a reçu de plus grands, a besoin de celui qui en a moins, et c'est la charité qui est le premier des dons et la voie la meilleure.

C'est ainsi que parlait l'apôtre, unissant les hommes entre eux par un double lien ; par la croyance qu'ils ne sont pas moins bien partagés, quand ils ont la charité, et que, s'ils s'empressent vers elle et la possèdent, ils ne souffriront plus aucun des maux de l'humanité, soit parce qu'ils ont la source de tous les biens, soit parce que tout en n'ayant rien, ils ne sont plus sujets à aucune lutte : car celui qui a été captivé par la charité, est tout aussitôt exempt de luttes. Aussi montrant tous les biens que l'on recueille de la charité, il a décrit ses fruits, dont le. seul éloge est capable de guérir les maux des hommes. En effet, chacune de ces paroles est un remède suffisant pour guérir leurs blessures. C'est pourquoi il disait : "Elle est patiente ", contre ceux qui s'emportent aux disputés; "elle est exempte d'envie ", contre les hommes qui portent envie à ceux qui sont au-dessus d'eux; " elle n'est pas arrogante ", contre ceux qui ne veulent condescendre à rien ; " elle ne cherche point son intérêt ", contre ceux qui méprisent l'intérêt des autres; " elle ne s'excite point, elle ne médite point le mal ", contre ceux qui se portent aux outrages ; " elle ne se plaît point (528) à l'injustice, et elle se plaît à la vérité ", encore contre les envieux; " elle défend tous les hommes ", contre ceux qui dressent des embûches; " elle espère tout ", contre ceux qui se désespèrent; " elle supporte tout et ne perd jamais patience ", contre ceux qui se livrent facilement à la discorde.

Après avoir ainsi montré la grandeur de la charité et sa supériorité, il en fait voir l'excellence sous un autre point de vue; il compare la charité à d'autres objets pour exalter sa valeur, et il dit: " Ou les prophéties seront rendues inutiles,ou les langues cesseront".En effet, si elles n'ont été accordées aux hommes qu'à cause de la foi, dès que celle-ci sera répandue par toute la terre, elles seront inutiles. Mais cette affection mutuelle ne cessera point, elle s'accroîtra au contraire, et sera plus forte encore dans l'avenir que dans le présent. Car aujourd'hui. il y a bien des causes qui affaiblissent et diminuent la charité, les richesses, les affaires, les maladies du corps et les souffrances de l'âme. Mais que les prophéties et les langues cessent, cela n'est pas étonnant; que la science elle-même soit abolie, voilà qui soulève des questions, car il ajouté : " Ou la science sera abolie ". Quoi donc? Nous vivrons alors dans l'ignorance ? A Dieu ne plaise ! Car la science alors devra être augmentée, et c'est pourquoi l'apôtre disait : " Alors je connaîtrai comme je suis connu ". (I Cor. XIII, 12.) C'est pourquoi, afin de ne pas laisser croire que la science cessera, de même que les prophéties et les langues, après avoir dit: " Ou la science sera abolie ", il ne s'en contente point, mais il ajoute la manière dont elle sera détruite, disant.: " Nos connaissances sont partielles, et nos prophéties sont partielles. Mais quand sera venu ce qui est parfait, alors sera inutile ce qui est partiel ". La science donc ne sera point abolie, mais seulement la science partielle : non-seulement nous aurons autant et d'aussi grandes connaissances, nous en aurons de plus grandes encore. C'est ce qu'un exemple montrera bien, nous savons aujourd'hui que Dieu est partout, mais comment? Nous l'ignorons : Nous savons qu'il a tout tiré du néant, mais la manière, nous l'ignorons ; qu'il est né d'une Vierge, mais comment, nous l'ignorons également. Il montre ensuite combien grande est la différence entre ces deux sciences, et que ce qui nous manque n'est pas peu, disant : " Quand j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; quand je suis devenu homme, j'ai rejeté ce qui était de l'enfant ". Il nous le montre encore par un autre exemple, disant : " Nous voyons maintenant à travers un miroir (12) ".

2. Après avoir montré ce miroir, il ajoute " Dans une énigme ", prouvant plus clairement encore que notre science présente ne consiste qu'en de faibles parties. " Mais alors face à face ", non pas que Dieu ait une face; c'est pour exprimer sa pensée d'une manière plus claire et plus intelligible. Voyez-vous comme notre connaissance s'accroît par degrés? " Maintenant je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu". Voyez-vous comme il rabaisse doublement leur orgueil , et en ce due leur science n'est que partielle, et en ce qu'ils ne l'ont point tirée d'eux-mêmes? Ce n'est pas moi en effet, dit saint Paul, qui connais Dieu, c'est Dieu' qui s'est fait connaître à moi. De même donc qu'aujourd'hui il me connaît d'abord, et vient vers moi, ainsi alors j'irai vers lui avec un empressement bien plus vif qu'aujourd'hui. En effet, celui qui demeure dans les ténèbres ne peut pas, avant d'avoir vu le soleil, s'empresser vers la beauté de ses rayons, c'est le soleil qui de lui-même et par son éclat se, montre à lui, mais quand il a perçu cette splendeur, il poursuit la lumière. Voilà ce que veut dire cette expression : " Comme je suis connu " ; non pas que nous connaîtrons Dieu comme il nous connaît, mais de même qu'aujourd'hui il vient vers nous, ainsi alors nous irons vers lui, et nous connaîtrons bien des mystères aujourd'hui cachés, et nous jouirons de cette science et de ce commerce bienheureux. Si, en effet, Paul qui savait tant de choses n'était qu'un enfant, réfléchissez à ce que sera cette science nouvelle, si l'ancienne n'était qu'un miroir et une énigme, pensez à ce que sera Dieu vu face à face. Pour vous faire sentir cette différence, et faire entrer dans votre âme un rayon obscur de cette connaissance, rappelez-vous les prescriptions de . l'ancienne loi , maintenant que la grâce a brillé. Avant la grâce, elles paraissaient grandes et merveilleuses ; écoutez pourtant ce que Paul en dit après la grâce : " Ce qui a brillé en cette partie n'a pas été glorifié à cause d'une gloire supérieure ". ( II Cor. III, 10.)

529

Pour rendre ma pensée plus claire, appliquons notre discours à une de ces prescriptions qu'on accomplissait alors sous la forme mystique, et vous verrez quelle est la différence. Prenons la Pâque, si vous- voulez, et l'ancienne et la nouvelle, et vous reconnaîtrez l'excellence de celle-ci. Les Juifs célébraient l'ancienne, mais ils la célébraient comme. s'ils la voyaient à travers un miroir et une énigme. Ces mystères cachés ne se présentaient pas même à leur pensée, et ils ne savaient point quelles étaient ces choses qu'ils annonçaient, mais ils ne voyaient qu'un agneau immolé, et le sang d'une bête, et les portes qui en étaient arrosées. Mais que le Fils de Dieu incarné dût être immolé et délivrer la terre, et donner son sang à goûter aux Grecs et aux barbares, ouvrir le ciel à tous, et offrir au genre humain les biens d'en haut, qu'il dût porter cette chair sanglante au-delà des cieux et des armées des anges, des archanges et des autres puissances, et la placer sur un trône divin à la droite du Père, brillant d'une gloire ineffable: voilà ce que ne savaient point les Juifs, ni aucun autre parmi les hommes, et ce qu’ils ne pouvaient point soupçonner. Mais que disent les impies, qui osent tout? que cette parole : " Maintenant je connais en partie ", s'applique à la Providence, car saint Paul avait la cou naissance parfaite de Dieu. Et comment se fait-il qu'il se donne le nom d'enfant? Comment voit-il à. travers un miroir, comment à travers le voile d'une énigme, s'il possède la science parfaite? Pourquoi est-ce qu'il attribue cette science au Saint-Esprit, à l'exclusion de toute autre puissance créée, disant : " Qui est-ce qui connaît les pensées de l'homme, sinon l'esprit qui est en lui ? Ainsi personne ne connaît ce qui se rapporte à Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu ". (I Cor. II, 11). Et d'un autre côté, le Christ déclare que cette science est à lui tout seul, car il parle ainsi " Personne n'a vu le Père ", si ce n'est celui qui " vient du Père ; celui-là a vu le Père " (Jean, VI, 46) : nous apprenant que cette vue seule est la connaissance claire et parfaite. Comment celui qui connaît la substance d'un être peut-il en ignorer l'économie? La connaissance de la substance est plus difficile que l'autre. —Ainsi, suivant l'apôtre, nous ignorons Dieu? — Loin de là ; nous savons qu'il est, mais quelle est sa substance , nous l'ignorons. Et ce qui prouve que cette parole : " Maintenant je connais en partie ", ne s'applique point à la Providence, c'est la suite, car saint Paul ajoute : " Alors je connaîtrai comme je suis connu ". Or ce n'est point la Providence, c'est Dieu qui connaît. Cette opinion n'est donc pas simplement inique, elle l'est deux, et trois et mille fois. C'est par conséquent une vanité absurde, non-seulement de se glorifier de savoir ce que savent seuls le Saint-Esprit et le Fils unique de Dieu, mais encore de prétendre arriver par le raisonnement à cette connaissance parfaite , quand saint Paul n'a pu en saisir qu'une partie, et encore par une révélation d'en haut; car je défie que l'on me montre un seul passage de l'Ecriture qui raisonne de ces choses. Mais laissons de côté la folie des impies, et voyons ce que l'apôtre dit encore de la charité. Il ne s'en est pas tenu là, il ajoute : " Maintenant restent la foi , l'espérance, la charité, mais , la charité l'emporte sur les deux autres vertus ".

3. Car la foi et l'espérance cessent, quand sont arrivés les biens dans lesquels on a cru et qu'on a espérés. C'est ce que veut dire saint Paul par ces paroles: " L'espérance qu'on voit n'est point l'espérance ; pourquoi en effet espérer ce que déjà l'on voit". (Rom. VIII, 24.) Et en un autre endroit : " La foi est la substance des choses que l'on espère et la preuve des choses qui n'apparaissent point ". (Hébr. XI, 1.) C'est pourquoi la foi et l'espérance cesseront, quand ces biens nous seront apparus; mais la charité s'en accroîtras et deviendra plus forte. Autre éloge de la charité : elle ne se contente point des biens qu'elle a ; elle s'efforce toujours d'en trouver de nouveaux.

Faites-y attention : il a dit que la charité est le plus grand des dons, et la voie la meilleure pour les obtenir; il a dit que sans elle, ces dons ne nous servent pas beaucoup; il l'a décrite par des traits nombreux, il veut de nouveau l'exalter d'autre façon et montrer qu'elle est grande en ce qu'elle est stable. C'est pourquoi il a dit : " Ce qui nous resté, c'est la foi, l'espérance, la charité, ces trois vertus, mais la charité l'emporte sur les autres ". Comment donc l'emporte-t-elle?, en ce que les autres passent. Si donc telle est la force de la charité, il ajoute à bon droit : " Poursuivez la charité ". En effet il faut la poursuivre et s'empresser vivement vers elle, car elle est prompte à s'envoler, et grands sont les (530) obstacles qui nous arrêtent dans notre course vers elle. Il faut donc déployer une grande énergie pour la saisir; c'est ce que le bienheureux Paul voulait montrer, car il n'a pas dit: Suivez la charité, mais " poursuivez la charité ", nous excitant ainsi et nous enflammant du désir de l'atteindre. Dieu , dès le commencement du monde, a employé des moyens innombrables pour la faire pénétrer dans nos âmes : car il a donné à tous les hommes un seul père, Adam. Pourquoi ne naissons-nous pas tous de la terre? Pourquoi ne naissons-nous pas déjà formés et développés, comme Adam? C'est afin que donnant le jour à nos enfants et les élevant, et que nés nous-mêmes d'autres, nous nous aimions les uns les autres. C'est pourquoi il n'a pas formé la femme de la terre. Comme il ne suffisait pas pour nous inculquer le respect qui mène à la concorde, d'être de la même substance, et qu'il- fallait encore avoir un auteur unique de notre race, il a voulu qu'il en fût ainsi. Séparés aujourd'hui par l'espace seul, nous nous considérons comme étrangers les uns aux autres; cela serait arrivé bien plus encore, si notre naissance avait eu deux principes. C'est pourquoi il n'a fait en quelque sorte du genre humain qu'un seul corps, qui n'a qu'une tête. Et, comme au commencement il paraissait y en avoir deux , voyez, comme il les a rassemblées et unies en une seule par le mariage. " A cause de cela " dit-il, " l'homme abandonnera son père et sa mère, et il s'attachera a sa femme et ils seront deux en une même chair ". (Gen. II, 24.)

Il n'a point dit: la femme, mais" l'homme", parce que c'est en lui que la concupiscence est la plus grande. Et Dieu l'a voulu ainsi afin de fléchir la supériorité de l'homme. par la tyrannie de cet amour, et de le soumettre à la faiblesse de la femme. Comme il fallait établir le mariage, il a donné à l'homme une femme sortie de lui ; car Dieu a tout fait en vue de la charité. Si en effet, les choses étant ainsi, le démon a pu les égarer et semer entre eux l'envie et la discorde, que n'aurait-il pu, s'ils n'avaient pas été sortis d'une même souche? Il a voulu ensuite que la soumission fût d'un côté, et le commandement de l'autre, car l'égalité des honneurs a coutume d'engendrer les disputes; il n'a donc pas établi un gouvernement populaire, mais la royauté, et dans chaque maison vous pouvez observer le même ordre que dans une armée. Le mari a le rang d'un roi, et la femme d'un gouverneur ou d'un général d'armée; les fils ont le troisième rang, le quatrième est aux domestiques; ils commandent à ceux qui sont au-dessous d'eux, et un seul est souvent mis à la tête de tous les autres, et envers eux a le rang d'un maître, mais, en tout le reste; il est domestique. Après cela il y a encore des différences dans le commandement , suivant qu'il s'exerce sur les femmes ou sur les enfants, et envers les enfants, d'autres différences suivant l'âge et le sexe ; car la femme n'a point le même empire sur tous ses enfants. Et partout Dieu a créé de nombreux commandements, afin que la concorde et le bon ordre subsistassent toujours. C'est pourquoi, avant que le genre humain se fut multiplié, quand ils n'étaient encore que deux, il a donné à l'un le commandement, et imposé à l'autre l'obéissance. Pour que l'homme ne méprisât point la femme plus faible que fui, et que celle-ci ne s'éloignât pas de lui, voyez comment il l'a Honorée et unie à lui, même avant sa création; car il dit " Faisons-lui une compagne " (Gen. II, 18), montrant ainsi qu'elle a été créée pour être utile à l'homme, et lui conciliant l'affection de l'homme, par cette raison qu'elle lui est utile; car nous aimons d'une affection plus vive ce qui a été fait à cause de nous. D'un autre côté, pour que la femme ne s'enorgueillît d'être pour lui une compagne nécessaire, et ne brisât ce lien , il l'a tirée d'une côte de l'homme, montrant qu'elle n'est qu'une partie de tout le corps. Pour que l'homme aussi ne S'enorgueillît point, Dieu n'a point permis qu'elle fût à lui tout seul, comme elle fut d'abord; il a fait le contraire, en lui faisant procréer des enfants; ainsi s'il a donné la supériorité à l'homme, il ne lui a point donné tous les avantages.

4. Avez-vous vu que de liens d'amour Dieu a faits pour nous? Mais tous ces gages de concorde reposent sur la nature, et sur ce que nous sommes dé la même substance; (en effet, tout être animé aime ce qui est semblable à lui;) et sur ce que la femme est née de l'homme, et les enfants de tous les deux. De là naissent mille affections diverses: il y a l'affection pour un .père, pour un aïeul, pour une mère, pour une nourrice; il y a l'affection pour un fils, un petit-fils, un arrière petit-fils, pour une fille et pour une nièce; nous aimons celui-ci comme notre frère, celui-là comme (531) notre oncle ; celle-ci comme une soeur, celle-là comme une cousine. Et qu'est-il besoin d'énumérer tous les degrés de parenté? Dieu a encore imaginé une autre source d'affection: en défendant les mariages entre proches, il nous conduit vers les étrangers, et attire ceux-ci vers nous. Comme ils ne peuvent nous être unis par les liens de la nature, il les unit à nous par le mariage, alliant des. maisons entières par une seule fiancée, et mêlant les familles aux familles : " N'épouse point ", dit-il, " ta soeur, ni la soeur de ton père, ni une autre jeune fille qui ait avec toi une pareille parente " (Lévit. XVIII, 8-10) ; et il énumère tous les degrés de parenté qui empêchent le mariage. Il suffit, pour être attiré vers quelqu'un, d'être né du même sang, et d'être uni par les différents liens de parenté. Pourquoi resserrer en des bornes étroites les vastes désirs de la charité ? Pourquoi trouver dans la parenté seule une cause d'amitié, quand on peut faire naître une occasion nouvelle d'amitié en épousant une femme étrangère, et en gagnant par elle une série de parents, une -mère, un père, des frères et leurs parents ? Voyez-vous de combien de manières Dieu nous a unis les uns aux autres ? Cependant il ne s'en est pas tenu là ; il a voulu encore que' nous eussions besoin les uns des autres, pour nous unir de cette façon, car la nécessité crée des affections. Aussi n'a-t-il pas voulu qu'il y eût en tous les pays toutes les productions, pour nous forcer ainsi à nous mêler les uns aux autres.

Après avoir voulu que nous eussions besoin les uns des autres, il a rendu les communications faciles; en effet, s'il n'en était pas ainsi, de, nouvelles difficultés et de nouveaux obstacles naîtraient de là. Si, quand on 'a besoin d'un médecin, d'un forgeron ou d'un autre artisan, il fallait le chercher au loin, on périrait à coup sûr. C'est pourquoi Dieu a fait les villes, et les a unies les unes aux autres. Pour nous permettre de visiter facilement ceux. qui sont loin de nous, il a étendu la mer entre les peuples, et leur a donné la vitesse des vents, et a rendu ainsi les voyages faciles. Au commencement même, il a réuni tous les hommes en un seul lieu, et ne les a dispersés que quand ceux qui furent combles (le cette faveur s'entendirent pour le mal; mais de tous côtés il nous a unis, et par la nature, et par la parenté, et par la langue, et par la communauté de séjour. Et de même qu'il ne voulait point nous chasser du paradis, (car, s'il l'avait voulu, il n'y aurait point du tout placé l'homme après sa création, mais ce fut l'homme qui, par sa désobéissance, fut cause de cet exil) ; de même ne voulait-il pas qu'il y eût diversité de langues; il n'y en avait point au commencement, et aujourd'hui, par toute la terre, toutes les lèvres prononceraient les mêmes paroles. C'est pourquoi aussi, quand il fallut détruire la terre, il ne nous fit point d'une matière nouvelle, et il ne rejeta point le juste, et. il envoya au milieu des flots le bienheureux Noé, pour être comme l'étincelle qui devait ranimer le genre humain. Au commencement, il n'avait établi qu'une seule domination, celle du mari sur la femme; mais quand le genre humain fut tombé en toute espèce de désordres, il établit encore d'autres dominations, celle des rois et des magistrats, et cela par charité.

Comme la malice dissout et détruit notre race; il a établi, comme des médecins au milieu des villes, polar prononcer des jugements et pour bannir cette malice qui est le fléau de la charité, et pour ne former de la cité entière qu'un seul corps. Pour établir cette concorde, non-seulement dans les villes, mais dans chaque maison, après avoir revêtu le mari du commandement et lui avoir donné le premier rang, après avoir armé la femme de la concupiscence, et placé entre eux la procréation des enfants comme un don, il imagine encore d'autres moyens de consolider entre eux l'affection. Il ne donna point tout à l'homme, ni tout à la femme ; il partagea les dons entre eux , assignant à la femme la maison, et à l'homme la place publique; il imposa à l'homme la charge de nourrir la maison, car c'est lui qui cultive la terre, et à la femme la charge de la vêtir, car tisser et tenir la quenouille appartient à la femme. C'est Dieu même qui a donné à la femme le talent de filer. Malheur à la cupidité qui veut supprimer cette distinction ! Car la mollesse de beaucoup d'hommes les a conduits à filer, et leur a mis clans les mains la navette, la chaîne et la trame. Mais là même apparaît la sagesse avec laquelle Dieu a dispensé ses dons ; car nous avons besoin de la femme pour des ouvrages tout à fait nécessaires, et nous avons besoin de plus petits que nous pour les choses mêmes d'où dépend la vie; et l'on aurait beau posséder toutes les (532) richesses, on ne pourrait se soustraire à cette nécessité qui nous fait dépendre de ceux qui sont au-dessous de nous. En effet, ce ne sont pas seulement les pauvres qui ont besoin des riches, ce sont encore les riches qui ont besoin des pauvres , et plus même que ceux-ci n'ont besoin d'eux.

5. Pour rendre cette vérité plus claire, imaginons, si vous voulez, deux villes, l'une de riches, et l'autre de pauvres, et dans la ville des riches il n'y aurait point de pauvres, et dans la ville des pauvres il n'y aurait point de riches, car nous y faisons un triage parfait; voyons maintenant quelle est celle qui pourra se suffire. Si nous trouvons que c'est la ville des pauvres, il sera prouvé que les riches ont plutôt besoin d'eux. Dans la ville des riches, il n'y aura point d'artisans, ni architecte, ni forgeron, ni cordonnier, ni boulanger, ni laboureur, ni chaudronnier, ni cordier, ni quelqu'artisan que ce soit. Qui donc des riches voudra travailler à ces métiers, puisque les artisans mêmes, devenus riches, ne veulent plus supporter ces durs travaux? Comment donc cette ville pourra-t-elle subsister? On me dira que les riches achèteront tout des pauvres à prix d'argent. Ainsi déjà ils ne pourront se suffire à eux-mêmes, s'ils ont besoin des pauvres. Et qui donc construira les maisons ? Les achètera-t-on aussi ? Mais cela ne se peut. Il faudra donc appeler des artisans, et enfreindre la loi que nous avons établie au commencement, alors que nous avons fourni la ville d'habitants : vous vous souvenez, en effet, que nous avons dit qu'elle ne renfermerait point de pauvres. Et voici que la nécessité même, contre notre gré, y appellera et y introduira les pauvres. D'où il appert qu'une ville sans pauvres ne peut subsister; et que si une cité demeure en effet sans en recevoir, ce ne sera bientôt plus une cité, car elle périra. Ainsi aucune ville ne pourra se suffire, si elle n'a appelé dans son sein des pauvres pour la conserver.

Voyons d'un autre côté la ville des pauvres, et si pareillement elle se consumera dans le besoin par l'absence des- riches. Et d'abord établissons et définissons clairement les richesses. Quelles sont les richesses? l'or, l'argent, les pierres précieuses, les vêtements de soie, de pourpre et d'or. Maintenant que nous savons quelles sont les richesses, bannissons-les de la ville des pauvres, si nous voulons établir une vraie cité des pauvres; que l'or ni les vêtements que j'ai nommés n'apparaissent aux habitants, même en songe; ajoutez, si vous voulez, l'argent et les ustensiles d'argent. Eh bien ! dites-moi si à cause de cela la ville sera dans le besoin. Nullement: s'il faut bâtir, on n'a besoin ni d'or, ni d'argent, ni de perles, mais du travail des mains, et non pas de mains quelconques, mais de mains calleuses et de doigts endurcis, de bras forts, de poutres, de pierres ; s'il faut tisser des vêtements, on n'a point besoin d'or ni d'argent, mais de mains, de l'industrie et du travail des femmes. S'il faut cultiver et piocher la terre, a-t-on besoin de riches ou de pauvres? Evidemment de pauvres. Et s'il faut travailler le fer ou quelqu'autre métal, c'est alors surtout que nous aurons besoin du peuple. Quand donc aurons-nous besoin des riches, sinon quand il faudra détruire cette ville? Car, lorsque les riches une fois entrés, le désir de l'or et des perles se sera emparé de ces sages (car j'appelle sages ceux qui ne cherchent point le superflu), quand ils se seront adonnés à l'oisiveté et à la volupté, tout sera perdu. Mais si les richesses, direz-vous, ne sont- pas utiles, pourquoi Dieu nous les a-t-il données? Et où prenez-vous que c'est Dieu qui nous a donné les richesses? L'Ecriture dit : " L'argent est à moi, et l'or est à moi " (Aggée, II, 9), et je les donnerai à qui je voudrai.

Si je voulais me rendre coupable d'inconvenance, je rirais ici à gorge déployée, pour me moquer de ceux qui parlent ainsi, car ils sont semblables à de petits enfants qui, admis à la table d'un roi, avaleraient, en même temps que les mets royaux, tout ce qui leur tomberait sous la main. C'est ainsi qu'ils mêlent leur pensée à celles des saintes Ecritures. Ces paroles : "L'argent est à moi et l'or est à moi ", ont été dites, je le sais, par le prophète, mais celles-ci : Je le donnerai à qui je voudrai, ne se trouvent point chez lui, elles y ont été introduites par ces gens misérables. Voici pourquoi le prophète Aggée parle ainsi. Comme il avait promis souvent aux Juifs, après le retour de Babylone, de leur montrer un temple aussi beau que l'ancien, quelques-uns n'ajoutaient pas foi à ses paroles, et ils pensaient que c'était une chose presque impossible que le temple, après avoir été réduit en cendres et en poudre, apparût dans son ancienne splendeur, et lui, pour dissiper leur incrédulité, parle au (533) nom de Dieu, et c'est comme s'il disait : Que craignez-vous? Pourquoi n'avez-vous pas foi? " L'argent est à moi et l'or est à moi ", et je n'ai point besoin, pour construire mon temple, de l'argent emprunté avec usure. Et il ajoute : " La gloire de cette maison sera au-dessus de la gloire de la première ". (Aggée, II,10.) N'allez donc pas mêler des toiles d'araignées à un vêtement royal. Car si l'on surprenait quelqu'un occupé à mêler à la pourpre un tissu grossier, on le punirait du dernier châtiment ; et, à plus forte raison, quand il s'agit du spirituel, car ce n'est point là une faute légère. Et que dire des additions et des soustractions? Le changement d'un point et une leçon différente, donnent souvent lieu à des sens absurdes.

6. D'où viennent donc les riches? Direz-vous. C'est qu'il est dit en effet: " Les richesses et la pauvreté viennent du Seigneur ". (Eccl. II, 14.) Nous demanderons à ceux qui nous adressent cette objection : est-ce que , toute richesse et toute pauvreté viennent du Seigneur? Qui pourrait le prétendre? Nous voyons que c'est par les rapines, les tombeaux ouverts, et les duperies et les autres méfaits de ce genre qu'on se procure souvent les richesses, et que ceux qui les possèdent ne méritent pas même de vivre. Répondez-moi; direz-vous que ces richesses viennent de Dieu ? Loin de là; mais d'où viennent-elles? Du péché. Car la courtisane qui livre au déshonneur sa personne, s'enrichit; et le bel adolescent qui vend sa beauté , possède de l'or au prix de la honte ; et celui qui ouvre les tombeaux et les pille , amasse des richesses iniques, et de même le voleur qui perce les murs. Est-ce donc du Seigneur que viennent toutes les richesses? Mais, direz-vous, que répondrons-nous à cette parole de l'Ecriture?Apprenez d'abord que la pauvreté même ne vient pas de Dieu, et ensuite nous y viendrons. En effet, quand le jeune homme prodigue dépense sa fortune avec les courtisanes, les magiciens, ou se ruine par d'autres passions, et qu'il devient pauvre, n'est-il pas clair que ce n'est pas Dieu qui l'a rendu ainsi, mais sa propre prodigalité ? D'un autre côté, si l'on tombe dans la pauvreté par paresse ou par folie , ou parce qu'on s'est laissé aller à des entreprises dangereuses et iniques, n'est-il pas manifeste que, dans aucun de ces cas, ce n'est point Dieu qui vous a jeté dans la pauvreté. L'Ecriture ment donc? Loin de là, mais c'est folie de ne pas examiner ses paroles avec tout le soin qu'elles méritent. Car si nous confessons que l'Ecriture ne peut mentir, et si nous avons prouvé que toutes les richesses ne viennent pas de Dieu, la difficulté vient de la faiblesse d'esprit de ceux qui lisent sans réflexion. Et il faudrait les renvoyer , après avoir ainsi justifié l'Ecriture de leurs accusations, et les punir de la négligence avec laquelle ils lisent les Ecritures. Mais je leur pardonne, et pour ne pas les laisser plus longtemps dans le trouble, je veux leur indiquer la solution, en rappelant d'abord quel est l'auteur de ces paroles, en quel temps et à qui il les a dites.

Dieu , en effet, ne parle pas semblablement à tous; de même que nous ne parlons point de la même façon aux enfants et aux hommes. Quand donc ces paroles ont été prononcées, et par qui, et à qui? Par Salomon, dans l'Ancien Testament, et elles furent adressées aux Juifs qui ne connaissaient que les choses sensibles, et qui estimaient par là la puissance de Dieu. Ce sont ceux qui disaient : " Pourra-t-il nous donner du pain ? " (Psal. LXXVII, 20) et : " Quel prodige nous montres-tu? (Matth. XII, 38. ) Nos " pères ont mangé la manne dans te désert. " (Jean, VI, 31.) Ceux dont le ventre est le Dieu". (Philip. XIII, 19.) Comme c'est ainsi qu'ils concevaient Dieu , il leur dit : Dieu peut aussi faire des riches et des pauvres; non pas qu'il le fasse toujours, mais il le peut, quand il lui plaît; ainsi a-t-il dit " Celui qui menace la mer, et la dessèche, et change en déserts tous les fleuves " (Nahum, I, 4), quoiqu'il ne l'ait jamais fait. Comment donc le prophète entend-il cette parole? Il ne veut pas dire que Dieu le fasse toujours, mais qu'il peut le faire. Quelles sont donc la pauvreté et les richesses qu'il donne? Souvenez-vous du patriarche, et vous saunez les richesses que Dieu donne. C'est Dieu lui-même qui a donné ses richesses à Abraham, et plus tard à Job , qui dit : " Si nous avons reçu les biens du Seigneur, pourquoi ne supporterions-nous pas les maux qu'il nous envoie? " (Job, II, 10.) C'est là aussi la source des richesses de Jacob. La pauvreté qui vient de Dieu est aussi louable; c'est celle qu'il enseigne aux riches, disant : Si tu veux être parfait , vends ce que tu possèdes, donne tout aux pauvres, et viens, (534) suis-moi (Matth. XIX, 21), et la recommandant en un autre endroit à ses disciples, et disant " Refusez-vous à posséder de l'or, de l'argent ou deux tuniques ". (Luc, IX, 3.) Ne dites donc pas que c'est Dieu qui donne toutes les richesses, car nous avons montré que c'est par le meurtre, les rapines et mille autres méfaits qu'on les amasse.

Mais ramenons le discours à notre première question : si les richesses ne sont utiles à rien, pourquoi sont-elles créées? Que répondrons-nous? Que les richesses ainsi amassées ne sont pas utiles, et que celles qui viennent de Dieu sont très-utiles. C'est ce que vous pouvez apprendre par les actions mêmes des riches. Car Abraham. possédait ses richesses pour les étrangers et tous les nécessiteux. Quand arrivèrent chez lui trois hommes , ainsi qu'il croyait, il tua un veau et pétrit trois mesures de farine; toujours assis à sa porte à l'heure de midi; voyez sa libéralité toujours empressée à dépenser ses biens pour tous; voyez-le payant de sa personne, ainsi que de ses richesses, et encore dans une vieillesse avancée. Il était le port des étrangers et de ceux qui étaient dans la nécessité, ne possédant rien qui lui fût propre, pas même son fils, car il le sacrifiait sur l'ordre de Dieu, et avec son fils il se donnait lui-même, et toute sa maison, quand il fut si prompt à délivrer son neveu. Et il ne le faisait point par amour du gain, mais par humanité. Quand ceux qu'il avait délivrés le mirent en possession des dépouilles, il refusa tout, jusqu'au fil d'une robe, et jusqu'au cordon d'une sandale.

7. Tel était aussi le bienheureux Job, car il disait : " Ma porte était ouverte à tout venant. J'étais l'oeil des aveugles et le pied des boiteux ; j'étais le père des infirmes, aucun étranger ne demeurait à ma porte " (Job. XXXI, 33, et XXIX, 15, 16) ; les infirmes, quand ils s'adressaient à moi dans le besoin , n'étaient point trompés dans leur espoir, et je n'ai point permis qu'un pauvre sortit de ma maison l'estomac vide. Je ne puis tout énumérer, mais il faisait plus encore, distribuant son argent à tous les nécessiteux. Voulez-vous voir maintenant les riches que Dieu n'a point faits, et savoir comment ils ont usé de leurs richesses? Voyez celui de Lazare, qui ne lui donnait pas même les miettes de sa table; voyez Achab qui a enlevé au pauvre sa vigne ; voyez Giézi et tous ceux qui furent comme lui. Ceux qui possèdent les richesses' à juste titre, parce qu'ils les ont reçues de, Dieu, les dépensent conformément à ses préceptes; ceux qui ont offensé Dieu en les acquérant, l'offensent encore en les dépensant; en les prodiguant à des courtisanes et à des parasites, en les cachant et en les enfouissant, et en n'en donnant rien aux pauvres. Et pourquoi, direz-vous, Dieu permet-il que dé tels' hommes soient riches? Parce qu'il est patient, parce qu'il veut nous amener à la pénitence, parce qu'il a préparé la géhenne, et fixé le jour où il jugera lé monde. S'il frappait tout de suite les riches , Zachée n'aurait pas eu le temps de se repentir, de rendre. le quadruple de ce qu'il avait ravi, d'ajouter même la moitié de ses biens. Matthieu n'aurait pas eu le temps de se convertir et de devenir apôtre,, s'il avait été enlevé avant l'heure favorable, et ainsi de beaucoup d'autres. C'est pourquoi Dieu attend, les appelant tous à la pénitence, s'ils s'y refusent, s'ils persistent dans leurs péchés, ils entendront Paul leur dire : " Qu'à cause de leur dureté et de leur coeur impénitent, ils amassent contré eux de la colère, au jour de là colère, de la révélation et du jugement équitable de Dieu ". (Rom. II, 5). Evitons cette, colère, enrichissons-nous des richesses célestes, et poursuivons la pauvreté louable. C'est ainsi que nous atteindrons les biens célestes; puissions-nous les obtenir tous, par la faveur et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance , l'honneur, aujourd'hui et toujours, et jusqu'à la fin des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXV. RECHERCHEZ AVEC ARDEUR LA CHARITÉ; MAIS DÉSIREZ LES DONS SPIRITUELS, ET SURTOUT CELUI DE PROPHÉTISER (CH. XIV, VERS. 1.)
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ANALYSE.

1 et 2. Comment l'on doit rechercher la charité. — Que le don de prophétie l'emporte sur le don des langues.

3. Ce que c'était que le don des langues.

4. Influence de la vaine gloire. — Critique des philosophes grecs.

5. La vaine gloire n'est qu'un monstre cruel. — Eloge de saint Paul.

6. De quel oeil le chrétien doit-il regarder les biens temporels? — Hygiène de l'âme. — Malheur des riches.

1. Après avoir passé en revue tous les caractères de la charité, il exhorte les fidèles à la cultiver avec ardeur.: " Recherchez avec ardeur la charité. " Quand on recherche un objet, en effet, on ne voit que lui, on se dirige vers lui, on ne cesse de le poursuivre que lorsqu'on l'a atteint. Quand on poursuit quelqu'un, et qu'on ne peut l’atteindre soi-même, on se sert, pour le saisir, des personnes qui sont devant vous. On exhorte vivement ceux qui sont près du fugitif à le prendre, à le retenir, jusqu'à ce qu'on vienne s'en emparer soi-même. C'est ainsi que nous devons agir, si nous ne parvenons pas nous-mêmes à atteindre la charité, chargeons ceux qui sont tout près d'elle de la prendre et de la garder en attendant que nous arrivions. Et quand nous l'aurons saisie, ne la lâchons pas, de peur qu'elle ne s'enfuie encore bien loin de nous. Elle ne cesse de nous échapper, en effet, parce que,nous ne savons pas nous en servir,-parce qu'il n'est rien que nous ne lui préférions. Si nous suivons ces préceptes, nous n'aurons pas besoin de nous donner beaucoup de peine. Que dis-je? nous n'aurons, pour ainsi dire, rien à faire. Nous mènerons une existence de délices et de fêtes , tout en marchant dans l'étroit sentier de la vertu. Voilà pourquoi l'apôtre a dit : " Poursuivez la charité ". Puis, afin que l'on ne croie pas qu'il n'a parlé de la charité que poux déprécier entièrement les grâces spirituelles, il ajoute : " Désirez les dons spirituels et surtout le don de prophétie{12)? Car celui qui parle une langue inconnue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l'entend ; c'est sous l'inspiration du Saint-Esprit qu'il parle des mystères (3) : mais celui qui prophétise " parle aux hommes pour les édifier, pour les exhorter, pour les consoler ". Il compare ici entre eux les divers dons spirituels et il rabaisse le don des langues, en montrant que, s'il n'est pas tout à fait inutile, il n'est pas très-utile par lui-même. Il y avait, en effet, des gens qui étaient tout fiers de ce don, parce qu'on y attachait un grand prix. Ce qui le faisait regarder comme important, c'est que les apôtres l'avaient reçu d'abord, et l'on sait avec quel apparât et quel retentissement, mais il ne l'emportait pas sur les autres pour cela. Pourquoi donc les apôtres l'avaient-ils reçu d'abord ? c'est qu'ils devaient parcourir tout l'univers.

Lors de la construction de la tour. de Babel, il n'y avait qu'une langue qui se partageait en une foule de langues (Gen. XI) ; à l'époque des apôtres, une foule de langues venaient se réunir sur les lèvres d'un seul homme. Le même homme parlait la langue des Perses, celle des Romains, celle dès Indiens, ou plutôt c'était le Saint-Esprit qui parlait par sa bouche, et cette grâce s'appelait le don des langues, parce que (536) le même homme avait le talent d'en parler plusieurs. Voyez comme l'apôtre le rabaisse et l'exalte tour à tour, quand il dit : " Celui qui parle des langues inconnues ne parle point aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l'entend " ; il exalte un don qui ne paraît pas avoir une grande utilité. Mais lorsqu'il ajoute : "C'est sous l'inspiration du Saint-Esprit qu'il parle des choses cachées", il exalte ce don pour ne pas laisser croire qu'il est vain , inutile , et donné sans raison à l'homme. " Mais celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier, pour les exhorter, pour les consoler ". Voyez comme saint Paul proclame l'excellence de ce don avantageux à tous les hommes ! Voyez comme il préfère en toute circonstance à tous les autres dons ceux qui sont utiles au plus grand nombre ! Est-ce que ceux qui ont le don des langues ne parlent pas aussi -pour les hommes? Ce qui les met au-dessous des prophètes, c'est que leur parole n'est pas aussi édifiante, aussi encourageante, aussi consolante.

Ces dons supposent tous les deux l'inspiration du Saint-Esprit. Mais le prophète a cet avantage qu'il est utile à des gens qui l'entendent. Ceux qui parlaient des langues inconnues, au contraire, n'étaient pas entendus de ceux qui n'avaient pas le don des langues. Mais quoi? Ceux qui parlaient ces langues inconnues n'édifiaient-ils personne? Ils s'édifiaient eux-mêmes, et voilà pourquoi saint Paul ajoute: "Celui qui parle une langue inconnue s'édifie lui-même (4) ". Et comment cela se fait-il, s'il ne sait pas ce qu'il dit ? Mais faites donc attention que saint Paul parle ici des hommes qui savent ce qu'ils disent; qui comprennent bien le sens de leurs paroles, mais qui ne savent pas les expliquer aux autres. Mais .1e prophète édifie l'Église: voilà la différence qu'il y a entre ces deux hommes. Voyez comme l'apôtre est sage . Il n'annihile pas le don des langues, mais il montre qu'il n'a que de faibles avantages et qu'il ne profite qu'à celui qui lé possède. Puis, pour ne pas laisser croire à ceux auxquels il s'adresse et qui possédaient pour la plupart plusieurs langues, qu'il est guidé par un sentiment de jalousie, il leur dit, afin de les guérir de leurs soupçons : " Je souhaite que vous ayez tous le don des langues, mais encore plus celui de prophétie. Car celui qui prophétise est au-dessus de celui qui parle des langues inconnues, à moins que ce dernier n'interprète ce qu'il dit, afin que l'Église en soit édifiée (5) ). Or le plus ou le moins n'annonce pas l'opposition, mais la supériorité ou l'infériorité.

2. Évidemment donc l'apôtre ne blâme pas le don des langues, mais il veut faire monter. plus haut ses disciples; il leur témoigne sa sollicitude, tout en leur montrant qu'il n'é. prouve aucun sentiment d'envie. Il veut qu'ils aient " tous " le don des langues, mais il veut aussi et surtout le don de prophétie; car ce don est plus précieux que l'autre. Et, après s'être bien expliqué sur le don de prophétie, il s'explique sur le don des langues. Son arrêt, loin d'être absolu, renferme ce correctif, " à moins qu'il n'interprète ce qu'il dit ". Par conséquent, si celui qui possède le don des langues a aussi le don d'interprétation, il est l'égal du prophète, parce que sa science profite à beaucoup de gens, point très-important, avantage que l'apôtre recherche avant tout. "Ainsi, quand je viendrais vous parler des langues inconnues, en quoi vous serais-je utile, si je ne vous parlais en vous intruisant par la révélation, par la science ou par la doctrine (6) ? " Et pourquoi, continue-t-il, parlerais-je des autres ? Supposons que ce soit Paul qui vous parle des langues inconnues. Quel fruit en reviendra-t-il à ses auditeurs? Par là, il leur démontre qu'il ne cherche que leur intérêt, sans être animé d'aucun sentiment de malveillance contre ceux qui possèdent le don des langues, puisqu'il se cite lui-même pour exemple de l'inutilité de ce don réduit à lui-même. Presque toujours, quand il touche quelque point important et délicat, il se met en scène. Ainsi, au commencement de cette épître, il dit: " Qu'est-ce que c'est que Paul? " Qu'est-ce que c'est qu'Apollon? Qu'est-ce que c'est que Céphas ? " Et il fait de même ici, en disant : " De quoi vous servira ma parole, si je ne vous instruis par la révélation, par la science ou par la doctrine ". Cela signifie Si je ne vous parle un langage intelligible et clair, si je nie borne à vous montrer que je possède le don des langues, vous ne retirerez aucun fruit de mes paroles.

Quel profit peut-on tirer en effet d'une parole que l'on ne comprend pas? " Quand des instruments sans âme mais sonores comme la flûte et la lyre, ne rendent que des sons indistincts, comment saisir le morceau que l'on joue sur la flûte ou sur la lyre (7) ? " Pourquoi (537) donc, poursuit-il, avancer ici que les dons renfermés en nous-mêmes sont inutiles et qu'il n'y a d'utile que ce qui est clair et ce que les auditeurs saisissent facilement? N'en est-il pas de même de ces corps sans âme qu'on appelle des instruments de musique? Qu'il s'agisse de 1a lyre ou de la flûte, si le musicien, sans tenir compte du rythme et de l'harmonie , ne fait entendre que des sons confus en jouant sans réflexion et en demandant des inspirations au hasard , il n'amusera pas ; il ne charmera pas son auditoire. Jusque dans les instruments qui ne possèdent pas les sons articulés de la voix humaine, il faut de la clarté, de l'harmonie, des sons distincts. Ces instruments qui naturellement sont dénués d'expression, nous cherchons avec ardeur à leur donner de l'expression, à les faire parler. Eh bien ! quand il s'agit des êtres animés et doués de raison , quand il s'agit des hommes et des dons spirituels, ne devons-nous pas chercher à nous faire bien entendre?

" Si la trompette ne parle pas à haute et intelligible voix, qui se préparera à la guerre (8)?" C'est des objets les plus futiles qu'il tire ses inductions, pour s'élever aux choses nécessaires et utiles; il prend pour exemples la lyre et la trompette. Ces instruments en effet ont leurs rythmes; parfois ils donnent le signal de la guerre , parfois tout autre signal. Tantôt ils sonnent la charge, tantôt ils sonnent la retraite, et tout soldat qui n'a pas la clef de cette langue, court le plus grand péril. Voilà ce qu'il veut dire, voilà l'erreur à laquelle il fait allusion en ces termes : "Qui se préparera au combat? " Si donc l'instrument guerrier n'a pas le don de se faire comprendre, tout est perdu. Quel intérêt, direz-vous , ont pour nous tous ces détails? Ils en ont un très-grand, et voilà pourquoi saint Paul ajoute : " Il en est ainsi de vous. Si votre langage ne manifeste pas vos pensées, comment savoir ce que vous voulez dire? Vous jetterez vos paroles au . vent (9) "; c'est comme si vous ne disiez rien, c'est comme si personne ne parlait. Et à chaque instant saint Paul s'applique à montrer l'inutilité d'un pareil langage. Si le don des langues est inutile, direz-vous, pourquoi a-t-il été donné à l'homme? pour qu'il- soit utile à celui qui l'a reçu ; mais, pour être utile aux autres, il faut y joindre le d'on d'interprétation. Ce qu'il en dit est un moyen de tout concilier. S'il ne possède pas le don d'interprétation , il s'adjoindra quelque homme favorisé de ce don, et de cette manière il pourra utiliser ses talents. Voilà pourquoi il ne cesse de montrer que le don des langues est insuffisant par lui-même. Il veut par ce moyen engager ses auditeurs à unir leurs forces. L'homme,: en effet, qui regarde le don des langues comme suffisant, le rabaisse plutôt qu'il ne l'élève, parce qu'il ne veut pas, en recourant au don d'interprétation, lui donner tout son lustre : c'est en effet un don précieux et nécessaire ; mais il a besoin d'un interprète pour le mettre dans tout son jour. Les doigts aussi sont nécessaires; mais séparés de la main, ils deviennent inutiles. La trompette aussi est nécessaire; mais quand elle ne fait entendre que des sons émis au hasard, elle est ennuyeuse et désagréable à entendre. L'art disparaît, quand l'instrument n'existe pas, mais la matière, pour se faire valoir, a besoin de la façon. La voix, c'est la matière; les sons clairs et distincts sont la façon; sans eux, la matière est inutile. Il y a dans le monde une foule de langues qu'on peut savoir, et chaque peuple a son langage (10) : ce qui veut dire qu'il y a autant de langues qu'il y a de peuples. Les Scythes, les Thraces, les Romains, les Perses, les Maures, les Indiens, les Egyptiens et autres peuples innombrables , ont chacun un langage particulier. Si donc j'ignore le son du langage que je parle, je serai pour mes auditeurs un barbare (11).

3. N'allez pas penser qu'il en est ainsi parmi vous seulement ; c'est ce qui arrive partout. Je n'ai point ici pour but de blâmer le don des langues; je veux dire seulement qu'il m'est inutile si le langage que je parle n'est pas clair et intelligible pour les autres. Puis pour que ses auditeurs ne se révoltent pas contre lui, il se met à leur niveau, en disant : " Celui qui me parle sera un barbare pour moi, et je serai un barbare pour lui " : ce n'est point la faute des langues, c'est celle de notre ignorance. Voyez-vous comme il amène peu à peu ses auditeurs aux propositions qui ont un rapport intime et particulier avec son sujet; fidèle en ceci à son habitude de tirer ses exemples de loin pour arriver à ce qui rattache à son sujet, d'une manière intime et spéciale. Il. parle d'abord de la flûte et de la lyre, instruments souvent imparfaits, souvent inutiles, et il parle ensuite de la trompette, instrument plus utile, pour arriver à la voir humaine.

538

Ainsi plus haut, quand il voulait montrer qu'il n'était défendu aux apôtres de recevoir le prix de leurs travaux, après avoir parlé des agriculteurs, des bergers et des soldats, il a abordé plus franchement son sujet , en parlant des prêtres sous l'ancienne loi. Voyez quel soin il prend toujours de disculper le don des langues pour rejeter toujours la faute sur ceux qui l'ont reçu. Il ne dit pas : je serai un barbare; il dit : Je serai un barbare pour celui qui parle. Il ne dit pas non plus : Celui qui parle est un barbare, mais: Celui qui parle est pour moi un barbare. Que devons-nous donc faire, dit-il? Loin de jeter aucun blâme sur le don des langues , nous devons exhorter les autres à l'acquérir, et c'est ce qu'il fait lui-même.

Après ses accusations et ses réprimandes, après avoir montré l'inutilité de ce don, il donne à ses. disciples ce conseil : puisque vous avez tant d'ardeur pour les dons spirituels, désirez d'en être enrichis pour l'édification de 1'Eglise (12). Voyez-vous comme il n'a toujours et partout qu'un seul et même but? Il posé ici une sorte de règle pour l'utilité de bien des gens et pour celle de l'Église. II n'a pas dit : Désirez de posséder les dons, mais désirez d'en être " enrichis " , c'est-à-dire, souhaitez d'en posséder " beaucoup ". Loin de vous les interdire, je veux que vous en ayez en abondance, à condition que vous en userez pour l'intérêt commun. " Que celui donc qui parle une langue demande à Dieu de l'interpréter (13). Car si je prie en une langue que je n'entends pas, c'est mon cœur qui prie, mais mon esprit n'en retire aucun fruit (14). Que dois-je donc faire ? Je prierai de coeur; mais je prierai aussi avec intelligence;je chanterai de tueur des cantiques, mais je. les chanterai aussi avec intelligence (15) ". Il montre ici à ses frères qu'il est en leur pouvoir de recevoir de Dieu le don d'interprétation. Demandez-le à Dieu, dit-il, c'est-à-dire, adressez-lui ce qui fait votre richesse, votre prière. Car ce que vous demanderez à Dieu avec empressement et avec ardeur, vous le recevrez. Demandez-lui donc non-seulement le don des langues, mais celui d'interprétation, pour être utile à tout le monde et ne pas garder votre don spirituel pour vous seul. " Car si je prie en une langue que je n'entends pas, c'est mon cœur qui prie, mais mon esprit n'en retire aucun fruit. "

Voyez-vous comme, s'élevant peu à peu , il montre qu'en cet état on est inutile aux autres et à soi-même, puisque la prière ne produit aucun fruit pour l'intelligence. Qu'un homme, en effet, parle persan ou quelque autre langue , sans savoir ce qu'il dit, il sera un barbare , non-seulement pour les autres , mais pour lui-même , puisqu'il ne comprendra pas les mots qu'il prononce. Il y, avait anciennement bien des hommes qui avaient le don de prier dans une langue étrangère. Ils priaient et parlaient dans cette langue , soit dans la langue des Perses, soit dans la langue des Romains, sans savoir ce qu'ils disaient. Voilà pourquoi saint Paul disait : Si je prie dans une langue inconnue, il n'y a que mon cœur qui prie. C'est-à-dire que le don spirituel qui m'a été donné me fait remuer la langue, sans que mon intelligence en retire aucun fruit. Qu'y a-t-il donc ici de meilleur et de vraiment utile? Comment faire? Que faut-il demander à Dieu? De se servir du don des langues, pour prier avec le cœur et avec l'intelligence.. Voilà pourquoi l'apôtre disait : " Je prierai avec le coeur, je prierai avec l'intelligence; je chanterai des cantiques avec le coeur, je chanterai des cantiques avec l'intelligence ". Que veut-il dire par là? Il veut dire que l'esprit doit comprendre ce que dit la langue , autrement il y aura encore un autre malentendu. Si vous ne louez Dieu que du coeur, comment celui qui tient la place du peuple répondra-t-il amen à la fin de votre action de grâces, s'il n'entend pas ce que vous dites? Ce n'est pas que votre action de grâces ne soit bonne; mais les autres ne sont pas édifiés (16, 17.) Voyez comme ici encore tout est tiré au cordeau , comme il cherche toujours l'édification de l'Église. Le peuple, ici ce sont les laïques, et c'est pour lui, il nous le montre clairement, un véritable malheur que de ne pouvoir. répondre amen à la fin d'une action de grâces. Cela veut dire : si vous louez Dieu dans la langue des barbares, sans savoir ce que vous dites, sans pouvoir l'interpréter, le laïque ne peut répondre amen. Il n'entend pas les mots qui terminent votre prière; et quand vous avez dit : in saecula saeculorum, il ne peut répondre amen. Puis encore, par forme de consolation , et pour ne pas avoir l'air de trop rabaisser le don des langues, puisque, comme il l'a dit plus haut, celui qui possède ce don parle à Dieu la langue des mystères, s'édifie lui-même et prie avec (539) le coeur, il revient sur ces avantages d'où il tire une grande source de consolation, et il dit Votre action de grâces est bonne, car c'est le coeur qui vous inspire; mais l'auditeur né vous comprend pas ; il ne sait pas ce que vous dites, et par conséquent il ne retire pas grand fruit de vos paroles.

4. Ensuite, après avoir attaqué ceux qui ont le don des langues et déclaré que ce n'est pas là un don bien précieux, pour ne. pas avoir l'air de parler ainsi par envie, il dit : " Je remercie Dieu de ce que je parle mieux que vous encore toutes les langues que vous parlez (18) ". Il en dit autant dans un autre endroit. Pour rabaisser les avantages qui faisaient l'orgueil dès Juifs, pour montrer que ces avantages ne sont rien , il commence par montrer qu'il les possède à un plus haut degré que les Juifs, et alors il montre que ces avantages ont un inconvénient. " Si quelqu'un semble mettre sa confiance dans la chair, j'en ai encore plus le droit que lui, moi qui ai été circoncis huit jours après ma naissance, moi qui suis de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreux et enfant d'Hébreux, pharisien par la loi que je suis, persécuteur de l'Eglise par la force de mon zèle, irréprochable aux yeux de la justice qui prend sa source dans la loi ". (Philip. III, 4-6.) Et après avoir montré qu'il est richement doté de ces avantages, il ajoute : " Mais ces qualités qui étaient pour moi dès avantages, étaient, je l'ai bien vu, des torts aux yeux du Christ". (Ibid. VII.) Maintenant il procède encore de même : " Je parle les langues mieux encore que vous tous. Ne vous élevez donc, pas et ne vous complaisez pas en vous-mêmes, comme si ce don était votre privilége; car moi aussi je le possède, à un plus haut degré que vous. Mais j'aimerais mieux ne dire dans l'Eglise que cinq paroles dont j'aurais l'intelligence pour instruire les autres, que de dire dix mille paroles dans une langue inconnue ". Que signifient ces mots : " Cinq paroles dont j'aurais l'intelligence pour en instruire les autres " (19)? " M'entend par là des paroles intelligentes qu'on peut expliquer. aux autres, qu'on prononce soi-même et que les auditeurs peuvent répéter avec intelligence. " Que dix mille paroles en une langue inconnue ". Car ce ne serait là qu'une affaire de vanité, un verbiage qui ne serait pas aussi utile que quelques paroles bien comprises. Ce qu'il cherche partout, en effet, c'est l'intérêt de tous. Or le don des langues était un don nouveau et une importation étrangère, tandis que le don de prophétie était un don ancien, ordinaire et déjà commun. Le don des langues au contraire était tout récent, et saint Paul ne s'appliquait guère à le cultiver. Aussi n'en a-t-il pas fait usage. Ce n'était pas qu'il en fût privé; mais il recherchait des dons plus utiles; car il était libre de toute vaine gloire, et son but unique était de rendre ses disciples meilleurs. Cette âme, libre de toute vaine gloire, pouvait voir clair dans ses intérêts et dans ceux des autres; et c'est ce que ne peut faire l'âme qui est esclave de la vanité. Témoin Simon qui, ébloui parla vaine gloire, ne sut pas distinguer ses véritables intérêts; témoin les Juifs qui, par vaine gloire, sacrifièrent leur salut au démon.

C'est la vaine gloire qui a enfanté les idoles; c'est elle, c'est la passion insensée de la vaine gloire qui a fait tomber les philosophes dans l'erreur. Voyez la maligne influence de ce vice. Par lui , quelques-uns de ces philosophes se sont faits pauvres et d'autres se sont :passionnés pour l'opulence. Sa tyrannie est telle qu'elle se manifeste par les effets les plus contraires. L'un tire vanité de sa continence, un autre de ses adultères ; celui-ci de, sa, justice, celui-là de ses injustices. On se vante de sa vie sensuelle et de ses austérités, de sa .douceur et de son audace, de ses richesses; et de sa pauvreté. Quelques-uns de ces philosophes étrangers pouvaient acquérir les dons spirituels; par vanité, ils n'en voulaient pas. Les apôtres, au contraire, purs de toute vaine gloire, ont rapporté au Saint-Esprit tout ce qu'ils ont fait. Quand on les appelait des dieux, quand on était prêt à leur, immoler des taureaux couronnés pour le sacrifice, non-seulement ils refusaient de pareils honneurs, mais ils déchiraient leurs vêtements. Quand ils guérissaient les boiteux et que tout un peuple, la bouche béante, restait stupéfait de ce miracle, ils disaient : Pourquoi nous regarder. ainsi, comme si c'était nous qui avions opéré ce prodige? Ces sages de l'antiquité faisaient profession d'être pauvres parmi des hommes qui admiraient la pauvreté; les apôtres veulent être pauvres au milieu d'un peuple qui méprise la pauvreté et qui vante la richesse. Avaient-ils reçu quelque don, ils en faisaient part aux indigents, tant il est vrai (540) qu'ils étaient toujours guidés par la charité et non par la vaine gloire; ces sages, au contraire, agissaient comme des ennemis et- des fléaux de l'humanité. L'un jetait inutilement et follement tous ses biens dans la mer, à l'exemple des fous et des insensés ; un autre laissait ravager ses champs par les brebis. Chez eux tout tendait à la vaine gloire. Il n'en était. pas ainsi : les dons qu'on leur faisait, ils les distribuaient aux indigents avec tant de libéralité, qu'ils étaient toujours eux-mêmes tourmentés par la faim. S'ils avaient été vaniteux, ils n'auraient pas agi ainsi. Ils n'auraient rien reçu , ils n'auraient rien donné, de peur d'exciter les soupçons. Lorsqu'en effet on se dépouille de ses biens par vanité,, on se gardé bien de recevoir l'argent des autres, pour ne pas avoir l'air d'être dans l'indigence et de peur d'exciter les soupçons. Mais voyez les apôtres. lis servent, ils mendient pour les indigents : tant ils ressentent pour eux une tendresse plus que paternelle. Voyez la ligne de conduite qu'ils se sont tracée. De quelle modération exempte de toute vaine gloire n'est-elle pas empreinte ! " Si nous avons de quoi nous vêtir et nous nourrir, cela nous suffira": (I Tim. VI, 8). Quelle différence avec ce sage de Sinope qui vivait sous les haillons et dans un tonneau, sans avoir besoin de rien, au grand étonnement de bien des gens, mais sans profit pour personne. Saint Paul ne faisait rien de tout cela; car l'ambition et la vanité ne le guidaient pas. Il était vêtu décemment, il se tenait chez lui et se conduisait comme un parfait honnête homme. Le cynique méprisait' un pareil genre de vie, bravait en public toutes les bienséances et le décorum, et c'était la vanité qui l'entraînait. Pourquoi ce tonneau dont il faisait son habitation? C'était uniquement une affaire de vanité.

5. Saint Paul loua la maison qu'il habitait à Rome. Cela n'a rien d'étonnant de la part d'un tel homme. Il ne consultait jamais la vanité, ce monstre cruel, cet affreux démon, ce fléau de l'univers, cette vipère gonflée de poisons. Semblable à la vipère qui déchire le ventre de sa mère, la vaine gloire blesse l'auteur de ses jours. Quel remède employer contre cette maladie si compliquée? Il n'y a qu'à se proposer pour modèles ceux qui ont foulé aux pieds le monstre, à se pénétrer de leur exemple et à se régler sur eux. Voyez le patriarche Abraham ! Et ici qu'on ne me reproche pas de reproduire le même exemple et de rappeler toujours ce saint homme.. Car c'est là surtout ce qui le rend admirable et ce qui ôte toute excuse à ceux qui ne l'imitent pas. Si l'on pouvait montrer en effet qu'il n'a eu qu'une qualité et que sur tel ou tel autre point il faut citer un autre modèle, que lui, on pourrait dire que la vertu est chose difficile; puisque chacun des saints n'a que telle ou telle qualité. Mais quand nous voyons Abraham réunir en lui seul toutes les qualités ensemble, comment excuser les hommes qui, après la grâce et depuis la loi nouvelle, ne peuvent atteindre à ce, degré de vertu où sont parvenus ceux qui ont vécu avant la loi nouvelle et avant la grâce. Eh bien ! comment ce patriarche s'y est-il pris pour vaincre le monstre , pour dompter la vanité, dans la contestation qui s'éleva entre lui et le fils de' son frère? Il avait été le plus mal partagé, il n'avait pas eu la première part et pourtant il ne s'en affligea pas. Or vous savez que dans ces sortes d'affaires, il y a une sorte d'humiliation encore pire que la perte, pour les petits esprits, surtout lorsque, comme Abraham, on s'est vu maître souverain et que l'on ne se voit pas honoré à son tour par celui que l'on avait commencé à honorer soi-même. Eh bien ! rien de tout cela ne le mordit au coeur. Il se contenta de la seconde part qui lui était échue. Outragé par un jeune homme, malgré son grand âge, outragé par le fils de son frère, sans s'irriter, sans s'aigrir, il continua à l'aimer, à veiller sur lui. Une autre fois, sorti vainqueur d'une grande et terrible guerre, après avoir, repoussé et battu les barbares, il ne triomphe pas, il n'élève pas de trophée. Il voulait se défendre et non se vanter. Il donne l'hospitalité à des étrangers, et cela sans vanité, allant à leur rencontre, les honorant comme s'il était non pas le bienfaiteur, mais l'obligé. Il leur donne le nom de maîtres, sans savoir quels sont ces étrangers, et il veut que sa femme les serve. Après avoir fait l'admiration de l'Egypte, quand, sa femme lui eut été rendue, il ne se vante pas, malgré les honneurs dont il s'est vu comblé. Pourtant les habitants de ce pays lui donnaient le nom de roi. Quand il chargea son serviteur d'amener à son fils la femme qu'il devait épouser, il ne lui enjoignit pas de parler de son maître avec orgueil et avec ostentation, il se borna à lui dire d'amener la fiancée. Voulez-vous (541) maintenant examiner les hommes, depuis l'an de grâce, à l'époque où ils s'abreuvaient aux sources d'une grande et glorieuse doctrine? Voulez-vous voir comment ce vice était aussi à cette époque repoussé et banni ?

Considérez l'auteur da cette épître. Voyez comme il rapporte tout à Dieu, comme il rappelle toujours ses péchés, sans être aussi assidu à rappeler ses bonnes actions. Si parfois, pour corriger ses disciples , il se voit forcé d'en faire mention , il traite ce sujet fort légèrement et cède le pas à Pierre. Il ne rougit pas de travailler de ses mains chez Aquilas et Priscille. (Act. XVIII.) Partout il s'efforce de s'humilier et de s'abaisser. On ne le voit pas traverser fièrement la place publique et s'entourer d'une foule de disciples. Partout il cherche à se perdre dans les rangs obscurs de la multitude. Voilà pourquoi il disait: lorsque Paul est présent, il paraît bas en sa personne (II Cor. X, 10), c'est-à-dire qu'il a l'air d'un homme qui ne mérite aucune attention, d'un homme sans faste. Et il dit encore : " Ce que nous demandons à Dieu, c'est que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous paraissions ce que nous sommes ". (II Cor. XIII, 7.) Qu'y a-t-il d'étonnant, s'il méprise la fausse gloire? Ne méprise-t-il pas une gloire plus grande encore? Ne méprise-t-il pas la couronne céleste et la géhenne, pour plaire au Christ? Ne souhaite-t-i1 pas d'être anathème devant le Christ (Rom. IX, 3) " pour la gloire du Christ? " Tout en disant que c'est pour les Juifs qu'il veut souffrir, il déclare que c'est pour la gloire du Christ, afin que quelque insensé n'aille pas prendre pour lui les promesses qui leur sont faites. Si donc saint Paul était disposé à ne pas tenir compte de choses aussi importantes., comment pourrait-on s'étonner de son mépris pour les choses humaines ? Mais aujourd'hui, on ne résiste pas plus au mépris et à la crainte du déshonneur qu'à l'amour de la gloire. La louange nous gonfle, le blâme nous abat. Les coeurs pusillanimes et bas ressemblent aux organisations faibles; un rien suffit pour les ébranler. De telles âmes ne sont pas plus à l'épreuve de la richesse que de la pauvreté, et la joie a prise sur elles encore plus que la douleur. Car la pauvreté nous condamne du moins à la tempérance; la richesse au contraire amène souvent quelque grand naufrage. Voyez cet homme qui a la fièvre, tout le blesse, voyez cette âme corrompue dt dépravée, tout l'ébranle.

6. Instruits de ces vérités, sans fuir la pauvreté , sans admirer la richesse, tenons-nous prêts à tout. Lorsqu'on bâtit une maison , ce n'est pas à la préserver de la moindre goutte de pluie , à l'abriter contre les rayons du soleil que l'on fait attention ; car ce serait chercher l'impossible. On s'arrange de manière à ce qu'elle puisse braver les intempéries des saisons. Si l'on bâtit un navire, on ne demande pas que les flots s'éloignent de lui, que la tempête ne s'élève pas contre' lui ; car c'est chose impossible. Ce qu'on veut, c'est que la charpente du navire résiste aux assauts de la mer. En hygiène, nous ne demandons pas non plus à l'atmosphère d'être toujours calme et tempérée, nous songeons seulement à rendre notre constitution capable de braver les variations atmosphériques. Faisons de même pour l'âme. Ne nous étudions pas à fuir la pauvreté, à poursuivre là richesse; étudions-nous à pouvoir accepter l'une et l'autre, sans en recevoir aucune atteinte : car en mettant à part ces accidents de l'humanité qui sont presque inévitables, l'homme qui ne court pas après les richesses, mais qui est à l'épreuve des événements, l'emportera encore sur celui que la richesse accompagne. Pourquoi cela? D'abord un tel homme a ses ressources en lui-même, tandis que l'autre les a hors de lui. L'homme qui met sa confiance en sa propre force et dans son adresse est meilleur soldat que celui qui met toute sa confiance dans ses armes. Ainsi l'homme qui a sa vertu pour rempart est plus fort que celui qui met sa confiance dans son argent. En second lieu, le riche peut être préservé de la pauvreté, mais il n'est pas assuré contre les troubles de l'âme ; car la richesse est en butte à bien des troubles et à bien des orages. La vertu seule goûte un plaisir tranquille ; c'est un rempart assuré, elle met l'homme à l'abri des piéges qui menacent le riche et qui peuvent causer sa ruine. De tous les animaux, les cerfs et les lièvres sont les plus timides, et sont par conséquent la proie la plus facile à saisir; mais le sanglier, le taureau et le lion donnent du mal aux chasseurs. Eh bien ! il en est de même du riche et de celui qui fait voeu de pauvreté. Ce dernier, c'est le lion, c'est le taureau ; celui-là, c'est le cerf ou le lièvre. De combien de terreurs le riche n'est-il pas assiégé? N'a-t-il pas à (542) craindre les voleurs, les tyrans, les envieux,. les calomniateurs? Que dis-je? Ne soupçonne-t-il pas ses serviteurs mêmes ? Et pourquoi parler de sa vie misérable? Même après sa mort, il n'est pas à l'abri dès piéges du voleur. Non, la mort même n'est pas pour lui un asile assuré. Tout mort qu'il est, les malfaiteurs le pillent, tant c'est une chose incertaine, toujours prête à glisser entre nos mains que la richesse. Ce n'est pas seulement la maison du riche dont on enfonce les portés ; c'est son sépulcre que l'on force. Quoi de plus misérable que cet homme ? Il ne se repose même pas,au sein de la mort. Sa triste dépouille, cette dépouille inanimée n'est pas à l'abri des maux qui assiègent la vie humaine. Car les malfaiteurs ne respectent pas même la poussière et la cendre du riche; ils font au riche, quand il est mort, une guerre encore plus rude que de son vivant. De son vivant, ils pénétraient à la vérité dans le sanctuaire de sa richesse, ils fouillaient ses coffres; mais ils ne touchaient point à sa personne ; ils avaient assez de ses trésors, sans s'attaquer à ses vêtements, sans le mettre à nu. Mais après sa mort, les mains sacrilèges qui fouillent les sépulcres ne respectent pas même le cadavre du riche; ils le remuent, ils le tournent et le retournent, il n'est pas d'outrages et d'opprobres dont ils n'accablent ce cadavre, dans l'excès de leur cruauté.

Ce corps confié à la terre, ils le dépouillent de ses vêtements et le laissent nu. 0ù donc l'homme pourrait-il trouver un plus terrible ennemi que cette opulence qui perd son âme pendant sa vie et qui, après sa mort, expose son corps aux outrages, aux opprobres, sans permettre à la terre de le recouvrer, comme si c'était un condamné reconnu coupable des crimes les plus honteux. Mais aux condamnés du moins , quand ils ont subi la peine capitale, la loi ne demande rien de plus. La richesse au contraire condamne, même après sa mort, celui qui la possède aux plus terribles supplices, à demeurer exposé nu et sans sépulture,, exposition terrible, spectacle digne de pitié ! Ce sont là des peines bien graves, plus graves que les châtiments infligés par l'arrêt et par la colère d'un juge. Après être restée un ou deux jours sans sépulture, la dépouille de l'homme condamné par la loi est confiée à la terre; mais l'homme condamné par la richesse n'est confié à là terre que pour être exposé nu aux insultes et aux outrages. Si les voleurs n'enlèvent pas le mausolée du riche, ce n'est pas la richesse qu'il faut en remercier, c'est la pauvreté. Oui , c'est la pauvreté qui le soustrait à leurs mains avides. Laissez ce mausolée sous la garde de la richesse, qu'il soit d'or au lieu d'être de pierre, il sera enlevé comme le reste: tant il est vrai qu'on ne doit pas' compter sur la richesse ! Elle appartient à ceux qui la ravissent bien plus qu'à ceux qui la possèdent. II serait donc superflu d'employer de longs discours pour démontrer que la richesse résiste aux assauts, puisqu'au, jour même de la mort ceux qui la possèdent ne sont pas en sûreté. Quel est l'homme qui ne se réconcilie pas avec un mort, fût-il un monstre, fût-il un démon, fût-il plus méchant qu'un démon? Il suffit du spectacle de la mort pour attendrir un coeur de fer, une âme insensible,

Aussi, en présence d'un mort, ses ennemis tes plus acharnés mêlent leurs larmes à celles de ses amis. La colère s'éteint avec la vie, elle fait place à la pitié. Au moment des obsèques, quand a lieu le convoi funèbre, vous ne distinguez pas l'ami de l'ennemi, tant ceux qui assistent à ce convoi respectent les lois suprêmes de là nature. Mais là richesse ne suit pas même cette loi commune ; elle déchaîne contre ceux qui la possèdent, des colères implacables. Même après notre mort, elle nous fait des ennemis qui n'ont reçu de nous aucune injure; car dépouiller un cadavre est le propre d'une inimitié ardente et toujours armée. A l'heure de la mort, la nature réconcilie , avec nous des ennemis ordinaires ; mais la richesse arme contre le riche ceux-là même qui n'ont rien à lui reprocher, et leur cruauté s'acharne sur ce cadavre abandonné.

Pourtant il y a là bien des choses qui devraient attendrir ces hommes. Il y a la mort même, il y a l'immobilité cadavérique, il y a l'image d'un corps qui va tomber en poussière, il y a l'abandon. Mais rien n'attendrit ces âmes sacrilèges et tyrannisées par la soif inexorable de l'or. C'est l'amour de l'or, ce tyran impitoyable qui est là pour donner ses ordres inhumains, pour transformer des hommes en bêtes féroces , pour les jeter sur des sépulcres comme sur une proie. A l'oeuvre donc les bêtes féroces ! Elles se précipitent sur ce cadavre; elles- dévoreraient ces chairs inanimées, si ces membres pouvaient leur (543) profiter. Voilà donc les fruits de la richesse ! Même après notre mort, elle nous expose aux outrages et aux opprobres, elle nous prive de cette sépulture qui n'est pas refusée à dés misérables tout chargés de forfaits. Eh bien ! ces richesses qui sont nos mortelles ennemies, les aimerons-nous encore ? Non , mes frères, non ! fuyons-les plutôt, je vous en prie , et ne nous retournons pas pour les regarder. Si elles tombent entre nos mains, ne les gardons pas dans notre maison, mais servons-nous, pour les enchaîner, des mains de la charité. La charité seule peut les fixer et leur couper la retraite. C'est alors que la richesse inconstante devient fidèle ; paisible et douce; car l'aumône l'a transformée. Oui , si la richesse vient à nous, livrons-la aux pauvres. Si elle ne vient pas nous trouver, ne courons pas après elle, ne nous désespérons pas et ne regardons pas comme heureux ceux qui la possèdent. Heureux ! comment donc le seraient-ils? Donnerez-vous le nom d'heureux à ces bestiaires qui combattent des animaux féroces achetés à grand prix et gardés par les entrepreneurs de ces spectacles barbares , qui n'osent ni approcher de ces monstres, ni les toucher, qui les redoutent et qui tremblent devant eux? C'est l'histoire des riches. Ils ont enfermé dans leur coffre-fort cette bête féroce, ce monstre qu'on appelle la richesse , et tous les jours elle leur fait des blessures sans nombre. C'est tout le contraire de ce que font les bêtes féroces réservées aux spectacles. Ces monstres, quand on les tire de leurs cages, n'égorgent que ceux qui viennent à leur rencontre. Mais la richesse, quand elle est enfermée et gardée , ne fait périr que ceux qui la possèdent et qui la gardent. Apprivoisons cette bête féroce. Pour cela, il n'y a qu'un moyen . ne l'enfermons pas, donnons-la à garder aux pauvres. En agissant ainsi, nous en retirerons les plus grands avantages. En cette vie nous serons en sûreté , exempts de soucis et pleins d'espoir; quant à la vie future , nous l'attendrons avec confiance. Cette confiance , puissions-nous tous l'acquérir, par la grâce et les mérites de Notre-Seigneur JésusChrist, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXVI. MES FRÈRES, NE SOYEZ PAS ENFANTS PAR L'ESPRIT, MAIS SOYEZ DES PETITS ENFANTS POUR LE MAL, ET SOYEZ PARFAITS POUR L'ESPRIT. (CHAP. XIV, VERS. 20.)
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ANALYSE.

1 et 2. Le don de prophétie emporte sur le don des langues; il agit sur le cœur, il attire à Dieu les infidèles.

3. La règle fondamentale du christianisme, c'est d'être utile au prochain en toute chose.

4. Prophétisez les uns après les autres, et non tous ensemble.

5. et 6. De la sainteté de l'Eglise : combien tout doit y être réglé. — De la réponse que le peuple fait à l'Evêque : Le Seigneur soit avec vous et avec votre esprit! — Relâchement des chrétiens. — Des vierges, des femmes mariées, des veuves. — Assemblées saintes des fidèles. — Ne point parler dans l'église. — De la folie et de la misère des avares.

1. C'est avec raison qu'après des preuves et des démonstrations nombreuses: il se sert d'un style un peu plus véhément, gourmande ses auditeurs, et emploie un exemple qui s'applique à la circonstance présente. Les enfants, en effet, à la vue des petites choses, ouvrent la bouche, l'admiration les plonge dans la stupeur, mais les grandes ne les frappent point d'admiration. Puis donc que ceux qui ont le don des langues croient tout avoir, quand ce don n'est que le dernier pour les autres, il dit : " Ne soyez; pas enfants "; c'est-à-dire, ne soyez pas insensés là où il faut être sage, mais soyez enfants et simples là où sont l'injustice, la vaine gloire, l'orgueil. En effet, celui qui est enfant pour le vice, doit pourtant être prudent. De même que la prudence finie à l'improbité n'a jamais été la prudence, ainsi la simplicité unie à l'imbécillité ne sera jamais la simplicité. Dans la simplicité il faut éviter l'imbécillité, et dans la prudence, le vice et la scélératesse. Comme les remèdes amers ou doux ne sont plus efficaces, s'ils le sont plus qu'il ne faut, ainsi sont la simplicité et la prudence exagérées. C'est pourquoi le Christ ordonnait de-les tempérer toutes les deux, disant : " Soyez prudents comme les serpents, et simples comme les colombes ". (Matth. X, 16.) Qu'est-ce d'être de petits enfants pour le mal et le vice? c'est d'ignorer même ce que c'est que le vice; c'est ainsi que l'apôtre veut qu'ils soient. Et c'est pourquoi il disait: "Parmi vous on entend parler de la fornication ". (I Cor. V, 1.) Il n'a point dit : on s'en rend coupable, mais, ou en entend parler, vous connaissez bien la chose, car vous en avez ouï parler. Il voulait qu'ils fussent hommes et enfants, enfants pour le vice, hommes par la prudence. L'homme est un homme , s'il est encore un petit enfant, mais s'il n'est pas un enfant pour le vice, il n'est pas un homme. Car le scélérat n'est point parfait, c'est un insensé.

Car il est dit dans la loi : Je parlerai à ce peuple en des langues étrangères et inconnues, et, " après cela même ", dit le Seigneur, ils ne m'entendront pas. Cela n'est écrit nulle part dans la loi; mais, je l'ai dit plus haut, il comprend sous le nom de "loi " tout l'Ancien Testament, le livre des prophètes et l'histoire; sainte. Il appelle en témoignage le prophète Isaïe, rabaissant encore le mérite du don des langues, dans l'intérêt de ses disciples. Ces mots : " après cela même ", voulaient dire qu'un pareil miracle aurait dû suffire pour frapper leurs coeurs, et que si après cela ils ne croyaient pas, ils ne pouvaient s'en prendre qu'à eux. Et pourquoi Dieu a-t-il fait cela pour eux, s'ils ne devaient pas croire en lui ? Pour montrer qu'il fait sans cesse ce qu'il doit faire. Donc saint Paul, après avoir démontré , en le comparant au don de prophétie, que le don des langues est un signe (545) qui n'a pas une grande utilité, a ajouté ces mots: " Et ainsi le don des langues est un signe, non pour les fidèles, mais pour les infidèles; le don de prophétie, au contraire, n'est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles (22). Si donc toute une église étant assemblée en un lieu, tous parlent diverses langues, et que des ignorants ou des infidèles entrent dans cette assemblée, ne diront-ils pas que vous êtes des insensés (23) ? Mais si tous prophétisent et qu'un infidèle ou un ignorant entre dans votre assemblée, tous le convainquent, tous le jugent (24). Et ainsi le secret de son coeur est découvert, et se prosternant le visage contré terre, il adorera Dieu, rendant témoignage que Dieu est véritablement parmi vous (25) ". Ces paroles soulèvent bien des doutes. Si en effet le don des langues est un signe, comment se fait-il que saint Paul dise : Si les infidèles vous entendent parler des langues inconnues, ils diront que vous êtes des insensés? Et si le don de prophétie n'est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles, quel fruit les infidèles en recueilleront-ils? " Qu'un infidèle, dit-il, entre dans votre assemblée quand vous prophétisez, tous le convainquent, tous le jugent ".

Voilà donc une autre difficulté qui s'élève ! Voilà le don des langues qui semble l'emporter sur le don de prophétie ! Car si le don des langues est un signe pour les infidèles, tandis que le don de prophétie est un signe pour les fidèles, le don qui attire et unit à l'Eglise ceux qui sont hors de son sein, doit l'emporter sur, le don qui ne fait que réunir et organiser ceux qui sont déjà de la famille et de la maison. Que dit donc saint Paul? Rien dé difficile ni d'obscur, rien qui soit en contradiction avec ce qu'il a dit d'abord. Au contraire tout se tient, pour peu que nous y réfléchissions. Le don de prophétie s'adresse à tout le monde, tandis qu'il n'en est pas de même du don des langues. Aussi, après avoir dit que le don des langues est un signe, il ajoute : non pour les fidèles, mais pour les infidèles que Dieu veut attirer par ce signe, pour les infidèles que ce signe doit étonner, mais non instruire. Quand il s'agit du don de prophétie, il distingue encore et il dit : Le don de prophétie, au contraire, n'est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles. C'est que lé fidèle n'a pas besoin de voir un signe; un enseignement et un précepte, voilà tout ce qu'il lui faut. Mais alors, comment peut-on dire que la prophétie est utile à tout le monde, puisque saint Paul. dit lui-même qu'elle n'est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles ? Pesez ces paroles avec soin et dans une balance exacte, vous saurez ce qu'il veut dire. Il ne dit pas que la prophétie n'est pas utile aux infidèles, mais qu'elle n'est pas. comme les langues, un simple signe, c'est-à-dire, un don de luxe. Le don des langues, en effet, n'est pas précisément utile aux infidèles. Il n'a pour but et pour objet que d'étonner et de frapper leurs esprits. Car le signe n'est qu'un moyen. C'est ce qu'exprime le prophète en ces mots : " Sers-toi de moi pour faire un prodige ", et il ajoute : " pour le bien " ; et il dit encore : " Dieu s'est servi de moi pour opérer, un miracle dans l'intérêt de plusieurs ", c'est-à-dire, pour faire éclater un signe. (Ps. LXXXV, 17, et LXX, 7.)

2. Pour apprendre à ses disciples qu'il n'a pas voulu parler de ce signe, comme d'un don utile en tout point, il nous montre l'effet qu'il produit. Quel est cet effet? " Les infidèles, poursuit-il, diront que vous êtes des insensés. " Ce n'est point qu'il s'en prenne au signe en lui-même ; c'est à la démence des infidèles qu'il s'en prend. Et sous ce nom d'infidèles, n'allez pas croire qu'il désigne toujours les mêmes hommes. Tantôt il parle de ces malheureux qui sont incurables et incorrigibles; tantôt il parle de certaines âmes que l'on pourrait tourner au bien. Tels étaient, à l'époque des apôtres, ces infidèles qui admiraient pourtant les grandeurs de Dieu; tel était Cornélius. Voilà donc pourquoi il dit: Le don de prophétie est pour les infidèles et pour les fidèles; quant aux langues, les infidèles et les insensés qui les entendent parler, n'en retirent aucun profit et vont même jusqu'à se moquer de ceux qui les parlent, en les traitant d'insensés : car le don des langues n'est pour eux qu'un signe destiné à les frapper d'étonnement. Si ces infidèles avaient été sages, ils auraient pourtant profité du signe qui leur était manifesté. Car à cette époque, à côté des infidèles qui accusaient d'être en état d'ivresse ceux qui avaient le don des langues, il se trouvait aussi des gens qui admiraient ces orateurs comme des hommes qui leur parlaient des grandeurs de Dieu. Ceux qui tournaient de pareils hommes en ridicule étaient donc des insensés. Aussi saint Paul n'a-t-il pas dit simplement : " Vous êtes traités d'insensés ", il ajoute : " par les ignorants et par les infidèles ". Mais le don (546) de prophétie n'est pas simplement un signe, mais un don utile aux fidèles et aux infidèles, un don qui se manifeste pour affermir leur foi. Ce sens de saint Paul devient clair, non pas sur-le-champ, mais par les paroles qui suivent Tous le convainquent, dit-il. Si tous prophétisent, et qu'un infidèle ou un ignorant entre dans votre assemblée, tous le convainquent, tous le jugent. Et ainsi le secret de son coeur est découvert, et se prosternant le visage contre terre, il adorera Dieu, rendant témoignage que Dieu est véritablement parmi vous. Par conséquent, le don de prophétie a sur le don des langues le double avantage d'agir sur toutes les âmes, et d'attirer à Dieu les infidèles les plus endurcis.

Quand il a convaincu Saphire en vertu du don de prophétie, et quand saint Pierre parlait des langues inconnues; il y avait là deux miracles différents. Le premier faisait passer la conviction dans les cœurs; le second faisait dire: Voilà un insensé ! Donc après avoir dit : " Le don des langues est inutile ", après l'avoir rabaissé de nouveau en rejetant la faute sur les Juifs, il montre que ce don est même nuisible. Pourquoi donc a-t-il été donné? pour agir conjointement avec le don d'interprétation. Sans ce dernier don, il produit sur les insensés un effet contraire à celui qu'il devrait opérer. Si tous parlent diverses Lingues, dit saint Paul, et que des ignorants ou des infidèles entrent dans l'assemblée, ils diront que vous êtes des insensés. C'est ainsi que les apôtres ont passé pour des gens ivres: on disait d'eux: " Ces gens là sont pris de vin ". (Act. II, 13.) Mais ce n'est pas la faute du signe, c'est la faute de l'esprit grossier et injuste des auditeurs. Aussi saint Paul a-t-il ajouté que c'étaient les " ignorants " et les " infidèles " qui disaient : Voilà des insensés ! Les ignorants et les infidèles sont donc jugés par l'apôtre. Car, je l'ai dit plus haut, il insiste sur les dons qui n'ont pas une grande utilité, pour réprimer l'orgueil de ceux qui ont le don des langues et pour les mettre dans la nécessité de recourir à un interprète.

Car, comme ce n'était point là qu'ils tendaient, et que beaucoup de gens ne se servaient de ce don que pour en faire parade, et parce qu'ils désiraient des honneurs, il les en détourne principalement, en leur montrant qu'au lieu de gloire et d'estime, ils n'en retireraient qu'un grand dommage, comme les gens qu'on soupçonne de folie. Et c'est là perpétuellement la

manière de Paul : quand il veut nous détourner d'une chose, il nous montre que cela même que nous désirons nous fera du tort. Faites de même: voulez-vous détourner quelqu'un du plaisir, montrez-lui qu'il n'y a là qu'amertume; voulez-vous l'arracher à la vaine gloire, montrez-lui qu'elle ne renferme que honte et déshonneur. Ainsi faisait Paul. Voulant arracher les riches à l'amour des richesses, il ne dit pas seulement que les richesses sont nuisibles, mais encore qu'elles exposent aux tentations; car il dit : " Ceux qui veulent être riches tombent dans la tentation ". (I Tim. VI, 9.) Comme il semble qu'elles délivrent des tentations, il leur attribue le défaut contraire à la qualité que les riches lui attribuaient. D'autres s'appliquaient à la sagesse profane, comme s'ils pouvaient par ce moyen affermir le dogme; il montre que non-seulement elle n'apporte point de secours à la croix, mais encore tend à l'abolir. Ils insistaient pour être jugés à un tribunal étranger, pensant qu'ils étaient indignes d'être jugés par les leurs, comme si les étrangers étaient plus sages; il montre qu'il est honteux d'être jugé au dehors. Ils s'approchaient des autels des idoles, comme s'ils montraient par là une sagesse parfaite, et il prouve qu'il est d'une sagesse imparfaite de ne pas savoir gouverner les affaires de ses plus proches voisins. De même ici, comme ceux qui aiment la vaine gloire, admiraient profondément le don des langues, il montre que c'est cela même qui les couvre de honte, que non-seulement ce don ne leur procure point de gloire, mais leur attire encore le soupçon de folie. Mais il ne le dit pas tout de suite; après de longs développements qui ont pour objet de faire admettre et de faire agréer son discours, il ajoute ce qui est étonnant et contraire à l'opinion commune. Cette manière d'amener sa pensée lui est familière. Celui qui veut ébranler une opinion bien assise, et changer une conviction ferme et solide, ne doit pas tout de suite lui opposer l'opinion contraire; car il serait ridicule auprès de ceux qui sont prévenus par la pensée contraire. Ce qui est étonnant et contraire à l'opinion commune ne peut être admis tout de suite; il faut miner une croyance pour y substituer la croyance contraire.

3. C'est ainsi qu'il a fait, quand il a disserté du mariage : comme bien des gens y voyaient le repos et le plaisir, il voulait leur montrer que le repos et le plaisir ne sont pas unis au (547) mariage; s'il l'avait dit tout de suite, il ne se serait pas fait écouter; comme il ne l'a avancé qu'après un long préambule, et qu'il l'a amené à propos, il a facilement ébranlé ses auditeurs. C'est ce qu'il a fait aussi pour la virginité. Ce n'est qu'après de longs discours qu'il dit : "Je vous ménage ", et : "Je veux que vous soyez sans inquiétude ". (I Cor. VII, 28, 32.) Il le fait aussi pour les langues, montrant que non-seulement elles ne nous donnent point la gloire, mais encore que ceux qui ont ce don n'en retirent que de la honte et du déshonneur auprès des infidèles. La prophétie au contraire n'encourt point la honte et le déshonneur auprès des infidèles, et la gloire et l'utilité en sont également grandes: Personne ne dira de ceux qui ont le don de prophétie qu'ils sont insensés, personne ne se moquera d'eux; ils exciteront au contraire une admiration profonde.

En effet, " ils sont convaincus par tous ", c'est-à-dire, ce qu'ils ont dans le coeur se montre à tous et se produit au grand jour. Ce n'est point même chose de voir entrer quelqu'un et de l'entendre parler en persan ou en syriaque, ou de l'entendre révéler les mystères de sa pensée, soit qu'il le fasse dans un mauvais esprit et pour tenter les autres ,soit qu'il le fasse sincèrement et en toute honnêteté. Ce que l'un fait involontairement, l'autre le fait par réflexion, et cela est plus étonnant et plus utile, C'est pourquoi il dit pour les langues que vous êtes insensés, et il ne le dit pas en son nom, mais au nom des assistants : " Disant que vous êtes insensés ". Pour la prophétie, il fait parler les faits, et ceux à qui elle rend service. " Il est convaincu par tous ", dit-il, " il est jugé par tous, et c'est ainsi que les secrets de son coeur deviennent manifestes, et l'infidèle tombera sur sa face, adorera Dieu proclamant que Dieu est vraiment en vous ". Voyez comme ici rien n'est douteux : pour les langues il y a doute, et certains des infidèles attribuent cela à la folie; mais pour la prophétie il n'y a rien de semblable, on sera étonné, on adorera, on confessera Dieu d'abord en fait, ensuite en paroles. C'est ainsi que, Nabuchodonosor a adoré Dieu; disant : " En vérité votre Dieu est le Dieu qui révèle les mystères, puisqu'il a pu révéler ce mystère". (Dan. II, 47.) Voyez-vous la force de la prophétie, puisqu'elle a pu convertir et amener à la foi ce coeur farouche.

" Quoi donc, mes frères? quand vous êtes réunis, chacun de vous a le chant, a la doctrine, a la langue, a la révélation, a l'interprétation : que tout se fasse pour l'édification (26) ". Voyez-vous la règle fondamentale du Christianisme? Comme c'est le devoir d'un artisan d'édifier, ainsi c'est le devoir du chrétien d'être utile en tout à ceux qui sont près de lui. L'apôtre s'élève violemment contre un don, irais il ne veut pas faire croire qu'il est inutile, il veut seulement réprimer l'orgueil de ceux qui le possèdent; aussi le compte-t-il de nouveau parmi les autres dons, disant : " Il a le chant, il a la doctrine, il a la langue ". Autrefois on avait le chant par l'effet d'une grâce ou d'un don, et on l'enseignait aux autres; mais tout cela, ajoute Paul, ne doit avoir qu'un but, l'amendement du prochain : que rien ne se fasse au hasard et sans objet. Si vous ne vous approchez point de votre frère pour l'édifier, pourquoi vous approchez-vous de lui? Je ne fais pas grand cas de la différence des grâces; je n'ai qu'un souci, je n'applique mes soins qu'à un seul objet, à savoir que tout se fasse pour l'édification. Ainsi celui qui n'aura qu'un petit don, surpassera celui qui en a un grand, si l'édification y est jointe. Aussi les dons n'existent que pour que chacun soit édifié. Si cela n'arrive point, le don ne sert à celui qui l'a reçu que pour sa condamnation. A quoi cela sert-il, dites-moi, de prophétiser? et à quoi de ressusciter les morts, si personne n'en retire du profit? Or, si tel est l'objet des dons, et si l'on peut arriver à la même fin par d'autres moyens et sans les dons, il ne faut point s'enorgueillir des miracles, ni se croire malheureux, quand on est privé des grâces. S'il y en a qui parlent des langues, qu'ils soient deux ou trois tout au plus, qu'ils parlent à tour de rôle, et qu'il yen ait un qui interprète (27); " que s'il n'y a " point d'interprètes, qu'il se taise dans l'église, et qu'il parle à lui-même et à Dieu (28)". Que dites-vous? Après avoir si longuement démontré que les langues sont un don inutile et superflu, s'il n'y a point d'interprètes, vous ordonnez de nouveau de parler les langues? Je ne l'ordonne point, répond-il, mais je ne le défends pas non plus ; c'est comme quand il dit . " Si quelqu'un des infidèles vous appelle, et si vous voulez aller " ( I Cor. X, 27), il n'ordonne point par là d'aller, mais il ne retient pas; il en est de même ici : " Qu'il se parle à (548) lui-même et à Dieu ". S'il ne peut, dit-il, se taire, et s'il a un tel désir des honneurs et de la vaine gloire, qu'il se parle à lui-même. Ainsi par cela même qu'il a permis, il a défendu, en inspirant la honte d'un pareil acte.

4. C'est ce qu'il a fait ailleurs aussi en parlant du commerce de l'homme avec sa femme, et en disant : " Je le dis à cause de votre incontinence ". ( I Cor. VII.) Mais quand il parlait de la prophétie, il ne disait pas ainsi: et comment disait-il? il ordonne, il impose une loi . " Que " deux ou trois prophètes parlent ". Et ici il ne demande point d'interprète, et il ne ferme point la bouche à celui qui prophétise, comme en cet autre endroit où il dit : " S'il n'y a point d'interprète, qu'il se taise ". Car parler les langues ne suffit point. C'est pourquoi si quelqu'un a l'un et l'autre don, qu'il parle; s'il ne les a point et veut parler, qu'il le fasse avec un interprète. Le prophète est l'interprète, mais l'interprète de Dieu, et vous, celui de l'homme. " S'il n'y a point d'interprète, qu'il se taise ". Il faut que rien ne se fasse inutilement, rien pour l'ambition et l'amour des honneurs.

" Qu'il se parle a lui-même et à Dieu ", c'est-à-dire, dans son esprit et sans bruit, s'il le veut absolument. Ce n'est point là un ordre formel, c'est le fait d'un homme qui tâche d'inspirer la fonte par ce qu'il permet, comme quand il dit " Si quelqu'un a faim, qu'il mange chez lui ". (I Cor. II, 34.) Tout en lui permettant quelque chose, il ne l'en reprend que plus vivement. Vous n'êtes pas réunis, dit-il, pour montrer que vous avez des dons, mais pour édifier ceux qui vous écoutent ; c'est ce qu'il a dit au commencement : " Que tout se fasse pour l'édification. Que deux ou trois prophètes parlent et que les autres décident (29) ". Il n'en demande pas un grand nombre comme pour les langues. Et pourquoi cela, direz-vous; il montre que la prophétie ne suffit point, puisqu'il confie la décision à d'autres. Au contraire, elle est tout à fait suffisante, et en effet il ne ferme pas la bouche à celui qui prophétise comme à celui qui parle les langues; il ne lui impose pas silence, s'il ne se trouvé point là d'interprète; et s'il, a dit de l'autre : " S'il n'y a point d'interprète, qu'il se taise ", il ne dit point de celui-ci : S'il n'est personne qui comprenne, qu'il ne prophétise point ; il a seulement prémuni l'auditeur. Il les a avertis de se mettre sur leurs gardes, et de ne pas permettre que les devins et les charlatans se présentent au milieu d'eux.

Dès le commencement il les a mis en garde contre cela, quand il a donné la différence de la divination et de la prophétie. Et maintenant il les engage à user de discernement, et à prendre garde que quelque chose de diabolique ne s'introduise parmi eux. " Si un des assistants a une révélation, que le premier se taise. Vous pouvez tous prophétiser les uns après les autres , afin que tous apprennent et que tous soient exhortés (30, 31) ". Que signifient ces paroles? Si pendant que vous parlez, dit saint Paul, et que vous prophétisez, un autre est touché de l’Esprit-Saint, cessez de parler. Ce qu'il a exigé pour les langues, il l'exige ici, que cela se fasse isolément, mais d'une façon plus divine : il n'a pas dit : isolément, mais " si un autre a une révélation ", qu'est-il besoin, quand l'autre est saisi d'un mouvement prophétique, ' que le premier continue à parler?

Car, tandis qu'il parlait, l'Esprit-Saint a touché l'autre, afin qu'il dit aussi quelque chose à dire. Puis, pour consoler celui à qui il ferme la bouche, il dit : " Vous pouvez tous prophétiser les uns après les autres, afin que tous apprennent et soient consolés". Voyez comment il met encore en avant le motif qui le guide en tout ? S'il défend absolument à celui qui parle les langues de parler, quand il n'y a point d'interprète, c'est à cause qu'il est inutile; ainsi fait-il à l'égard de la prophétie, quand elle est inutile, et ne pourrait apporter que la confusion, le trouble et un tumulte inopportun ; alors il la fait taire. " Et les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes (32) ". Voyez avec quelle force il prend ses auditeurs par la honte ? pour que l'homme ne lui résiste point et ne soulève point de sédition, il montre que le don lui-même est inférieur, car ce qu'il appelle ici l'Esprit est l'inspiration. Or, si l'inspiration a ses degrés, il ne serait pas juste que celui qui en est possédé luttât contre une inspiration supérieure. Puis il montre qu'un pareil arrangement est agréable à Dieu par ces mots qu'il ajoute " C'est que notre Dieu n'est pas un Dieu de discorde, mais un Dieu de paix, comme je l'enseigne dans toutes nos saintes assemblées (33) ". Voyez-vous de combien de manières il s'y prend pour imposer silence à la vanité et pour consoler celui qui cède la parole à l'autre ? Voici son premier et son principal motif de consolation; vous pouvez tous prophétiser l'un après l'autre. Son second (549) motif est tiré des degrés de l'inspiration. L'inspiration d'un prophète est soumise à celle d'un autre prophète. Autre motif de consolation encore : Notre Dieu est un Dieu de paix et non de discorde. Enfin, quatrième motif, c'est une loi générale, c'est un précepte universel : voilà, dit-il, ce que j'enseigne dans toutes nos saintes assemblées. Quoi de plus imposant que ces paroles!

C'est qu'à cette époque l'Église, c'était le ciel; c'était l'Esprit-Saint qui dirigeait tout, qui faisait mouvoir les chefs de l'Église et qui leur donnait l'inspiration divine. Aujourd'hui nous n'avons conservé que les symboles et les signes extérieurs de ces dons précieux, aujourd'hui encore nous sommes deux ou trois qui parlons, et nous prenons la parole tour à tour; et quand l'un se tait, l'autre commence, mais ce ne sont là que des signes qui rappellent de si grands dons; voilà pourquoi, quand nous prenons la parole, le peuple répond : Que le Seigneur soit avec votre esprit. Cela prouve que l'on parlait ainsi autrefois, mais alors c'était non pas la sagesse humaine, mais l'Esprit qui était dans toutes les bouches; il n'en est pas ainsi de nos jours; et ici je parle aussi pour moi.

5. Mais l'Église ressemble aujourd'hui à une femme déchue de son ancienne splendeur, et n'a plus que des images de sa prospérité d'autrefois, elle montre les cassettes et les coffrets où étaient renfermées des richesses, mais elle a perdu les richesses elles-mêmes. C'est à cette femme que l'Église ressemble. Ce n'est point à cause des grâces que je parle ainsi , il n'y aurait rien. d'étonnant si elle n'avait perdu que cela, mais elle a perdu encore la bonne conduite et la vertu. Autrefois la foule des veuves et la troupe des vierges servaient d'ornement à l'Église; maintenant elle est déserte et vide, et elle n'a plus que des fantômes. Il y a encore aujourd'hui des veuves et des vierges, mais elles n'ont plus ces qualités qui doivent orner les femmes qui, se préparent à de tels combats. Le caractère auquel on reconnaît le mieux une vierge, c'est qu'elle ne s'occupe. que de Dieu et n'est occupée qu'à le prier continuellement ; et l'on reconnaît une veuve, non pas à ce qu'elle ne désire point un mariage heureux, mais à d'autres signes, comme la charité, l'hospitalité, l'assiduité à la prière et à toutes les autres vertus que demande Paul dans sa lettre à Timothée.

Même parmi les femmes qui se sont soumises au mariage, on en peut trouver qui font preuve d'une grande vertu : cependant ce n'est pas cela seulement qu'on leur demande, mais le soin diligent et l'amour des pauvres; en quoi brillaient d'un vif éclat les femmes d'autrefois, il n'en est pas ainsi de beaucoup de femmes de notre temps. Alors au lieu d'or, c'étaient les aumônes qui leur servaient d'ornements; aujourd'hui elles s'en sont dépouillées, et elles sont couvertes de chaînes d'or forgées avec leurs péchés.

Dirai-je qu'un autre endroit encore n'a plus l'éclat d'autrefois? Jadis tout le monde se réunissait, et l'on chantait en commun. Nous le faisons encore aujourd'hui , mais alors tous n'avaient qu'un seul esprit et qu'une seule âtre; aujourd'hui vous ne trouveriez pas même en une seule âme cette concorde et cet accord, mais partout la guerre sévit. Celui qui préside à l'assemblée , demande encore à tous le silence, comme à ceux qui entrent dans la maison de leur père, mais ce n'est là qu'un vain mot; cela n'est jamais une réalité. Autrefois les maisons mêmes étaient des églises, aujourd'hui l'église même est une maison , elle est même pire que n'importe quelle maison. Car dans chaque maison vous remarquez un ordre bien établi : la maîtresse de la maison est assise sur un siège, entourée de chasteté, de modestie et d'honneur: autour d'elle les servantes filent en silence, et chaque serviteur s'occupe de la tâche qui lui est imposée.

Mais dans l'église il y a un grand tumulte, une grande confusion, et elle ne diffère en rien d'une auberge, tant sont forts les rires, tant est grand le désordre, ainsi que dans des bancs et dans un marché où tous crient et font du bruit. Et cela n'arrive qu'ici : car ailleurs il n'est pas permis , dans l'église , d'adresser la parole même à son voisin, même à un ami qu'on revoit après une longue absence; tout cela doit se faire au dehors, et avec raison. L'église, en effet, n'est pas une boutique de barbier ou de parfumeur, ou une de ces échoppes d'artisans qui sont au marche, c'est le séjour des anges , le séjour des archanges, le royaume de Dieu, le ciel lui-même. Si quelqu'un vous introduisait au ciel, lors même que vous verriez votre père ou votre frère, vous n'oseriez lui parler : ainsi dans l'église ne faut-il dire que des choses spirituelles, car c'est aussi le ciel. Si vous ne me (550) croyez pas, regardez cette table, souvenez-vous pourquoi ce prêtre s'y tient, rappelez-vous quel est celui qui y descend, et demeurez muets même avant l'élévation. Si vous voyiez seulement le trône d'un roi, vous seriez excités par l'attente de son arrivée. De même il faut vénérer Dieu, même avant l'élévation; il faut être muet, et, avant de voir le voile déployé et le choeur des anges qui s'avance, il faut s'élancer vers le ciel. Mais celui qui n'est pas initié aux mystères ignore cela, il lui faut donc d'autres exhortations. Et nous ne manquerons point de paroles qui lui apprennent à se lever, et qui lui persuadent de s'élever sur les ailes de la pensée. Vous donc, qui ignorez les mystères, quand vous entendrez le prêtre dire : Voilà ce que dit le Seigneur : Retire-toi de la terre, vous aussi, montez au ciel, réfléchissez à ce qu'est celui qui, par la voix du prêtre, parle avec vous. Quand un historien cherche à exciter le rire, quand une femme joue le rôle d'une courtisane éhontée , l'assemblée est assise et écoute avec un profond silence ce qui se dit; cependant personne n'ordonne le silence, et il n'y a ni tumulte, ni clameurs, ni aucun bruit : mais quand Dieu parle du haut du ciel de choses bien autrement étonnantes et vénérables, nous poussons l'impudence au-delà du cynisme, et nous n'accordons pas même à Dieu le même respect qu'aux courtisanes.

6. Avez-vous frémi de ces paroles? frémissez encore bien plus, si vous vous rendez coupable des mêmes actes. Ce que Paul dit de ceux qui méprisent les pauvres et qui mangent seuls : " N'avez vous pas des maisons pour manger et pour boire? Méprisez-vous l'église de Dieu, et voulez-vous faire rougir ceux qui ne possèdent rien " (I Cor. XI, 22), permettez-moi de l'appliquer à ceux qui font du bruit et qui parlent à l'église. N'avez-vous pas des maisons pour bavarder? Méprisez-vous l'église de Dieu? Et voulez-vous corrompre ceux qui sont modestes et tranquilles? Mais il vous est doux et agréable de parler à ceux qui vous sont connus. Je ne vous le défends pas, mais faites-le chez vous, sur la place publique, dans les bains; l'église n'est pas un lieu de conversation, mais d'enseignement. Mais aujourd'hui elle ne diffère en rien d'un marché, et si le mot n'était point trop fort, d'un théâtre, car les femmes qui s'y réunissent sont parées de vêtements plus lascifs et plus impudiques que les courtisanes de la scène. C'est cela même qui y attire beaucoup d'hommes impudiques; si l'on veut séduire ou corrompre une femme, aucun lieu n'y paraît plus propre, je pense, que l'église ; si l'on veut vendre ou acheter quelque chose, on trouve l'église plus commode que le marché. Car il y a là plus de conversations à ce sujet que dans les boutiques mêmes.

Si l'on veut même blasphémer et entendre des blasphèmes, c'est là qu'on les entendra, plutôt que sur la place publique; si vous voulez apprendre les affaires de la ville, ce qui se passe dans les maisons et dans les camps, n'allez pas au tribunal, ne demeurez pas dans la boutique des médecins; c'est ici qu'on les annonce le plus exactement, ce lieu est tout plutôt qu'une église. Je vous ai peut-être réprimandés fortement; pour moi, je ne le pense pas. Si vous persévérez dans votre égarement, comment pourrai-je savoir que mes paroles vous ont touchés. Il est donc nécessaire de répéter mes réprimandes. Cela est-il tolérable? Cela est-il supportable? Tous les jours nous nous fatiguons et nous nous épuisons pour vous renvoyer avec quelque instruction utile, et cependant personne de vous ne se retire avec quelque profit, mais avec un dommage plus grand encore; car vous vous rendez coupables, quand vous n'avez aucune occasion de pécher, et par vos importunes bagatelles vous chassez ceux qui valent mieux que vous et qui se tiennent tranquilles ; mais que disent la plupart: je n'entends point, disent-ils, ce qu'on lit; je ne sais point ce qu'on dit; c'est parce que vous faites du bruit et du tapage, et que vous n'arrivez point avec un esprit doué du sens de piété. Que dites-vous? Vous ne savez ce que signifient ces paroles; c'est -pour cela même qu'il fallait faire attention. Et si ce qui est obscur n'excite point votre esprit, vous feriez moins attention encore à ce qui serait clair et manifeste. C'est pour cela que tout n'est pas clair, afin que votre attention ne soit pas paresseuse, et que tout n'est pas obscur, afin que volis ne désespériez pas de le comprendre. Un eunuque, un barbare ne parlent point ainsi, mais, lors même qu'ils sont accablés d'une multitude d'affaires, et qu'ils sont au milieu de la rue, ils ont un livre à la main et ils lisent; et vous, qui avez cette foule de docteurs et des gens qui lisent pour vous, vous (551) m'apportez des excuses et de vains prétextes. Vous ne savez ce qui se dit? Priez donc Dieu de vous l'apprendre. Mais il ne peut se faire que vous ignoriez tout; beaucoup de parties sont claires et lucides, et, lors même que vous ne comprendriez rien , il faudrait encore vous tenir tranquille, afin de ne point chasser ceux qui sont attentifs, et alors comme votre silence et votre réserve seraient agréables à Dieu, il rendrait clair ce qui est obscur pour vous. Mais vous ne pouvez vous taire? Sortez donc, afin de ne;point apporter de dommage aux autres. Car il faut que dans l'église il n'y ait qu'une seule voix, comme s'il n'y avait qu'une seule personne. C'est pour cela que celui qui lit parle seul, que celui qui préside l'assemblée demeure assis en silence, que celui qui chante chante seul, et quand les autres lui répondent, c'est comme une seule voix qui sort d'une seule bouche; et celui qui parle au peuple parle seul. Mais lorsqu'un grand nombre de docteurs discutent sur des choses diverses, pourquoi nous nous imposerions-nous un jeu inutile? En effet, si vous n'aviez point la légèreté de croire que nous vous imposons une gène inutile, quand nous parlons de choses si importantes, vous ne parleriez point de ce qui n'y a aucun rapport. Ainsi, ce n'est pas seulement dans votre conduite, c'est encore dans votre appréciation des choses qu'il y a de la perversité; vous convoitez ce qui est superflu, et, négligeant- la vérité, vous poursuivez des ombres et des rêves.

Tous les biens présents , ne sont-ce pas de l'ombre et des rêves, et quelque chose de plus vain que l'ombre? Avant qu'ils apparaissent, ils se dissipent, et, avant de s'envoler, ils nous laissent un trouble bien plus grand que le plaisir qu'ils ont pu nous procurer. Celui qui a enfoui des richesses incalculables, est pauvre quand la nuit est passée, et avec raion. Ceux qui sont riches en rêve, une fois qu'ils sont sortis du lit, n'ont rien de ce qu'ils ont cru voir pendant leur sommeil : il en est de même des avares et de ceux qui sont tourmentés du désir de toujours posséder davantage , que dis-je ? leur état est pire encore. Celui qui est riche en rêve, n'a point les richesses qu'il a cru voir en songe, et se lève sans avoir reçu de son rêve aucun mal; mais l'avare est à la fois privé des richesses, et rempli de tous les péchés qui naissent des richesses ; les plaisirs qui viennent des richesses, il n'en jouit que dans une espèce de fantôme , mais les maux qui en viennent ne sont pas un fantôme, mais la vérité même ; le plaisir n'a existé qu'en rêve, le supplice qui suit le plaisir n'existe pas seulement en rêve, il est réel; et, même avant ce supplice, l'avare est puni des plus forts châtiments; en amassant les richesses, il est en proie aux soucis innombrables, aux inquiétudes, aux accusations, aux calomnies, aux tumultes et aux désordres. Pour être donc délivrés des rêves et des maux qui ne sont pas des rêves, au lieu de l'avarice et du désir d'amasser adoptons les aumônes, et au lieu des rapines, la bienveillance. C'est ainsi que nous obtiendrons les biens présents et futurs par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit., appartiennent la gloire, la puissance, l'honneur, aujourd'hui et toujours, et jusque dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXVII. QUE VOS FEMMES SE TAISENT DANS LES ÉGLISES; IL NE LEUR EST POINT PERMIS DE PARLER, MAIS ELLES DOIVENT ÊTRE SOUMISES, AINSI QUE LE DIT LA LOI. (CHAP. XIV, VERS. 34.)
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ANALYSE.

1 et 2. Réserve que les femmes doivent garder dans les assemblées de l'Eglise.

2-4. Que l'ordre doit partout régner. — Que l’avarice est une maladie. — Du trouble que les passions causent dans le monde.

1. Après avoir réprimandé le tumulte qui naît des langues, et celui qui naît des prophéties, et porté la loi que ceux qui parlent le fassent tour à tour, et que ceux qui prophétisent se taisent quand un autre prend, la parole, il arrive enfin au trouble que causent les femmes, et gourmande leur bavardage importun : et il le fait à juste titre. Car si ceux qui ont les grâces ne doivent point parler au hasard, ni quand il leur plaît, quoiqu'ils soient inspirés du Saint-Esprit, que dire du bavardage vain et inconsidéré des. femmes. C'est pourquoi il leur ferme la bouche -avec une grande autorité, et il les fait taire, en s'armant de la loi. En effet, il ne donne pas seulement des conseils ou des exhortations, mais il commande avec force, citant à ce sujet. l'ancienne loi. Après avoir dit : " Que vos femmes se taisent dans les églises; il ne leur est point permis a de parler, mais elles doivent être soumises ", il ajoute : " Comme la loi le dit ". Et où la loi dit-elle cela? " Tu te tourneras vers ton mari et il te commandera ". (Gen. III, 16.) Voyez-vous la sagesse de Paul, et le grand témoignage dont il se sert, ne leur ordonnant pas seulement de se taire, mais de se taire avec crainte, et une crainte aussi grande que celle d'une esclave. C'est pourquoi après avoir dit : " Il ne leur est point permis de parler ", il n'ajoute point : Elles doivent se taire ; au lieu de " se taire ", il a mis ce qui est plus fort: Etre soumises. Si elles doivent se tenir ainsi devant leurs maris, elles le doivent bien plus devant les docteurs et les Pères, et dans l'assemblée des fidèles. Mais si elles ne parlent point, direz-vous, et si elles n'interrogent point, pourquoi seront-elles présentes? Pour entendre ce qu'il faut, quant aux choses dont elles doutent, elles doivent l'apprendre chez . eux de leurs maris. C'est pourquoi il a ajouté: " Si elles veulent apprendre quelque chose, qu'elles interrogent chez eux leurs maris " (35) ". Or, si elles ne doivent pas interroger, il leur est bien plus défendu encore de parler. Et pourquoi les a-t-il soumises à une si grande sujétion ? parce que la femme est faible, inconstante et légère. C'est pourquoi il leur a donné leurs maris pour docteurs, rendant ainsi service aux uns et aux autres. Il a rendu les femmes réservées et les hommes attentifs et soucieux de pouvoir répéter exactement devant leurs, femmes ce qu'ils ont entendu. Comme elles se faisaient une gloire de parler en public, il leur dit tout le contraire : " Il est honteux pour une femme de parler dans l'Eglise ". Il l'a prouvé d'abord par la loi de Dieu, ensuite par le. sens commun et l'usage, comme il leur disait aussi, quant à leurs cheveux: " N’est-ce pas la nature même qui vous l'enseigne? " (I Cor. 11, 14.) Et partout chez lui vous trouverez cette habitude de leur inspirer la pudeur, en s'appuyant, non sur les (553) saintes Ecritures, mais sur l'usage. Ce sont les opinions communes et l'habitude dont il se sert, pour leur inculquer la modestie, lorsqu'il dit: " La parole de Dieu est-elle partie de vous, ou est-elle venue chez vous seuls (36) ", et il cite en effet les autres. Eglises qui observent cette loi, et c'est en montrant qu'il est inusité qu'il,réprimande le tumulte, et c'est en s'appuyant sur les suffrages de la foule qu'il fait accepter son discours. C'est pourquoi il disait en un autre endroit : " Celui qui vous a rappelé à la mémoire mes voies dans le Christ, comme moi-même je les enseigne dans toutes les églises " ; (I Cor. IV, 17) et encore : " Ce n'est point un Dieu de dissension, mais de paix, comme aussi dans toutes les assemblées de saints " ; (Ibid, XIV, 33) et ces paroles: " La parole de Dieu est-elle partie de vous, ouest-elle venue chez vous seuls. " C'est-à-dire, vous n'êtes pas les premiers, vous n'êtes pas les seuls fidèles, mais c'est toute la terre. C'est ce qu'il disait aussi, en écrivant aux habitants de Colosse : " Comme elle fructifie et croît dans le monde entier", (Coloss. I, 6) en parlant de l'Evangile.

Quelquefois, pour exhorter ses auditeurs, il fait tout le contraire, comme quand il dit qu'ils ont agi les premiers, et que leurs actions brillent aux yeux de tous. Ainsi il écrivait aux habitants de Thessalonique : " C'est chez vous que la parole de Dieu a commencé à retentir ", et en tout lieu votre foi est allée à Dieu. (I Thess. 1, 8.) Il écrit encore aux Romains : " Votre foi est annoncée au monde entier ". (Rom. I, 8.) Pour exciter et exhorter les hommes, c'est un moyen également efficace de les faire louer par d'autres, ou de leur montrer que d'autres pensent comme eux. Et c'est pour cela qu'il dit aussi : " La parole de Dieu est-elle partie de vous; ou est-elle venue chez vous seuls? " Vous ne pourrez point dire : Nous avons été les docteurs des autres, et il n'est point juste que nous allions à l'école des autres, ni : C'est ici seulement que la foi a demeuré, et nous n'avons pas à prendre exemple sur d'autres. Voyez-vous par combien de moyens l'apôtre leur inspire la pudeur, il cite la loi, il montre que l'action est honteuse, et il apporte pour exemple les autres Eglises.

2. Enfin il dit en dernier lieu, et c'est ce qu'il y a de plus fort : c'est Dieu qui l'ordonne par moi : " Si quelqu'un paraît être prophète ou animé de l'Esprit divin, qu'il connaisse ce que je vous écris, que ce sont les ordres de Dieu (37); s'il l'ignore, qu'il l'ignore (38) ". Et pourquoi a-t-il ajouté cela? Pour montrer qu'il n'apporte ni violence, ni disputes, ce qui est le propre de ceux qui ne veulent pas imposer leurs volontés, mais qui considèrent ce qui est utile aux autres. C'est pourquoi il dit aussi en un autre endroit : " Si quelqu'un aime la dispute, nous n'avons point cette habitude ". (I Cor. XI, 16.) Cependant il n'agit pas ainsi partout, mais là seulement où ne se commettent pas de grands péchés, et c'est encore là qu'il cherche à inspirer la honte. Quand il parle des autres péchés, ce n'est pas ainsi qu'il dit, mais comment? " N'errez pas; ni les débauchés, ni les efféminés ne posséderont le royaume de Dieu ". (Ibid. VI, 9.) Et encore : "C'est moi Paul qui vous le dis, que si vous êtes circoncis, le Christ ne vous sera pas utile ". (Gal. V, 2.) Mais tomme ici il ne s'agit que du silence, ses réprimandes ne sont point si véhémentes, et par cela même il attire vers lui ses auditeurs. Il fait ensuite ce qu'il a coutume de faire: il revient à la première preuve dont il était parti pour dire tout cela : " C'est pourquoi, mes frères, recherchez la prophétie, et ne défendez pas de parler les langues (39) ". C'est son habitude de traiter non-seulement ce qu'il s'est proposé, mais de corriger tous les défauts qui lui paraissent tenir d'une certaine façon au sujet, puis d'y revenir, afin de ne point paraître s'écarter de ce qu'il voulait prouver. Ainsi, quand il parlait de la concorde dans les repas, après avoir fait une digression sur la communion dans les mystères, il revient à son premier sujet, disant : " C'est pourquoi quand " vous vous réunissez pour manger, attendez" vous les uns les autres ". (I Cor. XI, 33.) Ici de même, après avoir discuté sur l'ordre qu'il faut observer dans les dons, et montré qu'il ne faut point s'affliger des moindres, ni s'enorgueillir de ceux qui sont plus importants, il fait une digression sur la modestie qui convient aux femmes, il y apporte les preuves nécessaires, puis il revient à son sujet, disant: " C'est pourquoi, mes frères, recherchez la prophétie, et ne défendez point de parler les langues ". Voyez comme jusqu'à la fin il observe la différence entre ces deux dons, et comment il montre que l'un est tout à fait nécessaire, et que l'autre ne l'est point. C'est pourquoi il dit de l'un : " Recherchez ", et de (554) l'autre : " Ne défendez pas ". Puis, se résumant en quelque sorte, il corrige tout, ajoutant: " Que tout se fasse honnêtement et suivant l'ordre (40) ", ce qui s'applique encore à ceux qui par légèreté veulent agir avec indécence, acquérir la réputation de fous, et ne conservent pas l'ordre qui leur convient.

Rien n'est édifiant comme le bon ordre, la paix, la charité, de même que les vices contraires sont une cause de ruine. Cela n'est pas vrai seulement des choses spirituelles, c'est encore vrai en tout le reste. Dans un choeur, dans un navire, dans un char, dans un camp, si vous détruisez l'ordre, et. si ôtant de leur place les choses les plus importantes vous y mettez les moins importantes, vous gâtez tout, vous mettez tout sens dessus dessous. Ce n'est point nous qui renverserions l'ordre, et qui mettrions la tête en bas, et les pieds en haut. Il arrive que, quand on renverse ainsi l'ordre naturel, on préfère à la raison la concupiscence, la colère, l'emportement et le plaisir : de là naissent de grandes fluctuations, un soulèvement profond et une horrible tempête, quand les ténèbres ont tout envahi. Et, si vous le voulez, dissipons d'abord la honte qui en résulte, et ensuite le dommage qui en sort. Comment ce mal sera-t-il connu et manifeste? Amenons sur la place publique un homme ainsi atteint, possédé de l'amour d'une courtisane , et consumé d'un désir infâme, et nous verrons alors combien il est ridicule. Que peut-il y avoir de plus honteux que de se tenir à la porte d'une courtisane et d'être repoussé par elle, de pleurer et de se lamenter, et de ruiner ainsi sa considération? Si vous voulez voir le dommage, repassez en votre esprit les prodigalités, les dangers mortels, la guerre contre les rivaux, les coups et les blessures que l'on reçoit en ces combats. Ainsi sont également ceux que possède l'amour de l'argent. Ce vice même est plus honteux et plus indécent. Car les débauchés sont occupés d'un seul corps, et lui prodiguent leurs soins et leur amour, mais les avares sont inquiets et tourmentés par les richesses de tous, des pauvres et des riches, et ils aiment ce qui n'existe point, ce qui est le propre d'une passion excessive. Ils ne disent pas : je voudrais avoir les richesses d'un tel ou d'un tel, mais ils veulent des maisons d'or, les maisons et tout ce qu'ils voient; ils se transportent dans un monde imaginaire ; et c'est ce qu'ils souffrent toujours, et jamais leurs désirs n'ont de fin. Qui pourrait exprimer par les mots cette agitation de leurs pensées, cette tempête , ces ténèbres ? Où sont des flots aussi orageux que ceux du plaisir? Il n'y en a point, c'est un tumulte, c'est un désordre , ce sont de sombres nuages, qui, au lieu d'eau, apportent le chagrin à l'âme, ce qui a coutume aussi d'arriver à ceux qui aiment la beauté d'autrui. C'est pourquoi ceux qui n'aiment d'aucune façon sont dans un état plus doux que les débauchés de cette sorte. C'est là une pensée que personne ne contredirait; pour moi, je vais jusqu'à dire que celui qui aime et réprime sa passion, éprouve plus de plaisir que celui qui jouit continuellement d'une courtisane. Quoiqu'il soit un peu difficile de le prouver, cependant j'aurai l’audace de l'entreprendre. Cela est difficile, non pas à cause de la nature des choses, mais parce que les auditeurs ne sont point dignes de cette philosophie.

3. Répondez-moi, je vous prie: qu'est-ce qui est plus agréable à un amant, d'être méprisé de sa maîtresse, ou d'être honoré d'elle et de la mépriser? Il est clair que ce dernier cas est le plus agréable. Qui donc , je vous prie, la courtisane honorera-t-elle plus, ou l'homme qui s'asservit à elle et devient son esclave, ou celui qui s'est joué de ses filets et vole au-dessus des pièges qu'elle lui a tendus? Il est clair que c'est ce dernier. Sur qui portera-t-elle plus tôt son amour, sur celui qui a succombé, ou sur celui qui n'a pas encore succombé? sur celui, certes, qui n'a pas encore succombé. Quel est celui qui est le plus désirable, celui qui est déjà atteint de l'amour ou celui qui n'a pas encore été captivé ? C'est celui qui n'a pas encore été captivé. Si vous ne voulez point m'en croire, voyez ce qui vous arrive à vous-même. Quelle est la femme qu'on aimera plus, celle qui succombe facilement et se donne elle-même, ou celle qui refuse et combat longtemps? Il est hors de doute que c'est celle-ci , car c'est ainsi qu'elle allume un désir plus vif. La même chose arrive à la femme : elle honorera et admirera plus celui qui la méprise. S'il en est ainsi, que celui-là éprouve plus de plaisir qui est plus honoré et plus aimé. Le général d'armée qui a pris une fois une ville, l'abandonne, mais il met toute son ardeur à assiéger celle qui résiste et lutte ; le chasseur laisse cachée la bête qu'il (555) a prise, comme la courtisane fait de son amant, mais il poursuit celle qui se sauve devant lui. Mais l'amant, direz-vous, jouit de ses désirs, et l'autre n'en jouit point. Mais échapper à la honte et au déshonneur, ne pas être asservi à la tyrannie d'une maîtresse, ne pas être conduit et mené par elle comme un esclave, roué de coups, conspué, frappé à la tête, croyez-vous, dites-moi, que ce soit là un petit plaisir ? Si l'on voulait bien examiner tous ces tourments et rassembler toutes les hontes, les outrages , les incriminations, les colères, les inimitiés, et tous ces maux qui ne sont connus que de ceux qui les ont soufferts, il trouverait que toute guerre a plus de trêves que la vie misérable de ces hommes.

Quel est donc le plaisir dont vous me parlez, je vous le demande, est-ce celui qui résulte de l'union des sexes, et qui est bref et passager? mais la guerre lui succède tout à coup, et les agitations, et la rage, et la folie. Je vous parle comme je parlerais à des jeunes gens incontinents et impudiques, et qui n'entendraient pas volontiers ce qu'on leur dirait du paradis et de l'enfer. Mais, quand nous aurons produit tout cela au grand jour, nous ne pourrons dire combien grand est le plaisir des gens modérés et tempérants alors chacun pensera aux couronnes , aux récompenses, au commerce avec les anges, à la bonne réputation par la terre entière, à, la confiance et à la franchise des paroles, à ces espérances de bonheur immortelles. Mais l'union des sexes nous procure du plaisir; voilà ce qu'ils nous opposent toujours, et encore, que l'homme tempérant ne peut pas toujours résister à. la tyrannie de l'amour. C'est le contraire que vous trouverez ; le trouble et le désordre se trouvent plutôt chez celui qui se livre à la débauche, son corps est sans cesse agité ; son trouble est plus grand que celui de la mer houleuse ; jamais son désir ne s'arrête, il supporte continuellement ses assauts, semblable à ceux qui sont possédés par le démon et agités par les mauvais esprits. L'homme tempérant, au contraire, semblable à un vigoureux athlète, tient toujours la passion abattue, et trouve là un plaisir plus vif que tous les plaisirs des sens; cette victoire et sa bonne conscience lui servent de trophées éclatants et durables. Si le débauché se repose un peu après la lutte, il ne lui sert de rien; car de nouvelles agitations et de nouvelles tempêtes l'envahissent. Mais le sage ne permet pas dès le commencement que ce trouble pénètre en lui, que la mer se soulève, et que cette bête pousse des cris. S'il éprouve quelque peine à réprimer de si violents mouvements, il faut dire aussi que le débauché, toujours battu, percé dé coups et ne pouvant supporter l'aiguillon du désir, est semblable à celui qui emploie en vain tout son art à 'retenir un cheval indocile au frein; s'il cesse un instant ses efforts, s'il recule devant la fatigue, il est emporté par lui. Si j'ai expliqué tout cela plus clairement qu'il ne faut, qu'on ne me reprenne point; je ne recherche point la majesté dans mon discours, je cherche à rendre mes auditeurs graves et honnêtes.

4. Les prophètes aussi ne reculent devant aucune parole, quand ils veulent détruire l'intempérance et la corruption des Juifs, mais ils les réprimandent avec des paroles encore plus significatives que celles dont nous nous sommes servis. Le médecin qui veut guérir un abcès ne regarde pas à conserver ses mains propres, il ne songe qu'à guérir le malade de son abcès; celui qui veut relever l'humble se fait humble d'abord, et celui qui s'applique à tuer l'homme, qui dresse des embûches, se couvre de sang en même temps que son ennemi, et c'est cela même qui lui donne plus de gloire., Si vous voyez un soldat revenir de la guerre, souillé de sang et de cervelle, vous n'irez point le détester pour cela ni le, repousser, mais vous ne l'en admirerez que plus. Ainsi devons-nous faire quand nous voyons quelqu'un revenir tout ensanglanté , après avoir immolé la passion; nous devons l'en admirer davantage, nous associer et participer à ses combats et à ses victoires, et dire à ceux qui aiment : montrez-nous le plaisir que vous avez recueilli de vos passions.

L'homme tempérant et chaste trouve la volupté dans la victoire qu'il remporte sur lui-même : mais vous, quel est le plaisir que vous goûtez ? Vous me parlerez peut-être de celui que vous puisez dans un commerce charnel. Ah ! la volupté de la tempérance est plus franche et plus durable. Vos jouissances à vous sont courtes et vos plaisirs d'un moment ne laissent point de traces. Mais la chasteté puise dans sa conscience des joies plus vives et plus suaves qui ont de la durée. Le commerce des (556) sexes est incapable de calmer et d'élever notre âme comme la philosophie. L'homme chaste, je l'ai dit, montre une volupté franche. Vous, au contraire, qui êtes vaincu par vos passions, vous nous découvrez l'inquiétude de votre âme. Où sont vos plaisirs? je voudrais les voir; mais je ne les découvre pas. Quand' goûtez-vous un moment de plaisir en effet? Est-ce avant de satisfaire vos sens? mais, en ce moment-là, le plaisir n'existe pas pour vous. C'est dé la folie, de la démence, du trouble que vous éprouvez ; grincer des dents, être hors de soi, est-ce là du plaisir? si c'était là de la volupté, nous ne serions pas condamnés à donner, en un pareil état, tous les signes de la plus vive douleur. Les athlètes qui frappent ou qui sont frappés, grincent des dents. Les femmes déchirées par les douleurs de l'enfantement font de même. Ce n'est donc pas là un plaisir, c'est un trouble et un désordre excessif de l'âme. Et ensuite? Ah ! n'en parlez pas. La femme qui vient d'accoucher n'éprouve pas ce qu'on a le droit d'appeler un plaisir; elle est seulement délivrée de ses douleurs. Et franchement il n'y a pas là du plaisir; il y a un état de faiblesse et de prostration. Or, entre la volupté et la prostration, la différence est grande. Quel est donc le moment où vous goûtez quelque plaisir, dites-moi? Je n'en vois pas, ou si ce moment existe, c'est un éclair qu'on n'a pas le temps d'apercevoir. Ce moment, nous avons essayé mille fois de le saisir et de le retenir, nous ne l'avons pas pu; mais pour l'homme tempérant et modéré, il n'en est pas ainsi. Ses plaisirs sont apparents et durables; ou plutôt sa vie entière est une volupté : sa conscience lui tresse des couronnes; son âme est comme une onde tranquille qui ne connaît pas les orages et qui est assurée contre eux de toute part. A l'aspect de cette volupté pure, à la vue des inquiétudes et des troubles qui accompagnent la débauche , hâtons-nous de fuir ce vice, fuyons l'intempérance , pour faire voeu de tempérance et de chasteté, pour obtenir en outre dans l'autre vie le bonheur éternel, par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. BAISSEY.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXVIII. JE VAIS MAINTENANT, MES FRÈRES, VOUS REMETTRE DEVANT LES YEUX L'ÉVANGILE QUE JE VOUS AI PRÊCHÉ, QUE VOUS AVEZ REÇU, DANS LEQUEL VOUS DEMEUREZ FERMES, ET PAR LEQUEL VOUS SEREZ SAUVÉS, SI VOUS L'AVEZ RETENU, COMME, JE VOUS L'AI ANNONCÉ. (CHAP. XV, VERS. 1.)
557

ANALYSE.

1 et 2. Explication littérale du texte de saint Paul. — Prudence de saint Paul, son habileté, dans les circonstances les plus délicates, à manier les âmes. — Importance capitale du dogme de la résurrection.

3 et 4 Discussion curieuse contre les Manichéens qui soutenaient que la mort de Jésus-Christ et la résurrection n'étaient que la mort du péché et la purification de l'âme.

5-7. De l'humilité de saint Paul ; exemple qu'il nous donne. — Contre le désespoir et la confiance exagérée, ces deux grandes causes de tous nos malheurs. — Sur ce qu'il y a d'insatiable dans l'âme humaine, et sur le bonheur de la pauvreté. — Opposition curieuse de ces deux derniers développements.

1. Il vient d'en finir avec les dons spirituels, il passe maintenant à la vérité qui est, de toutes les vérités, la plus nécessaire, à la résurrection ; sur ce point, les fidèles étaient atteints d'une maladie grave. Et de même que pour le corps, si la fièvre en saisit lés parties solides , les nerfs , les veines , les premiers éléments qui le constituent, il faut désespérer de la guérison, si l'on ne s'y applique avec lé plus grand soin; de même, pour leur salut, les fidèles couraient le plus grand danger. C'était aux éléments mêmes de la piété que le mal s'attaquait. Aussi Paul apportait-il un grand zèle à: les guérir. Il ne s'agissait plus de la conduite, des moeurs, du libertinage de l'un, de l'avarice de l'autre, de tel qui se montrait la tête couverte, mais de ce qui est le résumé de tous les biens; c'était sur la résurrection même qu'on était en dissentiment. Comme toute notre espérance est là, c'est le point que le démon attaquait avec le plus d'acharnement, et tantôt il la supprimait tout à fait, tantôt il disait qu'elle avait eu déjà lieu. Aussi Paul , écrivant à Timothée, appelle cette funeste doctrine , une gangrène, et flétrit ceux qui la propagent: " De ce nombre sont Hyménée et Philète qui se sont écartés de la vérite en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns ". (II Tim. II , 17, 18.) Quelquefois donc ils disaient cela, d'autres fois ils prétendaient qu'il n'y a pas de résurrection pour le corps, que la résurrection n'est que la purification de l'âme. Ce qui les portait à tenir de pareils discours, c'était la perversité du démon , jaloux , non-seulement de renverser la résurrection, mais de montrer que tout ce qui a été accompli pour nous n'est que fables. Si l'on avait pu persuader aux esprits qu'il n'y a pas de résurrection des corps, le démon aurait fini par persuader peu à peu que le Christ lui-même n'est pas ressuscité; de là, procédant méthodiquement, il aurait introduit la doctrine que le Christ n'a pas paru parmi nous, n'a pas fait ce qu'on lui attribue.

Telle est la malignité du démon , que Paul appelle un système " d'artifices " (Ephés. VI, 11), parce que le démon ne fait as paraître tout de suite ce qu'il veut qu'on approuve , il craint trop d'être convaincu de perfidie; il prend un masque, il a recours à des manoeuvres, comme un ennemi rusé qui veut entrer dans une ville , forcer les murailles, il a des conduits souterrains , cachés à tous les yeux, dont on ne peut se défier, afin de tromper la vigilance et d'assurer le succès de ses affreux (558) desseins. Aussi, trouvant toujours ses piéges ténébreux, toujours à la poursuite de ses criminelles embûches, cet admirable apôtre, ce grand homme disait : " Nous n'ignorons pas " ses desseins ". (II Cor. II, 11). Ici, en effet, Paul découvre toute la ruse du démon , il montre toutes ses machinations ; tout ce que le pervers médite et prépare, l'apôtre l'étale, il fait voir le tout dans tous les détails avec le plus grand soin. Voilà pourquoi ce qu'il place en dernier lieu , c'est cette, vérité capitale , la plus nécessaire de toutes, et qui renferme tous. nos intérêts. Or voyez là prudence du Maître : ce n'est qu'après avoir fortifié ses disciples , qu'après avoir mis les siens en sûreté, qu'il va plus loin, qu'il attaque les étrangers, qu'il leur ferme la bouche avec toute espèce d'autorité. S'il fortifie les siens, s'il les met en sûreté , ce n'est pas par des raisonnements, mais il s'appuie sur des faits déjà accomplis, qu’eux-mêmes ont acceptés, auxquels ils ont ajouté foi c'était un puissant moyen de les faire rentrer en eux-mêmes, et de lés contenir. S'ils voulaient dorénavant refuser leur foi , ce n'était plus a Paul mais à eux-mêmes qu'ils la refusaient; ils devaient s'en prendre à ceux qui avaient, les premiers , admis la foi nouvelle , et qui s'étaient transformés. Aussi commence-t-il par dire qu'il n'a pas besoin d'autres témoins de la vérité de sa parole que ceux mêmes qui ont été trompés.

Mais voici qui rendra mon discours plus clair, écoutez les paroles mêmes. Quelles sont ces paroles? " Je vais maintenant, mes frères, vous remettre devant les yeux l'Evangile que je vous ai prêché ". Voyez-vous, dès le début, la parfaite convenance? Voyez-vous, dès le début, comme il leur montre qu'il ne leur apporte aucune étrangeté, aucune nouveauté Remettre devant les yeux ce qui a déjà été mis devant les yeux et qui ensuite a été oublié, ce n'est que rafraîchir la mémoire. Il les appelle frères; et ce simple mot constitue, une démonstration anticipée , une démonstration. éloquente de la vérité qu'il soutient; car nous ne sommes frères que par l'incarnation de Jésus-Christ. S'il les appelle de ce nom, c'est pour les adoucir, pour les flatter, pour leur rappeler en même temps, d'innombrables bienfaits. Et ce qui suit confirme sa pensée. Qu'est-ce qui vient après? L'Evangile. Le point de départ de l'Evangile , l'Evangile tout entier c'est Dieu fait homme, crucifié , ressuscité. C'est ce que Gabriel annonça à la Vierge, c'est ce que les prophètes annoncèrent à toute la terre, c'est ce qu'ont annoncé, à leur tour, tous les apôtres. " Que je vous ai, prêché, que vous avez reçu, dans lequel vous demeurez fermes, et par lequel vous serez sauvés, si vous l'avez retenu, comme je vous l'ai annoncé, et si ce n'est pas en vain que vous avez embrassé la foi (2) ".Voyez-vous comme il les prend pour témoins de ses paroles? Et il ne dit pas: Que vous avez entendu, mais, " que vous avez reçu "; il leur redemande., pour ainsi dire, un dépôt, et il leur montre que ce n'est pas seulement un discours entendu ; que des actions, des signes, des prodiges les ont décidés à le recevoir, de manière à le conserver fermement.

2. Ensuite, après le rappel du passé, vient l'assertion relative au présent : " Dans lequel vous demeurez fermes"; l'apôtre se saisit des fidèles; il prévient,leur résistance, ils auraient, beau vouloir, impossible à eux d'opposer une négation: Voilà pourquoi il ne, dit pas en commençant : Je viens vous. apprendre, mais: " Je vais vous remettre devant les yeux " ce que vous connaissez déjà. Mais comment peut-il dire, de ceux qui bronchent, qu'ils demeurent fermes? Il fait semblant de ne pas voir, et c'est de l'habileté : c'est une conduite analogue qu'il tient avec les Galates, seulement il y a une différence. Avec les Galates il ne peut pas feindre d'ignorer, il a recours à un autre: langage : " J'ai confiance dans le Seigneur, que vous n'aurez point d'autres sentiments " (Gal. V, 10); il ne dit pas : Que vous n'avez point eu d'autres sentiments; leur faute était avouée ; manifeste, mais il garantit l'avenir; sans doute l'avenir est incertain, mais ce qu'il en dit, c'est pour entraîner les fidèles. Ici, avec les Corinthiens, il fait semblant de ne pas savoir: " Dans lequel vous demeurez fermes". Suit la considération de l'utilité; " et par lequel vous serez sauvés, si vous l'avez retenu comme je vous l'ai annoncé ". C'est pourquoi l'enseignement d'aujourd'hui n'est qu'exposition et interprétation. En effet, c'est une doctrine que vous n'avez pas besoin d'apprendre, mais seulement de vous rappeler, afin de vous redresser. Ces paroles, c'est pour les rappeler à leur devoir. Mais que signifie : " comme je vous l'ai annoncé ? " De la manière, dit-il, dont je vous ai annoncé la résurrection. Je ne prétends pas que vous doutiez (559) de la résurrection, mais peut-être voulez-vous savoir plus clairement ce qui a été dit. C'est une explication que je veux encore vous donner : car je sais que vous avez conservé le dogme. Ensuite , comme il leur avait dit : " Dans lequel vous demeurez fermes", pour prévenir la négligence où cet éloge les porterait, il leur inspire un sentiment de crainte, en leur disant : " Si vous l'avez retenu , et si ce n'est pas en vain que vous avez embrassé la foi " ; il leur montre par là que le coup serait mortel, qu'il ne s'agit pas de dogmes quelconques , mais de l'essence même de la foi.

En ce moment , il parle à mots couverts, mais à mesure qu'il avance , qu'il s'échauffe, il se découvre, il met à nu sa pensée, il parle à haute et intelligible voix, il crie: " Si Jésus-Christ n'est point ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi (14) ", vous êtes; encore dans vos péchés. Mais, au début, il ne s'exprime pas de cette manière; il était bon de commencer doucement et de ne s'avancer que pas à pas. " Car je vous ai transmis d'abord ce que j'ai reçu (3) ". Ici même, il ne dit pas, je, vous ai dit, ni je vous ai enseigné, mais il se sert encore de l'expression : " je vous ai transmis ce que j'ai reçu ". Et il ne dit pas qu'il a été instruit, mais, " ce que j'ai reçu " : cette manière de parler s'explique par une double intention; d'abord on ne doit rien introduire de son fonds particulier dans l'enseignement ; ensuite, la démonstration de la vérité se faisant par, les oeuvres, c'est là ce qui a dû opérer en eux la. certitude, et ils ne la doivent pas seulement . des paroles; puis, peu à peu, rendant son discours de plus en plus digne de foi, il rapporte le tout au Christ, et il montre qu'il n'y arien, dans ces dogmes, qui appartienne à l'homme. Mais que signifie , " car je vous ai transmis d'abord ? " C'est-à-dire, dès le commencement, ce n'est pas seulement d'aujourd'hui. Il prend le temps à témoin, et ce serait le comble de la honte, après avoir cru si longtemps, de renoncer maintenant à la foi ; cette raison n'est pas la seule de plus, le dogme est nécessaire; voilà pourquoi il a été transmis. dès le début, et tout de suite, et d'abord. — Et qu'avez-vous transmis? Répondez-moi. — L'apôtre ne le dit pas tout de. suite, mais d'abord, " ce que j'ai reçu ". Et qu'avez-vous reçu? " Que Jésus-Christ est mort pour nos péchés". Il ne dit pas tout de suite qu'il y a une résurrection de nos corps, mais c'est l'affirmation même qu'il prépare de loin , et par un moyen détourné, " que Jésus-Christ est mort" ; il commence par jeter le grand et ferme et solide fondement de son discours sur la résurrection. Car il. ne se contente pas de dire que Jésus-Christ est mort, quoique ces simples,paroles eussent été suffisantes pour rendre manifeste la résurrection, mais il ajoute: "que Jésus-Christ est mort pour nos péchés ".

Avant tout, il est bon d'entendre sur ce sujet ces manichéens malades, ennemis de la vérité, ces adversaires armés contre leur propre salut. Donc que disent-ils? Par mort, à les en croire, Paul n'entend pas autre chose que l'état de péché, et la résurrection n'est que l'affranchissement du péché. Voyez-vous la faiblesse de l'erreur? comme elle fournit elle-même des armes contre elle? comme il est peu besoin de forces étrangères, comme elle se transperce elle-même? Voyez donc, considérez comme ils se transpercent eux-mêmes par les discours qu'ils tiennent. Si c'est là ce qu'il faut entendre par mort, si le Christ n'a pas revêtu dé corps, comme vous le prétendez, s'il est mort, le Christ a été en état de péché, à vous entendre. Voici, moi, .ce que je soutiens, à savoir, qu'il a pris un corps, et je dis que la mort est le fait de la chair : or vous le niez, il vous faut donc nécessairement dire qu'il était dans le péché. Or s'il était dans le péché, comment a-t-il pu dire : " Qui de vous me convaincra de péché?" (Jean VIII, 46) et encore : " Le prince de ce monde va venir, quoiqu'il n'ait rien en moi qui lui appartienne ". (Id. XIV, 30); et encore : " C'est ainsi que nous devons accomplir toute " justice". (Matth. III, 15.) Or comment est-il mort pour les pécheurs, si lui-même était un pécheur? Celui qui meurt pour les pécheurs, ne doit être soumis à aucun péché : car s'il est lui-même un pécheur, comment pourra-t-il mourir pour les péchés des autres? Au contraire, s'il est mort pour les péchés des autres, il est mort, n'étant lui-même soumis à aucun péché; mais s'il est mort, étant sans péché, il n'est pas mort par le péché, (comment cela. se pourrait-il, puisqu'il n'avait aucun péché?) mais il est mort par son corps. Aussi Paul ne dit pas seulement : " Est mort ", mais il ajoute : " pour nos péchés ". Et après les avoir contrainte, quelque dépit qu'ils en aient, de (560) reconnaître la mort corporelle, en montrant qu'avant la mort il était sans péché, (car mourir pour les péchés des autres entraîne nécessairement cette conséquence que l'on est sans péché,) l'apôtre n'est pas encore content, il ajoute : " Selon les Ecritures " ; nouvelle preuve à l'appui de son discours, et qui marque de quelle mort il entend parler. Car les Ecritures parlent partout de la mort du corps : " Ils ont percé mes mains et mes pieds " (Ps. XXI, 17) ; et: " Ils verront celui qu'ils ont percé". (Jean, XIX, 37.)

3. On peut voir un grand nombre d'autres passages, pour ne pas les énumérer tous un à un, exprimant soit par des paroles, soit par des figures, et que c'est la chair quia été meurtrie, et que le Christ est mort pour nos péchés. " C'est pour les péchés de mon peuple", dit le prophète, "qu'il est mort ", et " le Seigneur l'a livré pour nos péchés ", et " il a été percé de plaies pour nos péchés ". (Is. LIII, 8, 6, 5.) Si vous ne voulez pas de l'Ancien Testament, entendez la voix de Jean qui vous crie, qui vous montre les deux choses à la fois, et le corps meurtri, et la cause de la mort. " Voici ", dit-il, " l'agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde " (Jean I, 29) ; et Paul disant "Celui qui ne connaissait pas le péché, il l'a rendu pour nous le péché, afin que nous devenions la justice de Dieu en lui " ( II,Cor. V, 21) ; et encore : " Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s'étant rendu pour nous malédiction " (Gala III , 13) ; et encore : " Et avant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées en triomphe " (Coloss. II, 15) et combien d'autres, passages, qui montrent et que c'est le corps qui à été meurtri, et qu'il l'a été pour nos péchés: C'est le Seigneur lui-même qui dit : " Je me sanctifie moi-même pour vous " (Jean, XVII, 19); et: " Le prince de ce monde est déjà condamné " (Id. XVI, 11), pour montrer que le Christ a été mis à, mort, quoique sans- péché. "Qu'il a été enseveli. (4) ". Nouvelle preuve à l'appui de ce qui précède; car ce qu'on ensevelit, est nécessairement un corps. Ici, l'apôtre n'ajoute plus: Selon les Ecritures; il pouvait le faire assurément, mais il ne le fait pas. Pourquoi? ou bien par la raison que lé sépulcre de Jésus-Christ était alors, comme aujourd'hui, un monument public, manifeste, ou bien parce que l'observation : " Selon les Ecritures " s'applique à tout.

Pourquoi donc ajoute-t-il en cet endroit " Selon les Ecritures ? et qu'il est ressuscité, le troisième jour, selon les Ecritures? " pourquoi ne se contente-t-il pas de l'observation une fois pour toutes? C'est parce que la résurrection , au troisième jour;. était un fait incertain pour le grand nombre. Voilà pourquoi, ici encore, l'apôtre cite les Ecritures, et en cela il. est inspiré de la sagesse divine. Pourquoi en ce qui concerne la mort, ne les mentionne-t-il pas? C'est que le crucifiement état, pour tous; un fait avéré; la croix, tous l'avaient vue, tous ne voyaient pas de même là cause de la mise en croix. Que le Christ fût mort, tous le savaient, mais qu'il eût souffert pour les péchés de tous, c'est ce que la multitude ne savait pas également bien. Voilà pourquoi l'apôtre cite le témoignage des Ecritures: Mais c'est ce que nous avons déjà suffisamment démontré. Or; dans quels passages les Ecritures ont-elles annoncé la sépulture et la résurrection au troisième jour? par la figure de Jonas que le Christ lui-même rappelle en disant. " Comme Jonas fut trois jours et. trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l'homme sera trois jours et trois nuits dans le coeur de la terre ". (Matth. XII, 40.) Par le buisson ardent du désert (Exode III) : de même que ce buisson brûlait sans se consumer, de même le corps du Sauveur subit la mort, mais ne fut pas retenu par la mort. Autre image encore: le dragon de Daniel (Daniel XIV) : de même que ce dragon, après avoir pris la nourriture que lui donna le prophète, éclata: par le milieu du corps; ainsi l'enfer, après avoir dévoré le corps, divin, fut déchiré; ce corps lui brisa le ventre, et ressuscita.

Si maintenant. vous tenez à entendre des paroles expresses après. des figures, écoutez Isaïe : " Sa vie est arrachée à la terre, et le Seigneur veut le purifier de la plaie, pour lui montrer la lumière ", (Isaïe, LIII, 8, 10). Et David, avant Isaïe : " Vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer, et ne souffrirez point , que votre saint éprouve la corruption ". (Ps. XV, 10). Et si Paul, à son tour, vous renvoie aux Ecritures, c'est pour vous faire savoir, que ces choses n'ont pas été faites au hasard ; et sans dessein. Pourrait-on le penser, après tant d'images des prophètes qui proclament que l'Ecriture n'entend nulle part la mort du péché, quand elle parle de la mort du Seigneur, mais qu'elle annonce la mort du corps, (561) la sépulture, la résurrection, telle qu'on vous l'a enseignée? " Qu'il s'est fait voir à Céphas (5) ". L'apôtre nomme tout de suite celui qui est de tous le plus digne de foi. " Puis aux douze apôtres. Qu'après il a été vu en une seule fois de plus de cinq cents frères, dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd'hui, et quelques-uns sont endormis ; qu'ensuite il s'est fait voir à Jacques, puis à tous les apôtres; et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton (6, 7, 8) ". Après la démonstration qui se fait par le moyen des Ecritures, il ajoute la démonstration par les faits, il cite comme témoins de la résurrection, après les prophètes, les apôtres et les autres fidèles. S'il eût pensé que cette résurrection ne fut que l'affranchissement du péché, il eût été inutile de dire que Jésus-Christ fût vu de celui-ci, de celui-là. Les yeux n'ont pu voir que le corps ressuscité, et non l'affranchissement du péché.

4. Voilà pourquoi l'apôtre ne s'est pas contenté de dire une fois seulement : " Il a été vu ", quoiqu'il eût pu se borner à le dire une fois pour toutes; mais ici Il répète deux et trois fois cette expression, autant de fois presque qu'il y a eu d'apparitions différentes. " Qu'il s'est fait voir ", dit-il, " à Céphas ; il a été vu en une seule fais de plus de cinq cents frères ; il s'est fait voir à moi-même ". Cependant l'Evangile dit , au contraire , qu'il s'est fait voir d'abord à Marie. C'est qu'il n'est question ici que des hommes , et Jésus-Christ s'est montré d'abord à celui qui désirait le plus de le voir. Mais quels sont ces douze apôtres dont il parle ? Car ce ne fut qu'après l'ascension que Matthias fut mis au rang des apôtres, ce ne fut pas aussitôt après la résurrection. Mais il est vraisemblable que le Seigneur se fit voir même après l'ascension. Donc Matthias fut nommé apôtre après l'ascension, et vit Jésus, ressuscité. Voilà pourquoi Paul ne distingue pas les temps, et se borne à énumérer indistinctement les apparitions il est vraisemblable qu'il y en eut un grand nombre Voilà pourquoi Jean disait: Ce fut la troisième fois qu'il se manifesta. Qu'après il a été vu (1). Epano pentakoisis adelphois. Quelques interprètes expliquent cet epano, comme il suit : Jésus-Christ s'est fait voir, aux cinq cents frères, du

1. La phrase grecque présente, à cause de cet ‘Epano , un double sens que la traduction ne peut rendre.

haut des cieux, non plus marchant sur la terre, mais d'en haut, sur leurs têtes, c'est ainsi qu'on l'a vu. En effet, le Christ ne voulait pas faire croire à sa résurrection seulement mais aussi à son ascension. D'autres interprètes expliquent le même mot par " à plus " de cinq cents frères. " Dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd'hui ". Quoique je vous raconte, dit-il, des faits anciens, j'ai pourtant des. témoins encore vivants. " Et quelques-uns sont endormis ". Il ne dit pas : Sont morts, mais : " Sont endormis " ; expression choisie pour confirmer la résurrection. "Qu'en" suite il s'est fait voir à Jacques ", c'est-à-dire, je crois, à son propre cousin germain : c'est Jésus-Christ lui-même qu'on rapporte lui avoir imposé les mains, l'avoir ordonné, avoir fait de lui- le premier évêque de Jérusalem. "Ensuite à tous les apôtres ". Car; outre les douze, il y en avait d'autres; les apôtres étaient environ au nombre de soixante-dix. " Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton ". Parole pleine de modestie. Ce n'est pas parce que Paul était le moindre de tous, que le Sauveur ne se fit voir à lui qu'en dernier lieu. Bien qu'il ait été appelé le dernier, on l'a vu bien plus éclatant de gloire que le grand nombre de ceux qui l'ont précédé, ce n'est pas assez dire, plus illustre qu'eux tous. Les cinq cents frères n'étaient pas meilleurs que Jacques, bien qu'ils aient vu le Christ avant lui.

Et pourquoi ne s'est-il pas fait voir à tous en même temps? Il voulait jeter d'avance les semences de la foi. Celui qui vit Jésus le premier, et qui fut bien certain de l'avoir vu, en porta la nouvelle aux autres : à ce récit, les auditeurs étaient dans une grande attente du miracle, et la foi se préparait avant la réalité de l'apparition. Voilà pourquoi le Sauveur ne se montra pas à tous en même temps, ni d'abord au grand nombre, mais pour commencer, à un seul, à celui qui était le chef de tous, et le plus. fidèle. Car il fallait que ce fût l'âme la plus fidèle qui reçût la première cette vision, c'était tout à fait nécessaire. Ceux qui l'apercevaient après d'autres, et à qui d'autres l'avaient annoncée, ceux-là, préparés par le témoignage des autres, y trouvaient un grand secours pour leur foi., leur âme était prévenue, disposée : quant au premier jugé digne de recevoir cette vision, il avait grand besoin, je (562) l'ai déjà dit, d'une foi inébranlable pour n'être pas bouleversé d'une apparition si incroyable. Voilà pourquoi c'est à Pierre que le Sauveur apparaît en premier lieu. C'était lui qui le premier avait confessé le Christ, il était juste qu'il fût le premier témoin de sa résurrection. Mais ce n'est pas pour cette raison qu'il n'apparaît qu'à lui seul, en se montrant à lui le premier. Pierre l'avait renié ; pour lui ménager une consolation abondante , pour lui prouver qu'il n'est pas rejeté , le Sauveur l'honore avant tous les autres en se faisant voir à lui, et il est le premier à qui il remet ses brebis. Voilà aussi pourquoi les femmes furent les premières à qui il se montra. Ce sexe avait été abaissé, voilà pourquoi, dans la naissance et dans la résurrection du Sauveur, c'est la femme qui éprouve la première les effets de la grâce. Ensuite il se montre à Pierre, et séparément à chacun, et tantôt à un petit nombre, tantôt à de plus nombreux ; il veut qu'ils se servent réciproquement de témoins et de maîtres sur ce point, et il confirme la foi que méritent les paroles des apôtres.

" Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton ". Que signifient ces paroles pleines d'humilité, quel en est l'à-propos ? Car s'il veut se rendre digne de foi, se mettre au nombre des témoins de la résurrection, il fait le contraire de ce qu'il prétend; il devrait s'élever, montrer sa grandeur, ce qu'il fait souvent quand les circonstances l'exigent. S'il parlé ici avec modestie, c'est précisément parce qu'il va s'exalter; mais il ne se célébrera pas tout de suite, il y met la prudence convenable. Ce n'est qu'après des paroles modestes et beaucoup d'accusations entassées sur lui-même , qu'il prend un fier langage. Pourquoi? C'est qu'il faut, quand il aura dit de lui quelque chose de grand et de magnifique, comme: "J'ai travaillé plus que tous les autres ", qu'on accepte ses paroles comme une conséquence nécessaire de son discours ; il ne faut pas qu'on voie un parti pris d'avance. C'est ainsi qu'en écrivant à Timothée, avant de parler de lui-même avec fierté, il s'accuse. (I Timothée, I, 12 seq.) Quand on n'a qu'à louer les autres, on peut parler sans crainte en toute sécurité , quand il faut, au contraire, qu'on se loue soi-même, et surtout en appuyant ses éloges sur son propre témoignage, c'est alors qu'on doit avoir honte et rougir. Aussi le bienheureux Paul commence par exprimer sa misère avant de célébrer sa grandeur. Il a d'ailleurs une autre raison; l'éloge qu'on fait de soi, est odieux ; sa modestie corrige ce que l'éloge a d'insupportable, et rend tout son discours plus digne de foi. Car en rapportant avec véracité sa propre honte, en ne cachant rien, comme les persécutions qu'il a exercées contre l'Eglise, ses efforts pour renverser la foi, il met à l'abri de tout soupçon ce qu'il y a d'honorable pour lui dans les oeuvres qu'il rappelle.

5. Et voyez l'excès d'humilité : après avoir dit : " Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même ", il ne s'est pas contenté de ces paroles ; " car beaucoup ", dit l'évangéliste, " qui avaient été les premiers seront les derniers, et beaucoup qui avaient été les derniers seront les premiers ". (Matth. XIX, 30.) Voilà pourquoi il ajoute : " Qui ne suis qu'un avorton ". Et il ne s'arrête pas là, mais il joint à ces réflexions le jugement personnel qu'il porte sur lui-même , et qu'il motive : " Car je suis le moindre des apôtres, et je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, a parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu (9) ". Il ne dit pas le moindre des douze apôtres, mais même de tous les autres apôtres. Or, dans toutes ces paroles, il obéit à un sentiment de modestie, et, comme je l'ai déjà dit, à la nécessité de disposer son discours de manière à faire recevoir ce qu'il vent faire entendre. S'il avait dit d'emblée : " Vous devez m'en croire, le Christ est ressuscité ; je l'ai vu, et je suis de tous le plus digne de foi, parce que. c'est moi qui ai le plus travaillé, il aurait offensé ses auditeurs ; il parle au contraire avec humilité de son abjection, des actes pour lesquels il mérite d'être accusé ; il retranché ainsi de son discours ce qui peut choquer, et il prépare la confiance à son témoignage. Voilà pourquoi, comme je l'ai déjà dit, il ne déclare pas seulement qu'il est le dernier, qu'il est indigne du titre d'apôtre, mais il dit pourquoi : " Parce que j'ai persécuté l'Eglise ". Assurément tous ces péchés lui avaient été remis, toutefois il ne les a jamais oubliés; en les rappelant, il tient à montrer l'abondance de la grâce de Dieu. Aussi ajoute-t-il : "Mais c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (10) ". Voyez-vous encore cette preuve insigne d'humilité? Les fautes, il se les attribue; les bonnes oeuvres, il ne les regarde en rien comme siennes, c'est à Dieu qu'il rapporte (563) tout. Mais il ne faut pas que ses dernières paroles jettent l'auditeur dans le relâchement; aussi dit-il : " Et sa grâce n'a point été stérile en moi ". Il y a encore ici l'humilité; il ne dit point : J'ai montré un zèle ardent qui. méritait la grâce, mais : " Elle n'a point été stérile, mais j'ai travaillé plus que tous les autres ".

Il ne dit pas : J'ai été honoré, mais : " J'ai travaillé " ; il pouvait dire les dangers et les morts qu'il avait su affronter; le mot de travail atténue son éloge. Ensuite, par l'humilité qui lui est habituelle, glissant vite sur ce point, il rapporte le tout à Dieu; il dit : " Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi ", Où rencontrer une âme qui mérite plus d’admiration ? Entre tant de paroles pour se rabaisser, s'il en prononcé une seule qui l'élève, alors même il ne s'attribue pas le mérite, et tant par ce qui précède que par ce qui suit, il corrige l'orgueil de ce qu'il n'a dit pourtant qu'à cause que la nécessité le contraignait. Voyez l'abondance, les flots de paroles qui expriment l'humilité. En effet, " et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même "; voilà pourquoi il ne nomme pas un autre apôtre avec lui; et, " qui " ne suis qu'un avorton " , il se regarde comme le moindre des apôtres, comme indigne de ce titre. Ce n'est. pas tout : il ne veut pas afficher l'humilité en paroles , il donne des raisons, il démontre qu'il n'est qu'un avorton, puisqu'il a été le dernier à voir Jésus, qu'il est indigne du titre d'apôtre, puisqu'il a persécuté l’Eglise. Telle n'est pas la conduite de celui dont l'humilité n'est qu'une apparence ; mais celui qui explique ses motifs d'humilité, prouve la contrition de son coeur. Aussi voit-on ailleurs dans Paul l'expression des mêmes sentiments : " Je rends grâces à celui qui. m'a fortifié, à Jésus-Christ, de ce qu'il m'a jugé fidèle, en m'établissant dans son ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi outrageux ". (I Tim. I, 12, 13.) Mais pourquoi cette fière parole : " J'ai travaillé plus que tous les autres? " La circonstance le contraignait. S'il ne l'eût pas dite, s'il n'eût fait que se rabaisser, comment. aurait-il pu trouver assez d'assurance pour produire son propre témoignage, pour se compter avec les autres apôtres, de manière à dire : " Ainsi, soit moi, soit ceux-là, quel que soit celui de nous qui parle , voilà ce que nous prêchons (11) ? " Un témoin doit être digne de foi et avoir de la valeur. Maintenant, en ce qui concerne ce fait qu'il a travaillé plus que les autres, il l'a prouvé plus haut, en disant : " N'avons-nous pas le droit de manger et de boire comme les: autres apôtres? " Et encore : " J'ai vécu avec ceux qui n'avaient pas de loi, comme si je n'eusse point eu de loi". (I Cor. IX, 4, 21.) Fallait-il montrer la régularité, la perfection, il surpassait tous les autres; fallait-il savoir user de condescendance , il montrait, en ce sens, la même supériorité. Quelques auteurs entendent par ce plus grand nombre de fatigues, ses missions auprès des nations, ses voyages dans la plus grande partie de la terre. D'où il est manifeste qu'il avait reçu plus de grâces. Car s'il a plus travaillé, c'est que la grâce en lui était plus abondante; et s'il a reçu plus de grâces, c'est qu'il a montré un zèle plus ardent. Voyez-vous comme ses efforts pour se mettre à l'ombre, pour dissimuler sa valeur, ne vont qu'à montrer qu'il est le premier de tous?

6. Apprenons par cet exemple, nous aussi, à confesser nos fautes, à passer nos bonnes oeuvres sous silence; si les circonstances nous mettent dans la nécessité de rappeler nos vertus, parlons-en avec modestie, et sachons tout rapporter à la grâce. C'est ce que fait Paul : sa vie passée, il la flétrit, il en confesse toutes les hontes ; les actions qu'il a faites depuis, il les attribue à la grâce, il montre par tous les moyens, la bonté, la clémence de Dieu qui, le voyant dans son premier état, l'a sauvé , et après l'avoir sauvé , a fait de lui ce qu'il est devenu. Donc il ne faut jamais, ni que le pécheur désespère, ni que l'homme vertueux s'abandonne à la confiance; celui-ci doit être timide, celui-là plein de bonne volonté. L'indolence ne suffit pas pour que l'on persévère dans la vertu, et la bonne volonté ne saurait être sans force pour fuir le mal. De ces deux vérités, le bienheureux David est pour nous un exemple; le voilà, pour s'être un peu endormi, tombé d'une chute grave; la componction le saisit, et vite il remonte à sa première hauteur. C'est que désespoir et indolence sont deux malheurs également déplorables : l'indolence vous fait bien vite tomber de la voûte du ciel, le désespoir ne laisse pas se relever celui qui est abattu et gisant. Voilà pourquoi Paul disait ces paroles à l'indolent (564) : " Que celui donc qui croit être ferme, prenne bien garde à ne pas tomber " (I Cor. X, 12) ; quant au désespéré, le psalmiste lui dit " Si vous entendez aujourd'hui sa voix, gardez-vous bien d'endurcir vos coeurs ( Ps. XCIV, 8) " ; et Paul encore : " Relevez donc vos mains languissantes , et fortifiez vos genoux affaiblis ". (Hébr. XII, 12.) .

Aussi, lorsque le fornicateur est touché de repentir, l'apôtre s'empresse de l'encourager, pour l'arracher à l'excès de sa morne tristesse: — D'où vous viennent donc vos angoisses pour les autres sujets, ô hommes ! La tristesse n'est utile qu'au pécheur ; si, même alors, l'excès en est funeste, à bien plus forte raison dans les autres sujets. D'où viennent vos chagrins? De ce que vous avez perdu de . l'argent?, Mais considérez donc ceux qui n'ont pas même assez de pain pour se rassasier,et vous recevrez la plus prompte des consolations de vos maux. Au lieu de déplorer chacun des accidents qui font votre peine, rendez des actions de grâces pour tous ceux qui ne vous arrivent pas. Vous avez eu de l'argent, et volis l'avez perdu? Ne versez pas de larmes sur votre perte, mais rendez grâces à Dieu pour le temps pendant lequel vous avez possédé. Dites avec Job : " Si nous avons reçu les biens de la main du Soigneur, pourquoi n'en recevrons-nous pas aussi les maux ? " (Job. II, 10.) Faites encore la réflexion suivante : Vous avez perdu de l'argent, mais en attendant vous avez la santé; vous n'avez pas, pour vous lamenter , à joindre à votre pauvreté les infirmités de votre corps. Mais ce n'est pas tout : votre corps aussi a souffert? Mais ce n'est pas là le bas fond des douleurs humaines, vous flottez encore au milieu du tonneau. Il en est en grand nombre qui luttent contre la pauvreté, contre les mutilations, contre le démon, et qui sont errants dans des déserts; d'autres encore souffrent des douleurs plus cruelles. Loin de nous tous les malheurs que nous pouvons supporter ! Méditez ces pensées, considérez ceux qui souffrent plus que vous, et ne vous affligez pas de ce qui vous arrive; mais quand vous avez péché, gémissez alors seulement; oui, gémissez et pleurez, je ne vous en empêche pas, au contraire, je vous y exhorte; et alors, soyez encore modérés, pensez que le retour est possible, que la réconciliation est possible. Vous voyez les autres dans les délices, et vous êtes dans la pauvreté ; vous voyez les autres revêtus d'habits resplendissants, à eux la gloire? Ne bornez pas là vos contemplations; voyez aussi les inconvénients attachés à cet éclat. Dans la pauvreté, ne considérez pas seulement la main qui mendie, mais, avec la pauvreté, le plaisir qui en découle.

La richesse a un visage rayonnant; mais à l'intérieur tout est plein de ténèbres; pour la pauvreté, c'est le contraire, et si vous vous donnez la peine de déplier toutes les consciences, vous verrez dans l'âme du pauvre la sécurité et la liberté; dans l'âme du riche, les troubles, les tumultes, les flots. Ce riche, dont la vue vous attriste, ce même riche s'afflige plus que vous, à l'aspect d'un autre plus, riche que lui; et comme vous tremblez devant tel riche, ce riche tremble, à son tour, devant un autre riche, et en cela il n'a aucun avantage sur vous. La vue d'un magistrat vous attriste, parce que vous êtes un simple particulier, de ceux à qui l'on commande. Mais réfléchissez donc au jour où un autre succèdera à cet homme puissant, et en attendant qu'il vienne, ce jour, voyez les agitations, les. périls, les travaux, les flatteries, les veilles, toutes les calamités. Nos paroles s'adressent à ceux qui ne veulent pas comprendre la sagesse. Car si vous la comprenez, nous pouvons vous apporter des consolations d'un ordre supérieur ; jusqu'à présent nos raisons sont grossières, nous avons été forcé de vous les présenter. Eh bien donc, à la vue d'un riche, pensez à un plus riche, et vous verrez que lui, que vous, vous éprouvez les mêmes sentiments. Et après ce riche, représentez-vous l'homme qui est plus que vous dans la pauvreté : combien y en a-t-il qui se sont endormis ayant faim, qui ont perdu leur patrimoine, qui habitent dans une prison, qui chaque jour appellent la mort ! Et la pauvreté n'engendre pas la tristesse, et la richesse n'engendre pas le plaisir, tristesse et plaisir viennent également de nos pensées. Considérez maintenant, en commençant par ce qu'il y a de plus bas, l'acheteur de fumiers, triste, affligé de n'être pas affranchi de cette misérable et, selon lui, honteuse condition; mais affranchissez-le, qu'il soit libre, dans la sécurité, dans l'abondance dès choses nécessaires, il se reprendra à gémir encore de ne pas posséder au-delà de ce dont il a besoin; donnez-lui davantage, il voudra le double, et il ne se (565) plaindra pas moins qu'auparavant; doublez et triplez ses revenus, nouveaux chagrins pour lui, de ce qu'il n'a point de part aux affaires publiques; donnez-lui sa part, il se plaindra de n'avoir pas la première; accordez-lui cet honneur, il se plaindra de n'avoir pas le pouvoir. Arrivé au pouvoir, il souffrira de n'avoir pas de pouvoir sur le peuple entier; maître du peuple entier, de ce qu'il ne commande pas à des peuples nombreux; maître de peuples nombreux, de ce qu'il ne commande pas à tous les peuples du monde. Gouverneur ou préfet, il voudra être roi ; roi, il voudra être seul monarque; seul monarque, il voudra l'être et des nations barbares et de la terre tout entière ; souverain du monde entier , pourquoi ne le serait-il pas d'un autre monde encore? La pensée de cet homme, s'avançant toujours dans l'infini, ne lui permet pas de jamais rencontrer la douce joie.

7. Voyez-vous comment alors même que, d'un être vil, d'un mendiant, vous feriez un roi, vous ne supprimerez pas le chagrin, là morne tristesse, si vous ne purgez pas la pensée que travaillent l'avarice et la cupidité? Eh bien, je veux vous montrer un spectacle tout contraire, je sage descendu du faîte suprême au degré le plus bas, et toujours exempt de tristesse et de chagrins. Descendons, si vous voulez, les mêmes échelons, c'est le préfet que nous renversons de son siège élevé; dépouillez-le en paroles de sa dignité. S'il veut faire les réflexions que nous avons dites, il n'en concevra lui-même aucun chagrin. Au lieu de considérer ce qu'on lui a enlevé, il réfléchira sur ce. qu'il possède actuellement, la gloire qu'il tient de la magistrature qu'il a exercée. Enlevez-lui encore cette gloire , il pensera aux simples particuliers, à ceux qui ne se sont jamais élevés jusqu'à cette magistrature, il se consolera par ses richesses; dépouillez-le encore de ses richesses, il considèrera ceux dont la fortune est médiocre; enlevez-lui même cette médiocrité,. ne lui laissez plus que les aliments nécessaires, il pourra considérer ceux qui ne possèdent même pas ce nécessaire , qui soutiennent contre la faim un combat continuel, qui habitent dans une prison. Jetez-le même dans ce triste séjour, il pensera aux malades travaillés de maux incurables; d'insupportables douleurs et verra que son sort est bien plus digne d'envie. Et de même que cet acheteur de fumiers, devenu roi , ne trouve pas même alors la tranquillité de l'âme, de même cet homme puissant, jusque dans les fers, ignore l'affliction chagrine et la tristesse. Donc, ce ne sont ni les richesses qui procurent le plaisir, ni la pauvreté qui cause la tristesse; tout vient de nos pensées, de l'impureté de notre âme dont les regards ne sauraient s'arrêter, se fixer nulle part, et se plongent pour se perdre dans l'infini. De même que les corps pleins de santé, n'eussent-ils à manger que du pain, y trouvent en abondance et la vie et la force; tandis que les corps malades, quelle que soit la délicatesse, la variété de la table, ne font que s'affaiblir de plus en plus, de même pour votre âme. Les âmes mesquines et basses ne trouvent ni avec un diadème, ni avec des honneurs d'un éclat inexprimable, le bonheur et la joie ; le sage, même dans les fers, prisonnier, au sein de la pauvreté, jouit du plaisir pur.

Pénétrés de ces pensées, sachons donc regarder toujours au-dessous de nous. Sans doute il y a encore une autre consolation, mais elle est d'une haute sagesse et dépasse la raison épaisse du grand nombre. Quelle est-elle cette consolation? C'est que la richesse n'est rien; la pauvreté, rien ; l'infamie, rien; là gloire, rien, affaires de quelques instants bien courts, pures distinctions dans les mots. A cette pensée vous en pouvez joindre une autre plus relevée encore, la pensée des biens et des maux à venir, des vrais maux et des vrais biens , et en tirer votre consolation. Mais je l'ai déjà dit : un grand nombre de personnes sont bien loin de comprendre un enseignement de ce genre, et voilà pourquoi nous nous sommes arrêtés nécessairement sur les réflexions que nous avons faites, dans la pensée que nous pourrons conduire ceux qui les auront accueillies vers cette autre doctrine plus relevée. Méditons donc toutes ces pensées, employons tous nos efforts à bien mettre en ordre nos sentiments, et il ne nous arrivera jamais de nous attrister des accidents imprévus. Vous verriez des images d'hommes riches, vous ne diriez pas qu'il faut célébrer leur bonheur, en être jaloux; vous verriez des images de mendiants, vous ne diriez pas qu'ils sont malheureux et qu'il les faut plaindre. Or assurément ces peintures ont plus de solidité, de stabilité que les riches que nous voyons près de nous : un riche en peinture a (566) plus de durée que dans la réalité même des choses humaines. Cette image d'un homme riche durera, cela se voit souvent, une centaine d'années; notre riche, au contraire, on le voit même en moins d'un an, tout à coup dépouillé de tous ses biens. Méditons donc toutes ces pensées , faisons tous nos efforts pour assurer à notre âme le repos et la tranquillité qui nous préservera d'une tristesse irréfléchie, afin de passer la vie présente avec joie, et d'obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui appartient comme au Père, comme au Saint-Esprit, la. gloire , la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXIX. AINSI, SOIT QUE CE SOIT MOI, SOIT QUE CE SOIENT EUX QUI VOUS PRÊCHENT, VOILÀ CE QUE NOUS PRÊCHONS, ET VOILÀ CE QUE VOUS AVEZ CRU. (CH. XV, VERS. 11.)
ANALYSE.

1. Sur l'égalité parfaite entre Paul et les autres apôtres.

2. Discussion sur la résurrection qui est, non pas la mort du péché seulement, mais la destruction de la mort, et la résurrection des corps. — Rapport étroit entre la résurrection des corps et la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

3. Diverses explications sur ta méthode de Paul quand il discute. — 4. Sur la parfaite égalité du Père et du Fils.

5-7. Pourquoi la dernière victoire est la victoire remportée sur la mort. — Détails sur une sécheresse dont souffrit la ville d'Antioche.

8 et 9. Contre l'avarice, contre là haine vindicative, contre la gourmandise eues innombrables malheurs dont elle est la source.

1. Il a exalté les apôtres , il s'est abaissé ensuite; par un mouvement contraire, il s'est exalté au-dessus d'eux afin d'établir l'égalité , (car il a remis l'égalité en se montrant d'une condition tout ensemble au dessus et au dessous) , et par là il s'est rendu digne de foi ; eh bien! ce n'est pas tout , il ne congédie pas encore les fidèles, il leur montre encore le lien étroit qui l'unit aux apôtres,. indiquant la concorde selon le Christ. J1 ne le fait pas toutefois de manière à perdre sa dignité , il se met au même rang que les apôtres : ce n'est qu'ainsi qu'il devait parler dans l’intérêt de la prédication. Il a donc pris un soin égal d'éviter deux dangers, celui de paraître mépriser les apôtres, celui de trop s'abaisser, en s'inclinant devant les apôtres, aux yeux des fidèles qui lui étaient soumis. Voilà pourquoi, ici encore, il parle d'eux comme étant leur égal; il dit: " Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui " vous prêchent, voilà ce que nous prêchons ". Instruisez-vous auprès de, qui vous voudrez; il n'y a entre nous aucune différence. Il ne dit pas : Si vous ne voulez pas me croire, croyez-les ; non, il se pose lui-même comme digne de foi, comme étant par lui-même une autorité suffisante, de même que les autres apôtres sont par eux-mêmes des autorités suffisantes. En effet, la différence de personnes ne signifiait rien, l'autorité étant égale. Or, ce que fait Paul ici, il le fait également dans l'épître aux Galates ; il cite les apôtres, non pas parce qu'il a besoin d'eux, il se déclare au contraire suffisant de lui-même : " Ceux qui me paraissaient les plus considérables ne m'ont rien appris de nouveau ". (Gal. II, 6.) (567) Toutefois, je tiens à la concorde avec eux " Ils m'ont donné la main ", dit-il. (Ibid. IX.) Car s'il eût été nécessaire que l'autorité de Paul dépendît des autres, s'appuyât sur le témoignage des autres, Il en, serait résulté pour ses disciples une infinité de conséquences fâcheuses. Donc Paul. ne parle pas pour se louer, mais pour assurer la prédication de l'Evangile. Voilà pourquoi il dit ici, en s'égalant aux apôtres : " Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui vous prêchent, voilà ce que nous prêchons ".

II a raison de dire: ;Nous prêchons ", montrant ainsi la grande confiance et là liberté de la parole. Nous ne chuchotons pas , nous ne nous cachons pas, nous faisons entendre une voix plus éclatante que la trompette. Et il ne dit pas : Nous avons prêché, mais aujourd'hui même, " voilà ce que nous prêchons. Et voilà " ce que vous avez cru ":Ici, il ne dit pas : Ce que vous croyez, mais " ce que vous avez cru ". C'est parce que les fidèles chancelaient qu'il remonte aux temps passes, et maintenant c'est eux-mêmes qu'il prend à témoin. " Donc, puisqu'on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point (12) ? " Voyez-vous l'excellence du raisonnement, la démonstration de la résurrection par le réveil du Christ, après que tant de preuves ont établi que le Christ est ressuscité? Car, dit l'apôtre, les,prophètes nous ont annoncé d'avance cette résurrection du Christ, le Christ l'a prouvée lui-même en se faisant voir, et c'est ce que nous prêchons, et c'est ce que vous avez cru; quadruple témoignage dont il fait un faisceau, témoignage des prophètes, témoignage des événements, témoignage des apôtres , témoignage des disciples ; disons mieux , témoignage quintuple. Car la cause même . de la mort démontre la résurrection, puisqu'il est mort pour les péchés des .autres. Si cette résurrection a .été démontrée, il est évident que la conséquence l'est aussi, à savoir que les autres morts doivent aussi se réveiller. Voilà pourquoi l'apôtre en parle comme d'une vérité reconnue, et il prend la forme interrogative : " Puisqu'on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point? "

Cette forme de raisonnement ai de plus, l'avantage d'adoucir les contradicteurs. En effet, il ne dit pas : Comment osez-vous dire, mais : " Comment se. trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire " ; et il ne les accuse pas tous, et les personnes mêmes qu'il accuse, il ne les nomme pas, de peur de les jeter dans l'effronterie; d'un autre côté, il ne tient pas la faute absolument cachée, parce qu'il veut corriger les fidèles. Voilà pourquoi il sépare lés coupables de la foule des fidèles avant de s'apprêter à la discussion avec eux ; par ce moyen il, les affaiblit, il les déconcerte, il retient auprès de lui les autres dont il fait dés champions de sa cause, qu'il rend plus fermes, plus inébranlables dans la vérité; il ne leur laisse pas les moyens de passer comme transfuges. dans les rangs de ceux qui. ont voulu les corrompre. Contre ceux-là il est prêt à s'élancer de toute la véhémence de sa parole. Ensuite, pour leur ôter la ressource d'objecter due la résurrection du Christ est évidente, manifeste, que nul n'y contredit, mais que la résurrection des hommes n'en est pas une conséquence nécessaire, attendu que, si les prophéties, l'événement, le témoignage résultant de ce que le Christ s'est fait voir, démontrent la résurrection du Christ, en ce qui concerne notre résurrection, nous n'avons encore que des espérances, voyez ce que fait l'apôtre; c'est par le, fait incontestable qu'il prouve la vérité contestée, et cette manière d'argumenter avait une grande puissance. Que soutiennent, dit-il, quelques personnes ? Qu'il n'y a pas de résurrection des morts? Eh bien ! la conséquence de leur dire, c'est que le Christ non plus n'est pas ressuscité. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : " Si les morts ne ressuscitent point , Jésus-Christ n'est donc point ressuscité (13) ". Voyez-vous la, force irrésistible, ce que la discussion de Paul a d'invincible, ce n'est pas seulement le fait évident qui lui sert à prouver, ce que l'on conteste, mais le fait même contesté par les contradicteurs lui sert à confirmer le fait évident. Ce n'est pas que l'événement accompli eût besoin d'être démontré, mais il fallait montrer que les deux sont également dignes de notre foi. .

2. Mais, dira-t-on, où est la nécessité de la conséquence? En effet, si. le Christ n'est pas ressuscité, il s'ensuit que les autres morts ne ressuscitent pas, cette conséquence est (568) rigoureuse : mais que, si ces autres morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus ne- soit pas ressuscité, où est la raison? Cette raison ne paraissant pas assez manifeste , voyez la manière dont l'Apôtre s'y prend pour la rendre manifeste ; il commencé par jeter la semence d'en-haut, il la prend dans la cause même de la prédication; ainsi il dit que celui qui est mort pour nos péchés, est ressuscité, et qu'il est les prémices de ceux qui se sont endormis. Ces prémices, de qui sont-elles les prémices, sinon de ceux qui ressuscitent? Or,-comment peuvent-elles être des prémices sans la résurrection de ceux pour qui elles sont des prémices? comment donc peut-il se faire qu'ils ne ressuscitent pas? et maintenant, s'ils ne . ressuscitent pas, pourquoi le Christ est-il ressuscité? pourquoi est-il venu ? pourquoi a-t-il revêtu la chair, s'il ne devait pas ressusciter la chair? car ce n'est pas pour lui qu'il avait besoin de ressusciter, ce n'est que pour nous. Toutefois il ne présente ces réflexions que successivement, à mesure que le raisonnement se développe; en attendant, il dit: " Si les morts ne ressuscitent point , Jésus-Christ. n'est donc point ressuscité ", car il y a là connexité ; si Jésus-Christ n'avait pas dû ressusciter, il n'aurait pas fait ce qu'il a fait. Voyez-vous comme le dogme de l'incarnation arrive peu à peu à. être détruit par ces paroles téméraires qui refusent de croire à la résurrection? Toutefois, quant à présent, l'apôtre rie dit rien de l'incarnation ; il ne parle que de la résurrection. Ce n'est pas en effet l'incarnation du Christ, ruais sa mort qui détruit la mort car, tant que le Christ fut revêtu de sa chair, la mort posséda son pouvoir tyrannique. " Et si Jésus-Christ n'est point ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi est vaine aussi (14) ". Il était conséquent de dire: Si le Christ n'est pas ressuscité, vous combattez l'évidence, tant de prophéties, la réalité des événements; il leur dit ce qui est beaucoup plus terrible : " Notre prédication est vaine, et votre foi est vaine aussi ". C'est qu'il veut donner à leurs esprits une forte secousse. Nous perdons tout, s'écrie-t-il, c'en est fait de tout, si le Christ n'est pas ressuscité. Comprenez-vous toute la grandeur du mystère : Si Jésus-Christ mort n'a pu ressusciter, le péché n'a pas été aboli, la mort n'a pas été détruite, la malédiction n'a pas été enlevée, et non-seulement nous n'avons prêché que des vanités, mais votre foi, à vous aussi, n'est que vanité. Et non-seulement il montre par là l'absurdité de ces doctrines coupables, mais il ajoute à la puissance de ses armes, en disant: " Nous sommes même convaincus d'être de faux témoins à l'égard de Dieu , comme ayant rendu ce témoignage contre Dieu même, qu'il a ressuscité Jésus-Christ, tandis que néanmoins il ne l'a pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas (15) ".

Et maintenant si cela est absurde, (car c’est accuser Dieu et le calomnier) , si Dieu n'a pas ressuscité le Christ, comme vous le dites, il s'ensuit encore d'autres absurdités. Ces absurdités, il les prouve, il les montre, il dit : " Car si les morts ne ressuscitent point , Jésus-Christ, non plus , n'est pas ressuscité (16) ". Car s'il n'avait pas du les ressusciter, il ne serait pas venu. Mais il ne parle pas de l'avènement du Christ, il lie parle que du but final de cet avènement, de la résurrection, et, par cette résurrection, il entraîne tout. " Si Jésus-Christ n'est pas ressuscité, votre foi est donc, vaine. " (17)". C'est à ce qui est manifeste, incontesté, qu'il rattache , qu'il joint la résurrection du Christ, c'est par ce qui est plus fort : qu'il fortifie ce qui semble faible, qu'il donne l'évidence à ce qui est contesté. " Vous êtes encore dans vos péchés ".. En effet, s'il n'est point ressuscité, il n'est pas mort; s'il n'est pas "mort, -il n'a pas détruit le péché; car sa mort, c'est la destruction du péché. Car, dit l'Evangéliste : " Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde ". (Jean, I , 29.) Or; comment les ôte-t-il? par sa mort. Et de- plus, s'il l'appelle un agneau, c'est qu'il devait être tué. Or s'il n'est pas ressuscité , il n'à pas été tué ; s'il n'a pas été tué, le péché n'a pas été aboli ; si le péché n'a pas été aboli, vous y êtes encore; si vous y êtes encore, c'est en vain que nous avons prêché; si c'est en vain que nous avons prêché, c'est en vain que vous avez cru. D'ailleurs, la mort subsiste immortelle, s'il n'est pas ressuscité. Car si lui-même a été retenu par la mort, s'il n'a pas rompu les liens qui le retenaient dans ses flancs, comment a-t-il pu délivrer tous les autres, ne se délivrant pas lui-même? Voilà pourquoi l'apôtre, ajoute : " Ceux qui se sont endormis dans le Christ, ont donc péri? " (18) ".

Et à quoi bon, dit-il, parler de vous seulement, si tous ceux-là ont péri, qui ont achevé (569) leur course, et qui ne sont plus soumis à l'incertitude de l'avenir? Quant à ces mots, " dans le Christ ", ils s'appliquent soit à ceux qui se sont endormis dans 1a foi, ou qui sont morts pour le Christ, qui ont affronté tant de dangers , qui ont supporté tant d'épreuves pénibles, qui ont marché dans 1a voie étroite. Où sont-ils maintenant ces manichéens à la bouche criminelle, qui prétendent que l'apôtre entend la, résurrection qui s'accomplit sur la terre, à savoir, l'affranchissement du péché? Ses raisonnements accumulés et continuels à conséquences réciproques ne prouvent rien de ce que ces hérétiques prétendent, mais uniquement ce que nous soutenons. Résurrection veut dire que ce qui est tombé se relève. Voilà pourquoi l'apôtre ne se lasse pas de répéter, non-seulement que le Christ est ressuscité, mais, " ressuscité d'entre les morts ". Et d'ailleurs les Corinthiens ne contestaient pas la rémission des péchés, mais la résurrection des corps. Mais de ce que les hommes ne sont pas impeccables, la logique nous oblige-t-elle à conclure que le Christ lui-même- ne fut pas impeccable non plus? S'il ne devait pas ressusciter lés morts, il était conséquent dé- dire: Pourquoi est-il venu, pourquoi s'est-il incarné, pourquoi 'est-il ressuscité? Cette dernière conclusion est légitime, mais non la précédente. En effet, soit que l'homme pèche, soit qu'il ne pèche pas; Dieu possède toujours en propre 1'impeccabilité, et il n'y a pas entre notre condition de pécheurs et l'impeccabilité divine la même connexité, la même réciprocité que pour la résurrection des corps. " Si nous n'avions d'espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes (19) ".

3. Que dites-vous; ô Paul? Comment est-il vrai que nous n'ayons plus d'espérance que pour cette vie, sans-la résurrection des corps, puisque l'âme demeure immortelle? C'est que, quelle que soit la persistance de l'âme immortelle, eût-elle mille fois l’immortalité, comme elle la possède en fait, sans la chair elle: ne recevra- pas ces biens ineffables, de même qu'elle ne subira pas les châtiments. " Car toutes choses seront manifestées devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il aura été revêtu de son corps. " ( II Cor. V, 10). Voilà pourquoi l'apôtre dit : " Si nous n'avions d'espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes ". En effet, si le corps ne ressuscite pas, l'âme demeure sans couronne, en dehors de la félicité des cieux ; s'il en est ainsi, alors nous n'obtiendrons absolument rien ; si rions ne devons rien obtenir alors, C'est dans la vie présente qu'ont lieu les rémunérations. Qu'y aurait-il donc, dit-il, de plus infortuné que nous? Or, par de tels discours, l'apôtre voulait à la foi;; raffermir la doctrine de la résurrection des corps et persuader l'immortalité de l'âme, afin qu'on n'allât pal. s'imaginer que tout est détruit, que tout cesse dans le moment présent. Après avoir, par ce qui précède, suffisamment raffermi ce qu'il voulait consolider, après avoir dit : " Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ, non plus, n'est pas ressuscité ; or, si Jésus-Christ n'est pas ressuscité ", nous sommes perdus, et encore, nous sommes encore dans les péchés, il introduit de plus la pensée qui suit, afin de secouer fortement les âmes. Car lorsque l'apôtre se prépare à énoncer un des dogmes qui sont nécessaires, c'est par la terreur qu'il commence à attaquer les coeurs durs,: c'est la pratique qu'il suit, en ce moment, après avoir jeté la confusion, inspiré des inquiétudes, montré que tout serait perdu, il reprend le même sujet sur un autre ton, et, pour produire, la consternation, " nous serions", dit-il, " les plus misérables de tous les hommes ", si, après tant de guerres et de morts, et de maux innombrables, nous devions être privés de tant de biens, si tout se réduisait. pour nous à la vie présente : car tout dépend de la résurrection. Aussi est-ce là une nouvelle preuve qu'il ne parlait pas de péchés, niais de la résurrection des corps, et de la vie présente, et de la vie à venir.

" Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, et il est devenu les prémices de ceux qui dorment (20) ". Après avoir montré tous les. maux qui résultent de ce que l'on ne croit pas à la résurrection, il reprend de nouveau ce qui a été dit, et il fait entendre ces paroles : " Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts " ; il ajoute tout de suite, "d'entre les morts ", pour fermer la bouche aux hérétiques. " Les prémices de ceux qui donnent ". S'il est les prémices, nécessairement ceux-là aussi doivent ressusciter. S'il entendait par résurrection (570) l'affranchissement du péché, comme personne n'est sans péché [car Paul dit " car encore que ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas justifié pour cela " (I. Cor. IV, ,4)]; comment donc pourrait-il y avoir une résurrection selon vous? Voyez-vous que c'est des corps qu'il prétend parler? Et pour confirmer ce point, tout de suite il montre le Christ ressuscité dans sa chair. Ensuite il donne la cause. Car, je l'ai déjà dit, l'affirmation d'un fait, quand la cause ne s'y joint pas, n'obtient pas autant l'adhésion du grand nombre. Quelle est donc la cause? " Ainsi parce que la mort est venue par un homme, la résurrection des morts doit venir aussi par un homme (21) ". Il est clair que si c'est paf un homme, c'est par un homme qui a un corps. Ce n'est pas tout voyez encore l'habileté d'un raisonnement qui établit encore autrement la nécessité de la déduction. Celui qui a été vaincu, doit nécessairement réparer sa défaite lui-même, relever la nature terrassée, vaincre lui-même, c'est ainsi . qu'il lavera sa honte. Voyons de quelle morfil parle. " Car de même que tous meurent en Adam, tous vivront aussi en Jésus-Christ. (22) ". Quoi donc? est-ce bien tous, répondez-moi, je vous en prie, qui sont morts dans Adam de la mort du péché? comment donc Noé était-il juste dans sa génération? et Abraham? à Job? et tous les autres? Et maintenant, dites-moi, je vous. en prie, est-ce que, tous seront vivifiés en Jésus-Christ? Et où sont ceux qui sont emportés dans la géhenne ? Car si c'est du corps que l'on parle, le discours subsiste, mais s'il est question de la justice et du péché, il n'en est plus de même. L'apôtre donc ne voulant pas que cette vivification de tous soit regardée comme le salut des pécheurs, ajoute, " et chacun en son rang (23) ", vous avez entendu parler de résurrection, mais n'allez pas croire que tous obtiennent les .mêmes biens, et jouissent des mêmes récompenses. Car s'il est vrai que, dans le supplice, tous ne supporteront pas la même peine, s'il est vrai que la différence sera grande, à bien plus forte raison, entre les pécheurs et les justes il y aura une plus grande distancé. " Jésus-Christ, le premier, comme les prémices de tous ; puis ceux qui sont à Jésus-Christ "; c'est-à-dire, les fidèles et ceux qui sont justement estimés. " Ensuite ..la consommation (24). " Car quand ceux-là seront ressuscités, toutes choses recevront leur accomplissement : ce n'est pas comme maintenant, après la résurrection du Christ, que toutes choses sont encore. en suspens. Et pour cette. raison, l'apôtre ajoute, " à, son avènement ", afin que vous compreniez que c'est de ce temps-là qu'il parle. " Lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père, et qu'il aura détruit tout empire, toute domination et toute puissance. (24) " .

4. ici, soyez attentifs, et voyez à ne rien perdre des paroles qui vous sont adressées, car nous livrons un assaut à nos ennemis. Voilà pourquoi il faut d'abord pratiquer la démonstration par l'absurde. C'est ce que Paul fait souvent : voilà le moyen le plus, commode de bien saisir ce qu'ils disent. Commençons par leur demander ce que signifie " Lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père ". Si nous prenons ces paroles sans y réfléchir, sans y voir ce qui convient à Dieu, ce royaume, Jésus-Christ ne le possédera plus à partir de ce moment, car celui qui a remis une chose à un autre, cesse dès lors de la posséder. Et ce ne sera pas là la seule absurdité; mais il y aura encore cette absurdité que celui qui aura reçu se trouvera ne posséder qu'après avoir reçu. De sorte qu'à les entendre, le Père n'était pas roi auparavant, ce n'est pas lui qui nous administrait, et le Fils cessera d'être roi. Comment donc se fait-il que lui-même dit du Père : " Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et j'agis aussi (Jean, V, 17) ? " et que Daniel dit encore sur lui ; " Son royaume, royaume éternel, qui ne passera pas? " (Dan. II, 44.) Voyez-vous toutes les absurdités qui se montrent, tous les démentis donnés aux Ecritures, si l'on prend ces paroles dans un sens humain? Or; quel est d'empire dont l'apôtre dit qu'il sera détruit? L'empire des anges? Loin de nous cette pensée. L'empire des fidèles, peut-être ? Ce n'est pas cela encore. Qui empire donc? Celui des démons, dont il dit ailleurs : " Car nous avons à combattre, non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés et les. puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux". (Ephés. VI, 12.) En effet, leur empire maintenant n'est pas entièrement détruit, il ne cesse pas encore; en beaucoup d'endroits ils l'exercent encore, mais alors ils cesseront leur domination. " Car Jésus-Christ doit régner, jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds (25) ". Ici encore une (571) autre absurdité toute prête à éclore; si nous n'entendons pas ces paroles dans un sens qui convienne à Dieu. Car ce mot jusqu'à ce que " indiqué une fin déterminée; or, en Dieu, il n'y a pas de fin. " Or la mort sera le dernier ennemi qui sera détruit (26) ". Comment, cela, le dernier? Après tous, après le démon, après toute autre chose. Et en effet, même au commencement, c'est elle qui est entrée la dernière; d'abord le conseil du démon, puis la désobéissance, et alors la mort. Donc, c'est son pouvoir qui dès maintenant est aboli; mais alors elle le sera elle-même en réalité.

" Car il lui a tout mis sous les pieds. Quand l'Ecriture dit que tout lui est assujetti, il est évident qu'il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses. Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses (27, 28) ". Or il ne disait pas auparavant que c'était le Père qui lui assujettissait toutes choses, mais que c'était lui-même,qui détruisait : " Lorsqu'il aura ", dit l'apôtre, " détruit tout empire, toute domination ". Or, voici maintenant : " Car Jésus-Christ doit régner jusqu'à ce que son Père lui ait mis tous ses ennemis sous les pieds (1) " Comment donc dit-il ici que c'est le Père ? Et ce n'est pas là seulement ce qui ne se comprend pas, mais c'est que la crainte de Paul est tout à fait étrange; il se sert d'un correctif, il dit : " Il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses " , comme s'il y avait des personnes pour s'imaginer que le Père peut être assujetti au Fils. Quoi de plus déraisonnable qu'une pareille imagination? Cependant l'apôtre en a eu peur. Donc qu'est-ce que cela signifie? Voyez-vous, ici, les questions se pressent en foule, accordez-moi votre attention soutenue., Il nous est nécessaire avant tout de dire le but; la pensée de Paul, qui brille partout, et qui va nous donner 1a solution de notre embarras. La pensée de Paul ne sera pas inutile aussi pour la solution. Quelle est donc cette pensée; et quelle est son habitude? Il a une manière de parler, quand il ne parle que de la divinité seule; il en a une autre, quand, il tombe sur le mystère de l'incarnation. En effet, quand il s'attache à la chair, sans s'inquiéter de tout autre ordre d'idées, il n'a que des expressions basses et .misérables, parce qu'il s'assure que la chair comporte les paroles qu'il emploie. Voyons donc ici, s'il ne parle que de la divinité seule, ou s'il se joint à ce qu'il dit de Dieu un rapport avec l'incarnation : ou plutôt montrons d'abord les exemples où il a pratiqué la méthode dont je viens de parler.

Il écrit aux Philippiens : " Qui ayant la forme et la nature de pieu n'a point regardé comme un rapt d'être égal à Dieu, mais s'est anéanti lui-même, en prenant la forme et la nature de serviteur, en se rendant semblable aux hommes, et étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors. Il s'est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé ", (Phil. II, 6-9.) Voyez-vous comment, quand il ne parle que de la divinité, l'apôtre emploie ces grandes expressions : Il a la forme de Dieu ; l'apôtre attribue également tout et au Père, et au Fils; quand, au contraire, il veut nous montrer Jésus-Christ incarné, il abaisse son discours? Sans cette distinction, il n'y a entre, les paroles qu'une contradiction choquante. S'il était égal à Dieu, comment Dieu a-t-il pu élever celui qui était son égal? S'il avait la forme de Dieu, comment Dieu a-t-il pu lui donner son nom? On ne donne qu'à celui qui n'a pas ce qu'on lui donne; on ne peut élever que ce qui était au-dessous de la hauteur où on l'élève. Il faudra bien que le Fils ait été dans l'abaissement et dans l'indigence de, quelque chose avant d'avoir été élevé, avant d'avoir reçu le nom; et mille autres corollaires s'ensuivent, qui sont absurdes. Mais si vous pensez à l'incarnation, vous n'aurez pas tort de tenir ce langage. Appliquez ces observations ici et recevez dans cette pensée les paroles que vous avez entendues.

5. Nous ajouterons encore quelques autres raisons du langage de Paul. En attendant, nous sommes encore forcé de dire que Paul, parlant de la résurrection , traitait d'une chose qui paraissait impossible, et ne rencontrait que l'incrédulité; Paul écrivait à des Corinthiens, chez qui se trouvaient en grand nombre des philosophes toujours occupés à se moquer de

1. La pensée de saint Jean Chrysostome est, d'une manière générale, parfaitement claire ; mais il y a, dans les détails, une certaine confusion par la manière dont le saint Evêque cite, en les modifiant, les paroles analogues du verset 25 et 26.

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semblables mystères. Ces hommes qui disputaient entre eux pour les autres sujets, étaient du même sentiment, accordaient à l'unanimité, pour rejeter ce dogme, pour décider qu'il n'y a pas de résurrection. Donc l'apôtre combattant pour une vérité à qui l'on refusait d'ajouter foi, et que l'on tournait et ridicule, tant parce que c'était un parti pris que parce que le fait était difficile à croire, l'apôtre; voulant établir la possibilité du fait; commence par se fonder sur la résurrection du Christ; il la démontre, et par les prophètes, et par ceux qui l'ont vue, et par ceux qui l'ont crue, et maître ensuite de sa démonstration par l'absurde, il ne pense plus qu'à établir la résurrection des hommes : " Car si les morts ne ressuscitent point , Jésus-Christ non plus n'est pas ressuscité ". Ensuite , fort des preuves qu'il a entassées sans interruption jusque-là, il argumente d'une autre manière, il appelle Jésus-Christ, prémices, il montre qu'il détruit tout empire , toute domination, toute puissance , et en dernier lieu , la mort. Comment donc la mort sera-t-elle détruite, si elle ne rend pas auparavant les corps qu'elle possédait?

Donc, après. de grandes paroles sur le Fils unique qui remet son royaume, c'est-à-dire, qui accomplit lui-même toutes ces choses, qui termine lui-même la guerre par une victoire, et qui soumet tout sous ses pieds, l'apôtre ajoute, pour corriger l'incrédulité du grand nombre : " Car Jésus-Christ doit régner jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds ". Ce n'est pas pour exprimer la fin de la royauté qu'il met ce " jusqu'à ce que ", mais pour rendre son discours digne de foi, et préparer la confiance. N'allez pas, dit-il, parce que l'on vous a dit qu'il détruira tout empire, toute domination et toute puissance, craindre le démon et les innombrables phalanges des esprits de l’enfer, et les multitudes des infidèles, et la tyrannie de la mort, et tous les maux; comme s'il était désormais sans pouvoir; car, jusqu'à ce qu'il ait fait toutes es choses, il doit régner; ce qui ne veut pas dire qu'après son règne doit cesser; mais l'apôtre veut faire entendre que; bien que cela n'arrive pas présentement, il faut absolument que cela s'accomplisse. En effet la royauté de Jésus-Christ ne se scinde, pas; elle a sa puissance, sa force, elle persiste jusqu'à ce qu'il ait accompli toutes choses d'une manière parfaite. Cette méthode de l'apôtre, on peut la trouver même dans l'Ancien Testament; par exemple : " La parole du Seigneur demeure jusqu'à l’éternité " ; et encore : " Vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point ". (Ps. CXVIII, 89, et CI, 28.) Or ce que dit là le prophète, et les paroles du même genre, quand il annonce des événements qui n'auront lieu que longtemps après, et qui sont tout à fait dans l'avenir, c'est pour bannir la crainte des fidèles dont l'intelligence est plus lourde. Voulez-vous la preuve que " jusque ",appliqué à Dieu, et " jusqu'à la fin ", ne marquent pas une fin ? Ecoutez ce que dit l'Ecriture : " Depuis le commencement des siècles, et jusque dans les siècles, vous êtes" (Ps. LXXXIX, 2); et encore : " Je suis " (Exod. III, 14) ; et : " Jusqu'à ce que vous soyez devenus vieux, je suis ". (Is. XLVI, 4.)

Et maintenant, si c'est en dernier lieu qu'il parle de là mort, c'est pour que les autres victoires prédisposent l'incrédule à accorder sa foi à ce dernier triomphe. Quand on peut détruire le démon, qui a introduit la mort dans le inonde, à bien plus forte raison pourra-t-on détruire son ouvrage. Comme donc il lui a attribué tout -pouvoir, celui de. détruire les empires et les dominations, d'exercer une royauté parfaite, je veux dire, de procurer le salut des fidèles, la paix de la terre, l'abolition des péchés (Ce c'est là ce qui fait que la royauté est exercée d'une manière parfaite, et que la mort est détruite) comme de plus, l'apôtre n'a pas dit que c'est le Père qui détruira par son entremise, mais que c'est lui-même qui détruira, que c'est lui-même qui mettra sous ses pieds, comme il n'a tait aucune mention du Père, pour toutes ces raisons Paul a un scrupule : des insensés pourront se figurer, ou que 1e Fils est plus grand que le Père; ou que c'est quelque autre principe non-engendré; par ce motif, avec une circonspection qui met doucement les choses en sûreté, . Paul tempère la grandeur des paroles qu'il a fait entendre : " Car Dieu a mis tout sous ses pieds " ; mais maintenant, en attribuant au Père tout ce qui s'accomplit, Paul ne veut pas affaiblir le Fils (comment pourrait-il ravaler sa puissance, après en avoir donné tant de preuves, après lui avoir tout attribué?) toutes les paroles de l'apôtre vont, comme je l'ai dit, à montrer l'action commune du Père et du Fils dans tout ce qui s'accomplit pour nous (573). Ecoutez ce que dit Paul pour prouver que le Fils se suffit à lui-même pour se soumettre toutes choses : " Qui transformera notre corps dans notre abjection, afin de le rendre conforme à son corps glorieux, par cette vertu efficace par laquelle il peut s'assujettir toutes choses ". (Philippe III, 21.) Et ensuite il se sert d'un correctif : " Quand l'Ecriture dit que tout lui est assujetti, il est évident qu'il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses " ; mais de là encore, on peut tirer une preuve puissante de la gloire du Fils unique. S'il eût été moindre que son Père, de beaucoup inférieur à lui,-Paul n'aurait jamais eu la crainte qu'il montre ici. Les précautions qu'il a prisés, ne sont pas encore suffisantes pour lui; il y ajoute, il insiste. On pouvait dire Mais si le Père n'est pas assujetti au Fils, cela n'empêche pas que le Fils ne soit plus puissant. Cette pensée inspire à Paul des appréhensions, il repousse cette impiété, et ne croyant pas sa. démonstration encore complète, il ajoute surabondamment : " Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti " ; montrant par là la parfaite concorde avec le Père, et que le principe de tous lés biens et la première cause, c'est celui qui. a engendré celui qui est si puissant pour accomplir toutes choses parfaites.

6. Si l'apôtre en a dit plus que son sujet ne le demandait, ne soyez pas surpris : il imite son maître en cela. En effet, Jésus-Christ lui-même voulant montrer la concorde qui l'unit à celui qui l'a engendré, prouver que son avènement n'est qu'un effet de la volonté de son Père, descend dans dès explications mesurées non sur la nécessité de démontrer la concorde, mais sur la faiblesse de. ceux auxquels il s'adresse. Il prie son Père uniquement dans cette intention, et il motive sa prière en disant : " Afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé ". (Jean, XI, 42.). Donc Paul suit cet exemple, et il emploie ici l'abondance des paroles, non de manière à faire imaginer qu'il puisse y avoir un assujettissement par contrainte, loin de nous cette pensée, mais de manière à exterminer victorieusement ces croyances absurdes. Car lorsqu'il veut extirper une erreur, sa parole est toujours surabondante. C'est ainsi qu'en parlant de la femme fidèle et du mari infidèle unis par le mariage, pour prévenir la pensée que la femme est souillée par son commerce et ses rapports avec l'infidèle, il ne se borne pas à dire que la femme n'est pas impure, n'est eu rien atteinte par son union avec l'infidèle, il dit, ce qui est beaucoup plus expressif, qu'elle sanctifie. l'infidèle (I Cor. VII, 14) ; ce n'est pas qu'il veuille montrer que le païen, grâce à elle, devient un saint, mais il exagère l'expression pour dissiper la crainte de là femme. De même ici, c'est pour en finir avec une croyance impie qu'il force l'expression. Soupçonner le fils d'impuissance, c'est le comble du dérèglement d'esprit : c'est pour prévenir ce délira, que l'apôtre dit : " Il mettra tous ses ennemis sous ses pieds; " oui, mais maintenant il y. aurait encore plus d'impiété à croire que le Père est moindre que le Fils. Aussi l'apôtre ruine-t-il cette erreur sacrilège sous une argumentation surabondante. Voyez ce qu'il fait : il ne se contente pas de dire : " Il faut en excepter celui qui lui a assujetti ", mais il a bien soin de dire, d'abord : " Il est évident qu'il faut ", c'est une manière de confirmer, de corroborer une vérité, quoiqu'elle ne soit nullement contestée.

Et pour que vous compreniez bien que c'est là la raison de toute cette argumentation, je vous demanderai s'il y a alors accroissement de sujétion pour le Fils. Absurdité, état indigne de la divinité ! la plus grande sujétion, l'obéissance la plus abaissée qu'il ait fait paraître, c'est tout Dieu qu'il est, de prendre la forme d'un esclave. Quel moyen donc de croire qu'alors il sera assujetti ? Voyez-vous que Paul n'a pas voulu autre chose, en ajoutant cette observation, que dissiper une imagination absurde, et qu'il s'y est pris comme il convenait? Il est question ici de l'obéissance qui convient au caractère de Fils, au caractère de Dieu , rien d'humain là dedans, pleine liberté, pleine puissance. Autrement expliquez comment il partage le trône de Dieu; comment, ainsi que le Père, il ressuscite ceux qu'il lui plaît (Jean, V, 21) ; comment tout ce qui est à son Père est à lui, et tout ce qui est à lui est à son Père (Jean, XVII, 10). Voilà qui montre la parfaite égalité de la pleine puissance entre le. Fils et celui qui l'a engendré. Mais que signifie : " Lorsqu’il aura remis son royaume? " L'Ecriture parle de deux royaumes de Dieu : l'un fondé sur l'union intimé et familière avec lui ; l'autre, sur la création. Dieu est le roi de tous les peuples, et des Grecs, et des Juifs, et des démons, et de tous les révoltés, cette royauté (574) ressort de la création; il est le roi des fidèles, de ceux qui se soumettent volontairement à lui, cette royauté ressort de l'union intime et familière. Cette royauté aussi a son empire que reconnaît l'Ecriture , car c'est d'elle qu'il est dit dans le second des psaumes

" Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage " (Ps. II, 8) ; c'est d'elle encore que parle Jésus, disant à ses disciples : " Toute puissance m'a été donnée par mon Père ". (Matth. XXVIII, 18.) S'il attribue tout à celui qui l'a engendré, ce n'est pas qu'il soit de lui-même insuffisant, mais il veut montrer qu’il est le Fils, qu'il n'est pas non engendré. Donc cette expression qu'il remet son royaume, signifie qu'il accomplit ce qu'il faut.

Mais pourquoi l'apôtre ne dit-il rien du Saint-Esprit? C'est parce que le sujet présent ne comportait pas une mention du Saint-Esprit, et que l'apôtre n'a pas l'habitude de confondre les questions: Ainsi quand il dit : " Il n'y à qu'un seul Dieu le Père, et qu'un seul Seigneur Jésus " (I Cor. VIII, 6), s'il garde le silence sur le Saint-Esprit, ce n'est pas du tout qu'il le croie d'un rang inférieur, mais c'est qu'il n'avait pas sujet d'en parler. Il lui arrive de ne faire mention que du Père, et nous n'irons pas pour Gela rejeter le Fils ; il lui arrive de ne nommer que le Fils et le Saint-Esprit, et nous n'irons pas pour cela dépouiller le Père de sa divinité: Mais maintenant; que signifie: " Afin que Dieu soit tout en tous?" Afin que tout dépende de lui. Il ne faut pas s'imaginer qu'il y a deux principes sans principe, qu'il y a division dans la royauté; car lorsque les ennemis du Fils seront abattus sous ses pieds, comme il ne peut y avoir aucun soulèvement du Fils contre celui qui l'a engendré, comme la perfection de la concorde règne entre eux, alors Dieu sera tout en tous. Maintenant quelques personnes veulent que . Paul ait entendu par là que le vice sera aboli, vu que tous désormais céderont à la volonté de Dieu, sans qu'aucun lui résiste, et commette de mauvaises actions. Et en effet; il n'y aura plus de péché, d'où il suit évidemment que Dieu sera tout en tous. Mais s'il n'y a pas de résurrection des corps, comment comprendre cette vérité? Voici que l'ennemi le plus acharné de tout ce qui a vie, la mort, subsisté, ayant mené son oeuvre à la fin qu'elle a voulu. — Non pas, réplique-t-on, car il n'y aura plus de pécheurs. — Et qu'importe? Il n'est pas ici question de la mort de l'âme, mais de celle du corps. Comment donc la mort corporelle est-elle détruite? Ce qui constitue la victoire, c'est le recouvrement de ce qu'on avait perdu, de ce qu'on s'est vu retenir. Si les corps sont retenus dans la terre, la tyrannie de la mort persiste, puisqu'elle retient ces corps, et que nous n'avons pas d'autres corps. où nous puissions la vaincre. Mais s'il arrive ce que dit Paul, et ce, qui certes doit arriver, la victoire sera éclatante pour le Dieu capable de ressusciter ce que la mort retenait, à savoir nos corps. Vaincre l’ennemi, cela veut dire qu'on le dépouille, et non pas qu'on lui laisse tout ce qu'il a pris; si au contraire personne n'ose dépouiller l'ennemi, comment dire que l'en nemi est vaincu?

7. C'est une victoire de ce genre que le Christ dit lui-même dans l'Evangile qu'il a remportée : " Quand il aura lié le fort, il pillera sa maison ". (Matth. XII, 29.) Autrement, rien ne montre la victoire. Car, de même que pour l'amour de l'âme, l'affranchissement du péché , par le fait de la mort, ne constitue pas une victoire, car la victoire ne consiste pas à ne rien ajouter à ses maux, mais à briser les fers où les passions retiennent l'âme captive, de même, ici, arrêter la mort faisant des corps sa pâture, ce n'est pas remporter une éclatante victoire; la victoire, c'est de lui arracher les corps dont elle s'est déjà saisie. Si l'on s'obstine à disputer, à soutenir que les paroles de l'apôtre désignent la mort de l'âme, comment sera-t-il vrai de dire qu'elle est la dernière détruite, puisque, dans chaque baptisé, elle est déjà entièrement détruite? Si au contraire , vous appliquez ces paroles au corps , elles ont un sens, alors on comprend que la mort est la dernière détruite. Maintenant, si l'on demande pourquoi, traitant de la résurrection, il n'a pas parlé des morts ressuscités au, temps du Seigneur, nous disons que ce n'eût pas été à propos. dans un discours sur la résurrection. Montrer des ressuscités qui meurent une secondé fois, ce n'était pas démontrer que la mort finit elle-même par être détruite. S'il dit qu'elle est elle-même détruite la dernière, c'est pour qu'on n'aille pas s'imaginer qu'elle aussi ressuscite. En effet, le vice étant supprimé, à bien plus forte raison la mort cessera. Il ne serait pas raisonnable de croire que la source (575) se dessèche, et que l'eau qui en sort, continue à couler, que la racine meurt et que le fruit se développe.

Puis donc qu'au dernier jour, les ennemis de Dieu sont détruits avec la mort, le démon, les mauvais anges, ne nous attristons pas de voir la prospérité des ennemis de Dieu. Car les ennemis du Seigneur, à peine glorifiés, exaltés, tombent en défaillance, et comme la fumée ils se sont évanouis. Dune, quand vous voyez un ennemi de Dieu, riche, entouré de satellites, escorté de flatteurs en foule, ne vous laissez pas abattre, mais gémissez, pleurez, priez Dieu de le rappeler dans, les rangs de ses amis; plus il fait ses affaires comme ennemi de Dieu , plus il faut verser de larmes sur son malheur. Car il faut toujours pleurer sur les pécheurs , et on ne peut trop pleurer quand ils sont dans l'abondance des richesses, au faîte de la prospérité , comme des malades qui se livrent aux plaisirs de leur ventre et quai s'enivrent. Il y a pourtant des personnes qui, en entendant nos paroles, sont animées de dispositions assez malheureuses, pour gémir amèrement, pour dire : c'est sur moi qu'il faut pleurer ; je ne possède rien. Vous avez bien raison de dire que vous ne possédez rien , non pas parce que vous ne possédez pas ce que ce pécheur possède , mais parce que vous prenez une telle possession pour un bonheur , voilà. pourquoi on ne peut trop pleurer sur vous. Si un homme bien portant envie le bonheur d'un malade couché dans un bon lit, il faut dire que cet homme, qui a la santé, est bien plus à plaindre, bien, plus malheureux que l'autre, attendu qu'il n'a aucun sentiment des avantages qui sont en lui. C'est ce qui arrive à propos des pécheurs dont on envie la prospérité; de là, dans notre vie , toute la confusion , tous les désordres. Des plaintes de ce genre perdent des malheureux en foule, et les livrent au démon , et les rendent plus misérables que ceux que la faim dessèche. Que la cupidité soit plus à plaindre que la mendicité même , parce que c'est un mal rongeur qui travaille l'âme plus douloureusement; c'est ce que nous allons vous montrer.

Une sécheresse autrefois saisit notre ville, à tel point que tous. tremblaient, redoutant les derniers malheurs, et suppliaient Dieu de les délivrer de. leurs angoisses; en ces jours , on pouvait voir la parole de Moïse accomplie en réalité, le ciel devenu d'airain (Deut. XXVIII, 23) , et chaque jour, on attendait la plus affreuse des morts. Mais ensuite, grâce à. la bonté de Dieu, contre toute espérance, il tomba du ciel une pluie d'une inépuisable abondance : et tous déjà se mettaient en fête comme s'ils venaient de sortir des portes mêmes de la mort. Cependant, au milieu d'une si grande faveur et de la joie qui les transportait tous, un des hommes les plus opulents rôdait triste et morne, frappé au coeur d'un mortel abattement, et pressé des questions qu'on lui adressait pour savoir d'où venait que, dans la joie universelle, il était seul affligé, il ne put pas même contenir dans l'intérieur de son âme son affection malsaine; surexcité par la tyrannie d'un mal affreux , il ne craignit pas d'exposer la cause de sa tristesse : J'ai, dit-il , par milliers, des mesures de froment, je ne sais plus qu'en faire. Eh bien , vanterons-nous , répondez-moi , le bonheur de celui qui prononçait de telles paroles qui auraient dû le faire lapider; le bonheur de ce monstre, plus cruel que toutes les bêles féroces, le bonheur de cet ennemi de tous? Quo dis-tu, ô homme? tu t'affliges de ce que tous ne meurent pas, parce que tu y gagnerais de l'argent ! N'as-tu pas entendu ce que dit Salomon. : " Celui qui cache le blé est exécrable au peuple? " (Prov. XI, 26), et tu rodes, ennemi déclaré de tout ce qui fait du bien sur la terre, ennemi de la bonté de Dieu qui répand ses largesses sur le monde entier, ami du gain sordide, ou plutôt son esclave? Cette langue-là ne méritait-elle pas d'être coupée? n'aurait-on pas dû étouffer ce coeur d'où sortirent de telles paroles ?

8. Voyez-vous comme l'amour de l'or ne permet pas aux hommes de rester des hommes, comme cet amour en fait des monstres, des démons? Quoi de plus pitoyable que ce riche priant chaque jour pour que la famine arrive, afin qu'il lui arrive, à lui, de l'or? Les sentiments naturels se changent en leurs contraires, dans l'avare : au lieu de le réjouir, l'abondance des fruits qu'il possède est précisément ce, qui l'afflige; il gémit de l'infinité même de ses possessions. Pourtant l'abondance dans la possession est nécessairement une cause de joie; non, voilà précisément pour lui, ce qui fait ses angoisses. Voyez-vous combien j'ai eu raison de dire que les riches ne ressentent pas autant de plaisir des biens (576) présents qu'ils ne s'affligent en pensant à ceux qu'ils n'ont pas. encore? Ce riche qui possédait d'innombrables mesures de froment, était plus chagrin,, plus gémissant que celui qui avait faim : celui qui avait le nécessaire, se couronnait de fleurs, sautait de joie, et rendait grâces à Dieu; au contraire, celui. qui possédait tant, se plaignait, se regardait comme. perdu. Ce n'est donc pas l'abondance qui procure le plaisir, c'est la sagesse ; et sans la. sagesse, quand vous auriez tout en votre possession, vous serez comme privé de tout, et vous vous lamenterez. Cet avare, dont il s'agit maintenant, quand même il aurait tout vendu, et vendu le prix qu'il voulait, tout ce qu'il avait entre ses mains, il se serait encore plaint de n'avoir pu vendre à un prix plus élevé; et s'il avait pu vendre à un prix plus élevé, il aurait encore voulu vendre, à un prix supérieur; eût-il vendu de telle sorte qu'une seule mesure lui eût rapporté un monceau d'or, il se serait encore frappé la poitrine avec une morne tristesse parce qu'une demi-mesure ne lui aurait pas rapporté tout autant. Si dès le commencement de sa vente il ne fixe pas un prix si haut, n'en soyez pas surpris. Ceux qui s'enivrent ne sont pas tout de suite embrasés de tous les feux du vin, il faut qu'ils se remplissent d'abord de flots de vin, et é'est alors que le feu devient plus . ardent. Voilà pourquoi les avares aussi ont d'autant plus de besoins qu'ils ont plus amassé; et ce sont ceux qui gagnent le plus, qui se plaignent les plus de manquer. Quant à mes paroles, elles ne sont pas seulement pour ce riche, mais pour chacun de tous ceux que la même maladie travaille, qui font hausser le prix des denrées, et appauvrissent ainsi leur prochain. Il n'y a chez eux aucun. sentiment d'amour pour les hommes; l'amour de l'argent possède leur cœur ; c'est leur avarice qui règle le temps des ventes, le froment et le vin sont vendus, plus tôt par celui-ci, plus tard par celui-là, mais ni les uns, ni les autres ne se soucient de la chose publique; les uns veulent gagner plus, les autres craignent de perdre, si la marchandise s'avarie.

C'est que si un grand nombre d'hommes ne tiennent pas compte de la loi de Dieu , et renferment, et cachent toutes les provisions, Dieu, par ses moyens à lui, veut les amener à la bonté pour les hommes, les forcer à faire par nécessité quelque chose de bien, et il leur inspire la crainte d'un dommage considérable : Dieu ne permet pas que les fruits de la terre se conservent longtemps, afin que les détenteurs, redoutant la corruption de ces fruits, par cette considération au moins, les livrent, bon gré mal gré, aux indigents; puisqu'ils ne sauraient les garder chez eux. Eh bien , malgré cet avertissement de Dieu, il y a de ces cupidités que cela même ne saurait corriger. Que de gens a-t-on vus qui ont jeté des tonneaux tout entiers, sans- donner seulement une coupe de vin au pauvre; eux qui n'auraient pas donné une obole aux indigents, ils ont dû répandre sur la terre tout leur vin devenu du vinaigre, et ils ont gâté à la fois leurs tonneaux et leur vin. D'autres n'auraient pas même donné un morceau de pâte à un affamé et ils ont jeté dans le fleuve des charges entières de froment; et pour n'avoir pas écouté la voix de Dieu qui commande de donner à ceux qui ont besoin; sur l'ordre de la teigne, ils ont dû, bon gré mal gré, consentir à la destruction, à la perte de tout ce qu'ils avaient chez eux, au milieu des éclats de rire, au milieu des malédictions retombant sur leur tète avec tout ce préjudice.

Voilà ce qui se passe ici-bas; mais ce qui se passe ailleurs, dans l'autre monde, quel discours le dira? Ici-bas , la teigne ronge le froment et le rend inutile, et ils le jettent dans l'eau des fleuves; de même ceux qui font ces choses , ceux qui, par cette conduite, se rendent inutiles. Dieu les jette dans le fleuve de feu. La teigne et les vers rongent le froment; une cruauté qui ne connaît rien des affections. de l'homme, ronge pareillement leurs âmes. Et pourquoi ! Parce que tous leurs sentiments sont rivés aux choses présentes, parce qu'ils n'attachent un prix insensé qu'à cette vie, d'où viennent les innombrables chagrins dont ils sont. pénétrés. De quelque plaisir qu'on leur parle, tout s'évanouit pour eux devant la terreur de la fin dernière; ils. sont morts sans avoir cessé de vivre. Que ce soit là la condition des infidèles, ne nous en étonnons pas; mais après la participation à tant de mystères, après tant de sages méditations sur les choses à venir, l'attachement aux choses présentes pourrait-il s'excuser chez les, chrétiens? D'où vient-il cet attachement aux choses présentes? De l'attachement à ce qui rend la vie délicate, à ce qui engraisse la chair, à ce qui rompt l'énergie de l’âme, à ce qui l'afflige (577) d'un plus lourd fardeau, à ce qui épaissit ses ténèbres sous une enveloppe plus grossière. Dans l'âme éprise d'une vie molle et délicate, ce qui est le meilleur est asservi; la partie inférieure fait la loi ; ce qui doit commander est un aveugle, un manchot, un mutilé; tout se fait et s'exécute par ce qui ne devrait être qu'un subordonné que l'on tient en sa place. Car le grand ouvrier a enchaîné l'âme au corps par des liens nombreux pour prévenir la haine qu'elle pourrait concevoir contre cet étranger.

9. Car si Dieu a commandé d'aimer ses ennemis, le démon est parvenu à persuader à quelques personnes de haïr même leur propre corps. Dire que le corps est l'oeuvre du démon, ce n'est pas autre chose que prouver qu'il le. faut haïr, ce qui est le comble de la démence. Si c'est l'oeuvre du démon, d'où vient cette harmonie parfaite qui le rend de tout point capable de ménager à l'âme la pratique de la sagesse? Mais, dira-t-on, si le corps est un instrument propre à l'âme, comment se fait-il qu'il aveugle l'âme? Ce n'est passe corps qui aveugle l'âme, loin de vous, ô hommes, cette pensée ; c'est l'amour de la mollesse. Mais cette mollesse d'où vient que fous la recherchons? Ce n'est pas parce que nous avons un tores, nullement ; mais c'est parce que nous avons une volonté pervertie. Ce qu'il faut au corps, c'est la nourriture , non la pourriture de la mollesse; ce qu'il faut au corps, c 'est l'aliment, non le dissolvant. Ce n'est pas l'âme seule, c'est, avec l'âme, ce corps qu'un prétend nourrir, qui trouve dans la mollesse une ennemie. Il s'affaiblit au lieu de se fortifier, il s'amollit au lieu de rester ferme; à. la santé succède la maladie; â la légèreté, la lourdeur; à la consistance, la consomption; à la beauté;. la laideur; à l'odeur agréable, la puanteur; à la pureté, la souillure; au bien-être, la douleur; à l'utile activité, l'inutile torpeur; à la fraîcheur, la vétusté; à l’énergie, le marasme; à l'agilité, la gaucherie pesante; il était fort et droit, il boite.. Et maintenant, si le corps était l'ouvre du démon, il ne conviendrait pas davantage qu'il souffrît de ses attaques, je veux dire des atteintes du vice. Mais ni le corps, ni les aliments ne sont les couvres du démon, la seule mollesse en vient. C'est par elle que le démon pervers produit des maux sans nombre; c'est par là qu'il a perdu tout un peuple. " Ce peuple s'est engraissé ", dit l'Ecriture, " s'est rempli d'embonpoint, et a regimbé après avoir été tant aimé ". (Dent. XXXII, 15.) C'est encore par là qu'ont commencé les foudres contre ceux de Sodome. C'est ce que marquait Ezéchiel, en disant : " Voici quelle a été l'iniquité de Sodome : en se voyant rassasiée de. pain, dans l'abondance, elle s'est plongée dans les plaisirs déréglés ". (Ezéch. XVI, 48.)

Voilà encore pourquoi Paul disait : " La veuve qui se plonge dans les plaisirs déréglés, toute vivante qu'elle est, est morte ". (I Tim. V, 6.) Pourquoi? c'est qu'elle promène comme un sépulcre son corps couvert de maux sans nombre. Or si le corps est ainsi perdu, quel sera l'état de l'âme, quel trouble, quels flots, quelle tempête, quel bouleversement ! La voilà donc, n'en doutons pas, inutile pour toutes choses, incapable de dire, incapable d'entendre; de prendre un parti, de rien faire de ce qui convient; comme un pilote dont la science est vaincue par la tempête, s'engloutit dans les flots avec le navire, avec tous les passagers, ainsi l'âme,.avec le corps, plonge et s'engloutit dans l'affreux abîme où se perdent tous les sentiments. Car Dieu nous a donné notre ventre comme une meule dont la puissance est mesurée, qui doit moudre chaque jour une quantité dont la mesuré est déterminée. Si donc on y jette au-delà de la mesure prescrite, ce qui n'a pas subi le travail de la meule, produit la destruction du corps entier. De là les maladies, les défaillances, les altérations funestes; car l'excès des plaisirs n'engendre pas seulement les maladies, mais substitue la laideur à la beauté. Voyez l'homme dont la respiration ramène à chaque instant des exhalaisons insupportables, dégage les miasmes infects du vin, dont la figure présente une rougeur exagérée;. voyez l'homme abusant de la toilette qui convient aux femmes, n'ayant plus aucune décence dans la parure; voyez cette chair flasque; ces paupières injectées, gonflées de sang, cette obésité, cette surcharge inutile d'un embonpoint énorme, réfléchissez à tout ce qu'il en résulte d'incommodité. J'ai entendu nombre. de médecins prétendant que l'abus des voluptés souvenu empêche le développement de la taille. Car le souffle étant embarrassé par la multitude des aliments précipités dans l'intérieur, et n'étant plus employé qu'à aider le travail de la digestion, ce qui devait servir à l'accroissement du corps, se perd dans (578) l’élaboration que rend nécessaire tout ce superflu qu'on entasse. Que dire de ces gouttes, de ces rhumatismes qui se promènent dans toutes les parties du corps, des autres maladies qui en naissent, de toutes les douleurs honteuses?

Non,. rien n'est aussi désagréable à voir qu'une femme qui se charge de nourriture. Voilà pourquoi la beauté se rencontre plus souvent chez celles qui souffrent de la pauvreté; pour elles, ce superflu qui nuit au corps se rejette sans peine; il n'y a pas là une boue qui s'attache inutilement à leur substance, comme cette fange dont on reçoit, dont on emporte l'éclaboussure Les exercices de chaque jour, les fatigues, les peines, la frugalité, le régime de la pauvreté leur font une bonne constitution, et de là résulte pour elles l'éclat de là beauté. Si vous prétendez objecter que la délicatesse a ses plaisirs, vous trouverez qu'ils ne vont pas plus loin que l'entrée de la gorge; une fois la langue dépassée, les plaisirs, s'envolent, il n'en reste plus qu'un grand nombre d'inconvénients désagréables. Il ne suffit pas de voir les délicats an moment de la table, voyez-les quand ils se lèvent, suivez-les alors, ce sont des bêtes, ce sont des brutes, ce ne sont plus des hommes. Voyez ces têtes pesantes, ces bâillements, ces bras, ces jambes qui s'allongent, ce corps embarrassé, garrotté de mille liens, à qui il faut le lit, des couvertures, du repos surtout, ce tourbillonnement comme s'il y avait une tempête au milieu des flats; voilez ces naufragés qui ont besoin de sauvetage, qui ne soupirent plus qu'après l'état où ils se trouvaient avant de se crever le ventre. On dirait des femmes en mal d'enfant à les voir comme ils se portent avec leurs ventres appesantis, sans pouvoir marcher, sans pouvoir regarder, sans pouvoir parler, sans pouvoir rien faire. S'il leur arrive de sommeiller, voilà qu'ils ont des songes extravagants, qu'ils voient des chimères, de folles apparitions partout. Comment parler encore d'un autre délire de ces voluptueux, de là luxure qui les brûle ? Encore une démence qui découle des mêmes sources : comme des étalons que leur chaleur transporte, stimulés par l'aiguillon de l'ivresse, ces libertins se ruent sur tout ce qu'ils rencontrent, et c'est une dégradation, une fureur que les animaux mêmes n'égalent pas; et ce sont des infamies que la parole ne saurait vouloir raconter. Ils n'ont conscience ni de ce qu'ils supportent, ni de ce qu'ils font.

Mais l'homme étranger aux plaisirs, n'est pas sur ce modèle : du port où. il est assis, il voit les naufrages, il jouit d'un plaisir pur et qui lui suffit, il mène la vie qui convient à un être libre. Pénétrés de ces vérités, fuyons donc les banquets criminels des hommes livrés à la délicatesse, aux plaisirs déréglés, attachons-nous à la table où règne la frugalité, afin que, dans les bonnes dispositions de l'âme et du corps, nous pratiquions toutes les vertus, et que nous puissions obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père , comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XL. AUTREMENT, QUE FERONT CEUX QUI SONT BAPTISÉS POUR LES MORTS, S'IL EST VRAI QUE LES MORTS NE RESSUSCITENT POINT? POURQUOI SONT-ILS BAPTISÉS POUR LES MORTS? (CHAP. XV, VERS. 29, JUSQU'AU VERS. 34.)
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ANALYSE.

1-3. La résurrection des morts est prouvée par le baptême; non-seulement par les discours, mais par les actions des apôtres, par leur courage en présence de fous les dangers.

4 et 5. Les mauvais discours corrompent les bonnes moeurs. — Encore contre l'avarice, contre les fortunes qui ne. se font qu'au détriment des autres. — Contre les plaisirs et la corruption qui en est la conséquence funeste. — Contre le luxe de ceux qui ne se montrent qu'entourés de troupeaux d'esclaves.

1. Voici maintenant l'apôtre attaquant un autre sujet : tantôt c'est par la conduite de Dieu, tantôt c'est par les actions mêmes des hommes auxquels il s'adresse, qu'il prouve la vérité de ses paroles. Ce n'est pas une faible preuve à l'appui de la vérité qu'on soutient, que de pouvoir produire le témoignage même des contradicteurs. Voyons donc ce que dit l'apôtre? Ou bien préférez-vous que je vous rapporte d'abord les erreurs débitées par ces malades qui parlent comme Marcion ? Je sais bien que je vagis provoquer un éclat ale rire, c'est précisément ce qui me décide à parler; je veux que vous voyiez mieux les raisons de vous préserver de cette maladie. Un catéchumène chez eux vient de mourir; que font-ils ? Sous le lit du mort, ils cachent un. vivant; cela fait , ils demandent au mort s'il veut recevoir le baptême. Le mort ne répond pas ; alors celui qui est caché en bas sons le lit, répond pour lui qu'il veut recevoir le baptême; ils arrivent ainsi à baptiser le vivant pour celui qui est mont : c'est une comédie ; tel est, sur les âmes lâches, le pouvoir du démon. Si on les prend à partie ; ils vous répondent que l'apôtre a dit : " Ceux qui sont baptisés pour les morts ". Est-ce assez ridicule ? Est-ce la peine de discuter ? En vérité, je ne le pense pas, à moins qu'il ne faille disserter avec des fous sur les paroles qu'ils font entendre dans leur délire. Il ne faut pas toutefois qu'aucun de ceux dont l'esprit est un peu simple se laisse prendre à ces extravagances, et voilà pourquoi nous allons discuter.

Si Paul avait la pensée qu'on lui prête, pourquoi Dieu a-t-il fait des menaces à celui qui ne reçoit pas le baptême ? Il n'est plus possible de manquer le baptême, grâce à cette découverte. D'ailleurs ce n'est plus la faute des morts, mais la faute des vivants. Mais maintenant, à qui le Seigneur a-t-il adressé ces paroles: " Si vous ne mangez ma chair, et si vous ne buvez mon sang, vous n'avez point la vie en vous? " (Jean, VI, 54.) Aux vivants ou aux Morts? répondez-moi. Et encore : " Si un homme ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu". (Jean, III, V.) Si de telles pratiques sont permises, on n'a plus que faire de ta volonté de celui qui reçoit le baptême; ni du consentement du vivant ; qui empêche de transformer les païens et les Juifs en autant de fidèles; vu que les vivants, quand les autres seront défunts; s'entremettront dans l'intérêt de ces défunts? Mais c'est trop nous arrêter à enlever ces. toiles d'araignée; voyons, expliquons ce que veut dire cette expression de Paul. Qu'entend-il par là? Je veux d'abord vous rappeler , à vous qui êtes initiés aux (580) mystères, les paroles que l'on vous fait prononcer le soir de votre initiation , je vous dirai ensuite la pensée de Paul ; par ce moyen, cette pensée même sera, pour vous, plus claire. Car c'est après toutes les autres paroles que nous ajoutons ce que dit Paul en ce moment. Je voudrais être parfaitement clair, et cependant je n'ose pas tout exposer au grand jour, à cause de ceux qui ne sont pas initiés; ce sont eux qui rendent nos expositions difficiles, en nous forçant, soit de parler à mots couverts, soit de lever énoncer ce qui doit être mystères pour eux. Toutefois je parlerai, m'appliquant, autant que possible, à laisser les mystères dans l'ombre.

Après avoir prononcé ces paroles pleines de redoutables mystères, les règles des dogmes qu'il faut respecter avec crainte, les lois envoyées du ciel, nous finissons par ajouter, au moment du baptême, ces paroles que nous ordonnons de prononcer : Je crois à la résurrection des morts; et c'est dans cette foi-là que nous sommes baptisés. Ce n'est qu'après cette profession ajoutée aux autres, que nous sommes plongés dans la source de ces eaux sacrées. Voilà ce que Paul rappelait aux fidèles, quand il disait : " S'il n'y a pas de résurrection, pourquoi êtes-vous baptisés pour les morts? " ce qui veut dire, pour les corps. Car si vous êtes baptisé, c'est que vous croyez à la résurrection du corps mort, vous croyez qu'il ne reste pas mort. Quant à vous, c'est par des paroles que vous exprimez là, résurrection des morts ; mais, pour le prêtre, il a comme une image à lui, et ce que vous avez cru, ce que vous avez confessé par des paroles, cette image vous en montre la réalité. Vous croyez sans avoir de signe, et le prêtre vous donne un signe ; vous commencez par faire ce qui dépend de vous, et alors Dieu vous donne une certitude. Comment cela ? par quel moyen? Au moyen de l'eau: Le baptême, l'immersion suivie du mouvement contraire par lequel on remonte, on sort, c'est le symbole et de la descente aux enfers, et du retour. Voilà pourquoi Paul appelle encore le baptême une sépulture : " Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort ". (Rom. VI, 4.) L'apôtre y trouve une preuve de la condition à venir; j'entends par là, la résurrection des corps. Le pouvoir de ressusciter le corps n'approche pas de celui qui détruit les péchés. Jésus-Christ, à ce propos, disait : " Car lequel est le plus aisé, ou de dire: Vos péchés vous sont remis; ou de dire : Emportez votre lit, et marchez? " (Matth. IX, 5, 6.) C'est le premier qui est le plus difficile; mais comme vous ne croyez pas à ce qui n'est pas évident pour vous, comme le plus facile peut vous servir, à défaut du plus difficile, à vous montrer ma puissance, je ne veux pas vous refuser même cette moindre marque. " Alors Jésus dit au paralytique : Levez-vous, emportez votre lit, et rentrez dans votre maison ".

2. Et quelle difficulté trouvez-vous là, dira-t-on, puisque les rois et les princes peuvent en faire autant? Ils remettent les fautes des adultères et des meurtriers. Vous plaisantez, ô homme; à Dieu seul appartient le pouvoir de remettre les péchés; pour les rois et les princes . qui renvoient, qui acquittent des adultères et des meurtriers, ils leur font grâce du supplice . présent, mais ils ne les purifient pas; ils auraient beau les élever aux honneurs après les avoir absous, les revêtir de la pourpre, leur mettre au front le diadème, ils pourront en faire des rois, mais non les affranchir de leur péché. A Dieu seul ce pouvoir. C'est l'oeuvre que Dieu opère dans le baptême de la régénération; il pénètre l'âme de sa grâce, et en extirpe jusqu'à la racine du péché. Voilà pourquoi tel que le prince a gracié, montre une âme couverte de souillure; mais il n'en est pas de même de celui qui a été baptisé : il est plus pur que les rayons du soleil, il est comme au jour qui l'a vu naître, ou plutôt son âme est bien plus éclatante encore de pureté. Car elle jouit pleinement de tous les. feux du Saint-Esprit qui l'embrase et qui augmente sa sainteté. Fondez l'or et l'argent, vous en faites un nouveau et pur métal: ainsi fait l'Esprit-Saint dans le baptême , il fond l'âme comme dans une fournaise, il en consume les péchés, il la rend plus éclatante que l'or le plus pur. Et c'est une nouvelle preuve qui vous assure encore de la résurrection des corps. Car puisque c'est le péché quia introduit la mort dans le monde, une fois que la racine est desséchée, n'en doutons plus, ne contestons plus, le fruit du péché est mort.

Voilà pourquoi vous avez commencé par confesser la rémission des péchés, ce n'est qu'ensuite que, faisant un pas de plus, vous confessez. la résurrection des corps ; c'est la première de ces vérités qui vous conduit à la (581) seconde. Ensuite comme il ne suffit pas de dire simplement résurrection, comme il faut la comprendre dans ce qu'elle a d'absolu (en effet beaucoup sont ressuscités, qui sont retombés dans la mort, comme tous les ressuscités de l'Ancien Testament, comme Lazare, au temps de la croix), on vous dit d'ajouter, et pour la vie éternelle, afin qu'on ne s'imagine pas qu'il y ait une mort après cette résurrection. Telles sont donc les paroles que Paul rappelle quand il dit : " Que feront ceux qui sont baptisés pour les morts ? " Car, s'il n'y a pas, dit-il, de résurrection, ces paroles ne sont qu'une comédie. S'il n'y a pas de résurrection, comment pouvons-nous leur persuader de croire à ce que nous ne donnons pas? Supposez un homme qui exige d'une personne un billet déclarant qu'elle a reçu ceci, cela, qui ne donne rien à cette personne de ce qui est écrit, et qui finisse par lui réclamer, son billet à la main, tout ce que le billet comporte. Que pourra faire le signataire du billet, qui s'est ainsi exposé, qui n'a rien reçu de ce qu'il a reconnu ? Tel est le sens de ce que dit Paul au sujet des baptisés. Que feront-ils, ces baptisés, dit l'apôtre, qui ont souscrit à la résurrection des corps morts, qui ne la reçoivent pas, qui sont trompés? A quoi servait cette confession, cette reconnaissance, si la réalité ne devait pas en être la conséquence?

" Et pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous, à toute heure, à tant de périls ? Il n'y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous , en Jésus-Christ (30, 31) ". Voyez encore où il cherche une preuve à l'appui du dogme; il la trouve dans son propre suffrage ; parlons mieux, ce n'est pas seulement dans son propre suffrage, mais aussi dans celui des autres apôtres. Il y a de la force dans le raisonnement qui montre les docteurs si profondément convaincus, et prouvant leurs convictions non-seulement par leurs discours, mais par leurs actions mêmes. Aussi Paul ne se contente pas de dire : Nous aussi, nous sommes persuadés, car ces paroles n'auraient pas suffi pour opérer la persuasion, mais il fait la démonstration par les actions mêmes; c'est comme s'il disait : La confession par des paroles ne ,vous paraît peut-être pas bien étonnante ; mais si nous vous faisions entendre la grande voix qui sort des couvres, qu'auriez-vous à y objecter? Ecoutez donc ce que vous disent les périls par lesquels nous confessons chaque jour ces vérités. Et il ne dit pas : Pourquoi moi-même; il dit : " Et pourquoi nous-mêmes " ; il montre auprès de lui tous les apôtres à la fois, unissant ainsi à la modestie tout ce qui peut donner de l'autorité à ses- paroles. Que pourriez-vous nous répondre ? Que c'est pour vous tromper que nous publions cette doctrine, et qu'une vaine glaire seule a fait de nous des docteurs? Mais nos périls vous empêchent de porter ce jugement. Car qui voudrait s'exposer inutilement à des périls sans fin? Voilà pourquoi il dit ".Pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous à toute heure? " Supposez, en effet, un homme poussé d'un vain désir de gloire, il s'exposera une fois, deux fois, mais non pendant tout le cours de sa vie, ce que nous faisons; car c'est à de tels périls que nous avons voué notre vie tout entière. " Il n'y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ ". Cette gloire dont il parle ici, ce sont les progrès des fidèles.

Comme il vient de rappeler ces innombrables périls, l'apôtre ne veut pas avoir l'air d'en gémir; non-seulement, dit-il, je ne m'en afflige pas,-mais je m'en glorifie, parce que je les affronte pour vous. Il a, dit-il, deux raisons de se glorifier, et parce que c'est pour eux qu'il affronte les périls, et parce qu'ils lui donnent sa récompense. Ensuite, selon son habitude, après de fières paroles, l'apôtre rapporte au Christ l'une et l'autre de ces deux raisons de se glorifier. Mais que signifie, qu'il n'y a pas de jour qu'il ne meure? Il meurt par le désir, et parce qu'il se prépare sans cesse à la mort. Et pourquoi le dit-il?. Encore une preuve à l'appui de ce qu'il soutient sur la résurrection. Car, dit-il, quel homme voudrait subir mille fois la mort, s'il n'y avait ni résurrection, ni de vie après tant de souffrances ? Si les fidèles qui croient à la résurrection, ont tant de peine à s'exposer à de pareils dangers, s'il faut pour cela une âme tout à fait généreuse, à bien plus forte raison celui qui n'a pas la foi ne voudra pas supporter tant de morts, et de morts si terribles: Vous voyez comme ses expressions deviennent peu à peu de plus en plus énergiques. " Nous nous exposons ", dit-il; ensuite il ajoute : " A toute heure " ; ensuite : " Il n'est pas de jour ". Il finit par ne plus dire seulement : Je m'expose; il dit plus (582) : Je meurs. Et ensuite il montre combien de morts il subit, écoutez : " Si pour parler selon l'homme, j'ai combattu à Ephèse contre les bêtes farouches, à quoi cela me sert-il (32) ? "

3. Que signifie : " Si, pour parler à la manière des hommes? " Autant qu'il a dépendu des hommes, j'ai combattu contre les bêtes. Car que dois-je dire, si c'est Dieu qui m'a arraché aux dangers? Aussi, c'est moi surtout qui dois m'inquiéter de ces choses, moi qui soutiens tant de périls sans avoir encore reçu de récompense. Car si le moment de la rémunération ne doit pas venir, si tous nos intérêts sont renfermés dans les limites du temps présent, c'est . nous qui souffrons le plus. grand tort. Vous en effet, votre foi ne vous' expose à aucun péril; nous, au contraire, il n'est pas de jour que nous ne soyons. égorgés. Toutes ces paroles n'avaient pas pour objet de faire entendre qu'il n'y avait, pour lui, aucune utilité à retirer de, ses souffrances, mais il se préoccupait de la faiblesse de la multitude, et il voulait les rendre solides sur le sujet de la résurrection; ce n'était pas qu'il courût après la récompense; c'était, pour lui, une rémunération suffisante de faire ce qui était agréable à Dieu. Aussi ces paroles mêmes, " si nous n'avions d'espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes ", c'est pour la multitude qu'elles sont dites, c'est pour que la crainte d'un état si misérable bannisse de leur coeur l'incrédulité au sujet de la résurrection, c'est pour s'accommoder à leur faiblesse qu'il parle ainsi. Car c'est une grande récompense que de plaire, en toute circonstance, à Jésus-Christ, et, indépendamment de toute rémunération, le plus précieux des salaires, c'est de braver pour lui les périls. " Si les morts ne ressuscitent point, mangeons et buvons, car nous mourrons demain ". Dans ces dernières paroles, c'est l'ironie qui éclate. Aussi n'est-ce pas de lui-même qu'il énonce cette pensée; mais il fait entendre le plus sublime des prophètes, Isaïe, qui disait au sujet des malheureux devenus insensibles à la douleur et désespérés : " Qui égorgent des veaux et tuent des moutons, pour manger de la chair et boire du vin; qui disent : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. C'est pourquoi le Seigneur le Dieu des armées, m'a fait entendre cette révélation, cette iniquité ne vous sera pas remis, jusqu'à ce que vous mouriez ". (Is. XXII,13,14.) S'il n'y avait pas de pardon alors pour ceux qui disaient ces paroles, à bien plus forte raison les mêmes coupables seront-ils punis sans la grâce. Maintenant pour ne pas rendre son discours trop amer, l'apôtre cesse d'insister. sur les absurdités, il reprend le ton de l'exhortation, il dit : " Ne vous laissez pas séduire; les mauvais entretiens gâtent les bonnes moeurs (33) ". Ces paroles avaient pour but de leur reprocher leur manque de sens, et, en même temps, il s'y mêle un compliment , car ce sont les bonnes âmes qui sont faciles à tromper, et du même coup, autant qu'il lui est possible, il les décharge, il les montre excusables dans ce qui précède, il repousse loin d'eux les accusations, il les transporte à d'autres coupables, et par ce moyen-là il entraîne ses auditeurs au repentir. C'est ce qu'il fait dans l'épître aux Galates " Celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu'il soit ". (Gal. V, 10.) " Tenez-vous dans la vigilance, justement, et ne péchez pas (34) ", comme s'il s'adressait à des gens ivres et saisis d'accès de folie furieuse. Rejeter à la fois, rejeter tout à coup ce qu'on tient dans les mains, c'était vouloir ressembler à ces gens ivres, à ces furieux qui ne voient plus, ce qu'ils ont vu , qui ne croient plus ce qu'ils ont confessé. Que signifie " justement? " pour ce qui est avantageux et utile. Car il y a une vigilance, en vue de l'injustice, quand on n'a l'esprit éveillé que pour faire du tort à son âme. Et c'est avec raison que l'apôtre a ajouté, " ne péchez pas ", pour montrer que c'est du péché que sortent les germes de l'incrédulité. En beaucoup d'endroits, il fait entendre que c'est la corruption des moeurs qui produit les mauvaises doctrines, comme quand il dit " Car l'amour des richesses est la racine de tous les maux ; et quelques-uns en étant possédés, se sont égarés hors de la foi ". (I Tim. VI, 10.) Il en est un grand nombre que leur conscience tourmente, qui craignent le châtiment , et qui par suite au grand préjudice de leur âme, perdent la foi en la résurrection; de même que ceux qui pratiquent de grandes .Vertus, ne soupirent à chaque instant qu'après ce grand jour : " Car il y en a quelques-uns qui ne connaissent point Dieu; je vous le dis, pour vous faire honte ". Voyez comme il fait encore retomber les accusations sur d'autres coupables. Il ne dit pas: Vous ne connaissez point, mais : " Il y en a quelques-uns (583) qui ne connaissent point ". Ne pas ajouter foi à la résurrection, c'est ignorer absolument la puissance invincible de Dieu qui suffit à tout.. S'il a fait toutes choses du néant, à bien plus forte raison pourra-t-il ressusciter ce qui est dissous. Après les reproches violents, après les sarcasmes lancés contre la gourmandise, l'ignorance , l'engourdissement d'esprit , il s'adoucit, il console, il dit : " Je vous le dis, pour vous faire honte ", c'est-à-dire, pour vous corriger, pour vous ramener, pour qu'a près avoir rougi vous deveniez meilleurs. L'apôtre a peur de trop couper dans le vif, de telle sorte qu'ils regimberaient.

4. Sachons comprendre que l'apôtre, ici, ne s'adresse pas seulement à quelques hommes, à tous ceux qui souffrent de la même mais maladie, dont la vie est corrompue. Ce ne sont pas seulement ceux dont les doctrines sont mauvaises, mais ceux dont les péchés sont graves qu'il faut regarder comme des gens ivres, comme des insensés. Aussi peut-on leur appliquer cette parole : " Tenez-vous dans la vigilance " ; appliquons-la surtout à ceux qui succombent sous le faix de leur cupidité, à ces ravisseurs qui n'entendent pas le rapt. Car il y a un rapt glorieux, qui ravit le ciel, et ce rapt ne fait de mal à personne. Sur cette terre nul ne s'enrichit qu'à la condition qu'un autre s'appauvrit tout d'abord mais les richesses spirituelles ne sont pas à ce prix, c'est le contraire du tout au tout, nul ne s'enrichit sans communiquer à un autre l'abondance. Car si vous n'êtes utile à personne, impossible à. vous de trouver la richesse. En . ce qui .concerne nos corps, tout ce qui s'épanche au dehors produit l'amoindrissement; pour les dans de l'esprit, au contraire, l'épanchement procure l'abondance; c'est le refus de partager qui engendre la pauvreté, l'indigence, qui attire le plus cruel supplice. Témoin cet homme, qui enfouit son talent. Celui qui possède les discours de la sagesse et les communique à un autre, augmente sa richesse, parce qu'il rend sages des hommes en. grand nombre; celui qui tient caché ce trésor, se dépouille lui-même de son luxe, parce qu'il ne s'est pas fait une richesse des services rendus à un grand nombre d'hommes. Celui qui, possède encore, d'autres dons, s'il les fait servir à la guérison d'un grand nombre, accroît la richesse qu'il a reçue; il ne vide pas son trésor en le partageant, et, par lui, une foule d'autres se. remplissent des dons spirituels. Pour tous les dons de l'Esprit, c'est la règle invariable. De même, pour la royauté ; celui qui associe le grand nombre à sa royauté, s'assure les moyens de la voir s'agrandir ; au contraire, celui qui ne veut de partage avec personne, se verra déchu lui-même de tant de biens si précieux. Si la sagesse humaine ne se dépense pas, entre tant de milliers de ravisseurs qui la pillent, si cet artisan, qui communique son savoir à tant d'autres, ne perd pas son savoir dans son art, à bien plus forte raison le ravisseur d'une telle royauté ne l'amoindrit pas, nous verrons nos trésors grossis quand, nous appellerons les foules au pillage. Ravissons donc les biens qui ne se dépensent pas, qui augmentent par, cela même qu'on vient les ravir, ravissons ce qui se peut ravir, sans craindre ni la calomnie ni l'envie. Voyez donc s'il y avait quelque part une source d'or, éternellement jaillissante, d'autant plus abondante qu'on y puiserait davantage; s'il y avait, d'autre part, un trésor, enfoui, où. courriez-vous pour vous. enrichir? N'est-ce pas à la source? Oui en. peut douter? Mais ne nous contentons pas de paroles, de fictions, voyez la réalité de la parole qui frappe vos oreilles, voyez l'air, voyez le soleil ; tous les mettent au pillage, et l'air et le soleil remplissent tous les êtres, et cependant, qu'on en jouisse ou qu'on n'en jouisse pas, ils subsistent toujours semblables, jamais amoindris. Mais ce dont je parle est bien supérieur. Car la sagesse spirituelle ne subsiste pas toujours semblable à elle-même, soit qu'elle se communique, soit qu'elle ne se communique pas, elle s'accroît, elle grandit, quand elle se communique. S'il en est qui résistent encore à nos paroles, s'il est un homme que préoccupe encore exclusivement la crainte de manquer ces choses nécessaires à la vie, un homme porté à ravir les biens qui diminuent, que celui-là rappelle la manne en sa mémoire, et redoute une correction qui doit lui servir de leçon. La peine infligée alors à l'accapareur fragile encore aujourd'hui les riches que rien n'arrête. Qu'arrivait-il alors ? les vers fourmillaient, sortant du superflu.

C'est ce qui se voit aujourd'hui encore chez ceux dont je parle. La mesure de la nourriture nécessaire est la même pour tous, quels qu'ils soient; c'est le même ventre que nous remplissons; mais, chez vous qui vous rassasiez de vos délices, il y a plus de fumier. Et, (584) de même que ceux qui faisaient, dans le désert, une provision plus considérable qu'il n'était permis , ne ramassaient pas de la manne, mais une plus grande quantité de vers et de pourriture, de même, dans cette vie de délices et de faim cupide, ce n'est pas une plus grande quantité d'aliments, mais de corruption, que rainassent les gens adonnés à leur ventre, les gens qui s:enivrent. Il y a toutefois cette différence que ceux d'aujourd'hui sont plus coupables que les hommes d'autrefois ; il suffit aux anciens hommes d'une seule correction, pour revenir à la sagesse; au contraire , ces hommes d'aujourd'hui introduisent chaque jour dans leur intérieur un ver bien plus funeste que celui du désert, et ils ne le sentent pas, et ils ne sont pas rassasiés. Voyez encore ce qui prouve la ressemblance entre les hommes de nos jours et ceux d'autrefois, quant à la vanité du travail qu'ils se donnent. {car en ce qui concerne le châtiment, il est aujourd'hui beaucoup plus terrible). En quoi le riche est-il différent du pauvre? N'est-ce pas, des deux côtés, même corps à revêtir? même ventre à. nourrir? En quoi donc est le plus? L'avantage des inquiétudes, l'avantage des dépenses, l'avantage de désobéir à Dieu, l'avantage de corrompre sa chair, l'avantage de perdre son âme, voilà les avantages du riche, ce qu'il a de plus que le pauvre. S'il avait plus de ventres à remplir, il aurait peut-être quelque excuse fondée sur ses besoins plus considérables, sur la nécessité de faire plus de dépenses. Mais maintenant aussi, objectera-t-on, les riches peuvent alléguer qu'ils ont plus de ventres à remplir, à savoir ceux de leurs Serviteurs et .de leurs servantes. Mais ce n'est ni par nécessité, ni par bonté, ni par humanité qu'ils se conduisent, ils n'écoutent que le faste et l'orgueil, on ne veut pas de leur excuse.

Car à quoi bon tant de serviteurs?De même que, pour les vêtements, c'est l'utilité seule qu'il faut considérer, ainsi que pour la table, de même pour ce qui touche, les serviteurs. , Quelle en est donc l'utilité? Utilité nulle : un seul domestique devrait suffire à un maître, ou plutôt deux et trois maîtres devraient se contenter d'un seul. Si cette manière de vivre vous semble pénible, considérez ceux qui n'en ont pas même un, et chez qui le service est plus expéditif; car Dieu a fait des serviteurs qui se suffisent à eux-mêmes pour se servir, et, qui plus est, servir le prochain. Si vous refusez de m'en croire, écoutez Paul : " Ces mains que vous voyez ont suffi à mes besoins et aux besoins de ceux qui étaient avec moi ". (Act. XX, 34.) Ainsi le docteur du monde entier, digne de résider au ciel, n'a pas rougi de se faire le serviteur d'une foule de, milliers d'hommes; et vous, si vous ne promenez pas des troupeaux d'esclaves, vous avez honte, et vous ne comprenez pas que ce sont précisément ces esclaves innombrables qui doivent vous rendre honteux? Si Dieu nous a donné des mains et des pieds, c'est pour que nous n'ayons pas besoin de serviteurs. Ce n'est pas la nécessité qui a introduit dans le monde la classe des serviteurs; s'ils eussent été nécessaires, leu même temps qu'Adam, un serviteur eût été créé : c'est la peine du péché et le châtiment dé la désobéissance. L'avènement. du Christ a réparé aussi cette inégalité de condition : " Car en Jésus-Christ, il n'y a plus ni esclave ni homme libre ". (Gal. III, 28.) Voilà ce qui prouve qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des esclaves ; que si c'est nécessaire, un serviteur suffit, ou deux, au plus: Que signifient ces essaims de domestiques? Comme des marchands de moulons, comme des trafiquants d'esclaves, on les voit aux bains, ' on les voit sur la place publique s'étaler, ces riches, avec leurs troupeaux. Eh bien, je ne veux pas traiter l'affaire en rigueur, ayez jusqu'à deux serviteurs; mais quand vous en rassemblez des bandes, ce n'est pas par. amour pour les hommes, c'est pour satisfaire votre mollesse; prouvez votre sollicitude en n'assujettissant jamais un homme à 'votre service personnel. Achetez des esclaves, instruisez-les, mettez-les en état de se suffire à eux-mêmes, affranchissez-les. Quand vous les meurtrissez de vos verges, . quand vous les chargez de fers, vous ne faites pas assurément un acte d'humanité. Je sais bien que je suis à charge à ceux qui m'écoutent, mais qu'y faire? Je suis ici pour cela, et je ne cesserai pas de répéter ces choses, avec ou sans profit.

Que signifie cet orgueil qui écarte les passants au forum ? Vous croyez-vous au milieu de bêtes sauvages, pour ,repousser ainsi les gens sur votre chemin ? Rassurez-vous, on ne veut pas vous mordre, on passe auprès de vous, voilà tout. Mais c'est pour vous une (585) insulte que tout le monde passe auprès de vous? Quel est ce délire, quelle est cette monstruosité? Uri cheval ne se croit pas injurié par un autre cheval qui vient derrière lui ; et un homme, si les autres hommes ne sont pas refoulés à plusieurs stades, se croira insulté ? Et qui signifient ces serviteurs faisant office de licteurs, ces hommes libres servant comme des esclaves, ou plutôt que prétendez-vous avec ces moeurs plus viles, plus misérables que le plus vil esclave? car il n'est pas d'esclave aussi méprisable que l'homme qui étale un tel faste. Aussi ne verront-ils pas la vraie liberté ceux qui ont asservi leur âme à cette détestable passion. Il vous faut quelque chose à repousser, à écarter loin de vous, n'écartez pas les passants, mais l'orgueil ; n'employez pas un serviteur pour cet office, remplissez-le vous-même, et pas m'est besoin d'autre fouet, que d'un fouet spirituel. Aujourd'hui c'est votre serviteur qui chasse les hommes sur votre chemin, mais votre orgueil vous chasse, vous précipite du haut du ciel d'une manière plus honteuse que votre serviteur ne fait du prochain. Descendez. de votre cheval, chassez l’orgueil par l'humilité, et vous siégerez sur un trône plus élevé, et vous vous établirez vous-même plus haut en dignité, sans avoir besoin pour cela d'un serviteur. Quand, devenu modeste, vous ferez plus près de la terre votre chemin, vous serez assis sur le char de l'humilité qui vous élèvera jusqu'au ciel, avec ses chevaux munis d'ailes rapides; si, au contraire, tombé de la voûte céleste, vous montez sur. le char de l'orgueil, votre condition n'aura rien de supérieur à celle de ces serpents qui traînent leur ventre sur la terre, vous serez -même bien plus infortuné, bien plus digne d'être plaint. C'est l'infirmité naturelle de leur corps qui les force à se traîner ainsi, mais vous, ce qui vous aura dégradé, c'est l'orgueil, c'est ce funeste mal. Car " tout ce qui s'élève sera abaissé ", dit l'Evangile. (Matth. XXIII, 12.) Préservons-nous donc de cet abaissement, et pour être élevés, sachons reconnaître la vraie élévation. C'est ainsi que nous trouverons le. repos de nos âmes, selon l'oracle divin, et que-nous- obtiendrons l'honneur qui est le seul vrai et le plus élevé; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de. Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XLI. MAIS, DIRA-T-ON : EN QUELLE MANIÈRE LES MORTS RESSUSCITERONT-ILS, ET QUEL SERA LE CORPS DANS LEQUEL ILS REVIENDRONT? — INSENSÉ QUE VOUS ÊTES, NE VOYEZ-VOUS PAS QUE CE QUE VOUS SEMEZ NE REPREND POINT VIE, S'IL NE MEURT AUPARAVANT? (CHAP. XV, VERS. 35, 36.)
586

ANALYSE.

1 . Sur la manière dont les morts doivent ressusciter. — Comparaisons prises du grain de froment qui se décompose pour produire la tige et l'épi. — Le corps qui ressuscite est à la fois le même et plus beau.

2 et 3. Des différents degrés, soit parmi les justes dans la gloire, soit parmi les réprouvés dans le châtiment. Sur le corps animal et le corps spirituel.

4 et 5. Il ne faut pas pleurer les morts avec une tristesse exagérée. — Il faut leur venir en aide par la prière et par les bonnes oeuvres. — De la sécurité des morts dans le sein de Dieu.

1. Malgré la douceur, l'humilité que montre partout l'apôtre, ici, ses paroles ont une aspérité que justifie l’absurdité de ses contradicteurs. Il ne se contente pas toutefois de les rudoyer, il emploie des raisonnements, des comparaisons capables de réduire tes disputeurs les plus acharnés. Il dit plus haut: "Ainsi parce que la mort est venu par un homme, c'est aussi par un homme que doit venir la résurrection ". Ici, il résout l'objection des païens. Voyez encore comme il adoucit la dureté de la réprimande. Il ne dit pas, mais vous direz peut-être, il s'adresse à un contradicteur qu'il ne définit pas, de manière que la liberté de son discours ne puisse pas blesser les auditeurs. Maintenant il énonce les deux motifs de doute, le doute relatif au mode de la résurrection, le doute relatif à la qualité des corps. C'étaient là, en effet, les deux points qui troublaient les esprits : comment ressuscite ce qui a été décomposé ? et, " quel sera le corps dans lequel reviendront " les morts? Que signifie, quel sera le corps? Sera-ce le corps qui se sera corrompu , qui aura péri, ou un autre corps quelconque? Ensuite l'apôtre, pour leur montrer que leurs doutes s'attaquent à des vérités incontestables, reconnues de tous, les refoule d'un ton véhément : " Insensé que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne reprend point vie , s'il ne meurt auparavant? " C'est la méthode que l'on suit avec ceux qui contredisent des vérités reconnues. Pourquoi n'invoque-t-il pas tout de suite la puissance de Dieu? C'est qu'il s'adresse à des infidèles. En effet, lorsque c'est aux fidèles qu'il parle, il fait bon marché des raisonnements. Voilà pourquoi il dit ailleurs: " Il transfigurera votre corps, tout vil qu'il est, afin de le rendre conforme à son corps glorieux " (Philip. III, 21), il montre quelque chose de plus que la résurrection, il n'apporte aucun exemple; polir toute démonstration , le pouvoir de Dieu lui suffit, et il le rappelle-en disant : " Par, cette vertu efficace, par laquelle il peut s'assujettir toutes choses", Mais ici, il produit des raisonnements. Car après avoir confirmé la vérité par les textes de l'Ecriture, il ajoute, de l'abondance de son coeur, contre ceux qui ne sont pas encore persuadés par I'Ecriture : " Insensé que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ". C'est-à-dire; vous avez sous vos yeux la démonstration de cette vérité , vous la trouvez dans ce que vous faites chaque jour et vous, doutez encore? Si je vous appelle insensé, c'est parce que vous ne voyez pas ce que vous faites vous-même chaque jour, c'est parce que vous êtes vous-même un artisan de résurrection et que vous doutez de la résurrection opérée par Dieu. Voilà pourquoi l'apôtre dit (587) avec éloquence :" Ne voyez-vous pas que ce que vous serrez ", vous qui êtes mortel et périssable. Et remarquez l'appropriation de ses expressions au sujet qu'il traite. " Ne reprend point vie ", dit-il, " s'il ne meurt auparavant ". L'apôtre abandonne les expressions qui ont trait aux semences, germe, pousse, se gâte, se décompose, il emploie des termes en rapport avec notre chair, ainsi ; " reprend vie ", ainsi " meurt "; manières de parler qui ne s'appliquent pas proprement aux semences, mais aux corps. Et il ne dit pas, meurt et vit ensuite, mais, ce qui est plus expressif, ne vit qu'à la condition de mourir. Vous voyez si j'ai raison de vous répéter qu'il prend toujours l'inverse du raisonnement de ses contradicteurs. Ce qu'ils regardaient comme une réfutation de la résurrection, il le prend pour démonstration de cette même résurrection ; ils disaient en effet que le corps ne pouvait pas ressusciter; puisqu'il était mort. Que leur oppose-t-il donc? C’est que précisément s'il ne mourait pas, il ne ressusciterait pas; ce qui fait qu'il ressuscite, c'est qu'il est mort. De même que le Christ, pour démontrer cette vérité, prononce ces paroles : " Si le grain de froment ne meurt après qu'on l'a jeté en terre, il demeure seul; mais, quand il est mort, il porte beaucoup de fruit " (Jean, XII, 24), de même Paul emprunte son exemple aux semences, et il ne. dit pas ; Ne vit pas, mais " ne reprend vie, " ; cette expression prouve encore le pouvoir de Dieu, elle montre que ce n'est pas la force propre de la terre, que c'est, Dieu seul qui fait tout. Et pourquoi ne montre-t-il pas ce qui tenait plus étroitement au sujet , je veux dire la semence humaine? En effet notre génération commence par la corruption , comme celle du froment. C'est quelles deux semences n'ont pas pour le raisonnement, une force égale , celle du froment est bien plus éloquente. Ce que veut l'apôtre, c'est quelque chose qui soit entièrement détruit, il n'y a dans la génération humaine de corruption qu'en partie. Voilà pourquoi c'est la semence du froment qui sert d'exemple. D'ailleurs l'autre , sortie d'un vivant, tombe dans un ventre vivant; mais ici ce n'est pas dans de la chair, mais dans de la terre que la semence tombe , et elle s'y décompose comme le corps, comme le cadavre. Voilà ce qui fait que l'image prise du grain de froment convenait mieux au sujet. " Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps qui doit naître (37) ". Tout ce qui précède , concerne le mode de la résurrection ; cette dernière observation répond au doute sur les corps dans lesquels les morts doivent revenir. Or que signifie : " vous ne semez pas le corps qui doit naître? " L'épi entier, le froment nouveau. Ici en effet , le discours ne se rapporte plus à la résurrection même , mais au mode de la résurrection, à la nature du corps qui ressuscitera, à savoir.: s'il ressemblera au corps précédent, ou s'il sera meilleur et plus beau ; et le môme exemple sert à deux fins, l'exemple prouve que le corps ressuscité sera de beaucoup supérieur.

Mais ici les hérétiques,ne comprenant rien à ces choses, font un assaut et disent: C'est un corps qui tombe, c'en est un autre qui ressuscite. Que devient alors la résurrection? Car la résurrection ne peut être que la résurrection de ce qui est tombé. Que devient la merveilleuse, l'étonnante victoire remportée sur la mort, si le corps qui tombe n'est pas le même qui ressuscite ? Dans ce cas, on ne pourra certes pas dire que la mort a rendu soir prisonnier. Et, maintenant , comment l'exemple donné serait-il approprié à là vérité? Car l'essence que l'on sème n'est pas autre que celle qui reparaît, c'est la même essence devenue meilleure. Autre conséquence : le Christ n'aura pas repris le même corps, lui , les prémices de ceux qui ressuscitent ; à vous entendre, il a rejeté son corps, quoiqu'il fût exempt de. tout péché, et c'est un autre corps qu'il a pris. Et d'où l'a-t-il tiré, ce second corps? Le premier, il l'a pris d'une vierge, mais le second, d'où le tenait-il? Voyez-vous à quelles absurdités est arrivée la démonstration ? Car enfin, pourquoi le Christ montre-t-il les traces et les empreintes des clous, sinon pour faire voir que c'est le même corps qui a été attaché à la croix, et qui .est ressuscité? Que signifie la figure de Jouas? Que le Jonas qui a été englouti est le même qui a été rejeté sur la terre. Et. pourquoi le Christ disait-il encore : " Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois " jours? " (Jean, II, 19,.21.) C'est que le corps détruit est le corps qu'il a ressuscité. Aussi l'évangéliste ajoute-t-il : " Mais il parlait du temple de son corps ". Que signifie donc : " Vous ne semez pas le corps qui doit naître ? " C'est-à-dire, vous ne semez pas l'épi; en effet, c'est le même et ce n'est pas le même ; c'est le (588) même parce que c'est la même essence, et ce n'est pas le même parce que l'épi qui viendra est meilleur; la même essence persiste, mais il y a développement, il y. a supériorité de beauté, fraîcheur de nouveauté; c'est la condition indispensable pour qu'il y ait résurrection, il faut que ce qui ressuscitera soit meilleur. Pourquoi détruire la maison, si, l'on ne doit pas la relever plus brillante et plus belle? Voilà ce que dit l'apôtre à ceux qui regardent la résurrection comme une dissolution. Ensuite, pour prévenir la pensée qu'il suit de là qu'on entend parler d'un corps différent, il éclaircit cette énigme, il explique lui-même le sens de ses paroles, il ne souffre pas que l'auditeur flotte dans des conclusions qui l'égareraient. Qu'avons-nous -besoin de mêler nos paroles aux siennes? Ecoutez-le lui-même, entendez-le s'expliquer : " Vous ne semez pas le corps qui doit naître " ; car aussitôt il ajoute : " mais la graine seulement, comme du blé, ou de quelque autre. chose ". Ce qui veut dire : Ce n'est pas le corps qui viendra, car il aura un autre vêtement, une tige, des épis ; " mais la graine seulement, comme du blé, ou de quelque autre chose. Et Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît (38) ". Sans doute, objecte-t-on, mais c'est ici l'oeuvre de la nature. De quelle nature, répondez-moi?Je vous dis qu'ici encore c'est Dieu seul qui fait tout, et non la nature, ni la terre, ni la pluie. Aussi l'apôtre, exprimant cette vérité, laisse-t-il de côté et la terre, et l'air, et la pluie, et la main-d'oeuvre des agriculteurs : " Et Dieu ", dit-il aussitôt, " lui donne un corps tel qu'il lui plaît ". Cessez donc de prendre un soin superflu et de vous enquérir curieusement du comment et de lu manière dont les choses se passent, lorsqu'on vous a signifié la puissance de Dieu et sa volonté. " Et il donne à chaque semence le corps propre à chaque plante". Que devient l'idée d'un corps étranger? Il lui donne le corps propre. Aussi lorsque l'apôtre dit : " Vous ne semez pas le corps qui doit naître ", il n'entend pas que ce sera une autre essence qui paraîtra, mais que la même essence ressuscitera, meilleure et plus brillante. " Car il donne à chaque semence le corps propre à chaque plante ". Et par là, il indique déjà la différence que présentera la résurrection à venir. En effet, n'allez pas conclure de cette semence dont tous les germes se relèvent, qu'il y aura dans la résurrection égalité d'honneur. Gardez-vous surtout de le croire quand vous. voyez que les semences des champs ne présentent pas dans leurs productions cette égalité, mais que telles plantes grandissent et se développent avec éclat, tandis que telles autres paraissent chétives. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : " le corps propre à chaque plante ".. Toutefois cette différence ne lui suffit pas,. il en cherche encore que autre plus considérable et plus manifeste. Car pour prévenir cette erreur que j'ai mentionné, qui conclurait, de ce que tous ressuscitent, que tous doivent jouir des mêmes biens, l'apôtre s'est empressé de jeter dans ses premières paroles les semences de la. pensée qui est la seule vraie, il a dit tout d'abord : Tous vivront en Jésus-Christ, " et chacun en son rang ". C'est la pensée qu'il reprend ici, qu'il explique : " Toute chair n'est pas la même chair (39) ". A quoi bon, dit-il, insister sur les semences? Nous n'avons qu'à considérer nos corps mêmes, puisque. c'est des corps que nous nous occupons maintenant. Voilà pourquoi il ajoute,: " Mais autre est la chair des hommes, autre la chair des bêtes, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons. Il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres, mais les corps célestes ont un autre éclat que les corps terrestres. Le soleil a son éclat, qui diffère de l'éclat de la lune, comme l'éclat de la lune diffère de l'éclat des étoiles, et comme, entre les étoiles, a l'une est plus éclatante que l'autre (40, 41) ".

Et que signifient ces paroles? Pourquoi cette digression qui va, qui tombe de la. résurrection, sur les astres et sur le soleil ? Il ne tombe. pas, il n'y a pas de digression, gardons-nous de le croire, il ne rompt pas avec son sujet; au contraire, il s'y tient. Après avoir prouvé ce qui a été dit de la résurrection, il montre la grande différence que fera paraître la gloire future, quoique la résurrection soit unique et commune; en attendant, il fait deux parts de l'univers, les choses du ciel, les choses de la terre. La résurrection des corps, il l'a montrée par l'exemple du froment; quant à l'inégalité dans la gloire, il la démontre par ses dernières paroles. Car, de même que l'incrédulité, au sujet de la résurrection, produit l'indolence,. de même on tombé dans la langueur et le relâchement d'esprit lorsqu'on s'imagine que tous obtiennent le même partage. Aussi l'apôtre corrige-t-il ces deux erreurs; il a (589) commencé par dissiper la première; il s'occupe maintenant d'en finir avec la seconde : après avoir établi deux classes, celle des justes et celle des pécheurs, il les subdivise encore, et il montre que ni les justes d'un côté, ni les pécheurs d'un autre, ne recevrait le même traitement, qu'il n'y aura ni égalité pour tous les justes, ni égalité pour tous les pécheurs. Voilà donc la première séparation qu'il établit, celle des justes et celle des pécheurs, en disant: " Des corps célestes et des corps terrestres ", car les corps terrestres sont comme l'image des pécheurs, et les corps célestes, celle des justes. Ensuite il fait entendre la différence de pécheurs à pécheurs : " Toute chair n'est pas la même chair; mais autre est la chair des poissons, autre, la chair des oiseaux et des animaux différents ". Il n'y a là que des corps, mais, les uns plus, les autres moins méprisables. Il en est de même de. la vie, même différence dans la même constitution; après ces paroles, il reprend de nouveau son essor au ciel : " Le soleil a son éclat, qui diffère de l'éclat de la lune. " Comme il y a différence entre les corps terrestres ; de même, entre les corps célestes, il y a aussi différence, et ce n'est pas une différence accidentelle, mais il y a diversité de degrés poussée à l'extrême. Car il n'y a pas seulement la différence du soleil et de la lune, ni de la lune et des étoiles, mais, d'étoiles à étoiles, il y a encore différence. Si tous ces astres sont dans le ciel, ils n'y sont pas tous également glorieux, mais, les uns plus; les autres, moins. Que nous apprennent donc ces images? Que si tous sont admis au royaume des cieux, tous n'y jouiront pas des mêmes biens ; que si tous les pécheurs sont dans la géhenne, tous n'y subiront pas le même traitement. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : " Il en arrivera de même dans la résurrection des morts (42).". De " même ", comment cela? parce qu'il y aura une grande différence. Ensuite, laissant ce point, comme prouvé, il reprend encore la démonstration relative au mode de la résurrection, il dit : " Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible ".Voyez la sagesse du docteur; quand il parlait des semences, il prenait des expressions appropriées aux corps : " Ne reprend point vie ", disait-il, " s'il ne meurt auparavant " ; voici qu'en. parlant des corps, il prend les termes appropriés aux semences, il dit : " Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible ".

Il ne dit pas, le corps pousse, parce qu'il ne veut pas qu'on y voie le travail de la terre, mais " il renaît ". Quant à la semence, l'apôtre n'entend pas ici notre génération dans la matrice, mais l'enterrement des morts, la décomposition, la cendre des tombeaux. Aussi, après avoir dit : " Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible ", l'apôtre ajoute : " Il est ensemencé, dans la honte (43) ". Car quoi de plus hideux qu'un cadavre en décomposition? " Il renaît dans la gloire. " Il est ensemencé dans la faiblesse ". Car il ne faut pas trente jours, pour qu'il n'en reste plus rien ; la chair ne peut pas se conserver, elle ne peut pas seulement durer un jour. " Il renaît dans la force ". Car alors il ne lui restera plus rien de corruptible. L'apôtre avait besoin de ces exemples pour que les auditeurs n'allassent pas s'imaginer que tous renaissant dans l'incorruptibilité, dans la gloire, dans la force, il n'y avait aucune différence entre les ressuscités. Car si tous ressuscitent, et dans la force, et dans l'incorruptibilité, et dans cette gloire de l'incorruptibilité, tous pourtant ne possèdent pas le même honneur, la même inébranlable félicité. " Il est ensemencé comme un corps animal, il renaît corps spirituel. Comme il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel (44) ". Que dites-vous? le corps que nous avons présentement, n'est-il pas un corps spirituel? Spirituel, sans doute, mais l'autre le sera beaucoup plus. Car maintenant; trop souvent,, l'abondance des grâces du Saint-Esprit se perd par de graves péchés; quoique le souffle de l'âme persiste encore, la voie de la chair n'y est plus; une fois la grâce éteinte, le corps n'est plus rien ; mais alors il .n'en sera plus de même; sans s'éteindre jamais, elle subsiste dans la chair des justes, et sa puissance restera unie au souffle de l'âme. Ou c’est là ce que l'apôtre a voulu faire entendre en disant " spirituel ", ou il a voulu dire que le corps sera plus léger, plus subtil, capable d'être porté par l'air, ou plutôt il a prétendu indiquer le tout à la fois. Si vous n'en croyez rien, voyez les corps célestes si brillants, si persistants, qui ne vieillissent pas, et croyez donc que Dieu a bien aussi le pouvoir de faire, de nos corps soumis à la corruption, des corps incorruptibles, de beaucoup supérieurs à ceux que nous voyons, " Selon qu'il est écrit: le premier homme, Adam, a été créé avec une âme vivante, et le second (590) Adam a été rempli d'un esprit vivifiant (45) ". Le commencement de cette citation se trouve bien dans l'Ecriture (Gen. II, 7), mais la suite n'y est pas; comment donc l'apôtre a-t-il pu dire, " selon qu'il est écrit ? " Il se fonde sur ce. qui est arrivé; c'est son habitude. C'est le style ordinaire des prophètes. Ainsi un prophète a dit que Jérusalem, sera appelée la ville de la justice, et elle n'a pas été appelée de ce nom. (Zach. VIII, 3.) Eh quoi? le prophète a. donc parlé à faux ? nullement : il a voulu dire que les événements, lui mériteraient ce nom. Un autre a dit encore que le Christ serait appelé Emmanuel (Is. VII, 14), et le Christ n'a pas eu ce nom, mais les événements accomplis le lui donnent assez. De même, pour ces paroles, " et le second Adam a été rempli d'un esprit vivifiant ".

Ces paroles sont pour vous faire comprendre que vous avez déjà reçu les symboles et les gages de la vie présente et de la vie à venir; de la vie présente, par Adam ; de la vie à venir, par le Christ. Comice les biens les plus précieux ne peuvent être proposés que comme des espérances, l'apôtre tient à montrer que le commencement est déjà réalisé, il fait voir. la racine et la source. Que si la racine et la source sont visibles pour tous, il n'est pas permis de révoquer les fruits en foute. De là ces paroles : " Et le second Adam a été rempli d'un esprit vivifiant". Ailleurs encore il dit : " Vivifiera vos corps mortels par son esprit qui habite en vous ". (Rom. VIII, 11 .) C'est donc l'esprit qui vivifie. Maintenant on aurait pu dire , pourquoi dès les premiers jours a-t-on réalisé ce qui est le moins précieux, pourquoi ce qui concerne l'âme vivante a-t-il reçu un accomplissement plein et entier qui ne s'est pas arrêté . aux prémices, pourquoi, en ce qui concerne l'esprit vivifiant, n'a-t-on reçu que les prémices ; l'apôtre montre que des deux côtés, les principes sont établis. " Mais ce n'est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, c'est le corps animal, et ensuite le spirituel (46) ". L'apôtre ne dit pas pourquoi ; il se contente de l'ordre établi par Dieu ; le suffrage des événements lui garantit l'excellence de l'administration des choses par Dieu ; il montre que tout ce qui nous concerne s'avance toujours vers un état meilleur, et il assure par là l'autorité de ses paroles. Si le moindre est arrivé, à bien plus forte raison faut-il attendre ce qui est supérieur.

Donc, puisque nous devons jouir de ces biens si précieux, prenons notre place dans ce bel, ordre, et ne versons pas de pleurs sur ceux qui s'en vont, pleurons ceux qui finissent mal. L'agriculteur ne pousse Ras de gémissements à la vue du grain qui se corrompt, c'est quand il le voit conserver dans la terre sa solidité, qu'il a peur et qu'il tremble; mais, du moment que les semences se décomposent, l'agriculteur, se réjouit. Car c'est le commencement de la semence à venir, cette décomposition. Faisons de même, sachons nous réjouir quand tombe la maison ainsi décomposée, quand un homme est ensemencé. Ne vous étonnez pas. qu'il donne le nom d'ensemencement à la sépulture; car la sépulture vaut mieux encore que l'ensemencement. Après les semences des champs, viennent les morts, les labeurs pénibles, les dangers, les soucis; après la sépulture, si nous avons bien vécu, les couronnes et les prix glorieux; après les semences de la terre, la corruption et la mort; après la sépulture, l'incorruptibilité, l'immortalité, et des biens en foule; dans un de ces ensemencements, ce qui se rencontré, ce sont les embrassements, les plaisirs, le sommeil; dans le dernier de tous, les ensemencements, rien, plus rien qu'une voix descendant des hauteurs du ciel, et soudain toutes choses ont leur accomplissement. Celui qui ressuscite, n'est plus ramené aux fatigues d'une vie d'épreuves, il entre dans cette vie qui ne connaît ni la douleur, ni le deuil, ni,les gémissements. Si, dans l'homme que vous pleurez, ce qui provoque vos regrets, c'est l'appui, c'est le guide, le protecteur perdu, cherchez votre refuge dans le protecteur, dans le sauveur commun, dans le bienfaiteur de tous les hommes, en Dieu, cet invincible compagnon d'armes, cet auxiliaire toujours prêt, toujours présent, qui nous entoure, qui nous défend de toutes parts. Mais les longues liaisons forment des noeuds si aimables et méritent tant. nos regrets ! Je le sais bien ; mais si vous soumettez à la raison les mouvements de votre âme, si votre raison se représente, ô femmes, celui qui vous a repris un époux, si vous faites tous à Dieu, dans vos afflictions, un généreux sacrifice de vos pensées, voilà qui apaisera les orages de vos coeurs, et vous né laisserez pas à faire au temps l’oeuvre de la sagesse; mais si vous vous laissez amollir, le temps adoucira vos douleurs, mais vous ne remporterez aucune récompense.

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Outre ces réflexions, rassemblez les exemples que vous donne la vie présente, les exemples des divines Ecritures ; méditez Abraham égorgeant son fils, et cela sans verser de. larmes, sans faire entendre d'amères paroles. Mais, dira-t-on, c'était Abraham. (Gen. XXII). Mais vous, vous êtes appelé à des vertus plus hautes. Quand à Job, il ressentit de la douleur, mais .dans la mesure qui convenait à un bon père, plein de tendresse pour ceux qui n'étaient plus là. Pour nous, la conduite que nous tenons, convient à des ennemis privés, à des ennemis publics. Si, à la nouvelle qu'un homme est élevé à la royauté, couronné, vous alliez vous frapper la poitrine et gémir; je ne dirais pas de vous que vous êtes l'ami de celui qui a reçu la couronne ; je dirais que vous n'avez que haine pour lui, que vous êtes son ennemi déclaré. Mais ce n'est pas sur lui que je pleure, répond l'affligé, c'est sur moi-même. Mais ce n'est pas une preuve d'affection que de vouloir que celui qui vous est cher, soit encore, à cause de vous, exposé aux périls du combat, et dans l'incertitude de l'avenir, quand il va recevoir la couronne et toucher le port; de vouloir le voir encore à la merci des flots, quand il peut , échappé à la- mer, se trouver pour toujours à l'abri. Mais' je ne sais pas, dira-t-on, où il s'en est allé. Pourquoi ne le savez-vous pas? Répondez-moi. Car, soit qu'il ait bien vécu, soit dans le cas contraire, on sait parfaitement où il doit se rendre. C'est justement ce qui me fait gémir, réplique-t-on : il est mort en état de péché. Vain prétexte et mauvaise raison. Si c'est là ce qui vous fait gémir sur celui qui n'est plus, il fallait, pendant sa vie, le réformer, le corriger. En tout cas, vous ne voyez jamais que ce, qui vous intéresse, vous, et non pas ce qui le regarde, lui. S'il est parti en état de péché, pour cette raison même, vous devez vous réjouir; ses péchés sont interrompus ; il n'a pas pu ajouter depuis à la somme de ses agitions mauvaises; . soyez-lui en aide, autant que possible; au lieu de pleurer sur lui,. répandez les prières, les supplications, les aumônes, les offrandes. Ce ne sont par là de chimériques inventions; ce n'est pas inutilement que nous faisons, dans les divins mystères, mention de ceux qui sont partis; que nous nous approchons du sanctuaire , à leur intention; que nous prions l'Agneau qui a enlevé le péché du monde, mais nous espérons qu'il leur en reviendra quelque adoucissement.; ce n'est pas en vain que l'assistant à l'autel, pendant que les redoutables mystères s'accomplissent, s'écrie : Pour tous ceux qui se sont endormis dans le Christ, et pour ceux qui célèbrent leur commémoration. On ne prononcerait pas ces paroles, si l'on ne faisait pas la commémoration de ceux qui ne sont plus. Nos cérémonies ne sont pas des jeux de théâtre; loin de nous ces pensées; n'os cérémonies c'est l'Esprit-Saint. qui les a ordonnées.

Sachons donc leur porter secours, et célébrons leur commémoration. Si les fils de Job ont été purifiés par le sacrifice de leur père, pouvez-vous douter que nos offrandes pour ceux qui ne sont plus, leur apportent quelque consolation ? C'est la coutume de Dieu de faire fructifier pour les autres les grâces que d'autres ont méritées. Et c'est ce que Paul faisait voir par ces paroles : " Afin que beaucoup de personnes; manifestant en elles la grâce que nous avons reçue, donnent à beaucoup de personnes l'occasion de bénir Dieu pour vous ". (2 Cor. II, 11.) Empressons-nous de porter notre secours à ceux qui ne sont plus, et. d'offrir pour eux des prières : car le but commun de la terre entière c'est l'expiation. Prions donc avec confiance pour la terre entière, et avec les martyrs nous appelons tous les membres de l'Eglise, avec les confesseurs, avec les ministres sacrés. Car nous ne sommes qu'un seul et même corps tous tant que nous sommes, quoiqu'il y ait des membres plus glorieux que d'autres membres, et il n'y a rien d'impossible à ce qu'en nous adressant à toutes les âmes nous assurions à ceux qui ne sont plus leur pardon, par les prières, par les dons qui sont offerts pour eux, par l'assistance même de ceux que l'on invoque avec eux. D'où viennent donc vos gémissements, vos plaintes, quand il est possible de rassembler de si grandes forces pour obtenir le pardon de celui qui n'est plus? Mais vous pleurez, ô femme, parce que vous êtes abandonnée, vous avez perdu votre protecteur? Non, jamais, ne prononcez jamais ces paroles; vous n'avez pas perdu Dieu: Tant que vous l'avez, voilà qui vous vaut mieux qu'un mari, et père, et fils, et beau-père; quand ces êtres chéris étaient vivants, Dieu n'en était pas moins celui qui faisait toutes choses. Méditez donc ces pensées, et dites avec David : " Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je? " (592) (Ps. XXVI, 1.) Dites : vous êtes le père des orphelins, et le juge des veuves, et attirez sur vous son secours, et vous verrez qu'il prendra encore plus de soin de vous qu'auparavant, un soin d'autant plus vigilant que vous serez dans une plus grande détresse. Mais vous avez perdu un fils? Vous ne l'avez pas perdu, ne prononcez pas ces paroles : ce que vous voyez, c'est un sommeil, non une mort; c'est un voyage, non une destruction; c'est un passage d'un état inférieur, à une meilleure condition. N'irritez pas Dieu, mais rendez-le propice. Si vous supportez le coup avec une force généreuse, il en résultera, pour celui qui n'est plus, et pour vous, une douce consolation si vous faites le contraire, vous irritez ta colère de Dieu. Car si à la vue d'un esclave battu de verges par. son maître ; vous montrez votre mécontentement, vous ne faites qu'exciter contre vous le mécontentement du maître. N'agissez pas ainsi, mais rendez grâces à Dieu, afin que cette conduite dissipe le nuage de votre affliction: dites comme ce bienheureux : " Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a enlevé ".; considérez combien de personnes plus que vous agréables à Dieu, n'ont jamais eu de fils, combien d'hommes n'ont jamais porté le nom de pères. Ni moi non plus, répondra-t-on, je ne voudrais pas avoir eu de fils; il attrait bien mieux valu pour moi ne pas faire cette expérience, que de goûter un pareil plaisir, et de le perdre après. Non, je vous en prie, ne prononcez pas de telles paroles, ne provoquez pas ainsi la colère du Seigneur; faites mieux, rendez grâces à Dieu des biens que vous avez reçus; pour ceux que vous ne gardez pas toujours, glorifiez le Seigneur. Job ne dit pas : il eût mieux valu pour moi n'avoir rien reçu; ce que dit votre . ingratitude, mais Job même pour les biens enlevés rendait grâces au Seigneur; il disait: " Le Seigneur m'a donné ", pour les biens perdus, il le bénissait en disant " Le Seigneur m'a enlevé : que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles ". Il fermait la bouche à sa femme, par des raisonnements d'une sagesse merveilleuse, et il faisait entendre ces paroles admirables: " Si nous avons reçu des biens du Seigneur, n'en supporterons-nous pas aussi des maux? " Or l'épreuve qu'il eut à subir ensuite fut encore plus terrible; elle ne le brisa pas, .il tint bon, il supporta tout avec courage, il se mit à glorifier Dieu. Faites de même, réfléchissez vous aussi en vous-même: ce n'est pas un homme qui vous a pris celui que vous pleurez; c'est Dieu qui a tout fait, Dieu qui a de vous plus de souci que personne, Dieu qui comprend le mieux l'intérêt de tous, Ce n'est pas un ennemi, un méchant qui vous a frappé. Voyez combien d'enfants n'ont vécu que pour rendre la die impossible à leurs parents. Mais vous ne voulez pas voir, me dira-t-on, les enfants d'un noble coeur. Je les vois, eux aussi, mais je dis qu'ils sont moins en sûreté que votre fils, Quelque bonne estime qu'on en fasse, leur fin n'en est pas moins incertaine ; pour votre enfant, au contraire, vous n'avez plus à trembler, nous n'avez plus rien à craindre, à redouter pour lui quelque changement que ce soit. Appliquez ces pensées à une épouse qui avait la beauté eu partage, qui était une bonne gardienne de votre maison, et pour toutes choses bénissez Dieu ; vous avez perdu votre épouse, bénissez le Seigneur. Peut-être Dieu veut-il vous amener à la continence, à des. oeuvres plus hautes, rompre vos liens. Si nous nous livrons .à ces pensées de la sagesse, nous conquerrons, pour la vie présente, la tranquillité de l'âme, et, pour la vie à venir, les couronnes, etc.

Traduit par M. PORTELETTE

 

 

HOMÉLIE XLII. LE PREMIER HOMME, NÉ DE LA TERRE, FUT TERRESTRE; LE SECOND HOMME FUT LE SEIGNEUR DESCENDU DU CIEL. (CHAP. IV, VERSET 47.)
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ANALYSE.

1. Il faut imiter, non pas le premier homme qui est formé de la terre et qui est terrestre, mais le second homme qui fut le Seigneur descendu du ciel.

2. La résurrection des corps est prouvée : 1° par l'incorruptibilité, et l'immortalité du corps; 2° par la destruction du péché et l'abolition de l'ancienne Loi; 3° nous devons détourner nos regards de la terre pour les tourner vers le ciel; nous devons travailler sans cesse aux oeuvres de Dieu; pour obtenir le bonheur, éternel. — Au tribunal de Dieu, nous n'aurons d'autres défenseurs que nos actes.

1. Après qu'il a parlé de l'homme matériel et ensuite de l'homme spirituel, il établit une nouvelle différence : celle de l'homme , terrestre et de l'homme céleste. La première différence est celle de la vie présente et de la vie future ; la seconde est celle de l'homme avant la grâce, et de l'homme après la grâce. Cette distinction doit nous enseigner quel est le chemin véritable de la vie. De peur que même en croyant à la résurrection, comme je l'ai dit plus haut, ils ne renonçassent à une vie vertueuse et parfaite, il les prépare. d'un autre côté à la lutte, leur disant : " Le premier homme né de la terre fut terrestre, le second homme fut le Seigneur descendu du ciel". Et dans ce verset il s'adresse à tous les hommes; il qualifie l'un par ce qu'il a de meilleur et de plus élevé,. et l'autre, par ce qu'il a de plus bas: " Tel fut l'homme terrestre, tels sont les hommes terrestres (48) ". Ils. périront, ils mourront comme lui.. " Tel fut l'homme céleste, tels seront les hommes célestes ". Ils demeureront immortels, et ils brilleront comme lui. Mais quoi! Est-ce que Ce dernier n'est pas mort aussi? Il est mort, il est vrai, mais la mort ne lui a point causé de dommage. Il a plutôt aboli la mort. Voyez-vous comment, même par la mort, il établit le dogme de la résurrection. Comme vous avez, ainsi que je l'ai dit plus haut, le principe et le couronnement, vous ne pouvez douter de l'ensemble. Il établit d'un côté quelle est la vie la meilleure et la plus parfaite, il nous donne les exemples d'une vie élevée et philosophique, et d'une autre qui ne l'est point, et nous montre la source de toutes les deux. Pour celle-là le Christ, pour celle-ci Adam. C'est pourquoi il n'a point dit absolument : De la terre, mais: Terrestre; c'est-à-dire grossier, attaché aux biens présents.; et d'un astre côté, il a dit le contraire du Christ : " Le Seigneur descendu du ciel ". S'il en est qui prouvent que le Seigneur n'a point de corps, parce qu'il est dit : " Du ciel", ce que nous, avons développé déjà suffit pour leur fermer la bouche. Mais rien ne nous empêche de nous servir de ces paroles-ci pour leur fermer. la bouche. Qu'est-ce en effet " le Seigneur descendu du ciel? " Veut-il indiquer par là la nature ou bien la conduite d’une vie parfaite? Il est clair que c'est la conduite d'une vie parfaite; et c'est pour cela qu'il ajoute: " Comme nous avons reproduit l'image de l'homme terrestre (49) ", c'est-à-dire : Comme nous avons fait le mal, reproduisons l'image de l'homme céleste, c'est-à-dire, faisons le bien. En outre je yeux vous adresser cette question : Ces paroles s'appliquent-elles à la. nature ? " Celui qui était né de la terre fut terrestre "; et ces autres : " Le Seigneur descendu du ciel".Oui, dit saint Paul. Mais quoi? Est-ce qu'Adam (594) était seulement terrestre, ou bien avait-il une autre nature, parente des natures supérieures et incorporelles, que l'Ecriture appelle âmes et esprits? Il est clair qu'il avait aussi cette nature. Et ainsi le Seigneur lui-même n'était pas seulement une nature céleste. Quoiqu'il soit dit " du ciel ", il s'était encore incarné. Ce qu'il veut donc dire est ceci : " Comme nous avons reproduit l'image de l'homme terrestre ", les actions mauvaises, " reproduisons l'image de l'homme céleste ", c'est-à-dire, la vie parfaite qui est au ciel. S'il parlait de la nature, ces exhortations et ces conseils seraient inutiles. C'est pourquoi il est démontré que ces paroles s'appliquent à là conduite de la vie. Et c'est à dessein qu'il s'est servi des cette expression, et ce mot d'image montre encore d'une autre manière, qu'il parle des actions, et non de la nature. En effet, nous avons été faits terrestres, quand nous avons fait le mal. Ce n'est pas dès le commencement que nous avons été faits terrestres, mais quand nous avons péché. En effet, le premier péché a existé avant la mort; c'est après le premier péché que Dieu dit : " Tu es né de la terre et tu retourneras à la terre ". (Gen. III, 19.) C'est alors aussi que les passions et les désordres sont entrés en foule dans l'âme. De ce que l'on est né de la terre, il né s'ensuit pas absolument que l'on soit terrestre, car le, Seigneur aussi était formé de la même matière, mais c'est de faire des choses terrestres ; de même .qu'être céleste , c'est accomplir des actions dignes du ciel. Mais pourquoi nous donner une peine inutile pour le prouver ? Lui-même, dans la suite de ses paroles, Mous en découvre le sens, disant : " Je vous le dis ", mes frères, " la chair et le sang ne posséderont point le royaume de Dieu (50) ".

Voyez-vous comment il s'explique lui-même et nous évite la peine de le faire. C'est ainsi qu'il agit en beaucoup d'endroits. Ce qu'il appelle chair, ce sont les actions mauvaises, ainsi qu'il fait en un autre endroit : " Vous n'êtes pas en chair "; et ailleurs encore : " Ceux qui sont, en chair ne peuvent plaire à Dieu ". (Rom. VIII, 9, 8.) C'est pourquoi par ces paroles : " Je le dis ", il veut nous faire entendre que sous ces discours ont pour objet de nous apprendre que les actions mauvaises ne nous introduiront point dans le royaume du ciel. Après la résurrection, il parle aussitôt du royaume du ciel, et c'est pour cela qu'il ajoute : " La corruption ne possédera point cet héritage incorruptible ", c'est-à-dire, le vice ne possède pas cette gloire, cette perception et cette jouissance des choses incorruptibles: En beaucoup d'autres endroits il se sert encore de la même expression, disant: " Celui qui sème dans la chair récoltera la corruption de la chair ". (Gal. VI, 8.) S'il parlait du corps, et non pas es actions mauvaises, il ne dirait pas la corruption; car, en aucun endroit il n'appelle le corps sine corruption. En effet, ce n'est pas une corruption, mais une substance corruptible. Aussi, dans la suite de son discours, quand il parle du corps, il ne l'appelle pas une corruption, mais une substance corruptible, disant : Il faut que cette substance corruptible soit revêtue de l'incorruptibilité.

Après qu'il a fini ces exhortations relatives à la conduite de la vie, il fait ce qu'il a coutume de faire , il mêle continuellement un sujet à un autre sujet, il revient à son discours sur la résurrection, disant : " Voici que je dis un mystère (51) ".

2. Il va donc révéler un mystère vénérable, et que tous ne connaissent pas ; il montre qu'il leur fait là un grand honneur en leur révélant les choses cachées. Et qu'est-ce? " Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés ". Voici ce qu'il veut dire: nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous transformés, même ceux qui ne meurent point; car ceux-là aussi sont mortels. Parce que vous. mourrez, dit-il, ne craignez pas de ressusciter; il en est, en effet, il en est quelques-uns qui éviteront la mort, et cependant cela ne leur suffit pas pour la résurrection, mais il faut que ces corps mêmes qui ne meurent point soient transformés et passent à un état incorruptible. " En un moment, en un clin " d'oeil, au son de la trompette du jugement dernier. (52) ". Comme il a longuement parlé de la résurrection, il montre à propos ce qu'il y a d'étonnant en elle, et de contraire à l'opinion commune. En effet, dit saint Paul, il n'est pas seulement étonnant que les corps se putréfient d'abord et ressuscitent ensuite, et que les corps ressuscités l'emportent sur ceux que nous voyons aujourd'hui; ni qu'ils passent à une condition bien meilleure, ni que chacun reçoive ce qui lui appartient, et que personne ne reçoive ce qui appartient à d'autres; mais, ce qui est étonnant, c'est que tant (595) de miracles et de si grands, et qui dépassent toute raison et toute imagination, s'accomplissent en ce moment. Et pour exprimer cela plus clairement, il dit : "En un clin d'oeil ", c’est-à-dire, dans le temps qu'il faut pour fermer les yeux. Ensuite comme il parle d'une chose grande et qui doit nous frapper de stupeur, de tant. de merveilles accomplies tout d'un coup; il ajouté pour le prouver et: pour rendre croyable ce qu'il dit : " En. effet, la " trompette sonnera et les morts ressusciteront incorrompus, et nous serons transformés ". Cette parole " nous " ne s'applique pas à lui-même, mais à ceux qui alors seront trouvés vivants. " Il faut que cette substance corruptible soit. revêtue d'incorruptibilité (53) ". Quand vous entendrez dire que la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, pour que vous n'alliez pas croire que les corps ne ressuscitent pas, il ajoute : " Car il faut que ce corps corruptible sait revêtu de l'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité ". Le corps est corruptible et mortel, et c'est pour cela que le corps subsiste; car le corps, c'est la substance. La mortalité et la corruption, au contraire, sont détruites et disparaissent, tandis que l'immortalité et l’incorruptibilité deviennent le partage du corps. Ne doutez donc plus que le corps ne doive vivre éternellement, en apprenant qu'il devient incorruptible et qu'il est affranchi des lois de la mort.

Quand ce corps corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l'immortalité; alors sera accomplie cette parole de l'Ecriture : " La mort a été absorbée par la victoire (54) ". Après avoir révélé de grands mystères, il rend tout ce qu'il avance croyable et digne de foi , en s'appuyant sur la prophétie. La mort a été absorbée par la victoire; c'est-à-dire, que le rôle de la mort est terminé. Il n'en geste plus rien; elle ne reviendra plus. L'incorruptibilité a détruit la corruption et la mort. " O mort, où est ta victoire? Enfer, où est ton aiguillon (55) ? " Quelle force et quelle noblesse d'inspiration ! C'est comme un sacrifice offert à la victoire. C'est un mortel inspiré de Dieu qui, l'oeil fixé sur l'avenir comme sur un fait déjà accompli, insulte à la mort terrassée ! et, le pied sur la tête de l'ennemi vaincu, entonne un chant de victoire, en s'écriant " O mort, où est ton aiguillon? Enfer, où est ta victoire? " C'en est fait de tes armes; tu as travaillé en vain. Voilà en effet la mort dépouillée de ses armes ! La voilà vaincue ! Que dis-je ? Elle disparaît, elle rentre dans le néant. " Or le péché est l'aiguillon de la mort : et sa loi est la force du péché (56) ". Voyez-vous comme il parle de la mort corporelle? C'est donc aussi de la résurrection du corps qu'il veut parler. Car s'il n'y a pas "de résurrection pour le corps, comment la mort est-elle absorbée?. Ce n'est point ici la seule difficulté; comment en outre la loi est-elle la force du péché? C'est qu'en l'absence de la loi, le péché n'avait pas un caractère aussi,prononcé; il avait bien lieu, mais on ne pouvait. le frapper d'une condamnation aussi énergique. La loi n'a pas peu contribué à le mettre en relief, en lui infligeant de plus rudes châtiments. Que si, en voulant guérir le mal, elle l'a aggravé, le coupable, dans ce cas, n'est pas le médecin; c'est le malade qui n'à pas sa profiter du remède. La venue du Christ aussi a été funeste aux Juifs; elle n'a fait qu'aggraver et grossir le fardeau de leurs iniquités. Mais ce n'est pas là une raison pour blâmer le Christ; le Christ n'en est que plus admirable, et les Juifs n'en sont que plus odieux pour avoir tourné contre eux-mêmes l'instrument de leur salut. Ce qui prouve que, par elle-même, la toi ne peut servir d'auxiliaire du péché, c'est que le Christ l'a strictement observée, et que le Christ était exempt de péchés. Mais réfléchissez, et vous verrez que les vérités exprimées par Paul au sujet du péché et de la loi viennent à leur tour confirmer 1e dogme de la résurrection. Si en effet le péché était par lui-même une cause de mort, si le Christ est venu détruire le péché et nous en délivrer par le baptême, si d’un autre côté il a détruit et anéanti l'ancienne loi, dont la violation et la transgression donnait au péché plus de consistance, pourquoi douter encore de la résurrection? Comment la mort s'y -prendra-t-elle désormais pour conserver son empire? Se servira-t-elle de la loi? elle est dissoute et abrogée. Se servira-t-elle du péché? mais le péché est extirpé jusque dans sa racine. " Rendons grâce à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ (57) ".

3. Car Jésus a élevé un trophée et nous a décerné des couronnes qui ne nous étaient pas dues, mais qui sont un présent de sa bonté. " Ainsi, mes frères, demeurez fermes et inébranlables (58) ". Cette exhortation a (596) pour elle la justice et l'à-propos. Point de faiblesse; point d'hésitation ; ne vous laissez pas abattre , ne vous découragez pas sans motifs. " Travaillez sans. cesse à l'oeuvre de Dieu " ; c'est-à-dire, à rendre votre vie pure. Il ne dit pas : Faites le bien, mais : " Travaillez sans cesses, pour que le zèle déborde de vos cœurs quand vous vous mettez à l'oeuvre, pour que vous fassiez votre devoir et au delà. " Sachant que votre travail ne sera pas sans récompense en Notre-Seigneur": Que dis-tu, Paul? Encore des travaux? Oui, encore des travaux ; mais des, travaux qui rapportent des couronnes, et qui ont le ciel en perspective. Car autrefois, en laissant derrière lui, le paradis, l'homme a dû souffrir des travaux qui étaient le châtiment de ses fautes ; les travaux dont il s'agit, au contraire,, lui promettent les palmes de la vie future. Lorsqu'on se place à un pareil point de vue, lorsqu'on lève les, yeux et qu'on aperçoit les secours qui nous viennent d'en haut, ce ne sont plus là des travaux. Aussi Paul a-t-il dit : Votre travail ne sera pas sans récompense en Notre-Seigneur. Nos premiers travaux étaient un châtiment; ceux-ci ne sont qu'un acheminement au bonheur qui nous est réservé dans l'autre vie. Il ne faut donc pas nous endormir, mes chers frères. Ce n'est point en nous laissant aller au courant de la paresse et de l'inertie que nous arriverons au royaume des cieux ; ce n'est point en nous abandonnant aux délices d'une vie molle et efféminée. Estimons-nous heureux de pouvoir conquérir un si grand bonheur à forée de pénitences, de mortifications, de souffrances sans nombre , de difficultés et de travaux. N'apercevez-vous pas l'intervalle immense qui sépare la terre des cieux, les guerres qui nous menacent, la pente qui entraîne l'homme vers le vice, les précipices dont le péché nous entoure, et les piéges qu'il sème au milieu de notre route ? Pourquoi donc nous créer tant de soucis qui ne nous sont pas imposés par la nature? Pourquoi nous susciter cette foule. d'embarras ? Pourquoi nous charger de tant de fardeaux ? Le Christ n'a-t-il pas voulu nous détourner de tous ces soins en nous disant : " Ne vous inquiétez ni de votre nourriture ni de votre habillement? " (Matth. VI, 25.) Or, si nous ne devons nous inquiéter ni de la nourriture qui nous est nécessaire, ni de nos vêtements, à quoi bon cet attirail et ce luxe ? Ceux qui se plongent dans le gouffre de tant de besoins factices; pourront-ils jamais en sortir ? Est-ce que saint Paul ne vous a pas dit : " Celui qui est enrôlé au service de Dieu, ne s'embarrasse point des affaires de cette vie?" (II Tim. II, 4.) Malgré cela, nous nous plongeons dans les d'élites, nous sommes esclaves de notre ventre, nous nous enivrons, nous nous tourmentons pour des choses qui nous sont étrangères, et nous n'apportons aux choses célestes que l'attention d'une âme molle et efféminée. Ne savez-vous pas que la récompense qui vous est promise est une récompense plus qu'humaine? Quand on rampe sur la terre, on ne peut monter au ciel ; et nous, loin de nous étudier à. mener une vie conforme à la nature de l'homme, nous nous ravalons au-dessous .de la brute. Ne savez-vous donc pas à quel tribunal vous comparaîtrez? Ne songez-vous donc pas qu'on vous demandera compte de vos paroles et de vos pensées; à vous qui ne veillez même pas sur vos actions? " Un regard lascif jeté sur une femme est déjà l'adultère ". (Matth. V, 28.) Et ces hommes qui auront à rendre compte d'un simple regard de curiosité, ne craignent pas de pourrir dans le péché ! " Celui qui traite son frère de sot, sera plongé dans la géhenne ". (Matth. V, 22.) Et nous ne cessons d'accabler notre prochain d'outrages, nous ne cessons de lui dresser des embûches de toute espèce! Il est tout simple d'aimer celui qui nous aime ; c'est là le mérite d'un païen. Et nous autres , nous haïssons ceux-là même qui nous aiment ! Quel pardon pouvons-nous espérer? Nous devrions, on nous l'a ordonné, ne pas nous contenter d'observer les prescriptions de l'ancienne loi, et, dans la mesure même de cette ancienne loi, notre vertu est insuffisante ! Quelle bouche éloquente nous arrachera au châtiment qui nous. menacé ? Quel défenseur viendra nous assister et nous secourir, nous, misérables pécheurs marqués pour le, supplice? Aucun; mais nous hurlerons comme des réprouvés, nous pleurerons, nous grincerons des dents, nous gérons en proie aux tourments; car nous serons condamnés à de profondes ténèbres, à des douleurs inévitables, à des peines insupportables. C'est pourquoi, je vous en prie, je vous en conjure, je vous en supplie à genoux : tandis que; pour marcher dans cette vie, nous avons encore quelque appui, ouvrons nos âmes aux paroles de (597) l'apôtre; qu'elles excitent en nous des sentiments de componction; convertissons-nous ; devenons meilleurs. Ne nous exposons pas, comme le mauvais riche, à pousser des lamentations inutiles, quand nous serons jetés dans les ténèbres extérieures. Ne nous exposons pas à répandre des larmes qui ne sauraient remédier à nos maux. En vain un père, un fils, un ami, qui aurait auprès de Dieu quelque influence, élèverait pour vous la voix, si vos actions. étaient là pour vous condamner. Tel est ce tribunal : il juge d'après les actes; nos actes seuls peuvent nous sauvez. En. vous tenant un pareil langage, je ne veux pas vous affliger, je ne veux pas vous jeter dans le désespoir; je veux que, renonçant à nous repaître de vaines et frivoles espérances, nous cultivions la vertu , sans mettre notre confiance, dans tel ou tel secours étranger. Si nous sommes lâches et;négligents, il n'y aura ni Juste, ni prophète, ni apôtre, .il n'y aura personne qui soit en état de venir à notre aide. Mais soyons zélés, soyons diligents, et nous trouverons dans nos actes de puissants défenseurs, et nous jouirons en. toute liberté, en toute sûreté, du bonheur que Dieu réserve à ceux qui l’aiment. Ce Bonheur, puissions-nous tous l'obtenir, etc.

Traduit par M. BAISSEY
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XLIII. QUANT A LA COLLECTE POUR LES SAINTS, FAITES LA MEME CHOSE QUE J'AI ORDONNÉE AUX ÉGLISES DE GALATIE. (CHAP. XVI, VERS. 1, JUSQU’A 10.)
ANALYSE.

1. Saint Paul recommande aux Corinthiens de recueillir petit à petit des aumônes pour les pauvres de Jérusalem.

2. Cette collecte faite, ils l'enverront eux-mêmes à Jérusalem par des hommes sûrs : saint Paul les accompagnera si la chose en vaut la peine.

3 et 4. Exhortation. — Soyons fermes dans les épreuves.— L'homme juste est quelquefois éprouvé, mais il eu sera récompensé davantage. — Sanctifions nos maisons par des aumônes mises en réserve. .

1. Ayant achevé ce qu'il avait à dire sur les dogmes,. il va maintenant traiter plus spécialement des moeurs, et sans s'occuper du reste, il va droit à la vertu qui comprend toutes les autres, la charité et l'aumône. Il ne parle que de cette seule vertu et fiait sa lettre. Cette épître est la seule où il en soit ainsi ; dans les autres il ne parle pas seulement de l'aumône, mais encore de la tempérance, de la mansuétude, de la douceur, de la patience, et de toutes les autres en général, en finissant. Pourquoi ne traite-t-il ici que cette seule partie de la morale.? Parce que la plus grande partie de ce qui précède roule déjà sur des matières morales; par exemple, ce qu'il a dit pour corriger le fornicateur, pour redresser ceux qui portaient leurs différends devant les tribunaux du dehors, pour effrayer ceux qui s'adonnaient au vin et à la bonne chère, pour condamner ceux qui. se livraient aux schismes aux disputes , et qui affectaient la domination, pour représenter à ceux qui s'approchaient indignement des mystères , l'épouvantable châtiment auquel ils s'exposaient, enfin, pour définir la charité. Il ne touche plus ici que le point dont il a besoin pour mieux assister les saints. Remarquez encore ici l'habileté de l'apôtre : aussitôt qu'il (598) les a persuadés de la résurrection, et qu'il les a remplis par ce discours de ferveur et de zèle, il les met sur le chapitre de l'aumône. Ce n'est pas qu'il n'en eût déjà touché quelques, mots lorsqu'il disait : " Si nous avons semé chez vous les biens spirituels, sera-ce beaucoup si nous moissonnons de vos biens temporels ? " Et encore : " Qui plante une vigne et ne mange pas de son fruit? " (I Cor. IX, 7, 11.) Cependant, la connaissance qu'il avait de l'excellence de cette vertu le détermine à en parler encore à la fin de cette épître.

Le mot de " collecte " qu'il met tout en commençant fait déjà envisager la chose comme légère et facile; puisque tous contribuent à l’oeuvre, la charge qui en résultera pour chacun ne pourra qu'être légère. Après avoir parlé de la collecte, il ne dit pas tout aussitôt : Que chacun de vous mette de côté chez soi, comme il était naturel de dire, non, il a soin de dire auparavant : Faites comme j'ai ordonné aux Eglises de Galatie. Mentionner les bonne œuvres des autres était un bon moyen d'exciter leur zèle par l'émulation. Et remarquez comme il introduit cette mention sous forme de récit; c'est un procédé qu'il met encore en couvre dans son épître aux Romains. Il semble ne vouloir que leur parler du motif de son départ pour Jérusalem, et il prend de là occasion de se jeter sur le sujet de l'aumône : " Maintenant ", dit-il, " je m'en vais à Jérusalem pour le service des saints. Car il a dit à la Macédoine et à l'Achaïë de faire quelques aumônes en commun aux. pauvres d'entre les saints". (Rom. XV, 25, 26.) Il excitait les Romains par l'exemple des Macédoniens et des Corinthiens , et ceux-ci par l'exemple des Galates. — " Faites ", dit-il, " comme j'ai ordonné aux Eglises de Galatie ". Les Corinthiens n'auraient-ils pas rougi de rester inférieurs aux Galates? Et il ne dit pas : J'ai persuadé, j'ai conseillé, mais : "J'ai ordonné ", ce qui marque plus l'autorité. Et il ne cite pas seulement une ville, ni deux, ni trois, mais toute une nation. C'est un moyen. qu'il emploie également quand il traite des questions dogmatiques : " Comme je l'enseigne ", dit-il, " dans toutes les églises des saints " . Que si l'exemple est efficace pour établir la foi des dogmes, il le sera bien davantage encore pour exciter l'émulation des bonnes oeuvres.

Mais qu'avez-vous ordonné, dites-moi, bienheureux apôtre? "Que le premier jour de la semaine ", c'est-à-dire le dimanche, " chacun de vous mette quelque chose à part chez soi, amassant selon sa bonne volonté (2) ". Remarquez comme il sait les exciter même par la circonstance du temps; car ce jour qu'il indique était propre à porter à l'aumône. Souvenez-vous, semble-t-il dire, quels bienfaits vous avez reçus ce jour-là. Les biens ineffables, et la racine et le principe de notre vie, c'est once jour qu'ils nous ont été donnés. C'est encore par une autre raison que ce jour augmente le zèle charitable; il est le jour du repos et de la suspension de tous les travaux. Une âme affranchie de tout embarras d'affaires, en devient plus prompte et plus apte à pratiquer l'aumône. De plus, la participation aux mystères redoutables et immortels met dans l'âme beaucoup de zèle. En ce jour donc, " que chacun de vous "; non un tel et un tel, mais "chacun de vous ", quel qu'il soit, pauvre ou riche; la femme ou l'homme; l'esclave ou l'homme libre mette à part chez soi. Il ne dit pas: Que chacun porte à l'Eglise, de peur que l'on n'eût honte de donner peu; mais après que ces petites sommes mises à part peu à peu en auront fait une un peu plus considérable, alors, quand je serai venu, qu'on me l'apporte. En attendant, mettez à part chez vous quelque chose, et faites de votre maison une église, le coffret qui recevra vos aumônes sera le tronc. Devenez le gardien d'un argent sacré, faites-vous spontanément économe des pauvres. C'est votre chanté qui vous confère ce sacerdoce. Les troncs qui sont dans nos églises sont encore une marque de cette ancienne coutume. Mais hélas ! le signe seul reste, la chose ne. se voit plus nulle part. Je sais que la plupart de ceux qui sont ici me blâmeront encore de parler sur ce sujet; je les entends déjà me dire : Epargnez-nous ces désagréables , ces fâcheux discours. Laissez cela à la volonté de chacun, et que chacun suive le mouvement de son coeur; ce que vous dites maintenant ne sert qu'à nous couvrir de honte et de confusion. — Mais je ne tiens aucun compte de ces remontrances. Saint Paul ne craignait pas de se rendre importun sur ce sujet, ni de tenir le langage de ceux qui mendient. Si je vous disais : Donnez-moi, à moi, et déposez vos aumônes dans ma maison, il y aurait peut-être sujet de rougir ; ou plutôt il n'y aurait pas même alors sujet, " car ", dit (599) l'apôtre, " ceux qui servent à l'autel vivent de l'autel ". (I Cor. IX, 13.)

2. Toutefois on pourrait me reprocher de prêcher pour moi. Au lieu que maintenant c'est pour les indigents que je demande, ou pour mieux dire, ce n'est pas pour les indigents ; c'est, pour vous qui donnez : c'est pourquoi je parle avec une entière liberté. Quelle honte y a-t-il à dire :Donnez au Seigneur qui a faim; revêtez-le lorsque vous le rencontrerez nu ; recevez-le chez vous quand il est sans asile? Votre Seigneur ne rougit pas de dire à la face de la terre : " J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger " (Matth. XXV, 42) ; lui qui ne manque de rien et qui n'a rien à désirer. Et moi je rougirais et je n'oserais parler ! A Dieu ne plaise ! Ce serait une suggestion diabolique qu'une telle honte. Je ne rougirai donc pas, mais je parlerai en toute liberté et je dirai : Donnez à ceux qui ont besoin, élevant la voix plus haut que les indigents. Si je pouvais être convaincu par quelqu'un de chercher mon intérêt en parlant de la sorte , et de faire mes propres affaires sous le prétexte de faire celles des pauvres, ce ne serait pas, assez de la. honte pour me punir , il faudrait toutes les foudres du ciel, car il ne mériterait pas de vivre, celui qui commettrait une telle indignité.

Mais si, par la grâce de Dieu, ce n'est point pour nous-mêmes que nous vous importunons; si nous vous annonçons gratuitement l'Evangile, non à la vérité en travaillant de nos mains comme Paul, mais en vivant de nos biens propres, je dirai en toute liberté : Donnez à ceux qui ont besoin , et je ne cesserai de le redire, et ceux qui ne donneront pas, je serai leur accusateur infatigable. Si j'étais général et que j'eusse sous moi des soldats, je n'aurais pas boute de demander des vivres pour mes soldats. D'ailleurs je désire extrêmement votre salut. Mais afin que mon discours soit plus efficace; je vais m'adjoindre saint Paul et vous dire avec lui : " Que chacun de vous mette à part chez soi, et qu'il amasse selon qu'il aura " prospéré ". Voyez comme il évite d'être indiscret et à charge ! Il ne dit pas: Donnez telle ou telle somme, mais : " Ce qui vous plaira ", que ce soit beaucoup, que ce soit peu. Il ne dit pas : Que chacun donne ce qu'il aura gagné, mais " Selon qu'il aura prospéré ", pour montrer que c'est de Dieu que nous tenons ce que nous donnons. Autre moyen de faciliter l'aumône qu'il conseille: il n'ordonne pas qu'on la donne tout entière, d'un coup, mais qu'on l'amasse petit à petit, de manière que la dépense s'effectue sans peine et passe pour ainsi dire inaperçue. Voilà pourquoi il ne demande pas qu'on dépose l'aumône sur-le-champ; mais il indique un long délai. La raison qu'il donne de cette mesure est celle-ci : " Afin qu'on n'ait pas à faire la collecte lorsque j'arriverai " c'est-à-dire, afin que vous ne soyez pas obligés de recueillir les aumônes dans le temps même où il faudra les apporter. Nouveau motif qui ne devait pas médiocrement les exciter; l'attente de Paul était bien propre à augmenter leur zèle.

" Lorsque je serai arrivé, j'enverrai des hommes choisis pair vous, et à qui je donnerai des lettres, porter votre charité à Jérusalem (3) ". Il ne dit pas: J'enverrai un tel et un tel, mais : Des hommes que vous aurez choisis vous-mêmes afin que l'on n'ait pas le moindre soupçon. Voilà pour quelle raison il leur remet le choix de ceux qui porteront l'argent. Il se garde bien de leur dire : à vous de donner votre argent, à d'autres le droit de choisir ceux qui le porteront. Ensuite pour montrer qu'il ne laisse pas de s'occuper de cette bonne oeuvre, il parle des lettres qu'il donnera aux porteurs, il dit: " J'enverrai avec des lettres ceux que vous aurez choisis ", comme s'il disait : Je serai moi-même avec eux, je participerai à la mission par le moyen de mes lettres. Il ne dit pas : Je les enverrai porter votre aumône, mais " votre charité ", pour relever par ce terme la grandeur de leur action et du gain qui leur en revient. Ailleurs il donne à l'aumône les noms de bénédiction et de communication, l'un pour corriger la négligence, l'autre pour abaisser l'orgueil nulle part il ne se sert du mot d'aumône.

" Que si la chose mérite que j'y aille moi-même, ils viendront avec moi (4) ". Ici encore l'apôtre engage les Corinthiens à donner largement. Si vos charités sont assez considérables, veut-il dire, pour que ma présence soit nécessaire, je ne refuserai pas d'y aller. Il n'a pas promis cela tout d'abord, il n'a pas dit quand je serai arrivé, je porterai l'argent. S'il eût promis cela dès le commencement, l'effet n'eût pas été le même. Mise où elle se trouve, cette promesse est parfaitement à sa place. Ainsi dès le commencement ce n'est pas une promesse formelle, mais ce n'est pas non plus (600) un silence absolu, car l'apôtre se met déjà en avant en disant: " j'enverrai ". Et encore en dernier lieu il ne parle que conditionnellement, tout dépendra d'eux-mêmes : " Si la chose le mérite ", dit-il. Il dépendait d'eux assurément de donner une somme assez grosse pour que l'apôtre crût qu'elle vaudrait la peine qu'il s'en chargeât.

" Or, j'irai vous voir quand j'aurai passé par la Macédoine (5)". Ceci, l'apôtre l'a déjà dit plus haut, mais avec colère; car il ajoutait : " Et je connaîtrai non les discours des orgueilleux, mais leur vertu ". (I Cor. IV, 19.).Ici il parle avec plus de douceur, afin qu'ils désirent sa présence. Et pour qu'ils ne disent pas : Pourquoi donc nous préférez-vous les Macédoniens, il ne met pas : Quand j'aurai été en Macédoine, mais : " Quand j'aurai passé par la Macédoine, car je passerai par la Macédoine. Peut-être que je séjournerai chez eux, et que j'y passerai l'hiver (6) ". Mon dessein n'est pas de vous voir seulement en passant, je veux m'arrêter chez vous et y séjourner. Il était à Ephèse lorsqu'il écrivait cette épître, et c'était pendant l'hiver. C'est pourquoi il dit : " Je demeurerai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte (8) ". Ensuite , j'irai en Macédoine, et après l'avoir traversée , j'irai vous voir l'été ; et peut-être passerai-je l'hiver chez vous.

3. Mais pourquoi saint Paul dit-il "peut-être ", sans rien assurer de positif? Parce qu'il ne prévoyait pas tout, et cela utilement. C'est pourquoi il n'affirme pas absolument, de sorte que s'il en arrivait autrement, il aurait recours pour se défendre à sa promesse conditionnelle, et à l'autorité du Saint-Esprit: gui à son, gré conduisait l'apôtre, et ne le laissait pas toujours aller où il aurait voulu. Il le témoigne, dans sa seconde épître, lorsque pour justifier son retard , il dit : " Ou quand je prends une résolution, cette résolution n'est-elle qu'humaine, et trouve-t-on ainsi en moi le oui et le non ". (II Cor. XI, 17.) — " Afin que vous me conduisiez au lieu où je pourrai aller ". Ceci témoigne encore de la charité de l'apôtre et de son grand-amour pour ses disciples. — " Car je ne veux pas cette fois vous voir seulement en passant , et j'espère demeurer assez longtemps chez vous, si le Seigneur le permet (7) ". Ces paroles qui sont l'expression de sa charité, tendent aussi à faire trembler les pécheurs, non pas ouvertement, mais seulement sous prétexte d'amitié. — " Je demeurerai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte ". Il leur fait part exactement de tous ses desseins et familièrement comme à des amis. Car c'est encore une marque d'amitié qu'il leur donne, de leur dire la raison pourquoi il n'a pas encore été les voir, pourquoi il diffère, et en quel lieu il demeure. — " Car une grande porte s'y ouvre, visiblement devant moi, et il s'y élève contre moi beaucoup, d'ennemis " (9), Une grande " porte " et " beaucoup d'ennemis ", comment ces choses vont-elles ensemble? Les ennemis s'élèvent précisément -parce que. la foi est grande, . parce qu'elle trouve une grande et large entrée. Qu'est-ce à dire une grande porte?. c'est-à-dire que beaucoup sont tout prêts à embrasser la. foi, beaucoup sont sur le point, de s'approcher de Dieu et de se convertir. Une large entrée se présente, parce que l'âme de ceux qui s'approchent est mûre pour la soumission à la foi. Le démon voyant que tant d'hommes allaient l'abandonner, soufflait partout sa fureur. Cette double raison engageait donc saint Paul à demeurer là : beaucoup de fruit d'un côté, et de grands combats de l'autre. Il encourageait aussi beaucoup les Corinthiens, en leur disant que la parole de Dieu croissait et fructifiait de toute part avec facilité. Si beaucoup d'ennemis se soulevaient contre elle, c'était une preuve de plus du progrès de l'Evangile. Car le démon n'est jamais plus en colère que lorsqu'on lui enlève beaucoup de dépouilles.

Faisons- de même , et lorsqu'il s'agira de . quelque grande et. généreuse entreprise à exécuter, ne regardons pas à la peine qu'elle , causera ; mais aux fruits qu'elle produira. Voyez Paul en effet, il ne s'effraye et ne se rebute de rien, quelque nombreux que soient les ennemis; mais parce qu'une large porte s'ouvre à la foi, il persévère ; il demeure à sa tâche. Comme je l'ai dit, la multiplicité des ennemis n'était qu'un signe que le démon se sentait dépouillé. Ce n'est pas par de petites ou de mauvaises actions que l'on excite la fureur de ce monstre. Lors donc que vous voyez un homme juste et qui fait de grandes choses, souffrir toute espèce de traverses, n'en soyez pas étonnés. Il faudrait plutôt s'étonner si, recevant tant de coups douloureux, il restait néanmoins tranquille et souffrait doucement ses blessures. Vous étonnez-vous lorsqu'un serpent que l'on excite en le piquant, s'exaspère et se jette sur celui qui le pique? Il n'y a pas de serpent si (601) âpre que le démon, il se jette sur tous, et tel qu'un scorpion irrité il se dresse en agitant un dard empoisonné. Que cela ne vous trouble point. Un soldat victorieux ne revient pas d'une sanglante mêlée sans être couvert de sang, . sans rapporter des blessures. Lors .donc que vous voyez quelqu'un qui fait l'aumône, qui pratique toute espèce, de bonnes oeuvres et porte ainsi à la puissance du démon des. coups mortels, ne vous étonnez point s'il tombe dans les tentations et les dangers. Si la tentation est venue l'assaillir, c'est précisément parce qu'il a porté de rudes coups au démon. Et pourquoi, dira-t-on, Dieu permet-il que le juste soit tenté? Afin que sa couronne en soit embellie, afin que le démon voie aggraver sa défaite.. L'homme qui ayant Suivi le chemin de la vertu est arrivé à l'épreuve et qui remercie Dieu de tout, celui-là inflige au démon des coups terribles. C'est déjà beaucoup, pendant que le souffle .de la bonne fortune gonfle nos voiles de rester toujours fidèle à l'aumône et à toute espèce de vertu ; mais c'est beaucoup plus de persévérer dans cette. belle conduite en dépit de tous les maux. C'est celui-là surtout qui travaille en vue de Dieu.

Ainsi donc, mes frères,, dans les dangers et dans les peines restons plus que jamais attachés à la vertu. La vie présente n'est pas le temps de la récompense.. Ne réclamons donc pas la couronne dès ici-bas, pour ne pas amoindrir notre récompense au jour des couronnes. De même que pour les ouvriers, ceux qui se. nourrissent en travaillant reçoivent un salaire plus élevé, tandis que le salaire de ceux qui sont nourris par les personnes qui les emploient se trouve notablement amoindri; de même parmi les saints, celui qui aura subi mille épreuves en pratiquant la vertu reçoit la récompense entière, et une rémunération plus considérable, non seulement pour les bonnes oeuvres qu'il a faites, mais encore pour les maux qu’il a soufferts. Au contraire, celui qui passe ses jours dans le relâchement,et la mollesse ne reçoit pas à beaucoup près d'aussi brillantes couronnes là-haut. Ne cherchons donc pas ici-bas notre récompense, mais soyons au comble de la joie lors"il nous arrive de souffrir en faisant le bien.

4. Et pour rendre ce que je dis plus sensible, supposons deux riches, tous deux compatissants et généreux envers les pauvres. Que l'un demeure en possession de ses richesses, qu'il jouisse de toutes les prospérités; que l'autre tombe dans la pauvreté et dans les maladies, et dans les malheurs, et que cependant il rende grâces à Dieu. .Lorsqu'ils s'en iront là-haut, lequel des deux recevra la récompense la plus grande? N'est-il pas clair que c'est celui qui aura été exercé par la maladie et l'infortune, puisqu'il n'aura montré aucune faiblesse dans une vie toujours vertueuse et cependant durement éprouvée? Celui-ci est la statue de diamant, celui ci est le serviteur de bonne volonté. Si ce n'est pas même dans l'espoir du royaume qu'il faut opérer. le bien, mais dans l'intention de plaire a Dieu, que mérite celui qui, parce qu'il ne reçoit pas dès ici-bas le prix de sa bonne conduite, se relâche dans la pratique. de la vertu ? Ne nous troublons donc pas, lorsque -nous voyons qu'un tel qui invitait les veuves, qui recevait les voyageurs, a perdu sa maison consumée par l'incendie, ou éprouvé quelqu'autre malheur, et en effet il recevra pour cela une récompense. Job lui-même est devenu moins célèbre par ses aumônes que par les épreuves qui survinrent. On méprise au contraire ses amis, on les regarde comme des gens de rien, parce qu'ils cherchaient ici les récompenses temporelles et que d'après ce principe ils condamnaient injustement le juste.

Ne cherchons donc pas ici-bas notre récompense, devenons pauvres et indigents. Il est d+e la dernière folie , quand on nous propose le ciel et ce qui est au dessus pour prix de nôtre vie, d'abaisser. ses regards aux choses de. la terre. Ne faisons pas ainsi, et de quelque malheur que nous puissions être surpris, suivons Dieu. sang nous lasser, et suivons le conseil de saint Paul, ayons un tronc des pauvres dans notre maison, qu'il soit placé près de l'endroit où vous vous tenez pour prier ; et chaque fois que vous entrez pour faire votre prière, déposez d'abord votre aumône, et ensuite faites monter votre oraison; et de même que vous ne voudriez pas vous mettre en prière sans vous être auparavant lavé les mains, de même ne priez pas sans avoir fait l'aumône. Ce n'est pas une chose moins utile d'avoir ainsi une aumône cachée que d'avoir l'Evangile suspendu auprès de son lit.

Si vous suspendez l'Evangile et que vous ne le pratiquiez pas, il ne vous en reviendra pas grand'chose. Avec ce petit coffre vous avez une arme contre le démon, la prière que vous (602) faites auprès a des ailes, vous sanctifiez votre maison, en y tenant en réserve les aliments du' Roi éternel. Mettez votre lit à côté de ce coffret, et nul fantôme ne troublera vos nuits, pourvu que vous n'y mettiez rien qui vienne de l'injustice. Car cet argent est destiné à l'aumône, et l'aumône ne peut avoir la cruauté pour son principe. Voulez-vous que je vous montre où il faut prendre de quoi donner cette aumône pour la rendre facile dans la pratique? Vous êtes artisan, serrurier, cordonnier, ouvrier en cuir ou en quoi que ce soit, vous vendez quelque produit de votre art, levez les prémices du prix en l'honneur de Dieu, jetez-en une parcelle en l’honneur de Dieu, partagez avec Dieu en lui donnant la moindre partie. Je ne vous demande pas beaucoup, pas plus qu'on ne demandait aux juifs qui étaient encore peu avancés dans la sagesse et même remplis de défauts. Nous qui attendons le ciel, ne devrions-nous pas rougir de ne pas. faire autant qu'eux ! Ne prenez pas ce que je vais dire pour une loi, ni comme une défense que je vous ferais de donner plus, mais je ne crois pas que vous deviez donner moins, de la dixième partie de ce que vous avez. Faites cela non-seulement lorsque vous vendez, mais lors, même , que vous achetez. Que ceux qui reçoivent des rentes et des revenus gardent aussi cette loi ; enfin qu'elle soit générale pour tous ceux qui reçoivent de l'argent: par des voies justes. Quant aux usuriers, je ne m'adresse pas à eux, ni aux soldats qui s'enrichissent par des concussions, et qui trafiquent de la misère des autres. D'une semblable source, Dieu ne veut rien recevoir; je dis ces choses à ceux qui s'enrichissent noblement. Une fois que nous avons pris cette habitude, nous sommes toujours aiguillonnés par notre conscience, lorsque, nous abandonnons cette loi ; nous reconsidérons plus la pratique comme difficile, petit à petit nous irons plus loin, et après nous être appliqués au mépris des richesses, et avoir arraché de nos coeurs cette racine de tous les maux, nous passerons cette vie dans une paix tranquille, et nous jouirons ensuite d'une autre qui ne finira pas, et que je prie Dieu de nous accorder à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XLIV. QUE SI TIMOTHÉE VOUS VA TROUVER, AYEZ SOIN QU'IL SOIT EN SÛRETÉ PARMI VOUS. (CHAP. XVI, VERS. 10, JUSQU'À LA FIN.).
ANALYSE.

1 et 2. Saint Paul recommande Timothée aux Corinthiens, il prévient ainsi avec beaucoup de sagesse les désagréments auxquels ce disciple était exposé de la part de ceux à qui il portait les réprimandes de son maître.

3. Que le faste est la source de grands maux.

4-6. Avec quelle douceur il faut reprendre ceux qui pèchent. — Que nous ne devons pas être indifférents aux maux spirituels de nos frères. — Qu'il vaut mieux faire des remontrances en face que des médisances en secret.

1. On trouvera peut-être cette recommandation peu digne du courage de Timothée. Mais c'est moins dans l'intérêt de Timothée qu'elle a été faite que dans celui des Corinthiens; parce que les piégés qu'ils lui eussent peut-être tendus auraient causé leur propre ruine. Quant à Timothée, il était toujours porté à se jeter au milieu des périls. " Il m'a ( 603) servi ", dit ailleurs l'apôtre, " dans la prédication de l'Evangile , comme un fils servirait son père ". (Phil. II, 22) insolents à l'égard du disciple, ils le fussent devenus à l'égard du maître lui-même , c'est là ce que Paul veut prévenir par ces paroles : " Ayez soin qu'il soit en sûreté parmi vous ". C'est-à-dire, qu'aucun de ces pécheurs désespérés ne s'élève contre lui. Timothée devait probablement ajouter; de vive voix, des réprimandes à celles qui étaient contenues: dans la lettre apostolique et sur les mêmes sujets. C'était du reste la raison pour laquelle l'apôtre annonçait, qu'il l'envoyait. " Je vous envoie Timothée", dit-il, " qui vous fera souvenir de mes voies en Jésus-Christ, et de ce que j'enseigne partout dans toute l'église". (I Cor. IV, 17.) Paul craint donc que ces Corinthiens, fiers de leur noblesse et de leurs richesses, confiants dans l'appui de la multitude et dans leur sagesse selon le monde, n'en viennent à s'insurger contre son disciple; qu'ils ne le méprisent, qu'ils ne lui tendent des embûches, et, qu'exaspérés par les réprimandes du maître et du disciple, ils n'en demandent raison à celui-ci et né s'en vengent sur lui. Voilà pourquoi il leur écrit cette parole : " Ayez soin qu'il soit en sûreté parmi vous ". Ne venez pas m'alléguer les païens et les infidèles. C'est pour vous que j'écris toute cette épître , ainsi j'attends cela de vous: C'étaient eux aussi qu'il avait. effrayés dès le commence ment. Tel est le sens de ce mot : " parmi vous".

Il l’accrédite ensuite en le louant de la manière dont il s'acquitte de son ministère " Parce que ", dit-il, " il travaille à l'oeuvre du Seigneur ". Ne considérez pas qu'il n'est pas riche, ni savant, ni âgé, mais considérez sa mission et ses oeuvres. " Parce qu'il travaille à l'oeuvre du Seigneur". Cela seuil lui tient lieu de noblesse, de richesse, d'âge et de science. Saint Paul ne s'en tient pas là, mais il ajoute : " Aussi bien que moi ". Il a déjà dit plus haut : " Il est mon Fils bien-aimé et fidèle dans le Seigneur ; il vous fera souvenir de mes voies en Jésus-Christ ". Or, il était jeune et chargé seul de la correction d'un grand peuple , deux circonstances propres à lui attirer le mépris des Corinthiens , saint Paul le prévient et dit : " Que. personne ne le méprise (11)". Il demande quelque chose de plus , il veut qu'on l'honore : "Mais reconduisez-le en paix ", c'est-à-dire en toute tranquillité, saris susciter de disputes ni de querelles, en lui témoignant, non des inimitiés et des haines, mais de la soumission et de l'honneur, en l'écoutant comme un maître. " Afin qu'il vienne me trouver, parce que je l'attends avec nos frères ". Ceci est encore dit pour effrayer les Corinthiens. C'est afin qu'ils sachent que Timothée ne manquera pas de lui rapporter comment il aura été traité par eux, et que cette pensée les rende plus honnêtes à son égard, que l'apôtre ajoute : " Car je l'attends ". Il leur montre aussi par là même la considération dont Timothée est digne, puisque, devant faire un voyage, il l'attendait. pour l’emmener avec lui? de plus, c'était leur témoigner de la charité que de leur envoyer un homme qui lui était si utile. — " Pour ce qui est de mon frère Apollon, je l'ai fort prié devons aller voir avec quelques-uns de nos frères (32) ". Il paraît qu'Apollon était fort instruit et bien plus âgé que Timothée. Les Corinthiens auraient pu dire : Pourquoi donc nous a-t-il envoyé un jeune homme fait? Saint Paul va au-devant de cette plainte en donnant à Apollon le nom de frère, et en leur disant qu'il l'a fort prié de les aller voir. Afin que l'on ne croie pas qu'il a préféré Timothée et que c'est pour cette raison qu'il n'a pas envoyé Apollon, ce qui aurait excité la jalousie, il ajoute : " Je l'ai fort prié d'y aller ". Quoi donc? Apollon n'aurait pas cédé, n'aurait pas consenti? Il aurait contesté, il aurait résisté ? Saint Paul ne dit pas cela ; il veut se disculper sans accuser Apollon, et il dit : " Mais enfin, il n'a pas cru devoir se rendre près de vous présentement ". Ensuite, afin qu'on ne dise pas: Ce n'est là qu'un subterfuge et un. prétexte , il ajoute : " Il ira vous voir, lorsqu'il en trouvera l'occasion favorable ".

C'est là un mot d'excuse en faveur d'Apollon, qui a aussi pour effet d'adoucir le regret qu'avaient les Corinthiens de ne pas le voir venir, en leur faisant espérer qu'il viendrait bientôt. Puis il leur montre qu'ils doivent mettre l'espoir de leur salut non pas seulement dans leurs maîtres , mais surtout en eux-mêmes, et il dit : " Soyez vigilants, demeurez fermes dans la foi (13) ". Dans la foi, non dans la sagesse humaine; ce né serait plus là se tenir fermes, mais se précipiter. Garder ta foi, c'est rester debout. — " Agissez en hommes de coeur ; armez-vous de force et de vigueur. Faites avec charité tout ce que vous faites (14) ". (604) En parlant ainsi il semble les exhorter, mais dans le fond il leur reproche leur négligence. Leur dire comme il fait, de " veiller, de se retenir fermes, de montrer du courage et de la vigueur ", d'agir en tout avec charité, c'est supposer qu'ils sommeillent, qu'ils sont chancelants, qu'ils sont amollis, qu'ils sont divisés. — " Veillez, et tenez-vous termes " est dit pour les mettre en garde contre les trompeurs, " soyez des hommes de coeur ", contre ceux qui tendaient des piéges ; " faites avec charité tout ce que vous faites ", contre ceux qui tentaient de les diviser, en factions, car la charité est le lien de toute perfection, ainsi que la racine et la source de tous les biens. Mais que veut dire cette. parole : " Faites tout avec charité? " C'est-à-dire : soit que vous repreniez, soit que vous commandiez, soit que vous obéissiez, soit que vous appreniez, soit que vous enseigniez, faites avec charité tout ce que vous faites. Cartons les désordres que l'apôtre combat, ne venaient que de ce qu'on avait négligé la charité. Si les Corinthiens l'eussent pratiquée avec plus de soin , ils n'auraient pas connu l'enflure du coeur et ils n'auraient pas dit : Moi je suis à Paul, moi je suis à Apollon. Avec la charité ils n'auraient point plaidé devant les tribunaux païens , ou plutôt ils n'auraient point plaidé du tout. Avec la charité , l'incestueux n'eût point touché la femme de son père; les frères n'auraient point méprisé leurs frères qui étaient faibles, ils n'auraient point eu d'hérésies parmi eux, ils n'auraient pas tiré vanité des dons spirituels. Telle est la raison de cette parole : " Faites avec charité tout ce que vous faites ".

2. " Or vous connaissez ", mes frères, " la maison de Stéphanas , vous savez qu'elle a été les prémices de l'Achaïe, et qu'elle s'est vouée au service des saints (15) ". Saint Paul avait parlé de Stéphanas dès le commencement de cette épître : " J'ai baptisé ", dit-il, " la maison de Stéphanas ". (I Cor. I, 16.) Il dit ici qu'elle est les prémices, non-seulement de Corinthe , mais de toute la Grèce. Et ce n'est pas pour eux une petite gloire qu'ils aient été les premiers â embrasser la foi de Jésus-Christ. Dans l'épître aux Romains, Paul donne à quelques-uns un semblable éloge : " Ils ont été engendrés même avant moi en Jésus-Christ". Il ne dit point ici qu'ils ont cru les premiers , mais qu'ils ont été les prémices, ce qui témoigne qu'après avoir reçu la foi , ils avaient mené une vie très-vertueuse, montrant par leurs actions comme par des fruits excellents qu'ils étaient dignes de louange. Pour être appelés prémices, il leur fallait être meilleurs que les autres dont ils étaient les prémices, tel est donc le témoignage que saint Paul leur rend par cette parole. Car je le répète, ils n'avaient pas seulement cru sincèrement, mais ils avaient montré une très-grande piété, une éminente vertu et beaucoup de zèle dans- la pratique de l'aumône. Il fait encore juger de leur piété d'une autre manière , en donnant à entendre que toute leur maison était remplie de sainteté ; que leur vie fût chargée d'une ample moisson de bonnes oeuvres, la suite l'indique assez: " Ils se sont voués,", dit l'apôtre; " au service des saints ". Vous entendez les louanges données à leur hospitalité. L'apôtre ne dit pas. qu'ils servent mais, " qu'ils se sont voués au service"; ils y ont consacré toute leur vie, ce service est devenu leur occupation, leur profession. " C'est pourquoi je vous supplie d'avoir pour eux la déférence due à des personnes de cette sorte (16) "; c'est-à-dire de les secourir; de les aider, de partager avec; eux la dépense et les soins matériels nécessaires. Car leur peine sera Moins grande lorsqu'ils auront des aides , et l'avantage s'en répandra sur plus de personnes. Il ne dit pas simplement : " Travaillez avec eux ", mais " Obéissez-leur en ce qu'ils vous commandent "; et il entend parler d'une soumission profonde. Et pour que ceci ne ressemble pas à une faveur, il ajoute : " Ayez cette même déférence pour tous ceux qui :coopèrent à l'oeuvre de Dieu ",. Que ce soit là , veut-il. dire , Une loi commune , ce n'est pas un privilège que j'établis en leur faveur, mais que toute personne qui leur ressemblera jouisse des mêmes avantages. C'est pourquoi avant de les louer, il prend à témoin les Corinthiens eux-mêmes de ce qu'il va dire : " J'en appelle à vous ; vous connaissez la maison de Stéphanas ". C'est-à-dire : vous savez vous-mêmes comment ils travaillent, et vous n'avez pas besoin de l'apprendre de nous.

" Je me réjouis de l'arrivée de Stéphanas, de Fortunat et d'Achaïque, parce qu'ils ont suppléé ce que vous n'étiez pas à portée de faire par vous-mêmes. Car ils ont consolé mon esprit et le vôtre (17, 18) ". Comme il était naturel de supposer que les Corinthiens étaient irrités contre ceux-là, parce que chargés de (605) consulter saint Paul touchant les vierges et lés personnes mariées, ils lui avaient en même temps donné avis des disputes et des schismes qui les divisaient, l'apôtre fait tout ce qu'il peut pour les adoucir, en leur disant au commencement de cette épître : " J'ai appris par ceux qui sont de la maison de Chloë ". Il cache les autres et ne parle que de ceux-ci apparemment les autres l'avaient renseigné par le moyen de ceux-ci. Lorsqu'il dit : " Ils ont suppléé ce que vous n'étiez pas à portée de faire par vous-mêmes; ils ont consolé mon esprit et le vôtre ", il fait comprendre qu'ils étaient venus au lieu de tous, et que c'était dans l'intérêt de toute l'Église qu'ils avaient entrepris un si long voyage. Comment donc rendrez-vous commun à tous ce qui leur est propre? Ce sera si vous compensez ce qui vous a manqué par l'affection que vous aurez pour eux, par l'honneur que vous leur rendrez., et par vos bons offices en les recevant charitablement, et en leur faisant part de vos biens. C'est pourquoi il dit : " Ayez de la considération pour de telles personnes ". En louant ceux qui sont venus, il n'oublie pas ceux qui les ont envoyés, il lés comprend les uns et les autres dans le même éloge, en disant : "Ils ont consolé mon esprit et le vôtre ". Ayez donc une grande considération pour de telles personnes qui ont laissé pour votre service leur patrie et, leur maison. Admirez la prudence de l'apôtre; il a soin de montrer que ces personnes ne l'avaient pas obligé lui seul, mais encore tous les Corinthiens, puisqu'ils s'étaient chargés des intérêts de toute la ville c'était un bon moyen pour les recommander, et pour empêcher les Corinthiens de s'éloigner d'eux, puisqu'en leurs personnes ils avaient tous paru devant saint Paul. " Toutes les Eglises de l'Asie vous saluent (19) ". Saint Paul réunit toujours tous les membres de l'Église les uns avec les autres par le moyen de ces salutations. " Aquilas et Priscille vous saluent avec beaucoup d'affection en Notre-Seigneur ". Il demeurait chez eux étant faiseur de tentes comme eux. " Avec l'église qui est dans leur maison ". Grande gloire pour eux d'avoir fait de leur maison une église. " Tous nos frères vous saluent; saluez-vous les uns les autres par un saint baiser (20) ". Ce n'est qu'en cet endroit que l'apôtre, au mot de salutation, ajoute celui de saint baiser. Pourquoi le fait-il? Parce qu'il y avait chez les Corinthiens de profondes divisions et qu'ils disaient : " Je suis à Paul, je suis à Apollon, je suis à Céphas, je suis à Jésus-Christ " ; parce que l'un mourait de faim pendant que l'autre était ivre, parce qu'ils se livraient. Aux disputes, aux jalousies, aux procès. Ils se jalousaient aussi les uns les autres au sujet des dons spirituels, et ils en tiraient vanité. Ainsi après avoir travaillé à concilier leurs esprits par ses exhortations, il les prie naturellement de s'unir par un saint baiser. Le baiser unit étroitement, et de deux corps n'en fait plus qu'un. Ce mot de " saint " fait voir que le baiser doit être exempt de fraude et d'hypocrisie. " La salutation est de ma main à "moi Paul (21)".Ceci témoigne du soin avec lequel la lettre a été écrite. C'est encore ce qu'indique ceci: " Si quelqu'un n'aime pas Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'il soit anathème (22)".

3. Par cette seule parole, il effraye tous ceux qui rendaient leurs membres les membres d'une prostituée, ceux qui scandalisaient leurs frères en mangeant des viandes offertes aux idoles, ceux qui se disaient adeptes de tel ou tel homme, ceux qui ne croyaient pas à la résurrection. Non-seulement il les épouvante, mais il leur montre la voie de la vertu et la source du mal. Car, comme une charité forte et active éteint toutes les espèces de péchés et les détruit, de même une charité faible et languissante les fait tous naître. " Maran Atha ". Pourquoi ce mot? pourquoi se servir d'un mot hébreu? Parce que l'orgueil était le principe de tous les maux qu'il combattait. La sagesse humaine dont ce peuple se piquait était la cause de cet orgueil, d'où venait tout le mal et en particulier les schismes qui déchiraient l'Église de Corinthe. Pour mieux réprimer ce faste, l'apôtre ne veut pas même se servir d'un mot grée, mais il se sert d'un mot hébreu, montrant que loin de rougir de la simplicité et de la rudesse du langage, il s'en faisait gloire et l'affectait. Mais que signifie " Maran Atha? " il signifie, Notre-Seigneur est venu. Et pourquoi dit-il cela? Pour confirmer la foi de l'incarnation, d'où il tirait les preuves de la résurrection. De plus il voulait encore les faire rougir, comme s'il leur disait. Le Seigneur de tous s'est abaissé jusqu'à s'incarner, et vous, vous restez toujours dans le même état, vous persistez toujours dans le péché. Et vous ne tremblez pas à la pensée de la charité excessive de Dieu, principe de tous nos biens ! Songez-y seulement, et cela suffira pour vous (606) faire avancer dans la vertu, et pour supprimer entièrement le péché.

" Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous (23) ". Il est d'un pasteur d'aider les âmes, non-seulement de ses exhortations, mais de ses prières. " Ma charité est avec vous tous en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen. (24) ". Pour n'avoir pas l'air de les flatter en finissant par ce témoignage d'affections, il dit " en Notre-Seigneur Jésus-Christ ". Son amour n'a rien d'humain, ni de charnel; il est tout spirituel, et par conséquent très-sincère. Le terme dont il se sert témoigne un vif amour. Séparé d'eux par la distance des lieux, il étend les bras de sa charité pour les embrasser de loin. Ma charité, dit-il, " est avec vous tous", c'est comme s'il disait : Je suis avec vous tous. Il ne pouvait mieux leur témoigner qu'il ne leur avait rien écrit par aigreur et par colère, mais uniquement par le zèle qu'il avait de leur salut, puisqu'après une si longue réprimande qu'il leur avait adressée, il ne ressentait contre eux aucune aversion, mais au contraire il les aimait et les embrassait malgré la distance par le moyen de ses lettres qui portaient au milieu d'eux son âme et son coeur. C'est ainsi que doit agir celui qui corrige les autres. Quand on corrige par un mouvement de colère, on satisfait simplement sa, passion. Mais quand après avoir corrigé celui qui pèche, on lui témoigne de la charité, on lui prouve par là que tout ce qu'on a dit pour réprimander, venait d'un sentiment d'affection.

Ayons soin, mes frères, de garder cet esprit de douceur en nous reprenant les uns les autres. Que l'on fasse des remontrances sans se fâcher, Autrement ce ne serait plus de la correction, mais de la passion. Que d'un autre côté celui qui est repris, ne se fâche pis; on veut le guérir et non le blesser. Les médecins quelquefois appliquent le fer et le feu, et personne ne les condamne, quoiqu'ils n'arrivent pas toujours au point qu'ils s'étaient proposé; et malgré la douleur que leur fait éprouver ce traitement, les malades reconnaissent pour leurs bienfaiteurs ceux qui les y soumettent; combien celui qui reçoit une réprimande doit-il plus entrer dans ce sentiment, et regarder comme un médecin et non comme un ennemi la personne qui le corrige? Et nous qui reprenons les autres, faisons-le avec beaucoup de douceur, avec beaucoup de tact. Si nous voyons faillir notre frère, suivons le conseil du Sauveur, ne rendons pas publique la réprimande que nous lui adressons, faisons-la seul à seul, sans paroles amères, sans insulter le pauvre malheureux, qui est par terre, mais avec douleur et en nous apitoyant sur son sort. Montrons-nous tout prêts à bien accueillir nous-même la réprimande toutes les fois que nous la mériterons par nos fautes.

Pour rendre plus clair ce que je dis, faisons une supposition. Car Dieu nous garde que ce que nous allons dire pour exemple devienne jamais quelque chose de réel ! Supposons qu'un de nos frères habite avec une vierge, il aura beau être honnête et chaste il n'évitera pas les mauvais bruits. Si donc vous entendez parler. de cette cohabitation dans le monde, ne méprisez pas ce. que l'on en dit. Ne dites point Est-ce que cet homme n'est pas sage, et, ne sait-il pas ce qui. lui est expédient? Fais-toi aimer sans raison , mais sans raison ne te fais pas haïr, dit-on. Qu'ai-je affaire de m'attirer d'es inimitiés lorsque ce n'est point nécessaire? Ce langage plein de délire conviendrait aux bêtes ou plutôt aux démons. Ce n'est pas s'exposer à l'inimitié sans raison que de s'y exposer pour faire une juste correction, puisqu'on y gagne les plus grands biens et d'ineffables récompenses. Si vous me dites : Mais quoi, cet homme n'a-t-il pas la raison pour se conduire? Je vous répondrai qu'il ne l'a plus, et que l'enivrement de sa passion la lui a ôtée. Si devant les tribunaux civils ceux qui ont souffert une injustice sont incapables de parler pour eux-mêmes à cause de la colère qui les trouble, lorsque cependant ce n'est pas un trimé que de ressentir une injure, combien plus encore sera troublée la raison de ceux qui sont en proie à quelque habitude mauvaise ? Je soutiens donc que, quand même cet homme aurait de la raison autant et plus que vous ne dites, sa raison est au moins endormie maintenant. Quoi de plus sage que David, qui disait à Dieu : " Vous m'avez révélé les secrets de votre sagesse". (Ps. L, 8.) Cependant lorsqu'il eut regardé avec des yeux injustes la femme d'Urie, alors, selon .ce qu'il dit lui-même, il lui arriva ce qui arrive d'ordinaire aux navigateurs lorsque la mer devient furieuse : " Toute sa sagesse fut engloutie". (Ps. CVI, 27.) Et il fallut qu'une main étrangère viril; le, sauver de ce naufrage, car pour lui, il ne s'apercevait pas même qu'il était tombé au fond de l'abîme. C'est pourquoi, en déplorant (607) ses péchés, il disait: "Mes iniquités, comme un lourd fardeau , se sont appesanties sur moi : La pourriture et la corruption sont entrées dans mes plaies à cause de mon ignorance ". (Ps. XXXVII, 5, 6.)

4. Ainsi donc celui, qui pèche n'a point sa raison; il est plongé dans l'ivresse, et dans les ténèbres. Ne dites donc pas qu'il est assez sage pour se conduire; ne dites pas non plus : " Ce n'est point là mon affaire, chacun portera son fardeau ". (Gal. VI, 5.) C'est un grand , péché pour vous, lorsque voyant quelqu'un qui s'égare, vous ne le remettez pas dans la bonne voie. Si d'après la loi des Juifs il n'était pas permis de laisser périr, sans lui porter secours, la bête de somme de son. ennemi , quel pardon pourra espérer celui qui voit périr sans s'en mettre en peine; non la bête de somme ni même l'âme de son ennemi , mais l'âme de son ami? Il ne suffit pas pour nous excuser que cet homme ait sa raison ; puisque nous qui avons l'habitude d'exhorter les autres,. nous ne pouvons nous suffire à nous-mêmes, de sorte que nous avons besoin de recourir aux lumières, des autres. Lors donc que quelqu'un pèche, considérez qu'il est plus naturel qu'il reçoive de vous que de lui-même le bon conseil dont il a besoin, et ne dites pas : Qu'ai-je besoin de me mêler de cela? Craignez de dire cette parole en vous souvenant de celui qui le premier a osé dire-: " Suis-je le gardien de mon frère ? " Ce dernier mot équivaut à celui-là. Tous nos maux viennent précisément de ce que nous traitons comme étrangers les membres de notre corps. Que dites-vous? Vous n'avez pas à vous occuper de votre frère? Mais qui donc s'en occupera? Sera-ce l'infidèle, lui qui se réjouit de sa chute et y insulte avec outrage? Sera-ce le démon, lui qui le pousse et le fait tomber?

Mais, dites-vous, je donne les conseils qu'il faut, et ce que je dis ne sert à rien. — Et comment savez-vous que cela ne sert à rien ? N'est-il pas de la dernière folie, lorsque l'événement est incertain, de s'exposer à un péché certain de paresse et de négligence ? Dieu lui-même qui connaît l'avenir, n'a-t-il pas souvent donné des avertissements qui ont été inutiles ? Cependant les a-t-il moins donnés, quoiqu'il sût qu'on ne les écouterait pas? Si donc Dieu ne laisse pas que de donner des avertissements qu'il prévoit devoir rester inutiles, quelle sera votre excuse, vous qui ignores absolument l'avenir et qui néanmoins vous laissez aller à la défaillance et à la torpeur? Beaucoup pour avoir essayé ont réussi; souvent même c'est lorsqu'on a le plus lieu de désespérer que l'on obtient le succès le plus complet. Et quand même vous travailleriez en vain, vous .feriez au moins ce que vous devez. Ne soyez donc point inhumain , sans entrailles, négligent. Car ces excuses que vous donnez sont des marques de votre cruauté et de votre négligence, lugez-en vous-même. Pourquoi, en effet, lorsqu'un membre de votre corps souffre, ne dites-vous pas : Qu'ai-je affaire de m'en occuper? Et qu'est-ce qui me prouve que si je m'en occupais, il guérirait? Même en supposant que vous n'atteindrez pas le but, ne faites vous pas tout au monde pour n'avoir pas à vous reprocher d'avoir rien négligé de ce qui devait être fait? Est-il juste, quand on prend tant de soin des membres de son corps, de négliger les membres de Jésus-Christ? Est-ce même pardonnable? Car si je ne puis vous fléchir en vous disant : Ayez soin de votre propre membre; je rappelle en votre mémoire le corps de Jésus-Christ, afin que la crainte au moins vous fasse rentrer dans votre devoir. Comment ! voir sa propre chair tomber en pourriture et n'en être nullement ému ! N'est-ce pas une nonchalance à faire frémir? Vous auriez un de vos esclaves, vous n'auriez même qu'une bête de somme en cet état, que vous n'auriez pas le coeur d'y. rester indifférent. Et lorsque le corps de Jésus-Christ même est rempli de pourriture, vous. le négligez? Ne vous rendez-vous. pas digne de toutes les foudres du ciel? C'est par là que tout est mis sens dessus dessous dans le monde, je veux dire par cette inhumanité, cette insouciance cruelle.

Je vous conjure donc, rues frères, de renoncer à cette dureté. Allez trouver cet homme qui habite avec une vierge; faites-lui compliment pour ses bonnes qualités ; adoucissez son mal au moyen de la louange, comme vous feriez une tumeur avec de l'eau tiède. Gémissez sur vous-même, faites le procès à tous les fils d'Adam, montrez que nous sommes tous pécheurs ; demandez-lui pardon, dites-lui que vous vous chargez d'une affaire qui est au-dessus de vous, mais que la charité fait tout oser. Ensuite, pour donner votre avis, prenez un ton qui n'ait rien d'impérieux, mais qui soit tout fraternel. Lorsque vous aurez de la sorte (608) adouci la tumeur enflammée qui est dans son âme et calmé d'avance la douleur que doit causer l'incision de la remontrance que vous avez à lui faire; lorsque vous vous serez plus d'une fois excusé, et que vous l'aurez supplié de ne pas se fâcher, lorsque vous l'aurez comme lié par toutes ces précautions, alors portez le coup, en ayant soin de n'enfoncer ni trop ni trop peu le fer, de peur que d'un côté; si la plaie est peu sensible, il ne la méprise, ou que de l'autre, si elle est trop profonde, il ne se révolte. D'une manière comme de l'autre, ce serait manquer le but.

C'est pourquoi après avoir donné le coup, mêlez encore les louanges avec les réprimandes que vous faites. Et parce que. son action ne peut être louée pour elle-même, puisqu'on ne peut approuver qu'un homme vive ainsi avec une jeune fille, louez-le au moins de l'intention qu'il dit avoir eu en cela. Je sais bien, lui direz-vous, que c'est en vue de Dieu que vous agissez, que l'état d'abandon et le manque de protection où vous avez. vu cette pauvre créature vous ont déterminé à lui tendre une main secourable. Bien que vous soyez convaincu que son intention est tout autre, parlez-lui néanmoins de la sorte; après cela recommencez encore à vous excuser , dites : Ce n'est point pour vous rien commander que je parle ainsi, c'est pour vous représenter simplement les choses. C'est en vue de Dieu que vous agissez, je n'en doute pas; mais prenons garde qu'il n'en résulte un autre mal. S'il n'en peut résulter aucun, rien de mieux, retenez-la chez vous, continuez une charité si louable, personne ne s'y opposera. Mais s'il en devait sortir plus de mal que de bien, pardons-nous, je vous prie, en voulant soulager une âme, d'en scandaliser mille. Ne lui mettez pas néanmoins brusquement devant lés yeux les châtiments réservés à ceux par qui le scandale arrive; mais prenez-le à témoin lui-même, et dites-lui par exemple : Vous n'avez pas besoin que je vous apprenne ces choses, vous savez vous-même quelle terrible menace a été lancée contre celui qui aura scandalisé un de ces petits. Après tous ces ménagements de paroles, ces précautions pour prévenir la colère, appliquez la remontrance et la correction. S'il alléguait encore l'abandon où se trouve la jeune fille, ne lui prouvez pas encore que ce n'est là qu'un prétexte, mais dites-lui : Ne craignez rien, vous aurez une justification suffisante dans le scandale que cela cause. Car ce n'est point parce que votre charité s'est refroidie, c'est par égard pour les autres que vous vous serez séparé de cette jeune fille.

5. Du reste, sur le chapitre des conseils, soyez bref ; il n'a pas besoin d'une longue instruction, mais ne craignez pas d'accumuler les excuses. Rejetez-vous souvent sur la charité, adoucissez ce que la remontrance a de naturellement dur, faites-le juge lui-même de la question, dites : Quant à moi, voilà le conseil que je vous donnerais, mais c'est à vous de décider, vous êtes le maître. Je ne veux pas gêner votre liberté, mais je m'en rapporte. à votre sentiment. — Si nous savions user de ces ménagements dans nos réprimandes, nous pourrions aisément corriger ceux qui pèchent, mais notre manière d'agir en ces circonstances est plus digne des brutes que des hommes. Quand quelques-uns ont remarqué un péché de ce genre, ils se gardent bien d'en souffler mot à celui qui s'en rend coupable, mais ils en chuchotent entre eux comme des vieilles femmes ivres. Alors le proverbe Faites-vous aimer sans raison, mais sans raison ne vous faites point haïr, n'est plus de mise. On veut contenter sa passion de médire, et alors on ne se met plus en peine de se faire haïr sans raison, on va plus loin, on brave le châtiment qu'encourt la médisance. Est-il question de corriger, alors on n'a plus à la bouche que le proverbe ci-dessus, et mille autres prétextes aussi vains: C'était lorsque vous médisiez, lorsque vous. calomniiez qu'il fallait dire et " ne vous faites pas haïr sans raison ", et " cela ne sert à rien ", et " que m'importe ". Mais au contraire, c'est alors que vous êtes curieux à l'excès, et que vous vous mêlez de mille choses. qui ne vous regardent point; alors vous ne craignez plus ni la haine ni tous les maux possibles. Quand il faut s'occuper du salut de son frère, on se pique de n'être ni indiscret, ni importun. Cependant la médisance produit la haine de Dieu et des hommes, mais on ne s'en inquiète guère; tandis que les conseils donnés en particulier, et que les remontrances présentées charitablement vous procureraient l'amitié et des hommes et de Dieu. Que si celui que vous avertissez vous prend en, haine, Dieu vous en aimera davantage. Et même celui que vous aurez repris ne vous haïra pas autant que si (609) vous le déchiriez en secret; au contraire, s'il s'aperçoit que vous le décriez en cachette, il vous détestera comme son ennemi mortel , mais après vos remontrances, il vous respectera comme un père. Il pourra même arriver qu'il s'irrite ouvertement, et que dans le fond de son âme il vous sache gré de ce que vous lui aurez dit.

6. Pensons à ces vérités , mes frères , ayons soin de nos propres membres. N'aiguisons point nos langues les uns contre les autres. Ne disons point de paroles de perdition. Ne minons pas sourdement la réputation du prochain, ne faisons pas du monde un- champ de bataille où sans cesse les uns blessent et les. autres sont blessés. A quoi servent les jeûnes et les veilles , si la langue est toujours ivre , si elle mange à une table plus immonde que si l'on y servait de la chair de chien , si elle ne se rassasie que de sang, si elle verse la corruption, si elle fait de la bouche comme le conduit d'un cloaque, et même quelque chose de plus abominable? La puanteur matérielle nuirait seulement au corps, mais celle qui s'exhale de la médisance, est capable de suffoquer l'âme. Je ne dis pas ceci dans l'intérêt de ceux qui , souffrant la calomnie avec courage, méritent-la couronne céleste, je le dis dans l'intérêt des médisants et des calomniateurs. Les saintes Ecritures déclarent bienheureux le juste qui est en butte a la calomnie; mais elles excluent des saints mystères et même dé l'enceinte de l'église celui qui dit du mal des autres. " Celui qui médisait en secret de son prochain ", est-il dit, " je le persécutais ". (Ps. C, 5.) Elles le déclarent indigne de lire les livres sacrés : " Pourquoi racontes-tu mes justices, pourquoi ta bouche ose-t-elle. redire mon alliance? " (Ps. XLIX, 16.) Ecoutez le motif de cette exclusion : " Tu t'asseyais à l'écart pour parler cou" tre top frère ". (Id. 20.) Les saintes Ecritures ne distinguent pas si le mal que l'on dit est vrai ou faux; ailleurs, elles défendent expressément de dire du mal, quand même on dirait vrai. " Ne jugez point ", dit Jésus-Christ, afin " que vous ne soyez point jugés ". (Matth. VII, 1.) Il condamna aussi le pharisien qui médisait du publicain, bien qu'il ne dît que la vérité.

Quoi donc, dira-t-on, si quelqu'un se montre aussi audacieux que pervers, il nous sera interdit de le redresser, de l'accuser? Accusez-le, corrigez-le , mais que ce soit comme j'ai dit plus haut. Si vous le faites avec des reproches ou des injures, prenez garde, en imitant le pharisien , d'avoir le même sort que lui. Ce genre de réprimande n'est utile à personne , ni à vous qui la faites , ni à celui qui en est l'objet. Celui-ci en devient au contraire plus effronté. Tant que ces désordres restent secrets, il sait au moins rougir, mais dès qu'il se voit démasqué, il secoue ce dernier frein. Celui devant qui vous décriez votre frère , en éprouvera lui aussi. un grave préjudice. S'il a conscience d'avoir fait de bonnes actions, il s'enfle, il s'élève aux dépens de l'autre. S'il est pécheur, il se jette dorénavant plus résolûment dans le vice. A son tour, le médisant donne une mauvaise opinion de lui-même à celui qu'il prend pour confident, et il attire sur sa tête la colère de Dieu.

C'est pourquoi, je vous en conjure , abstenons-nous de toute parole mal sonnante. Ne prononçons que des paroles bonnes pour l'édification. — Mais, dites-vous, il faut que je rue venge de cet homme? — Vengez-vous plutôt de vous-même. Vous voulez vous venger de ceux qui vous font de la peine, vengez-vous selon- la manière que conseille saint Paul : " Si ton ennemi a faim , donne-lui à manger, s'il a soif, donne-lui à boire ". (Rom. XII, 20.) Si vous ne faites pas ainsi, si vous ne voulez que tendre des embûches , c'est contre vous-même que vous tournez l’épée. Si l'on médit de vous, donnez des éloges en retour de cette manière vous vous vengerez, et vous vous mettrez à l'abri de tout mauvais soupçon. Celui que la médisance afflige, donne lieu de croire que son affliction vient de sa mauvaise conscience. Celui qui se rit de tout ce qu'on peut dire, donne la plus grande preuve de l'intégrité de sa conscience. Puis donc gaie par vos médisances vous n'êtes utile ni à celui qui les écoute, ni à vous-même, ni à celui qui en est l'objet, puisque vous tirez l'épée contre vous-même , songez-y du moins et soyez plus réservé. La considération du royaume céleste et de la volonté de Dieu devrait suffire pour volis déterminer, mais puisque vous êtes si grossier dans vos sentiments, puisque vous mordez comme une bête féroce, que ceci au moins vous instruise et vous corrige, afin que, amendé par ces motifs, le seul désir de plaire à Dieu vous retienne ensuite dans le devoir. Et. quand vous serez ainsi au-dessus de toutes les passions, vous (610) obtiendrez le royaume des cieux, que je prie Dieu de nous accorder à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, la puissance, et l'honneur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. JEANNIN.
 
 
 

 

FIN DE NEUVIÈME VOLUME.
 

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