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Saint Jean Chrysostome
Commentaire sur la 1ère lettre aux Corinthiens (2)

.Ière EPÎTRE AUX CORINTHIENS
Tome IX p. 293-610

 

 

 

 

 

 

Ière EPÎTRE AUX CORINTHIENS *

HOMÉLIE XIX. QUANT AUX CHOSES DONT VOUS M'AVEZ ÉCRIT : IL EST AVANTAGEUX A L'HOMME DE NE TOUCHER AUCUNE FEMME; MAIS, A CAUSE DE LA FORNICATION, QUE CHAQUE HOMME AIT SA FEMME ET CHAQUE FEMME SON MARI. (CHAP. VII, VERS. 9, 2, JUSQU'A LA FIN DU CHAP.) *

HOMÉLIE XX. QUANT A CE QU'ON OFFRE EN SACRIFICE AUX IDOLES, NOUS SAVONS QUE NOUS AVONS TOUS UNE SCIENCE. LA SCIENCE ENFLE, LA CHARITÉ ÉDIFIE. (CHAP. VIII, VERS. 1, JUSQU'A LA FIN DU CHAP.) *

HOMÉLIE XXI. NE SUIS-JE PAS APÔTRE? NE SUIS-JE PAS LIBRE? N'AI-JE PAS VU JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR? N’ÊTES-VOUS PAS MON OEUVRE DANS LE SEIGNEUR? (CHAP. IX, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 12) *

HOMÉLIE XXII. NE SAVEZ-VOUS PAS QUE CEUX QUI EXERCENT LES FONCTIONS SAINTES, VIVENT DU SANCTUAIRE, ET QUE CEUX QUI SERVENT A L'AUTEL ONT PART A L'AUTEL? AINSI, LE SEIGNEUR A PRESCRIT LUI-MÊME A CEUX QUI ANNONCENT L'ÉVANGILE, DE VIVRE DE L'ÉVANGILE. (CHAP. IX, VERS. 13, 14, JUSQU'AU VERS. 23.) *

HOMÉLIE XXIII. NE SAVEZ-VOUS PAS QUE CEUX QUI COURENT DANS LA LICE, COURENT TOUS, MAIS QU'UN SEUL REMPORTE LE PRIX ? (CHAP. IX, VERS. 24, JUSQU'AU VERS. 12 DU CHAP. X.) *

HOMÉLIE XXIV. AUCUNE TENTATION NE VOUS A ENCORE ÉPROUVÉS, SI CE N'EST UNE TENTATION HUMAINE ; *

DIEU EST FIDÈLE, ET IL NE SOUFFRIRA PAS QUE VOUS SOYEZ TENTÉS AU-DELA DE VOS FORCES, MAIS IL VOUS FERA TIRER AVANTAGE DE LA TENTATION MÊME AFIN QUE VOUS PUISSIEZ PERSÉVÉRER. (CHAP. X, VERS. 13, JUSQU'AU VERS. 25.) *

HOMÉLIE XXV. MANGEZ DE TOUT CE QUI SE VEND A LA BOUCHERIE, SANS VOUS ENQUÉRIR D'OÙ CELA VIENT, PAR UN SCRUPULE DE CONSCIENCE. (CHAP. X, VERS. 25, JUSQU'AU VERS. 1 DU CHAP. XI.) *

HOMÉLIE XXVI. JE VOUS LOUE, MES FRÈRES, DE CE QUE VOUS VOUS SOUVENEZ DE MOI EN TOUTES CHOSES, ET QUE VOUS GARDEZ LES TRADITIONS ET LES RÈGLES QUE JE VOUS Al DONNÉES. (CHAP. XI, VERSET 2, JUSQU'AU VERSET 17.) *

HOMÉLIE XXVII. MAIS JE NE PUIS VOUS LOUER EN CE QUE JE VAIS VOUS DIRE, A SAVOIR : QUE VOUS VOUS CONDUISEZ DE TELLE SORTE, DANS VOS ASSEMBLÉES, QU'ELLES VOUS NUISENT, AU LIEU DE VOUS SERVIR. (CHAP. XI, VERS. 17, JUSQU'AU VERS. 27.) *

HOMÉLIE XXVIII. QUE L'HOMME DONC S'ÉPROUVE SOI-MÊME, AVANT DE MANGER DE CE PAIN ET DE BOIRE DE CE CALICE. (CHAP. XI, VERS. 28, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.) *

HOMÉLIE XXIX. POUR CE QUI EST DES DONS SPIRITUELS, MES FRÈRES, JE NE VEUX PAS, QUE VOUS IGNORIEZ CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR. VOUS VOUS SOUVENEZ BIEN QU'ÉTANT PAÏENS, VOUS VOUS LAISSIEZ. ENTRAÎNER SELON QU'ON VOUS MENAIT VERS LES IDOLES MUETTES. (CHAP. XII, VERS. 12.) *

HOMÉLIE XXX. ET COMME NOTRE CORPS N'ÉTANT QU'UN, EST COMPOSÉ DE PLUSIEURS MEMBRES, ET QUE BIEN QU'IL Y AIT PLUSIEURS MEMBRES, ILS NE SONT TOUS NÉANMOINS QU'UN MÊME CORPS, IL EN EST DE MÈME DU CHRIST. (CHAP. XII, VERS. 12, JUSQU'AU VERS. 20.) *
 

 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XIX. QUANT AUX CHOSES DONT VOUS M'AVEZ ÉCRIT : IL EST AVANTAGEUX A L'HOMME DE NE TOUCHER AUCUNE FEMME; MAIS, A CAUSE DE LA FORNICATION, QUE CHAQUE HOMME AIT SA FEMME ET CHAQUE FEMME SON MARI. (CHAP. VII, VERS. 9, 2, JUSQU'A LA FIN DU CHAP.)
ANALYSE.

1. Du devoir conjugal : exhortation indirecte à la virginité plus parfaite que le mariage.

2 et 3. Ne s'abstenir du mariage que pour vaquer à des devoirs religieux importants. — Conduite que doivent tenir les veuves. — Que l'adultère est un motif suffisant pour dissoudre le mariage. — Que les mariages mixtes, c'est-à-dire, dans lesquels l'un des époux est chrétien et l'autre non, ne doivent pas être dissous.

4 et 5. Devant le Christ, l'esclave et l'homme libre sont égaux.

6. Avis important aux personnes mariées et aux vierges.

1. Après avoir corrigé trois vices: le schisme dans l'Eglise, la fornication et l'avarice, il adoucit son langage ; et pour reposer son auditoire de ces sujets pénibles, il donne des avis et des conseils sur le mariage et la virginité. Dans la seconde épître, il prend la marche contraire ; après avoir commencé par des sujets plus doux, il finit par de plus désagréables.

Ici, après avoir parlé de la virginité, il en revient encore à frapper, non d'une manière continue, mais en alternant dans les deux sens, selon que la circonstance et l'état des choses l'exigeaient. Aussi dit-il : " Quant aux choses dont vous m'avez écrit ". En effet on lui avait écrit pour savoir s'il fallait s'abstenir du mariage ou non. Répondant à cette question et avant d'établir la loi du mariage, il commence par parler de la virginité : " Il est (412) avantageux à l'homme de ne toucher aucune femme ". C'est-à-dire : Si vous cherchez le bien, l'excellent, il est meilleur de n'avoir aucun commerce avec une femme; si vous cherchez la sécurité et un appui à votre faiblesse, usez du mariage. Mais comme probablement, alors ainsi qu’aujourd'hui, l'un des époux voulait et l'autre ne voulait pas, voyez comme il parle de l'un et de l'autre. Quelques-uns prétendent qu'il s'adresse ici aux prêtres; pour moi , d'après ce qui suit, je ne le pense pas : car il n'eût point donné son avis d'une manière aussi générale. S'il se fût agi seulement des prêtres, il aurait dit : Il est avantageux au ministre de la parole de ne toucher aucune femme; mais son expression est générale : " Il est avantageux à l'homme " et non pas seulement au prêtre; et encore : " N'êtes-vous point lié à une femme? Ne cherchez point de femme ". Il ne dit pas : Vous prêtre et docteur, mais il parle d'une manière indéfinie, et ainsi dans toute la suite du discours.

Et quand il dit : " Mais à cause de la fornication que chaque homme ait sa femme ", par la nature même de cette concession il exhorte à la continence. " Que le mari rende à la femme ce qu'il lui doit, et pareillement la femme à son mari ". Or, quel est cet bonheur dû? La femme n'est pas maîtresse de son propre corps, mais elle est la servante et la maîtresse de son époux. En vous soustrayant au service convenable, vous offensez Dieu ; si vous voulez vous abstenir de concert avec votre mari, que ce soit pour peu de temps. Aussi appelle-t-il cela une dette, pour montrer qu'aucun des deux n'est maître de lui-même, mais que l'un est le serviteur de l'autre. Quand donc une prostituée vous tente, dites-lui : Mon corps n'est pas à moi, mais à ma femme. Que la femme en dise autant à ceux qui voudraient attenter à sa chasteté : Mon corps n'est pas à moi, mais à mon époux. Que si l'homme et la femme ne sont pas maîtres de leur corps, encore moins le sont-ils de leur fortune. Ecoutez, vous qui avez des femmes, et vous qui avez des maris. Si l'on ne peut pas avoir son corps en propre, encore moins peut-on avoir ses biens. Ailleurs, sans doute, une grande prérogative est accordée au mari, dans le Nouveau et dans l'Ancien Testaments. Dans celui-ci on lit : " Tu te tourneras vers ton mari ; c'est lui qui te dominera ". (Gen. III, 16.) Et Paul, établissant une distinction , écrit : " Maris, aimez vos femmes..., mais que la femme craigne son mari ". (Eph. V, 25, 33.) Mais ici il ne distingue pas le plus ou le moins : le droit est le même. Pourquoi? Parce qu'il s'agit de la chasteté. Que partout ailleurs, dit-il, l'homme ait l'avantage ; mais en fait de continence, non. " L'homme n'a pas puissance sur son " corps, ni la femme non plus ". L'égalité est complète; point de prérogative.

" Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est de concert ". Qu'est-ce que cela veut dire? Que la femme ne se contienne pas, malgré son époux ; ni l'époux, malgré sa femme. Pourquoi cela ? Parce que de grands maux naissent de cette continence : souvent les adultères, les fornications; les troubles domestiques en sont les suites. Si en effet il est des hommes qui commettent la fornication quoiqu'ils aient leurs femmes, à plus forte raison la commettront-ils si vous les privez de cette consolation. C'est avec raison qu'il dit: "Ne vous fraudez point ", employant. ici le mot fraude comme plus haut le mot dette, pour mieux constituer le droit. En effet, se contenir malgré son conjoint, c'est commettre une fraude; mais non plus, s'il y consent. Vous ne me volez pas, si je consens à ce que vous pm niez un objet qui m'appartient. Mais prendre par force à quelqu'un qui n'y consent pas, c'est voler : et c'est ce que font beaucoup de femmes, qui blessent ainsi gravement la justice, deviennent responsables des désordres de leurs maris et mettent tout sens dessus dessous. Or il faut placer la bonne harmonie avant tout, parce que c'est en effet un bien préférable à tous les autres. Entrons, si vous le voulez, dans la nature même des choses. Supposez un homme et une femme, et la femme se contenant malgré son mari. Qu'arrivera-t-il, si celui-ci se livre à la fornication, ou tout au moins s'afflige, se trouble, éprouve l'ardeur de la concupiscence, soulève des querelles et cause mille ennuis à sa femme, que gagne-t-elle au jeûne et à la continence, si le lien de la charité est brisé? Rien. Que d'injures, que de débats, que de guerres s'ensuivront nécessairement !

2. Car quand le mari et la femme sont en désaccord chez eux, la maison ressemble tout à fait à un vaisseau battu par la tempête, on le pilote et le timonier ne s'entendent pas. (413) C'est pourquoi l'apôtre dit: " Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est de "concert pour un temps, afin de vaquer au jeûne et à la prière " ; mais il entend une prière faite avec plus de soin. En effet, s'il défendait la prière à ceux qui usent du mariage, quand et comment pourrait-on prier sans relâche? Il est donc possible d'user de sa femme et de prier; mais la continence donne à la prière une plus grande perfection. Aussi ne dit-il pas simplement : Pour prier, mais : " Afin que vous vaquiez à la prière ", puisque par là on se procure du loisir, sans contracter de souillure. " Et revenez ensuite comme vous étiez, de peur que Satan ne vous tente ". Il donne la raison de ce conseil, de peur qu'on ne le prenne pour une loi. Quelle est cette raison? " De peur que Satan ne vous tente ". Et pour que vous sachiez que le diable n'est pas seul l'auteur de l'adultère, il ajoute : " Par votre incontinence. Or, je dis ceci par condescendance et non par commandement. Car je voudrais que tous les hommes vécussent comme moi, dans la continence ". C'est son usage habituel de se proposer lui-même pour exemple, quand il s'agit de choses difficiles et de dire : " Soyez mes imitateurs. Mais " chacun reçoit de Dieu son on particulier, l'un d'une manière et l'autre d'une autre ". Comme il les a vivement accusés en disant "Par votre incontinence ", il les console en ajoutant : " Chacun reçoit de Dieu son don particulier " , non pour faire entendre qu'une bonne oeuvre n'a pas besoin de notre concours, mais pour les consoler, comme je viens de le dire. Car si c'est un pur don et que l'homme n'y contribue en rien , comment ajoute-t-il : " Mais je dis à ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves, qu'il leur est avantageux de rester ainsi, comme moi-même ; que s'ils ne peuvent se contenir, qu'ils se marient? "

Voyez-vous la prudence de Paul, comment il démontre que la continence est l'état le plus avantageux, sans cependant forcer celui qui ne l'embrasse pas, de peur qu'il n'arrive une chute? " Car il vaut mieux se marier que de brûler ". Il a fait voir la force tyrannique de la concupiscence. Voici ce qu'il veut dire : Si vous éprouvez de violents assauts, une vive ardeur, débarrassez-vous de ces luttes et de ces pénibles efforts, de peur d'être vaincu. " Pour ceux qui sont mariés, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui commande ". Sur le point de lire la loi portée en termes positifs par le Christ; pour défendre de renvoyer sa femme, sauf le cas de fornication, il dit : " Ce n'est pas moi " ; car ce qui a été dit plus haut, quoique non en des termes exprès, lui semble la même chose. Mais ici ses termes sont formels. Et c'est la différence entre ces mots : " C'est moi ", et : " Ce n'est pas moi ". Et pour que vous ne croyiez point qu'il parle par inspiration humaine, il ajoute : " Car je pense que j'ai l'Esprit de Dieu ". Que commande donc le Seigneur aux personnes mariées? " Que la femme ne se sépare point de son mari. Que si elle en est séparée, qu'elle demeure sans se marier, ou qu'elle se réconcilie avec son mari ; que le mari de même ne quitte point sa femme ".

Comme à propos de la continence ou pour d'autres prétextes, et pour des futilités, il s'élevait des divisions , il eût mieux valu , dit l'apôtre, que cela n'eût pas lieu; mais puisque cela est, que la femme reste avec son mari, si ce n'est pour user du mariage, au moins pour n'introduire aucun autre homme. " Mais aux autres je dis moi, et non le Seigneur: si l'un de nos frères a une femme infidèle et qu'elle consente à demeurer avec lui, qu'il ne se sépare point d'elle. Et si une femme a un époux infidèle et qu'il consente à demeurer avec elle, qu'elle ne s'en sépare point ". Comme en parlant de la nécessité de se séparer des fornicateurs, pour atténuer la difficulté, il a dit : " Ce qui ne s'entend pas des fornicateurs de ce monde "; ainsi il s'attache ici à rendre la chose très-facile: si une femme a un mari infidèle, qu'elle ne s'en sépare pas; si un homme a une femme infidèle, qu'il ne la renvoie pas. Que dites-vous, Paul? si l'époux est infidèle, il doit demeurer avec sa femme, et non s'il est fornicateur? Cependant, la fornication est un péché moindre que l'infidélité; mais Dieu a pour vous de grands ménagements. C'est aussi ce qu'il fait à propos du sacrifice, lorsqu'il dit : " Laissez là le sacrifice et allez vous réconcilier avec votre frère ". (Matth. V, 24.) Et encore à propos de celui qui devait dix mille talents; car il ne l'a point puni, tandis qu'il a condamné au supplice celui qui exigeait cent deniers de son compagnon. Ensuite, de peur que la femme ne se crût immonde pour avoir usé du mariage, il dit : " Car le mari infidèle, est sanctifié par la (414) femme fidèle et la femme infidèle est sanctifiée par le mari ". Pourtant, si celui qui s'unit à une prostituée devient un même corps avec elle, il est évident que celle qui s'unit à un idolâtre, devient aussi un même corps avec lui. Oui, elle devient un même corps, mais elle ne se souille point; la pureté de la femme l'emporte sur l'impureté du mari, comme la pureté de l’homme fidèle sur l'impureté de la femme infidèle.

3. Pourquoi donc l'impureté est-elle ici vaincue et l'usage du mariage est-il permis, tandis que l'homme n'est point blâmable quand il chasse sa femme adultère? Parce que là il y a espoir que la partie infidèle sera sauvée par le mariage, et qu'ici le mariage est déjà dissous; qu'ici encore les deux parties sont viciées, tandis que dans l'autre cas il n'y en a qu'une. Expliquons-nous : la femme qui commet la fornication est certainement impure. Or, si celui qui s'unit à une prostituée devient un seul corps avec elle, celui qui s'unit à une prostituée devient donc impur; par conséquent, toute pureté a disparu. Mais ici il n'en est pas de même : comment cela? L'idolâtre est impur, mais la femme ne l'est pas. Si celle-ci communiquait avec lui dans ce qu'il a d'impur, c'est-à-dire, dans son impiété, elle deviendrait impure comme lui; mais, d'une part, l'idolâtre est impur, et d'autre part, la femme communique avec lui en une chose qui n'est pas impure, car le mariage est l'union des corps et il y a société. Or, il y a lieu d'espérer que la femme, à laquelle il s'unit, le ramènera : mais pour l'autre cas cela ne serait pas très-facile. Comment une femme qui l'a d'abord déshonoré, qui s'est livrée à un autre, qui a enfreint les lois du mariage, pourra-t-elle ramener l'époux qu'elle a outragé et qui n'est plus là que comme un étranger ? D'ailleurs , après la fornication l'époux n'est plus époux; mais ici la femme, quoique idolâtre, ne détruit point la justice dans son mari. Et elle n'habite pas sans raison avec son mari, mais du consentement de celui-ci : c'est pourquoi l'apôtre dit : " Et qu'il consente à demeurer avec elle ".

Quel mal y a-t-il, je vous le demande, si, tout ce qui tient à la religion restant sain et sauf, et la conversion de la. partie infidèle offrant quelque espérance, ils continuent à demeurer ensemble dans l'état du mariage, et n'introduisent- point chez eux de sujets de

querelles inutiles ? Car il ne s'agit pas ici de personnes libres, mais de personnes mariées. L'apôtre ne dit pas: Si quelqu'un veut prendra un infidèle , mais : " Si quelqu'un a une femme infidèle "; c'est-à-dire, si quelqu'un déjà marié, reçoit l'enseignement de la vraie religion, et que l'autre partie tout en restant infidèle consente néanmoins à rester dans le mariage, qu'il ne s'en sépare point : "Car le mari infidèle est sanctifié par la femme ". Telle est l'excellence de votre pureté. Quoi donc ! Un gentil est saint? Point du tout. Paul n'a pas dit : Est saint, mais : " Est sanctifié par sa femme ". Et il parle ainsi non pour montrer un saint dans un époux infidèle, mais pour mieux dissiper les craintes de la femme et inspirer à l'époux le désir de la vérité. Car ce n'est pas dans les corps des époux qu'est l'impureté, mais dans la volonté et dans les pensées. Puis vient la preuve. Si vous engendrez étant impure, l'enfant n'est pas de vous seule; il est donc impur ou pur par moitié; il n'est donc pas impur. Aussi ajoute-t-il : " Autrement vos enfants seraient impurs, tandis que maintenant ils sont saints ", c'est-à-dire, ils ne sont pas impurs. Il les appelle saints, pour écarter toute crainte et tout soupçon par l'énergie de ses expressions. " Que si l'infidèle se sépare, qu'il se sépare ". Ici, il n'y a pas de fornication. Que signifient ces mots : " Si l'infidèle se sépare? " Par exemple, s'il vous ordonne de sacrifier et de partager son impiété parce que vous êtes sa femme, ou de vous retirer, il vaut mieux rompre le mariage que de renoncer à la vraie foi. Voilà pourquoi il ajoute : " Notre frère ou notre soeur ne sont plus asservis en pareil cas ". Si chaque jour il faut subir des discussions et des combats là-dessus, le meilleur est de se séparer. Et c'est ce qu'il insinue quand il dit: " Dieu nous a appelés à la paix ". D'ailleurs l'infidèle, comme le fornicateur, a donné lieu à la séparation.

" Car que savez-vous, ô femme, si vous sauverez votre mari? " Ceci se rapporte à ce qu'il a dit plus haut : " Qu'elle ne se sépare point de lui ". C'est-à-dire, s'il ne vous cause aucun trouble, restez, car il y a profit : restez exhortez, conseillez, persuadez : aucun maître n'a autant d'influence qu'une femme. Il ne lui impose point d'obligation , il n'exige rien d'elle, pour ne pas rendre le fardeau trop lourd , et il ne veut pas qu'elle désespère; (415) mais il laisse là question de l'avenir incertaine et comme suspendue, en disant: "Que savez-vous, ô femme, si vous sauverez votre mari ? Et que savez-vous, ô homme, si vous sauverez votre femme? " Et encore : " Seulement que chacun marche comme Dieu le lui a départi et selon que Dieu l'a appelé. Un circoncis a-t-il été appelé? qu'il ne se donne point pour incirconcis. Un circoncis a-t-il été appelé? qu'il ne se fasse point, circoncire. La circoncision n'est rien, et l'incirconcision n'est rien, mais l'observation des commandements de Dieu est tout. Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé. Avez-vous été appelé "étant esclave? Ne vous en inquiétez pas ". Tout cela n'a point de rapport avec la foi; point de discussions donc, point de troubles; la foi a tout fait disparaître. " Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé ". Vous aviez une femme infidèle quand vous avez été appelé? Demeurez avec elle; que la foi ne soit point un motif pour la renvoyer. Vous étiez esclave quand vous avez été appelé ? Ne vous en inquiétez pas, restez esclave. Vous étiez incirconcis quand vous avez été appelé ? Restez incirconcis. Vous étiez circoncis quand vous avez cru? Restez circoncis. C'est-à-dire : " Que chacun marche comme Dieu le lui a départi ". Rien de tout cela n'est un obstacle à la religion. Vous avez été appelé étant esclave; un autre , ayant une femme infidèle; un troisième; étant circoncis.

44. O ciel ! Où va-t-il placer l'esclavage? Comme la circoncision ne sert à rien et que l'incirconcision ne nuit pas, ainsi en est-il de l'esclavage et de la liberté. Et pour le prouver plus clairement, il ajouté : " Et même si vous pouvez devenir libre, profitez-en plutôt "; c'est-à-dire, restez plutôt esclave. Et pourquoi engage-t-il celui qui peut devenir libre à rester esclave? Pour montrer que l'esclavage est plutôt utile que nuisible. Je sais que quelques-uns pensent que ces mots : " Profitez-en plutôt" doivent s'entendre de la liberté; ce qui voudrait dire : Si vous le pouvez, devenez libre. Mais cette interprétation serait tout à fait contraire au but que Paul se propose. En effet, il ne conseillerait point à l'esclave de se procurer la liberté, au moment où il le console et affirme que l'esclavage ne lui est nullement désavantageux. Car alors on pourrait peut-être dire : mais enfin, si je ne puis devenir libre, je subis donc une injure et un dommage?

Ce n'est donc point là sa pensée ; mais, comme je l'ai expliqué plus haut, voulant montrer que la liberté ne serait d'aucun profit, il dit : quand vous pourriez devenir libre, restez plutôt esclave. Et il en donne aussitôt la raison : " Car celui qui a été appelé au Seigneur quand il était esclave, devient affranchi du Seigneur; de même celui qui a été appelé étant libre, devient esclave du Christ". En ce qui regarde le Christ, dit-il, les deux sont égaux : vous êtes également l'esclave du Christ, le Christ est égaiement votre maître. Comment donc l'esclave est-il affranchi? Parce que le Christ vous a délivré non-seulement du péché, mais encore de la servitude extérieure, bien que vous restiez esclave. Car il ne permet pas que l'esclave, ni que l'homme demeurant dans la servitude, soit esclave : et c'est là la merveille. Mais comment un esclave est-il libre, tout en restant esclave? Quand il est délivré des passions et des maladies spirituelles, quand il méprise les richesses, qu'il est au-dessus de la colère et des autres mouvements de l'âme. "Vous avez été achetés chèrement; ne vous faites point esclaves des hommes ". Ces paroles ne s'adressent pas seulement aux serviteurs, mais aussi aux hommes libres. Car l'esclave peut être libre; et l'homme libre, esclave. Et comment -an esclave peut-il être libre? Quand il fait tout pour Dieu, quand il agit sans dissimulation et non pour plaire aux hommes : alors tout en servant les hommes, il est libre. Et comment, d'autre part, l'homme libre peut-il être esclave? quand il remplit un rôle coupable parmi les hommes, ou par gourmandise, ou par l'ambition des richesses, ou par l'abus de la puissance. En ce cas, bien que libre, il est le plus esclave des hommes.

Considérez ces deux faits : Joseph était esclave, mais non esclave des hommes : c'est pourquoi il était le plus libre des hommes, même au sein de l'esclavage. Ainsi il ne cède point au désir de la femme de son maître, qui coulait le plier au gré de sa passion. Elle, au contraire, quoique libre, était esclave entre tous les esclaves, elle qui flattait son serviteur et le provoquait au mal; mais elle ne put décider l'homme libre à faire ce qu'elle voulait. L'esclavage de Joseph n'était donc point un esclavage, mais la plus haute liberté; car en quoi a-t-il gêné sa vertu? Ecoutez, esclaves et (416) hommes libres: lequel était l'esclave de celui qui était sollicité, ou de celle qui sollicitait? de celle qui suppliait, ou de celui qui méprisait ses supplications? Car Dieu a fixé des bornes aux esclaves : les lois déterminent le point jusqu'où ils peuvent aller et qu'ils ne doivent point dépasser. Tant que le maître n'exige rien qui déplaise à Dieu, il faut l'écouter et lui obéir; mais non, s'il demande rien au delà; c'est ainsi que l'esclave devient libre. Et si vous allez vous-même au delà, fussiez-vous libre, vous devenez esclave. C'est à quoi Paul fait allusion, quand il dit : " Ne vous faites point esclaves des hommes ". S'il en était autrement, s'il conseillait aux esclaves de quitter leurs maîtres et de s'efforcer de devenir libres , comment aurait-il donné cet avis: " Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé? " Et ailleurs : " Que tous les serviteurs qui sont sous le joug estiment leurs. maîtres dignes de tout honneur , et que ceux qui ont des maîtres fidèles ne les méprisent point, parce que ce sont des frères qui participent au même bienfait ". (I Tim. VI, 1, 2.) Ecrivant aux Ephésiens et aux Colossiens il donne encore les mêmes règles et les mêmes lois. D'où il suit clairement qu'il ne combat point ce genre d'esclavage, mais celui que les hommes libres contractent par le vice et qui est le plus fâcheux, même quand celui qui le subit est libre. A quoi en effet a servi aux frères de Joseph d'être libres? N'étaient-ils pas les plus esclaves des hommes, quand ils mentaient à leur père, faisaient aux marchands de faux récits ainsi qu'à leur frère? Mais bien autre était Joseph , homme véritablement libre, véridique partout et en tout, que rien n'a pu assujettir, ni les fers, ni l'esclavage, ni l'amour de sa maîtresse, ni l'exil, mais qui est demeuré libre partout. Car c'est là la vraie liberté, celle qui éclate même dans l'esclavage.

5. Voilà le christianisme: il donne la liberté dans la servitude. Et comme un corps naturellement invulnérable se montre tel quand il reçoit un trait sans en souffrir, ainsi celui qui est vraiment libre, le démontre surtout quand ses maîtres ne peuvent le rendre esclave. Voilà pourquoi Paul engage à rester esclave. S'il n'était pas possible d'être esclave et vrai chrétien , les gentils pourraient accuser la religion d'une grande faiblesse; mais s'ils savent que l'esclavage ne lui est point un obstacle, ils admireront la doctrine. Car si la mort, la flagellation, les chaînes ne nous font point de mal, beaucoup moins l'esclavage, le feu, le fer., tous les genres de tyrannie, les maladies, la pauvreté, les animaux sauvages et mille autres tourments plus graves encore peuvent-ils nuire aux fidèles ; ils n'ont fait que les rendre plus puissants. Et comment l'esclavage pourrait-il nuire ? Ce n'est pas l'esclavage même qui nuit, cher auditeur, mais celui du péché qui est le seul véritable. Si vous ne subissez pus celui-là, ayez confiance et réjouissez-vous; personne ne pourra vous nuire dès que votre âme est libre; mais si vous êtes esclaves du péché , eussiez-vous toute liberté d'ailleurs, la liberté ne vous sert à rien. Que sert, en effet, dites-moi, dé n'être pas esclave d'un homme et de l'être de ses passions? Souvent les hommes usent encore de ménagement, mais les passions sont insatiables de ruine. Vous êtes l'esclave d'un homme? Mais votre propre maître est votre serviteur ; lui qui pourvoit à votre nourriture, qui soigne votre santé, qui a le souci de votre habillement, de vos chaussures et de tant d'autres choses. Vous avez moins peur de l'offenser que lui de vous laisser manquer du nécessaire.

Mais il est couché, et vous êtes debout. — Qu'importe? On peut faire cette observation pour vous comme pour' lui. Souvent quand vous êtes couché et livré à un doux sommeil,il est non-seulement debout, mais en proie à mille désagréments sur la place publique, et veille d'une manière bien plus pénible que vous. Quoi donc ! Joseph a-t-il autant souffert de la part de sa maîtresse, que celle-ci par l'effet de sa passion? Joseph n'a point fait ce que voulait cette femme ; et elle-même a fait tout ce que voulait la passion, sa maîtresse ; et la passion ne s'est arrêtée qu'après l'avoir couverte de honte. Quel maître est aussi exigeant? Quel tyran est aussi cruel ? Prie ton esclave, dit la passion, supplie ton prisonnier, flatte l'homme que tu as acheté; s'il refuse, insiste; si malgré tes sollicitations réitérées il ne cède point, observe le moment où il sera seul, et use de violence, et rends-toi ridicule. Quoi de plus déshonorant, quoi de plus, honteux que ce langage? Mais si tu ne viens pas à bout de ton dessein, recours à la calomnie et trompe ton époux. Voyez comme ces ordres sont indignes d'une âme libre, honteux, inhumains, cruels et insensés ! Quel maître exige jamais ce que (417) la passion impure a exigé de cette princesse? Et pourtant elle n'eut pas le courage de résister à sa voix. Joseph n'a rien subi de pareil : il a tenu une conduite toute contraire qui l'a comblé de gloire et d'honneur. Voulez-vous encore voir un autre homme, à qui une cruelle maîtresse adonné des ordres qu'il n'a pas osé repousser?

Rappelez-vous Caïn et les ordres que lui a donnés la jalousie. Elle lui a commandé de tuer son frère, de mentir à Dieu, d'affliger son père , d'être impudent; et il a tout exécuté de point en point. Pourquoi vous étonnez-vous que cette maîtresse ait tant d'empire sur un seul homme, elle qui a souvent perdu des peuples entiers? Les femmes madianites ont pour ainsi dire emmené les Juifs enchaînés et prisonniers en les captivant tous par l'attrait de leurs charmes. C'était ce genre d'esclavage que Paul repoussait quand il disait : " Ne vous faites point esclaves des hommes " ; c'est-à-dire N'obéissez point aux hommes quand ils vous donnent des ordres injustes , pas même à vous. Ensuite élevant son esprit jusqu'à un point sublime, il dit : " Quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur; mais je donnerai un conseil comme ayant obtenu de la miséricorde du Seigneur d'être fidèle ". Procédant avec ordre, il parle ensuite de la virginité. Après les avoir entretenus et instruits sur la continence, il passe maintenant à ce qui est plus parfait. " Je n'ai pas de commandement ", dit-il ; mais je pense que c'est une bonne chose. Pourquoi ? Pour la même raison qu'il a donnée à propos de la continence. " Etes-vous lié à une femme? Ne cherchez pas à vous délier ". Ceci ne contredit point ce qu'il a d'abord dit, mais le confirme parfaitement. En effet, plus haut il disait : " Si ce n'est d'un commun accord " ; ici il dit : " Etes-vous lié à une femme ? Ne cherchez pas à vous délier". Il n'y a point là de contradiction : car quand on agit contre sa volonté, le lien se brise; quand on agit de concert, le lien subsiste.

6. Ensuite, pour qu'on ne croie pas que c'est là une loi, il ajoute : " Cependant, si vous prenez une femme, vous ne péchez pas ". Puis il accuse l'état des choses, la nécessité présente, la brièveté du temps, l'affliction. Car le mariage entraîne bien des suites qu'il indique comme il l'a déjà fait en parlant de la continence, quand il disait que la femme n'a pas de puissance sur son corps, et ici quand il dit : " Etes-vous lié... Cependant si vous prenez une femme, vous ne péchez pas ". Ceci ne s'applique point à celle qui a choisi la virginité, car celle-là pécherait. En effet, si les veuves sont incriminées pour avoir contracté un second mariage quand elles ont promis de rester veuves, à plus forte raison blâmera-t-on les vierges. " Toutefois ces personnes auront les tribulations de la chair ". — Et aussi ses plaisirs, dites-vous. — Mais voyez comme l'apôtre les restreint par la brièveté du temps, en disant : " Le temps est court " ; c'est-à-dire, nous avons ordre de passer comme des voyageurs et de sortir ensuite; mais vous vous agitez dans l'intérieur. Quand même le mariage n'aurait rien de pénible , il faudrait encore hâter sa marche vers l'avenir ; mais quand il entraîne des suites fâcheuses, à quoi bon se charger du fardeau? Pourquoi s'imposer une telle charge, puisqu'une fois que vous l'avez prise, il faut en user comme n'en usant pas? En effet, l'apôtre nous dit : " Il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas ". Après avoir ainsi dit un mot de l'avenir, il revient au temps présent. Car il y a des intérêts spirituels : l'une s'occupe du service de son époux, l'autre du service de Dieu; ruais il y a aussi les intérêts de la vie présente : " Je voudrais que vous fussiez exempts de soucis ". Pourtant il laisse cela à leur liberté. Car celui qui, après avoir montré ce qu'il faut choisir, impose le choix, semble n'avoir pas confiance en ses propres paroles. C'est pourquoi il use surtout de condescendance pour les déterminer et les maintenir : " Or je vous parle ainsi pour votre avantage, non pour vous tendre un piège; mais parce que c'est une chose bienséante et qui donne la facilité de prier ".

Que les vierges entendent bien : ce n'est pas à cela que se borne la virginité; celle qui s'occupe du monde n'est ni vierge, ni honnête. Après avoir dit : " La femme mariée et la vierge sont partagées ", il établit la différence, le point qui les sépare l'une de l'autre. Pour limite entre la vierge et celle qui ne l'est plus, il ne donne pas le mariage, ni la continence, mais l'exemption de soucis et de grands soucis. Car ce n'est pas l'acte du mariage qui est un mal, mais l'obstacle à la (418) sagesse. " Si donc quelqu'un pense que ce lui soit un déshonneur que sa fille reste vierge". Ici il semble parler en faveur du mariage; néanmoins tout se rapporte à la virginité; car il permet même un second mariage, mais seulement " dans le Seigneur ". Que veut dire : " dans le Seigneur? " C'est-à-dire, avec chasteté, avec honnêteté; car il en faut partout : c'est là ce que nous devons chercher; autrement il n'est pas possible de voir Dieu. Si nous avons passé sous silence ce qu'il y a à dire sur la virginité, qu'on ne nous accuse pas de négligence. Car nous avons composé un livre entier sur ce passage ; et après y avoir traité ce sujet avec autant de soin qu'il nous a été possible, nous avons cru inutile d'y revenir aujourd'hui. Nous y renvoyons donc nos auditeurs, et nous nous contentons de dire ici qu'il faut garder la continence, puisque l'apôtre nous dit : " Cherchez à tout prix la paix et la sainteté, sans laquelle personne ne verra le Seigneur ". (Hébr. XII, 14.) Cherchons-la donc, soit que, nous vivions dans la virginité, soit que nous vivions dans un premier ou dans un second mariage, afin de mériter de voir Dieu et d'obtenir le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XX. QUANT A CE QU'ON OFFRE EN SACRIFICE AUX IDOLES, NOUS SAVONS QUE NOUS AVONS TOUS UNE SCIENCE. LA SCIENCE ENFLE, LA CHARITÉ ÉDIFIE. (CHAP. VIII, VERS. 1, JUSQU'A LA FIN DU CHAP.)
ANALYSE.

1. La science inutile sans la charité.

2. L'homme ne peut connaître Dieu parfaitement.

3. Saint Paul enseigne le néant des idoles et l'unité de Dieu, il ne parle de la Trinité qu'avec beaucoup de ménagement, à cause de la faiblesse de ceux à qui il avait affaire, et de peur qu'ils ne s'imaginent qu'il admet plusieurs dieux.

4. Une action a beau être indifférente par elle-même, si on la commet en la croyant mauvaise, on pèche. — Notre conscience est la mesure de nos actes.

5. s'abstenir d'une chose en soi indifférente, s'il en doit résulter un scandale.

6. Contre le faste et la vanité du monde et des riches.

1. Il faut d'abord expliquer le sens de ce passage; cela facilitera l'intelligence de ce que nous devons dire. Celui qui voit accuser quelqu'un et ne connaît pas la nature de sa faute, ne comprendra rien à ce que l'on dira. Que reproche donc ici Paul aux Corinthiens? Un grand crime, source de bien des maux. Lequel? Un grand nombre d'entre eux sachant que ce n'est pas ce qui entre dans l'homme qui le souille, mais ce qui en sort; que les idoles, le bois, la pierre, les démons ne peuvent ni aider, ni nuire, abusaient outre mesure de cette parfaite connaissance, à leur détriment et à celui des autres. En effet, ils allaient aux idoles, y prenaient place à table, et causaient par là un grand mal. Car ceux qui craignaient encore les idoles, qui ne savaient point encore les mépriser, participaient à ces repas, parce qu'ils voyaient de plus parfaits qu'eux s'y asseoir, et ils en éprouvaient un très-grand dommage (vu qu'ils ne touchaient pas dans les mêmes dispositions que (419) ceux-ci à ces mets qui leur étaient présentés, mais qu'ils les regardaient comme offerts aux idoles :.ce qui était le chemin de l'idolâtrie) ; et ceux mêmes qui étaient plus parfaits n'en souffraient pas médiocrement, puisqu'ils assistaient à des repas diaboliques. Tel était le crime. Or le bienheureux, pour porter remède au mal, né débute point par des termes violents, car c'était plutôt un acte de folie qu'un acte de malice. C'est pourquoi il n'est pas besoin d'abord de vifs reproches et d'indignation, mais plutôt d'exhortation. Remarquez donc la prudence avec laquelle il procède : " Quant à ce qu'on offre en sacrifice aux idoles, nous savons que nous avons tous la science ". Laissant de côté les faibles, suivant son constant usage, il s'adresse en premier lieu aux forts. C'est ce qu'il a déjà fait dans son épître aux Romains : " Mais vous qui jugez votre frère ". (Rom. XI, 10). Le fort, en effet, est plus capable de porter un reproche.

Il agit de même ici : il commence par crever leur orgueil en leur faisant voir que cette parfaite connaissance, qu'ils regardaient comme leur privilège propre , était chose vulgaire : " Nous savons que tous ont la connaissance ". Si, les laissant dans leur orgueil, il eût d'abord montré que cette connaissance était nuisible aux autres, il eût fait plus de mal que de bien. En effet, quand l'âme ambitieuse se croit parée de quelque chose, cette chose fût-elle nuisible aux autres , elle s'y attache de toutes ses forces, parce qu'elle est tyrannisée par la vaine gloire. Voilà pourquoi Paul examine d'abord l'objet en lui-même , comme il l'a fait plus haut à propos de la sagesse profane qu'il a complètement détruite. Mais là il avait raison : car cette sagesse est absolument mauvaise et la détruire était facile; aussi a-t-il prouvé qu'elle était non-seulement inutile, mais opposée à la prédication. Ici il ne pouvait agir de même : car il est question de science, et de science parfaite. Il n'était donc pas sans danger de la rejeter, et cependant on ne pouvait autrement réprimer l'orgueil qu'elle inspirait. Que fait-il alors? D'abord en montrant qu'elle est vulgaire, il comprime l'enflure de ceux qui s'en glorifiaient. En effet, on s'enorgueillit d'une chose grande et belle quand on la possède seul; mais quand on s'aperçoit qu'elle appartient à tout le monde, on n'éprouve plus le même sentiment. Donc en premier lieu il établit que ce qu'ils croyaient posséder seuls était un bien commun à tous; puis, cela posé, il ne prétend pas être le seul qui en jouisse avec eux: il eût encore par là flatté leur orgueil. Car si on est fier de posséder seul un avantage, on ne l'est pas moins de le partager avec un ou deux hommes placés au-dessus du vulgaire. Il ne parle donc pas de lui, mais de tous ; il ne dit pas : Et moi aussi j'ai la science, mais: " Nous savons que tous ont connaissance ".

De cette première manière il abat d'abord leur orgueil, et plus vivement encore, de la seconde. Laquelle? En montrant que cette connaissance non-seulement n'est pas parfaite, mais est très-imparfaite; et non-seulement imparfaite, mais nuisible, si on ne lui adjoint quelque autre chose. En effet, après avoir dit : " Que tous ont connaissance ", il ajoute : " La science enfle, mais la charité " édifie ". Ainsi la science, sans la charité, porte à l'orgueil. — Mais, direz-vous, la charité aussi sans la science est inutile. — L'apôtre ne le dit pas; mais laissant cela comme une chose convenue, il fait voir que la science a très-grand besoin de la charité. En effet, celui qui aime, accomplissant le plus important des commandements , manquât-il de quelque autre chose , obtiendra bientôt la science par la charité, comme Corneille et beaucoup d'autres; tandis que' celui qui a la .science sans la charité, non-seulement ne fera pas de progrès, mais la perdra même souvent, en tombant dans l'orgueil. En sorte que la science n'engendre pas la charité, mais en sépare plutôt, si l'on n'y prend garde, en produisant l'enflure et l'orgueil. Car la jactance a coutume de diviser, et la charité d'unir et de mener à la science. C'est ce que l'apôtre exprime par ces mots : " Mais si quelqu'un aime Dieu, celui-là est connu de lui ". Il veut donc dire : Je ne m'oppose pas à ce qu'on ait la science parfaite, mais je veux qu'elle soit jointe à la charité ; autrement elle sera inutile, et même nuisible.

2. Voyez-vous comme il prélude déjà à ce qu'il va dire de la charité? Comme tous les maux des Corinthiens provenaient, non de la science. parfaite, mais de ce qu'ils n'avaient pas assez de charité ni de ménagement les uns pour les autres, ce qui produisait les divisions , l'orgueil et toutes les fautes qu'il leur a reprochées et celles qu'il leur (420) reprochera encore : voilà pourquoi il insiste souvent sur la charité, pourvoyant ainsi à la source de tous les biens. Pourquoi, leur dit-il, la science vous enfle-t-elle? Elle vous nuira, si vous n'avez pas la charité. Qu'y a-t-il de pire que la jactance? Mais avec la charité, la science est en sûreté. Si vous savez quelque chose de plus que votre prochain et que vous l'aimiez, vous ne vous enorgueillirez pas, mais vous lui communiquerez ce que vous savez. C'est pourquoi, après avoir dit : " La science enfle ", il ajoute : " Mais la charité édifie ". Il ne dit pas : est modeste, mais il dit quelque chose de plus grand et de plus utile : car la science n'enflait pas seulement, elle divisait. Voilà pourquoi il oppose un terme à l'autre. Il donne ensuite un troisième motif pour les humilier. Lequel? c'est que, même unie à la charité, la science n'est pas encore parfaite; aussi ajoute-t-il : " Si quelqu'un se persuade savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il faut le savoir ". Voilà le coup mortel. Je n'affirme pas seulement, dit-il, que la science est commune à tout le monde; qu'en haïssant votre prochain et vous enfant d'orgueil, vous vous faites un très-grand tort; mais eussiez-vous seul la science, fussiez-vous modeste et charitable envers vos frères, vous êtes encore imparfait, même au point de vue de la science : vous ne savez encore rien comme il faut le savoir. Que si nous n'avons aucune connaissance complète, comment quelques-uns ont-ils poussé la folie jusqu’à prétendre connaître Dieu parfaitement? Eussions-nous la science parfaite de toute autre chose, il nous est impossible d'avoir celle-là. Car il n'est pas possible de dire la distance qui sépare Dieu de tout le reste.

Et voyez comme il abat leur orgueil ! Il ne dit pas : Vous n'avez pas une connaissance suffisante du sujet en question, mais : de quoi que ce soit. Il ne dit pas : vous, mais : qui que ce soit, même Pierre, Paul , ou tout autre. Par là il les console et les réprime tout à la fois. " Mais si quelqu'un aime Dieu, il est connu de lui ". Il ne dit pas : le connaît, mais: " Est connu de lui ". Car nous ne connaissons pas Dieu, mais Dieu nous connaît. Aussi le Christ disait-il : Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis. (Jean, XV, 16.) Et Paul, dans un autre endroit : " Mais alors je connaîtrai comme je suis connu moi-même ". (I Cor. XIII, l2.) Considérez donc comment il rabat leur orgueil. D'abord il leur fait voir qu'ils ne sont pas seuls à savoir ce qu'ils savent : " Nous avons tous la science "; ensuite que cette science est chose nuisible sans la charité : " La science enfle "; puisque, même jointe à la charité, elle n'est point une chose complète et parfaite : " Si quelqu'un se persuade savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il faut le savoir "; ensuite qu'ils ne tiennent point cette science d'eux-mêmes, mais qu'elle est un don de Dieu : car il ne dit pas : connaît Dieu, mais : " Est connu de Dieu "; enfin, que c'est là l'effet de la charité qu'ils n'ont pas encore comme il faut : " Mais si quelqu'un aime Dieu, celui-là est connu de lui". Après avoir par tous ces moyens guéri leur enflure, il commence à établir la doctrine, en disant: " A l'égard des viandes qui sont immolées aux idoles, nous savons qu'une idole n'est rien dans le monde et qu'il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique ".

Voyez dans quel embarras il est tombé ! Il veut prouver qu'il faut s'abstenir de ces tables, et que d'ailleurs elles ne sauraient nuire à ceux qui s'y assoient : deux choses qui ne semblent guère s'accorder entre elles. Car sachant que ces tables ne pouvaient nuire, les Corinthiens devaient y courir comme à des choses indifférentes ; et les en empêcher, c'était les porter à croire que c'était parce qu'elles avaient le pouvoir de nuire. Après avoir donc détruit l'opinion qu'on pouvait avoir des idoles, il donne pour première raison de s'en éloigner, ce scandale des frères, en disant: " A l'égard des viandes immolées aux idoles, nous savons qu'une idole n'est rien dans le monde ". Il fait encore de cette connaissance une chose commune, il ne veut pas qu'ils l'aient seuls, mais il l'étend à toute la terre. Ce n'est pas seulement chez vous, dit-il, mais c'est dans le monde entier que cette croyance est admise. Quelle croyance? " Qu'une idole n'est rien dans le monde, et qu'il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique ". Il n'y a donc pas d'idoles? point de statues? Il y en a, mais elles sont absolument impuissantes; ce sont des pierres et des démons, et non des dieux. Il s'adresse maintenant aux uns et aux autres, et à ceux qui sont plus grossiers et à ceux qui paraissent sages. Car, comme les uns ne voient rien au-delà de la pierre, et (421) que les autres croient qu'il y réside certaines vertus qu'ils appellent dieux : l'apôtre dit aux premiers qu'une idole n'est rien dans le monde, et aux seconds qu'il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique.

3. Voyez-vous qu'il n'écrit pas cela simplement pour établir un dogme, mais aussi pour constater une différence avec les gentils? Et c'est ce qu'il faut toujours observer chez lui, soit qu'il parle d'une manière absolue , soit qu'il s'adresse à des adversaires. Et cela ne contribue pas peu a rendre son enseignement précis et à nous donner l'intelligence de ses paroles. " Car, quoiqu'il y ait ce qu'on appelle des dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre (or il y a ainsi beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs), pour nous cependant il n'est qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses, et nous qu'il a faits pour lui; et qu'un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses sont et nous aussi par lui ". Comme il a dit qu'une idole n'est rien, qu'il n'y a pas d'autre Dieu, et que cependant il existait des idoles et ce qu'on appelait des dieux ; pour ne pas paraître aller contre l'évidence, il ajoute (si on les appelle dieux tels qu'ils sont, ils ne sont pas dieux, mais on leur donne ce nom : ils sont dieux de nom et non d'effet), il ajoute, dis-je : " Soit dans le ciel, soit sur la terre ". Dans le ciel il veut dire le soleil, la lune, et tout le choeur des astres, car les grecs les adoraient; sur la terre, il entend les démons et les hommes mis au rang des dieux. " Mais pour nous il n'est qu'un Dieu, le Père ". Après avoir d'abord dit, sans nommer le Père : " Il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique ", et avoir rejeté tout le reste, il ajoute le mot Père. Ensuite, comme preuve très-forte de divinité, il ajoute " De qui viennent toutes choses ". C'est en effet une preuve que les autres dieux ne sont pas dieux. Mort aux dieux qui n'ont pas fait le ciel et la terre ! Et ce qui suit n'est pas moins important : " Et nous qu'il a faits pour lui ".

En disant : " De qui viennent toutes choses", il veut parler de la création, de l'acte qui a donné l'existence à ce qui n'était pas; mais quand il dit: " Et nous qu'il a faits pour lui ", il tient le langage de la foi et exprime le lien propre qui nous unit à Dieu : vérité qu'il a déjà énoncée plus haut, en disant : " Et c'est de lui que vous êtes dans le Christ Jésus ". (I Cor. a, 30.) Car nous sommes à lui doublement: par la création et par la vocation à la foi, qui est aussi une création : ce qu'il exprime ailleurs en ces termes : " Pour des deux former en lui-même un seul homme nouveau (Eph. II, 15), et un seul Seigneur, " Jésus-Christ, par qui toutes choses sont, et nous aussi, par lui ". Il faut penser la même chose du Christ. Car c'est par lui que le genre humain a été tiré du néant, et ramené de l'erreur à la vérité. En sorte que ces mots : " De lui ", ne veulent pas dire dans le Christ puisque nous avons été faits de lui par le Christ. Il n'a donc pas attribué, comme par lot, au Fils le nom de Seigneur, au Père celui de Dieu. Car l'Ecriture prend souvent ces termes l'un pour l'autre, comme quand elle dit : " Le Seigneur a dit à mon Seigneur ", et encore : " C'est pour cela que Dieu, votre Dieu, vous a oint " (Ps. CIX et XLIV); et ailleurs : " Auxquels appartient selon la chair, le Christ, qui est Dieu au-dessus de toutes choses ". (Rom. IX, 5.) Souvent vous verrez ces mots pris l'un pour l'autre. S'ils étaient ici attribués comme lot propre à chaque nature, le Fils, en tant que Fils, ne serait pas Dieu, Dieu comme le Père. Après avoir dit : " Nous n'avons qu'un Dieu ", il eût été inutile d'ajouter " le Père ", pour indiquer celui qui n'a pas été engendré; il eût suffi de dire " Dieu ", si Paul n'avait pas eu d'autre but. On peut encore donner une autre raison.

Si vous prétendez que quand on parle d'un seul Dieu, ce mot " Dieu " ne s'applique pas au Fils, faites attention qu'on peut en dire autant à propos du Fils. En effet, il est appelé " un seul Seigneur " ; cependant nous ne disons pas que ce mot ne convient qu'à lui seul. En sorte que cette expression " un seul " a la même valeur pour le Fils que pour le Père; et comme, en disant que le Fils est le seul Seigneur, l'apôtre n'entend pas empêcher que le Père soit Seigneur comme le Fils; de même en disant que le Père est le seul Dieu., il n'entend pas que le Fils n'est pas Dieu comme le Père. Que si quelques-uns disaient: Pourquoi ne fait-il aucune mention de l'Esprit, nous répondrions qu'il s'adressait aux idolâtres et qu'il s'agissait de savoir s'il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs. Voilà pourquoi il a appelé le Père Dieu, et le Fils Seigneur. Si donc il n a pas osé appeler le Père Seigneur en même temps que le Fils, pour ne (422) pas être soupçonné par eux d'admettre deux seigneurs, ni appeler le Fils Dieu en même temps que le Père, pour ne pas paraître croire à deux dieux: pourquoi vous étonnez-vous qu'il n'ait pas fait mention de l'Esprit? En ce moment il avait affaire aux païens, et devait leur faire voir que nous n'admettons pas la pluralité des dieux. Aussi répète-t-il sans cesse: " Un seul. Il n'y a pas d'autre dieu que " le seul Dieu " ; et encore: " Nous n'avons qu'un Dieu et qu'un Seigneur ". II est donc clair que c'est par ménagement pour la faiblesse de ses auditeurs qu'il emploie ces manières de parler, et pour cela aussi qu'il ne mentionne pas l'Esprit ; autrement il n'eût point dû en parler ailleurs, et le joindre au Père et au Fils. Car si l'Esprit. est séparé du Père et du Fils, il fallait encore bien moins le nommer au baptême avec le Père et le Fils; là où la majesté divine apparaît surtout et où l'on reçoit des dons qu'il n'appartient qu'à Dieu d'accorder.

4. Je viens de dire la raison pour laquelle le Saint-Esprit est ici passé sous silence; dites-nous, si cela n'est pas, pourquoi, dans le baptême, on le joint au Père et au Fils? Vous n'avez pas d'autre raison à donner, si ce n'est qu'il est leur égal en honneur. Mais quand Paul n'a plus le même motif, voyez comme il joint son nom aux deux autres: " Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ et la charité de Dieu le Père et la communication du Saint-Esprit soit avec vous tous ". (II Cor. XIII, 13.) Et encore: " Il y a des grâces diverses, mais c'est le même Esprit; il y a diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur;et il y a des opérations diverses, mais c'est le même Dieu ". (I Cor. XII , 4, 5, 6.) Mais comme il s'adressait aux gentils et à d'autres plus faibles encore que les gentils, il use de réserve et passe le mot sous silence; comme font les prophètes à propos du Fils qu'ils ne nomment nulle part ouvertement, à cause de la faiblesse de ceux qui les écoutent. " Mais cette science n'est pas en tous ". Quelle science? Celle de Dieu , ou celle qui regarde les viandes immolées aux idoles? Il fait ici allusion ou aux gentils qui reconnaissaient plusieurs dieux et seigneurs et ne connaissaient pas le véritable, ou à d'autres qui, plus faibles que les grecs, ne savaient pas encore clairement que les idoles ne sont pas à craindre et qu'une idole n'est rien dans ce monde. Après avoir dit cela, il les console et les rassure peu à peu. Il n'était pas à propos de toucher à tous les points, surtout quand il avait à les attaquer encore plus vivement.

" Car même jusqu'à cette heure, quelques-uns, dans la persuasion de la réalité de l'idole, mangent des viandes comme ayant été offertes à l'idole; ainsi leur conscience, qui est faible , s'en trouve souillée ". Ils ont, dit-il, encore peur des idoles. Ne me parlez pas de l'état présent des choses, ne me dites pas que vous avez reçu de vos ancêtres la vraie religion; mais reportez votre pensée à ces temps, songez que la, prédication était récemment établie , que l'impiété dominait encore, que les autels fumaient toujours, que les sacrifices et les libations se pratiquaient encore, que les gentils étaient en majorité , qu'ils avaient reçu leur culte impie de leurs ancêtres, qu'ils descendaient de pères, d'aïeux, de bisaïeux païens, qu'ils avaient beaucoup souffert de la part des démons , qu'ils n'étaient changés que depuis peu : et figurez-vous dans quelle situation ils devaient être, comme ils devaient craindre et redouter les piéges des démons. C'est à eux que l'apôtre fait allusion, quand il dit: " Mais quelques-uns, dans la persuasion que les viandes ont été immolées aux idoles ". Il ne les indique pas ouvertement de peur de les blesser, il ne néglige cependant pas d'en parler, mais d'une manière indéfinie, en disant: " Car même jusqu'à cette heure, quelques-uns, dans la persuasion que la viande a été immolée aux idoles; la mangent comme telle ". C'est-à-dire, dans le même esprit qu'autrefois. " Et leur conscience; qui est faible, s'en trouve souillée ", parce qu'elle n'a pas encore la force de mépriser les idoles et d'en rire , mais qu'elle reste dans le doute. Ils éprouvent ce qu'éprouverait quelqu'un qui , en touchant un mort, croirait se souiller à la manière des Juifs; puis voyant les autres le toucher avec une conscience pure , se souillerait néanmoins parce qu'il ne serait pas dans les mêmes dispositions. " Jusqu'à cette heure , quelques-uns dans la persuasion de la réalité de l'idole ". Ce n'est pas sans raison qu'il dit : " Jusqu'à cette heure ", mais pour prouver qu'on n'a rien gagné à ne pas user de condescendance. Car ce n'était pas ainsi qu'il fallait les amener, mais d'une autre manière, par la persuasion de la parole et de l'enseignement. " Et leur (423) conscience, qui est faible, s'en trouve souilée".

Il ne parle nulle part de la nature de la chose, mais toujours et partout de la conscience de celui qui y prend part. Il craint de blesser et d'affaiblir le fort, en voulant corriger le faible. C'est pourquoi il ménage autant l'un que l'autre. Il ne veut pas qu'on croie rien de semblable, mais il s'étend longuement pour enlever jusqu'au moindre soupçon là-dessus. " Ce ne sont point les aliments qui nous recommandent à Dieu. Car si nous mangeonsnous n'aurons rien de plus; et si nous ne mangeons pas, nous n'aurons rien de moins ". Voyez-vous comme il rabat encore leur orgueil? Après avoir dit qu'ils ne sont pas seuls à avoir la science , mais que tous l'ont; que personne ne sait rien comme il faut le savoir, puis que la science enfle ; ensuite , après les avoir consolés, en disant que tous n'ont pas la science, qu'il en est qui se trouvent souillés, par suite de leur faiblesse, de peur qu'on ne dise: que nous importe si tous n'ont pas la science? pourquoi un tel ne l'a-t-il pas? pourquoi est-il faible? de peur, dis-je, qu'on ne lui fasse ces objections, il n'en vient pas immédiatement à prouver qu'il faut s'abstenir pour ne pas scandaliser le faible; mais, préludant de loin à cette idée, il en traite d'abord une plus importante. Laquelle? qu'il ne faut pas faire cela, quand même personne n'en souffrirait, quand même le prochain n'en serait pas entraîné à sa ruine; car ce serait faire une chose inutile. En effet, celui qui sait que son action est nuisible à un autre mais profitable pour lui, n'est pas très-disposé à s'en abstenir; mais il n'y a pas de peine, quand il s'aperçoit qu'il n'a aucun avantage à en retirer. Voilà pourquoi Paul dit tout d'abord : " Ce ne sont point " les aliments qui nous recommandent à Dieu ". Voyez-vous comme il réduit à rien ce qui semblait le fruit d'une science parfaite ? " Car si nous mangeons, nous n'aurons rien de plus "; c'est-à-dire, nous n'en serons pas plus agréables à Dieu, comme si nous avions fait quelque chose de bon et dé grand. " Et si nous ne mangeons pas, nous n'aurons rien de moins", c'est-à-dire, nous n'aurons rien perdu. Il prouve ainsi d'abord que c'est une chose superflue , que ce n'est rien: car ce qui ne sert à rien quand on le fait, et ne nuit pas quand on l'omet, est évidemment superflu.

5. Ensuite il va plus loin et montre que la chose est nuisible. Il parle du tort qui en résulte pour les frères. " Mais prenez garde que cette liberté que vous avez ne soit une occasion de chute pour ceux de vos frères qui sont faibles ". Il ne dit pas: La liberté que vous avez est une occasion de chute , il ne le décide même pas, pour ne pas les rendre plus audacieux. Que dit-il donc? " Prenez garde ", pour les épouvanter et en même temps les faire rougir et les amener à s'abstenir. Il ne dit point non plus: Votre science, ce qui semblerait un éloge; ni : votre perfection, mais: " La liberté que vous avez ": ce qui indique mieux la témérité, l'orgueil et la présomption. Il ne dit point: A vos frères, mais: " A ceux de vos frères qui sont faibles " ; aggravant ainsi l'accusation , puisqu'ils n'ont point d'égards pour les faibles, même d'entre leurs frères. Vous ne corrigez pas , vous n'excitez pas au bien, soit ! mais pourquoi supplantez-vous , pourquoi faites-vous tomber, quand vous devriez tendre la main ? Vous ne voulez pas aider, du moins ne renversez pas. Si votre frère était méchant , il aurait besoin de punition ; il est faible, il n'a besoin que de remèdes. Et il n'est pas seulement faible , il est encore votre frère. " Car si quelqu'un vous voit, vous qui avez la science, assis à table dans un temple d'idoles, sa conscience , qui est faible, ne le portera-t-elle pas à manger des viandes sacrifiées? " Après avoir dit : " Prenez garde que cette liberté que vous avez ne soit une occasion de chute " , il fait voir comment cela peut arriver. Partout il parle de faiblesse pour qu'on ne croie pas que la chose est nuisible par elle-même et que les démons sont à craindre. Votre frère, dit-il, est sur le point de renoncer complètement aux idoles; mais, en voyant que vous vous plaisez dans leurs temples, il prend cela pour une leçon et continue à y aller. Ainsi donc le piège ne vient pas seulement de sa faiblesse, mais aussi de votre conduite déplacée ; vous le rendez plus faible.

" Ainsi , par vos aliments , périra un faible , votre frère , pour qui le Christ est mort ". Deux choses, là , rendent votre faute inexcusable : il est faible et c'est votre frère. L'apôtre en ajoute une troisième , la plus terrible de toutes. Laquelle? C'est que le. Christ a daigné mourir pour lui , et que vous , vous n'avez point d'égards pour sa faiblesse. Par là Paul rappelle à celui qui est parfait ce qu'il était autrefois , et que le Christ est aussi mort pour (424) lui. Il ne dit pas: Pour qui vous devriez mourir, mais, ce qui est bien plus: " Pour qui le Christ est mort ". Et, quand votre Maître a consenti à mourir pour lui, vous n'en tenez aucun compte, au point de ne pas même vous abstenir, à cause de lui, d'un repas criminel; au point de le laisser périr, après qu'il a été racheté à ce prix; et cela (ce qu'il y a de pire), pour des aliments? Il ne dit pas: A cause de votre perfection , ni : à cause de votre science, mais : pour des aliments. Voilà donc quatre chefs d'accusation , et des plus graves : C'est votre frère, il est faible, le Christ l'a estimé jusqu'à mourir pour lui , et, après tout, des aliments sont l'occasion de sa perte. " Or, péchant de la sorte contre vos frères et blessant leur conscience faible, vous péchez contre le Christ ". Voyez-vous comme il a amené, insensiblement et peu à peu, ce péché à sa plus haute expression ? Il revient encore sur la faiblesse. Il fait retomber sur leur tête tout ce qu'ils croyaient être à leur avantage. Il ne dit pas: Scandalisant, mais: " Blessant ", pour faire ressortir leur cruauté par l'énergie du terme. Car quoi de plus cruel qu'un homme qui frappe un malade? Or le scandale est la plus grave des blessures : souvent il entraîne la mort.

Et comment pèchent-ils contre le Christ? D'abord parce que le Christ regarde comme siens les intérêts de ses serviteurs ; secondement, parce que ceux qu'on blesse, appartiennent à son corps et à ses membres; en troisième lieu , parce qu'ils détruisent, par ambition personnelle, son ouvrage, ce qu'il a édifié au prix de sa propre mort. " C'est pourquoi, si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair ". Il parle ici comme un maître excellent qui pratique lui-même ce qu'il enseigne. Il ne dit pas : à raison ou à tort, mais : de quelque manière que ce soit. Je ne parle pas, leur dit-il, de la viande immolée aux idoles, qui est interdite pour d'autres raisons : mais si quelque autre chose , d'ailleurs permise et en mon pouvoir, devient un sujet de scandale, je m'en abstiendrai, non pas un jour ou deux, mais pendant toute ma vie : "Je ne mangerai jamais de chair ". Il ne dit pas : de peur de donner la mort à mon frère, mais simplement pour ne pas le scandaliser. Car c'est le comble de la démence de mépriser des êtres si chers au Christ, pour lesquels il a voulu mourir, de les mépriser, dis-je, jusqu'au point de ne pas vouloir s'abstenir d'aliments à cause d'eux. Et ceci ne s'adresse pas seulement aux Corinthiens, ruais aussi à nous, qui dédaignons le salut de notre prochain et tenons ce langage diabolique. Car dire : que m'importe, si un tel se scandalise et se perd? C'est montrer l'inhumanité et la cruauté de Satan. Alors le scandale provenait de la faiblesse de quelques-uns; chez nous, il n'en est pas de même. Car nous commettons des fautes qui scandalisent même les forts. En effet, quand nous frappons, quand nous volons, quand nous nous livrons à l'avarice, que nous traitons des hommes libres comme des esclaves, qui n'en est pas scandalisé? Ne me dites pas que l'un est savetier, l'autre teinturier, un troisième maréchal; souvenez-vous que ce sont des fidèles et vos frères. Nous sommes les disciples de pêcheurs, de publicains, de fabricants de tentes : de celui qui fut nourri dans la maison d'un artisan , et daigna avoir son épouse pour mère; qui, enveloppé de langes, fut couché dans une crèche; qui n'eut pas où reposer sa tête, qui marcha jusqu'à se fatiguer, et fut nourri par des étrangers.

6. Pensez à cela et croyez que le faste humain n'est rien; que le fabricant de tentes est votre frère , comme celui qui est monté sur un char, a ses domestiques et se fait faire place dans les rues, et l'est même plus que lui. Car il semble que celui-là est plus justement appelé frère, qui se rapproche de vous davantage. Et qui ressemble le plus aux pêcheurs? Est-ce celui qui vit de son travail quotidien, qui n'a ni domestique ni domicile, mais est de tout côté accablé par la croix; ou celui qui est environné d'un si grand faste, et agit contrairement aux lois de Dieu? Ne méprisez donc pas celui qui est le plus votre frère : car il est le plus rapproché du modèle des apôtres. — Ce n'est pas volontairement, dites - vous , mais malgré lui ; car il travaille bien à contre-coeur. — Pourquoi dites-vous cela? N'avez-vous pas entendu l'ordre : " Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés ! " (Matth. VII, 1. ) Et pour convaincre qu'il ne travaille pas malgré lui, approchez et offrez-lui dix mille talents d'or; vous verrez qu'il les refusera. Si donc, bien qu'il n'ait point reçu les richesses de ses ancêtres, il les refuse néanmoins quand on les lut offre,, et n'ajoute rien à ce qu'il. possède, il (425) donne une grande preuve de son mépris pour la fortune. Jean était fils du pauvre Zébédée ; nous ne dirons cependant pas que sa pauvreté n'était point volontaire. Ainsi, quand vous voyez un homme couper du bois, manier le marteau, tout couvert de suie , ne le méprisez pas pour cela; admirez-le plutôt : car Pierre avait repris sa ceinture, ses filets et son métier de pêcheur, après la résurrection du Seigneur. Et que parlé-je de Pierre? Paul, après avoir parcouru tant de contrées, opéré tant de miracles, se tenait dans son atelier de fabricant de tentes et cousait des peaux; et les anges le vénéraient et les démons le redoutaient; et il n'avait pas honte de dire : " Ces mains ont pourvu à mes besoins, et aux besoins de ceux qui étaient avec moi ". Que dis-je? il n'avait pas de honte ! Il s'en glorifiait.

Mais, direz-vous, qui est aujourd'hui vertueux comme Paul? — Personne, je le sais; mais ce n'est pas une raison pour mépriser les vertus d'aujourd'hui. Un fidèle que vous honorez en vue du Christ, fût-il au dernier rang, est digne d'être honoré. En effet, si deux hommes, l'un général et l'autre simple soldat, tous les deux aimés du roi, venaient chez vous et que vous leur ouvrissiez votre porte, dans lequel des deux penseriez-vous le plus honorer le prince? Evidemment c'est dans le soldat. Car le général, en dehors de l'amitié du roi , se recommande par d'autres titres à vos égards; tandis que le simple soldat n'en a pas d'autre que l'amitié du roi. Aussi Dieu nous ordonne-t-il d'inviter à nos festins les boiteux, les estropiés, ceux qui ne peuvent rien donner en- retour, parce que ce sont là des bienfaits accordés uniquement en vue de Dieu. Mais si vous accordez l'hospitalité à un grand , à un homme illustre, l'aumône n'est pas aussi pure ; souvent la vaine gloire, l'avantage qui vous en revient, l'éclat qui en rejaillit sur vous aux yeux de la foule, y entrent pour quelque chose. J'en pourrais nommer beaucoup qui courtisent les plus illustres des saints , afin d'obtenir par leur intermédiaire plus de crédit chez les princes, et servir ainsi leurs propres intérêts et ceux de leurs maisons : ils sollicitent de ces saints. beaucoup de services; et par là ils perdent le mérite de leur hospitalité. Mais à quoi bon parler ici des saints ? Celui qui attend de Dieu même ici-bas la récompense de ses travaux et pratique la vertu en vue d'avantages présents , diminue sa récompense. Celui au contraire qui ne désire sa couronne que dans l'autre vie, est bien plus digne d'éloges : comme Lazare, qui y jouit de tous les biens; comme les trois enfants qui, sur le point d'être jetés dans la fournaise; disaient : " Il y a dans le ciel un Dieu qui peut nous sauver; que s'il ne le fait pas, sachez, ô roi, que nous n'honorons pas vos dieux, et que nous n'adorons pas la statue d'or que vous avez dressée ". (Dan. III, 17.) Comme Abraham qui amena et immola son fils , et cela sans espoir de récompense, ou plutôt en regardant comme une très-grande récompense d'obéir à Dieu. Imitons-les. En agissant dans ce but, nous recevrons de grands biens en échange et de plus brillantes couronnes. Puissions-nous les obtenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la grâce, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

HOMÉLIE XXI. NE SUIS-JE PAS APÔTRE? NE SUIS-JE PAS LIBRE? N'AI-JE PAS VU JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR? N’ÊTES-VOUS PAS MON OEUVRE DANS LE SEIGNEUR? (CHAP. IX, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 12)
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ANALYSE

1. Paul confirme, par son propre exemple, la doctrine exposée dans le chapitre précédent, savoir qu'il de ce qui est permis en soi par charité pour ses frères.

2. Saint Paul a les mêmes droits que les autres apôtres": s'il n'en use pas, c'est qu'il le veut bien.

3. Que l'apôtre a le droit de recevoir le pain matériel de ceux qu'il nourrit du pain spirituel.

4. Si Paul n'a rien voulu recevoir, ç'a été pour ne pas mettre d'obstacle à l'Evangile.

5. Contre les avares.

6. Qu'on doit faire l'aumône généreusement. — Revenus de l'Eglise d'Antioche distribués aux pauvres.

7. Les fautes de nos pasteurs ne nous excuseront pas.

1. Il avait dit : " Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair " ; ce qu'il ne faisait pas, mais ce qu'il promettait de faire, s'il en était besoin; et de peur qu'on ne dît : — Vous vous vantez mal à propos, vous êtes sage en paroles et de bouche seulement, ce qui n'est difficile ni à moi ni à personne; si vous êtes sincère, faites-nous voir en fait ce que vous rejetez pour ne pas scandaliser un frère ; pour éviter, dis-je, cette objection, il est obligé d'en venir à la preuve et de dire à quelles choses permises il a renoncé, sans qu'aucune loi l'exigeât. Jusque-là rien de merveilleux peut-être; quoiqu'on doive admirer qu'il se soit abstenu de choses licites, non-seulement pour éviter le scandale, mais encore avec beaucoup de difficultés et de périls. Que faut-il dire des viandes immolées aux idoles? demande-t-il. Quoique le Christ ait établi que ceux qui prêchent l'Evangile doivent vivre de leur ministère, je ne l'ai cependant pas fait; j'ai préféré mourir de faim, s'il était nécessaire, subir la mort la plus cruelle , plutôt que de rien recevoir de ceux que j'instruisais. Non que les fidèles se fussent scandalisés, s'il eût accepté quelque chose de leur part; mais il fallait les édifier, ce qui était beaucoup plus important. Et il appelle en témoignage ceux chez qui il a travaillé et souffert de la faim : nourri chez des étrangers, il a vécu dans la pénurie, pour ne pas scandaliser, bien que le scandale eût été sans fondement, puisqu'il n'aurait fait qu'accomplir la loi du Christ; mais il avait pour eux des ménagements à l'excès. Or, s'il agissait ainsi sans que la loi l'y obligeât, afin d'éviter le scandale; s'il s'abstenait de choses permises, pour l'édification des autres : quels châtiments mériteront ceux qui ne s'abstiennent pas de viandes immolées aux idoles, quand c'est une occasion de ruine pour un grand nombre , et qu'ils devraient le faire même en dehors de tout scandale, puisque c'est la table des démons? C'est là le point principal et qu'il traite en bien des versets. Mais il faut reprendre les choses de plus haut. Comme je l'ai déjà dit : il ne s'explique point clairement là-dessus, il n'entre point immédiatement en matière ; mais il commence d'une autre façon , et par ces mots : " Ne suis-je pas apôtre ? " Après tout ce qui a été dit, ce n'est pas une chose indifférente que ce soit Paul qui ait fait cela. De peur qu'on ne dise Il est permis d'en manger après s'être signé, il n'insiste pas là-dessus d'abord, mais il dit quand cela serait permis , il ne faudrait pas le faire à cause du mal que cela cause à vos frères , et ensuite il prouve que cela n'est pas (427) permis: d'abord par son propre exemple; comme il va dire qu'il n'a rien reçu d'eux, il ne commence pas par là, mais il parle d'abord de sa dignité: " Ne suis-je pas apôtre? ne suis-je pas libre? " Pour qu'on ne dise pas: Si vous n'avez rien reçu, c'est que vous n'aviez pas droit de rien recevoir, il expose d'abord les raisons pour lesquelles il aurait eu le droit de recevoir, s'il l'avait voulu.

Ensuite pour ne pas paraître, en disant cela, incriminer Pierre et ceux qui l'entouraient (car eux recevaient), il prouve d'abord qu'ils avaient droit de recevoir ; puis, pour qu'on ne dise pas que Pierre avait ce droit et que lui ne l'avait pas, il prévient l'esprit de l'auditeur par ses propres louanges. Et considérant qu'il était nécessaire de faire son éloge (c'était le moyen de corriger les Corinthiens) et ne voulant d'ailleurs rien dire de trop, mais simplement ce qui suffisait à son but, voyez comme il sait ménager ce double point, en se louant lui-même , non autant qu'il l'aurait pu en conscience, mais dans la mesure que la circonstance demandait. Il pouvait dire en effet J'avais le droit de recevoir plus que tous les autres, parce que j'ai travaillé plus qu'eux; ruais il ne lier t pas ce langage qui serait trop haut; il se contente de poser les principes qui faisaient la grandeur des apôtres et leur droit à recevoir, en disant: " Ne suis-je pas apôtre? ne suis-je pas libre ? " C'est-à-dire: Ne suis-je pas maître de moi-même? suis-je sous la dépendance de quelqu'un qui me fasse violence et m'empêche de recevoir? - Mais eux ont quelque chose de. plus que vous: ils ont été avec le Christ. — Mais cet avantage , je l'ai eu aussi. C'est ce qui lui fait dire : " N'ai-je pas vu Jésus-Christ Notre-Seigneur? Après tous les autres, il s'est fait voir aussi à moi comme à l'avorton ". (I Cor. XV, 8.) Ce n'était pas là un mince honneur. " Car beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu ". (Match. XIII, 17.) " Des jours viendront où vous désirerez voir un seul de ces jours ". (Luc, XVII, 22.) — Mais quoi ! quand vous seriez apôtre et libre et que vous auriez vu le Christ , quel droit auriez-vous de recevoir si vous ne pouvez montrer l'ouvrage d'un apôtre ? Voilà pourquoi il ajoute: " N'êtes-vous pas mon oeuvre dans le Seigneur?" Voilà le grand point sans cela le reste est inutile. Car Judas était apôtre, était libre et avait vu le Christ: mais comme il ne fit pas oeuvre d'apôtre, tout cela ne lui servit à rien. Voilà pourquoi Paul ajoute ces mots, et appelle les Corinthiens eux-mêmes en témoignage. Et comme il venait d'exprimer une grande chose , voyez quel correctif il y met , en disant : " Dans le Seigneur " ; c'est-à-dire, vous êtes l'oeuvre de Dieu et non la mienne. " Si pour d'autres je ne suis pas apôtre , je le suis cependant pour vous ".

2. Voyez-vous comme il ne dit rien de trop? Pourtant il pouvait parler du inonde entier, des nations barbares, de la terre, de la mer; il n'en dit pas un mot, et prouve sa thèse victorieusement, surabondamment et comme en passant. A quoi bon, dit-il, produire des arguments superflus, quand ceci suffit pour le sujet actuel ? Je ne cite point des succès obtenus chez d'autres; vous avez été témoins de ceux dont je parle. En sorte que n'eusse-je eu ailleurs aucun droit de recevoir, du moins je l'aurais eu chez vous. Et pourtant je n'ai rien reçu de ceux chez qui j'avais le plus droit de recevoir (car j'ai été votre maître). " Si pour d'autres je ne suis pas apôtre , je le suis cependant pour vous". De nouveau il parle en abrégé ; car il était l'apôtre du monde entier. Et pourtant, dit-il, je n'en parle pas, je ne conteste pas, je ne réclame pas : je parle de ce qui vous concerne. " Vous êtes le sceau de mon apostolat ", c'est-à-dire la preuve. Si quelqu'un veut savoir mon titre à l'apostolat, je vous nomme ; chez vous j'ai donné tous les signes de l'apostolat, sans en omettre aucun c'est ce qu'il répète dans sa seconde épître " Quoique je ne sois rien, les marques de mon apostolat ont été empreintes sur vous par une patience à l'épreuve de tout, par des miracles , des prodiges et des vertus ". (II Cor. XII, 11, 12.) Qu'avez-vous eu de moins que les autres églises? Aussi dit-il : " Vous êtes le sceau de mon apostolat ". Car je vous ai fait voir des signes, je vous ai instruits par la parole, j'ai couru des dangers, j’ai mené une vie irréprochable. On peut voir tout cela dans ces deux épîtres, où il leur explique ces choses dans le plus grand détail.

" Ma défense contre ceux qui m'interrogent, la voici ". Qu'est-ce que cela veut dire : "Ma défense contre ceux qui m'interrogent, la voici ? " A ceux qui veulent savoir comment je suis apôtre, ou à ceux qui m'accusent d'avoir reçu de l'argent, ou à ceux qui rue demandent pourquoi je n'en reçois pas, ou à ceux qui (428) veulent prouver que je ne suis point apôtre à tous ceux-là je donne pour preuve et pour justification l'instruction que vous avez reçue et les choses que je vais dire. Et quelles sont ces choses? " N'avons-nous pas le pouvoir de manger et de boire? N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme soeur? " Et comment est-ce là une apologie? Parce que quand on me voit m'abstenir de choses permises, il n'est pas juste de me soupçonner d'être un imposteur ou de travailler pour le lucre. Donc ce que j'ai dit plus haut, et l'instruction que vous avez reçue, et ce que je viens de dire tout à l'heure, suffisent à me justifier à vos yeux ; voilà mon point d'appui contre ceux qui m'interrogent; je leur dis cela et ceci encore : " N'avons-nous pas le pouvoir de manger et de boire? N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme soeur? " Et quoique j'en aie le pouvoir, je m'en abstiens. Quoi donc ! Ne mangeait-il pas? Ne buvait-il pas? Souvent certes il ne mangeait ni ne buvait; car il dit : " Nous étions dans la faim et la soif, dans le froid et la nudité ". (IICor. XI, 27.) Ici pourtant il ne le dit pas. Mais que dit-il? Ce que nous mangeons et ce que nous buvons, nous ne le recevons pas de nos disciples, bien que nous en ayons le pouvoir. " N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme soeur, comme les autres apôtres et les frères du Seigneur et Céphas? "

Voyez sa sagesse ! il place en dernier lieu le coryphée, le chef fort entre tous les chefs. II était en effet moins étonnant de voir faire cela aux autres, qu'au premier de tous , à celui à qui ont été confiées les clefs du royaume des cieux. Du reste il ne le cite pas seul, mais tous les autres avec lui, comme pour dire : Cherchez en haut, cherchez en bas, vous trouverez que tous en donnent l'exemple. Car les frères du Seigneur, une fois délivrés de leur incrédulité, avaient pris rang parmi les plus illustres, quoiqu'ils ne fussent point parvenus au rang des apôtres. Aussi les place-t-il au milieu, entre les deux extrêmes. " Ou moi seul et Barnabé n'avons-nous pas le pouvoir de le faire? " Voyez son humilité ! Voyez comme son âme est exempte de jalousie ! Comme il ne passe point sous silence celui qu'il savait partager son zèle ! Sien effet tout le reste nous est commun , pourquoi non ceci encore? Comme eux nous sommes apôtres, nous sommes libres, nous avons vu le Christ, nous avons donné des preuves d'apostolat. Nous avons donc aussi le pouvoir de vivre dans le repos, et d'être nourris par les disciples. " Qui jamais fait la guerre à ses frais? " Après avoir donné, par-la conduite des apôtres, la plus forte preuve qu'il lui est permis d'agir ainsi, il en vint aux exemples, à l'usage commun , comme il a l'habitude de le faire. " Qui jamais fait la guerre à ses frais ? " Considérez comme les exemples qu'il choisit sont bien en rapport avec son sujet; comme il cite d'abord une carrière pleine de périls, la milice, les armes, la guerre. Car voilà ce qu'est l'apostolat et bien plus que cela encore. En effet, ils n'avaient pas seulement à combattre contre les hommes, mais contre les démons et le prince des démons. Son sens est donc: Ce que les rois du monde, bien que cruels et injustes, n'exigent pas, à savoir, que leurs soldats fassent la guerre, courent les dangers et néanmoins subsistent à leurs frais : comment le Christ l'exigerait-il ? Et il ne se borne pas à un seul exemple. Car l'esprit le plus simple et le plus épais est particulièrement satisfait quand il voit la coutume générale s'accorder avec les lois de Dieu.

3. Il passe donc à une autre comparaison et dit : " Qui plante une vigne et ne mange pas de son fruit? " Ici il désigne les dangers, les travaux, les misères de toute sorte, les sollicitudes. Il ajoute un troisième exemple, en disant : " Qui paît un troupeau et ne mange point du lait du troupeau ? " Il indique le soin extrême que met un maître à instruire ses disciples. Et en effet les apôtres étaient soldats, laboureurs et pasteurs, non laboureurs de terre, ni pasteurs d'animaux, ni soldats se battant contre des ennemis sensibles; mais pasteurs d'âmes raisonnables et soldats luttant contre les démons. Observons encore quelle mesure il garde en toute chose : se bornant à ce qui est utile et laissant le superflu. Il ne dit pas en effet : Qui fait la guerre et ne s'enrichit pas? mais : " Qui jamais fait la guerre à ses frais ? " Il ne dit pas: Qui plante une vigne et n'en recueille pas de l'or ou n'en mange pas tout le fruit? mais : " Et ne mange pas de son fruit? " Il ne dit pas: Qui paît un troupeau et n'en vend pas les agneaux ? mais que dit-il? " Et ne mange point de son lait?" Non pas de ses agneaux, mais de son lait: pour montrer que le maître doit se contenter d'une (429) légère consolation et du strict nécessaire en fait de nourriture. Ceci s'adresse à ceux qui veulent tout manger et recueillir tous les fruits. Telle est la loi posée par le Seigneur, quand il a dit : " L'ouvrier mérite sa nourriture ". (Matth. X, 10.) Non-seulement il le prouve par des exemples, mais il fait aussi voir ce que doit être un prêtre. Le prêtre doit avoir le courage du soldat , l'assiduité du laboureur, la vigilance du berger, et, après cela, se contenter du nécessaire.

Après avoir montré par l'exemple des apôtres, puis par des comparaisons tirées de la vie commune, qu'il n'est pas défendu à un maître de recevoir de ses disciples, il passe à un troisième point et dit : " N'est-ce pas selon l'homme que je dis ces choses? La loi même ne les dit-elle pas? " Jusqu'ici en effet il n'a point parlé d'après les Ecritures , et s'est contenté de s'appuyer sur l'usage commun. Mais ne pensez pas, dit-il, que ce soient là mes seules raisons , ni que je me règle d'après la coutume des hommes, je puis vous montrer que c'est là aussi la volonté de Dieu , et je lis ce commandement dans l'ancienne loi. Voilà pourquoi il procède par interrogation , ce qui a lieu quand la chose est connue et avouée de tous : " N'est-ce pas selon l'homme que je dis ces choses? " C'est-à-dire : Est-ce que je m'appuie uniquement sur des principes humains? " La loi même ne le dit-elle pas? Car il est écrit dans la loi de Moïse : Tu ne lieras pas la bouche au bœuf qui foule les grains ". Et pourquoi rappelle-t-il cela, puisqu'il a l'exemple des prêtres? C'est pour prouver surabondamment sors sujet. Ensuite pour qu'on ne dise pas : Que nous importe ce qu'on a pu dire des boeufs? Il entre dans le détail en disant : " Est-ce que Dieu a soin des boeufs? " Eh quoi? Dieu n'aurait pas soin des boeufs? Certainement et il en a soin , mais non au point de faire une loi pour eux. Aussi, s'il n'avait eu quelque chose d'important en vue, à savoir, de porter les Juifs à la bienfaisance et de leur parler de leurs prêtres à l'occasion des animaux, il n'eût pas pris la peine de faire une loi pour empêcher de lier la bouche aux boeufs.

Paul fait encore voir par là autre chose , les grands travaux auxquels les maîtres se livrent et doivent se livrer; puis une autre chose encore. Laquelle? Que tout ce qui est écrit dans l'Ancien Testament sur les soins à donner aux animaux , tend surtout à l'instruction des hommes , aussi bien que tout le reste, par exemple ce qu'on dit des divers vêtements, des vignes, des semences, de la terre dont il ne faut point changer la semence (1), de la lèpre, et de toute autre chose. Comme il s'adresse à des esprits encore trop grossiers, il cherche à les élever peu à peu. Et voyez comme il ne donne plus d'autre preuve, vu que la chose est évidente et claire par elle-même. Après avoir dit : " Est-ce que Dieu a soin des boeufs? " Il ajoute : " N'est-ce pas plutôt uniquement pour nous qu'il dit cela?" Ce n'est pas sans raison qu'il dit : " Uniquement ", pour ne pas laisser chez l'auditeur la moindre place ,à la contradiction. Et continuant sa métaphore il dit : " Car c'est pour nous qu'il a été écrit : Que celui qui laboure doit labourer dans l'espérance ", c'est-à-dire, que le maître doit recevoir le salaire de ses travaux. " Et celui qui bat le grain dans l'espérance d'y avoir part ". Et voyez sa prudence ! De la semaille il passe à l'aire, pour rappeler encore les travaux des maîtres, qui sèment aussi et battent le grain. Au labour, qui n'offre que le travail et point de fruit, il rattache seulement l'espérance; mais au battage dans l'aire il accorde un profit, en disant : " Et celui qui bat le grain a l'espérance d'y avoir part ".

4. Puis pour qu'on ne dise pas : Est-ce là le prix de si grands travaux? il ajoute : " Dans l'espérance ", à savoir l'espérance du bien à venir. Car la bouche de ce bœuf qui n'est pas liée ne crie pas autre chose sinon que les maîtres qui travaillent ont droit à une récompense. " Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous moissonnions de vos biens temporels?" Voilà encore un quatrième argument pour prouver qu'il faut fournir des aliments. Car après avoir dit : " Qui jamais fait la guerre à ses frais? " et : " Qui plante une vigne? " et : "Quel berger paît? " et parlé du bœuf qui foule le grain dans l'aire ; il produit une autre raison très-juste pour prouver qu'ils ont droit à recevoir : c'est que non-seulement ils ont travaillé, mais procuré des biens beaucoup plus considérables. Quelle est donc cette raison ? " Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous

1 Je suppose que c'est une allusion au texte de Lévitique, chap. XIX, 19.

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moissonnions de vos biens temporels ? " Voyez-vous ce motif plus juste encore et plus raisonnable que les premiers? Là, dit-il, la semence est matérielle, et le fruit matériel; ici, au contraire, la semence est spirituelle et la récompense matérielle. Pour que ceux qui fournissent des aliments à leurs maîtres n'en soient pas trop fiers, il leur prouve qu'ils reçoivent plus qu'ils ne donnent. Car ce que les laboureurs recueillent est de la même nature que ce qu'ils sèment; mais nous, nous semons de la semence spirituelle dans vos âmes et nous recueillons du matériel : car tel est l'aliment que l'on fournit. Ensuite, pour les faire encore mieux rougir : " Si d'autres ", leur dit-il, " usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi pas plutôt nous-mêmes? ." Nouvelle raison encore, empruntée aussi à des exemples, mais d'une nature différente. Car ici il ne parle plus de Pierre, ni des apôtres, mais de certains prédicateurs illégitimes, qu'il combattra plus tard et dont il dira : " Si on vous dévore, si on prend votre bien, si on vous traite avec hauteur, si on vous déchire le visage " (II Cor. XI, 20) ; et contre lesquels il escarmouche déjà. Aussi ne dit-il pas : Si d'autres reçoivent de vous; mais pour montrer leur orgueil, leur esprit tyrannique, leurs vues intéressées, il dit : " Si d'autres usent de " ce pouvoir à votre égard ", c'est-à-dire, vous dominent, exercent le pouvoir, vous traitent comme des serviteurs, et ne se contentent pas de recevoir, mais y mettent une grande ardeur et agissent d'autorité. C'est pourquoi il ajoute : " Pourquoi pas plutôt nous-mêmes ? " Ce qu'il n'aurait pas dit s'il se fût agi des apôtres. Il est évident qu'il a en vue certains personnages dangereux et imposteurs. Ainsi donc, indépendamment de la loi de Moïse, vous avez vous-mêmes prescrit par une loi de fournir des aliments.

Mais après avoir dit : " Pourquoi pas plutôt nous-mêmes? " il ne s'attache point à en donner ta raison; il se contente de s;en remettre pour la preuve à leur propre conscience, voulant tout à la fois les effrayer et les faire rougir .davantage. " Cependant nous n'avons point usé de ce pouvoir ", c'est-à-dire, nous n'avons rien reçu. Voyez-vous comment, après avoir d'abord prouvé par tant de raisons qu'il n'est point contraire à la loi de recevoir, il dit à la fin : Nous n'avons rien reçu, pour ne pas paraître s'en être abstenu par nécessité? En effet, il ne dit pas : Je ne reçois rien, parce que cela est défendis ; car cela est permis, comme je l'ai démontré par bien des preuves : par l'exemple des apôtres ; par le cours ordinaire de la vie; par le fait du soldat, du laboureur, du berger; par la loi de Moïse; par la nature même des choses, puisque nous avons jeté en vous des semences spirituelles ; par ce que vous avez fait à l'égard des autres. Mais comme il a dit tout cela pour ne pas avoir l'air de jeter du blâme sur la conduite des apôtres qui recevaient, et pour les faire rougir et leur montrer qu'il ne s'abstient pas de la chose parce qu'elle est défendue: de même, pour ne pas paraître n'avoir donné ces preuves détaillées et ces nombreux exemples pour démontrer qu'il est permis de recevoir, qu'afin de demander à recevoir lui-même, il apporte aussitôt un correctif. Plus bas il dit en termes plus clairs : " Je n'écris donc pas ceci pour qu'on en use ainsi envers moi " ; mais ici, il se contente de dire: " Cependant nous n'avons pas usé de ce pouvoir ".

Et ce qu'il y a de plus important, c'est que personne ne peut dire que nous n'en avons pas usé parce que nous étions dans l'abondance, puisque nous n'avons pas même cédé à la nécessité quand elle nous pressait; ce qu'il exprime encore dans la seconde épître, en ces termes: " J'ai dépouillé les autres églises en recevant ma subsistance pour vous servir; et quand j'étais près de vous et que je me trouvais dans le besoin, je n'ai été à charge à personne ". (II Cor. XI, 8, 9.) Et dans celle-ci: " Nous avons faim, nous avons soif, nous sommes nus , nous sommes souffletés ". (I Cor. IV, 11.) Et encore cette allusion : " Mais nous souffrons tout " ; car en disant : " Nous souffrons tout ", il entend parler de la faim, d'une grande pénurie et de toutes les autres misères. Et pourtant, veut-il dire, rien de cela ne nous a fait violer la loi que nous nous sommes imposée. Pourquoi ? " Pour ne pas mettre d'obstacle à l'Evangile du Christ ". Comme les Corinthiens étaient encore trop faibles Pour ne pas vous choquer en recevant de vous, leur dit-il, nous avons mieux aimé faire plus qu'il n'est commandé, que de mettre un obstacle quelconque à l'Evangile, c'est-à-dire, à votre instruction. Si donc, malgré le pouvoir que nous en avions, malgré la pressante nécessité où nous étions placés, et l'exemple des apôtres, nous ne l'avons pas fait. " Pour ne (431) pas mettre d'obstacle " (il ne parle pas de ruine, mais " d'obstacle ", et non pas simplement d'obstacle, mais " d'un obstacle quelconque ", ce qui veut dire pour ne pas apporter le moindre retard au cours de la parole) ; si nous avons déployé un tel zèle, à combien plus forte raison vous qui êtes à une si grande distance des apôtres, qui n'êtes autorisés par aucune loi, et qui touchez à des choses non-seulement défendues, mais très-nuisibles à l'Evangile, à combien plus forte raison devez-vous vous en abstenir, non-seulement à cause de l'obstacle qui en résulte, mais parce que vous n'y voyez vous-mêmes aucune nécessité? Car dans tout ce discours il s'adresse à ceux qui scandalisaient leurs frères trop faibles en mangeant des viandes immolées aux idoles.

5. Ecoutons aussi ce langage, mes bien-aimés; ne méprisons pas ceux qui se scandalisent, ne mettons point d'obstacle à l'Evangile du Christ, ne manquons pas notre propre salut. Quand un frère est scandalisé, ne venez pas me dire : Telle et telle chose dont on se scandalise, n'est pas défendue; elle est permise. Je vais plus loin, moi : Quand même le Christ en personne vous l'aurait permise, si vous voyez que quelqu'un en souffre, abstenez-vous-en, n'usez pas de la permission. C'est ce que Paul a fait en ne recevant rien, quand le Christ lui permettait de recevoir. Car notre Maître est bon : il a mêlé beaucoup de douceur à ses commandements, afin que nous .n'agissions seulement par ordre, mais beaucoup par notre propre volonté. Si telle n'eût pas été son intention, il aurait pu insister davantage sur ses commandements et dire : Qu'on punisse celui qui ne jeûne pas, qu'on inflige un châtiment à celui qui ne garde pas la virginité; que celui qui ne se dépouille pas de tout ce qu'il possède soit livré au dernier supplice. Il ne l'a point fait, pour vous laisser la faculté de tendre au plus parfait, si vous en avez le désir. Voilà pourquoi il disait, en parlant de la virginité : " Que celui qui peut comprendre, comprenne " (Matth. XIX, 12) ; et pourquoi aussi il a commandé au riche certaines choses, en laissant le reste à son libre arbitre. En effet, il n'a pas dit : Vendez ce que vous avez ; mais " Si vous voulez être parfait, vendez ".(Id. 21.) Mais nous, bien loin d'aspirer à la perfection et de dépasser les commandements, nous restons bien au-dessous de ce qui est exigé. Et Paul souffrait la faim pour ne pas mettre d'obstacle à l'Evangile; et nous n'osons pas même toucher aux objets que nous avons mis de côté, bien que nous voyons beaucoup d'âmes se perdre. Que la teigne les ronge, dit-on, mais non le pauvre; qu'ils soient la proie des vers plutôt que de revêtir celui qui est nu; que le temps détruise tout, mais que le Christ meure de faim.

Et qui tient ce langage? direz-vous. C'est une chose bien terrible que l'on parle ainsi, non de bouche, mais par les faits. On serait moins coupable de le dire que de le faire. Est-ce que ce n'est pas là ce que l'avarice, ce tyran cruel et inhumain, crie chaque jour à ses victimes ? Donnez à manger aux calomniateurs, aux voleurs, aux amateurs de plaisir, mais non à ceux qui ont faim et vivent dans l'indigence. N'est-ce pas vous qui faites les voleurs? N'est-ce pas vous qui alimentez le feu de la jalousie? N'est-ce pas vous qui êtes cause que l'esclave s'enfuit de chez son maître, que l'on vous tend des embûches, vous qui offrez vos richesses comme un appât? Quelle folie est celle-là ? Car c'est une vraie folie, une démence manifeste de remplir des coffres de vêtements et de mépriser un homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, nu, grelottant de froid et pouvant à peine se tenir debout. — Mais, dites-vous, il feint de grelotter et d'être faible. — Ne craignez-vous pas que ce mot n'attire la foudre sur votre tête? En vérité, l'indignation m'étouffe: pardonnez-moi. Quoi ! vous, adonné à la bonne chère, chargé d'embonpoint, prolongeant vos repas jusque bien avant dans la nuit, mollement vêtu, vous pensez que vous ne serez point puni d'avoir ainsi abusé des dons de Dieu ? (Car enfin, le vin n'a pas été donné pour qu'on s'enivre, ni la nourriture pour qu'on en use avec excès, ni les mets pour qu'on s'en charge outre mesure.) Et vous demandez des comptes sévères à un pauvre, à un misérable, à une espèce de cadavre; et vous ne craignez pas le terrible, le formidable tribunal du Christ? S'il simule, c'est parce que la nécessité et l'indigence l'y forcent, c'est à cause de votre cruauté, de votre inhumanité, qui exige ces sortes de feintes et ne se laisse point toucher par la pitié. Car quel est l'homme assez malheureux, assez infortuné, pour tenir une conduite aussi inconvenante, si la nécessité ne l'y poussait ; pour subir des coups et tant de mauvais traitements, et cela pour un morceau de pain?

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Ainsi cette hypocrisie de sa part proclame partout votre inhumanité. En effet, c'est peut-être après avoir prié, supplié, déploré sa misère, après avoir couru tout le jour en gémissant et en pleurant, sans trouver ce qui lui est nécessaire, qu'il a imaginé ce moyen, qui vous déshonore et vous accuse plutôt que lui. Réduit à une telle nécessité, il est au moins digne de notre compassion ; et nous qui y poussons le pauvre, nous méritons mille châtiments. Il n'aurait pas adopté ce parti, si nous étions faciles à émouvoir. Et pourquoi parler de nudité et de froid? J'ai à dire quelque chose de bien plus terrible : quelques-uns en sont venus à priver de la vue leurs petits enfants, pour vous exciter à la pitié. Comme leur dénuement , leur âge, leur infortune nous laissaient insensibles tant qu'ils jouissaient de la vue, ils ont ajouté cette nouvelle et plus grande calamité à tant d'autres, pour trouver un remède à leur faim : pensant qu'il valait mieux être privés de la lumière du soleil, ce bien commun à tous, que de lutter continuellement avec la faim et de subir la mort la plus triste. Parce que vous n'avez pas su avoir pitié de leur pauvreté, que vous vous en êtes amusés, au contraire, ils ont satisfait votre insatiable avidité, et allument pour eux comme pour vous une flamme plus terrible que celle de l'enfer. Et pour que vous compreniez bien que la cause en est là, je vous donnerai une preuve évidente et que personne ne pourra contredire. Il y a d'autres pauvres légers et superficiels qui ne savent pas supporter la faim et se résoudront à tout plutôt qu'à la subir. Souvent, après avoir cherché à exciter votre pitié par leurs paroles et leurs gestes, voyant qu'ils n'y gagnaient rien, ils ont quitté un rôle de suppliants, et se sont mis à imiter, à surpasser même les baladins, en mangeant des cuirs de vieux souliers, en s'enfonçant des clous aigus dans la tête, en se plongeant nus dans l'eau gelée; d'autres ont poussé plus loin encore l'absurdité, afin d'offrir un spectacle misérable.

6. Et vous y assistez, riant et admirant, vous glorifiant pour ainsi dire des maux des autres, d'une conduite déshonorante pour la nature. Que ferait de plus le cruel démon ? Ensuite, pour les encourager à en faire davantage encore, vous leur donnez plus d'argent. Mais quand un homme prie, invoque Dieu, s'approche avec calme, vous ne daignez pas lui répondre ni le regarder; vous lui adressez même des paroles désagréables, s'il vous presse avec importunité : faut-il que cet homme-là vive? qu'est-il besoin qu'il respire, qu'il voie le soleil? — Mais pour les autres vous vous montrez gai, libéral, comme si vous étiez constitué juge de ces ridicules et diaboliques turpitudes. C'est à ceux qui provoquent de tels combats et qui ne négligent rien pour faire maltraiter les autres, qu'il faudrait plutôt adresser ces paroles : Faut-il que ces gens-là vivent? qu'ils respirent? qu'ils voient le soleil? eux qui violent les lois de la nature et outragent Dieu? Dieu vous dit : Fais l'aumône et je te donnerai le royaume des cieux, et vous ne l'écoutez pas. Le démon vous montre une tête percée de clous, et vous devenez libéral. Une, ruse, et une ruse pernicieuse du méchant esprit, vous fait agir plutôt que la promesse divine, source de biens sans nombre. Quand vous devriez, même à prix d'or, empêcher ces spectacles et éviter d'en être 'témoin, tout souffrir, tout mettre en oeuvre pour faire cesser ces folies; vous faites tout, vous ne négligez rien, au contraire, pour qu'elles aient lieu et qu'elles se passent sous vos yeux. Demanderez-vous encore, dites-moi, pourquoi il y a un enfer? Demandez plutôt pourquoi il n'y en a qu'un. Car quels châtiments ne méritent pas ceux qui établissent ces cruels et barbares spectacles, qui rient de choses qui devraient les faire pleurer et vous aussi , vous surtout qui forcez ces malheureux à des actions aussi indécentes?

Mais, dites-vous, je ne les force pas. — Comment ne les forcez-vous pas, quand vous ne daignez pas même prêter l'oreille aux pauvres plus modestes , qui pleurent et invoquent Dieu, et que vous prodiguez l'argent à ceux-ci et leur attirez des admirateurs? — Nous les quittons, dites-vous, avec la compassion dans le coeur. —Et vous exigez tout cela ! O homme, exiger tant de peines pour deux oboles, leur ordonner de se déchirer pour gagner leur nourriture, de se couper la peau de la tête si cruellement, si misérablement; non, ce n'est pas là de la pitié. — Paix ! dites-vous, ce n'est pas nous qui perçons de clous ces têtes. — Plût au ciel que ce fût vous ! le mal ne serait pas aussi grand. Car celui qui tue quelqu'un est beaucoup plus coupable que celui qui ordonne qu'on le tue lui-même; et c'est ce qui arrive ici. En effet, ils souffrent des douleurs (433) plus vives quand on leur commande d'exécuter eux-mêmes ces ordres cruels, et cela à Antioche, dans la ville où les chrétiens ont pris leur nom, où se trouvaient les plus doux des hommes, où l'aumône produisait jadis des fruits si abondants. Car on n'y donnait pas seulement à ceux qui étaient présents, mais on envoyait aux absents, à de grandes distances, et cela quand on était menacé de famine. — Que faut-il donc faire? direz-vous. — Dépouiller cette cruauté, signifier à tous les pauvres qu'ils ne recevront rien de vous tant qu'ils se conduiront ainsi ; que vous serez généreux envers eux, au contraire, s'ils se présentent avec modestie. Quand ils sauront cela, tant misérables soient-ils, je vous réponds qu'ils ne seront pas tentés de se maltraiter ainsi; mais ils vous sauront gré de les avoir délivrés de la dérision et de la douleur.

Maintenant vous livreriez vos fils pour des cochers, vous sacrifieriez vos âmes pour des danseurs, mais pour le Christ souffrant de faim vous ne sacrifieriez pas la plus minime partie de votre fortune ; si peu que vous donniez d'argent, vous croyez avoir tout donné, sans songer que l'aumône ne consiste pas simplement à donner, mais à donner avec largesse. Aussi ce ne sont pas ceux qui donnent, mais ceux qui donnent abondamment que le prophète exalte et appelle heureux. Il ne dit pas seulement : Il a donné. Que dit-il donc? " Il a répandu, il a donné aux pauvres ". (Ps. III.) A quoi vous sert de donner de vos richesses la valeur d'un verre d'eau puisé dans la mer, de ne pas imiter la générosité de la veuve? Comment oserez-vous dire : Seigneur, ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, et suivant l'étendue de votre compassion, effacez mon iniquité (Ps. L), quand vous n'aurez point eu pitié vous-même selon la grande miséricorde, que vous n'en aurez peut-être même eu aucune? Car je suis couvert de honte quand je vois beaucoup de riches montés sur des chevaux à frein d'or, traînant à leur suite des serviteurs chargés d'or, ayant des lits d'argent et une quantité d'autres meubles de luxe, et qui se trouvent beaucoup plus pauvres que les pauvres quand il faut donner à un mendiant.

Et quelle raison en donnent-ils souvent ? — Cet homme, disent-ils, a les ressources communes de l'Eglise. — Eh ! que vous importe? Si je donne, vous n'êtes pas sauvés pour cela; si l'Eglise donne, vos péchés ne sont pas effacés pour autant. Si vous vous dispensez de donner parce que l'Eglise doit donner aux pauvres; vous vous dispenserez donc de prier, parce que les prêtres prient? Vous serez toujours à table, parce que d'autres jeûnent? Vous ne savez donc pas que Dieu a fait une loi de l'aumône moins en faveur de celui qui la reçoit qu'en faveur de celui qui la donne? Le prêtre vous est-il suspect? Ce serait une faute très-grave; mais je ne discute pas là-dessus; faites tout par vous-mêmes, et vous recueillerez une double récompense. Ce que nous disons de l'aumône, nous ne le disons pas pour nous attirer vos dons, mais pour que vous les distribuiez vous-mêmes. En m'apportant vos aumônes, vous céderiez peut-être à un sentiment de vaine gloire , souvent même vous vous retireriez scandalisés et pleins de mauvais soupçons , mais en faisant tout par vous-mêmes, vous êtes à l'abri de ces inconvénients et votre récompense sera plus grande.

7. Je ne dis point ceci pour vous obliger à apporter ici votre argent, ni pour me plaindre du mal qu'on dit des prêtres. S'il faut s'indigner, s'il faut gémir, c'est sur vous qui dites ce mal. Car les victimes de la calomnie n'en seront que mieux récompensées, mais les calomniateurs doivent s'attendre au jugement et à un supplice plus terrible. Ce n'est donc pas par inquiétude et par intérêt pour les prêtres, mais pour vous, que je parle. Et quoi d'étonnant à ce que de tels soupçons envahissent certaines âmes dans notre siècle, quand au temps même de ces saints qui prenaient les anges pour modèles, de ces Hommes dépouillés de tout, des apôtres, veux-je dire, il y avait déjà des murmures à l'occasion du service des veuves, parce qu'on négligeait les pauvres; alors que personne ne possédait rien en propre, mais que tout était en commun? Laissons donc là ces vains prétextes, et ne pensons pas nous excuser en disant que l'Eglise possède beaucoup. Quand vous pensez à ces grandes ressources, rappelez-vous aussi cette foule de pauvres inscrits, cette multitude de malades, ces innombrables occasions de dépenses; examinez, étudiez, personne ne vous en empêche, nous sommes tout prêts à vous rendre compte. Mais je veux aller plus loin. Après que nous vous aurons rendu nos comptes et démontré que nos dépenses ne sont pas moindres que nos revenus, qu'elles les dépassent même (434) quelquefois, nous vous adresserions volontiers une question : Au sortir de cette vie, lorsque nous entendrons le Christ nous dire : " Vous m'avez vu avoir faim et vous ne m'avez pas donné à manger; vous m'avez vu nu et vous ne m'avez pas vêtu " (Matth, XXV, 42), que dirons-nous? Comment nous justifierons-nous? Produirons-nous tel ou tel qui n'aura point obéi aux ordres, ou quelques prêtres suspects? Est-ce que cela vous regarde? nous dira le Christ. Je vous accuse des fautes que vous avez commises. Vous avez à vous laver de vos propres péchés, et non à me faire voir que d'autres les ont commis. C'est à cause de votre parcimonie que l'Eglise est obligée de conserver ce qu'elle a ; et si tout se passait selon les lois apostoliques, c'est votre bonne volonté qui devrait former ses revenus : ce qui lui serait un sûr coffre-fort, un trésor inépuisable. Mais comme vous thésaurisez pour la terre, que vous renfermez tout dans vos coffres, et qu'elle est forcée de dépenser pour les assemblées de veuves, pour les choeurs de vierges, pour les besoins étrangers, pour les malheureux voyageurs, pour les infortunés prisonniers, pour les malades et les estropiés, ou pour toutes les autres nécessités de ce genre, que faut-il faire ? Les repousser tous et fermer tous les ports? Mais qui viendra au secours de tant de naufragés? Qui répondra aux pleurs, aux lamentations, aux gémissements qui se font entendre de tous côtés?

Ne parlons donc pas au hasard. A l'heure qu'il est, comme je l'ai déjà dit, nous sommes prêts à vous rendre des comptes : et quand cela ne serait pas, quand vous auriez des maîtres pervers, rapaces, avares, leur conduite coupable ne serait pas encore une excuse pour vous. Car le bon et très-sage Fils unique de Dieu, qui voit tout et qui sait que dans la longue série des siècles et sur la vaste étendue du globe, il y a beaucoup de mauvais prêtres, de peur que leur négligence n'augmente la lâcheté de leurs subordonnés, et afin d'ôter tout prétexte qui en pourrait naître, a dit: " Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse; ainsi faites tout ce qu'ils vous disent de faire, mais n'agissez pas selon leurs oeuvres " (Matth. XXIII, 2, 3), montrant par là que, quand même vous auriez un mauvais maître , cela ne vous excuserait point de rie pas faire attention à ce qu'il dit. Car vous ne serez pas jugés d'après les actions de votre maître , mais d'après sa doctrine que vous n'avez pas suivie. Si donc vous accomplissez les commandements, vous pourrez vous présenter en toute assurance; mais si vous dédaignez la doctrine, il ne vous servirait à rien de montrer une multitude de prêtres corrompus. Judas était apôtre, et cela n'excusera jamais les voleurs sacrilèges et les avares. Un accusé ne pourra pas dire : Il y a eu un apôtre voleur, sacrilège et traître ; ce sera au contraire une raison de plus pour nous faire condamner et livrer au supplice, de n'être pas devenus sages aux dépens des autres. Car tout cela a été écrit pour nous détourner de les imiter. Laissons donc de côté un tel et un tel, et occupons-nous de nous ; chacun rendra compte à Dieu pour lui-même. Afin que ce compte présente une vraie justification, réglons notre vie, tendons aux pauvres une main généreuse, bien convaincus que l'accomplissement des préceptes est notre seule apologie et qu'il n'y en a point d'autre. Si nous pouvons l'offrir, nous éviterons les intolérables supplices de l'enfer, et nous obtiendrons les biens futurs. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXII. NE SAVEZ-VOUS PAS QUE CEUX QUI EXERCENT LES FONCTIONS SAINTES, VIVENT DU SANCTUAIRE, ET QUE CEUX QUI SERVENT A L'AUTEL ONT PART A L'AUTEL? AINSI, LE SEIGNEUR A PRESCRIT LUI-MÊME A CEUX QUI ANNONCENT L'ÉVANGILE, DE VIVRE DE L'ÉVANGILE. (CHAP. IX, VERS. 13, 14, JUSQU'AU VERS. 23.)
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ANALYSE.

1. Saint Paul cite une loi positive pour mieux prouver encore son droit de vivre de l'Evangile. 2. Excellence des oeuvres de surérogation : qu'elles méritent une récompense à part.

3. Je nie suis fait tout h tous.

4 et 5. Qu'il faut éviter l'hypocrisie. De la condescendance qui convient aux pasteurs. — Aimer ardemment Jésus-Christ. — Il y a plus de peine à faire le mal que le bien. — Contre les impudiques et les avares.

1. Il met un grand soin à prouver qu'il n'est pas défendu de recevoir. Non content de tout ce qu'il a déjà dit plus haut, il aborde maintenant la loi, pour offrir une démonstration plus concluante que la première. Car ce n'est pas la même chose de tirer une analogie des boeufs, ou de présenter une loi positive concernant les prêtres. Et voyez encore ici la prudence de Paul, et avec quelle dignité il traite son sujet ! Il ne dit pas : Ceux qui exercent les fonctions saintes reçoivent des offrandes. Que dit-il donc? "Vivent du sanctuaire " ; afin que ceux qui reçoivent n'en soient point blâmés, et que ceux qui donnent ne s'en glorifient pas. De là ce qui suit. Car il ne dit pas ensuite : Ceux qui assistent à l'autel reçoivent de ceux qui livrent la victime, mais : " Ont part à l'autel ". En effet, les victimes une fois offertes n'appartenaient plus à ceux qui les avaient offertes, mais au sanctuaire et à l'autel. Il ne dit pas non plus : Reçoivent les choses consacrées, mais : " Vivent du sanctuaire ", en quoi il donne une nouvelle leçon de modération, et montre qu'il ne faut pas recueillir d'argent ni s'enrichir. Et s'il dit : " Ont part à l'autel ", il n'entend point parler de distribution à part égale, mais donner une consolation à qui de droit. Pourtant la condition des apôtres était bien plus élevée. Dans l'ancienne loi, le sacerdoce était un honneur; ici, ce sont des périls, des égorgements, des meurtres. Aussi tous les autres exemples sont-ils bien au-dessous de ces paroles : " Si nous avons semé en vous des biens spirituels ".

Et par ce mot : " Nous avons semé ", il entend les orages, les dangers, les embûches, les maux sans nombre qu'enduraient les prédicateurs de l'Evangile. Cependant malgré la supériorité de sa condition, il n'entend point déprimer l'ancienne loi, ni s'exalter lui-même ; mais il s'efface lui-même , et puise, non dans les périls, mais dans la grandeur du don, la raison de cette prééminence. Car il ne dit pas : Si nous avons couru des dangers, si on nous a tendu des embûches; mais : " Si nous avons semé en vous des biens spirituels ", et il relève, autant que possible, la condition des prêtres en disant . " Ceux qui exercent les fonctions saintes, et ceux qui assistent à l'autel " ; voulant rappeler leur servitude perpétuelle et leur persévérance. Après avoir parlé des prêtres juifs, des lévites et des pontifes, il indique ensuite les deux rangs, les inférieurs et les supérieurs, quand il dit, en parlant des uns : " Ceux qui exercent les fonctions saintes ", et des autres : " Ceux qui assistent à l'autel ". Car tous ne remplissaient point le même office ; aux uns les services plus vulgaires, (436) aux autres les fonctions plus relevées. Puis, les enveloppant tous ensemble, pour qu'on ne dise pas : A quoi bon rappeler l'Ancien Testament? Ne savez-vous pas que nous avons une loi plus parfaite? Il pose quelque chose de plus fort que tout le reste, en disant : " Ainsi le Seigneur a prescrit lui-même à ceux qui annoncent l’Evangile de vivre de l’Evangile ". Il ne dit point : D'être nourris par les hommes; mais comme pour les prêtres de l'ancienne loi, il a dit : " Du sanctuaire " et de l'autel " ; de même ici il dit : " De " l’Evangile " ; et comme là il s'est servi du mot " manger ", il se sert ici du mot " vivre"; mais non trafiquer et thésauriser. " Car l'ouvrier mérite son salaire ". (Matth. X, 10.) " Pour moi, je n'ai usé d'aucun de ces droits". —Eh quoi ! dira-t-on, si vous n'en avez pas usé jusqu'à présent, vous voulez en user à l'avenir, et c'est pour cela que vous en parlez. — A Dieu ne plaise ! Car aussitôt il apporte le correctif, en disant : " Mais je n'écris pas ceci pour qu'on en use ainsi avec moi ".

Et voyez avec quelle force il refuse et repousse ce droit ! " Car j'aimerais mieux mourir que de laisser quelqu'un m'enlever cette gloire ". Et ce n'est pas une fois ou deux qu'il emploie cette expression, mais souvent. Il avait déjà dit plus haut : " Nous n'avons pas usé de ce pouvoir " ; et y revenant encore plus bas, il dit : " Pour ne pas abuser de mon pouvoir "; et ici: "Je n'ai usé d'aucun de ces droits ". De quels droits? De ceux indiqués par les exemples cités : le soldat, le laboureur, le berger, les apôtres, la loi, ce que j'ai fait chez vous, ce que vous faites chez les autres, les prêtres, les commandements du Christ; tout cela prouvait mon droit, et rien de cela n'a pu me déterminer à violer la loi que je me suis imposée de ne rien recevoir. Et ne me parlez pas du passé; sans doute je pourrais dire que j'en ai beaucoup souffert, mais ce n'est pas là-dessus seulement que je m'appuie; je m'engage pour l'avenir, et j'aime mieux mourir de faim que d'être privé de cette couronne. " J'aimerais mieux mourir de faim que de laisser quelqu'un m'enlever cette gloire". Il ne dit pas : Que de laisser quelqu'un m'enlever ma loi, mais : " ma gloire ". Et pour qu'on ne dise pas qu'il fait cela sans plaisir, mais avec tristesse et chagrin, il l'appelle sa gloire, voulant montrer par là l'abondance de sa joie et sa grande allégresse. Tant s'en faut qu'il s'en attriste, qu'au contraire il s'en glorifie, et qu'il aime mieux mourir que de se priver de cette gloire. Ainsi la vie même lui était moins chère que cette situation.

2. Aussi l'exalte-t-il encore d'une autre manière, et en fait-il ressortir la grandeur, non pour en recevoir lui-même de l'éclat (on sait combien ce sentiment lui est étranger), mais pour manifester sa joie et écarter jusqu'à l'ombre du soupçon. C'est pour cela, comme je l'ai déjà dit, qu'il l'appelle sa gloire. Que dit-il donc encore ? " Car si j'évangélise, la gloire n'en est pas à moi, ce m'est une nécessité, et malheur à moi si je n'évangélise pas ! Si je le fais de bon coeur, j'en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je dispense seulement ce qui m'a été confié. Quelle est donc ma récompense? C'est que, prêchant " l’Evangile, je prêche gratuitement l'Evangile du Christ, pour ne pas abuser de mon " pouvoir dans l’Evangile ". Que dites-vous, Paul ? Ce n'est pas pour vous une gloire d'évangéliser , ruais seulement d'évangéliser gratuitement? Est-ce donc quelque chose de plus grand ? Non, mais c'est davantage sous un certain rapport : l'un est prescrit, et l'autre est l'effet de ma volonté. Or, ce qui se fait au-delà du commandement a par cela même un grand prix ; ce qui se fait par ordre n'en a pas autant. C'est pour cette raison, et non par la nature des choses que l'un l'emporte sur l'autre. Au fond, qu'est-ce qui égale la prédication? Par elle on rivalise avec les anges; cependant comme elle est un commandement et une dette, tandis que dans l'autre cas il y a acte de la bonne volonté, c'est en ce sens que nous établissons une préférence. Et c'est comme je viens de dire que Paul interprète, quand il dit : " Si je le fais de bon coeur, j'en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je dispense seulement ce qui m'a été confié " ; prenant ces mots : " de bon coeur ", et : " à regret " dans le sens de ce qui m'a été confié, ou : ne m'a pas été confié. De même ces expressions: " Ce m'est une nécessité ", ne veulent pas dire qu'il agisse malgré lui, à Dieu ne plaise ! mais qu'il en est responsable comme d'un devoir à remplir, à la différence de la liberté de recevoir dont il a parlé. Voilà pourquoi le Christ disait à ses disciples : " Quand vous aurez tout fait, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ". (Luc, XVII, 10.) Quelle est donc ma (437) récompense ? " C'est que, évangélisant, je prêche gratuitement l'Evangile ". Quoi donc? Et Pierre, dites-moi, n'a pas de récompense? Qui en a jamais eu une pareille ? Et les autres apôtres? Comment a-t-il pu dire : " Si je le fais de bon coeur, j'en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je dispense seulement ce qui m'a été confié? "

Voyez-vous encore ici sa prudence? Il ne dit pas : Si je ne le fais qu'à regret, je n'aurai pas de récompense; mais : " Je dispense seulement ce qui m'a été confié " ; montrant par là qu'il aura une récompense, mais celle de l'homme qui a exécuté un ordre, et non celle de celui qui agit de son propre mouvement, et plus que n'exige la loi. Quelle est donc la récompense? " C'est que, prêchant l'Evangile, je prêche gratuitement l'Evangile, pour ne pas abuser de mon pouvoir dans l'Evangile ". Voyez-vous comme il emploie toujours ce mot de pouvoir, pour prouver ce que j'ai dit bien des fois, que ceux qui reçoivent ne sont point blâmables? Il a ajouté : " Dans l'Evangile ", pour spécifier , et en même temps empêcher qu'on ne donne trop d'extension au principe. Car c'est celui qui enseigne, et non celui qui ne fait rien qui doit recevoir. " Aussi, lorsque j'étais libre à l'égard " de tous, je me suis fait l'esclave de tous, pour en gagner un plus grand nombre ". Autre avantage! C'est beaucoup sans doute de ne rien recevoir, mais ce qu'il va dire est encore beaucoup plus. Qu'est-ce donc? Non-seulement, dit-il, je n'ai rien reçu, non-seulement je n'ai pas usé de ce pouvoir, mais je me suis fait esclave, et dans tous les genres et dans les sens les plus variés. Et ce n'est pas seulement en argent, mais ce qui est bien plus, en toutes sortes de choses que j'ai donné des preuves de cette servitude volontaire ; je me suis fait esclave, alors que je n'étais soumis en rien à personne, et qu'aucune nécessité ne m'y forçait : car c'est le sens de ces mots : " Lorsque j'étais libre à l'égard de tous ". Je me suis fait l'esclave, non pas d'un homme, mais de l'univers entier; c'est pourquoi il ajoute : " Je me suis fait l'esclave de tous ". J'avais sans doute reçu l'ordre de prêcher, d'annoncer ce qui m'était confié ; mais ces négociations, ces sollicitudes sans nombre ont été l'effet de mon zèle. J'étais seulement obligé de distribuer l'argent déposé en mes mains; mais pour en obtenir, je mettais tout en oeuvre, et je faisais plus qu'il ne m'était commandé. Comme il agissait en tout librement, avec allégresse et par amour pour le Christ, il avait un insatiable désir du salut des hommes.

C'est pour cela qu'il franchissait les barrières par un généreux excès, et s'élançait à travers tous les obstacles jusqu'au ciel. Après avoir parlé de son esclavage, il en détaille les modes divers. Quels sont-ils? " Je me suis fait ", dit-il, " comme Juif avec les Juifs, pour gagner les Juifs ". Et comment cela? Quand il donnait la circoncision, pour détruire la circoncision. C'est pourquoi il ne dit pas : Juif ", mais : " Comme Juif ", par prudence. Que dites-vous ? Le héraut du monde entier, qui a touché le ciel même, en qui la grâce a jeté un tel éclat, daigne s'abaisser jusqu'à ce point? Oui. Mais s'abaisser ainsi, c'est s'élever. Ne voyez pas seulement ici son abaissement, mais songez qu'il relève celui qui est à terre et qu'il l'attire à lui. " Avec ceux qui sont sous la loi comme si j'eusse été sous la loi, quoique je ne fusse plus assujetti à la loi, pour gagner ceux qui étaient sous la loi ".

3. Ou c'est une explication de ce qu'il a d'abord dit, ou il a quelque autre chose en vue ; appliquant le mot Juifs à ceux qui l'étaient dès le commencement, et entendant par " ceux qui sont sous la loi ", les prosélytes ou ceux qui étant devenus fidèles, restaient encore attachés à la loi. Car ils n'étaient plus comme les Juifs, et cependant ils étaient sous la loi. Et comment Paul était-il sous la toi? Quand il se rasait, quand il sacrifiait. Non qu'il fît cela pour avoir changé de conviction, car t'eût été un mal, mais par condescendance de charité. Pour convertir ceux qui pratiquaient encore sincèrement ces rites, il s'y prête lui-même, non sincèrement, mais par forme, n'étant pas Juif et n'agissant point de coeur. Et comment l'aurait-il pu, lui qui s'efforçait de convertir les autres? En s'y prêtant, il voulait les délivrer de cet abaissement. " Avec ceux qui étaient sans loi, comme si j'eusse été sans loi ". Ceux-ci n'étaient ni des Juifs, ni des chrétiens, ni des Grecs, mais des gens en dehors de la loi, comme Corneille et autres de ce genre. En venant à eux, il feignait en bien des points de leur ressembler. Quelques-uns pensent qu'il fait ici allusion à la discussion (438) qu'il avait eue avec les Athéniens, à l'occasion de l'inscription d'un autel, et que c'est pour cela qu'il dit : " Avec ceux qui étaient sans loi, comme si j'eusse été sans loi ". Ensuite, pour qu'on ne crût point voir là un changement d'opinion, il ajoute : " Quoique je ne fusse pas sans la loi de Dieu, mais que je fusse sous la loi du Christ " ; c'est-à-dire, quoique je ne fusse pas sans loi, mais que je fusse sous une loi, et une loi plus sublime que la loi ancienne; sous la loi de l'Esprit et de la grâce; c'est pourquoi il ajoute : " Du Christ".

Après les avoir ainsi rassurés sur ses sentiments, il rappelle le fruit de sa condescendance, en disant : " Afin de gagner ceux qui étaient sans loi ". Partout il donne la raison de cette condescendance; il ne s'en tient même pas là, car il dit : " Je me suis rendu faible avec les faibles, pour gagner les faibles ". Il dit ceci pour eux et en dernier lieu; et c'est la raison même de tout ce qu'il a dit. Le reste était beaucoup plus important, mais ceci était plus personnel; c'est pourquoi il le place en dernier lieu. Il en a fait autant avec les Romains, quand il les blâmait à propos d'aliments, et aussi en beaucoup d'autres circonstances. Ensuite pour ne pas perdre le temps en trop longs détails, il dit : " Je me suis fait tout à tous pour en sauver au moins quelques-uns". Voyez-vous l'hyperbole? " Je me suis fait tout à tous ", non dans l'espoir de les sauver tous, mais pour en sauver au moins un petit nombre. J'ai déployé un zèle, j'ai subi un ministère qui auraient dû suffire à les sauver tous, sans espoir cependant de triompher d'eux tous : grande entreprise d'une âme ardente. En effet, le semeur semait partout et ne sauvait pas toute sa semence, mais il faisait tout son possible. Après avoir parlé du petit nombre de ceux qu'il a sauvés, il ajoute ce mot : " Au moins ", pour consoler ceux qui s'affligeraient en pareil cas. Car s'il n'est pas possible de sauver toute la semence, il n'est pas possible non plus qu'elle périsse toute. Aussi ajoute-t-il : " Au moins ", parce qu'il faut de toute nécessité qu'un si grand zèle ne soit pas sans résultat. " Ainsi je fais toutes choses pour l'Évangile, afin d'y avoir part", c'est-à-dire, pour paraître y avoir contribué de moi-même et prendre part à la couronne réservée aux fidèles. Comme il disait plus haut : " Vivre de l'Évangile ", c'est-à-dire, aux frais de ceux qui croient, ainsi dit-il ici : " Afin d'y avoir part ", c'est-à-dire, afin de partager avec ceux qui auront cru à l'Évangile. Voyez-vous son humilité ? Comment, après avoir travaillé plus que tous les autres, il se range parmi la foule pour avoir part à la récompense? Il est clair que sa part sera plus grande. Pourtant il ne se juge pas digne du premier rang; il se contente de partager la couronne avec les autres. Et s'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il ait agi en vue d'un prix quelconque, mais afin de les attirer et de les déterminer par ces espérances, à tout faire pour leurs frères. Voyez-vous sa prudence? Voyez-vous l'étendue de son zèle, comment il a fait plus que la loi n'exigeait, en ne recevant rien, quand il lui était permis de recevoir? Voyez-vous son extrême condescendance? Comment étant sous la loi du Christ, sous la loi suprême, il a été comme sans loi avec ceux qui étaient sans loi; comme Juif avec les Juifs, paraissant le premier de tous dans ces deux points et triomphant de tous? Faites-en autant, et ne croyez pas déchoir de votre haute position quand vous vous résignez à quelque chose de bas en faveur d'un frère; car ce n'est pas là déchoir, mais condescendre. Celui qui tombe est à terre, et a peine à se relever; celui qui descend, remontera et avec beaucoup de profit; comme Paul qui est descendu seul, et est remonté avec le monde entier, non pas pour avoir agi en hypocrite, car s'il eût été hypocrite, il n'aurait pas travaillé au bien de ceux qu'il a sauvés. L'hypocrite cherche la ruine des autres; il se masque pour recevoir et non pour donner. Il n'en est pas ainsi de Paul mais comme le médecin s'accommode à son malade, le maître à son élève, le père à son fils, pour faire du bien et non pour nuire, ainsi fait-il.

4. Pour preuve que son langage n'était point hypocrisie, et rien ne l'obligeait à parler ou à agir avec dissimulation, mais seulement l'ex, pression de ses dispositions et de sa confiance, entendez-le dire : " Ni vie, ni mort, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre-Seigneur ". (Rom. VIII, 38, 39.) Voyez-vous cet amour plus brûlant que le feu? Aimons le Christ ainsi; et c'est facile, si nous le voulons. Car Paul n'était pas tel par nature. Sa (439) première conduite, si opposée à celle-ci, .a été rapportée pour nous apprendre que c'est là l'œuvre du libre arbitre, et que tout est facile à ceux qui veulent. Ne désespérons donc pas. Si vous êtes médisant, avare ou entaché de tout autre vice, songez que Paul a été blasphémateur, persécuteur, insolent en paroles, le plus grand des pécheurs, et que tout à coup il est monté au faîte de la vertu sans que sa conduite antérieure y fît obstacle. Et encore, personne ne met autant d'acharnement à se livrer au vice qu'il en mit à persécuter l'Eglise. Car alors il sacrifiait son âme, et il s'affligeait de n'avoir pas mille mains pour lapider Etienne. Et encore, il trouva le moyen de se servir de celles des faux témoins, en gardant' leurs vêtements. Et quand il entrait dans les maisons, il s'élançait comme une bête fauve, traînant et déchirant hommes et femmes, remplissant tout de tumulte, de trouble, et de combats. Il était si terrible que, même après son admirable conversion, les apôtres n'osaient encore s'attacher à lui. Et néanmoins, après tout cela, il est devenu ce qu'il est devenu ; il n'est pas besoin d'en dire davantage. Où sont donc ceux qui opposent au libre arbitre de notre volonté la nécessité du destin? Qu'ils écoutent cela et qu'ils se taisent. Rien n'empêche de devenir bon celui qui le veut, eût-il été d'abord des plus méchants. Et nous y sommes d'autant plus aptes, que la vertu est dans notre nature et le vice contre notre nature, de même que la maladie et la santé.

En effet, Dieu nous a donné des veux, non pour porter des regards impurs, mais pour admirer ses oeuvres et adorer leur auteur. L'aspect même des objets nous preuve que telle est la- destination de nos yeux. Nous voyons la beauté du soleil et du ciel à travers un espace infini ; personne ne verrait d'aussi loin la beauté d'une femme. Voyez-vous que notre oeil est particulièrement destiné au premier usage? De même, Dieu nous a donné l'ouïe, non pour entendre dés blasphèmes, mais des enseignements salutaires. Aussi quand elle est frappée d'un sou désagréable, l'âme et le corps même restent dans la torpeur. Il est écrit : " La parole de celui qui a jure beaucoup, fait dresser les cheveux sur a la tête" . Si nous entendons quelque chose de dur, d'inhumain, nous frissonnons; si, au contraire, c'est quelque chose d'harmonieux et d'humain, nous en sommes joyeux et satisfaits. Quand notre bouche profère des paroles inconvenantes, elle produit là honte et la rougeur; si elle dit des choses honnêtes, elle les prononce avec calme et en pleine liberté. Or, personne ne rougit de ce qui est conforme à la nature, mais seulement de ce qui lui est contraire. Et les mains à leur tour se cachent quand elles volent, et cherchent une excuse; quand elles donnent l'aumône, elles sont fières. Si donc nous le voulions, nous aurions de toutes parts une grande inclination pour la vertu. Si vous me parlez du plaisir que le vice procure, souvenez-vous que la vertu en procuré un plus grand. Car avoir une bonne conscience, être admiré de tout le monde, espérer de grands biens, c'est le plus doux de tous les plaisirs pour quiconque connaît la nature du plaisir; de même le contraire est la plus grande douleur pour qui connaît la nature de la douleur, comme par exemple, d'être déshonoré aux yeux de tout le monde, de devenir son propre accusateur, de trembler et de redouter les maux présents et à venir.

5. Pour rendre tout cela plus clair, supposons un homme marié qui séduit la femme de son voisin, et en jouit clandestinement et injustement ; opposons-lui-en un autre qui aime sa propre femme; et pour rendre la victoire plus grande et plus évidente, supposons que celui-ci qui ne jouit que de sa femme, aime pourtant la femme adultère, mais contient sa passion et ne fait rien d'illicite. En réalité, cette affection, même contenue, n'est pas exempte de péché; mais c'est une pure hypothèse que nous faisons pour vous faire sentir le plaisir attaché à la vertu. Rapprochons-les ensuite et interrogeons-les pour savoir lequel mène l'existence la plus douce vous entendrez l'un se glorifier et triompher de la victoire qu'il a remportée sur sa passion; et l'autre... il n'y a pas même besoin d'attendre de lui aucune réponse : car vous le verrez, à travers ses mille dénégations, plus malheureux que l'homme aux fers. En effet, il craint tout le mondé, tout lui est suspect : et sa propre femme, et l'époux de l'adultère, et l'adultère elle-même, et ses proches, et ses amis, et ses parents, et les murs, et les ombres et lui-même; et, ce qu'il y a de plus terrible encore, sa conscience réclame et aboie chaque jour. Et s'il songe au tribunal de Dieu, il a peine à se tenir debout. Le plaisir est court; mais la douleur qui le suit est perpétuelle : le (440) soir, la nuit, dans la solitude, dans la ville, partout l'accusateur le suit, lui montre la pointe du glaive, des tourments insupportables, et le fait sécher de frayeur. Mais celui, au contraire, qui a su se contenir, dégagé de tous ces maux, vit en liberté, voit sans crainte sa femme, ses enfants, ses amis, et peut promener partout un regard assuré. Or, si un homme qui aime et pourtant contient sa passion, jouit d'un si grand contentement; est-il un port plus doux, une mer plus calme, que l'âme de celui qui n'éprouve pas même cette affection et reste dans les limites d'une parfaite chasteté? Aussi trouverez-vous peu d'adultères et un plus grand nombre de personnes vivant dans la continence. Or, si le crime procurait plus de plaisir, c'est lui que la foule choisirait. Ne me parlez pas de la crainte des lois; car ce n'est pas là ce qui retient, mais l'extrême inconvenance du fait, vine somme de douleurs excédant celle du plaisir et aussi la voix de la conscience.

Voilà l'adultère. Maintenant, si vous le voulez, faisons paraître l'avare; mettons à nu un autre amour coupable. Nous le verrons encore partageant les mêmes craintes et incapable de jouir d'un plaisir pur. En pensant à ses victimes, à ceux qui en ont pitié, à l'opinion que l'on a de lui, il est comme agité par la tempête. Et ce n'est pas encore tout : il ne peut pas même jouir de ce qu'il aime. Si ceci vous semble une énigme, écoutez quelque chose de pire et de plus embarrassant : non-seulement les avares sont privés de la jouissance de ce qu'ils ont, en ce qu'ils n'osent en user à leur volonté, mais encore en ce qu'ils n'en, sont jamais rassasiés et qu'ils ont toujours soif. Qu'y a-t-il de plus pénible? Mais il n'en est pas ainsi de l'homme juste; il est exempt de terreur, de haine, de crainte, il n'est point tourmenté de cette soif insatiable; comme l'avare est l'objet de l'exécration universelle, il est béni par tous; comme l'avare n'a point d'amis, lui n'a point d'ennemis.

Cela posé (et tout le monde en convient) qu'y a-t-il de plus désagréable que le- vice et de plus doux que la vertu ? En dissions-nous mille fois davantage, nous ne pourrions exprimer la douleur qui s'attache à l'un et le plaisir qui résulte de l'autre, jusqu'à ce que nous en ayons fait l'épreuve. Nous trouverons que le vice est plus amer que le fiel, quand nous aurons goûté le miel de la vertu. Même ici-bas, il est désagréable, pénible, douloureux, et ceux qui s'y livrent n'en disconviennent pas; mais c'est quand nous l'avons quitté que nous sentons le mieux l'amertume de ses commandements. Rien d'étonnant toutefois à ce que la foule coure à lui; puisque les enfants choisissent souvent ce qu'il y a de moins doux, repoussent ce qu'il y a de plus agréable; puisque les malades pour une jouissance d'un moment se privent d'une satisfaction plus durable et plus sûre. C'est là l'effet de la faiblesse et de la folié des amateurs, et non de la nature des choses. Car l'homme heureux c'est celui qui pratique la vertu, qui est vraiment riche, vraiment libre. Et si quelqu'un accorde tout le reste à la vertu : la liberté, la sécurité , l'exemption des soucis, de toute crainte, de tout soupçon, et lui refuse le plaisir, celui-là est à mes yeux souverainement ridicule. Qu'est-ce donc que le plaisir, sinon l'exemption de la crainte, du chagrin, la parfaite indépendance? Lequel est heureux, s'il vous plaît, de l'homme furieux, agité, tourmenté par de nombreuses passions, toujours hors de lui-même, ou de celui qui est à l'abri de tous les orages et se tient calme dans sa sagesse comme dans un port? N'est-ce pas évidemment celui-ci ? Or c'est là le propre de la vertu. En sorte que le vice n'a que le nom de plaisir et non là chose; avant la jouissance, c'est une fureur et non un plaisir; et après la jouissance, le plaisir s'éteint aussitôt. Si donc, ni avant ni après, on n'y rencontre le plaisir, où et quand s'y trouve-t-il ? Pour éclaircir le sujet, donnons un exemple, et faites-y attention : quelqu'un aime une femme jeune' et belle ; tant qu'il ne l'a pas, il ressemble à un furieux, à un fou; dès qu'il l'a obtenue, sa passion s'éteint. Or si tout d'abord c'était une fureur, et non un plaisir; si ensuite l'usage du mariage émousse l'aiguillon, où se trouvera le plaisir? Mais il n'en est pas ainsi chez nous; dès l'abord nous sommes sans trouble, et notre satisfaction persévère jusqu'à la fin; elle n'a point de terme. Réfléchissant à cela, embrassons la vertu si nous aimons le plaisir, afin de jouir des biens présents et des biens futurs. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu'au Saint-Esprit, gloire, puissance; honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIII. NE SAVEZ-VOUS PAS QUE CEUX QUI COURENT DANS LA LICE, COURENT TOUS, MAIS QU'UN SEUL REMPORTE LE PRIX ? (CHAP. IX, VERS. 24, JUSQU'AU VERS. 12 DU CHAP. X.)
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ANALYSE.

1. Si saint Paul use de condescendance, s'il se fait tout à tous, il a ses vues, son but à atteindre, il veut gagner des âmes; mais ceux d'entre les Corinthiens qui vont s'asseoir à la table des idoles, qu'y peuvent-ils gagner pour eux et pour les autres ?

2. De même qu'il n'a servi de rien aux Juifs d'être comblés des bienfaits de Dieu, ainsi les dons du Saint-Esprit seront-ils inutiles aux Corinthiens sans la pureté de la conduite et des moeurs.

3. Que l'intempérance mène à l'impudicité.

4. Que les peines futures seront éternelles.

5. Que le repentir est aussi inutile dans l'autre monde que plein d'efficacité dans celui-ci.

6. Comparaison des avares avec ceux qui cherchent l’or dans les entrailles de la terre.

1. Après avoir montré que la condescendance est très-utile, qu'elle est le sommet de la perfection, qu'il en a lui-même usé plus que les autres, parce qu'il a tendu plus que tous à la perfection, et qu'il l'a même dépassée, en ne recevant rien; après avoir spécifié les occasions favorables pour l'une et pour l'autre, c'est-à-dire, pour la perfection et la condescendance, il les pique plus au vif en insinuant que ce qui se fait chez eux et qu'ils prennent pour de la perfection n'est qu'un travail vain et superflu. Il ne s'exprime cependant pas aussi clairement, pour ne pas les pousser à l'insolence; mais il fait ressortir sa pensée des preuves qu'il apporte. Après avoir dit qu'ils pèchent contre le Christ, qu'ils perdent leurs frères, que la science parfaite ne leur est d'aucun profit si la charité ne s'y joint, il revient aux exemples vulgaires, et dit : " Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans la lice courent tous; mais qu'un seul remporte le prix? " Il ne veut pas dire qu'un seul homme entre tous doive être sauvé, loin de là ! mais que nous devons déployer un grand zèle. Car comme dans la multitude de ceux qui descendent dans la lice, il n'y en a pas beaucoup qui soient couronnés, mais un seul, et qu'il ne suffit pas d'entrer en lice, ni de se frotter d'huile et de lutter; de même ici il ne suffit pas de croire et de combattre d'une façon quelconque, mais si nous ne courons pas de manière à rester irréprochables jusqu'au bout, et si nous n'atteignons pas le prix, nous n'aurons rien fait. Si vous vous imaginez, leur dit-il, être parfaits quant à la science, vous n'avez cependant pas encore tout; et c'est ce qu'il insinue en disant: " Courez donc de telle sorte que vous le remportiez ". Ils ne l'avaient donc pas encore remporté. Après avoir dit cela, il indique la manière de le remporter : " Quiconque combat dans l'arène, s'abstient de toutes choses ".

Qu'est-ce que cela veut dire : " De toutes " choses? " Il ne s'abstient pas d'une chose, pour faire excès dans un autre; mais il réprime la gourmandise, l'impudicité, l'ivrognerie, en un mot toutes les passions: Voilà, dit-il, ce qui s'observe dans les combats extérieurs. Il n'est pas permis aux combattants de s'enivrer au moment de la lutte, ni de commettre la fornication, de peur qu'ils n'épuisent leurs forces, ni de se livrer à aucune autre occupation ; mais s'abstenant absolument de tout, ils s'adonnent uniquement aux exercices (442) gymnastiques. Or s'il en est ainsi là où un seul obtient une couronne, à plus forte raison cela doit-il être là oit la récompense est plus abondante. Car on n'en couronne pas rien qu'un, et les récompenses sont bien au-dessus des travaux. Aussi les fait-il rougir en disant : " Eux, pour recevoir une couronne corruptible; nous, une incorruptible. Pour moi je cours aussi, mais non comme au hasard ". Après les avoir fait rougir par des exemples pris au dehors, il se met lui-même en scène, ce qui est la meilleure manière d'instruire. Aussi le fait-il partout. Que signifient ces mots : " Non au hasard? " c'est-à-dire, en fixant l'œil sur un but, et non, comme vous, inutilement et sans but. Car à quoi vous sert d'entrer dans les temples des idoles, et de vous vanter de votre perfection? Arien. Ce n'est pas ainsi que j'agis; mais tout ce que je fais, je le fais pour le salut du prochain ; si je fais preuve de perfection, c'est pour lui; si je condescends, c'est pour lui encore ; si je vais plus loin que Pierre en ne recevant rien, c'est pour qu'il ne se scandalise pas; si je condescends plus que tous les autres, jusqu'à me faire circoncire et à me raser, c'est pour ne pas lui devenir une pierre d'achoppement. Voilà ce que veut dire : " Non au hasard ". Mais vous, dites-moi, pourquoi mangez-vous dans les temples d'idoles? Vous n'en pouvez donner aucun motif raisonnable. Car ce ne sont point les aliments qui nous recommandent à Dieu : si vous mangez, vous n'avez rien de plus; si vous ne mangez pas, vous n'avez rien de moins. Vous courez donc sans but et sans réflexion, et c'est ce que veut dire : " Au hasard. Je combats, mais non comme frappant l'air".

Ceci fait encore allusion à ces mots au hasard et en vain, et veut dire : j'ai quelqu'un sur qui frapper, le diable; mais vous, vous ne le frappez pas, vous épuisez inutilement vos forces. En attendant il parle comme étant chargé d'eux. Après les avoir précédemment traités avec une grande rudesse, il se modère de nouveau et réserve le grand coup pour la fin de son discours. Ici, en effet, il leur reproche d'agir au hasard et inconsidérément; mais plus bas il leur démontre qu'ils 'jouent leur propre tête, et que, outre le tort qu'ils font au prochain, ils ne sont pas innocents dans leur témérité. " Mais je châtie mon corps et le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même " réprouvé ". Ici il. leur fait voir qu'ils sont esclaves de la gourmandise, qu'ils lui lâchent la bride, et que, sous prétexte de perfection, ils satisfont leur goût pour la table; ce qu'il avait peine à leur insinuer plus haut, quand il disait : " Les aliments sont pour l'estomac, et " l'estomac pour les aliments ". Car, comme la bonne chère amène la fornication et que l'idolâtrie en est le fruit, il a raison d'attaquer souvent cette maladie. En exposant ce qu'il a souffert pour l'Evangile, il le fait aussi entrer en ligne de compte. Car, dit-il, comme j'ai dépassé les commandements, ce qui n'était pas chose facile ( " Nous supportons tout", a-t-il dit plus haut) ; de même il m'en coûte beaucoup pour vivre dans la tempérance. Quoique la gourmandise soit un tyran difficile à vaincre, cependant je la bride, je ne me livre point à elle et je supporte tout pour ne pas me laisser entraîner.

2. Mais ne pensez pas que j'y réussisse sans peine. C'est une course, c'est un combat multiple , c'est une tyrannie sans cesse renaissante et demandant sa liberté; mais je ne la subis point; je la comprime, au contraire, et je la dompte avec beaucoup de peine. Il dit ceci pour que personne ne se décourage de lutter en faveur de la vertu, à cause des difficultés de la lutte ; c'est ce qui lui fait dire " Je châtie " et : " Je réduis en servitude ". Il ne dit pas : Je tue, ni : Je punis; car la chair n'est point ennemie ; mais : " Je châtie " et " Je réduis en servitude " : ce qui est le langage d'un maître, et non d'un ennemi; d'un précepteur, et non d'un homme qui hait; d'un instituteur, et non d'un adversaire. " De peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé ". Or si Paul a craint, après avoir instruit tant de monde ; s'il a craint, après avoir prêché, mené la vie d'un ange, et dominé l'univers; que dirons-nous? Ne pensez pas, leur dit-il, qu'il vous suffise de croire pour être sauvés. Car si la prédication, l'instruction, la conversion d'une multitude d'hommes ne suffisent pas à me sauver, à moins que je ne me montre irréprochable, beaucoup moins pouvez-vous l'espérer. Puis il passe à d'autres exemples; comme il a parlé plus haut des apôtres, de l'usage commun, des prêtres, de lui-même, il parle ici des coin. bats olympiques, puis de sa personne encore, et revient aux histoires de l'Ancien, Testament. Mais comme son langage doit être plus sévère, (443) il donne son avis en général, et ne traite pas seulement de son sujet actuel, mais de toutes les maladies dont souffrent les Corinthiens.

A propos des combats profanes, il a dit : " Ne savez-vous pas? " Mais ici il dit : " Car je ne veux pas que vous ignoriez , mes frères ". Il leur fait entendre par là qu'ils ne sont pas très-instruits sur ce sujet. Qu'est-ce donc que vous ne voulez pas nous laisser ignorer? " Que nos pères ont été sous la nuée, et qu'ils ont traversé la mer ; qu'ils ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer; qu'ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et bu le même breuvage spirituel (car ils buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait; or cette pierre était le " Christ) ; cependant la plupart d'entre eux ne "furent pas agréables à Dieu ". Et pourquoi dit-il cela? Pour prouver que comme il n'a servi de rien aux Juifs de recevoir un si grand bienfait, ainsi il leur sera inutile d'avoir reçu le baptême et d'avoir participé aux mystères spirituels, s'ils ne mènent une vie digne de la grâce. C'est pourquoi il rappelle les types du baptême et des mystères. Que veut dire : " En Moïse ? " Nous sommes baptisés dans la foi au Christ et à sa résurrection, et comme devant participer aux mêmes mystères; (nous sommes baptisés pour les morts, dit-il plus bas [I Cor. XV, 29], c'est-à-dire, pour nos corps); ainsi les Juifs se fiant à Moïse, c'est-à-dire, le voyant entrer le premier dans les eaux, osèrent aussi y entrer après lui. Mais voulant rapprocher le type de la vérité, il ne s'exprime pas ainsi; il emploie le langage de la réalité, même en parlant de la figure : car le passage de la mer était le symbole du baptême; et ce qui suivit, le symbole de la Table sainte. En effet, comme vous mangez le corps du Maître, ainsi les Juifs mangeaient la manne; et comme vous buvez le sang, ainsi buvaient-ils l'eau de la pierre. Car quoique ces faits fussent sensibles, ils avaient cependant un sens spirituel, non par l'effet de la nature, mais par la grâce du don ; et ils nourrissaient l'âme en même temps que le corps, en la conduisant à la joie. Aussi ne parle-t-il point de la nourriture; là, en effet, il n'y avait pas seulement changement dans la manière de la donner, mais encore dans la nature : c'était de la manne; quant au breuvage, comme le mode de production était seul extraordinaire, et avait seul besoin de preuve, c'est pour cela qu'il dit : " Ils buvaient le même breuvage spirituel ", en ajoutant : " Or cette pierre c'était le Christ ".

Car la nature de la pierre n'était pas de donner de l'eau, autrement l'eau aurait déjà jailli auparavant; mais il y avait une autre pierre spirituelle qui faisait tout, c'est-à-dire, le Christ toujours présent au milieu d'eux et auteur de tous ces prodiges. Aussi dit-il : " Qui le suivait ". Voyez-vous la sagesse de Paul, comme il montre le Christ agissant des deux côtés et rapproche ainsi la figure de la réalité? Celui, dit-il, qui faisait ces, dons aux Juifs est le même qui nous a préparé cette table ; celui qui les a conduits à travers la mer Rouge, est celui qui vous a amenés par le baptême ; celui qui leur fournissait de la manne et de l'eau , vous donne son corps et son sang. Voilà ce qui concerne ses dons; voyons maintenant la suite, et s'il les a épargnés, quand ils se sont montrés indignes de ses dons. Vous ne sauriez le dire. Aussi ajoute-t-il : " Cependant la plupart d'entre eux ne furent pas agréables à Dieu", bien qu'il leur eût fait un tel honneur. Mais cela ne leur servit à rien et la plupart d'entre eux périrent. Au fait tous périrent ; mais pour ne pas avoir l'air de prophétiser un désastre universel , il dit : " La plupart ". Or ils formaient une grande multitude; mais le nombre ne leur servit à rien; tous ces bienfaits étaient des signes d'amour; mais cela encore leur fut inutile, parce qu'ils ne rendirent point amour pour amour. Comme beaucoup ne croient point à ce qu'on dit de l'enfer, il leur prouve par les faits que Dieu punit les pécheurs, même après les avoir comblés de bienfaits. Si vous ne croyez point à l'avenir, leur dit-il, au moins vous ne refuserez pas de croire au passé.

3. Considérez donc que de bienfaits Dieu leur avait accordés : il les avait délivrés de l'Egypte et de la servitude qu'ils y subissaient, il avait ouvert la mer, il avait fait tomber la manne du ciel, il avait fait jaillir dès sources d'une manière étrange et incroyable : il les accompagnait partout , faisant des prodiges et leur servant de défenseur ; et pourtant, quand ils ne surent pas répondre à tant de bonté , il ne les ménagea pas, mais il les fit tous périr. " Car ils succombèrent dans le désert ", dit-il : exprimant d'un seul mot leur ruine universelle, les châtiments divins , et la perte pour (444) tous du prix proposé. Car ce ne fut pas dans la terre de promission que Dieu les traita ainsi, mais au dehors et bien loin : leur infligeant ainsi un double châtiment, celui de ne point voir la terre promise et celui d'être sévèrement punis. Mais, direz-vous, qu'est-ce que cela nous fait ? Cela nous regarde; aussi l'apôtre ajoute-t-il : " Or toutes ces choses ont été " des figures de ce qui nous regarde". Comme les dons étaient des figures, ainsi les châtiments en étaient-ils; comme le baptême et la table sainte étaient indiqués d'avance, ainsi les punitions qui suivirent ont-elles été écrites pour nous, à l'effet de nous apprendre que ceux qui se rendront indignes du bienfait seront punis, et pour nous rendre plus sages par de tels exemples. Aussi l'apôtre ajoute-t-il " Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises comme eux les convoitèrent ". Car comme , en ce qui regarde les bienfaits , la figure a précédé et la réalité a suivi; ainsi en sera-t-il pour les châtiments. Voyez-vous comme il nous fait voir que non-seulement les coupables seront punis , mais qu'ils le seront plus sévèrement que les Juifs? Car si d'un côté est la figure et de l'autre la réalité, il faut nécessairement que la punition soit beaucoup plus grande, comme l'a été le bienfait.

Et voyez sur qui il frappe d'abord : Sur ceux qui mangent des viandes immolées aux idoles. Après avoir dit . " Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises", ce qui était général, il en vient à l'espèce, en, montrant que tout péché vient d'un désir coupable., et il dit en premier lieu: " Et que vous ne deveniez point idolâtres, comme quelques-uns d'eux, selon qu'il est écrit : Le peuple s'est assis pour manger et boire , et s'est levé pour se divertir ". Entendez-vous comme il les appelle idolâtres? Ici il se contente d'affirmer; plus tard il prouvera. Il donne la raison pour laquelle on courait à ces tables : c'était par gourmandise. C'est pourquoi après avoir dit : " Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises ", en ajoutant: " Et que vous ne deveniez point idolâtres ", il indique l'origine de ce crime, à savoir la gourmandise. " Car le peuple s'est assis pour manger et boire " ; puis il donne la fin : " Et s'est levé pour se divertir ". Comme les Juifs, dit-il, passèrent de la bonne chère à l'idolâtrie, il est à craindre qu'il ne vous en arrive autant. Voyez-vous comme il fait voir que ces prétendus parfaits sont plus imparfaits que les Juifs? Et il les blesse en montrant non-seulement qu'ils ne soutiennent pas la faiblesse des faibles , mais encore en faisant voir que ceux-ci pèchent par ignorance et eux par gourmandise ; et il dit que les forts paieront par leur punition la perte des faibles, et il ne leur permet point de se décharger de leur responsabilité , mais les déclare coupables de leur propre perte et de celle des autres. " Ne commettons point la fornication comme quelques-uns d'entre eux la commirent ".

Pourquoi mentionne-t-il encore la fornication , après en avoir déjà tant parlé? C'est l'usage de Paul, quand il accuse de beaucoup de péchés , de les disposer par ordre et de les suivre en détail ; puis, à propos des derniers, de revenir aux premiers ; comme Dieu luimême dans l'Ancien Testament, reprochait le veau d'or aux Juifs à l'occasion de toutes leurs fautes et en ramenait sans cesse le souvenir. Ainsi Paul fait ici : il rappelle la fornication, pour montrer qu'elle était aussi l'effet de la bonne chère et de la gourmandise. C'est pourquoi il ajoute : " Ne commettons pas la fornication comme quelques-uns d'entre eux la commirent, et il en tomba vingt-trois mille en un seul jour ". Et pourquoi ne parle-t-il pas de la punition de l'idolâtrie? On parce qu'elle était claire et connue; ou parce qu'elle ne fut pas aussi grande alors que du temps de Balaam, quand les Juifs furent initiés aux mystères de Béelphégor et que les femmes madianites se montrèrent sur le champ de bataille pour les provoquer à la débauche, selon le conseil de Balaam. Que ce mauvais conseil provînt de Balaam , Moïse nous l'apprend quand il dit à la fin du livre des Nombres : " Dans la guerre contre Madian, ils tuèrent Balaam fils de Béor parmi les blessés. Et Moïse se fâcha et dit : Pourquoi avez vous pris les femmes vivantes? Ce sont elles qui sont devenues une pierre d'achoppement pour les enfants d'Israël selon le conseil de Balaam, de sorte qu'ils firent défection et méprisèrent la parole du Seigneur à cause de Phégor ". (Nomb. XXXI, 44-16.) "Ne tentons point le Christ comme quelques-uns d'entre eux le tentèrent, et ils périrent par les serpents ".

4. Par ceci il fait allusion à un autre grief dont il parle encore à la fin , les accusant de disputer sur les signes, et de murmurer à (445) l'occasion des épreuves en disant : Quand viendront les biens? Quand viendront les récompenses? Et c'est pour les en corriger et les effrayer qu'il dit: " Ne murmurez point comme quelques-uns d'entre eux murmurèrent, et ils périrent par l'exterminateur ". Car on ne nous demande pas seulement de souffrir pour le Christ, mais de supporter les événements avec courage et avec grande joie. C'est là toute la couronne ; en dehors de cela , ceux qui auront souffert à contre-coeur seront punis. Voilà pourquoi les apôtres se réjouissaient d'avoir été battus de verges, et Paul se glorifiait dans les afflictions. " Or toutes ces choses leur arrivaient en figure; et elles ont été écrites pour nous être un avertissement, à nous pour qui est venue la fin des temps ".

Il les épouvante encore en parlant de la fin, et les prépare à attendre un avenir plus terrible que le passé. De tout ce qui a été exposé, dit-il, il est clair que nous serons punis . cela est évident même pour ceux qui ne croient pas à l'enfer; et que la punition sera plus grave, cela résulte de ce que nous avons reçu plus de bienfaits et de ce que ces châtiments n'étaient que des figures. Si les dons sont plus grands, nécessairement les punitions le seront aussi. Voilà pourquoi il appelle les anciennes punitions des figures et dit qu'elles ont été écrites pour nous ; puis il rappelle le souvenir de la fin, pour éveiller la pensée de la consommation. Car les châtiments alors ne seront plus comme ceux-là qui avaient une fin et disparaissaient ; mais ils seront éternels. Comme les peines de cette vie passent avec la vie même , ainsi celles de l'autre monde ne finiront jamais. Quand il parle de " la fin des temps ", il veut simplement dire que, le terrible jugement est proche. " Que celui donc qui croit être ferme prenne garde de tomber ". Ici il abat encore l'orgueil de ceux qui s'enflaient de leur science. Si ceux qui avaient reçu de tels bienfaits ont été ainsi punis , si d'autres l'ont été pour avoir simplement murmuré , d'autres pour avoir offert des tentations, et parce que le peuple ne craignait plus Dieu , bien qu'il eût été si favorisé; à bien plus forte raison nous en arrivera-t-il autant, si nous ne veillons sur nous. Il a donc raison de dire : " Que celui qui se croit ferme ". Car avoir confiance en soi, ce n'est pas être ferme comme on doit l'être ; avec cela , on tombe vite; les Juifs n'auraient pas subi un tel sort, s'ils avaient été humbles , et non orgueilleux et pleins de confiance. Il est donc clair que la source de ces maux sont d'abord la présomption, puis la négligence et la gourmandise.

Si donc vous êtes ferme, prenez garde de tomber. Car être ferme ici-bas ce n'est pas l'être solidement, tant que nous ne serons pas débarrassés des orages de cette vie et que nous n'aurons pas abordé au port: Ne soyez donc pas trop fier d'être ferme , mais prenez garde à la chute. Si Paul, le plus ferme des hommes, a craint , à bien plus forte raison devons-nous craindre nous-mêmes. L'apôtre disait : " Que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber "; et nous, nous ne pouvons pas même dire cela, puisque presque tous sont déjà tombés, abattus, étendus à terre. Car à qui parlerai-je? Est-ce à celui qui vole tous les jours? Mais il a fait une lourde chute. Est-ce au fornicateur? Mais il est couché sur le sol. Est-ce à l'ivrogne? Mais lui aussi est à bas, et il ne s'en aperçoit pas même. En sorte que ce n'est pas le temps de tenir ce langage , mais bien plutôt celui que le prophète adressait aux Juifs, quand il leur disait : " Est-ce que celui qui tombe ne se relève pas ? " (Ps. XI.) Car tous sont à terre, et ne veulent pas se relever. Nos exhortations ne tendent donc plus à empocher de tomber, mais à donner à ceux qui sont tombés la force de se relever. Relevons-nous donc, enfin , mes bien-aimés, quoiqu'il soit. bien tard , relevons-nous et tenons-nous debout solidement. Jusqu'à quand resterons-nous couchés ? Jusqu'à quand resterons-nous ivres, appesantis par la convoitise des biens temporels? C'est bien le cas de dire maintenant : A qui parlerai-je ? Qui prendrai-je pour témoin? Tous sont si bien devenus sourds à l'enseignement de la vérité ! Et ils se sont par là attiré tant de maux ! Si on pouvait voir les âmes à nu, on aurait dans l'Eglise le spectacle que présente un champ de bataille après le combat : des morts et des blessés.

C'est pourquoi je vous en prie et vous en conjure : tendons-nous la main les uns aux autres et relevons-nous. Car moi aussi je suis du nombre des blessés et de ceux qui ont besoin de la main qui applique les remèdes. Cependant ne désespérez pas pour cela; si les blessures sont graves, elles ne sont pas incurables. Notre médecin est si puissant ! sondons seulement nos plaies; et fussions-nous tombés au plus profond du vice, il nous ouvrira bien (446) des voies de salut. D'abord, si vous pardonnez au prochain , vos péchés vous seront remis. " Si vous remettez aux hommes leurs offenses ", nous dit Jésus-Christ, " votre Père céleste vous remettra aussi les vôtres ". (Matth. VI , 14.) Si vous faites l'aumône, il vous pardonnera vos 'péchés : " Rachetez " , est-il écrit, " vos iniquités au moyen de l'aumône ". (Dan. IV, 24.) Si vous priez avec ferveur, vous serez encore pardonné, comme nous le voyons par l'exemple de la veuve qui fléchit, à force d'instances, un juge inhumain. Si vous accusez vos péchés, vous recevrez de la consolation : " Accusez d'abord vos fautes, afin que vous soyez justifié ". (Is. XLIII, 26.) Si vous en êtes triste, ce sera encore un remède très-efficace ; car il est écrit : " J'ai vu qu'il était affligé, qu'il s'en allait triste, et j'ai corrigé ses voies ". (Is. LVII, 17,18.) Si vous supportez l'adversité avec patience, vous serez quitte de tout. C'est ce qu'Abraham dit au mauvais riche: " Lazare a reçu les maux et maintenant il est consolé ". (Luc , XVI , 25.) Si vous avez pitié de la veuve, vous vous laverez de vos péchés; car il est écrit: " Rendez justice à l'orphelin, faites droit à la veuve et venez discuter avec moi: quand vos péchés seraient rouges comme l'écarlate, je les rendrai blancs comme la neige ; fussent-ils de la couleur du safran, je les rendrai blancs comme la laine ". (Is. I, 17, 18.) Dieu ne laisse pas même paraître la cicatrice.

5. Quand nous serions réduits aux dernières extrémités comme celui qui avait dissipé son patrimoine et qui vivait de glands, pourvu que noua fassions pénitence, nous serons certainement sauvés; dussions-nous dix mille talents, pourvu que nous demandions grâce et que nous oubliions les injures, tout nous sera remis; fussions-nous égarés comme la brebis qui s'est écartée du bercail , il saura nous ramener, pourvu que nous le voulions, mes bien-aimés : car Dieu est bon. Aussi s'est-il contenté de voir à ses genoux celui qui lui devait dix mille talents ; de voir le prodigue revenir, et la brebis égarée consentir à être rapportée. Considérant donc l'étendue de sa bonté, rendons-le-nous propice ; prosternons-nous devant sa face en faisant l'aveu de nos fautes, de peur qu'au sortir de ce monde, nous trouvant sans excuse, nous ne soyons livrés au dernier supplice. Si nous montrons de la diligence pendant cette vie, une diligence quelconque, nous en retirerons un très-grand profit; mais si nous nous en allons sans nous être améliorés, l'amer repentir que nous éprouverons dans l'autre vie ne nous servira de rien. C'était dans l'arène qu'il fallait combattre, et non après la lutte finie, se livrer à des lamentations et à des larmes inutiles, à l'exemple de ce mauvais riche qui pleurait et gémissait, mais en pure perte, parce qu'il avait négligé de le faire à temps. Et il n'est pas le seul; il y a encore aujourd'hui beaucoup de riches de ce genre, qui ne veulent pas mépriser les richesses, mais qui négligent leur âme; ils sont pour moi un sujet d'étonnement, quand je les vois solliciter continuellement la miséricorde divine et cependant persévérer dans des dispositions qui les rendent incurables, et traiter leur âme comme une ennemie.

Ne nous faisons point d'illusion, mes bien-aimés, ne nous faisons point d'illusion, et ne nous trompons pas nous-mêmes au point de demander à Dieu d'avoir pitié de nous, pendant que nous préférons à cette pitié l'argent, la volupté, tout en un mot. Si quelqu'un vous constituait juge, et disait que celui qu'il accuse, méritant mille fois la mort et pouvant se racheter au moyen d'un léger sacrifice d'argent, aime cependant mieux mourir que de faire ce sacrifice, vous ne jugeriez certainement pas l'accusé digne d'indulgence ni de pardon. Appliquez-vous ce raisonnement : voilà ce que nous faisons réellement, quand nous négligeons notre salut et ménageons notre argent, Comment pouvez-vous prier Dieu de vous épargner, quand vous ne vous épargnez pas vous. même, et préférez l'argent à votre âme? Aussi je me sens frappé d'un extrême étonnement quand je considère combien il y a de prestige dans l'argent, ou plutôt de déception dans les âmes qui s'y attachent. Il y en a pourtant, oui, il y en a qui rient de bon cœur de cette séduction. Qu'y a-t-il donc là de propre à nous fasciner? n'est-ce pas de la matière, une matière inanimée, éphémère? Sa possession n'est-elle pas incertaine ? n'est-elle pas pleine de craintes et de périls? Une occasion de meurtres et d'embûches ? Une source d'inimitié et de haine ? de paresse et de vices nombreux? N'est-ce pas de la terre et de la cendre? Quelle folie que celle-là ! quelle maladie ! Mais, dirat-on, il ne s'agit pas seulement d'accuser ces malades, mais de les guérir de leur passion. Et comment les guérir, sinon en leur (447) montrant que cette passion est ignoble et qu'elle entraîne des maux incalculables?

Mais il n'est pas aisé de convaincre un homme attaché à ces puérilités. — Il faut donc lui présenter une autre beauté. — Mais étant encore malade, il ne voit pas la beauté incorporelle. — Offrons-lui-en donc une corporelle et disons-lui : Voyez les prairies et les fleurs qui les émaillent, plus éclatantes que l'or, plus gracieuses et plus brillantes que toutes les pierres précieuses; voyez les ruisseaux limpides, les fleuves sortant de terre sans bruit, comme de l'huile ; montez au ciel et voyez la beauté du soleil, le modeste éclat de la lune, les fleurs des étoiles. — Qu'est-ce que cela? direz-vous. Nous n'en usons pas comme de l'argent. — Nous en usons bien plus que de l'argent, puisque le besoin en est plus grand et la jouissance plus sûre. Car vous n'avez pas peur qu'on vous les enlève comme l'argent; vous pouvez compter dessus, et cela- sans souci, sans inquiétude. Que si vous vous affligez d'en jouir avec d'autres, de ne pas les posséder seul comme l'argent : alors ce n'est plus l'argent que vous aimez, ce me semble, mais l'avarice seule; vous n'aimeriez pas même l'argent, si tout le monde en avait. Puisque nous avons découvert l'objet de votre passion, c'est-à-dire, l'avarice, venez que je vous montre combien elle vous hait et vous déteste , que de glaives elle aiguise contre vous, combien de gouffres elle creuse sous vos pieds, combien de pièges elle vous tend, combien de précipices elle vous ouvre, afin que vous étouffiez votre affection pour elle. Et d'où saurons-nous tout cela? Des chemins, des guerres, de la mer, des tribunaux. En effet, elle emplit la mer de sang, elle rougit souvent le glaive des juges , elle arme elle-même ceux qui tendent jour et nuit des embûches sur les routes, elle porte à méconnaître les lois de la nature, elle fait les parricides, elle a introduit tous les maux dans le monde.

6. Aussi Paul l'appelle-t-il la racine de tous les maux. Elle réduit des amants à une condition qui n'est guère préférable à celle des condamnés aux mines. En effet, comme ceux-ci travaillent continuellement enfermés dans les ténèbres, chargés de fers et sans profit pour eux; ainsi les avares,.enfouis dans les cavernes de l'avarice, sans que personne les y oblige, se créent à eux-mêmes leur tourment, se chargent volontairement de chaînes que rien ne peut briser. Encore les condamnés se reposent-ils de leurs travaux, quand vient le soir; mais les avares creusent leurs misérables mines jour et nuit : ceux-là ont une mesure de travail déterminée; les avares ne connaissent point de mesure, et sont d'autant plus malheureux qu'ils creusent davantage. Et si vous me dites que les tins travaillent par force et les autres volontairement, vous indiquez par là même ce qu'il y a de terrible dans l'avarice, puisque,ceux qui en souffrent ne peuvent pas s'en débarrasser, vu qu'ils l'aiment. Comme le pourceau dans la fange, ils prennent plaisir à se vautrer dans la bourbe infecte de la cupidité, bien plus malheureux que ces condamnés dont nous parlions tout à l'heure. Pour vous convaincre que leur condition est pire, écoutez ce qu'est celle des uns et des autres. On dit donc que le terrain aurifère renferme dans ses sombres cavernes des coins et des recoins; on donne au condamné à ces durs travaux une lampe et un hoyau; puis il entre, portant aussi un vase qui distille l'huile goutte à goutte dans sa lampe, parce que, comme je l'ai déjà dit, les ténèbres pour lui sont continuelles. Le moment de prendre sa misérable nourriture vient et on dit qu'il l'ignore ; mais le gardien frappe violemment sur l'antre, et par le bruit et les éclats de sa voix, avertit les travailleurs que la fin du jour est arrivée. Ne frissonnez-vous pas en entendant tout cela ? Voyons cependant si le sort des avares n'est pas pire encore.

Leur passion est pour eux un gardien bien plus terrible , d'autant plus terrible , qu'elle enchaîne leur âme en même temps que leur corps. Leurs ténèbres sont encore plus affreuses; car elles ne sont pas sensibles, ils les produisent eux-mêmes et les traînent partout avec eux. Pour eux, la vue de l'âme est éteinte. Aussi le Christ les proclame-t-il malheureux entre tous, en disant : " Si donc la lumière qui. est en toi est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes que seront-elles ? " (Matth. VI, 23.) Les condamnés ont au moins une lampe qui brille, les avares en sont privés; aussi tombent-ils chaque jour dans mille gouffres. Les condamnés respirent au moins quand la nuit descend ; ils goûtent le calme commun à tous les malheureux, le calme de la nuit; mais l'avarice ferme ce port à ses victimes: tant sont nombreux les soucis qui les accablent pendant la nuit. Ils se tourmentent (448) alors avec d'autant plus de liberté que personne ne les gêne. Voilà ce qu'ils souffrent sur la terre ; mais comment peindre ce qu'ils souffriront dans l'autre monde ! Ces fournaises insupportables, ces fleuves de feu, ces grincements de dents, ces chaînes que rien ne peut briser, ce ver empoisonné , ces ténèbres absolues , ces maux qui n'auront point de fin? Craignons donc, mes bien-aimés, craignons la source de tant de supplices, cette passion insatiable, la ruine de notre salut. Car on ne peut aimer en même temps son âme et l'argent. Comprenons que l'argent n'est que terre et poussière, qu'il nous quitte au sortir de ce monde , souvent même avant le départ, qu'il nous nuit pour l'avenir et pour le présent. Car, même avant l'enfer et ses supplices, il nous enrage dans mille combats, il allume les séditions et les guerres.

Point de brouillon comme l'avarice ; rien de si appauvrissant pour le riche comme pour le pauvre. Car elle prend racine même dans l'âme des pauvres, et rend encore plus lourde leur pauvreté. Si un pauvre est avare, ce n'est plus par la fortune, mais par la faim qu'il est puni. Car il ne peut pas même se résoudre à jouir librement du peu qu'il a; mais il torture son estomac par la faim , punit son corps par la nudité et le froid, est plus sale et plus crasseux que ceux qui sont dans les fers ; il pleure et se lamente sans cesse, comme étant le plus malheureux des hommes, quand même il y en aurait par milliers de plus pauvres que lui. S'il paraît en public, il n'en sort que chargé de coups; s'il entre aux bains ou au théâtre, il sera plus maltraité encore, non-seulement de la part des spectateurs, mais de la part des

acteurs, quand il verra des prostituées toutes brillantes d'or. S'il navigue en mer, en songeant aux marchands, aux navires chargés, à d'immenses profits, il se croira à peine vivant; s'il voyage sur terre, en pensant aux campagnes, aux domaines voisins des villes, aux hôtelleries, aux établissements de bains, aux revenus que tout cela produit, il ne pourra croire que sa vie soit une véritable vie. Si vous le renfermez chez lui, en grattant les blessures qu'il a reçues sur la place il s'affligera encore davantage ; il ne verra pas d'autre consolation dans les maux qui l'obsèdent, que la mort, le départ de ce monde. Tel sera le sort, non-seulement du pauvre, mais aussi du riche affecté de cette maladie, et de celui-ci d'autant plus que le joug tyrannique lui pèse davantage et que son ivresse est plus grande. Aussi se croit-il le plus pauvre de tous et l'est-il réellement. Car la richesse et fa pauvreté ne se mesurent pas sur ce que l'on possède, mais sur les dispositions de l'âme; et celui-là est le plus pauvre de tous , qui désire toujours davantage et ne peut jamais éteindre ce coupable désir. Pour toutes ces raisons, fuyons donc l'avarice, la mère de la pauvreté, la perte de l'âme, l'amie de l'enfer, l'ennemie du royaume des cieux, ta source de tous les maux à la fois; et méprisons l'argent, afin de jouir de l'argent lui-même et avec lui des biens qui nous sont promis. Puissions-nous tous les obtenir , par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l'abbé DEVOILE.
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIV. AUCUNE TENTATION NE VOUS A ENCORE ÉPROUVÉS, SI CE N'EST UNE TENTATION HUMAINE ; DIEU EST FIDÈLE, ET IL NE SOUFFRIRA PAS QUE VOUS SOYEZ TENTÉS AU-DELA DE VOS FORCES, MAIS IL VOUS FERA TIRER AVANTAGE DE LA TENTATION MÊME AFIN QUE VOUS PUISSIEZ PERSÉVÉRER. (CHAP. X, VERS. 13, JUSQU'AU VERS. 25.)
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ANALYSE.

1. Dieu ne nous envoie pas des tentations au-dessus de nos forces. — De l'Eucharistie.

2. De la communion avec Jésus-Christ. — Beau développement sur l'union de la société chrétienne en Jésus-Christ.

3. Sainteté, puissance du corps de Jésus-Christ; mouvement chaleureux d'éloquence.

4. Images saisissantes qui prouvent avec quel respect on doit s'approcher de Jésus-Christ.

1. Il vient de leur inspirer une sage terreur, il vient de leur rappeler d'anciens exemples; il les a inquiétés en leur disant: " Que celui qui paraît ferme, prenne garde de tomber " ; on sait d'ailleurs qu'ils avaient supporté un grand nombre d'épreuves, qu'ils y avaient souvent trouvé des sujets d'exercices; car, dit l'apôtre lui-même, " tant que j'ai été parmi vous, j'y ai toujours été dans un état de faiblesse, de crainte et de tremblement " (I Cor. 11, 3); il s'ensuit que les Corinthiens auraient pu dire : pourquoi nous inspirer de la terreur, nous remplir de crainte ? nous ne sommes pas sans expérience des maux; nous avons été chassés ; nous avons souffert la persécution; nous avons couru sans trêve ni repos mille et mille dangers; et l'apôtre leur répond , pour réprimer leur orgueil : " Aucune tentation ne vous a encore éprouvés, si ce n'est une tentation humaine ", c'est-à-dire, faible, de peu de durée, proportionnée à vos forces. Il appelle humain ce qui est petit; c'est ainsi qu'il dit : " Je vous parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair ". (Rom. VI, 19.) Donc, ne vous exaltez pas, comme si vous aviez triomphé de la tempête ; vous n'avez pas encore vu le péril qui menace de mort, l'épreuve qui nous montre le glaive prêt à nous égorger. C'est ainsi qu'il disait aux Hébreux : " Vous n'avez et pas encore résisté, jusqu'à répandre votre sang, en combattant contre le péché". (Héb. XII, 4.) Que fait-il ensuite, après les avoir effrayés? Voyez comme il les redresse; il vient de leur persuader la modestie, et il leur dit : " Dieu est fidèle , et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ". Il y a donc des tentations qui ne se peuvent supporter? Quelles sont-elles? Toutes les tentations pour ainsi dire, car le pouvoir de supporter est dans la volonté de Dieu , qui se détermine selon nos propres dispositions. Aussi, pour nous prouver, nous montrer qu'il nous est impossible, sans le secours de Dieu, de supporter, non-seulement les tentations trop fortes pour nous, mais même les tentations humaines, dont il parle ici , Paul ajoute : " Il vous fera tirer avantage de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer ".

Même les tentations médiocres, je l'ai déjà dit, ce n'est pas par notre vertu propre que nous les supportons; même dans ces circonstances, nous avons besoin du secours de Dieu, pour les traverser et, avant de les traverser, pour en soutenir le choc; car c'est Dieu qui donne la patience, et qui procure la prompte délivrance ; ce n'est que par Dieu que la tentation se peut supporter; c'est ce que l'apôtre a indiqué par ces paroles : " Il fera que vous (450) pourrez persévérer " ; l'apôtre attribue tout à Dieu. " C'est pourquoi , mes très-chers frères, fuyez l'idolâtrie (14) ". Il les traite encore une fois avec douceur, en leur donnant le nom de frères; et il se hâte de les affranchir de l'idolâtrie; il ne se borne pas à dire : retirez-vous de, mais, " Fuyez "; et il appelle l'idolâtrie par son nom; et ce n'est pas seulement à cause du scandale, qu'il ordonne de repousser l'idolâtrie, mais c'est que l'idolâtrie en elle-même est une peste qui fait des ravages. " Je vous parle comme à des personnes sages, jugez vous-mêmes de ce que " je dis (15) ". Il vient de parler d'une faute grave, il a chargé l'accusation de toute la gravité de ce nom, l'idolâtrie; pour ne pas exaspérer les fidèles par des discours insupportables, il leur livre ses paroles à juger, et c'est d'une manière obligeante qu'il leur dit

" Soyez juges; je vous parle ",dit-il, " comme à des personnes sages " ; langage d'un homme qui a toute confiance dans sa cause et dans son droit; de cette manière il fait l'accusé juge de l'accusation. Voilà qui relève l'auditeur; on ne lui impose ni ordre ni loi ; on le consulte, on a l'air d'attendre son jugement. Ce n'était pas ainsi que Dieu parlait aux Juifs insensés et frivoles ; il ne leur rendait pas toujours compte de ses prescriptions; il se contentait de leur dicter ses ordres. Ici, au contraire, parce que nous jouissons d'une liberté supérieure, on nous consulte, on nous parle comme à des amis. Je n'ai pas, dit-il, besoin d'autres juges; c'est à vous à décider de ce que je dis, c'est vous que je prends pour juges. " N'est-il pas vrai que le calice de bénédictions, que nous bénissons, est la communion du sang de Jésus-Christ (16) ? "

Que dites-vous, ô bienheureux Paul? C'est pour la confusion de l'auditeur, sans doute, qu'en rappelant les redoutables mystères , vous appelez calice de bénédictions, ce calice terrible, et fait pour inspirer la crainte? Oui certes , répond l'apôtre, car il ne s'agit pas d'une chose indifférente ; quand je dis " Bénédictions ", je déploie tous les trésors de la bonté de Dieu , et je rappelle ses magnifiques présents. Nous aussi , nous passons en revue les ineffables bienfaits de Dieu, et tous les biens dont il nous fait jouir, lorsque nous lui offrons ce calice, lorsque nous communions, lui rendant grâces d'avoir délivré le genre humain de l'erreur, d'avoir rapproché de lui ceux qui en étaient éloignés, d'avoir fait, des désespérés, des athées de ce inonde, un peuple de frères, de cohéritiers du Fils de Dieu. C'est pour rendre grâces de ces bienfaits et d'autres bienfaits du même genre, que nous nous approchons de Dieu. Quelle contradiction ne faites-vous pas voir, dit l'apôtre, ô Corinthiens, vous qui bénissez le Seigneur de vous avoir affranchis des idoles, et qui courez de nouveau à leurs festins. " N'est-il pas vrai que le calice de bénédictions, que nous bénissons, est la communion du sang de Jésus-Christ ? " Langage tout à fait con. forme à la foi, et en même temps terrible, car voici ce qu'il veut dire : ce qui est dans le calice, c'est précisément ce qui a coulé de son côté, et c'est à cela que nous participons. Et maintenant il l'appelle calice de bénédictions, parce que nous l'avons dans les mains, lorsque nous célébrons le Seigneur avec admiration et pénétrés de crainte en méditant sur ses dons ineffables, en le bénissant d'avoir répandu son sang pour nous tirer de l'erreur, et non-seulement de l'avoir répandu, mais de nous l'avoir, ce même sang, distribué à tous, comme s'il nous disait : Si vous désirez m'offrir du sang, n'ensanglantez pas les autels des idoles, en égorgeant des animaux; ensanglantez mon autel de mon propre sang. Quoi de plus fait que ce langage, pour inspirer la terreur, pour inspirer l'amour?

2. C'est ce que font ceux qui aiment, quand ils voient l'objet aimé, dédaignant leurs dons, préférer ceux des étrangers. Ils lui offrent ce qu'ils ont, afin de détacher son coeur de tous les autres présents. Mais les amants de ce inonde prouvent leur générosité en donnant de l'argent, des vêtements , des objets quelconques , personne ne donne son sang. Le Christ, au contraire, le donne, prouvant ainsi l'intérêt qu'il nous porte et l'ardeur de son amour. Dans l'ancienne loi, les hommes, étant plus loin de la perfection, offraient du sang aux idoles, et Dieu daignait agréer ce même sang pour les écarter des idoles. Cela même était la preuve d'un amour ineffable; mais il a fait plus, il a rendu l'oeuvre sacerdotale plus redoutable, plus auguste. Il a changé l'essence même du sacrifice, et, au lieu d'égorger des animaux, c'est lui-même qu'il a commandé d'offrir. " Le pain que nous rompons n'est-il pas la communion du corps du Christ? " Pourquoi ne dit-il pas: la participation ? C'est (451) pour exprimer quelque chose de plus, pour indiquer une intime union; car il n'y a pas seulement participation, partage, il y a union. De même que ce corps est uni au Christ, de même, nous aussi, par ce pain, nous sommes unis à Jésus-Christ même. Pourquoi ajoute-t-il: " Que nous rompons ? " C'est ce qui se pratique dans l'Eucharistie. Il n'en fut pas de même sur la croix; ou plutôt, ce fut tout le contraire, car, dit l'Écriture: " Pas un seul de ses os ne sera brisé ". (Nomb. IX, 12; Exode, XII, 46.) Mais ce que le Christ n'a pas souffert sur la croix, il le souffre dans l'oblation à cause de vous. Et il veut bien être rompu, afin de rassasier tous les hommes. Maintenant, après avoir dit : " La communion du corps ", comme ce qui se communique, est différent de ce à quoi il se communique, l'apôtre veut encore faire disparaître cette différence, quelque légère qu'elle pût paraître. Il a dit: " La communion du corps "; il cherche une autre expression pour rendre une union encore plus intime; c'est pourquoi il ajoute . " Car nous ne sommes tous ensemble qu'un seul pain et un seul corps (17) ".

Que parlé-je, dit-il, de communion? Nous sommes précisément ce corps même. Qu'est-ce que le pain? le corps du Christ. Que deviennent les communiants? le, corps du Christ; noir pas une multitude de corps, mais un corps unique. De même que le pain, composé de tant de grains de blé, n'est qu'un pain unique, de telle sorte qu'on n'aperçoit pas du tout les grains, de même que les grains y subsistent, mais impassible d'y voir ce qui les distingue dans la masse si bien unis; ainsi, nous tous ensemble; et avec le Christ, nous ne faisons qu'un tout. En effet, ce n'est pas d'un corps que se nourrit celui-ci, d'un antre corps que se nourrit celui-là; c'est le même corps qui les nourrit tous. Aussi l’apôtre a-t-il ajouté : " Parce que nous participons tous à un même pain ". Eh bien, maintenant, si nous participons tous au même pain ; et si tous nous devenons- cette même substance, pourquoi ne montrons-nous pas la même charité ? Pourquoi, par la même raison, ne devenons-nous pas un même tout unique? C'est ce que l'on voyait du temps de nos pères : " Toute la multitude de ceux qui croyaient, n'avaient qu'un coeur et qu'une âme ". (Act. IV, 32.) Il n'en est pas de même à présent; c'est tout le contraire. Des guerres innombrables, et sous toutes les formes, ne montrent que trop que nous sommes plus cruels que les bêtes féroces, pour ceux dont nous sommes les membres, et qui sont les nôtres. Et pourtant, ô homme, c'est le Christ qui est venu te chercher, toi qui étais si loin de lui, pour s'unir à toi; et toi, tu ne veux pas t'unir à ton frère ? Tu n'y mets pas l'empressement que tu devrais montrer; tu te sépares violemment de lui, après avoir obtenu du Seigneur une si grande preuve d'amour et la vie ! En effet, il n'a pas seulement donné son corps, mais, attendu que la première chair, tirée de la terre, était morte par le péché, il a introduit, pour ainsi dire , une autre substance, un autre ferment, c'est sa chair à lui, sa chair, de même nature que la nôtre, mais exempte du péché, sa chair pleine de vie, et le Seigneur nous l'a partagée à tous, afin que, nourris de cette chair nouvelle, et nous dépouillant de la première qui était morte, nous pussions entrer, par ce banquet, dans la vie immortelle.

" Considérez les Israélites selon la chair, ceux d'entre eux qui mangent de la victime immolée, ne prennent-ils pas ainsi part à l'autel (18) ? " Encore un effort, pour les amener par l'ancienne loi à l'intelligence de sa parole. En effet, comme ils avaient l'esprit beaucoup trop bas pour comprendre la sublimité de ses paroles, afin de les persuader, il les attaque par leurs vieilles habitudes. C'est avec raison que l'apôtre dit : " Israélites selon la chair ", les chrétiens étant devenus israélites selon l'esprit. Voici ce qu'il veut dire aux fidèles; les esprits, même les plus épais, vous enseignent que ceux qui mangent de la victime immolée, prennent part à l'autel. Voyez-vous comme il leur montre que ceux qui semblaient parfaits, n'avaient pas la science parfaite? Eux qui ne savaient pas qu'en prenant part à la table dos idoles, ils entraient en amitié avec les démons; leurs relations les entraînant insensiblement. En effet, si , chez les hommes, participer au même sel, à la même table, est une occasion et un symbole d'amitié, c'est précisément ce qui peut arriver avec les démons. Quant à vous, observez qu'en parlant des Juifs, il ne dit pas qu'ils communiquent avec Dieu , mais " qu'ils prennent part à l'au tel ". En effet, ce qui s'offrait autrefois sur l'autel devait être consumé par le feu. Pour le corps du Christ, il n'en est pas de même. (452) Qu'arrive-t-il donc? " C'est la communion du corps du Seigneur ". Ce n'est pas à l'autel, c'est au Christ lui-même que nous participons. Après avoir dit : " Ne prennent-ils pas ainsi part à l'autel? " il ne veut pas avoir l'air de dire que ces idoles aient un pouvoir quelconque, et soient capables de nuire. Voyez comme il fait justice de cette pensée , en ajoutant . " Est-ce donc que je veuille dire que ce qui a été immolé aux idoles, ait quelque vertu, ou que l'idole soit quelque chose (19) ? "

3. Voici ma pensée, dit l'apôtre : je ne veux que vous en détourner; je ne dis pas que les idoles puissent nuire en quelque chose, qu'elles aient une vertu , quelle qu'elle soit. Les idoles ne sont rien. Mais je veux que vous les preniez en mépris. Mais, me dira-t-on, si vous voulez que nous les prenions en mépris , pourquoi vous montrez-vous si jaloux de nous détourner des viandes qui leur sont offertes? C'est qu'on ne les offre pas à votre Dieu. " Ce que les païens immolent ", dit l'apôtre, " ils l'immolent au démon, et non pas à Dieu (20) ". Gardez-vous donc de courir chez vos ennemis. Si vous étiez le fils d'un roi, admis à la table de votre père, vous ne l'abandonneriez pas, pour la table des condamnés, de ceux qui sont aux fers dans les prisons; votre père ne le souffrirait pas; au contraire, il emploierait la violence pour vous en détourner, non que cette table pût vous nuire, mais parce qu'elle serait indigne , et de votre noblesse et de la table royale. En effet, ceux dont je parle, sont aussi des esclaves, des criminels, des infâmes, des condamnés dans les fers, réservés à un supplice insupportable, à des maux sans nombre. Comment donc ne rougissez-vous pas de ces honteux excès, de ces êtres serviles ? quand des condamnés dressent leurs tables, comment osez-vous y courir, et prendre votre part de leurs festins? Si je vous en éloigne, c'est que le but des sacrificateurs, c'est que la qualité des gens qui vous reçoivent, souille les mets qu'ils vous présentent. " Je désire que vous n'ayez aucune société avec les démons ". Comprenez-vous la tendresse inquiète d'un père? Comprenez-vous l'affection qu'exprime si éloquemment sa parole ? Je ne veux pas, dit-il, que vous ayez rien de commun avec eux.

Ensuite, comme il n'a fait jusque-là qu'exhorter, les esprits épais auraient pu se croire en droit de mépriser ses paroles; voilà pourquoi, après avoir dit. " Je ne veux pas"; après avoir dit: " Vous, soyez juges "; il émet une décision, il formule la loi : " Vous ne pouvez pas boire le calice du Seigneur, et le calice des démons. Vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur, et à la table des démons (21) ". Ces seuls noms lui suffisent pour les détourner; par ce qui suit, il veut leur faire honte : " Est-ce que nous voulons irriter Dieu, en le piquant de jalousie? Sommes-nous plus forts que lui (22)?" C'est-à-dire, prétendons-nous essayer si Dieu est assez fort pour nous punir; voulons-nous l'irriter, en passant du côté contraire, en nous mettant dans les rangs de ses ennemis? Ces paroles rappellent une ancienne histoire, le péché des anciens parents. Voilà pourquoi il se sert de la parole que Moïse fit entendre autrefois contre les Juifs, quand il les accusait d'idolâtrie, et qu'il faisait ainsi parler Dieu : " Ils m'ont piqué de jalousie ", dit le texte, " en adorant ceux qui n'étaient point Dieu, et ils m'ont irrité par leurs idoles ". (Deutéron. XXXII, 21.) Sommes-nous plus forts que lui? Comprenez-vous ce qu'il y a de terrible, de fait pour épouvanter, dans cette réprimande? Il les fait tressaillir en les réduisant ainsi à l'absurde; il les secoue fortement, et il rabaisse leur orgueil. Et pourquoi, me dira-t-on, n'a-t-il pas tout d'abord énoncé les idées qui étaient les plus capables de les écarter des idoles? C'est que son habitude est d'avoir recours à plusieurs preuves, de réserver les plus fortes pour les dernières, et d'emporter la conviction parla surabondance de ses moyens. Voilà pourquoi il commence par les malheurs moindres, il arrive ensuite à ce qu'il y a de plus funeste. Ajoutez à cela qu'en commençant par les paroles moins sévères, il prépare les esprits à recevoir le reste. " Tout m'est permis, mais tout n'est pas avantageux ; tout m'est permis, mais tout n'édifie pas (23). Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres (24) ".

Comprenez-vous ce qu'il y a là de sagesse achevée? Il était à croire que plus d'un se disait : Je suis du nombre des parfaits, je suis à moi, je suis maître de mes actions, et je ne me fais aucun tort en goûtant des mets qui me sont servis. Oui, répond l'apôtre, vous êtes parfait, je le veux, vous êtes maître de vous, j'en suis d'accord. Mais ce n'est pas là ce que vous devez considérer; considérez plutôt si ce (453) qui arrive, n'est pas de nature à vous nuire, de nature à scandaliser. Car il exprime ces deux pensées : " Tout n'est pas avantageux, tout n'édifie pas ". La première expression regarde l'intérêt personnel; la seconde l'intérêt des frères. L'expression " n'est pas avantageux ", marque la perte encourue par celui qui fait mal ; l'expression " n'édifie pas ", marque le scandale dont on est l'occasion pour ses frères. Aussi ajoute-t-il : " Que personne ne cherche sa propre satisfaction ", pensée qu'il prouve partout, et dans tout le cours de sa lettre, et dans la lettre aux Romains, quand il dit : " Puisque Jésus-Christ n'a pas cherché à se satisfaire lui-même " (Rom. XV, 3); et. ailleurs encore : " Comme je tâche moi-même à plaire à tous en toutes choses, ne cherchant point ce qui m'est avantageux " (I Cor. X, 33); et ici encore, sans toutefois insister sur cette pensée. En effet, plus haut, il a prouvé et démontré abondamment qu'il ne cherche nulle part son intérêt, qu'il s'est fait Juif pour les Juifs; que pour ceux qui sont sans loi, il s'est montré comme s'il n'avait pas de loi ; qu'il ne s'est pas servi au hasard de sa liberté, de son pouvoir, qu'il a cherché l'intérêt de tous, qu'il s'est fait le serviteur de tous. Ici, il s'arrête, après quelques paroles qui lui suffisent pour rappeler tout ce qu'il a déjà dit. Eh bien donc, pénétrés de ces vérités, nous aussi, mes bien-aimés, veillons à l'intérêt de nos frères, conservons-nous dans l'unité avec eux; car c'est à cela que nous conduit ce sacrifice redoutable, et plein d'épouvante, qui nous commande la concorde, la ferveur de la charité, afin que, devenus comme des aigles, nous prenions notre essor jusque dans le ciel. " Partout où se trouvera le corps mort, les aigles s'assembleront ". (Matth. XXIV, 28.) C'est ainsi qu'il appelle son corps à cause de la mort qu'il a endurée : si ce corps ne fût pas mort, nous ne serions pas ressuscités. Quant aux aigles, c'est pour montrer la sublimité qui convient à quiconque s'approche de ce corps; celui-là ne doit avoir rien de terrestre, il ne doit ni s'abaisser, ni ramper, mais toujours tendre vers les hauteurs, y prendre son vol, fixer les yeux sur le soleil de justice, avoir la vue perçante; car c'est le festin des aigles et non des geais. Les aigles iront au-devant de lui, lorsqu'il descendra du ciel; je désigne par là ceux qui reçoivent dignement son corps, et cela est aussi vrai qu'il est assuré, que ceux qui le reçoivent indignement, subiront les derniers supplices.

4. Si on ne reçoit pas un roi comme une autre personne, et que dis-je d'un roi? s'il est vrai qu'on ne touche pas avec des mains souillées un vêtement de roi, fût-on même dans un lieu solitaire, seul, loin de tout témoin; et cependant un vêtement n'est autre chose qu'un tissu filé par des vers; si vous admirez la pourpre, et cependant ce n'est que le sang d'un poisson mort; toutefois, nul n'oserait y toucher, avec des mains souillées : eh bien, si l'on n'ose pas toucher, sans précaution, un vêtement d'homme, oserons-nous bien, quand c'est le corps du Dieu de l'univers, le corps immaculé, resplendissant de pureté, uni à cette ineffable nature divine, le corps par lequel nous sommes, par lequel nous vivons, par lequel les portes de la mort ont été brisées, les voûtes du ciel nous sont ouvertes, oserons-nous bien le recevoir avec d'indignes outrages? Non, je vous en prie, ne soyons pas homicides de nous-mêmes par notre impudence ; soyons saisis d'une sainte horreur, soyons purs en nous approchant de ce corps, et quand vous le verrez exposé à vos yeux, dites-vous à vous-même : c'est à ce corps que je dois de ne glus être terre et cendre, de né plus être captif, mais libre; c'est par lui que j'espère le ciel, et les biens qui sont là-haut, en réserve pour moi, la vie immortelle, la condition des anges, l'intimité avec le Christ. Ce corps a été cloué sur la croix, ce corps a été déchiré par les fouets, la mort n'en a pas triomphé; ce corps, attaché à la croix, a fait que le soleil a détourné ses rayons; c'est par ce corps que le voile du temple a été déchiré, que les rochers se sont fendus, que la terre entière a été ébranlée; le voilà ce corps qui a été ensanglanté, percé d'une lance d'où ont jailli deux sources salutaires pour le monde, une source de sang, une source d'eau. Voulez-vous d'ailleurs en connaître la vertu, demandez-la à la femme, travaillée d'une perte de sang, qui n'a pas touché ce corps, mais rien que le vêtement; qui n'a pas touché le vêtement, mais rien que la bordure; demandez-la à la mer, qui a porté ce corps sur ses flots; demandez-la au démon lui-même, et dites-lui : D'où te vient cette plaie incurable? d'où vient que te voilà sans pouvoir? d'où vient que tu es captif? qui t'a saisi pendant que tu (454) fuyais? Et le démon ne vous répondra que ces mots : Le corps crucifié. C'est par lui que les aiguillons de l'enfer ont été brisés; par lui que les membres du démon ont été broyés, par lui que les principautés et les puissances ont été désarmées. " Et ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées hautement en triomphe, à la face du monde entier, après les avoir vaincues par sa croix ". (Colos. II, 15.)

Demandez-la à la mort, la vertu de ce cors, et dites-lui : D’où vient que tu n'as plus aiguillon ? d'où vient que la chaîne de tes victoires est rompue? d'où vient que tu n'as plus de nerfs? d'où vient que les jeunes filles et que les enfants te trouvent ridicule, toi qui faisais peur aux tyrans , toi que tous les justes redoutaient jusque-là? Et la mort dira: C'est à cause de ce corps. Car, lorsqu'on le crucifiait, alors les morts ressuscitèrent, alors la prison infernale fut défoncée, alors les portes d'airain furent brisées, et les morts furent libres, et les geôliers de l'enfer furent tous frappés de stupeur. Si ce supplicié eût été un homme ordinaire, c'est le contraire qui devait arriver ; la mort aurait été plus puissante ; mais non, ce n'était pas un homme ordinaire, et voilà pourquoi la mort fut brisée. Et de même qu'après avoir pris un aliment que l'on ne saurait digérer, il faut rendre, outre cet aliment, tout ce qu'on avait pris, de même a fait la mort. Ce corps qu'elle avait pris elle n'a pu le digérer, elle a dû le rejeter, et avec lui tous ceux qui étaient dans ses entrailles. Ce corps divin, dans le sein de la mort, la déchira douloureusement , jusqu'à ce qu'elle l'eût rendu. De là ce que dit l'apôtre: " En arrêtant les douleurs de l'enfer ". (Act. XI, 24.) Non, jamais femme dans les douleurs de l'enfantement, n'est tourmentée comme le fut la mort, quand le corps du Seigneur déchirait ses entrailles. Et vous savez ce qui arriva au dragon de Babylone , qui mangea et creva; c'est ce qui est arrivé à la mort. Car le Christ n'est pas sorti, par la bouche de la mort, mais par le ventre même ; par le milieu du ventre du dragon, crevé et déchiré. C'est ainsi qu'il est sorti de ses entrailles environné de splendeur, rayonnant de toutes parts, et il a pris son essor non-seulement jusqu'au ciel que nos yeux contemplent, mais jusque sur les hauteurs de son trône. Car il a enlevé son corps avec lui. Ce même corps, il nous l'a donné pour le posséder, pour nous en nourrir, preuve d'un ardent amour; car ceux que nous aimons d'un vif amour, nous voudrions les manger. C'est ainsi que Job disait, pour montrer l'amour que lui portaient ses serviteurs, que souvent ils témoignaient l'ardeur de leur affection pour lui, par ces paroles. " Qui nous donnera de sa chair, afin que nous en soyons rassasiés? " (Job, XXXI, 34.) C'est ainsi que le Christ nous a donné ses chairs, pour que nous en soyons rassasiés , pour s'assurer l'ardeur de plus en plus vive de notre amour.

5. Approchons-nous donc de lui avec ferveur, avec une charité brûlante , et fuyons l'éternel supplice. Plus nous aurons reçu de bienfaits, plus nous serons punis, si nous ne savons pas nous montrer dignes de tant de bonté. Ce corps était couché dans une crèche, et les mages lui ont apporté leur vénération. Des hommes sans foi , des barbares ont quitté leur patrie, leur maison ; ils ont fait un long voyage, et ils sont venus, avec crainte et tremblement, l'adorer. Imitons donc, au moins, des barbares, nous , citoyens du ciel. Ces hommes qui ne voyaient qu'une crèche , une cabane, rien qui ressemble à ce que vous voyez aujourd'hui, se sont approchés, tout saisis de respect et de crainte; et vous, ce n'est pas dans une crèche que vous l'apercevez, mais dans son sanctuaire; ce n'est pas une femme qui le tient, mais le prêtre , et le Saint-Esprit avec l'abondance de ses dons plane au-dessus du sacrifice. Vous ne voyez pas simplement comme ceux-là ce corps de vos yeux, mais vous en connaissez la puissance , vous n'ignorez rien de l'économie divine, vous n'ignorez rien des mystères accomplis par ce corps : on vous a tout appris avec soin, en vous initiant. Secouons donc notre assoupissement, et frissonnons ; élevons-nous bien au-dessus de ces barbares; montrons une piété qui les dépasse; gardons-nous, en nous approchant sans nous recueillir, d'amasser le feu sur notre tête. Ce que je dis, ce n'est pas pour que nous -refusions de nous avancer, mais pour que nous nous gardions bien de nous approcher sans recueillement. De même que l'absence de recueillement est dangereuse; de même il y a danger à négliger sa part du mystique banquet; c'est la faim, c'est la mort. Cette table donne à notre âme ses nerfs, à nos pensées le lien de leur union, le fondement de notre confiance; notre espérance, notre salut, notre lumière, notre vie.

455

Si nous sortons de ce monde après la participation de ce sacrement, nous entrerons aven. une confiance entière dans le sanctuaire du ciel, comme si une armure d'or nous rendait invulnérables. Eh ! pourquoi parler de la vie à venir? La terre même, ici-bas, devient le ciel, par ce mystère. Ouvrez donc, ouvrez les portes du ciel, regardez: du ciel, ce n'est pas assez dire, mais du plus haut du ciel , et vous allez voir ce que je vous ai annoncé. Ce que les trésors du ciel, à sa plus haute cime, ont de plus précieux, je vais vous le montrer, couché sur la terre. Car s'il est vrai que, dans un palais de roi, ce qu'il y a de plus auguste, ce ne sont ni les murs, ni les lambris d'or, mais le roi sur, son trône, ainsi, dans le ciel même, c'est le roi. Eh bien ! vous le pouvez voir; aujourd'hui, sur la terre. Je ne vous montre ni anges, ni archanges, ni ciel, ni le ciel du ciel . c'est , de tout cela le Maître et Seigneur, que je vous montre. Comprenez-vous comment ce qu'il y a dans l'univers de plus précieux, vous le voyez sur la terre? et non seulement vous le voyez, mais vous le touchez : mais vous faites plus encore, vous vous en nourrissez, vous le recevez, vous l'emportez dans votre demeure? Purifiez donc votre âme, préparez votre esprit à recevoir ces mystères. Si vous aviez à porter un fils de roi , avec ses riches ornements, sa pourpre, son diadème, vous rejetteriez tout ce qu'il y a sur la terre; mais maintenant ce n'est pas le fils d'un roi mortel, c'est le Fils unique de Dieu lui-même que vous recevez, et vous ne frissonnez pas, répondez-moi , et vous ne répudiez pas tout amour des choses de ce monde ! Il ne vous suffit pas de cet ineffable ornement; vous avez encore des regards pour la terre, et vous soupirez après les richesses , et c'est de l'or que vous êtes épris ! Quelle pourrait être votre excuse? que direz-vous pour vous justifier? Ne savez-vous pas jusqu'où va, contre la pompe du siècle, l'aversion du Seigneur? N'est-ce pas pour cela qu'il est né dans une crèche, qu'il a pris pour mère une femme d'humble condition? n'est-ce pas pour cela qu'il répondit à celui qui lui parlait d'un abri: " Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ? " (Matth. VIII, 20.) Et ses disciples? n'ont-ils pas suivi la même loi , logeant dans les maisons des pauvres; l'un, chez un cordonnier; l'autre, chez un couseur de tentes, et une marchande d'étoffes de pourpre? Ils ne recherchaient pas la magnificence de la maison , mais les vertus des âmes. Eh bien ! nous aussi, rivalisons avec eux, ne nous arrêtant pas devant la beauté des colonnes et des marbres; recherchons les demeures d'en-haut : foulons aux pieds, avec tout le luxe d'ici-bas, l'amour des richesses, concevons de hautes pensées. Si nous avons la sagesse , toute cette beauté n'est pas digne de nous, encore moins ces portiques et ces lieux de promenade. Aussi, je vous en conjure, embellissons notre âne, c'est là l'habitation que nous devons orner, que nous emporterons avec nous en partant, pour obtenir les biens éternels, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXV. MANGEZ DE TOUT CE QUI SE VEND A LA BOUCHERIE, SANS VOUS ENQUÉRIR D'OÙ CELA VIENT, PAR UN SCRUPULE DE CONSCIENCE. (CHAP. X, VERS. 25, JUSQU'AU VERS. 1 DU CHAP. XI.)
456

ANALYSE.

1 et 2. De la conduite à tenir à la table des infidèles, en ce qui concerne les viandes consacrées aux idoles.

3. Paul imitateur de Jésus-Christ. — Excellence de la vertu de Paul. — Rechercher l'intérêt de tous.

4. Perfection de la vertu, la charité.

1. Après leur avoir dit qu'il est impossible de boire à la fois le calice du Seigneur et le calice des démons; après les avoir écartés des tables sacrilèges par les exemples des Juifs, par des raisonnements humains, par nos redoutables mystères, par les pratiques des idolâtres; après leur avoir inspiré une profonde terreur, il ne veut pas les jeter, par cette terreur, dans un autre extrême; il ne veut pas qu'une inquiétude exagérée les force à se demander si par hasard, du marché ou d'ailleurs, il leur vient quelques mets défendus, et, pour les affranchir d'un excès d'angoisses, il leur dit : " Mangez de tout ce qui se vend à la boucherie, sans vous enquérir d'où cela vient, par un scrupule de conscience ". En effet, si vous n'étiez pas avertis, si vous avez mangé à votre insu, vous n'avez pas à redouter le supplice ; la faute en est à l'ignorance, non à la sensualité. Et il ne les affranchit pas seulement de cette angoisse, il dissipe encore d'autres frayeurs, il leur ménage une grande liberté, une grande sécurité; il ne leur permet pas de discerner, d'examiner, de rechercher si telle viande a été offerte aux idoles, oui ou non; il leur dit de manger, sans distinction, de tout ce qui vient du marché, de ne pas s'enquérir de ce qu'on leur sert, de telle sorte que mangeant dans l'ignorance ils n'aient rien à craindre. Telles sont, en effet, les fautes qui ne sont pas des fautes par nature, mais qui souillent par l'intention ; de là ces paroles : " Sans vous enquérir ". Car, dit-il, " la terre est au Seigneur avec tout ce qu'elle contient (26) " ; elle n'appartient pas au démon. Si la terre, et ses fruits, et tous ses animaux, appartiennent au Seigneur, il n'y a là rien d'impur. L'impureté provient d'une toute autre cause, à savoir de la pensée, de la désobéissance.

Aussi l'apôtre ne s'est pas borné à la permission qu'il leur donne, mais il ajoute : " Si un infidèle vous prie à manger chez lui, et que vous vouliez y aller, mangez de tout ce qu'on vous servira, sans vous enquérir d'où cela vient, par un scrupule de conscience (27) ". Voyez, encore ici, sa modération : il ne commande pas, il n'ordonne pas, il ne défend pas non plus de se rendre à l'invitation. Quant à ceux qui s'y rendent, il les affranchit de tout scrupule. Pourquoi ? C'est pour prévenir l'excès d'inquiétude où la crainte jetterait les fidèles. Car cette recherche inquiète est une faiblesse et un effet de la crainte : celui qui s'abstient, après qu'on l'a averti, montre suffisamment son mépris, sa haine, son aversion, en s'abstenant. Ainsi Paul remédie à tout ; il dit : " Mangez de tout ce qu'on vous servira. Si quelqu'un vous dit : Ceci a été immolé aux idoles, n'en mangez pas à cause de celui qui vous a donné cet avis (28) ". Ce n'est pas parce que les idoles auraient une puissance quelconque, mais parce qu'il les faut détester. Donc, ne fuyez pas, comme si les idoles pouvaient vous nuire, car elles n'ont aucun pouvoir; et d'un autre côté, par cette (457) considération qu'elles n'ont aucun pouvoir, ne participez pas étourdiment au festin, car ce sont des tables d'ennemis, des tables déshonorées. Voilà pourquoi l'apôtre disait : " N'en mangez pas à cause de celui qui vous a donné cet avis, et aussi de peur de blesser la conscience. Car la terre est au Seigneur, avec tout ce qu'elle contient ". Voyez-vous de quelle manière, soit qu'il conseille de manger, soit qu'il conseille de s'abstenir, il apporte le même témoignage. Si je vous fais la défense, dit-il, ce n'est pas que ces mets proviennent d'une cause étrangère, car la terre est au Seigneur; mais c'est pour le motif que je vous disais, pour la conscience, c'est-à-dire, pour éviter le scandale; mais alors il faut donc s'enquérir avec inquiétude ? Nullement, dit-il, car je ne dis pas : " Votre conscience ", mais " sa conscience " ; en effet, j'ai commencé par vous dire : " A cause de celui qui vous a donné cet avis " , et encore : " Et aussi de peur de blesser, je ne dis pas votre conscience, mais celle d'un autre (29) ".

Mais peut-être, dira-t-on, vous avez raison de vous occuper de nos frères, de ne, pas nous permettre de goûter de ces mets à cause de nos frères; il ne faut pas que leur conscience peu affermie soit portée à manger une viande offerte aux idoles ; mais, s'il s'agit d'un gentil, d'un païen, quel souci en prenez-vous? N'est-ce pas vous qui, disiez : " Car pourquoi entreprendrai-je de juger ceux qui sont hors de l'Eglise ? " (I Cor. V, 12.) Donc pourquoi vous occupez-vous encore des païens? Je ne m'occupe pas des païens, dit l'apôtre, mais, dans cette circonstance, c'est de vous que je m'inquiète; voilà pourquoi il ajoute : " Car pourquoi m'exposerai-je à faire condamner, par la conscience d'un autre, cette liberté que j'ai de manger de tout? " Ce qu'il faut entendre par liberté, ici, c'est l'absence de prescriptions et de défenses : c'est en cela, en effet, que consiste la liberté, affranchie de la servitude des Juifs. Or, voici ce qu'il veut dire : Dieu m'a fait libre et supérieur à toutes souillures de ce genre. Mais les païens ne savent ni discerner la sagesse qui me guide, ni reconnaître la libéralité de mon Dieu. Un païen me condamnera, et dira en lui-même : la religion des chrétiens n'est qu'une fable ; ils s'éloignent des idoles; ils fuient les démons, et ils s'attachent aux offrandes consacrées aux démons. La gourmandise les domine. — Et encore, dira quelqu'un, que nous fait ce jugement? Quel mal nous en revient-il? — Combien il vaudrait mieux ne pas fournir l'occasion d'un pareil jugement ! Si vous vous abstenez, il n'aura rien à dire. Comment, me répondrez-vous, n'aura-t-il rien à dire? Comment ! Il me verra n'examinant rien, ni à la boucherie, ni dans un festin, recevoir tout indifféremment, et il ne trouvera rien à redire ? et il ne me condamnera pas pour prendre ainsi ma part indifféremment à tous les mets ?nullement. Et en effet, vous ne mangez pas ces viandes parce qu'elles sont offertes aux idoles, mais parce que vous les croyez pures. Et maintenant, ce que vous gagnez à ne pas vous enquérir curieusement d'où cela vient, c'est de montrer que vous n'avez pas peur de ce que l'on vous sert. Voilà pourquoi, soit que vous entriez chez un païen, soit que vous vous rendiez au marché, je ne vous permets pas d'aller aux renseignements, de redouter les on dit, de vous embarrasser, de vous tourmenter, de vous créer des affaires superflues. " Si je prends avec actions de grâces ce que je mange, pourquoi parle-t-on mal de moi, pour une chose dont je rends grâces à Dieu (30) ? " Que prenez-vous avec actions de grâces? votre part des présents de Dieu; sa grâce est si puissante qu'il garde mon âme sans souillure, exempte de toute espèce de tache. De même que le soleil, dardant ses rayons sur mille objets souillés, les retire aussi purs qu'auparavant, de même nous, à bien plus forte raison, demeurons-nous purs au milieu du monde, si telle est notre volonté, et, par là même, nous augmentons notre force.

2. Pourquoi donc, me dit-on, vous abstenez-vous? Ce n'est pas de crainte de me souiller, loin de moi cette pensée; c'est à cause de mon frère, c'est pour ne pas entrer dans la société des démons; c'est pour n'être pas jugé par l'infidèle, car ce n'est pas la nature des mets qui peut me perdre, mais la désobéissance ; l'amitié avec les démons, voilà ce qui me rend impur, voilà d'où me vient la souillure. Mais maintenant que signifie cette parole : " Pourquoi parle-t-on mal de moi, pour une chose dont je rends grâces à Dieu? " Je rends grâces à Dieu, dit-il, d'avoir élevé mon âme; de m'avoir mis au-dessus de la bassesse des Juifs, à tel point que rien ne me nuise. Mais les païens, ignorant la sagesse qui me guide, (458) soupçonneront le contraire de la vérité; ils diront :Ces chrétiens, qui recherchent nos banquets, ne sont que des hypocrites ; ils accusent les démons, ils s'en détournent, et ils courent à leur table. Quoi de plus insensé que cette conduite ? Ce n'est donc pas le zèle de la vérité, c'est l'ambition, l'amour de commander, qui les a faits se ranger à ce dogme. Quelle démence égalerait la mienne, si pour tant de bienfaits, dont je dois rendre à Dieu des actions de grâces, je devenais une cause de blasphèmes ! Mais, me direz-vous, le païen tiendra le même langage, quand il verra que je ne m'inquiète pas, que je ne me renseigne pas. Nullement ; il n'y a pas partout des offrandes consacrées aux idoles, de telle sorte que vous ayez toujours des soupçons, et, si vous goûtez de ces offrandes, ce n'est pas parce qu'on les a consacrées aux idoles. Ne va donc pas, ô chrétien, t'embarrasser d'une enquête inutile; mais ne va pas non plus, si tu es averti qu'un mets a été consacré aux idoles, en prendre ta part, car la grâce que le Christ t'a communiquée, la nature supérieure qu'il t'a donnée, au-dessus des souillures de ce genre, ce n'est pas pour que tu compromettes ta réputation ; ce n'est pas pour que tu uses des avantages précieux qui excitent tes actions de grâces, pour scandaliser les autres, et les porter à blasphémer.

Mais pourquoi, dira-t-on, ne dirai-je pas aux païens: je mange, et je ne suis en rien souillé, et je ne m'assieds pas à ces tables comme un ami des démons? c'est que ces paroles ne persuaderaient personne, fussent-elles mille fois prononcées. Le païen est faible, et il est notre ennemi. S'il est impossible de persuader les frères, il sera bien plus impossible de persuader des ennemis et des païens. Si le fidèle s'abstient, par scrupule de conscience, de ce qui est offert aux idoles, à bien plus forte raison, l'infidèle. Quoi donc, dira-t-on encore, qu'avons-nous besoin de nous embarrasser de tant d'affaires? Comment ! nous connaissons le Christ, nous lui rendons des actions de grâces, et, parce que les autres le blasphèment, sera-ce pour nous une raison de renoncer aussi à Jésus-Christ ? Loin de nous cette pensée, car il n'y a pas parité; d'un côté, il y a un grand avantage pour nous à supporter le blasphème, mais ici il n'y aura aucun avantage. Aussi l'apôtre disait-il d'abord : " Si nous mangeons , nous n'en aurons rien davantage devant lui; ni rien de moins, si nous ne mangeons pas ". (I Cor. VIII, 8.) En outre il fonde sa défense sur une autre raison encore, et non-seulement sur cette autre raison, mais sur les autres causes qu'il a dites : " Soit donc que vous mangiez, ou que vous buviez , ou quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu (31) ". Voyez-vous, comme du sujet particulier qui l'occupait , il arrive à une exhortation générale, par cette unique mais admirable règle qu'il nous donne, de glorifier Dieu en toutes choses? " Ne donnez pas occasion de scandale, ni aux Juifs, ni aux gentils, ni à l'Eglise de Dieu {32) " ; c'est-à-dire, ne fournissez à personne aucun prétexte, car votre frère s'offense, le Juif vous détestera davantage, et vous condamnera ; et le païen, faisant comme lui, vous appellera, en se moquant de vous, un glouton et un hypocrite.

Non-seulement il ne faut pas offenser les frères, mais, autant que possible, pas même les étrangers. Nous sommes la lumière; et le ferment, et les flambeaux, et le sel; nous devons illuminer et non répandre les ténèbres; nous devons être un principe fortifiant et non dissolvant; attirer à nous les infidèles, et non les mettre en fuite. Pourquoi donc poursuivre ceux qu'il faut attirer? Les païens s'offensent de nous voir revenir à de pareilles coutumes, parce qu'ils ne connaissent pas notre pensée; ils ne comprennent pas l'élévation supérieure de notre âme, au-dessus de toute souillure des sens. Et maintenant, les Juifs, et les plus faibles de nos frères , souffriront comme eux. Comprenez-vous pour quelles graves raisons l'apôtre nous interdit la participation aux viandes consacrées aux idoles; l'inutilité, la superfluité, le dommage fait à notre frère; les blasphèmes du Juif; les mauvaises paroles du païen; l'inconvenance de communier avec les démons; l'espèce d'idolâtrie qu'il y a dans cette conduite. Et ensuite, après avoir dit " Ne donnez pas occasion de scandale " ; après avoir rendu les, fidèles responsables du mal fait, et aux païens et aux Juifs; après les paroles sévères et pénibles, voyez comme il fait accepter son langage, comme il l'adoucit en intervenant lui-même personnellement par ces paroles : " Comme je tâche moi-même de plaire à tous, en toutes choses, ne cherchant point ce qui m'est avantageux en particulier, mais ce qui est avantageux à plusieurs, pour (459) être sauvés (33), soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même de Jésus-Christ (XI, l) "

3. Voilà la règle du christianisme, dans toute sa perfection ; voilà la définition à laquelle rien ne manque; voilà la cime la plus haute, rechercher l'intérêt de tous. Ce que l'apôtre déclare , en ajoutant ces paroles : "Comme je le suis moi-même de Jésus-Christ ". En effet, rien ne peut nous rendre des imitateurs de Jésus-Christ, autant que notre zèle pour le bien du prochain. Vous aurez beau jeûner, coucher par terre, vous mortifier, si vous n'avez pas un regard pour votre prochain, vous n'avez rien fait. Quoi que vous ayez pu faire, vous demeurez bien loin de ce grand modèle. Or, ici, c'est une action qui porte en elle-même son utilité, que de savoir s'abstenir des offrandes consacrées aux idoles; mais, dit l'apôtre; moi qui vous parle, j'ai fait plus, j'ai fait nombre d'actions inutiles en elles-mêmes, comme quand j'ai subi la circoncision, quand j'ai sacrifié. En effet, ces observances, si on les recherche pour elles-mêmes, perdent ceux qui les pratiquent, et sont cause qu'ils compromettent leur salut. Toutefois je m'y suis soumis, à cause de l'utilité qui en résultait pour les autres. Mais ici rien de semblable : s'il n'y a pas d'utilité, s'il n'y a pas intérêt pour les autres, l'action est funeste; au ,contraire, ici, dans le cas même où personne n'est scandalisé, il convient pourtant de s'abstenir des choses défendues. Je ne me suis pas seulement , dit l'apôtre, assujetti à des choses nuisibles, mais pénibles. " J'ai dépouillé ", dit-il, " les autres Eglises, j'ai reçu d'elles ma subsistance " (II Cor. XI, 8), et, quand il m'était permis de manger sans rien faire, ce n'est pas là ce que j'ai recherché; mais j'ai mieux aimé mourir de faim que d'être un sujet de scandale. Voilà pourquoi il dit : " Par tous les moyens, je plais à tous ". Soit qu'il faille faire une chose contraire aux lois, soit qu'il faille entreprendre une oeuvre laborieuse, une oeuvre périlleuse, je supporte tout, pour l'utilité des autres. Et c'est ainsi que, supérieur à tous par la perfection de sa vie exemplaire, il était assujetti à tous par la condescendance de sa charité.

C'est qu'il n'est pas de vertu parfaite, si l'on ne recherche pas l'utilité d'autrui ; et c'est ce qui résulte de l'histoire de celui qui reporta le talent intact, et fut livré au supplice, parce qu'il ne l'avait pas fait fructifier. Eh bien toi, mon frère, supposé même que tu t'abstiennes de nourriture, que tu couches par terre, que tu manges de la cendre, que tu ne cesses de gémir, si tu es inutile au prochain, tu n'as rien fait. C'était là, en effet, autrefois, la première préoccupation des hommes grands et généreux. Considérez attentivement leur vie, et vous verrez, de la manière la plus évidente, qu'aucun d'eux ne considérait son intérêt propre, que chacun d'eux, au contraire, ne voyait que l'intérêt du prochain : ce qui a rehaussé leur gloire. Moïse a fait un grand nombre de grandes choses, de miracles et de prodiges; mais rien ne l'a rendu si grand que cette bienheureuse parole qu'il adressa au Seigneur, en lui disant : " Si vous voulez leur pardonner cette faute, accordez-leur le pardon; si vous ne le faites pas, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit ". (Exode, XXXII, 32.) Tel était aussi David, et voilà pourquoi il disait : " C'est moi qui ai péché, c'est moi qui suis coupable, qu'ont fait ceux-ci, qui ne sont que des brebis? Que votre main se tourne contre moi, et contre la maison de mon père ". (II Rois, XXIV, 17.) C'est ainsi qu'Abraham ne recherchait pas son utilité propre, mais l'utilité du grand nombre. Aussi s'exposait-il au danger, et il adressait à Dieu des prières pour ceux qui ne lui étaient rien. Et voilà comment ces grands hommes se sont illustrés; voyez, au contraire, quel tort se sont fait ceux qui ne recherchaient que leur utilité personnelle. Le neveu d'Abraham, après avoir entendu de lui ces paroles : " Si vous allez à la gauche, je prendrai la droite " (Gen. XIII, 9), ne considéra, ne rechercha que son utilité, et il ne trouva pas son intérêt. La région où il se rendit, devint tout entière la proie des flammes; au contraire, le pays d'Abraham demeura hors d'atteinte. Jonas, à son tour, pour n'avoir pas cherché l'intérêt du grand nombre, mais son utilité particulière, vint en danger .de mort; la ville subsista; quant à lui, à la merci des flots, il y fut englouti. Et maintenant, quand Jonas rechercha l'utilité du grand nombre, il trouva en même temps son propre intérêt. C'est ainsi que Jacob, qui ne recherchait pas dans ses troupeaux un profit particulier, acquit de grandes richesses; et Joseph, pour avoir recherché l'intérêt de ses frères, trouva aussi son intérêt propre. En effet, Joseph, envoyé par son père, ne dit pas Qu'est-ce que cela signifie ? Ne savez-vous pas (460) qu'à cause de la vision que j'ai eue, et de mes songes, ils ont voulu me déchirer; qu'à cause de mes songes, ils m'ont accusé; que l'affection que vous avez pour moi est pour eux un crime qu'ils veulent me faire expier? Que ne feront-ils pas, s'ils me tiennent entre leurs mains ? Joseph ne dit rien de pareil, ne pensa rien de tel; il préféra ses frères à toutes choses. Aussi fut-il, par la suite, comblé de toute espèce de biens, qui rendirent son nom illustre et glorieux. C'est ainsi que Moïse (car rien n'empêche de faire mention de lui une seconde fois, rien n'empêche que nous considérions comment il a dédaigné ses intérêts et cherché le bien des autres); il était dans le palais du roi ; il préféra l'opprobre de son peuple aux richesses de l'Egypte; il renonça à tous les biens qu'il avait à sa disposition ; il aima mieux partager les maux des Hébreux; et, loin d'être réduit lui même en servitude, au contraire, il affranchit ses frères. Voilà de grandes choses, et dignes des anges.

4. Mais la vertu de Paul atteint un bien plus haut degré d'excellence. En effet, tous les autres ont abandonné leurs biens pour partager les maux du prochain; mais Paul a fait beaucoup plus . il ne lui a pas suffi de partager les malheurs d'autrui, mais il a voulu se réduire lui-même à l'état le plus misérable, pour donner aux autres la félicité. Et ce n'est pas la même chose, quand on est dans les délices, de répudier les délices pour partager l'affliction des autres, ou de choisir les tourments, l'affliction, uniquement pour procurer à d'autres une vie tranquille et honorée. En effet, dans le premier exemple, quoique ce soit une belle oeuvre, d'échanger le bien qu'on a, contre des maux qu'on subit en vue du prochain, il y a toutefois une certaine consolation à trouver des compagnons de son infortune ; mais vouloir souffrir seul pour que d'autres jouissent de la félicité, c'est le propre d'une âme singulièrement généreuse, et c'est le caractère de Paul.

Mais ce n'est pas seulement par cette noblesse de sentiments, c'est par un autre caractère de sublime vertu, qu'il surpasse encore, de beaucoup, tous ceux que nous avons nommés. Abraham, et tous les autres, n'ont affronté que les périls de la vie présente; tous ces personnages n'ont bravé qu'une fois notre mort. Eh bien, Paul demandait à déchoir de la gloire à venir, pour assurer le salut des autres. Je puis encore vous dire un troisième trait de l'excellence supérieure de Paul. Quel est-il ? Quelques-uns de ces personnages s'intéressaient sans doute à ceux qui avaient voulu les perdre eux-mêmes; toutefois, ils ne s'intéressaient qu'à des hommes confiés à leur autorité. Et il y avait, en cela même, pour eux, un intérêt comme celui que porterait un père à un fils, dépravé sans doute, à un fils criminel, qui, après tout, n'en serait pas moins son fils. Eh bien, Paul voulait être anathème, pour qui? pour ceux qui ne lui avaient pas été confiés. En effet, il avait été envoyé aux gentils. Avez-vous bien compris cette grandeur d'âme, cette hauteur de pensée qui s'élève au-dessus du ciel même ?

Imitez-le; si vous ne pouvez pas l'imiter, imitez au moins ceux dont les figures ont brillé dans l'Ancien Testament. Vous trouverez votre utilité, en veillant à l'utilité du prochain. Ainsi, quand vous vous sentirez peu de zèle pour l'intérêt d'un frère, pensez que vous n'avez pas d'autre moyen de vous sauver vous-mêmes, et, par intérêt pour vous au moins, veillez sur votre frère, et sur ce qui le touche. Ces paroles suffisent pour nous persuader que nous n'avons pas d'autre moyen d'assurer nos intérêts propres. Voulez-vous des exemples ordinaires pour confirmer cette vérité? Je suppose quelque part une maison qui brûle; des gens du voisinage, ne considérant que leur intérêt, ne se mettent pas en mesure contre le danger; ils ferment les portes, ils restent chez eux parce qu'ils ont peur qu'on n'entre et qu'on ne les vole. Quel ne sera pas leur châtiment? Le feu, s'avançant, grandissant toujours, brûlera tout ce qu'ils ont chez eux, et, pour n'avoir pas voulu prendre à coeur l'utilité du prochain, ils perdront même ce qu'ils possèdent. Dieu, en effet, a voulu ne faire de tous les hommes qu'un faisceau, et voilà pourquoi il a disposé toutes choses de telle sorte que l'intérêt de chacun se trouve nécessairement lié à l'intérêt du prochain. Et c'est ainsi que le monde forme un tout si bien agencé. Voilà pourquoi, si, dans un navire, au moment de la tempête, le pilote, négligeant l'intérêt du grand nombre, ne cherche que sa propre utilité, il s'engloutit et lui-même, et les autres bien vite avec lui. Et prenez toutes les conditions de la vie, une à une; que chaque profession ne recherche que son intérêt propre, c'en est fait de la vie générale, et c'en est fait de la (461) profession qui ne regarde que soi. Voilà pourquoi l'agriculteur ne sème pas seulement la quantité de froment qui lui suffirait à lui; s'il s'en avisait, il ne serait pas long à se perdre, et les autres avec lui. L'agriculteur recherche l'intérêt du grand nombre. Et ce n'est pas seulement pour se défendre des périls, que le soldat tient bon dans la mêlée, c'est aussi pour garantir la sûreté des villes ; et le marchand ne transporte pas seulement les marchandises nécessaires à lui seul, mais ce qu'il en faut pour le grand nombre. Je sais bien maintenant ce qu'on m'objectera. Ce n'est pas dans mon intérêt, c'est dans son intérêt propre que chacun fait ses affaires. Le désir de l'argent, le désir de la gloire, le besoin de se défendre, expliquent seuls toutes ces actions. En cherchant mon intérêt, c'est le sien que chacun cherche. Je ne dis pas autre chose, et, depuis longtemps, j'attendais ces paroles; tout ce discours, je l'ai fait uniquement pour vous montrer ceci : Votre prochain ne trouve son utilité, qu'en considérant la vôtre, comme les hommes ne chercheraient pas l'utilité du prochain s'ils ne sentaient pas cette nécessité qui les y conduit. Dieu a ainsi enchaîné tous les hommes d'une manière qui ne permet de trouver l'intérêt propre, qu'en suivant la route où se trouvent les intérêts d'autrui. C'est là, à n'en pas douter, la condition de l'homme; il est fait pour travailler à l'intérêt du prochain.

Mais ce n'est pas cette considération de l'intérêt propre, c'est la considération du bon plaisir de Dieu qui doit opérer la persuasion. Nul, en effet, ne peut être sauvé qu'à cette condition. Vous aurez beau pratiquer la plus haute sagesse, mépriser toutes les choses périssables, vous. n'aurez rien gagné auprès de Dieu. Qui le prouve ? Les paroles que le bienheureux Paul a fait entendre : " Quand j'aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, et que j'aurais livré mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, tout cela ne me sert de rien " , dit-il. (I Cor. XIII, 3.) Voyez-vous tout ce que Paul exige de nous ? Remarquez : celui qui distribue des aliments, ne cherche pourtant pas ici son intérêt, mais l'intérêt du prochain ; toutefois, cela ne suffit pas, dit-il; il veut la générosité, la plénitude de la sympathie. Si Dieu nous a fait ce précepte, c'est pour nous lier par la charité. Eh bien , si telle est l'exigence de Paul, et si nous n'accordons pas même beaucoup moins, quelle pourra être notre excuse? Mais comment donc, me direz-vous, Dieu a-t-il pu dire à Loth, par ses anges : " Ne pensez " qu'à sauver promptement votre âme ? " (Gen. XIX, 22.) Dites-moi en quelle circonstance, et pourquoi ? C'est quand le châtiment s'infligeait ; c'est quand la correction n'était plus possible ; c'est quand les coupables étaient condamnés comme atteints d'un mal incurable, lorsque vieillards et jeunes gens se précipitaient dans les mêmes amours; quand il n'y avait plus enfin qu'à les brûler tous ensemble ; c'est dans ce jour terrible où la foudre allait tomber. Ces paroles d'ailleurs n'ont rien de commun avec la vertu et le vice; il s'agit d'un fléau envoyé de Dieu. Que fallait-il faire, je vous le demande? S'asseoir? subir le supplice, et, sans aucune utilité pour les autres, brûler avec eux? C'eût été le comble de la démence. Et moi, je ne vous dis pas qu'il faille de nécessité absolue, sans réflexion, inutilement, subir, le supplice, quand ce n'est pas la volonté de Dieu; mais quand un homme est en proie au vice, dans ce cas, je vous le dis, jetez-vous dans le danger pour le corriger et le redresser; et cela, si vous voulez, dans l'intérêt du prochain ; et si ce n'est pas pour cette raison, que ce soit au moins pour le profit qui vous en reviendra. La première de ces deux raisons est de beaucoup la meilleure ; mais, si vous ne pouvez pas atteindre à cette hauteur agissez au moins en pensant à vous, et que personne ne cherche son intérêt propre, s'il veut être sûr de le trouver. Et concevons bien tous que ni le renoncement aux richesses, ni le martyre, ni quoi que ce soit, ne nous peut protéger, si nous n'avons pas la perfection de la charité. Gardons-la donc avant toutes les autres vertus, afin d'obtenir, par elle, et les biens présents et tous ceux qui nous sont promis, et puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, là gloire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVI. JE VOUS LOUE, MES FRÈRES, DE CE QUE VOUS VOUS SOUVENEZ DE MOI EN TOUTES CHOSES, ET QUE VOUS GARDEZ LES TRADITIONS ET LES RÈGLES QUE JE VOUS Al DONNÉES. (CHAP. XI, VERSET 2, JUSQU'AU VERSET 17.)
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ANALYSE.

1 et 2. De l'enseignement oral de Paul, et de ses rapports avec les fidèles.

3. Le Christ est la tête et le chef de l'homme. — Dissertation sur la valeur des expressions humaines appliquées à Dieu.

4 et 5. Pourquoi les hommes doivent prier, la tête découverte ; les femmes doivent toujours avoir la tête enveloppée d'un voile. — Développements divers.

6-8. Ne nous occupons pas des devoirs des autres, quand c'est à nous qu'on reproche l'oubli des devoirs. — De la comptai. — sauce que les époux se doivent mutuellement. — Généreuse colère contre les misérables qui ne craignent pas de battre une femme. — Détail d'une grâce touchante, le soir où un père, séparant sa fille de toute la famille , la confie à son époux.

1. Après avoir dit sur les offrandes consacrées aux idoles tout ce qu'il lui convenait d'exposer, n'ayant plus rien à ajouter à l'ensemble complet de ses réflexions, il passe à un autre sujet, qui renferme bien aussi une accusation, mais non aussi grave. Je vous ai déjà dit, et maintenant je vous répète encore, que l'apôtre ne formule pas tout de suite et sans interruption les reproches de la plus grande sévérité. Il les dispose dans un ordre convenable; il intercale au milieu de sa lettre des choses plus agréables, pour adoucir ce qu'aurait d'insupportable pour les auditeurs un discours tout composé de sévères réprimandes. Voilà pourquoi il réserve pour la fin le sujet de la résurrection, sur lequel il doit déployer le plus de véhémence. En attendant il s'arrête à quelque chose de moins grave : " Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ". Quand le péché est constant, il attaque vivement, il menace; quand il y a doute, ce n'est qu'après avoir fait la preuve qu'il gronde; ce qui est avoué, il l'étale; ce qui est contesté, il l'établit. Par exemple, au sujet de la fornication, le doute n'était pas possible; il n'y avait donc pas lieu à montrer que c'était un péché; que fait l'apôtre alors? Il étale l'énormité de la faute, et il use d'un développement par comparaison. Quant à l'habitude de juger le prochain, c'était un péché, mais non d'une gravité aussi grande; voilà pourquoi il introduit dans son discours des réflexions et des preuves à ce sujet. Maintenant, pour les offrandes consacrées aux idoles, il y avait doute, mais le péché était grand; voilà pourquoi il montre que c'est un péché, et ce point il le développe. Et en agissant ainsi, non-seulement il détourne les fidèles des péchés qui leur sont reprochés, mais il conduit les âmes à des fins contraires. En effet, il ne se contente pas de dire qu'il ne faut pas commettre de fornication, il ajoute que l'on doit montrer une grande sainteté. De là, ces paroles: " Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit ". ( I Cor. VI, 20.) Et ailleurs, quand il da qu'il ne faut pas être sage de la sagesse extérieure, il ne se, contente pas de cette réflexion, q ajoute qu'il faut devenir fou ; et quand il donne le conseil de ne pas plaider devant les juges païens, le conseil de ne commettre au. tune injustice, il va plus loin; il défend tout procès, et il ne recommande pas seulement de ne jamais commettre l'injustice, mais il conseille de s'y résigner:; et, dans ses réflexions sur les offrandes consacrées aux idoles, il n'ordonne pas seulement de s'abstenir de ce qui est défendu, mais, de plus, de ce qui est (463) permis, ce qui vaut mieux que d'être un sujet de scandale. Nous ne devons pas éviter seulement de scandaliser nos frères, mais de scandaliser les gentils et les Juifs. " Ne donnez pas occasion de scandale, ni aux Juifs, ni aux gentils, ni à l'Église de Dieu ".

Eh bien donc; après avoir achevé toutes ces réflexions, il passe à une accusation d'un autre genre; de quoi s'agissait-il? Des femmes découvertes, la tête nue, priaient et prophétisaient. Il faut que vous sachiez qu'alors les femmes prophétisaient. Les hommes laissaient pousser leur chevelure, comme étant versés dans la philosophie; et ils se couvraient la tête en priant et en prophétisant. Ces deux pratiques étaient d'origine païenne. Il faut croire que l'apôtre avait fait, de vive voix, aux fidèles, sur tous ces points des exhortations, que les uns s'y étaient conformés, que les autres ne l'avaient pas écouté ; voilà pourquoi il les reprend dans sa lettre, et, comme un sage médecin, recommence à les traiter pour les guérir enfin. Qu'il les eût déjà avertis, en séjournant parmi eux; c'est ce qui résulte des premières paroles que nous venons de lire; car pourquoi, n'ayant rien dit nulle part, à ce sujet, dans sa lettre, et ne s'étant occupé que des reproches à formuler, leur dit-il, sans préambule : " Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ". Comprenez-vous que les uns l'avaient écouté, ce dont il les loue; que les autres ne l'avaient pas écouté, et, à ce propos; il les redresse par les paroles qu'il ajoute dans la suite : " Si quelqu'un aime à contester, ce n'est point là notre coutume ". (I Cor. XI, 16.) Je suppose que, les uns se conduisant bien, les autres ne l'écoutant pas, il les eût tous accusés indistinctement; il n'aurait fait alors qu'enhardir les uns, autoriser la mollesse des autres. Que fait-il au contraire? Les uns, il les loue, il les approuve ; les autres, il les réprimande ; il encourage ainsi ceux qui font bien, et il fait honte à ceux qui se conduisent mal. La réprimande suffit d'elle-même pour frapper; mais, quand elle est accompagnée d'une comparaison avec ceux qui se sont bien conduits, auxquels on adresse des éloges, l'aiguillon de la réprimande est plus pénétrant. Ici, ce n'est pas par la réprimande, mais par les compliments que l'apôtre débute, par de grands compliments, en disant : " Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ".

C'est l'ordinaire de Paul de répondre, même à de petites actions bien faites, par de grandes louanges. Ce n'est pas flatterie, loin de nous cette pensée ; pourrait-on dire cela de Paul, qui ne désirait ni argent, ni gloire, ni rien de pareil, qui faisait toutes choses en vue du salut de ses frères? Voilà donc pourquoi il loue avec tant de complaisance, en disant : " Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ". Que signifie " En toutes choses? " Il ne parlait que de la chevelure, qu'il ne fallait pas laisser croître, et de la tête,qui ne devait pas être couverte. C'est, comme je vous l'ai dit, qu'il prodigue les éloges, afin d'encourager. Voilà pourquoi il dit: " De ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données". D'où il résulte qu'il leur communiquait autrement que par écrit beaucoup de préceptes; c'est ce qu'il indique ailleurs, dans un grand nombre de passages. Mais alors il se contentait de communiquer les préceptes, tandis que, maintenant, il fait plus, il en explique la raison; par là il raffermissait ceux qui l'écoutaient, et il rabattait l'orgueil des contradicteurs. Ensuite, il ne dit pas : Vous avez obéi, d'autres n'ont pas obéi ; mais, sans marquer aucun soupçon, il le fait assez entendre, par son enseignement même, dans ce qu'il ajoute, en ces termes : " Mais je désire que vous sa" chiez que Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme, que l'homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Jésus-Christ ". Voilà donc le précepte expliqué dans sa cause. Et cette cause il la donne pour rendre les faibles plus appliqués. Celui qui est fidèle, est fort et il n'a pas besoin de raisonnements, d'explications; pour obéir aux préceptes il lui suffit de les recevoir. Au contraire, celui qui est faible a besoin d'en savoir les raisons, il se rappelle alors avec plus de plaisir ce qu'on lui a dit, il est plus ardent à la pratique.

2. Voilà pourquoi l'apôtre attend, pour donner les raisons du précepte, que le précepte ait été violé. Quelles sont donc ces raisons? " Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme ". Comment donc? même du gentil? Nullement; car c'est parce que nous sommes (464) le corps de Jésus-Christ, une partie de ses membres, que Jésus-Christ est notre tête. Quant à ceux qui ne sont pas dans le corps, qui ne sont pas réputés des membres, il ne peut pas être leur tête. Aussi, lorsque l'apôtre dit : " De tout ", il faut sous-entendre, fidèle. Voyez-vous comme, en toutes circonstances, il prend d'en-haut ses inspirations pour faire rentrer en soi-même l'auditeur. Quand il parlait et de la charité, et de l'humilité, et de l'aumône , c'est d'en-haut qu'il tirait ses exemples. " L'homme est le chef de la femme et Dieu est le chef de Jésus-Christ ". C'est ici que les hérétiques nous attaquent, s'imaginant qu'il résulte de ces paroles que le Fils est moindre que le Père; mais ils ne font que s'attaquer eux-mêmes; car si l'homme est le chef de la femme, si le chef et le corps sont de la même substance, si Dieu est le chef de Jésus-Christ, le Fils est de la même substance que le Père. — Mais, nous répondent-ils, nous ne voulons pas montrer par là qu'il soit d'une autre substance, mais qu'il est commandé par son Père. — Que leur répondrons-nous? Ceci principalement : La modestie de l'expression appliquée au Dieu incarné, n'a rien qui rabaisse sa divinité, l'incarnation admettant cette expression. — D'ailleurs, parlez, soutenez votre dire. — Eh bien, nous répond-on, l'homme commande à la femme, c'est de la même manière que le Père commande au Christ. Le Christ commande à l'homme, et c'est de la même manière que le Père commande au Fils : car, dit l'apôtre, " Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme ". Qui jamais admettra ces pensées? En effet, si la supériorité du Christ sur nous est la mesure de la supériorité du Père sur le Fils, comprenez-vous jusqu'à quel infime degré vous le rabaissez ?

Il ne faut donc pas établir une similitude parfaite entre Dieu et nous, quelle que soit la similitude des expressions: il faut reconnaître, à Dieu, une excellence propre, toute l'excellence qui appartient à la nature de Dieu. Sinon, les absurdités se dérouleront en foule. Réfléchissez : Dieu est le chef du Christ, le Christ est le chef de l'homme, l'homme est le chef de la femme. Eh bien, prenons, dans tous les cas, le mot chef, en lui donnant la même valeur; voilà que le Fils sera au-dessous du Père, juste autant que nous sommes au-dessous du Fils. Mais ce n'est pas tout : la femme, à son tour, sera au-dessous de nous, juste autant que nous sommes au-dessous du Verbe divin; et ce qu'est le Fils à l'égard du Père, nous le serons à l'égard du Fils; et la femme le sera à l'égard de l'homme. Qui l'admettra ? Appliqué au Christ relativement à l'homme, le mot chef a une autre valeur qu'appliqué à l'homme par rapport à la femme; donc aussi il a encore une autre valeur appliqué au Père par rapport au Fils. Et comment, me dira-t-on, déterminerons-nous la différence? Par l'objet même que l'apôtre a en vue. En effet, si Paul eût voulu dire autorité et sujétion, comme vous le prétendez, il n'aurait pas parlé de la. femme, il aurait proposé, comme exemple, l'esclave et le maître. Car si la femme nous est soumise, elle reste toujours femme, elle reste libre, elle reste notre égale en honneur. Et le Fils aussi obéit à son Père, mais il reste le Fils de Dieu, il reste Dieu. De même que le Fils a plus d'obéissance pour son Père, que les hommes n'en ont pour ceux qu'ils ont engendrés, de même, en lui, la liberté est plus grande. Et en effet, si les devoirs du Fils envers le Père sont plus impérieux pour lui, plus conformes à sa nature, que chez les hommes, ainsi en est-il des devoirs du Père envers le Fils. Car si nous admirons le Fils obéissant jusqu'à mourir, et jusqu'à mourir sur la croix, si nous disons qu'il y a là un merveilleux mystère, c'est un mystère également merveilleux que le Père ait engendré un tel fils, non pas un esclave de ses ordres, mais un Fils libre, obéissant, partageant ses conseils; car le conseiller n'est pas un esclave. Et maintenant ce mot de conseiller ne veut pas dire que le Père ait besoin d'un conseiller, mais que le Fils est en honneur l'égal de son Père.

Il ne faut donc pas étendre trop loin cette comparaison tirée de l'homme et la femme. Chez nous ce n'est pas sans raison que la femme est soumise à l'homme; car l'égalité d'honneur engendre la lutte; cette sujétion, d'ailleurs , a une autre cause , la séduction de la première femme. La femme ne fut pas, ans. sitôt après sa création, assujettie à l'homme; et, quand Dieu l'amena à son mari, elle n'entendit ni Dieu, ni son mari , lui parler de dépendante ; Adam lui dit seulement qu'elle était " l'os de ses os et la chair de sa chair " (Gen. II, 23) ; de commandement, ou de sujétion, il ne lui dit rien. Mais quand elle eut fait (465) un mauvais usage de son pouvoir, quand celle qui devait aider l'homme, l'eut fait tomber dans un piège, quand tout fut perdu par sa faute, c'est alors qu'elle entendit ce juste arrêt: " Tu dépendras de ton mari ". (Gen. III, 16.) Car comme il était vraisemblable que ce péché allait introduire là guerre au milieu des hommes (c'eût été, pour rétablir la paix, une considération peu importante que ce fait que la femme était sortie de lui ; au contraire, cette circonstance même ne pouvait qu'exaspérer son mari, puisque celle qui était sortie de lui, n'avait pas même épargné celui dont elle était le membre) ; Dieu, comprenant la malice du démon, éleva, par cette seule parole, comme un rempart où elle devait se briser; par cette sentence et aussi par la concupiscence naturelle, il prévint la haine qui n'aurait pas manqué de naître et détruisit, comme un mur de séparation, le ressentiment produit par la première faute. Mais maintenant , dans l'être divin, dans la substance incorruptible, il n'est pas permis de rien soupçonner de pareil ainsi quand on use d'une comparaison, gardez-vous de l'étendre outre mesure, autrement il en résulterait de graves inconvénients. L'apôtre disait, au commencement de sa lettre: " Car tout est à vous, et vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu ". (I Cor. III, 22, 23.)

3. Qu'est-ce que cela veut dire : Tout est à nous, et nous sommes à Jésus-Christ, et JésusChrist est à Dieu ? Y a-t-il en tout cela une similitude parfaite ? Nullement ; les plus insensés mêmes, comprennent la différence ; cependant c'est du même terme que l'on se sert pour parler de Dieu, de Jésus-Christ et de nous. Et,ailleurs, après avoir dit que l'homme est le chef de la femme, il ajoute: " Comme le Christ est le chef et le Sauveur de l'Église, " et son défenseur; ainsi le mari doit l'être pour son épouse ". (Eph. V, 23, 24.) Eh bien donc , trouverons-nous là une similitude parfaite , aussi bien que dans tout ce qu'il écrit encore aux Ephésiens à ce sujet? Loin de nous cette pensée. En effet , cela ne se peut pas; on se sert des mêmes mots en parlant de Dieu et des hommes , mais ils doivent être entendus autrement dans un cas que dans l'autre. Et maintenant, n'allons pas, au rebours, chercher partout la diversité, car alors il faudrait dire que toutes ces comparaisons auraient été admises au hasard , et sans réflexion , puisque nous n'en retirerions aucun fruit. Donc, de même qu'il ne faut pas voir la similitude partout, de même il ne faut pas la rejeter partout. J'éclaircis ma pensée , je prends un exemple pour essayer de la faire comprendre. On dit que Jésus-Christ est la tête de l'Église ; si je n'attache aucune idée humaine à cette parole, à quoi sert-elle ? Et maintenant si , au contraire , j'y attache toutes les idées humaines , voilà une série interminable d'absurdités, car la tête est sujette aux mêmes affections que le corps. Donc que faut-il négliger? que faut-il prendre? Il faut négliger les conséquences que je viens d'énoncer, il faut prendre l'idée d'union parfaite , l'idée de cause et de premier principe ; il faut même entendre ceci d'une manière plus sublime et plus relevée en Dieu qu'en nous, d'une manière qui soit conforme à la nature divine ; car l'union est plus sûre, le principe plus auguste.

Vous avez encore entendu le mot Fils. Eh bien ! ici encore, il ne faut ni tout prendre ni tout rejeter; il faut prendre ce qui convient à Dieu , savoir, que le Fils est consubstantiel au Père et qu'il est de lui; pour ce qui serait déplacé, ce qui n'appartient qu'à l'infirmité humaine , laissez-le à la terre. Autre exemple encore: Dieu a été appelé lumière; eh bien! prendrons-nous toutes les idées qui se rapportent à notre lumière ? Nullement, car notre lumière est circonscrite par les ténèbres et par l'espace; une force étrangère la met en mouvement, et la recouvre d'ombre ; nulle de ces idées n'est permise au sujet de l'essence divine. Mais maintenant ce n'est pas une raison pour tout rejeter; sachons, au contraire, recueillir, de cet exemple , ce qu'il a d'utile ; l'illumination qui nous inonde et qui vient de Dieu ; notre affranchissement des ténèbres. Toutes ces paroles que je viens de dire, sont à l'adresse des hérétiques; mais il faut, dès à présent, traiter à fond le texte qui nous occupe.

Peut-être ici soulèvera-t-on la question de savoir quel mal c'était aux femmes de se découvrir la tête, aux hommes de se la couvrir; écoutez les raisons, et comprenez-les. L'homme et la femme ont reçu un grand nombre de caractères différents : l'un, ceux du commandement; l'autre, ceux de la sujétion. Une de ces marques, c'est que la femme ait la tête couverte, que l'homme ait la tête nue; donc, si tels sont leurs signes, ils pèchent tous les deux contre l'ordre, contre le précepte divin; ils franchissent les limites qui leur ont été (466) fixées; l'un s'abaisse à la faiblesse de la femme; l'autre usurpe la dignité du mari. En effet, il ne leur est pas permis de changer de vêlement; la femme n'a pas le droit de porter la chlamyde; l'homme ne doit pas prendre le bandeau ni le voile. " Une femme ne prendra point un habit d'homme, et un homme ne prendra point un habit de femme ". (Deut. XXII, 5.) A bien plus forte raison, les caractères de la tête doivent-ils être conservés; car les formes différentes sont d'institution humaine, quoique Dieu, plus tard, les ait confirmées. C'est une loi naturelle qui ordonne d'avoir ou de n'avoir pas la tête couverte. Il est bien entendu que quand je parle de nature, je parle de Dieu ; car c'est lui qui a fait la nature. Eh bien, voyez quels grands maux résultent de ce que vous bouleversez la nature; et ne me dites pas que le péché est petit; il est grand en soi, car c'est la désobéissance. Serait-il petit en soi, il deviendrait grand, parce qu'il y a là un symbole de choses importantes. Que ce soit un grand symbole , c'est ce qui résulte du bel ordre qui se manifeste, par là, au milieu des hommes: d'une part, le commandement, de l'autre la sujétion, marqués dans le costume qui convient à chaque état. La transgression, ici, confond tout, répudie les dons de Dieu, foule aux pieds l'honneur qui vient d'en-haut; et ce n'est pas l'homme seulement qui est coupable, mais la femme aussi; car, assurément, son plus grand honneur, c'est de se tenir au rang qui lui est propre; sa honte, c'est de s'en écarter. Aussi, à propos de l'un et de l'autre: " Tout homme qui prie , ou qui prophétise " , dit l'apôtre, " ayant quelque chose sur la tête, déshonore sa tête: mais toute femme qui prie, ou qui prophétise, n'ayant point la tête couverte d'un voile, déshonore sa tête (4) ". Il y avait en effet, comme je l'ai dit, et des hommes et des femmes qui prophétisaient; des femmes ayant reçu le don de prophétie, comme les filles de Philippe , et d'autres encore , soit avant soit après elles , dont parlait le prophète Joel. " Vos fils prophétiseront, et vos filles verront des visions ". (Joel, II, 28.) L'apôtre ne veut pas que l'homme ait toujours la tête découverte, mais seulement quand il prie. " Tout homme ", dit-il, a qui prie, ou qui prophétise, ayant quelque chose sur la tête, déshonore sa tête ". Quant à la femme, il veut qu'elle ait toujours la tête couverte. Aussi , après avoir dit: " Toute femme qui prie, ou qui prophétise , n'ayant point la tête couverte , déshonore sa tête " , il ne s'arrête pas là, mais il ajoute : " Car c'est comme si elle était rasée ". S'il est toujours honteux, pour une femme, d'avoir la tête rasée, il est évident que c'est une honte pour elle que d'avoir toujours la tête découverte.

4. Et l'apôtre ne s'est pas contenté de ces paroles, mais il ajoute encore : " La femme doit porter sur sa tête , à cause des anges, la marque de la puissance que l'homme a sur elle (10) ". Il montre ainsi que ce n'est pas seulement dans le temps de la prière, mais toujours, que la femme doit être voilée. En ce qui concerne l'homme, ce n'est pas du voile qu'il s'occupe, mais de la chevelure; il ne veut pas qu'il ait la tête couverte, mais cette défense ne regarde que le temps de la prière. Quant à la longue chevelure, elle lui est toujours défendue. Aussi, après avoir dit de la femme : " Si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés " ; il dit, en parlant de l'homme : " S'il porte de longs cheveux, il se déshonore " ; il ne dit pas : S'il se couvre la tête, mais : " S'il porte de longs cheveux ". Voilà pourquoi il dit en commençant : " Tout homme qui prie, ou qui prophétise, ayant quelque chose sur la tête " ; il ne dit pas : Ayant la tête couverte, mais : " Ayant quelque chose sur la tête ", montrant que, fût-il la tête nue, dans le moment de la prière, s'il a une chevelure trop longue, c'est comme s'il avait la tête couverte. " Car la chevelure ", dit-il, " a été donnée à la femme comme un voile ; si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés. Mais s'il est honteux à une " femme d'avoir les cheveux coupés, ou d'être " rasée, qu'elle se voile la tête ". D'abord, il demande seulement qu'elle n'ait pas la tête nue ; il va plus loin ensuite, et lui fait entendre qu'elle ne doit jamais l'avoir nue, par ces paroles : " C'est comme si elle était rasée"; elle doit se tenir toujours couverte et avec le plus grand soin. Il ne veut pas seulement qu'elle soit voilée, mais tout à fait voilée, enveloppée de toutes parts. Après avoir montré tout ce qu'il y a d'indécent dans une tête découverte, il fait honte à la femme, il lui inflige cette réprimande si vive : " Si une femme ne se voile point la tête, elle (467) devrait donc avoir aussi les cheveux coupés" . Si vous rejetez le voile, dit l'apôtre, que Dieu vous a donné, rejetez donc aussi le voile de la nature. On objectera: comment serait-ce une honte pour la femme de s'élever à la gloire de l'homme? Nous répondrons, nous, qu'elle ne s'élève pas, qu'elle, tombe, qu'elle se dégrade de ses propres honneurs ; car outrepasser ses limites, les lois reçues de Dieu, les transgresser, ce n'est pas ajouter à ses prérogatives, c'est les diminuer. De même que celui qui désire le bien d'autrui, et qui emporte ce qui ne lui appartient pas, ne devient pas plus riche, mais s'appauvrit, et perd ce qu'il possédait, ce qui est arrivé à propos dû paradis, de même la femme ne conquiert pas la prérogative de l'homme, elle perd l'honneur de la femme ; et son infamie ne résulte pas, pour elle, seulement de cette conduite, ruais encore de sa convoitise. Aussi, quand l'apôtre a bien rappelé ce que tout le monde regarde comme une honte, quand il a dit : " S'il est honteux à une femme ,d'avoir les cheveux coupés ou d'être rasée ", il exprime sa pensée à lui par ces mois : " Qu'elle se voile la tête ". Il ne dit pas : Qu'elle laisse croître sa chevelure, mais : " Qu'elle se voile ". Ces .deux préceptes; il les, fonde sur une seule et même loi; il les confirme l'un par l'autre, et par ce qui est généralement établi, et, par les contraires. Le voile. et la chevelure pour lui , c'est tout un; et, de même, c'est la même chose pour la femme, d'être rasée et d'avoir la tête nue. " Car c'est ,", dit-il, " comme si elle était rasée ". On objectera : comment est-ce la même chose d'avoir, pour se couvrir, ce que la nature donne, et d'être rasée, de ne l'avoir pas? Nous, répondrons : que, par le fait de sa volonté, la femme a abandonné même le voile naturel par cela même qu'elle a la tête nue; si elle à encore des cheveux, elle les doit à la nature et non à sa volonté ; c'est pourquoi la femme rasée a la tête nue; et l'autre, également. Dieu a permis à la nature de couvrir la tête de la femme, afin que la femme instruite par la nature se, couvrît d'un voile.

L'apôtre rend ensuite raison de ses. ordonnances comme s'adressant à des hommes libres. Cette explication, quelle est-elle? " L'homme ne doit point se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu. (7) ". Encore une autre raison : ce n'est pas, seulement parce qu'il a pour chef le Christ, qu'il ne doit pas se couvrir la tête; c'est aussi parce qu'il commande à la femme. Un prince qui s'approche d'un souverain, doit avoir le signe de sa principauté; aucun prince n'oserait paraître sans ceinture, sans manteau, devant celui qui porte le diadème. Gardez-vous, à votre tour, de négliger le signe de votre principauté, qui consisté à avoir la tête découverte, lorsque vous priez Dieu; vous vous feriez affront à vous-mêmes, et à celui qui vous a conféré votre honneur. On peut en dire autant de la femme; car c'est, pour elle aussi, une honte, de ne pas avoir les signes de sa sujétion. " Au lieu que la femme est la gloire de l'homme ". L'autorité, de l'homme est fondée en nature. Après ces raisonnements, ces explications, il en propose encore d'autres; il vous fait remonter aux premiers jours de la création; car l'homme n'a point été tiré de la femme, " mais la femme, a été, tirée de l'homme (8) ". Or, si l'extraction est un sujet de gloire pour l'être dont on est tiré, la gloire est encore augmentée si l'être est l'image de celui de qui il est tiré; " car l'homme n'a point été créé pour la femme, mais la femme, pour l'homme, (9) ". Voilà la seconde raison de l'excellence de l'homme sur la femme, disons mieux, la troisième et la quatrième raison. Première raison : le Christ est notre chef, et nous sommes le chef de la femme ; seconde raison : nous sommes, la gloire de Dieu, et la femme est notre gloire; troisième raison : e n'est pas nous qui sommes tirés de la femme, mais c'est elle qui est tirée de nous ; quatrième raison : ce n'est pas nous qui sommes faits pour elle, mais c'est elle qui est faite pour nous. " C'est, pourquoi la femme doit porter sur sa tête, à cause des anges, la marque de la puissance que l'homme a sur elle (10) ",. " C'est pourquoi ": Pour quelle raison, répondez-moi ? Pour toutes les raisons qui ont été dites, ou plutôt, ce n'est pas seulement pour toutes ces raisons, mais " à cause des anges "; si vous né respectez pas votre mari, ô femme, respectez au moins les anges.

5. Ainsi,. ce voile que vous mettez sur votre tête est la marque de la sujétion à une autorité, elle vous force à abaisser vos regards, à conserver la vertu qui vous est propre; la vertu propre, l'honneur d'un sujet, c'est de rester dans l'obéissance. L'homme n'y est pas contraint, car il est, l'image de Dieu même ; la (468) femme y est obligée, et c'est justice; comprenez donc, ô hommes, l'excès de votre faute, lorsque vous, qui êtes honorés d'un si grand pouvoir, vous vous avilissez vous-mêmes, en usurpant le costume de la femme; c'est comme si vous rejetiez de votre tête un diadème , pour prendre, au lieu de ce diadème , un vêtement d'esclave. " Toutefois, ni l'homme n'est point sans la femme, ni la femme sans l'homme, en Notre-Seigneur (11) ". Après avoir donné à l'homme une grande supériorité , après avoir dit que la femme a été tirée de lui , pour lui, qu'elle lui a été soumise, il craint d'élever l'homme outre mesure, de trop abaisser la femme ; voyez comme il corrige ses paroles: " Toutefois , ni l'homme n'est point sans la femme, ni la femme sans l'homme, en Notre-Seigneur ". Gardez-vous de ne voir que le commencement, de ne considérer que la première formation ; si vous examinez ce qui a suivi , chacun des deux est l'auteur de l'autre ; disons mieux , aucun des deux n'est l'auteur de l'autre; Dieu seul est l'auteur de tous les êtres; de là ces paroles : " Ni l'homme n'est point sans la femme, ni la femme sans l'homme, en Notre-Seigneur. " Car, comme la femme a été tirée de l'homme, " ainsi l'homme est par le moyen de la femme (12) ". II ne dit pas: Est de la femme, tandis qu'il n'a pas craint de dire encore une fois " La femme à été tirée de l'homme". Cette prérogative reste entière à l'homme; à vrai dire , ces oeuvres magnifiques ne sont pas de l'homme, mais de Dieu. Aussi l'apôtre ajoute-t-il: " Et tout vient de Dieu ".

Donc, si tout vient de Dieu, si c'est lui qui vous donne ces commandements , obéissez sans contredire. " Jugez vous-mêmes, s'il est bienséant à une femme, de prier Dieu, sans avoir un voile (13) ". Ici encore, il les fait juges de ses paroles; c'est ce qu'on a vu, à propos des viandes consacrées aux idoles. Il disait alors : " Soyez juges de ce que je dis"; et ici : " Jugez vous-mêmes ". Il insinue ici une pensée faite pour inspirer la terreur c'est que l'insulte remonte jusqu'à Dieu. Toutefois il ne l'exprime pas en ces termes, il ne la dégage pas, il se contente de dire : " S'il est bienséant à une femme de prier Dieu, sans avoir un voile. La seule nature ne vous enseigne-t-elle pas qu'il serait honteux, à un homme, de laisser croître sa chevelure, et qu'il est, au contraire, honorable, à une femme, de la laisser croître, parce qu'elle lui a été donnée comme un voile (14, 15)? " L'apôtre suit ici son habitude; il tire ses raisonnements, à la portée de tous, des usages les plus ordinaires, et sa vive réprimande déconcerte les auditeurs, en leur révélant ce que la vie commune aurait dû leur apprendre; tout ce qu'il leur dit, des barbares mêmes le savent. Remarquez la vivacité de toutes ses expressions : " Tout homme qui prie en s'enveloppant la tête, déshonore sa tête "; et encore : " S'il est honteux, à une femme, d'avoir les cheveux coupés ou d'être rasée, qu'elle se voile la tête tout à fait " ; et encore, dans le même passage : " Si l'homme laisse croître sa chevelure, il se déshonore; si la femme laisse croître sa chevelure, elle s'honore, parce qu'elle lui a été donnée comme un voile ".

Eh bien, dira-t-on, si sa chevelure lui a été donnée comme un voile, à quoi bon y ajouter un autre voile? c'est que la femme ne doit pas confesser sa dépendance uniquement par des signes naturels, elle la doit reconnaître aussi par sa volonté. Tu dois porter un voile que la nature tout d'abord t'a imposé; joins-y donc l'oeuvre de ta volonté, si tu ne veux pas avoir l'air de renvoyer les lois de la nature; ce serait le comble de l'impudence de prendre à partie, non-seulement nous, mais la nature. Aussi Dieu adressait-il ce reproche au peuple Juif : " Tu as égorgé tes fils et tes filles; c'est là le comble de toutes tes abominations ". (Ezéch. XVI, 21.) Et Paul, dans son épître aux Romains, réprimandant les abominables, aggrave ses accusations en disant qu'ils ne se sont pas seulement révoltés contre la loi de Dieu, mais contre la nature: " Ils ont changé l'usage qui est selon la nature, en un autre qui est contre la nature ". (Rom. I, 26.) L'apôtre use ici du même moyen, il montre qu'il ne révèle ici rien d'inconnu, que les païens ne connaissent que trop ces nouveautés qui sont des révoltes contre la nature. C'est le même genre de preuves qu'employait le Christ, en disant: " Faites donc aux hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent " (Matth. VII, 12); il montrait par là qu'il n'enseignait rien d'étrange. " Si, après cela, quelqu'un aime à contester, ce n'est pas là notre coutume, ni celle de l'Eglise de Dieu (16) ". C'est aimer les contestations que de résister à ses paroles, ce n'est pas faire preuve de (469) raison: outre la petite réprimande qu'il leur fait ainsi, considérons qu'il les rappelle efficacement à eux-mêmes, et ces paroles ajoutent de la gravité à son discours. Ce n'est pas là, dit-il, notre coutume, nous n'aimons pas à disputer, à quereller, à contredire. Et il ne s'arrête pas là. à ces mots : " Ce n'est pas là notre coutume ", il ajoute encore : " Ni celle de l’Eglise de Dieu " , montrant par là que ces contradicteurs sont les adversaires opiniâtres du monde entier; mais quelles qu'aient été les contestations des Corinthiens, aujourd'hui le monde entier a reçu cette loi et l'a conservée : telle est la puissance du Crucifié.

6. Mais j'ai peur que, tout en conservant la modestie extérieure, certaines femmes ne se laissent aller à des actions honteuses, et ne se découvrent d'une autre manière. Aussi, Paul, écrivant à Timothée, ne s'est pas contenté de ces paroles, il ajoute: " Que les femmes prient, étant vêtues comme l'honnêteté le demande, et non avec des cheveux frisés, ni des ornements d'or ". (I Tim. II, 9.) C'est qu'en effet, s'il ne faut pas avoir la tête nue, s'il convient de montrer partout le signe de la sujétion, c'est surtout par les oeuvres qu'il faut faire voir ce signe; c'est ainsi qu'à n'en pas douter les femmes des premiers âges appelaient leurs maris leurs maîtres et leur cédaient l'autorité. C'est qu'aussi, me répondra-t-on, ils aimaient leurs femmes; je le sais bien, je ne l'ignore pas. Mais lorsque nous vous avertissons de vos devoirs, vous n'avez pas besoin de considérer les devoirs des autres. Quand nous exhortons les enfants, et que nous leur disons d'obéir à leurs parents, attendu qu'il est écrit : " Honorez votre père et votre mère ", ils nous répondent : dites-nous donc aussi ce qui vient après : " Et vous, pères, n'irritez point vos enfants ". (Eph. VI, 4.) Et quand nous disons aux esclaves , qu'il est écrit qu'ils doivent obéir à leurs maîtres, et ne pas se contenter de les servir en leur présence (Col. III, 32); les esclaves, à leur tour, exigent de nous la suite du texte, en nous disant de faire des recommandations à leurs maîtres; car, nous disent-ils, Paul a prescrit aux maîtres de se relâcher de leurs menaces.

N'agissons pas de cette manière, ne recherchons pas les préceptes donnés aux autres, lorsque c'est nous qui sommes accusés. Vous aurez beau prendre un coaccusé, vous n'en serez pas, pour cela, moins coupables. Ne considérez qu'une chose , comment vous saurez vous purger des accusations dirigées contre vous. Adam rejetait la faute sur la femme, et celle-ci, à son tour, sur le serpent. Mais ce moyen n'a en rien servi à les absoudre. Laissons donc là toutes ces raisons; mais applique-toi, de tout ton coeur, . femme, à rendre à ton mari ce que tu lui dois. Aussi bien, quand je m'adresse à ton mari, quand je lui dis de te chérir, de prendre soin de toi, je ne lui permets pas de me produire la loi qui concerne la femme, mais j'exige de lui la pratique de la loi qui le concerne. Par conséquent ménage toute ton activité pour les devoirs qui te regardent, et sois complaisante pour ton mari. Si c'est en vue de Dieu que tu veux plaire à ton mari, tu ne me rappelleras pas ses devoirs à lui, ce sont les devoirs à toi imposés par le législateur, que tu dois surtout pratiquer avec le plus grand soin. Ce qui prouve en effet le mieux l'obéissance à la loi de Dieu, c'est, quelles que soient les contrariétés qu'on éprouve, de ne jamais la transgresser. Aimer qui vous aime, ce n'est pas là une grande vertu; mais servir celui qui vous hait, voilà ce qui mérite toutes les couronnes. Eh bien, fais ce raisonnement en toi-même, ô femme, si tu supportes un mari incommode, tu recevras une splendide couronne; si au contraire ton mari est doux et bon, quelle récompense Dieu te donnera-t-il ? Et ce que j'en dis, ce n'est pas pour conseiller aux maris de devenir des êtres hargneux, mais je voudrais persuader aux femmes de supporter même les maris hargneux. Et en effet, que chacun s'applique à bien faire ce qui le regarde, le prochain tout de suite en fera autant. Par exemple : une femme est bien disposée à supporter un mari difficile, un mari ne fait pas affront à une femme importune, alors c'est la parfaite sérénité ; c'est un port sans agitation ; c'est ainsi que vivaient les anciens. Chacun faisait son devoir, sans exiger que le prochain fît le sien.

Abraham prit avec soi le fils de son frère; sa femme n'y trouva rien à redire ; il ordonna à sa femme de faire un long voyage; elle n'y contredit en rien, elle le suivit. Ce n'est pas tout : après tant de fatigues, et de labeurs, et de sueurs, quand il fut devenu riche, il fit la plus belle part à Lotit, et Sara, non-seulement ne se fâcha pas , mais ne souffla pas le mot; elle ne dit rien de ce que crient sur tous (470) les tons, tant de femmes d'aujourd'hui, lorsque les moisis bien partagés, dans des affaires de ce genre, ce sont leurs maris à elles, surtout quand elles les voient ainsi traités par des inférieurs, elles leur font des reproches, elles les appellent des niais, des stupides, des sans coeur, des traîtres, des lourdaux. Sara ne dit rien, ne pensa rien de pareil, elle approuva tout ce qu'il avait fait. Et, ce qui est plus généreux encore, après que Loth eût été mis en mesure de choisir dans le partage , et qu'il eût donné à son oncle la plus petite part, et que ce même Loth courût un grand danger, à cette nouvelle , le patriarche arma tous les siens et s'apprêta à marcher contre toute l'armée des Perses, n'ayant avec lui que les gens de sa maison. Eh bien ! alors elle ne le retint pas, elle ne lui dit pas, ce qu'elle aurait pu lui dire : où allez-vous? Vous courez aux précipices; vous allez affronter de si grands dangers pour un homme qui vous a fait outrage, qui vous a ravi tous vos biens? Vous allez verser votre sang ? Si vous ne pensez pas à vous-même, pensez à moi du moins, qui ai abandonné ma maison, ma patrie, mes amis, mes parents; qui vous ai suivi dans un si long voyage. Ayez pitié de moi, ne me jetez pas dans le veuvage, dans tous les malheurs dont le veuvage est accompagné. Elle ne dit rien de pareil ; elle ne pensa rien- de pareil , elle souffrit tout en silence. Et, plus tard, lorsqu'elle demeure stérile, elle ne montre aucun des sentiments que font paraître les femmes en ces circonstances; elle ne pousse pas de lamentations. Il pleure, lui, non pas en présence de son épouse, mais en présence de Dieu, et, voyez, comme l'époux et l'épouse font chacun leur devoir. Abraham ne méprise pas Sara, parce qu'elle est stérile, il ne lui fait, pour cette raison, aucun reproche : celle-ci, de son côté, s'ingénie à consoler Abraham de cette privation, par le moyen de sa servante. Dans ces temps anciens, ces choses-là n'étaient pas défendues, comme elles le sont aujourd'hui. Aujourd'hui, en effet, il n'est pas permis aux femmes de pousser jusque-là la complaisance pour leurs maris, et ceux-ci ne doivent pas au su ou à l'insu de leurs femmes, recourir à de pareils commerces , si grande que soit leur douleur de n'avoir pas d'enfants. Car ils entendraient, à leur tour, ces paroles: " Leur ver ne mourra point, leur feu ne s'éteindra point ". (Marc, IX, 45.) En effet, ces choses-là, aujourd'hui, ne sont plus permises ; mais alors la défense n'existait pas. Et voilà pourquoi son épouse lui donna ce conseil ; et il lui obéit, et il ne fit rien pour le plaisir. Mais voyez donc, me dira-t-on, comment sur l'ordre de Sara il chassa la servante. C'est justement ce que je veux vous montrer : en toutes choses, il lui obéissait, et elle, à lui.

7. D'ailleurs, ne faites pas seulement attention à ce renvoi, ô femmes, mais considérez donc, puisque vous en parlez, quels outrages la servante faisait à sa maîtresse , avec quelle insolence elle s'élevait contre elle, et que peut-il y avoir de plus insupportable, pour une femme libre et honnête? Il ne faut pas que la femme attende la vertu de son mari; pour faire paraître la sienne ; il n'y aurait rien de grand dans cette conduite. Le mari ne doit pas non plus attendre la sagesse de sa femme pour montrer qu'il est sage ; il n'y aurait rien de raisonnable dans cette conduite, mais chacun d'eux, comme je l'ai dit, doit faire ce qui le regarde. Si, en effet, vous devez, aux étrangers qui vous frappent la joue droite, présenter la joue gauche, à bien plus forte raison convient-il qu'une femme supporte la brutalité de son mari. Je ne dis pas, pour cela, que les maris doivent battre leurs femmes, c'est là la dernière ignominie , non pour celle qui est frappée, mais pour celui qui la frappe. Mais si,-par hasard , ô femme , tu as en partage un époux de ce genre, résigne toi, dans la pensée de la récompense qui t'est réservée, et de l'estime qui t'accompagne en cette vie.- Et main. tenant, ô mari, voici ce que je vous dis: Il ne doit jamais y avoir pour vous de faute qui vous force à frapper votre épouse. Et que dis je, votre épouse ? Frapper une servante, lever la main sur elle, cela n'est pas supportable, de la part d'un homme libre. Si c'est une grande honte pour un homme que de frapper une servante, à bien plus forte raison, de lever la main sur une femme libre. C'est ce que l'on peut voir dans les législateurs du monde : la femme qui a souffert un pareil traitement, n'est pas forcée d'habiter avec celui qui la frappe, qui est indigne de partager son sort. Et, en effet, c'est de la dernière iniquité que de faire subir à la compagne de sa vie, qui depuis longtemps vous sert dans les nécessités de l'existence, l'infâme traitement des esclaves.

Aussi je dirai qu'un tel homme, si toutefois le nom d'homme lui convient, s'il ne faut pas (471) l'appeler une bête sauvage, ressemble an meurtrier d'un père ou d'une mère; car si la loi nous dit d'abandonner, pour notre femme, et notre père et notre mère, sans faire injure à nos parents, mais en accomplissant la loi divine, tellement chère à ses parents mêmes, que ceux qu'on abandonne, consentent à être abandonnés, trouvent dans cet abandon l'accomplissement de leur vif désir; qui ne voit que c'est être en démence que de faire affront à la femme , pour qui Dieu nous a ordonné d'abandonner nos parents? En démence, est-ce assez dire? Qui pourrait supporter ce déshonneur et cette ignominie? Quel discours pourrait l'exprimer? Ce sont des hurlements, des gémissements qui retentissent dans les carrefours; et c'est un concours de tout le peuple, dans la maison de l'homme qui se conduit d'une manière si honteuse; et voisins et passants s'y précipitent, comme si une bête féroce abîmait tout, détruisait tout dans l'intérieur. Mieux vaudrait pour ce furieux d'être englouti dans (les entrailles de) la terre, que de se représenter ensuite en public. Mais la femme est acariâtre, dira-t-on; mais réfléchissez donc que c'est une femme, quelque chose de fragile, et que vous êtes un homme. Et si vous avez été établi pour être son chef, si vous êtes, comme sa tête, c'est afin de supporter la faiblesse de celle qui vous doit l'obéissance; faites doncen sorte que votre empire soit glorieux, et, pour qu'il soit glorieux, il ne faut pas que vous déshonoriez celle à qui vous commandez. Et de même que le roi a d'autant plus de gloire qu'il revêt de plus de gloire celui qui commande sous lui ; si, au contraire; il déshonore, s'il flétrit l'homme puissant, il diminue également sa propre gloire de souverain; de même vous, en déshonorant celle qui commande après vous, vous 'portez une atteinte non légère à l'honneur de votre principauté. Donc, pénétrés de toutes ces vérités , conduisez-vous avec tempérance, et joignez à ces pensées le souvenir de ce beau soir où le père vous a fait venir, vous a confié sa fille comme un dépôt , la séparant de tout le reste , et de sa mère, et de lui-même et de toute la famille, pour vous la remettre à vous seul, quand votre main a touché sa main; pensez qu'après Dieu, c'est elle qui vous adonné des enfants, qui vous a rendu père; soyez donc, par ces raisons, plein de douceur pour elle.

8. Une fois que la terre a reçu les semences, ne voyez-vous pas la culture variée dont l'embellissent les gens de la campagne, quelque difficultés que cette terre leur oppose, quelle que soit son aridité, quoiqu'elle produise de mauvaises plantes; quoiqu'elle soit dans une position à être inondée par les pluies'? Faites de même : impossible autrement de récolter les fruits ni d'avoir la tranquillité. Une femme, c'est un port; c'est le remède souverain qui procure la joie. Abritez-le donc , votre port, contre les vents, contre les flots, et vous aurez la paix en revenant du dehors; si, au contraire, vous y versez les troubles et l'agitation, vous ne faites que vous préparer un lugubre naufrage. Il ne faut pas qu'il en soit ainsi ; faites ce que je vous dis : s'il arrive quelque chose de fâcheux, dans la maison, par la faute de votre femme, consolez-la, n'augmentez pas les chagrins. Car eussiez-vous tout perdu, rien de plus triste que de n'avoir pas une femme qui vive. en paix avec vous : et quoi que vous ayez à lui reprocher, rien de plus affligeant que de disputer avec elle. Donc, pour toutes ces raisons, conservez l'amour pour elle comme votre bien le plus précieux. Si nous devons nous supporter mutuellement, à bien plus forte raison, faut-il supporter une épouse ; si elle est pauvre, ne lui reprochez pas sa pauvreté; si elle a peu d'esprit, ne l'insultez pas; faites mieux, gouvernez-la; c'est votre membre, et vous n'êtes tous deux qu'une seule et même chair. Mais c'est une femme bavarde, et adonnée au vin, et qui se met en colère. Eh bien, soyez triste, mais pas d'emportement; il faut prier Dieu, avertir cette femme, la redresser par vos conseils, et tout faire pour extirper ses vices. Mais la battre, mais la meurtrir, ce n'est pas soigner sa maladie ; la brutalité se corrige par la douceur, non par une autre brutalité. Considérez aussi la récompense que Dieu vous réserve. Quand vous pourriez l'exterminer, cette femme, n'en faites rien, craignez Dieu, supportez tant et tant de défauts, redoutez la loi qui défend de chasser une femme; quel que soit le mal qui la travaille, c'est une ineffable récompense que vous recevrez, et, avant ces récompenses, vous y gagnerez les biens les plus enviables ici-bas, vous l'aurez rendue plus soumise, et vous serez devenu plus clément pour elle.

On rapporte d'un philosophe païen qu'il avait une méchante femme, et bavarde, et adonnée au vin ; on lui demandait comment (472) il pouvait y tenir : c'est une école, répondait-il, une palestre de philosophie, que j'ai à la maison. Je n'en serai que plus doux avec les personnes du dehors, disait-il, vu l'exercice quotidien qu'elle me fait faire. Vous poussez de grands cris? Eh bien, moi, je pousse un grand gémissement, à voir que des païens sont plus sages que nous, que nous qui avons l'ordre d'imiter les anges, je me trompe, qui avons l'ordre de rivaliser avec Dieu même pour la douceur et la bonté. Donc ce sage, dit-on, pour cette raison , ne chassa pas cette méchante femme; quelques-uns même prétendent que ce fut pour cette raison qu'il l'épousa. Quant à moi, vu le grand nombre d'hommes peu susceptibles de raison, je vous conseille de tout faire d'abord, de ne rien négliger pour que les femmes que vous prendrez, soient bien assorties et remplies de toute espèce de vertu : mais s'il vous arrivait de vous tromper, d'introduire une méchante femme, une femme insupportable dans votre maison, je dis qu'alors vous devriez au moins imiter ce sage, et sans maltraiter cette femme, tâcher de la corriger de ses imperfections. Le marchand fait un traité avec son associé, prend toutes ses précautions, pour assurer le bon accord, avant de lancer son vaisseau à la, mer, et il ne se préoccupe d'aucune autre affaire. Eh bien, nous aussi, prenons toutes nos précautions. pour que l'associé de notre vie se tienne en paix avec nous pendant toute la durée de la traversée. Voilà comment nous serons sûrs d'avoir, pour tout le reste, la tranquillité; voilà comment nous traverserons en toute sécurité la mer de la vie présente. Ce qu'il faut préférer à tous les biens , maisons, esclaves, trésors, domaines, fonctions politiques. Regardons comme le bien le plus précieux, que celle qui demeure avec nous, dans la même habitation que nous, ne soit pas en désaccord, en dispute avec nous. Si nous possédons ce bien, tous les autres couleront sur nous d'eux-mêmes, et nous jouirons de l'abondance des biens spirituels, douce récompense de notre concorde sous le même joug; nous ferons comme il faut tout ce qu'il convient de faire, et nous obtiendrons les biens qui nous sont réservés : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, et maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVII. MAIS JE NE PUIS VOUS LOUER EN CE QUE JE VAIS VOUS DIRE, A SAVOIR : QUE VOUS VOUS CONDUISEZ DE TELLE SORTE, DANS VOS ASSEMBLÉES, QU'ELLES VOUS NUISENT, AU LIEU DE VOUS SERVIR. (CHAP. XI, VERS. 17, JUSQU'AU VERS. 27.)
ANALYSE

1 et 2. Des repas en commun ; ancien usage ; désordres qui en altéraient l'esprit ; reproches de Paul.

3. Réflexions sur la manière dont l'Apôtre exerce la réprimande.

4. De l'institution de la cène.

5. Admirable invective contre ceux qui s'approchent de la table sainte sans préparation, et contre ceux qui courent de la table sainte aux orgies.

1. Il faut d'abord dire la cause du reproche qu'il leur adresse en ce moment; la suite du discours se comprendra mieux. Quelle est donc la cause de ce reproche? Les trois mille qui avaient, au commencement, accepté la foi, mangeaient en commun, possédaient tout en commun; cette communauté subsistait aux temps où écrivait l'apôtre, mais la vie n'était (473) plus aussi exemplaire, c'était comme un faible courant de la communauté des anciens jours, qui était descendu sur les chrétiens d'alors. Comme les uns étaient pauvres, les autres riches, tous ne mettaient plus en commun leurs biens; mais seulement à certains jours on faisait table commune par convenance ; l'assemblée des fidèles avait lieu, on célébrait en commun les saints mystères, et ensuite on se réunissait pour le repas en commun ; les riches apportaient de quoi manger; les pauvres et ceux qui n'avaient rien, étaient invités par les riches, et tous mangeaient ensemble. Plus tard, cet usage se perdit encore. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient divisés; parce que tels disaient appartenir à ceux-ci ; tels autres, à ceux-là : moi, je suis à un tel, et moi à un tel. C'est contre cet abus que l'apôtre s'élève au commencement de sa lettre : " J'ai été averti, mes frères, par ceux de la maison de Chloé, qu'il y a des contestations parmi vous. Ce que je veux dire, c'est que chacun de vous prend parti, en disant : Moi, je suis à Paul; moi, je suis à Apollon; moi, je suis à Céphas ". (I Cor. I, 11, 12.) Ce n'est pas qu'il y en eût qui prétendissent être à Paul, car il ne l'aurait pas souffert, mais il veut en finir avec ce désordre, et il écrit son nom pour montrer que, dans le cas où l'on s'attacherait à lui, en s'arrachant au corps commun des fidèles, ce serait une faute grossière , une infraction monstrueuse à la loi : que si, même avec Paul, c'était une infraction à la loi, à bien plus forte raison, avec ceux qui ne le valaient pas. Donc l'ancienne coutume ayant péri, cet usage si beau, si conforme à l'utilité (c'était une raison d'affection, une consolation pour les pauvres, une sanctification pour les riches, une occasion de montrer la plus haute sagesse, une leçon d'humilité); l'apôtre qui voyait que de si précieux avantages étaient perdus, se sert avec raison de paroles mordantes : " Mais je ne puis vous louer en ce que je vais vous dire ".

Dans les reproches qui précèdent, attendu qu'un grand nombre de fidèles ne les méritaient pas, il débute autrement : " Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi en toutes choses " ; ici, au contraire : " Mais je ne puis vous louer en ce que je vais vous dire ". Aussi n'exprime-t-il pas ce reproche aussitôt après la réprimande contre ceux qui mangeaient des viandes consacrées aux idoles; comme son langage devait être sévère, l'apôtre intercale ses réflexions sur la chevelure, pour rompre la suite des accusations véhémentes, pour que son discours ne paraisse pas trop violent. Il revient ensuite à la réprimande forte et vive, et il dit : " Mais je ne puis vous louer en ce que je vais vous dire ". Qu'est-ce donc ? c'est ce dont je vais vous parler. Que signifie ce : " Je ne puis vous louer en ce que je vais dire? " Je ne comprends pas, dit-il, que vous me forciez à vous donner un semblable conseil; je ne puis vous louer de voir qu'il vous faille une pareille leçon, que vous ayez besoin en cela de mes avertissements. Voyez-vous comme il montre, dès le début, l'inconvenance de ce qui se passe? En effet, quand le pécheur n'a pas besoin d'avertissement pour éviter le péché, le péché semble indigne de pardon. Et pourquoi ne pouvez-vous pas clous louer? " Parce que vos assemblées vous nuisent, au lieu de vous servir ", dit-il; c'est-à-dire, parce que vous n'avancez pas dans la vertu. Quand vous devriez vous améliorer, brûler de plus en plus du désir de faire des progrès, vous avez affaibli un usage autrefois en vigueur, et vous l'avez affaibli à tel point que vous avez besoin de mes exhortations pour retourner à l'ancienne règle. Ensuite, ne voulant pas avoir l'air de parler seulement en faveur des pauvres, il ne se presse pas de discourir sur les tables ; sa réprimande pourrait être méprisée ; il cherche l'expression la plus puissante, la plus propre à inspirer une grande terreur : que dit-il ? " Premièrement, j'apprends que , lorsque vous vous assemblez dans l'église, il y a des schismes parmi vous (18) ". Il ne dit pas . J'apprends que vous ne mangez pas en commun, j'apprends que vous mangez en votre particulier, et non pas avec les pauvres; il dit ce qui devait le plus secouer les esprits; il prononce le mot de schisme ; le schisme était, en effet, la cause de ce désordre; et il rappelle encore ce dont il avait parlé au commencement de son épître, et qui lui avait été annoncé par ceux de la maison de Chloé. " Et je le crois en partie ".

2. On aurait pu lui répondre, et si ce sont des menteurs, des calomniateurs? Il ne dit pas qu'il croit tout, de peur de les jeter dans l'impudence; il ne dit pas non plus, qu'il ne croit rien, de peur d'avoir l'air de leur adresser une réprimande inutile, mais : " Et je le crois en partie " ; ce qui veut dire, j'en crois (474) quelque petite chose, afin de les tenir dans l'inquiétude et de leur ménager la rentrée dans le bon chemin. " Car il faut qu'il y ait même des hérésies, afin qu'on découvre, par là, ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée (19) ". Ce qu'il entend ici par hérésies, ce ne sont pas celles des dogmes, mais celles qui résultent des séparations de ce genre. Dans le cas même où il aurait entendu les hérésies dogmatiques , il n'aurait pas donné prise à ses contradicteurs. Car le Christ dit : " Il est nécessaire que les scandales arrivent" (Matth. XVIII, 7) ; parole qui ne porte pas atteinte à la liberté de notre volonté, qui ne suppose pas une contrainte, une violence exercée sur notre esprit, mais annonce par avance un effet de la dépravation des pensées de l'homme; un effet résultant, non de la prédiction, mais d'une maladie incurable de certains esprits. Ce n'est pas parce que le Christ les a prédites, que les erreurs se sont produites; mais c'est parce qu'elles devaient se produire, que la prédiction les a annoncées. En effet, si les scandales provenaient de la nécessité, et non de la volonté de ceux qui les font éclater, cette parole n'aurait pas de sens : " Malheur à l'homme par qui le scandale arrive ". (Id.) Mais nous avons déjà développé ces réflexions en leur lieu ; arrivons maintenant à notre sujet. L'apôtre parle des hérésies concernant les tables; des contestations, des divisions qu'on y voyait; la suite du texte le montre assez. Il commence par dire : " J'apprends qu'il y a des schismes parmi vous". Il ne s'arrête pas là, il montre quels sont ces schismes; il ajoute : " Chacun mange son souper particulier " ; et ensuite : " N'avez-vous pas vos maisons pour y boire et pour y manger? Ou méprisez-vous l'Eglise de Dieu .(21, 22) ? " Sa pensée est évidente. S'il appelle ces désordres des schismes, n'en soyez pas surpris ; je l'ai déjà dit, il emploie ce mot pour les frapper. S'il se fût agi de schismes dans les dogmes, son langage aurait été bien plus rude.

Entendez-le faire un reproche de ce genre ; quelle véhémence pour confirmer, pour réprimander ! Exemple de confirmation de la vérité : " Quand un ange du ciel vous annoncerait un évangile différent de celui que vous u avez reçu, qu'il soit anathème " (Gal. I, 8) ; exemple de réprimande : " Vous qui voulez être justifiés par la loi, vous êtes déchus de la grâce ". (Ibid. v, 4.) Et il lui arrive d'appeler chiens les corrupteurs , " voyez les, " chiens " (Philipp. III, 2), ou " de dire qu'ils ont la conscience brûlée de crimes " ( I Tim. IV, 2) ; ou encore que ce sont des anges du diable. Mais ici rien de tel, son langage est doux et tempéré. Que dit-il? " Afin qu'on découvre, par là, ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée " ; afin qu'ils brillent d'un plus vif éclat. Voici ce qu'il veut dire : Ceux qui ne bronchent pas, ceux qui sont fermes, non-seulement ne sont nullement atteints par son discours, mais ses paroles rehaussent leur vertu. En effet, le " afin que" ne marque pas toujours la cause finale, le " pour que ", mais souvent aussi la simple réalité, le " de sorte que ". C'est ainsi que le Christ emploie le " afin que : Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles ". (Jean, IX, 39.) C'est ainsi que Paul lui-même, en dissertant sur la loi, écrit : " La loi est survenue, afin qu'elle donnât lieu à l'abondance du péché ". (Rom. V, 20.) Mais ni la loi n'a été donnée pour augmenter les péchés des Juifs, ni le Christ n'est venu pour que ceux qui voient, devinssent aveugles, c'est plutôt afin que le contraire arrivât; mais ce que l'on dit, c'est ce qui est arrivé. Eh bien, donnons ici le même sens aux mêmes mots " Afin qu'on découvre, par là, ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée ". Les hérésies en effet ne se sont pas produites afin que l'on découvrît ceux qui avaient une vertu éprouvée; mais, quand les hérésies sont venues, ce résultat s'est produit. Maintenant ces paroles de l'apôtre, c'est pour consoler les pauvres qui souffraient noblement un tel mépris. Aussi l'apôtre ne dit pas : pour qu'ils acquièrent une vertu éprouvée, mais : " Afin qu'on découvre, par là, ceux qui ont une vertu éprouvée ". Il reconnaît que, même auparavant, ils avaient cette vertu, mais ils étaient mêlés dans la foule, et la consolation qu'ils recevaient des riches, ne les rehaussait pas beaucoup. Mais maintenant ces divisions, ces contestations les ont mis en lumière, comme le pilote se révèle dans la tempête. L'apôtre ne dit pas non plus : afin qu'on découvre votre vertu éprouvée , mais : " Afin qu'on découvre ceux qui ont une vertu éprouvée ", c'est-à-dire ceux d'entre vous (475) qui se distinguent par là. En les accusant il ne désigne pas les coupables, afin de ne pas les rendre plus effrontés; il ne les loue pas, afin de ne pas autoriser leur relâchement. Mais il fait entendre des paroles qui permettent le doute, et qui peuvent s'approprier à la conscience de chacun.

Et maintenant ici il ne me semble pas consoler seulement les pauvres, mais, avec eux, ceux qui continuaient à garder la coutume ; car il est vraisemblable que, dans le nombre, il y en avait qui l'observaient. encore. De là, cette parole : " Et je le crois en partie ". C'est donc avec raison qu'il regarde comme étant d'une vertu éprouvée ceux qui non-seulement avaient gardé cette coutume avec les autres, mais qui, dans l'isolement, conservaient, sans (altérer, cette loi si belle. Et ce que fait l'apôtre, c'est pour rendre les uns et les autres plus ardents au bien. Il détermine ensuite le caractère de ce péché. En quoi consiste-t-il? "Lorsque vous vous assemblez, comme vous faites ", dit l'apôtre, " ce n'est, plus manger " la cène du Seigneur, ". L'apôtre ne pouvait parler d'une manière qui fût plus propre à les confondre, et à leur :faire entendre un avis sous forme de récit. Une assemblée chrétienne, dit-il, a un autre caractère, c'est un effet de la charité, de l’amour fraternel ; sans doute, vous vous réunissez tous dans un seul et même lieu, et -vous êtes ensemble ; mais, pour ce qui est de la table, elle n'a plus rien d'une fraternelle assemblée. Et l'apôtre ne dit pas : Quand vous vous réunissez, vous ne mangez pas en commun ; il prend un autre tour, il les châtie d'une expression bien plus terrible, il leur dit : " Ce n'est plus manger la cène du Seigneur " ; il les transporte au soir même où le Christ a institué les redoutables mystères. C'est pour cela que Paul se sert ici du. nom de " cène ", pour rappeler la cène célèbre où tous les apôtres étaient . assis à la même table. Et certes, il n'y a pas autant de différence entre les riches et les pauvres, qu'il y en avait entre le divin Maître et ses disciples : ici il y avait une distance infinie. Et, entre le divin Maître et ses disciples? Réfléchissez à l'intervalle qu'il y avait entre le divin Maître et le traître ! Et cependant ce traître lui-même était à la même table avec eux, et le Christ ne le chassa pas. Il partagea le sel avec lui, et il l'associa à ses mystères.

3. L'apôtre explique ensuite comment ce n'est plus manger la cène du Seigneur. " Car, chacun y prend d'avance son souper, et le mange ; et l'un a faim, pendant que l'autre est ivre (21) ". Voyez-vous comme il leur fait voir leur honte? Comme il leur fait comprendre qu'ils s'approprient ce qui appartient au Seigneur, qu'ils se déshonorent eux-mêmes en ôtant à leur table, ce qui en constituait la plus haute dignité. Comment, et de quelle manière? Parce que c'est la cène du Seigneur; or ce qui appartient au Seigneur doit être commun, les biens du maître n'appartiennent pas, en effet, à tel esclave ou à tel autre; ils appartiennent, en commun, à tous. Cette expression " du Seigneur ", signifie donc, ce qui est commun. Si c'est la chose de ton Seigneur, comme,c'est vrai en réalité, tu n'en dois arracher aucune partie, pour te l'attribuer en propre. Ce qui appartient au Seigneur, il faut le servir, en commun, à tous ; car c'est là le caractère de ce qui appartient au Seigneur; et tu ne veux pas que cela soit regardé comme appartenant au Seigneur, puisque tu ne veux pas que cela soit commun, puisque tu manges à part. Aussi l'apôtre, dit-il : " Car chacun y prend d'avance son souper ". Et il ne dit pas : Tire sa part, mais : " Prend d'avance ", censurant doucement (impatience de la gourmandise ; sa pensée s'explique parce qui suit; après ce qu'il vient de dire, il ajoute : " Et l'un a faim, tandis que l'autre est ivre " ; double preuve que l'on ne gardait pas la mesure. D'un côté, le manque, de l'autre, l'excès. Et voilà la seconde accusation qu'il leur jette à la face. Première accusation, ils déshonorent leur table ; seconde accusation, ils se remplissent le ventre et s'enivrent; et cela, ce qui est plus grave, lorsque les pauvres ont faim. Tous devaient prendre leur part du repas commun; mais il y en avait qui engloutissaient, à eux seuls, tout 1e repas, et, s'abandonnant à une voracité insatiable, ils tombaient dans l'ivresse. Aussi l'apôtre ne dit-il pas : l'un a faim, l'autre se rassasie ; mais : " L'autre est ivre ". Double sujet de justes reproches; car l'ivresse, même sans y joindre le mépris des pauvres, est un motif d'accusation ; le mépris des pauvres, sans l'ivresse, suffit encore pour rendre coupable ; mais maintenant, joignez ces deux fautes ensemble, et calculez le degré de la dépravation !

Ensuite, après avoir montré l'excès du désordre, il se livre à toute son indignation, il (476) s'écrie : " N'avez-vous pas vos maisons pour y manger et pour y boire, ou méprisez-vous l'Eglise de Dieu, et voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvres (22) ? " Voyez-vous comme il passe de l'affront fait aux pauvres à l'insulte envers l'Eglise, pour donner à son discours plus de force encore? Voilà donc une quatrième accusation; ce n'est pas le pauvre seulement, c'est aussi l'Eglise qui est outragée. De même que tu fais de la cène du Seigneur ta chose à toi, de même tu t'adjuges le lieu, et tu te sers de l'Eglise comme ta maison à toi. L'église a été faite; non pour diviser ceux qui s'y rassemblent, mais pour unir ensemble ceux qui sont divisés, et c'est ce que signifie ce mot d'assemblée : " Et voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvres? " L'apôtre ne dit pas : et vous faites mourir de faim ceux qui sont pauvres; il prend une expression plus capable d'inspirer de la honte : " Voulez-vous faire honte ? " comme s'il disait : Voulez-vous faire rougir ? Il montre que ce n'est pas tant la nourriture qui l'occupe, que l'affront infligé aux pauvres. Cinquième accusation : Non-seulement ils méprisent ceux qui ont faim, mais, de plus, ils les font rougir. Et ce discours avait pour but, en même temps, d'honorer les pauvres, et de montrer qu'ils ne souffrent pas autant de la faim que de l'insulte qui leur était faite; et en même temps, l'apôtre voulait attirer ses auditeurs à la compassion. Donc, après avoir montré tous ces désordres insulte à la cène, insulte à l'Eglise, mépris des pauvres, il adoucit la violence de sa réprimande, il dit : " Vous en louerai-je ? Non, je ne vous en loue pas ". On s'étonnera qu'au moment où la réprimande devait avoir le plus d'impétuosité , après tant de désordres qu'il vient de flétrir, l'apôtre prenne justement un ton plus doux, et donne à ceux qui l'écoutent, le temps de respirer. Pourquoi ? C'est que l'accusation avait été développée d'une manière sévère. C'est un excellent médecin, il a fait une incision proportionnée aux blessures; quand il a fallu pénétrer profondément, il ne s'est pas contenté de couper à la surface; (vous savez bien comme il a retranché le fornicateur qui demeurait chez ces Corinthiens) ; mais, en même temps, quand il faut de doux remèdes, il n'a pas recours au fer. Voilà donc pourquoi il adoucit maintenant son langage; il s'efforçait d'ailleurs de les rendre plus doux envers les pauvres; voilà pourquoi il leur adresse des paroles moins vives. Et ensuite, comme il veut les toucher plus fortement par des raisonnements d'un autre genre, il reprend des pensées plus imposantes: " Car c'est du Seigneur ", dit-il, " que j'ai appris ce que je vous ai aussi enseigné, à savoir que le Seigneur Jésus, la nuit même où il devait être livré, prit du pain, et, ayant rendu grâces, le rompit et dit: Prenez et mangez ; ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi (23, 24) ". Pourquoi ce rappel des saints mystères ? C'est que c'était un argument décisif, dans le sujet qu'il traite. Le Seigneur ton Dieu, dit-il, a daigné admettre tous les hommes sans exception à cette table d'une sainteté terrible, à cette table si auguste; et toi, tu regardes les hommes comme indignes de la tienne, d'une table vile et misérable? Quoique ces pauvres ne reçoivent, dans les biens spirituels, rien de plus que toi, tu les dépouilles des biens sensibles, tu leur prends ce qui ne t'appartient pas ? L'apôtre toutefois ne s'exprime pas ainsi, son discours eût été trop dur; il l'adoucit en disant . " Que le Seigneur Jésus, la nuit même où il devait être livré, prit du pain ". Et pourquoi rappeler la circonstance, cette soirée, cette trahison? Ce n'est pas sans dessein, sans raison ; il veut les toucher profondément, en leur rappelant le temps. Serait-on de pierre, quand on pense à cette nuit, à cette tristesse du Christ au milieu de ses disciples, à la manière dont il fut livré, dont il fut lié, dont il fut enchaîné, dont il fut jugé, dont il supporta tout ce qui suivit, l'âme s'attendrit plus que la cire, on ne pense plus à la terre, aux pompes, à toutes les images du monde. Voilà pourquoi l'apôtre nous rappelle et l'heure, et la table, et la trahison; c'est pour nous confondre; il dit à chacun de nous: Le Seigneur ton Dieu s'est livré lui-même, dans ton intérêt, et tu ne donnes pas à ton frère l'aliment que tu dois partager avec lui, dans ton propre intérêt?

4. Mais maintenant , pourquoi dit-il que c'est du Seigneur qu'il a appris; car il n'était pas alors du côté du Christ, il était du nombre des persécuteurs? c'est pour vous apprendre que cette première cène n'avait rien qui ne se soit trouvé dans celles qui ont suivi. Aujourd'hui encore, c'est le Seigneur qui fait tout, qui se livre à nous, comme au premier soir; et ce n'est pas seulement pour cette raison que (477) l'apôtre rappelle cette nuit auguste; il veut encore nous toucher jusqu'au fond du coeur d'une autre manière; de même que les paroles dont nous gardons le plus le souvenir, sont celles qui sortent les dernières de la bouche des mourants, et de même que, si leurs héritiers osaient enfreindre leurs ordres, nous leur dirions pour les confondre : pensez que telle a été la dernière parole de votre père; que, jusqu'au jour où il devait rendre l'âme, voilà les recommandations qu'il a faites; de même Paul , voulant donner à son discours une gravité redoutable : Souvenez-vous, dit-il, que l'institution de ce mystère est la dernière chose qu'il a faite, que, dans cette nuit même où il devait être immolé pour vous, voilà les préceptes qu'il vous a transmis, et qu'après nous avoir laissé cette cène, il n'y a plus rien ajouté.

L'apôtre raconte ensuite les faits qui se sont passés : " Il prit du pain, et, ayant rendu grâces, le rompit et dit : Prenez et mangez, ceci est mon corps, qui est rompu pour vous " . Donc, si vous approchez de l'Eucharistie, ne faites rien d'indigne de l'Eucharistie ; ne faites pas honte à votre frère, ne négligez pas celui qui a faim, ne vous enivrez pas, n'outragez pas l'Eglise. Vous vous approchez pour rendre grâces pour les biens que vous avez reçus, sachez donc payer Dieu de retour, et ne vous séparez pas violemment du prochain, car le Christ a fait à tous un partage égal, en disant : " Prenez et mangez " ; il a donné son corps également à tous, et vous, vous ne donnez pas même le pain également à tous. Le Christ a rompu son corps, pour tous, de la même manière, et il a pris un corps pour tous également. — " Il prit de même le calice, après avoir soupé, en disant : Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang; toutes les fois que vous le boirez, faites ceci en mémoire de moi (25) ". Que dites-vous? Vous faites la commémoration du Christ, et vous méprisez les pauvres, et vous ne tremblez pas? Mais, je suppose que, votre fils ou votre frère étant mort, vous en célébriez la mémoire; votre conscience serait déchirée si vous n'accomplissiez pas les devoirs ordinaires, si vous n'appeliez pas les pauvres. Et vous faites la mémoire de votre Seigneur, sans même partager votre table avec eux? Et maintenant que signifient ces mots : " Ce calice est la nouvelle alliance? " C'est que, dans l’Ancien Testament, il y avait un calice, on faisait des libations avec le sang des animaux qu'on sacrifiait; on recevait le sang dans un vase et l'on faisait les libations. Le Christ, substituant au sang des animaux son propre sang, prévient le trouble dans les pensées de ceux qui l'écoutent, en rappelant l'ancien sacrifice.

L'apôtre, après avoir parlé de cette cène mémorable, rapproche les mystères actuels des mystères qui furent célébrés alors, afin que les fidèles éprouvent les mêmes sentiments que s'ils assistaient à la cène de cette soirée célèbre, et qu'ils se figurent être assis à la table de Jésus-Christ, et recevoir de sa propre main ces saints mystères : " Car toutes les fois que vous mangerez ce pain, et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne (26) ". Car, de même que le Christ disait, en donnant le pain et le calice : " Faites ceci en mémoire de moi ", nous découvrant la cause du mystère; et, entre autres choses , nous montrant que rien que cette cause suffisait pour fonder notre piété ; car la pensée de ce que votre Seigneur a souffert pour vous, augmentera votre sagesse ; de même Paul, de son côté, vous dit : Toutes les fois que vous mangerez, vous annoncerez sa mort. Voilà en effet ce qui constitue cette cène. Ensuite, pour montrer qu'elle se perpétuera jusqu'à la consommation des siècles, il dit : " Jusqu'à ce qu'il vienne. " C'est pourquoi, quiconque mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur (27) ". Pourquoi ? Parce qu'il a répandu ce sang divin par un meurtre, non par un sacrifice. De même que ceux qui autrefois le percèrent de leurs coups, ne le percèrent pas pour boire son sang, mais seulement pour le répandre; ainsi fait celui qui en approche d'une manière indigne, et il n'en retire aucun fruit. Voyez-vous comme l'apôtre a rendu son discours terrible ; comme il frappe sur les coupables; comme il leur montre qu'en buvant ce sang avec les dispositions qu'ils apportent, ils sont indignes de prendre leur part des mystères? Et comment ne serait-ce pas une indignité de mépriser celui qui a faim, d'ajouter à ce mépris la confusion dont on l'accable? Si le refus de donner aux pauvres est une raison qui vous fait déchoir du royaume des cieux, alors même qu'on aurait le mérite de la virginité; bien plus, si l'on perd cette royauté, parce que l'on ne donne pas (478) largement; car vous savez bien que ces vierges avaient de l'huile, mais elles n'en avaient pas en abondance; considérez -l'excès du malheur qui résulte de si grands désordres.

5. Quels désordres? direz-vous. — Quoi, mon frère, en doutez-vous? Voilà la table à laquelle vous avez été admis ; vous devriez montrer une douceur parfaite, égaler les anges, et vous êtes devenu un monstre de cruauté. Vous avez goûté le sang du Seigneur, et; dans ces circonstances, vous ne reconnaissez pas votre frère ? Eh ! quel pardon pouvez-vous mériter? Je suppose qu'auparavant vous ne le connaissiez pas ; du moment que vous vous êtes approché de cette table, vous deviez le reconnaître, tandis que vous faites tout le contraire. Cette table même, vous la déshonorez ; celui qui a été jugé digne de s'y asseoir avec vous, vous ne le jugez pas digne, vous, de partager votre nourriture. N'avez-vous pas appris le traitement subi. par l'homme qui exigeait ses cent deniers ? Avez-vous oublié comment il a rendu inutile le présent qui lui avait été fait? Ne savez-vous plus qui vous étiez, et ce que vous êtes devenu ? Avez-vous oublié que vous-même vous étiez plus pauvre que ce pauvre d'argent, vous qui étiez dans l'indigence des bonnes oeuvres, riche de tant et tant de péchés ? Eh bien ! en dépit de tout, Dieu vous a affranchi entièrement de ces péchés, il vous a jugé digne de cette table auguste, et vous-même, après cela , vous ne vous êtes pas attendri? Que pouvez-vous espérer encore, que d'être livré aux bourreaux? Ces paroles, nous les entendrons tous, tous tant que nous sommes, qui nous approchons avec les pauvres de cette table sainte. Sortis de ce sacré banquet, nous ne paraissons pas avoir eu même un regard pour eux; nous sommes ivres, et nous passons sans voir ceux qui ont faim. C'est ce qu'il reprochait alors aux Corinthiens. Et quand donc, me direz-vous, arrivent ces désordres? Toujours, et surtout dans les fêtes, où ils devraient le moins se montrer. Car alors, vite après la communion, c'est l'ivresse et le mépris des pauvres. Et quand vous avez reçu le sang sacré, quand c'est l'heure du jeûne et de la tempérance, c'est alors que vous vous livrez au vin et aux excès de la gourmandise. S'il vous arrive, dans un repas, de manger d'un mets délicat, vous avez bien soin de n'en pas perdre le goût, en mangeant d'un mets grossier. Mais, quand vous avez reçu la nourriture spirituelle , vous vous livrez aux délices de Satan.

Considérez ce que firent les apôtres, au sortir de la cène sacrée. Ne s'appliquèrent-ils pas à la prière, au chant des hymnes, aux saintes veilles, aux longs enseignements d'une doctrine pleine de sagesse? car c'était l'heure où le Sauveur leur exposait sa merveilleuse doctrine, leur communiquait ses admirables préceptes, après le départ de Judas, quand ce traître s'en alla avertir ceux qui devaient le traîner à la croix. Ne savez-vous pas comment ces trois mille hommes qui avaient été admis à la communion persévéraient dans la prière, dans 1a méditation de la doctrine, au lieu de se livrer à l'ivresse et à la gourmandise? Pour toi, avant la table sainte, tu jeûnes, pour paraître, tant bien que mal, digne de la communion; mais, au sortir de la table, quand tu devrais être plus tempérant encore, tu perds tout. Certes, ce n'est pas la même chose de jeûner avant et de jeûner après. La tempérance convient dans ces deux moments, mais surtout après que tu as reçu l'époux. Tu jeûnais avant, pour être digne de le recevoir; il faut jeûner après, pour ne pas paraître in. digne de l'avoir reçu. Par exemple l Il faut que je jeûne après l'avoir reçu? Je ne dis pas cela, ni ne vous en fais une obligation. Sans doute ce serait un bien, mais je ne vous fais pas violence ; seulement je vous exhorte à ne pas vous gorger de délices, au-delà de toute mesure. S'il ne convient jamais de rechercher les délices de la vie, ce que Paul a déclaré par ces paroles : " Car pour celle qui vit dans les délices, quoique vivante, elle est morte ". (I Tim. V, 6); à bien plus forte raison, les délices, dans cette circonstance, c'est la mort. Si c'est la mort, pour une femme, à bien plus forte raison, pour un homme; si, dans toute autre circonstance, c'est votre perte, à bien plus forte raison, après la participation aux mystères. Comment? tu as reçu le pain de vie, tu fais ce qui donne la mort, et tu ne frissonnes pas? Ignores-tu quels maux innombrables produit la vie passée dans les délices? le rire intempestif, les paroles désordonnées, les bouffonneries mortelles à l'âme, le bavardage funeste, et tout ce que l'on n'ose même pas rappeler? Et cela, tu le fais après avoir joui de la table du Christ, le jour même où tu as été jugé digne de toucher, de ta langue, ses chairs sacrées? Ah ! qui que tu sois, ne (479) recommence pas; purifie ta droite, ta langue, les lèvres qui ont servi d'entrée au Christ, venant vers toi.

Assis à la table des sens, reporte ta pensée à cette table auguste, à la cène du Seigneur, à la veille passée par ses disciples dans cette nuit si sainte. Je me trompe, à vrai dire, c'est l’heure présente qui est la nuit. Veillons donc avec le Seigneur; frappons-nous la poitrine avec les disciples ; c'est le temps des prières et non de l'ivresse; c'est le temps, toujours, et surtout pendant les fêtes; car si des fêtes sont instituées, ce n'est pas pour mener une conduite honteuse, ce n'est pas pour accumuler les péchés, mais, au contraire, pour effacer ceux que nous avons commis. Et je sais bien que mon discours est inutile, mais je n'en continuerai pas moins mon discours. Vous ne l'écouterez pas tous, mais vous ne serez pas tous à le repousser. Et quand vous seriez tous à le repousser, eh bien, ma récompense n'en sera que plus belle, et, pour vous, le jugement plus à craindre. Ce n'est pourtant pas afin de rendre le jugement plus redoutable pour vous que je tiens à continuer mon discours; peut-être, oui, peut-être, à force d'insister, je toucherai le but. Voilà pourquoi je vous conjure de ne pas attirer, sur nous, notre jugement, notre condamnation. Nourrissons le Christ, donnons-lui à boire, donnons-lui des vêtements. Voilà ce qui est digne de cette table auguste. Avez-vous entendu les hymnes sacrées? Avez-vous vu les noces spirituelles? Avez-vous été reçus à la table royale? Avez-vous. été remplis de l'Esprit-Saint? Vous êtes-vous mêlés au choeur des séraphins? Avez-vous été confondus parmi les puissances d'en-haut? Ne rejetez pas loin de vous une joie si grande. Ne gaspillez pas votre trésor; n'attirez pas sur vous l'ivresse, cette joie du démon, cette mère de maux sans nombre. De là, un sommeil semblable à la mort ; de là, des assoupissements, des maladies, l'esprit n'ayant plus de souvenirs, l'image de la mort. Remplis de vin, vous n'oseriez pas vous entretenir avec un ami ; et, quand vous portez le Christ au dedans de vous, vous osez, je vous le demande., répandre sur lui une telle ivresse?

Mais, vous aimez les délices de la vie? Eh bien donc, finissez-en avec l'ivresse. Ce que je veux pour vous, ce sont les vraies délices, qui ne se flétrissent jamais. Quelles sont-elles ces vraies délices, toujours en fleurs? Invitez le Christ à votre repas; partagez, avec lui, vos biens, ou plutôt les siens, voilà ce qui renferme le plaisir inépuisable, la volupté toujours en fleurs. Ce ne sont pas là les délices des sens; à peine se sont-elles montrées qu'elles se sont évanouies. Qui s'y est livré, n'est pas plus heureux que celui qui ne les a pas éprouvées; au contraire, sa condition est pire; l'un est comme assis dans un port tranquille; l'autre affronte un torrent, des maladies qui l'assiégent, et impossible à lui de supporter cette tempête. Prévenons ces malheurs; attachons-nous à la tempérance; c'est ainsi que nous aurons la santé du corps, et que notre âme sera en sûreté, à l'abri des maux présents, et à venir. Puissions-nous tous en être délivrés, et conquérir le royaume du ciel, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVIII. QUE L'HOMME DONC S'ÉPROUVE SOI-MÊME, AVANT DE MANGER DE CE PAIN ET DE BOIRE DE CE CALICE. (CHAP. XI, VERS. 28, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.)
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ANALYSE.

1. De la nécessité de s'éprouver soi-même avant de manger le pain de vie et de boire le calice du Seigneur.

2. Pourquoi les pécheurs ne sont pas tous présentement punis. — Les fidèles, assemblés pour manger, doivent s'attendre les uns les autres.

3-5. Contre l'excès de la douleur dans le deuil. — Développement curieux , à l'adresse des femmes. — En opposition, la sublime résignation de Job au sein des plus cruelles douleurs.

1. Que signifient ces paroles, quand le sujet proposé est tout autre? C'est l'habitude de Paul, je l'ai déjà dit, non-seulement de traiter le sujet qu'il s'est proposé, mais, s'il se présente incidemment quelqu'autre pensée, de la suivre avec une grande ardeur, surtout quand il s'agit de choses tout à fait nécessaires, urgentes. En effet, quand il s'agissait des personnes mariées, et qu'il se trouva à parler des serviteurs, il traita cette question incidente avec une grande force et beaucoup de développements. Et, quand il s'étendait sur cette vérité, que l'on ne doit pas disputer en justice, l'occasion se présentant d'adresser à l'avarice des exhortations, il développa ses pensées sur ce point. C'est ce qu'il fait encore en ce moment. Une fois qu'il s'est vu engagé à parler des mystères, il a jugé qu'il était nécessaire de traiter à fond cette question à cause de son importance, et, de là, ces exhortations, faites pour inspirer la terreur, et ce discours qui prouve que le premier des biens c'est de s'approcher de la table sainte avec une conscience pure. Il ne lui suffit plus de ce qu'il avait dit auparavant, il ajoute: " Que l'homme donc s'éprouve soi-même "; c'est ce qu'il dit aussi, dans la seconde épître : " Sondez-vous vous-mêmes, éprouvez-vous vous-mêmes ". Ce n'est pas ce que nous faisons aujourd'hui, où ce qui nous détermine, c'est plutôt la circonstance de temps, que l'ardeur de notre volonté. En effet, nous ne nous appliquons pas à nous préparer, à nous purifier, à nous pénétrer de componction, avant de nous approcher, mais nous venons parce que c'est un jour de fête, et parte que tous en font autant.

Mais ce n'est pas là ce que conseillait Paul; il ne reconnaît qu'un temps où il convienne de s'approcher, de communier; c'est lorsque notre conscience est pure. Si jamais nous ne prenons notre part des tables de ce monde, lorsque nous avons la fièvre ou que nous sommes travaillés par nos humeurs; si nous nous abstenons par raison de santé, à bien plus forte raison, devons-nous nous abstenir de cette table auguste, quand nous sommes travaillés par nos mauvais désirs, plus funestes que toutes les fièvres. J'entends par mauvais désirs, les passions du corps, les désirs d'argent, les colères, les rancunes, en un mot toutes les passions dépravées et désordonnées. Il faut dépouiller tout cela, quand on s'approche des mystères, quand on veut participer à ce sacrifice si pur; il ne suffit pas d'une volonté indolente, de dispositions misérables, de cette considération que c'est un jour de fête, et de venir forcément; il ne faut pas, non plus, que la componction d'une âme bien préparée s'abstienne parce que l'on n'est pas dans un jour de fête. Ce qui constitue la fête, c'est l'abondance des bonnes oeuvres; c'est la piété, c'est l'application à tous ses devoirs; réunissez ces conditions, vous pourrez célébrer une fête perpétuelle, et vous approcher toujours; de (481) là, ce que dit l'apôtre : " Que chacun s'éprouve soi-même, avant d'approcher ". Et le précepte qu'il donne, ce n'est pas que l'un éprouve l'autre, mais que chacun s'éprouve soi-même. Il s'agit d'un jugement non public; d'un examen sans témoin. " Car quiconque en mange et en boit indignement, mange et boit le jugement du Seigneur (29) ".

Que dites-vous, je vous en prie? Cette table, cause de tant de biens, et qui nous verse la vie, devient elle-même notre jugement? Ce n'est pas, dit l'apôtre, en vertu de sa nature propre, mais de la volonté de celui qui s'en'approche. En effet, de même que la présence de cette table, qui nous procure de grands et ineffables biens, ne fait que condamner davantage ceux qui ne les reçoivent pas, ainsi ces mystères ne servent qu'à assurer un plus terrible supplice à ceux qui y participent indignement. Mais pourquoi mange-t-il son jugement? " Ne faisant point le discernement du corps du Seigneur "; c'est-à-dire, n'examinant pas, ne considérant pas, comme il faudrait le faire, la grandeur des biens qui nous sont proposés, et l'excellence du don. Si vous appliquez tous vos soins à comprendre quel est celui qui se livre, et à. qui il se livre; vous n'aurez pas besoin d'une autre raison. Cette réflexion vous suffira pour vous tenir en éveil, à moins que vous ne soyez tombés dans une léthargie bien profonde. " C'est pour cette raison qu'il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et que plusieurs dorment du sommeil de la mort (30) ". Ici, l'apôtre n'emprunte plus des exemples étrangers, comme il l'a fait au sujet des viandes consacrées aux idoles. On l'a entendu alors raconter les vieilles histoires, les plaies infligées dans la solitude. Il prend ses exemples chez les Corinthiens eux-mêmes ; ce qui donnait plus de force à son discours. Après avoir dit : " Mange son jugement et se rend coupable ", ne voulant pas paraître produire uniquement des paroles, il y joint des faits; il prend les Corinthiens eux-mêmes à témoin, et, argument plus vif et plus pénétrant que les menaces, il montre que les menaces sont devenues des réalités. Et il ne se borne pas à ce spectacle, il parle aussitôt de l'enfer,.et il le prouve, et il inspire une double terreur, et il résout une question dont on s'occupait partout. Le peuple se demande, en effet, d'où viennent les morts prématurées, d'où viennent les maladies interminables; l'apôtre répond que tant de coups imprévus ont pour cause le péché.

2. Quoi donc, me direz-vous, ceux qui se portent toujours bien, et qui parviennent à une vieillesse vigoureuse, ne sont-ils pas, eux aussi, des pécheurs? Qui soutiendrait le contraire? Eh bien donc, me direz-vous, pourquoi ne sont-ils pas punis? parce qu'ils le seront plus tard, d'une manière plus terrible. Quant à nous, si nous le voulons, ni sur cette terre, ni ailleurs, nous ne serons punis. " En effet, si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu (31) ". L'apôtre ne dit pas, si nous nous corrigions nous-mêmes, si nous nous imposions un châtiment, il se borne à dire : Si nous voulions reconnaître nos péchés , si nous voulions nous-mêmes réprouver nos mauvaises actions, nous serions affranchis et du supplice présent et du supplice à venir. Car celui qui se condamne lui-même, apaise Dieu à double titre : et parce qu'il reconnaît ses péchés, et parce que dans la suite il est moins prompt à en commettre d'autres. Eh bien, quoique nous rie nous soumettions pas même à cette légère obligation, le Seigneur, même malgré notre négligence, ne veut pas nous envelopper dans le châtiment universel ; il nous fait grâce en nous punissant, ici-bas, sur cette terre, où le supplice est momentané, et renferme une grande consolation. Car c'est, à la fois, l'affranchissement du péché, et le doux espoir du bonheur à venir, si bien fait pour adoucir les épreuves du temps présent. Voilà ce que dit l'apôtre pour consoler les infirmes, et pour ranimer, en même temps, le zèle des autres. De là, ses paroles : " Mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c'est le Seigneur qui nous reprend (32) ". L'apôtre ne dit pas : Qui nous châtie ; il ne dit pas : Qui nous livre au supplice, mais : " Qui nous reprend ", ce qui ressemble bien plus à un avertissement qu'à une condamnation; à un remède qu'à un supplice ; à une correction qu'à un châtiment.

Et l'apôtre ne se contente pas de ces paroles; mais, en montrant la peine plus terrible dont nous sommes menacés, il nous rend plus légère, encore la peine présente : " Afin que nous ne soyons. pas condamnés avec le monde ". Voyez-vous comme il nous fait voir (482) et la géhenne, et ce tribunal horrible, et la nécessité de l'enquête, de la punition à venir; car si les fidèles, si ceux dont le Seigneur prend soin ne doivent pas obtenir l'impunité de leurs fautes, comme le prouvent les douleurs présentes, à bien plus forte raison les infidèles et ceux qui commettent de grands crimes et dont la conscience est incurable. " C'est pourquoi, mes frères, quand vous vous assemblez pour manger, attendez-vous les uns les autres (33) ". Il profite de la crainte encore vive de l'enfer, du tremblement qu'elle leur cause, pour les avertir une seconde fois de ce qu'ils doivent aux pauvres. Voilà pourquoi il a fait tout ce discours, il a voulu leur montrer que le mépris pour les pauvres, les rend indignes de la communion; que si le refus de répandre largement l'aumône suffit pour écarter de cette table, à bien plus forte raison le vol et le rapt. Et l'apôtre ne dit pas C'est pourquoi lorsque vous vous rassemblez, donnez aux indigents; mais, ce qui était plus délicat . " Attendez-vous les uns les autres ". Ce conseil en effet préparait, renfermait l'autre, rendait l'avertissement plus convenable. L'apôtre se remet ensuite à les confondre : " Si quelqu'un est pressé de manger, qu'il mange chez lui (34) ". Cette permission était plus éloquente pour retenir qu'une défense formelle ; cette manière d'exclure de l'Eglise, de renvoyer le coupable chez lui; est un moyen adroit pour lui infliger une vigoureuse réprimande, et de le ridiculiser comme un esclave de son ventre, qui ne saurait attendre pour manger. L'apôtre ne dit pas : Si quelqu'un méprise les pauvres, mais : Si quelqu'un est pressé de manger. Il a l'air de s'adresser à des enfants qui ne savent pas endurer la faim, à des brutes esclaves de leur ventre; c'eût été chose absolument ridicule que le pressant désir de manger les eût retenus chez eux.

L'apôtre y joint encore une réflexion terrible : " Afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation ". Afin que vous ne vous exposiez pas au châtiment, au supplice, en insultant l'Eglise, en faisant rougir votre frère. Si vous vous rassemblez, dit-il, c'est pour vous prouver une affection mutuelle, pour recevoir et vous prêter assistance. Si le contraire doit arriver, mieux vaudrait manger chez vous. Ce qu'il ne disait que pour mieux les attirer. Voilà pourquoi il montre le grand tort qu'ils se font et la gravité de leur faute; par tous les moyens il les effraye, par les mystères, par les maladies, par les morts, par tout ce qui a été dit précédemment. Ensuite, il les effraye encore d'une autre manière. Il leur dit : " Je règlerai les autres choses lorsque je serai venu ". Saint Paul parle ici ou de ce qu'il vient de marquer, ou de quelque autre chose. Il est vraisemblable qu'ils lui avaient soumis d'autres questions, et que l'apôtre n'avait pas pu faire entrer toutes les décisions dans sa lettre. Observez en attendant, dit-il, les avis que je vous ai donnés; maintenant si vous avez quelqu'autre chose à me dire, réservez-le pour mon arrivée. Il entend par là, comme je l'ai dit, ou la question présente ou quelques autres qui ne pressaient pas autant. Or, ce qu'il fait ici, c'est pour les rendre plus appliqués, attendu que l'inquiétude où ils seraient de son arrivée les porterait à s'amender. En effet, ce n'était pas un petit événement que l'arrivée de Paul, .ce qu'il indiquait en ces mots : " Je vous irai voir et je reconnaîtrai quels sont les effets de ceux qui sont " enflés de vanité " ; et encore : " Comme si je ne devais pas aller vous trouver, il y en a parmi vous qui s'enflent de présomption", (I Cor. IV, 18.) Et dans un autre passage encore . " Comme vous avez toujours été obéissants, ayez soin, non-seulement lorsque je " suis présent, mais encore plus en mon ab" sente, d'opérer votre salut avec crainte et a tremblement ". (Philip. II, 12.) Il ne promet donc pas de les aller voir uniquement pour affermir leur foi et prévenir leur relâchement, mais il leur marque même une raison pour laquelle il doit nécessairement les aller voir "Je règlerai les autres choses lorsque je serai venu ". Il montre que la nécessité de corriger d'autres désordres, quoique moins pressante; suffira pour l'attirer auprès d'eux.

3. Puis donc qu'il nous est donné d'entendre toutes ces paroles, prenons grand soin des pauvres, réprimons notre ventre, affranchissons-nous de l'ivresse, appliquons-nous à nous rendre dignes de la participation aux mystères. Tout ce que nous avons à souffrir supportons-le avec résignation et en nous mêmes et dans les autres : ainsi les morts prématurées, ainsi les maladies interminables. Car c'est ce qui nous affranchit du supplice, c'est ce qui nous corrige, c'est ce qui nous donne le meilleur des avertissements. Qui tient ce langage? celui qui portait le Christ (483) parlant dans son coeur. Et pourtant même après ces paroles, nombre de femmes ont été assez dépourvues de sens pour surpasser par l'excès de leur deuil même les infidèles. Les unes s'ensevelissent dans leur douleur comme dans des ténèbres; les autres s'y abandonnent par ostentation pour éviter les accusations du monde; je dis que celles-ci n'ont pour elles aucune excuse. Afin qu'un tel ne m'accuse pas, disent ces femmes, eh bien que Dieu m'accuse; afin que des hommes plus insensés que des brutes ne nous condamnent pas, foulons aux pieds la loi du roi de l'univers. Quelle foudre n'attirerait pas un tel délire? Si après ton deuil on t'appelle à un repas, nul n'y trouvera à redire parce que la loi humaine trouve cette conduite dans l'ordre; et quand Dieu commande de ne pas pleurer, tous contredisent la loi.

Ne penses-tu pas à Job, ô femme, oublies-tu les paroles qu'il fit entendre, au jour désastreux où il perdit ses fils, paroles admirables qui ont décoré sa tête sacrée (le milliers de couronnes, qui ont publié sa gloire avec plus de retentissement que mille trompettes; ne penses-tu pas à la grandeur d'une telle infortune, à ce naufrage inouï, à cette tragédie étrange, étonnante. Tu n'as perdu, toi, qu'un fils ou un second ou un troisième, mais lui tant de fils à la fois et tant de filles; et celui qui avait tant d'enfants, le voilà tout à coup sans enfants, et ces entrailles ne furent pas peu à peu déchirées, mais tout à coup tout le fruit de ses entrailles en était arraché ; et cela non pas par la commune loi de la nature, non pas parce qu'ils étaient parvenus à la vieillesse, mais par une mort prématurée, violente, frappant tous ses enfants à la fois; et cela non pas en sa présence, près de lui, de telle sorte qu'en recueillant leur dernière parole, il pût avoir au moins quelque consolation de leur mort si cruelle. Ils meurent contre toute attente, dans la complète ignorance pour lui de ce qui arrive; et tous à la fois sont engloutis, et cette maison fut en même temps leur tombe et leur piège: mort non-seulement prématurée , mais escortée de mille sujets de douleur : tous dans la fleur de la jeunesse, tous doués de vertu, tous aimables, tous à la même heure, et de l'un ou de l'autre sexe, pas un survivant; et ils ne mouraient pas par une nécessité commune à tous les hommes; et ils lui étaient enlevés après la perte de tous ses biens, et c'était sans qu'il se sentit coupable d'aucun crime, ni lui, ni ses enfants, qu'il souffrait tous ces maux.

Un seul de ces coups suffisait à bouleverser l'âme; quand ils fondent tous ensemble sur une tête, mesurez, calculez la violence des flots, la fureur de la tempête. Et, douleur plus amère, cause de deuil plus cruelle que le deuil même, pourquoi était-il frappé, Job ne pouvait le comprendre. Aussi, dans son impuissance d'expliquer ce désastre, il s'en réfère à la volonté de Dieu : " Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, il n'est arrivé que ce qui a plu au Seigneur; que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles des siècles". (Job, I 21.) Et quand il prononçait ces paroles, il se voyait dans la dernière des misères, lui qui avait pratiqué toutes les vertus, et des scélérats, des imposteurs, il les voyait heureux, vivant dans les délices, comblés de toutes les prospérités. Et il ne fit entendre aucun de ces discours que débitent certains hommes sans énergie est-ce donc pour cela que j'ai nourri mes enfants, que je les ai entourés de tant de soins? est-ce donc pour cela que j'ai ouvert ma maison aux voyageurs ? après tant de courses pour les indigents, pour ceux qui étaient nus, pour les orphelins, voilà donc mon salaire! Au lieu de ces paroles, il prononça ce qui a plus de prix que tout sacrifice : " Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et je m'en retournerai nu ". Que s'il a déchiré ses vêtements, rasé sa chevelure, ne vous en étonnez pas; c'était un père, un père qui aimait ses enfants, et il était bon que l'on pût voir sa tendresse naturelle et en même temps la sagesse qui le gouvernait. S'il n'eût rien fait pour exprimer sa douleur, on aurait pu attribuer sa sagesse à l'insensibilité, voilà pourquoi il montre et ce qu'il a d'entrailles et la sincérité de sa piété; il souffre, mais il n'est pas renversé. La lutte se poursuit et il acquiert encore d'autres couronnes pour sa réponse à son épouse : " Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n'en recevrons-nous pas aussi les maux? " (Job, II, 10.) Il ne lui restait plus que sa femme ; tout s'était évanoui pour lui, ses enfants, ses trésors, jusqu'à son corps; et sa femme ne lui était laissée que pour le tenter, pour lui tendre des piéges. Voilà pourquoi le démon ne la lui enleva pas avec ses enfants; voilà pourquoi il ne demanda pas sa mort, sa mort violente ; il attendait de cette (484) femme de grands secours dans ses attaques contre ce saint personnage. Aussi le démon se la réserva comme l'arme la plus puissante à employer contre lui. Le démon se dit : Si j'ai par le moyen de la femme chassé l'homme du paradis, à bien plus forte raison pourrai-je avec son secours accabler l'homme sur son fumier.

4. Et voyez l'habileté du démon; ce n'est pas après la perte des boeufs qu'il emploie cette machine, ni après celle des ânes ou des chameaux, ni quand la maison a été renversée, ni après que les enfants ont été ensevelis sous ses ruines : il laisse quelque temps l'athlète respirer; ruais quand les vers pullulent, quand la peau tombe de toutes parts en putréfaction, quand les chairs consumées répandent l'infection, lorsqu'un feu plus ardent que tous les grils, que toutes les fournaises; lorsque la main même du démon torturait le patient, quand cette bête plus féroce que les plus féroces le déchirait et le dévorait,. après tout le temps dépensé à composer cet horrible malheur; c'est alors qu'il amène cette femme auprès de l'infortuné desséché, épuisé. En effet, s'il se fût servi d'elle au commencement du désastre, elle ne l'aurait pas trouvé affaibli comme il l'était, elle n'aurait pu par ses discours exagérer, amplifier le malheur; mais c'est quand elle le voit après un si long temps altéré de délivrance, appelant à grands cris la fin de ses maux, c'est alors qu'elle s'approche vivement de lui. Il était accablé, brisé; il ne pouvait plus respirer; il désirait mourir. Ecoutez ses paroles : [Si je pouvais me donner la mort ou la demander à un autre, je le ferais (1).]

Voyez maintenant la malignité de la femme. Remarquez ses premières paroles, la pensée qui les lui inspire, c'est la longueur de la souffrance ; elle dit : " Jusques à quand sup" porterez-vous? " (Job, ri, 9.) Réfléchissez; souvent même, dans des épreuves sans importance, de simples paroles amollissent les courages. Considérez ce que dut éprouver ce malheureux, que torturaient et ce discours et des souffrances trop réelles. Et ce qu'il y avait de plus affreux, c'est que ces paroles venaient

1. Ces paroles de Job, qui témoignent de son désespoir, ne se rencontrent pas dans les exemplaires que nous possédons actuellement. Elles sont néanmoins susceptibles d'une interprétation adoucie et conforme au vrai et au bien. Si je pouvais peut s'entendre dans le sens de s'il m'était permis, si je pouvais sans pécher.

de son épouse, d'une épouse qui était tombée avec lui et qui désespérait, et qui voulait pour cette raison le précipiter lui-même dans le désespoir. Voulons-nous d'ailleurs bien voir cette machine du démon approcher contre ce mur de diamant, écoutons les paroles mêmes. Quelles sont-elles? " Jusques à quand supporterez-vous en disant : encore un peu de temps, j'espère être sauvé? " Vos paroles, lui dit-elle, sont réfutées par le temps, qui s'allonge et ne montre aucune délivrance. Or ce que disait cette femme, ce n'était pas seulement pour le jeter, lui, dans le désespoir, c'était un reproche et une raillerie; car pendant qu'elle le troublait, il la consolait, il corrigeait ses paroles, il lui disait : attendez encore un peu de temps et bientôt viendra la fin de ces épreuves. Elle lui fait donc des reproches en lui disant: persisterez-vous encore maintenant à faire entendre les mêmes paroles ? Voilà déjà bien du temps de passé et nous ne voyons nullement la fin de ces maux. Et considérez la méchanceté : elle ne lui parle pas de ses boeufs, de ses brebis, de ses chameaux, elle savait bien que ce n'était pas là ce qui le tourmentait le plus; mais elle s'attaque tout de suite à sa tendresse naturelle en lui parlant de ses enfants. Elle l'avait vu au moment de cette perte déchirer ses vêtements, raser sa chevelure, et elle ne lui dit pas : vos enfants sont morts, mais de manière à émouvoir profondément la pitié : " Votre souvenir est détruit sur la terre ", parce que c'est là ce qui donne tant de prix aux enfants.

En effet, si même de nos jours, malgré la foi en la résurrection à venir, ce qui donne du prix aux enfants , c'est qu'ils conservent le souvenir de ceux qui ne sont plus, c'était encore bien plus vrai alors. Voilà ce qui rend la malédiction plus amère ; dans l'imprécation on ne dit pas : que ses fils soient exterminés, mais : " Que sa mémoire périsse de dessus la terre " (Job, XVIII, 17); ce qui veut dire: les fils et les filles. En effet, après avoir parlé de mémoire, elle distingue avec soin les deux sexes : Si ces choses ne vous touchent pas, regardez-moi au moins, pensez et " aux douleurs de mes entrailles , douleurs souffertes inutilement "; ce qui revient à dire: C'est moi qui ai souffert la plus grande douteur; j'ai été humiliée à cause de vous, j'ai subi les souffrances et j'en ai perdu tous les fruits. Et voyez, elle ne parle pas des pertes d'argent, (485) elle ne garde pas non plus le silence, elle ne l'effleure pas en courant, mais elle y touche d'une manière émouvante, elle l'indique par ces mots : " Et moi vagabonde, esclave, de lieu en lieu, de maison en maison , courant partout ". C'est ainsi qu'elle indique la perte et d'une manière tout à fait lamentable , car ces paroles mêmes grossissent le malheur : Je vais, dit-elle, aux portes des autres ; et non-seulement je mendie , mais encore je suis errante, je subis une servitude inattendue , nouvelle, allant de côté et d'autres partout, promenant partout les signes de mon malheur, montrant à tous les maux qui m'ont frappée; et ce qu'il y a de plus lamentable, c'est le perpétuel changement de demeure. Et ces lamentations ne s'arrêtent pas là , elle ajoute : " Attendant le coucher du soleil , je me reposerai des travaux et des douleurs qui m'entourent et me retiennent captive ". Ce qui est un charme pour les autres , l'aspect de la lumière, est un fardeau pour moi; je désire la nuit et les ténèbres; elles me donnent le repos après mes sueurs; elles sont dans mes malheurs ma seule consolation. " Mais maudissez le Seigneur et mourez ".

5. Remarquez-vous ici encore la malignité elle n'introduit pas tout de suite dans le conseil qu'elle lui donne cette funeste exhortation; elle commence par un récit lamentable de toutes ses douleurs, elle développe la tragédie, quelques paroles lui suffisent pour l'exhortation. Et elle ne s'exprime pas clairement; elle l'insinue, elle lui propose ce qu'il y a de plus désirable , la délivrance , elle lui parle de la mort qui était le plus cher de ses voeux. Et concluez encore de là la perfide habileté du démon; il connaissait l'amour de lob pour Dieu ; il ne laisse pas la femme accuser Dieu de peur que Job ne l'écarte tout de suite loin de lui comme une ennemie. Aussi n'en parle-t-elle nulle part, mais elle présente le tableau confus de tout ce qui est arrivé. Quant à vous maintenant, outre tout ce qui a été dit, ajoutez que l'auteur de ce conseil, c'était une femme, orateur entraînant, pour séduire ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Nombre de gens, certes, sans même être frappés par les malheurs, sont tombés par le seul conseil des femmes. Que fait donc ce bienheureux Job, plus fort que le diamant? Il lui suffit de jeter sur elle un regard sévère et à première vue, avant de faire entendre sa

voix, il a renversé les machines de Satan. Cette femme s'attendait à voir jaillir des sources de larmes, mais Job, plus fougueux qu'un lion, se montra plein de colère et d'indignation non à cause de ses souffrances, mais à cause des conseils, inspirés du démon, que sa femme lui transmettait. Il lui suffit de sa manière de la regarder pour montrer son indignation, et il la réprimande avec mesure. En effet, même au sein du malheur il gardait la modération. Que lui dit-il ? " Vous avez parlé comme une femme qui n'a point de sens ". (Job, II, 10.)

Ce n'est pas là, dit-il, ce que je vous ai enseigné, ce n'est pas là ce que je vous ai appris; je ne vous reconnais pas pour ma compagne ; ces discours dénotent une femme insensée, ce conseil tient du délire. Comprenez-vous cette manière de trancher dans le mal avec mesure, cette cure suffisante pour la guérison? Après la réprimande, il apporte le conseil qui peut la consoler, et il prononce ces paroles si raisonnables : " Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n'en recevrons-nous pas aussi les maux? " Ressouvenez-vous, lui dit-il, de ces premiers biens, méditez en vous-même sur celui qui vous les a faits, et vous supporterez avec courage l'épreuve présente. Avez-vous compris cette modération? Ce n'est pas à son courage que Job attribue sa patience; il la montre comme une conséquence de la nature des choses. En effet, pour quelle rémunération de notre part Dieu nous a-t-il donné ces biens? En récompense de quoi? En récompense de rien, par un effet de sa seule bonté. C'était un don et non une rétribution; c'était une faveur et non une rémunération. Supportons donc avec force nos malheurs ; gravons cette parole dans nos coeurs, hommes et femmes gravons ces pensées dans notre âme, et, avec ces pensées, les pensées qui précèdent. Fixons l'histoire de ces malheurs , comme un tableau dans notre imagination ; je dis : perte d'argent, fils frappés de mort, plaies du corps, opprobres, dérisions, artifices d'une femme, piéges du démon, en un mot, toutes les douleurs de ce juste. Que ce soit pour nous comme un port préparé où nous chercherons un refuge, qui nous enseigne à tout supporter avec courage, en rendant à Dieu des actions de grâces, afin de passer la vie présente affranchie de toute tristesse; afin de mériter la récompense réservée à qui bénit Dieu, par la grâce et la bonté de (486) Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIX. POUR CE QUI EST DES DONS SPIRITUELS, MES FRÈRES, JE NE VEUX PAS, QUE VOUS IGNORIEZ CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR. VOUS VOUS SOUVENEZ BIEN QU'ÉTANT PAÏENS, VOUS VOUS LAISSIEZ. ENTRAÎNER SELON QU'ON VOUS MENAIT VERS LES IDOLES MUETTES. (CHAP. XII, VERS. 12.)
ANALYSE.

1. Sur la diversité des dons du Saint-Esprit. — Rivalité entre les chrétiens , à ce sujet. — Contre l'orgueil , d'une part, l'envie, de l'autre. — Différence entre les prophètes inspirés de Dieu et les devoirs du paganisme ; manière de les reconnaître.

2. Quelle que soit la diversité des dons , ils viennent tous d'un seul et même esprit.

3. Explication de chacun de ces dons différents.

4 et 5. De l'Esprit, égal au Père et au Fils, agissant de lui-même, sans être mis en mouvement par une cause étrangère à lui. — Il ne faut pas critiquer la distribution que Dieu fait de tous les biens.

6. Vanité des richesses. — Exhortation à les mépriser.

1. Tout ce passage est fort obscur; l'obscurité tient à l'ignorance où nous sommes des prodiges qu'on voyait alors, et qui n'arrivent plus aujourd'hui. Et pourquoi n'arrivent-ils plias aujourd'hui ? Voici que le besoin d'expliquer l'obscurité nous suggère une question nouvelle. Pourquoi ce qui arrivait alors, ne se présente-t-il plus aujourd'hui ? Remettons à un autre jour la dernière partie de la question. En attendant, disons ce qui se passait autrefois. Donc, autrefois qu'arrivait-il? Après le baptême, tout de suite, on parlait différentes langues, et il y avait plus que le don des langues; un grand nombre de personnes prophétisaient; quelques-unes manifestaient encore d'autres facultés puissantes. En effet, on venait de quitter les idoles, les nouveaux venus n'avaient aucune idée claire; ils n'avaient pas appris ce qui se trouve dans les anciens livres; alors, au moment du baptême, ils recevaient l'Esprit. L'Esprit, ils ne le voyaient pas, puisqu'il est invisible, mais la grâce donnait une preuve sensible de la merveilleuse opération. L'un parlait la langue des Perses; un autre, celle de Rome; un autre, celle des Indes; un autre encore, fane autre langue, et tout de suite ; et c'était, pour les hommes du dehors, la preuve que l'Esprit-Saint était dans celui qui parlait.

Voilà pourquoi l'apôtre, exprimant ce fait, dit : " La manifestation de l'Esprit a été don" née à chacun pour l'utilité ". Il donne ce nom de manifestation de l'Esprit aux dons et aux grâces spirituelles. Les apôtres, ayant reçu ce premier signe de la présenté de l'Esprit, les fidèles aussi reçurent le don des langues; et non-seulement ce don, mais d'autres encore, en très-grand nombre. Car beaucoup de personnes ressuscitaient les morts, et chassaient les démons, et opéraient encore beaucoup de miracles du même genre. Ils avaient donc tous leur part de ces dons ; les uns plus, les autres moins. Mais le don des langues était toujours le plus ordinaire.

Et ce fut ce don qui fut une cause de schisme à Corinthe, non par sa nature propre, (487) mais par l'ingratitude de ceux qui le recevaient. En effet, les mieux partagés devenaient superbes à l'égard de ceux qui l'étaient moins bien; ces derniers, à leur tour, s'affligeaient, portaient envie à ceux qui recevaient des dons plus magnifiques. C'est ce que montre Paul dans la suite de sa lettre; les fidèles recevaient un coup mortel, la charité s'éteignait; l'apôtre s'applique avec ardeur à corriger ce mal. Le même désordre eut lieu à Rome, mais y fut moins grand; aussi, dans l'épître aux Romains, l'apôtre touche ce point, mais d'une manière enveloppée, et sans y insister; il dit : ". Car, comme dans un seul corps nous avons plusieurs membres, et que tous ces membres n'ont pas la même fonction ; de même, quoique nous soyons plusieurs, nous ne "sommes néanmoins qu'un seul corps en Jésus-Christ, étant tous réciproquement membres les uns des autres. C'est pourquoi comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon l'analogie et la règle de la foi; que celui qui est appelé au ministère s'attache à son ministère; que celui qui a reçu le don d'enseigner s'applique à enseigner ". (Rom. XII, 4-7.) Que ce fut aussi pour eux une occasion de concevoir de l'orgueil, c'est ce que l'apôtre donnait à entendre dès le commencement par ces paroles : " Or, je vous exhorte a tous, selon le ministère qui m'a été donné a par grâce, de ne vous point élever au-delà de ce que vous devez, dans les sentiments que vous avez de vous-mêmes; mais de vous a tenir dans les bornes de la modération, selon la mesure du don de la foi que Dieu a départi à chacun de vous". (Ibid. 3.)

Voilà donc comment il parle aux Romains (chez eux la maladie de la discorde, la maladie de l'orgueil n'avait pas fait de grands ravages) mais ici, avec les Corinthiens, l'apôtre s'applique ardemment à la correction; la maladie avait fait de grands progrès. Et ce n'était pas, chez eux, la seule cause de trouble; il y avait aussi, dans ce pays-là, des devins en grand nombre; ce qui n'est pas étonnant dans une ville infectée des moeurs grecques et païennes; cette cause, ajoutée aux autres, les bouleversait, produisait mille chutes. Voilà pourquoi l'apôtre commence par établir la différence entre la divination et la prophétie. S'ils ont reçu le don de discernement des esprits, c'est pour pouvoir distinguer et reconnaître quel était celui qui parlait au nom de l'Esprit-Saint, quel autre parlait au nom de l'esprit impur. La démonstration de la vérité des prophéties ne pouvait pas se faire sur-le-champ; car ce n'est pas au moment où la prophétie est prononcée, mais au moment où elle doit se réaliser, que la prophétie fournit la preuve de sa vérité; il n'était donc pas facile de la reconnaître, de distinguer le prophète de l'imposteur. En effet, le démon, ce monstre de perfidie et d'impureté, suscitait de faux prophètes, ayant eux aussi la prétention d'annoncer l'avenir. Comme donc les fausses prophéties ne pouvaient être convaincues de fausseté, puisque les prédictions n'avaient pu encore se réaliser, la tromperie était facile, et le mensonge et la vérité ne se reconnaissaient qu'à la fin. Voilà pourquoi, pour prévenir l'erreur qui aurait trompé ceux qui entendaient les prophéties, avant le terme de leur accomplissement, l'apôtre donne un signe qui permette de distinguer, même avant l'événement, le vrai prophète de l'imposteur. C'est de là qu'il prend occasion de parler des faveurs de l'Esprit, et il corrige les querelles que ces faveurs ont suscitées.

C'est par les devins qu'il entre en matière, et il commence ainsi : " Pour ce qui est des dons spirituels, mes frères, je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir ". Il appelle ces signes " spirituels ", parce que c'est le Saint-Esprit seul qui les opère , l'homme n'étant pour rien dans de pareils miracles. Et au moment d'engager la discussion, il commence, ainsi que je l'ai dit, par établir la différence entre la divination et la prophétie, par ces paroles : " Vous vous souvenez bien qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu'on vous menait vers les idoles muettes " ; voici la pensée de l'apôtre : Lorsque quelqu'un autrefois auprès des idoles était saisi de l'esprit impur, et parlait en devin de l'avenir; l'esprit impur se saisissait de lui, s'en rendait maître, le poussait et l'entraînait où il voulait, sans que cet homme sût ce qu'il disait. Car c'est là le propre du devin; il est hors de lui; c'est une violence qu'il subit ; on le pousse, on le traîne; il est comme un furieux dont on s'empare; pour le prophète, il n'en est pas ainsi. Calme, maître de sa pensée, parlant avec mesure, il a conscience de toutes ses paroles. (488) Vous pouvez donc, à ces marques, sans attendre l'événement, faire la distinction du devin et du prophète. Et voyez comment l'apôtre rend son discours non suspect; il appelle en témoignage ceux-mêmes que l'expérience a pu instruire; je ne mens pas, dit-il, je n'accuse pas au hasard les païens; je ne suis pas un ennemi qui forge des histoires ; soyez vous-mêmes mes témoins; car vous savez bien vous-mêmes qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner. Si on soupçonne leur témoignage parce que ce sont des fidèles, eh bien ! l'emprunterai aux hommes qui sont hors de l'Église, un témoignage qui sera une preuve éclatante. Écoutez donc Platon qui dit formellement que les devins, et ceux qui rendent des oracles, disent souvent de fort belles choses, mais sans avoir conscience des paroles qu'ils prononcent. Écoutez aussi un autre poète faisant la même observation : Il s'agit d'un homme, qu'après certaines initiations et pratiques superstitieuses, on avait livré au démon; cet homme faisait entendre des prédictions, mais, dans tout le cours de ses prédictions, il était violemment renversé, déchiré, incapable de supporter la violence du démon; brisé, rompu, il allait rendre l'âme, il s'écrie, en s'adressant à ceux qui présidaient à cette magie :

Assez, car un mortel ne soutient pas un Dieu.

Et encore :

Assez, au lieu de fleurs épanchez l'onde pure

Sur mes pieds ; baignez-moi, rendez-moi ma nature.

Ces paroles et d'autres semblables (il en est un grand nombre que l'on pourrait citer) nous montrent deux choses à là fois : la nécessité, qui contraint les démons à la servitude ; la violence subie par ceux qui se sont une fois livrés au démon, et qui sont sortis de l'état naturel de. leur âme. Quant à la Pythie (je suis bien forcé d'étaler encore une autre honte des païens, il vaudrait mieux n'en pas parler; il est peu convenable, pour nous, de nous occuper de pareilles aberrations; il est pourtant nécessaire de mettre au jour ces infamies, afin de vous faire comprendre le délire de cette conduite, le ridicule de ceux qui ont recours aux devins) ; donc on rapporte que cette femme, la, Pythie, s'asseyait sur le trépied d'Apollon, les jambes écartées; ensuite l'esprit pervers, s'échappant de l'enfer, per genitales ejus partes subiens, la remplissait de son délire, et alors la malheureuse, les cheveux épars, comme une bacchante, écumait, et c'est dans cet état qu'elle faisait entendre les paroles de son ivresse furieuse; je sais bien que vous avez honte, que vous rougissez à de tels récits, mais voilà la haute sagesse de ces païens, cherchez-la dans ce honteux délire.

2. C'est donc pour corriger ces habitudes et toutes celles du même genre, que Paul disait: " Vous vous souvenez bien qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu'on vous menait vers les idoles muettes ". Et, comme il s'adressait à des auditeurs parfaitement instruits, il n'insiste pas sur tous les détails, il ne veut pas les fatiguer; il se contente de leur rappeler les faits en général, et aussitôt il termine et reprend ce qu'il s'est proposé. Maintenant que signifie : " Vers les idoles muettes? " Ces devins étaient traînés vers ces idoles, mais si elles étaient muettes, comment pouvaient-ils s'en servir? Pourquoi le démon entraînait-il auprès de ces statues ces malheureux, captifs et enchaînés? Le dé. mon voulait, par là, donner, à l'imposture, une certaine vraisemblance. Il ne fallait pas que la pierre parût muette; il s'efforçait donc d'y attacher des hommes pour qu'on pût attribuer aux idoles les discours que ces hommes faisaient entendre. Mais il n'en est pas de même chez nous ; nous ne devons rien au démon, je veux dire que nous ne lui devons pas les paroles de nos prophètes. En effet, dans leurs discours , tout exprimait ce qu'ils voyaient clairement; dans leurs discours, la prophétie, pleine de décence,.avait conscience d'elle-même et s'exprimait en toute liberté, Aussi était-il en leur pouvoir, et de parler et de ne pas parler-, nulle nécessité ne les contraignait; ils avaient en partage, et la puissance, et l'honneur de cette puissance. Voilà pourquoi Jonas prend la fuite; pourquoi Ezéchiel, diffère; pourquoi Jérémie refuse. Dieu n'exerce pas sur eux de contrainte, il agit par conseils, par exhortations, par des menaces; il ne répand pas de ténèbres dans leur esprit., C'est le propre du démon d'exciter le tumulte, le délire, de répandre dans les âmes l'obscurité; Dieu au contraire illumine; il enseigne en faisant comprendre à l'esprit ce qu'il faut. Voilà donc la première différence entre le devin et le prophète.

489

Maintenant, il en est une seconde, que l'apôtre indique par ces paroles: " Je vous déclare donc que nul homme, parlant par l'Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus" ; ensuite, une autre différence encore : " Et que nul ne peut confesser que Jésus est le Seigneur, sinon par le Saint-Esprit (3) ".Quand vous voyez, dit l'apôtre, un homme qui, loin de proclamer le nom de Jésus, lui dit : Anathème, c'est un devin; au contraire, quand vous voyez un homme qui ne parle qu'au nom de Jésus, vous devez croire que cet homme est animé par l'Esprit. Que penserons-nous donc, me dira-t-on, des catéchumènes car si nul ne peut prononcer le nom de Notre-Seigneur Jésus, que par la grâce de l'Esprit-Saint ; que dirons-nous de ceux qui prononcent bien ce nom, mais sans avoir encore reçu l'Esprit? Ce n'est pas d'eux que l'apôtre s'occupe en ce moment, il n'y en avait point alors; il ne parle que des fidèles et des infidèles. Eh quoi, n'y a-t-il aucun démon qui nomme Dieu? Est-ce que les démoniaques ne disaient pas : " Nous savons que,vous êtes le Fils de Dieu ? " (Marc, I, 24,) Est-ce qu'ils ne disaient pas à Paul : " Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut ? " (Act. XVI, 17.) Mais ils parlaient ainsi sous les coups de fouet; mais ils étaient forcés; au contraire, livrés à eux-mêmes et ne subissant pas les coups de fouet , jamais ils ne rendaient ce témoignage. Ici, il peut être à propos de rechercher pourquoi le démon tenait ce langage, et d'où vient que Paul le réprimanda. C'est que Paul imitait son maître; le Christ aussi réprimanda les démons; le Christ ne voulait pas de leur témoignage. Pourquoi ? parce que le démon n'agissait ainsi que pour tout confondre, pour arracher, aux apôtres, leur autorité ; pour persuade à la foule de se fier à lui. Si ce malheur fût arrivé, il n'aurait pas été difficile aux démons d'inspirer de la confiance, et ils auraient introduit, parmi les hommes, leur perversité. C'est pour prévenir ce désastre, pour exterminer, dès le commencement, l'imposture, qu'alors même que les imposteurs disent vrai, le Christ leur ferme la bouche, afin que, quand ils diront leurs mensonges, personne ne soit prêt à les croire, afin que tous leurs discours trouvent les oreilles fermées.

Après la distinction entre les devins et les prophètes , après avoir marqué le premier et le second signe qui les distinguent, l'aôtre s'occupe enfin des miracles. Et ce n'est pas sans raison qu'il passe à ce sujet ; il veut faire cesser la discorde qu'a causée la diversité des prérogatives ; il veut persuader, à ceux qui en ont moins, de ne pas s'affliger; à ceux qui en ont plus, de ne pas s'enorgueillir. Voilà pourquoi il commence ainsi : " Or il y a diversité de dons spirituels , mais il n'y a qu'un même Esprit (4) ". Il s'occupe d'abord de celui qui a un don moins considérable, et qui , pour cette raison , s'afflige. Pourquoi; lui dit-il, vous tourmentez-vous? Parce que vous n'avez pas reçu autant qu'un autre? Mais pensez donc que ceci est un don qu'on vous fait, non une dette qu'on vous paie , et cette pensée vous consolera. Voilà pourquoi l'apôtre s'empresse de dire : " Il y a diversité de dons spirituels ". Il ne dit pas, de signes ni de miracles, mais : " De dons spirituels ". Ce mot " dons " est pour persuader non-seulement qu'on ne doit pas s'affliger, mais qu'on doit rendre à Dieu des actions de grâces. Et en outre, dit-il, réfléchissez encore à ceci qu'alors même que votre don est moindre , vous avez cependant été jugé digne de puiser à la même source que celui qui reçoit plus; vous avez un honneur égal, car vous ne pouvez pas dire qu'il a reçu de l'Esprit, lui, et que vous n'avez reçu que d'un ange; aussi bien pour vous que pour lui, c'est l'Esprit qui a été donné. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : " Mais il n'y a qu'un même Esprit ".

3. C'est pourquoi, s'il y â différence dans le don, il n'y en a pas dans celui qui l'a fait; car c'est à la même source que vous avez puisé , vous et l'autre. " Il y a diversité de ministère, mais il n'y a qu'un même Seigneur ". Pour donner une autorité , à là fois plus considérable et plus douce à la consolation, il ajoute : " Et le Fils et le Père (5) ". Et voici qu'il appelle ces dons d'un autre nom, afin de retirer, du changement même de nom, un surcroît de consolation. Voilà pourquoi il dit : " Ily a diversité de ministère, mais il n'y a qu'un " même Seigneur ". En effet , celui qui n'entend parler que de don, et qui reçoit moins, peut avoir sujet de se plaindre; mais quand il s'agit de ministère, il n'en est pas de même; car un ministère suppose du travail et des sueurs. Qu'avez-vous donc à vous plaindre, dit l'apôtre, si le Seigneur a commandé à un autre un plus grand travail, et vous a (490) ménagé? " Et il y a diversité d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère tout en tous. Or les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, sont donnés à chacun pour l'utilité (6, 7) ". Et que signifie " opérations? " que signifie " dons? " Va-t-on me demander que signifie " ministère? " Les noms seuls sont différents; les choses sont les mêmes. Le don n'est pas autre chose que le ministère, et c'est encore la même chose que l'opération, car l'apôtre dit : " Remplissez votre ministère " (II Tim. IV, 5) ; et : " Je glorifie mon ministère " (Rom. XI, 13) ; et il écrit à Timothée : " C'est pourquoi je vous, avertis de rallumer ce don de Dieu qui est en vous " (II Tim. I, 6); et il écrit encore aux Galates : " Car celui qui a opéré dans Pierre pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi opéré en moi, pour me rendre l'apôtre des gentils ". (Galat. II, 8.) Voyez-vous comme il ne fait aucune différence entre les dons du Père et du Saint-Esprit? Ce n'est pas qu'il confonde les personnes; loin de nous cette pensée, mais il montre l'égalité d'honneur; car ce qu'accorde la libéralité de l'Esprit, c'est Dieu qui l'opère, et c'est le Fils qui le dispense et le fournit, selon l'apôtre. Si une des personnes était moindre que l'autre, la troisième moindre que la seconde, assurément l'apôtre n'aurait pas disposé ainsi sa consolation; il ne se serait pas avisé de ce moyen pour consoler celui qui s'afflige.

Et maintenant l'apôtre a encore une autre manière de consoler; c'est que la mesure même du don est précisément dans l'intérêt de celui qui l'a reçu, quelle qu'en soit l'infériorité. En effet, après avoir dit : " Le même Esprit, le même Seigneur, le même Dieu " ; après avoir ainsi réconforté celui qui se plaint, il ajoute une autre consolation: " Or, les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, sont donnés à chacun pour l'utilité ". En effet, on aurait pu dire : que m'importe, que ce soit le même Seigneur, le même Esprit, le même Dieu, si moi j'ai moins reçu ? L'apôtre dit que la mesure même a son utilité. Il entend par ces dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, les signes miraculeux, et c'est avec raison. En effet, pour moi fidèle, ce qui me prouve qu'un tel possède l'Esprit, c'est qu'un tel a été baptisé; au contraire, pour l'infidèle, il n'y a aucune preuve que les signes. C'est pourquoi la consolation qui en résulte, n’est pas à dédaigner. Les dons ont beau être divers, la manifestation n'en est pas moins la même. Que vous ayez reçu beaucoup, reçu peu, vous le manifestez également. C'est pourquoi, si vous tenez à montrer que vous possédez l'Esprit, vous possédez suffisamment la preuve qui le manifeste. Puis donc que c'est un seul et même auteur qui accorde les dons, puisque chaque don est gratuit, puisque la manifestation qui le révèle, en découle, puisque la mesure est dans votre plus grand intérêt, gardez-vous de vous plaindre, comme si vous étiez méprisés. Dieu ne veut pas vous faire honte; ce n'est pas pour vous mettre en état d'infériorité , qu'il agit ainsi envers -vous; c'est parce qu'il vous ménage, c'est parce qu'il considère votre intérêt. Recevoir un fardeau que l'on ne peut porter, c'est là ce qui est inutile , nuisible, et fait pour causer du chagrin. " L'un reçoit du Saint-Esprit, le don de parler dans une haute sagesse; un autre reçoit du même Esprit, le don de parler avec science ; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit, la grâce de guérir les maladies (8, 9) ". Voyez-vous partout cette réflexion : " Du même Esprit, parle même Es" prit? " L'apôtre sait bien qu'il en résulte une grande consolation. " Un autre, le don de faire des miracles; un autre, le don de prophétie; un autre, le nom du discernement des esprits; un autre, le don de parler diverses langues; un autre, le don de l’interprétation des langues (10) ". Ce qui constituait la plus haute sagesse, c'est ce que l'apôtre a exprimé en dernier lieu , et il ajoute : " Or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses (11) ". Le baume consolateur universel, c'est que tous cueillent les fruits de la même racine, prennent au même trésor, s'abreuvent au même courant. Voilà pourquoi il reprend sans cesse la même observation; pour effacer l'inégalité apparente, pour consoler. Plus haut, il montre le Saint-Esprit; le Fils, le Père communiquant leurs dons; ici, au contraire, il lui suffit de montrer l'Esprit, afin de vous apprendre, par cela même, l'égalité de dignité.

Maintenant, que signifie " le don de parler " dans une haute sagesse? " C'est le don de Paul, le don de Jean, le fils du tonnerre. Qu'est-ce que le don de parler avec science? c'est le don (491) d'un grand nombre de fidèles, possédant la science, mais incapables d'enseigner, incapables de communiquer aux autres ce qu'ils savaient. " Un autre reçoit le don de la foi " ; il ne s'agit pas de la foi qui regarde les dogmes, mais de la foi des miracles, de laquelle le Christ dit : " Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : transporte-toi d'ici là, et elle s'y transporterait ". (Matth. XVII, 19.) C'est la foi que demandaient les apôtres : " Augmentez en nous la foi " (Luc, XVII , 5) ; c'est là la mère des miracles. Le pouvoir des opérations miraculeuses, et la grâce de guérir les maladies, ce n'est pas la même chose : celui qui avait la grâce de guérir les maladies, ne faisait que soigner les malades; quant à celui qui opérait des miracles, il avait aussi le pouvoir de châtier; car le pouvoir ne consiste pas seulement à guérir, mais à punir aussi ; c'est ainsi que Paul a frappé de cécité , que Pierre a puni de mort. " Un autre, le don de prophétie; un autre , le don du discernement des esprits". Qu'est-ce que cela veut dire, du discernement des esprits? " C'est deviner quel homme est animé par l'Esprit ; quel homme n'est pas animé par l'Esprit; quel homme est prophète, quel homme est un imposteur. C'est ce qu'il disait aux Thessaloniciens : " Ne méprisez pas les prophéties; éprouvez tout, et approuvez ce qui est bon ". Il y avait alors une infection de faux prophètes, le démon faisant tous ses efforts pour substituer le mensonge à la vérité. " Un autre, le don des langues; un autre; le don de l'interprétation des langues ". Le premier savait bien ce qu'il disait, mais sans pouvoir l'expliquer à un autre; celui qui savait interpréter, possédait les deux dons , ou l'un des deux.

4. Or, ce don paraissait considérable, car c'était le premier qu'avaient reçu les apôtres; et, parmi les Corinthiens, un grand nombre jouissaient de ce privilège; le don de l'enseignement était moins considéré : voilà pourquoi l'apôtre met celui-ci au premier rang, et le don des langues au dernier. C'est, en effet, pour l'enseignement que le don des langues existe aussi bien que celui de la prophétie et des miracles.

Rien n'égale le don de l'enseignement, et voilà pourquoi l'apôtre disait : " Que les prêtres qui gouvernent bien , soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l'instruction des peuples ". (I Tim. V, 17.) Et il écrit à Timothée : " En attendant que je vienne, appliquez-vous à la lecture, à l'exhortation et à l'instruction; ne négligez pas la grâce qui est en vous ". (I Tim. IV, 13, 14.) Voyez-vous comme il donne , à ce talent, le nom de grâce. Ensuite, la consolation qu'il a déjà proposée, en disant : " Le même Esprit ", il la répète ici : " C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît".

Or, ici, l'apôtre fait plus que consoler; il ferme encore la bouche aux contradicteurs, lorsqu'il dit : " Distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît ". C'est qu'il faut savoir user de sévérité, il ne faut pas seulement se borner à guérir ; c'est ainsi que, dans l'épître aux Romains, il dit : " Qui êtes-vous pour contester avec Dieu ? " (Rom. IX, 20.) Il fait de même ici : " Distribuant à chacun " selon qu'il lui plaît " , et il montre que ce qui appartient au Père, appartient en même temps à l'Esprit, car, de même qu'en parlant de Dieu, Paul dit : " Il n'y a qu'un même Dieu, qui opère tout en tous " ; de même, en parlant de l'Esprit : " Or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses ". Mais, dira-t-on, c'est un Esprit mis en mouvement par Dieu; l'apôtre n'en dit rien nulle part.; c'est vous qui forgez cette idée. En effet, lorsque l'apôtre dit : " Qui opère tout en tous ", c'est des hommes qu'il parle, et certes il ne va pas compter l'Esprit parmi les hommes; vous aurez beau entasser mille extravagances, mille inepties. En effet, si l'apôtre dit : " Par l'Esprit ", afin de prévenir l'erreur qui prendrait ce " par " pour une diminution de l'énergie de l'Esprit, qui s'imaginerait que l'Esprit est mis en mouvement, l'apôtre a bien soin d'ajouter . " Que l'Esprit opère ", non pas qu'il est mis en mouvement de manière à opérer; " que l'Esprit opère, selon qu'il lui plaît ", non pas selon l'ordre qu'il reçoit. En effet, de même que le Fils dit, en parlant du Père : " Il réveille et vivifie les morts " , et semblablement de " lui-même : " Il vivifie ceux qu'il lui plaît " (Jean, v, 21); de même, en parlant de l'Esprit , il dit ailleurs, qu'il fait tout avec une souveraine puissance, que rien ne résiste à (492) sa volonté (car cette expression : " L'Esprit souffle où il veut " (Ibid. III , 8), quoique appliquée au vent, prouve néanmoins ce que nous disons.) Et maintenant ici l'apôtre dit : " Il opère toutes choses, selon qu'il veut ". Ecoutez ce qui prouve encore que l'Esprit n'est pas de ceux que met en mouvement une opération étrangère, mais que l'Esprit opère par lui-même : " Car ", dit l'apôtre, " qui connaît ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu que l'Esprit de Dieu ". (I Cor. II, 11.) Que l'esprit de l'homme, c'est-à-dire son âme, n'ait pas besoin d'une opération du dehors pour connaître ce qui la concerne, c'est ce que tout le monde sait. Et, de même, l'Esprit-Saint se suffit à lui-même pour connaître ce qui concerne Dieu. C'est ainsi que l'Ecriture dit : l'Esprit-Saint connaît les secrets de Dieu, comme l'âme humaine connaît les secrets de l'homme. Si notre âme n'est pas excitée à cette connaissance par une opération qui lui soit étrangère , à bien plus forte raison ; est-ce vrai de celui qui connaît la profondeur de. Dieu. Et il n'y a pas une opération quelconque , étrangère à lui, qui le porte à donner ses grâces aux apôtres.

Maintenant, j'ajouterai ici une autre réflexion que j'ai déjà faite. Quelle est-elle ? Si l'Esprit était inférieur, et d'une autre substance, la consolation présentée par l'apôtre aurait été nulle; à quoi aurait-il servi d'apprendre que c'est le même Esprit? Quand on reçoit les présents d'un roi, la plus grande des jouissances, c'est que le roi vous a fait lui-même le présent; au contraire, on s'afflige de recevoir d'un esclave, d'être forcé de lui savoir gré du don que l'on a reçu. Ainsi, voilà encore une preuve que l'Esprit n'est pas d'une substance servile, mais royale. Voilà pourquoi, de même que l'apôtre a consolé les fidèles par ces paroles : " Il y a diversité de ministères, mais il n'y a qu'un même Seigneur; il y a diversité d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu "; de même qu'après avoir dit plus haut : " Il y a diversité de dons spirituels, mais il n'y a qu'un même Esprit " ; après toutes ces observations, il ajoute encore : " C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plait ". Donc, ne nous tourmentons pas, dit l'apôtre, ne nous affligeons pas en disant : Pourquoi ai-je reçu ceci, pourquoi n'ai-je pas reçu cela? N'exigeons pas de comptes de l'Esprit-Saint. Comprenez que le don qu'il vous a fait, il vous l'a fait dans votre intérêt, qu'il l'a mesuré dans votre intérêt; aimez-le donc, et réjouissez-vous de ce que vous avez reçu; ne vous affligez pas, de n'avoir pas reçu d'autres dons; au contraire, rendez grâces à Dieu de n'avoir pas reçu plus que vous ne pouviez supporter.

5. Et maintenant, si, en ce qui concerne les dons spirituels, il faut fuir une curiosité inquiète, à bien plus forte raison faut-il y renoncer, en ce qui concerne les biens de la terre; il faut se tenir en repos, et ne pas s'enquérir curieusement pourquoi un tel est-il riche, pourquoi un tel est-il pauvre? Assurément, chaque homme n'a pas reçu de Dieu la richesse; il en est beaucoup qui doivent leur fortune à l'injustice, à la rapine, à l'avarice. Celui qui nous a ordonné de fuir la richesse, comment nous aurait-il donné ce qu'il nous défend de recevoir? Mais je veux réfuter plus énergiquement encore ceux qui nous contredisent ici. Eh bien ! faisons remonter notre discours jusqu'au temps où Dieu a départi les richesses, et, répondez-moi, pourquoi Abraham était-il riche, et Jacob manquant de pain? N'étaient-ils pas également justes l'un et l'autre? Dieu n'a-t-il pas dit également des trois : " Je suis le Dieu d'Abraham, et d'Isaac, et de Jacob? " (Exode, III, 6.) Pourquoi donc l'un était-il riche, tandis que l'autre se louait comme un mercenaire? ou plutôt : Pourquoi l'injuste et fratricide Esaü était-il riche, et Jacob si longtemps dans la servitude? Pourquoi encore Isaac vécut-il si longtemps dans la tranquillité ; Jacob, au contraire, dans les fatigues et dans les douleurs? Aussi disait-il: " Mes jours ont été peu nombreux et malheureux ". (Gen. XLVII, 19.) Pourquoi David, qui fut un prophète et un roi, a-t-il passé tout le temps de sa vie dans les tourments? Pourquoi Salomon, son fils, durant quarante années, a-t-il joui plus que personne de la sécurité, de la profonde paix, a-t-il été comblé de gloire, d'honneurs, a-t-il eu tous les plaisirs? Pourquoi, parmi les prophètes, l'un était-il plus affligé, l'autre moins ? C'est qu'il était (le l'intérêt de chacun d'eux qu'il en fût ainsi.

Aussi faut-il dire, pour chacun d'eux : " Vos jugements sont un abîme très-profond ". (Psal. XXXV, 7.) Si Dieu n'exerçait pas ces (493) grands personnages, ces hommes admirables, en les soumettant aux mêmes traitements ; s'il éprouvait, celui-ci par la pauvreté, cet autre, par les richesses; celui-ci, en lui accordant la vie tranquille; cet autre, en le soumettant aux afflictions; à bien plus forte raison, devons-nous méditer cette conduite appliquée à nous-mêmes. Et, en outre, une pensée que nous devons méditer, c'est que, des nombreux malheurs qui nous arrivent , la cause n'est pis dans la volonté de Dieu, mais dans notre perversité. Ne dites donc pas : pourquoi celui-ci est-il riche, quoique pervers ; celui-là pauvre, quoique juste? car la réponse est facile; le juste ne reçoit aucune atteinte de la pauvreté; au contraire, elle rehausse sa gloire; lé méchant ne trouve, dans les richesses, qu'une voie qui le conduit au châtiment, s'il ne se convertit; et, de plus, même avant le châtiment, les richesses lui ont causé des maux innombrables, et l'ont précipité dans mille gouffres : ce que Dieu permet, tout ensemble pour montrer la liberté de l'homme, et, en même temps, pour nous apprendre à ne pas courir aux richesses, avec une fureur insensée. Quoi donc, objectera-t-on, le méchant qui est riche ne souffre-t-il aucun mal ? Si l'homme de bien est riche, nous disons que c'est justice; si, au contraire, c'est un méchant, que dirons-nous? qu'il est, par cela même, misérable. En effet, les richesses s'ajoutant à la perversité, ne font qu'aggraver le mal; mais voici un homme de bien, et cependant il est pauvre? Eh bien, il ne reçoit aucune atteinte; mais c'est un méchant, et il est pauvre; donc c'est justice et c'est avec raison , et cette pauvreté est dans son intérêt.

Cependant, objectera-t-on, il a reçu des richesses de ses ancêtres, et il les gaspille entre des courtisanes et des parasites, et il ne souffre aucun mal. Que dites-vous? Il se livre à la fornication et il. ne souffre aucun mal ? Il s'enivre, et vous trouvez sa vie délicieuse ? Il dépense sa fortune honteusement, et vous le trouvez digne d'envie? Et quelle plus grande dégradation que d'assurer la mort de son âme ? Mais vous-mêmes, à la vue d'un malheureux aux membres contournés, mutilés, vous croiriez devoir l'inonder de vos larmes; et quand vous voyez son âme toute mutilée, vous croyez que cet homme est heureux? Mais il ne sent rien, direz-vous; voilà justement pourquoi il faut le plaindre, comme on fait des insensés.

Celui qui a conscience de sa maladie, appelle tout de suite le médecin; il endure les remèdes au contraire, pour celui qui ne sent pas son mal, il n'y a pas de délivrance possible ; et est-ce là, je vous le demande, celui dont vous vantez le bonheur? Mais gardons-nous de nous trop étonner; il est grand le nombre de ceux qui sont étrangers à la sagesse. Aussi supportons-nous les derniers châtiments, sommes-nous punis, sans espérance de nous voir délivrés du supplice. De là; les colères, les découragements; les perturbations continuelles ; Dieu nous montre une vie exempte de douleurs, la vie consacrée à la vertu, et nous, abandonnant ce chemin , nous en prenons un autre, le chemin de la fortune et des richesses, rempli d'innombrables maux, et nous agissons comme celui qui ire saurait pas distinguer la beauté dés corps, qui ne regarderait que le vêtement , que les ornements extérieurs, qui verrait une belle femme, douée d'une naturelle beauté, et passerait son chemin, pour aller vers une laide, une femme difforme et mutilée, mais recouverte d'une belle toilette, et qui la prendrait pour épouse. C'est l'image de ce qui arrive à bien des gens, en ce qui concerne la vertu et la méchanceté. Ils choisissent la laideur à cause des ornements qui l'affublent au dehors ; mais la beauté, ils la répudient à cause de cette nudité même, qui aurait dû fixer leur préférence.

6. Aussi j'ai honte de voir, chez ces païens insensés, une sagesse sinon de conduite, mais au moins de doctrine, qui ne se méprend pas sur la condition mobile et passagère des choses présentes. Il en est, chez nous, qui ne reconnaissent pas cette vanité ; leur jugement même est corrompu, malgré tant d'avertissements de l'Ecriture, qui ne cessent de nous crier

" Le méchant parait à ses yeux comme un néant, mais le Seigneur glorifie ceux qui le craignent (Psal. XIV, 4). La crainte du Seigneur a tout surpassé (Eccli. XXV, 14). Crains Dieu, et garde ses commandements, car c'est là tout l'homme (Ecclé. XII , 13). Ne portez pas envie aux méchants ; ne craignez point, en voyant un homme devenu riche (Psal. XLVIII, 17). Toute chair n'est que de l'herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs ". (Isaïe, XL, 6.) Malgré tant de paroles du même genre, que nous entendons chaque jour, nous sommes encore rivés à la terre. Les enfants ignorants, à qui on apprend (494) leurs lettres tous les jours, se trompent souvent, quand on les leur demande sans suite, et disent une lettre pour une autre, provoquant ainsi mille éclats de rire; vous faites de même, quand nous vous exposons la suite de ces vérités; vous les apprenez tant bien que mal; mais lorsqu'il nous arrive de volis interroger au dehors, sans suivre l'ordre; quand nous vous demandons quel est le premier des biens, quel est le second, que faut-il mettre après tout le reste ? Votre ignorance se révèle, d'une manière ridicule. N'est-ce pas, je vous le demande, le comble du ridicule, pour nous qui attendons l'immortalité , les biens que 1'œil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, qui ne sont pas entrés dans le coeur de l'homme, de faire effort, pour nous assurer des choses d'ici-bas, et de les regarder comme dignes de notre envie? Si vous avez encore besoin d'apprendre que les richesses ne sont rien, que les choses présentes ne sont qu'une ombre et un songe, qu'elles se dissipent comme la fumée, qu'elles s'envolent, restez à la porte; tenez-vous dans les vestibules, vous n'êtes pas encore dignes d'entrer dans le palais du souverain. Si vous ne savez pas encore distinguer ce qu'il y a d'instable, ce qu'il y a là dedans de perpétuel va-et-vient, quand donc arriverez-vous au mépris des richesses? Si vous prétendez posséder cette science, cessez alors de vous informer avec une curiosité inquiète, de demander pourquoi, celui-ci est-il riche, pourquoi cet autre est-il pauvre ?

Vous ressemblez, par vos questions, à celui qui se promènerait en demandant : pourquoi celui-ci est-il blanc, pourquoi cet autre est-il noir; pourquoi ce nez aquilin, pourquoi ce nez camard ? De même que cela ne nous intéresse en rien, de même que nous. importe que tel soit pauvre ou soit riche? Bien plus, cela nous intéresse bien moins que ce que nous venons de dire ; tout doit se rapporter à l'usage que l'on en fait; quoique pauvre, vous pouvez montrer une âme belle et sage; quoique riche, vous êtes le plus malheureux de tous si vous fuyez la vertu; car ce que nous devons rechercher, c'est ce qui porte à la vertu. Si nous avons ces ressources, les autres ne nous servent de rien. Aussi, ces questions perpétuelles , qui prouvent que tant de gens s'intéressent à ce qui est indifférent, et ne tiennent aucun compte de ce qui les regarde, sont-elles des questions insensées ; ce qui nous regarde, c'est la vertu et la sagesse. Un long intervalle vous en sépare; de là, la perturbation dans les pensées; de là, les flots des passions; de là, les tempêtes. Déchu de la gloire suprême, de l'amour du ciel, ne désirant plus que la gloire présente, on est esclave et prisonnier. D'où vient, dira-t-on, notre amour pour la gloire de ce monde? de notre indifférence pour la gloire du ciel? Et cette indifférence même d'où vient-elle ? de notre négligence. Et notre négligence? de notre mépris. Et notre mépris? de la déraison, qui fait que nous nous attachons au présent, que nous ne nous appliquons pas à examiner la nature des choses. Cette déraison même, d'où vient-elle? de ce que nous ne nous attachons pas à la lecture des livres saints; de ce que nous ne conversons pas avec les saints; de ce que nous fréquentons les réunions des méchants. Mettons un terme à ce désordre : ne souffrons pas que les flots, poussant les flots, nous emportent dans une mer de malheurs, nous étouffent, nous arrachent toute vie; il en est temps encore, réveillons-nous, et, debout sur le roc, je dis le roc de la doctrine et de la parole de Dieu, abaissons nos regards sur la tempête de la vie présente. C'est ainsi que nous l'éviterons nous-mêmes, et que nous sauverons les autres du naufrage , parla grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXX. ET COMME NOTRE CORPS N'ÉTANT QU'UN, EST COMPOSÉ DE PLUSIEURS MEMBRES, ET QUE BIEN QU'IL Y AIT PLUSIEURS MEMBRES, ILS NE SONT TOUS NÉANMOINS QU'UN MÊME CORPS, IL EN EST DE MÈME DU CHRIST. (CHAP. XII, VERS. 12, JUSQU'AU VERS. 20.)
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ANALYSE.

1. Sur l'habitude de Paul d'employer des comparaisons. — Comparaison de l’Eglise et du corps humain. — Par qui et pourquoi avons-nous été baptisés Y par un même Esprit, pour ne faire qu'un même corps.

2. Avantage inappréciable de la pluralité et de la diversité pour ne constituer qu'un seul et même corps. — Fuir toute indiscrète curiosité : Dieu a fait le corps de telle manière, l'Eglise, de telle manière, parce qu'il l'a voulu ainsi.

3. L'égalité d'honneur de tous les membres résultant de ce qu'ils forment tous un seul et même corps, et le corps n'étant possible qu'à la condition de la diversité dans l'unité, il en résulte que l'égalité d'honneur de tous les membres provient de la différence même qui les distingue.

4 et 5. Importance du moindre des membres, dans le corps humain , dans l'Eglise. — Appel à la concorde. — Importance des veuves dans l'Eglise et des mendiants. — Beau développement sur l'efficacité de l'aumône. — De la vraie pauvreté. — Contre les frayeurs qu'elle inspire.

1. Après les avoir consolés par la gratuité du don, par cette réflexion que tous les dons proviennent d'un seul et même Esprit, par cette réflexion que les dons ont été faits en vue de l'utilité, par cette réflexion que les moindres dons suffisent à manifester l'Esprit; après avoir fermé la bouche aux contradicteurs, en disant qu'il faut céder à la souveraine puissance de d'Esprit, puisque, " c'est un seul et même Esprit ", dit-il, " qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît ", et voilà pourquoi il ne faut pas d'indiscrète curiosité ; après ces paroles, il les console encore par un exemple tiré de la vie commune, il prend à témoin la nature même, selon son habitude. Ainsi, lorsqu'il discourait sur la chevelure des hommes et celle des femmes, après certaines considérations, il en vient à cette raison : " La nature a même ne vous enseigne-t-elle pas qu'il serait honteux à un homme de laisser toujours croître ses cheveux, et qu'il est, au contraire, honorable à une femme de les a laisser toujours croître? " (I Cor. XI, 14, 15). Quand il parlait des viandes consacrées aux idoles, pour défendre d'y toucher, il ajoutait à des preuves inhérentes au sujet des réflexions empruntées du dehors; il rappelait les combats olympiques : " Ne savez-vous pas que, quand on court dans la carrière, tous " courent, mais un seul remporte le prix? " (Ibid. IX, 24.) Et il demande des preuves aux bergers, aux soldats, aux agriculteurs.

Il fait de même ici ; il emprunte à la vie commune un exemple puissant pour montrer que personne n'a moins reçu que les autres, vérité étonnante, difficile à prouver, bien faite cependant pour réconforter les âmes simples ; cet exemple il l'emprunte au corps humain. Rien de plus propre à consoler celui qui est faible et qui se croit moins bien gratifié, que d'apprendre qu'eu réalité il n'est pas moins bien partagé que les autres. Voilà ce que l'apôtre veut établir par ces paroles : " Comme notre corps n'étant qu'un, est composé de plusieurs membres ". L'apôtre fait preuve ici d'une intelligence parfaite; il montre que le même corps est à la fois un et multiple, et il ajoute, en insistant sur ce qu'il se propose : " Et, bien qu'il y ait plusieurs membres, ils ne sont tous néanmoins qu'un même corps ". Il ne dit pas : Bien qu'il y ait plusieurs membres, ils appartiennent tous à un même corps; mais il dit : Ils sont tous ce même corps; ce (496) même corps et tous ces membres, c'est un seul et même tout. Eh bien donc, si tous ne font qu'un, si le corps unique et tous les membres ne sont qu'un seul et même tout, où est la différence, où est le plus, où est le moins? " Ils ne sont tous ", en effet, dit-il, " qu'un même corps ". Et non-seulement ils ne sont qu'un même corps, mais, en serrant, la réalité de plus près, eu égard à ce corps, en' tant qu'ils sont un corps, tous se trouvent ne faire qu'un. Et maintenant, eu égard aux parties, s'il y a différence, cette différence, dans toutes les parties, est semblable. En effet, il n'y a pas aine partie capable par elle-même de constituer le corps.; dans chacune des parties, égale défaillance, même insuffisance à former le corps, parce qu'il faut entre elles 1'union. Ce n'est que quand beaucoup de parties né forment qu'un seul tout, qu'il y a un seul et même corps. Voilà ce que l'apôtre insinuait par ces paroles : " Et, bien qu'il y ait plusieurs membres, ils ne sont tous néanmoins qu'un même corps ". Et il ne dit pas : Les plus grands et les moindres, il dit : " Rien qu'il y ait plusieurs membres ". La pluralité s'applique à tous les membres. Et comment peut-il se faire qu'ils ne soient qu'un ?.Vous n'avez qu'à négliger la différence pour considérer le corps. Ce qu'est l'oeil, le pied l'est aussi, à savoir qu'ils sont également des membres, et qu'ils font le corps; il n'y a en effet, ici, aucune différence, et vous ne sauriez dire que tel membre, par,lui-même, constitue le corps; que tel autre n'en fait pas autant ; il y a à cet égard parité entre tous les membres, parce que tous ne font qu'un même corps.

Après cette démonstration tirée de la nature qui ne pouvait être contestée de personne, l'apôtre ajoute : " Il en est de même du " Christ ". Il aurait dû dire : Il en est de même de l'Église, car c'était la conséquence naturelle; il ne le dit pas. Au lieu de l'Église, il met le Christ, afin d'élever son discours et de faire, sur l'auditeur, une plus profonde impression. Ce qu'il dit revient à ceci : Ainsi en est-il du corps du Christ qui est l'Église. En effet, de même que le corps et la tête ne font qu'un homme ; de même, et l'Église et le Christ, ne font qu'un. Voilà pourquoi il a mis le Christ au lieu de l'Église, appelant ainsi son corps. Donc, dit-il, de même que notre corps n'est qu'un corps, quoiqu'il soit composé de beaucoup de, membres,; de même, dans l'Eglise, nous ne faisons qu'un, tous tant que nous sommes; bien qu'elle se compose d'un grand nombre de membres, de ce grand nombre de membres ne résulte qu'un corps, Après avoir ainsi consolé, redressé celui qui se croyait moins bien partagé , il passe des cette preuve tirée d'un exemple familier à une considération spirituelle encore plus consolante, et qui démontre la parfaite égalité dans l'honneur. Quelle est cette considération? " Car ", dit-il, " nous avons tous été baptisés dans le même Esprit, pour n'être tous ensemble qu'un même corps, Juifs ou gentils, esclaves ou libres (13) ". Voici ce qu'il veut dire : Ce qui a fait de nous un seul corps, ce' qui, nous a régénérés, c'est un seul et même Esprit; car tel de nous n'a pas été baptisé dans un Esprit; tel autre, dans un autre Esprit; non-seulement ce qui- nous a baptisés, est un, mais ce en quoi il nous a baptisés, c'est-à-dire, ce pourquoi il nous a baptisés, est un; c'est, non pas pour qu'il y eût des corps différents, c'est, au contraire, pour que tous tant que .nous sommes, nous plissions conserver, entre nous, la parfaite union d'un seul et même corps; et voilà pourquoi nous avons été baptisés: c'est pour que nous soyons tous un seul et même corps, que nous avons été baptisés.

2. Ainsi; et celui qui nous a, faits chrétiens est un, et ce en vue de quoi nous avons été faits chrétiens est un également; et l'apôtre ne dit as : C'est afin que nous appartenions au même corps, mais : Afin que nous soyons un seul et même corps tous, car l’apôtre prend toujours les expressions les plus fortes; et il fait bien de dire ; " Nous avons tous ", en se comprenant lui-même. En effet, moi apôtre, je n'ai rien de plus que toi ; car tu es ce corps autant que moi; moi, autant que toi; nous avons tous précisément la même tête, et nous sommes nés du même enfantement. C'est pourquoi nous, sommes, le même corps. Et que dis-je ? dit l'apôtre, ne parlé-je que des Juifs? Les, gentils, si éloignés de nous autre. fois, il les fait rentrer dans ce même corps. Aussi, après avoir dit : Nous avons tous, il ne s'est pas arrêté là, il ajoute: ".Juifs ou gentils, esclaves ou libres, ". Si après avoir été tant éloignés, nous nous sommes unis, nous ne faisons plus qu'un ; à bien plus forte raison, maintenant que nous ne faisons plus qu'un, serions-nous coupables de nous, affliger et de (497) perdre courage; car, entre nous, il n'y a pas de place pour la différence. Si le Seigneur a jugé dignes des mêmes avantages, et les païens et les Juifs, et les esclaves et les hommes libres, comment, après les avoir ainsi honorés, les séparerait-il, lorsque ses dons ne vont qu'à produire une plus étroite et plus solide union ? " Et nous avons tous été abreuvés d'un seul et même Esprit. Aussi le corps "n'est pas un seul membre, mais plusieurs (14) " ; c'est-à-dire : Nous sommes venus à la même initiation dans les mystères; nous jouissons de la même table. Et, pourquoi ne dit-il pas: Nous nous nourrissons du même corps; nous nous abreuvons du même sang? c'est parce que le mot " Esprit " dont il s'est servi, marque à la fois, et le sang et le corps. Eu effet, par le sang et par le corps à la fois, nous nous abreuvons d'un seul et même Esprit.

Maintenant, il me paraît vouloir entendre cette effusion de l'Esprit, qui vient en nous , par le baptême, et avant les mystères. Quant à cette expression : " Nous avons tous été abreuvés ", la métaphore est tout à fait de circonstance ; c'est comme si , parlant des plantes d'un verger, il disait : c'est la même source qui arrose tous les arbres, c'est la même eau; de même ici, c'est du même Esprit que nous nous sommes tous abreuvés; c'est de la même grâce que nous jouissons , dit l'apôtre. Donc, si c'est un seul et même Esprit , qui nous a faits ce que nous sommes, qui a fait de nous tous un seul et même corps, car c'est là ce que signifie : " Nous avons tous été baptisés dans le :même esprit pour n'être tous ensemble qu'un même corps "; si Dieu, dans ses faveurs , nous a mis à une seule et même table , s'il a versé sur nous tous la même rosée, car c'est là ce que veut dire : " Nous avons tous été abreuvés d'un seul et même Esprit" ; s'il est vrai que, malgré l'intervalle si grand qui nous éloignait , le Seigneur nous a unis, et que la pluralité ne fait plus qu'un seul et même corps, quand elle a été réduite à l'unité , pourquoi cette différence dont vous venez me faire tant d'éclat.? Si vous dites maintenant que les membres sont nombreux et divers, apprenez que c'est là précisément ce qui constitue la merveille, l'excellence incomparable de ce corps, où tant de parties diverses produisent l'unité. Sans cette grande pluralité, il n'y aurait rien

de si merveilleux, de si étrange, à ce qu'il y eût un seul et même corps. Je me trompe; il n'y aurait pas même de corps; mais c'est une réflexion que l'apôtre garde pour,la fin. En attendant, il s'occupe des membres mêmes et il dit : " Si le pied disait : puisque je ne suis pas la main, je ne suis pas du corps; ne serait-il point pour cela du corps ? et si l'oreille disait : Puisque je ne suis pas l'œil, je ne suis pas du corps , ne serait-elle point pour cela du corps (45, 16) ? " En effet, si de ce que l'un est moins, et l'autre plus, il s'ensuivait que l'on pût dire : Je ne suis pas du corps, tout le corps serait détruit. Gardez-vous donc de dire : je ne suis pas du corps , parce que je suis moindre : sans doute le pied est d'un rang inférieur, mais il appartient au corps. Etre ou n'être pas du corps, ne provient pas de ce que l'un occupe telle place, l'autre, telle autre place; il n'y a là qu'une différence de lieu ; être ou n'être pas du corps, résulte de ce qu'on y est uni ou de ce qu'on n'y est pas uni.

Considérez la sagesse de l'apôtre, l'appropriation de ses expressions, si bien accommodées à nos membres; de même qu'il disait plus haut : " J'ai proposé ces choses sous mon nom et sous celui d'Apollon " (I Cor. IV, 6); de même ici, pour ne pas blesser, pour rendre son discours acceptable, il fait parler les membres, il veut que ses auditeurs, entendant la nature qui répond , soient convaincus. par l'expérience, par le bon sens , et n'aient plus rien à lui objecter. En effet, dit l’apôtre, soit que vous affirmiez d'une manière précise que vous n'êtes pas du corps , soit que vous murmuriez, vous ne pouvez pas être en dehors du corps. Semblable à la loi de la nature, la vertu de la grâce, et celle-ci est bien plus forte encore, protégé et conserve toutes choses. Et voyez la précaution que prend l'apôtre, de ne rien dire d'inutile; il ne parle pas de tous les membres, mais de deux seulement, et de deux extrêmes ; il montre , en effet, le plus précieux de tous, l'oeil, et le plus vil de tous, le pied; et il ne montre pas le pied disputant avec l'oeil, mais avec la main, qui n'est qu'un peu plus élevée; l'oreille, il la montre disputant avec l'oeil : c'est que ceux à qui nous portons envie d'ordinaire , ce ne sont pas ceux qui nous surpassent de beaucoup, mais ceux qui ne sont qu'un peu plus élevés. Voilà pourquoi il établit ainsi la comparaison. " Si tout (498) le corps était oeil, où serait l'ouïe? et s'il " était tout ouïe, où serait l'odorat (17) ? " L'apôtre en mentionnant la différence des membres, en parlant des pieds, dés mains, des yeux, des oreilles, a fait penser ses auditeurs, au plus, au moins d'importance. Voyez maintenant sa manière de les consoler, en leur montrant la convenance de cet arrangement, et la pluralité et, la diversité contribuant surtout à ce qu'il y ait un corps. Si tous n'étaient qu'une seule et même chose, ils ne seraient pas un seul et même corps; voilà pourquoi l'apôtre dit : " Si tous les membres n'étaient qu'un seul membre, où serait le " corps (19) ? " Mais cette réflexion ne vient qu'après; il montre ici une conséquence plus importante, à savoir, non-seulement que le corps est impossible, mais que les autres sens eux-mêmes sont impossibles, car " s'il était tout ouïe, où serait l'odorat", dit-il?

3. Et ensuite, ces réflexions mêmes ne les empêchant pas de se,troubler; il recommence ici encore ce qu'il a déjà fait: de -même que, plus haut, il les consolait par l'utilité , et qu'ensuite il leur fermait vivement la bouche, en leur disant : " Or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses , distribuant, à chacun, ses dons selon qu'il lui plaît "; de même ici, après les raisonnements qui montrent que tout a été fait pour l'utilité, il ramène encore toutes choses à la volonté de Dieu, en disant: " Mais Dieu a mis dans le corps plusieurs membres et il a placé chacun d'eux comme il lui a plu (18) ". De même qu'en parlant de l'Esprit, il disait . " Selon qu'il lui plaît"; de même ici," comme il lui a plu ". Pas d'indiscrète curiosité dans le but de savoir pourquoi ceci est de telle façon, et ceci de telle autre. C'est qu'en effet, quand nous emploierions mille expressions différentes, nous ne pourrions pas montrer la sagesse de ]'oeuvre autant que nous le faisons par ces mots : L'ouvrier par excellence a voulu, et, comme il a voulu, les choses ont été faites; car tout ce qu'il veut est toujours utile. Et maintenant , si., à propos de notre corps, nous n'en soumettons pas les membres à une enquête curieuse, à bien plus forte raison devons-nous nous abstenir à propos de l'Église. Et remarquez la sagesse de l'apôtre : il ne parle pas de la différence naturelle ni de celle qui vient des opérations, mais de la différence de position ; mais Dieu, dit-il, a mis

dans le corps plusieurs membres, et il a placé chacun d'eux comme il lui a plu. Et c'est avec raison que l'apôtre dit : " Chacun d'eux ", montrant l'utilité de tous. En effet, impossible de dire que Dieu a placé tel membre, mais qu'il n'a pas placé tel autre; chacun des membres a été placé selon la volonté de Dieu. C'est pourquoi c'est l'utilité du pied d'avoir été placé de telle manière; et ce n'est pas seulement l'utilité de la tête. Et supposé l'ordre changé, supposé qu'abandonnant le lieu qui lui est propre, il passe dans un autre lieu, quand même il paraîtrait prendre une plus belle place, le pied aurait tout perdu et tout gâté, perdu la place qui lui est propre, sans en acquérir une autre.

" Si tous les membres n'étaient qu'un seul membre, où serait le corps? Mais il y a plusieurs membres, et tous ne sont qu'un corps (20) ". Après avoir suffisamment fermé la bouche aux fidèles trop curieux, en leur parlant de la disposition que Dieu a voulue, l'apôtre recommence les raisonnements; il ne suit pas toujours soit l'une soit l'autre de ces deux pratiques, il les alterne pour varier son discours. Se contenter de fermer la bouche aux contradicteurs, c'est jeter le trouble dans les pensées ; accoutumer l'auditeur à se rendre raison de tout, c'est porter atteinte à sa foi. Aussi, Paul s'y prend souvent de manière que les auditeurs consentent à croire et cessent de se troubler; et, après leur avoir fermé la bouche, il fait plus, il leur donne des explications. Voyez le zèle laborieux et la plénitude de la victoire. Les raisons qui leur faisaient croire qu'ils n'étaient pas égaux en honneur, servent précisément, dans la bouche de l'apôtre, à montrer qu'ils ont cette égalité d'honneur. Mais comment cela ? C'est ce que je vais dire : " Si tous les, membres", dit l'apôtre, " n'étaient qu'un seul membre, où " serait le corps ? " C'est-à-dire, s'il n'y avait pas en vous des différences considérables, vous ne seriez pas un corps; si vous n'étiez pas un corps, vous ne seriez pas un seul et même tout; si volas n'étiez pas un seul et même tout, vous ne seriez pas égaux en honneur. Si vous étiez égaux en honneur, vous ne seriez pas un corps; si vous n'étiez pas un corps, vous ne seriez pas un seul et même tout; si vous n'étiez pas un seul et même tout, comment seriez-vous égaux en honneur? Mais, c'est précisément parce que vous n'avez pas (499) tous le même don que vous êtes un corps, et parce que vous êtes un corps, vous êtes tous un seul et même tout, et rien ne vous distingue l'un de l'autre, en tant que vous êtes un corps. D'où il arrive que c'est la différence considérable entre vous qui produit surtout votre égalité d'honneur, et voilà pourquoi l'apôtre ajoute : " Mais il y a plusieurs membres, et tous ne sont qu'un seul corps ".

Pénétrés, nous aussi, de ces pensées, bannissons tout sentiment d'envie, .ne soyons pas jaloux de ceux qui possèdent de plus grands dons; ne méprisons pas ceux qui en ont reçu de moindres , car c'est ainsi que Dieu l’a voulu; cessons donc de nous insurger. Si le trouble est encore dans vos pensées, considérez que souvent celui à qui vous portez envie, ne saurait accomplir ce que vous savez faire, d'où il suit qu'inférieurs à lui, vous le surpassez à ce titré ; que supérieur à vous, à ce titre il est vaincu par vous, et que c'est là ce qui constitue l'égalité. En effet, dans le corps même, les membres modestes n'accomplissent pas de modestes fonctions, et souvent, en cessant de les remplir, ils affaiblissent les membres importants. Quoi de moins considérable que les poils à la surface du corps? eh bien, ces poils chétifs, enlevez-les des sourcils et des paupières; et c'en est fait de toute la beauté du visage, de la beauté des yeux. La perte est légère, et cependant toute la beauté du visage est détruite, et non-seulement la beauté, mais ce qu'il y a d'utile dans l'activité des. yeux est compromis; car chacun de nos membres accomplit une fonction d'un caractère spécial et une fonction d'un caractère commun; nous avons aussi en nous une beauté qui nous est propre, et une qui nous est commune. Ces membres paraissent divisés; ils sont pourtant unis avec le plus grand soin; que l'un périsse, et l'autre; périt en même temps. Voyez encore : il faut que les yeux soient brillants, la joue souriante, la lèvre rouge, le nez droit, le sourcil étendu; dérangez, si peu que ce soit, le moins important de ces détails, vous compromettez la beauté commune, et vous ne verrez que laideur dans tout ce qui apparaissait auparavant avec tant de beauté. Ecrasez l'extrémité du nez, et vous répandez la laideur sur tout l'ensemble du corps, quoique vous n'ayez mutilé qu'un seul membre. Et maintenant, dans la main, enlevez. Simplement l'ongle d'un doigt, vous verrez le même résultat.

4. En voulez-vous une preuve empruntée à l'opération même de la main? Supprimez un doigt, rien qu'un, et vous verrez les autres réduits à l'inaction, incapables désormais d'accomplir leur oeuvre; donc, puisque la perte d'un seul membre est pour tout le corps une difformité, puisque, au contraire, la conservation de ce membre conserve la beauté de tout le reste, ne nous exaltons pas, n'insultons pas nos frères. C'est ce membre chétif qui donne, à cet autre membre si grand, l'éclat de sa beauté, ce sont lés paupières qui ornent les yeux. C'est donc se faire la guerre à soi-même que de la faire à son frère; car on ne fera pas du mal seulement à son frère, mais à soi-même, et le dommage sera grand. Faisons en sorte que nous prévenions de pareils malheurs ; ayons , pour nos proches , autant d'égards que pour nous-mêmes. Cette image prise du corps, transportons-la à l'Eglise, et prenons soin de tous ses membres, comme de nos propres membres. En effet, il y a dans l'Eglise des membres nombreux et divers; les uns recouverts d'honneur, les autres inférieurs par le rang; tels sont les choeurs des vierges, les assemblées des veuves; ajoutons-y encore les chastes communautés des époux, il y a de nombreux degrés pour monter à la vertu., Et de même, en ce qui concerne l'aumône : l'un a prodigué, dépensé tous ses biens, d'autres ne pensent qu'à s'assurer ce qui suffit à leurs besoins, sans rechercher plus que le nécessaire ; d'outrés donnent de leur superflu. Qu'arrive-t-il? C'est que tous s'embellissent mutuellement les uns les autres; si le plus grand méprise le plus petit, c'est à lui-même qu'il fait la plus cruelle blessure; si une vierge outrage une femme mariée, elle perd une grande partie de sa récompense; si celui qui a tout donné, fait des reproches à l'homme qui ne l'a pas imité, il a perdu en grande partie le fruit de ses mérites.

Et que parlé-je de vierges, de veuves et d'hommes qui donnent tous leurs biens aux pauvres? Quoi de plus misérables que les mendiants? et cependant ces mendiants mêmes sont de la plus grande utilité dans l'Eglise; attachés aux portes du temple, ils en font le plus bel ornement; sans eux l'Eglise ne se montrerait pas dans sa plénitude. Dès les premiers temps, les apôtres possédés de ces (500) pensées, établirent, entre tant d'autres lois, la loi concernant les veuves; et ils le firent avec tant de zèle qu'ils mirent sept diacres à leur tête. De même que je compte les évêques, les prêtres, les diacres, les vierges, ceux qui gardent la continence; de même, au nombre des membres de l'Eglise, j'inscris les veuves. Leurs fonctions ne sont pas sans dignité; vous, vous ne venez à l'église que quand il vous plaît, les veuves, c'est jour et nuit qu'elles séjournent dans l'église, en chantant des psaumes; et ce n'est pas seulement l'aumône qui les y retient; elles n'auraient qu'à le vouloir pour aller mendier dans le forum et dans les ruelles; mais elles apportent ici une piété qu'il ne faut pas dédaigner. Voyez, elles sont dans la pauvreté comme dans une fournaise, et cependant vous n'entendrez de leur bouche aucun blasphème, aucune parole d'indignation, ce que tant de femmes riches se permettent si souvent. Ces veuves qui ont faim, on les voit souvent dormir ; d'autres sont continuellement tourmentées par le froid, et cependant leur vie se passe à rendre à Dieu des actions de grâces, à le glorifier. Qu'on leur donne une obole, elles vous bénissent, leurs prières implorent l'effusion des biens sur celui qui leur a donné; qu'on ne leur donne rien, elles se résignent, et même alors, elles bénissent, elles accompagnent l'indifférent de leur affection, en se contentant de leur nourriture journalière.

Bon gré, mal gré, direz-vous, il faut bien qu'elles se résignent. Pourquoi , répondez-moi , pourquoi prononcez-vous cette parole si amère? N'y a-t-il donc pas des industries honteuses, lucratives pour les vieillards, pour les femmes chargées du poids des ans? Si elles ne tenaient pas à vivre dans l'honnêteté, ne pouvaient-elles pas, par ces moyens honteux, se procurer l'abondance ? Ne voyez-vous pas combien grand est le nombre des fournisseurs de voluptés et de ceux qui à cet âge vendent des plaisirs, exercent les professions de ce genre? Leur vie se passe dans les délices; mais, pour nos pauvres, non. Ils aiment mieux mourir de faim, que de déshonorer leur vie, que de trahir leur salut, et ils restent assis, tant que le jour dure, préparant votre salut à vous. Car il n'est pas de médecin, de chirurgien à l'oeuvre, le fer à la main, enlevant les chairs putréfiées, qu'on puisse comparer aux pauvres, étendant la main pour recevoir l'aumône , et guérissant en vous les passions qui vous gonflent; chose admirable encore , ils opèrent sur vous sans douleur cette excellente médication. Et tout autant que nous, qui sommes à la tête du peuple et vous donnons d'utiles avertissements , celui que vous voyez assis devant les portes de l'église vous parle par son silence, par son aspect. Car nous, chaque jour nous vous répétons: abaisse ton orgueil, ô homme, l'homme ne fait que passer; sa nature est fragile, la jeunesse se hâte vers la vieillesse; la beauté vers la laideur; la force vers la faiblesse, l'honneur devient mépris; la santé, infirmité; la gloire, un état misérable; les richesses, de la pauvreté; semblables à un courant impétueux, tout ce que nous sommes est sans consistance, et se précipite dans un abîme.

5. Et voilà ce que vous disent les pauvres, et ils vous en disent bien plus encore, vous parlant par l'expérience même, ce qui est la plus claire des exhortations. Combien y en a-t-il, de ceux qui sont assis à ces portes, dont la jeunesse fut florissante , et qui ont fait de grandes choses ! Combien y en a-t-il, de ces disgraciés, qui, par la vigueur de leurs membres et par leur beauté, en surpassèrent bien d'autres ! Ne refusez pas de me croire, et gardez-vous de rire. Les exemples de ce genre sont innombrables; ils remplissent la vie; si tant de misérables d'une condition abjecte, sont devenus rois tout à coup, qu'y a-t-il d'étonnant que de grands personnages, comblés de gloire, soient devenus vils et misérables? Le premier exemple certes a bien plus de quoi étonner; quant au dernier, c'est une histoire qui se renouvelle très-souvent. Aussi n'y a-t-il pas lieu de refuser de croire que, dans les arts, dans la profession militaire, dans l'ordre de la fortune, quelques-uns de ces malheureux d'aujourd'hui aient été autrefois florissants; nous devons les plaindre, les couvrir de toute notre sympathie, de notre affection, et, à leur vue, redouter de subir un jour nous-mêmes le même sort. En effet, nous sommes, nous aussi, des hommes, et soumis à la même rapidité de changement. Mais peut-être un de ces insensés pour qui la raillerie est une habitude, critiquera nos paroles et parodiera tout notre discours; et jusques à quand, dira-t-il, vous appliquerez-vous à discourir sans relâche sur les pauvres et les indigents, et à nous prédire. des sinistres, et à (501) nous annoncer d'avance la pauvreté, n'ayant d'autre souci que de faire de nous des mendiants? Non, non; mon souci n'est pas de faire de vous des mendiants, ô hommes; je brûle de vous ouvrir les trésors du ciel. Parler à un homme bien portant de maladie, raconter les douleurs des malades, ce n'est pas pour que la santé devienne une maladie; c'est pour que la santé se conserve; c'est pour que la crainte des malheurs arrivés aux autres corrige la négligence et l'incurie. La pauvreté vous épouvante, le nom seul vous fait frissonner; eh bien ! voilà ce qui nous rend pauvres; c'est que nous craignons la pauvreté, eussions-nous même dix mille talents. Le pauvre n'est pas celui qui n'a rien; c'est celui qui a horreur de la pauvreté ; dans les malheurs, nous ne pleurons pas sur ceux qui souffrent des maux sans nombre ; ce ne sont pas là ceux que nous estimons malheureux, mais ceux qui ne savent pas supporter les malheurs, quelque faibles qu'ils soient; et nous disons que celui qui les souffre avec patience, mérite et couronnes et gloire.

Et pour prouver que c'est là la vérité, quels sont, dans les luttes, ceux qui reçoivent nos éloges? Sont-ce les combattants qui souffrent mille coups sans se plaindre, qui, toujours la tête haute, restent jusqu'au bout à leur poste, ou ceux à qui les premiers coups font prendre la fuite ? Est-ce que nous ne couronnons pas les premiers pour leur courage, pour leur grandeur d'âme? Ne sait-on pas qu'au contraire nous nous moquons des autres, de leur lâcheté, de leur timidité? Eh bien donc, faisons de même dans les choses de cette vie. Couronnons celui qui supporte tout sans se plaindre, comme on couronne le brave dont la valeur se montre dans tous les combats. Mais le timide, que les difficultés de la vie font trembler, plaignons-le ; pleurons celui qui, avant de recevoir le coup, se meurt de frayeur. Supposez en effet dans les combats, un homme qui, avant que la main se soit levée, à la vue de son adversaire étendant le bras, s'enfuit avant de recevoir le coup ; il sera ridicule, on dira que c'est un énervé, un mou, un ignorant, étranger aux nobles labeurs. C'est l'histoire de ceux qui craignent la pauvreté, sans pouvoir même en soutenir la pensée. Donc, ce n'est pas nous qui vous rendons malheureux; c'est vous-mêmes qui vous faites cotre malheur. Et comment par la suite le démon ne se moquera-t-il pas de vous, s'il vous voit, avant d'avoir été frappés, rien que sous le coup des menaces, effarés et tremblants? Ce n'est pas tout : il suffit que vous redoutiez une pareille menace, pour qu'il n'ait plus besoin de vous frapper; il souffrira que vous possédiez vos richesses, puisque la crainte de vous les voir enlever, vous rendra plus mous que la cire. Voilà notre caractère. On peut dire que ce qui nous fait peur, ne nous paraît plus, après l'expérience, aussi terrible qu'avant que nous l'ayons éprouvé. Le démon, pour vous priver de cette force que donne l'expérience, vous retient dans une crainte excessive, et, avant l'expérience, par la crainte de la pauvreté , il vous amollit comme la cire. Un tel homme, plus inconsistant que la cire, est plus misérable que Caïn; il craint pour ce qu'il possède, et il s'afflige pour ce qu'il ne possède pas. Et pour ce qu'il possède, il tremble encore et il s'épuise à retenir ces richesses fugitives, et son coeur est assiégé par mille absurdes passions. Voyez plutôt : désirs absurdes, frayeurs variées, angoisses, tremblement; voilà ce qui tourmente de tous côtés les avares. On dirait une barque agitée par tous les souffles contraires, assiégée de toutes parts au sein des flots. Et combien il vaudrait mieux, pour un tel homme, de mourir, que de supporter cette perpétuelle tempête; car il valait mieux pour Caïn de mourir que de trembler toujours.

Eh bien donc, préservons-nous de pareilles souffrances ; raillons-nous des artifices du démon; brisons ces cordages, émoussons la pointe de sa lance funeste ; interdisons-lui tout accès auprès de nous. Si vous tournez la fortune en dérision , il ne sait par où vous frapper, il ne sait par où vous prendre. Vous avez arraché la racine des maux, et la racine étant ôtée , le mauvais fruit ne germera plus. Disons-le toujours, et ne cessons pas de le redire : nos discours produisent-ils leur fruit? C'est ce que manifestera ce jour qui sera révélé dans le feu, qui examinera l'oeuvre de chacun, qui montrera les lampes brillantes, et celles qui ne le sont pas. Alors on verra qui a de l'huile, et qui n'en a pas. Mais plaise à Dieu que personne ne soit trouvé dépourvu de cette consolation; que tous puissent montrer les preuves de la munificence divine, et, porteurs de lampes brillantes, faire leur entrée avec l'époux! Certes, il n'est rien (502) de plus terrible, de plus amer que la parole qu'entendront ceux qui partiront d'ici, sans les richesses de l'aumône, à qui l'époux dira " Je ne vous connais pas ". (Matth. XXV, 42.) Loin de nous le malheur d'entendre une telle parole ! Puissions-nous bien plutôt entendre ces mots si doux et si désirables : " Venez avec moi, ô les bénis de mon Père; possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ". (Ibid. 34.) Car c'est ainsi que nous passerons une vie bienheureuse; et que nous jouirons de tous les biens qui surpassent la pensée de l'homme. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père; en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

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