www.JesusMarie.com
Saint Jean Chrysostome
Commentaire de la Lettre de Saint Paul à Tite
.
AVERTISSEMENT.
Les homélies sur l'épître à Tite furent prononcées à Antioche ; Tillemont le prouve très-bien par la citation d'un passage qu'il tire de l'homélie 3°, nombre 2°. Voici ce passage : « Que dire de ces chrétiens qui jeûnent avec les juifs, qui observent les sabbats ; de ceux qui s'en vont à ces rendez-vous « de superstitions païennes, à Daphné, à la grotte dite de la Matrone, à ce lieu consacré à Saturne dans la Cilicie ? Dirons-nous qu'ils ont leur bon sens ? Ils ont donc besoin d'une correction sévère ». Ces paroles s'adressent évidemment aux habitants de la ville d'Antioche dans les environs de laquelle se trouvaient le, bois de Daphné et la grotte de la Matrone. — On remarque un grand soin dans ces Homélies; les questions y sont traitées largement. Dans la troisième et dans la cinquième il est question des vices et des crimes des Crétois et des philosophes grecs; dans la sixième, du martyre accompli dans des circonstances singulières, de deux chrétiens que l'orateur ne nomme pas.
 

HOMÉLIE PREMIÈRE. PAUL, SERVITEUR DE DIEU ET APOTRE DE JÉSUS-CHRIST, SELON LA FOI DES ÉLUS DE DIEU ET LA CONNAISSANCE DE LA VÉRITÉ QUI EST SELON LA PIÉTÉ; SOUS L'ESPÉRANCE DE LA VIE ÉTERNELLE QUE DIEU, QUI NE PEUT MENTIR, AVAIT PROMISE AVANT TOUS LES TEMPS, MAIS QU'IL A MANIFESTÉE EN SON TEMPS PROPRE (SAVOIR) SA PAROLE DANS LA PRÉDICATION QUI M'EST COMMISE PAR LE COMMANDEMENT DE DIEU NOTRE SAUVEUR : A TITE MON VRAI FILS SELON LA FOI QUI NOUS EST COMMUNE, GRACE, MISÉRICORDE ET PAIS DE LA PART DE DIEU ET DE LA PART DE JÉSUS-CHRIST NOTRE SAUVEUR. (I, 1-4.)
 

Analyse.
 
 

1. Différents caractères de l'épître à Tite : qu'il y est souvent question de la grâce de Dieu.

2. Que la prédication doit être accomplie avec confiance. — Ce que c'est qu'un vrai fils dans l'ordre de la grâce.

3. De la difficulté de la :charge pastorale. — Malheur à ceux qui élèvent à cette dignité des personnes qui en sont indignes.

4. Que les pasteurs sont en butte à la médisance des peuples, quelques mesures qu'ils prennent pour défendre. Un pasteur peut avoir un soin raisonnable de sa santé.
 
 

1. Tite était l'un des plus distingués des compagnons de saint Paul ; s'il n'en avait pas été ainsi, l'apôtre ne lui aurait pas confié une île tout entière; il ne lui aurait pas prescrit de mettre en bon ordre les choses qui restaient à, régler, car il dit: « Afin que tu mettes en bon ordre ce qui reste » ; il n'aurait pas soumis à son jugement tant d'évêques, s'il n'avait pas eu en lui la plus grande confiance. On dit que c'était un jeune homme, parce que saint Paul l'appelle son fils, mais la raison n'est pas convaincante. Je crois que c'est de lui qu'il est fait mention dans les Actes des apôtres. Il était probablement de Corinthe, à moins qu'il n'y en ait eu un antre du même nom. De plus l'apôtre appelle à lui Zénas et il désire qu'Apollon lui soit envoyé, et non celui-ci; car il témoignait qu'ils auraient plus de courage en présence de l'empereur. Il me semble que saint Paul était en liberté, lorsqu'il écrivit cette épître. Car il ne parle pas de ses persécutions, et sans cesse il revient sur la grâce de Dieu; on peut le voir à la fin comme au commencement,'et c'est là une exhortation à la vertu toute-puissante sur l'esprit de ceux qui croient. N'était-ce pas un grand encouragement pour eux, que de savoir ce qu'ils méritaient, à quel état ils avaient été élevés par grâce, à quelle dignité ils étaient appelés? Il s'élève aussi contre les juifs; et s'il s'emporte (406) contre la nation tout entière, ne vous en étonnez point. Il ne s'y prend pas autrement, lorsqu'il s'agit des Galates. Ne s'écrie-t-il pas « O Galates insensés ! » Ce ne sont point là les paroles d'une haine injurieuse , mais celles d'un amour ardent. S'il avait agi ainsi dans son intérêt,. il serait justement blâmable, mais si c'est par ardeur et par zèle pour la prédication, il n'y a point d'injure. Le Christ lui-même a fait mille reproches aux scribes et aux pharisiens, mais était-ce par un motif intéressé non, c'est parce qu'ils perdaient tous les autres. — L'épître est courte, et ce n'est pas sans raison. Par là un hommage est rendu à la. vertu de Tite qui nous est représenté comme n'ayant pas besoin de longs discours, mais d'un simple avertissement. Il me semble qu'elle a été écrite avant l'épître à Timothée il a fait celle-ci vers la fin de sa vie, lorsqu'il était dans les fers; mais au moment où il a composé l'épître à Tite il n'était ni emprisonné, ni enchaîné, car ces mots : « J'ai résolu de passer l'hiver à Nicopolis », prouvent qu'il n'était pas encore dans les liens; dans son épître à Timothée au contraire il dit souvent qu'il est enchaîné.

Que dit-il donc? «.Paul, serviteur de Dieu et apôtre de Jésus-Christ, selon la foi des élus de Dieu ». Voyez-vous comme il se sert indifféremment de ces expressions? il s'appelle tantôt serviteur de Dieu et apôtre de Jésus-Christ, tantôt serviteur de Jésus-Christ: «Paul, serviteur de Jésus-Christ ». Ainsi il n'établit aucune différence entre le Père et le Fils. « Selon la foi des élus de Dieu ». Veut-il dire qu'il avait la foi, ou .qu'on avait foi en lui ? Je crois qu'il veut dire que les élus lui ont été confiés; comme s'il disait: Je ne dois pas ma dignité à mes mérites, à mes fatigues et à mes sueurs, mais je dois tout à la bonté de Dieu, qui a mis en moi sa confiance. Ensuite, pour qu'on n'aille pas croire que la grâce se communique sans raison , puisqu'il faut que l'homme y corresponde, et que ce n'était pas sans raison que Paul avait été préféré à d'autres, il ajoute : « Et la connaissance de la vérité qui est selon la piété ». C'est parce qu'il avait cette connaissance de la, vérité que les élus lui ont été confiés. Mais alors ils lui ont été confiés à bien plus forte raison par la grâce de Dieu, puisque c'est Dieu qui lui a donné cette connaissance. Aussi écoutez Jésus-Christ lui-même: « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis ». (Jean, XV, 16.) De même le bienheureux apôtre saint Paul dit dans un autre endroit : « Je connaîtrai selon que j'ai été aussi connu » ( I Cor. XIII, 12) ; et ailleurs : « Si je puis comprendre de même que j'ai été compris par « Jésus-Christ ». (Philip. III, 12.) Ainsi, d'abord nous sommes compris, ensuite `nous connaissons ; d'abord nous sommes connus, et ensuite nous comprenons ; d'abord nous sommes appelés, et- ensuite nous obéissons. Lorsqu'il dit: « Selon la foi », il fait entendre qu'il n'est rien que par les élus. C'est comme s'il disait: C'est pour eux que je suis apôtre, je ne le suis pas pour mes mérites, mais pour l'intérêt des élus. C'est ce qu'il dit ailleurs: « Toutes choses sont à vous, soit Paul, soit Apollon ». (1 Cor. III, 22.)

« Et la connaissance de la. vérité qui est selon la piété». Il y a en effet une connaissance vraie des choses qui n'est pas selon la piété. Ainsi connaître l'agriculture, connaître les arts, c'est bien véritablement connaître mais la connaissance dont il parle, c'est celle qui est selon la piété. « Selon la foi » peut encore avoir été écrit parce qu'ils ont eu la foi comme les autres élus et qu'ils ont connu la vérité: c'est de la foi que vient la connaissance et non des raisonnements. « Sous l'espérance de la vie éternelle ». Il a dit que la vie présente est toute dans la grâce de Dieu; il parle maintenant de la vie future, et il met devant nos yeux les récompenses qui nous sont destinées pour les bienfaits que nous avons reçus. Car Dieu veut nous couronner parce que nous avons cru en lui et qu'il nous a dégagés de l'erreur. Vous voyez comme le début de l'épître est rempli de la pensée des bienfaits de Dieu; toute la suite ressemble à ce commencement, et elle encourage le juste Tite et ses disciples à supporter les peines. Il n'y a rien en effet de plus utile que de se rappeler sans cesse les bienfaits gîte Dieu répand soit sur tous les hommes, soit sur chacun dé nous. Car si notre zèle s'enflamme, lorsque nous recevons un bienfait d'un ami, ou qu'on nous adresse soit une bonne parole, soit un geste bienveillant, combien plus grande ne doit pas être notre ardeur à obéir, lorsque nous voyons à quels dangers nous avons été exposés, et comment Dieu nous en a toujours délivrés. « Et la connaissance de la vérité ». Ici il dit « la vérité » par opposition à la figure. Car (407) auparavant il y avait bien une connaissance, il y avait bien une piété, seulement elle ne consistait pas dans la vérité, encore moins dans le mensonge, mais dans les images et dans les figures. Il dit très-bien: « Sous l'espérance de la vie éternelle » , parce que l'autre connaissance était pour l'espérance de la vie présente. « Car l'homme qui fera ces choses vivra par elles ». (Rom. X, 5.) Voyez-vous comme dès le début il donne la mesure de la grâce ? Ceux-là ne sont pas les élus, c'est nous qui le sommes ; et bien qu'autrefois ils aient été appelés les élus, ils ne le sont plus.

« Que Dieu qui ne peut mentir avait promise avant tous les temps », c'est-à-dire, Dieu ne l'a point promise en changeant sa première pensée, mais il a fait cette promesse dès le principe. C'est ce que l'apôtre a exprimé en beaucoup de passages, comme lorsqu'il dit: « J'ai été mis à part pour annoncer l'Évangile « de Dieu», et ailleurs : «Et ceux qu'il a appelés et ceux qu'il a prédestinés» ; il montre par là notre dignité, puisque ce n'est pas d'aujourd'hui que Dieu nous aime, mais qu'il nous a aimés auparavant, et il ne faut pas compter pour peu qu'il nous ait aimés auparavant et dès le principe.

2. « Que Dieu, qui ne peut pas mentir, nous avait promise». S'il ne peut pas mentir, tout ce qu'il a promis s'accomplira; s'il ne peut, pas mentir, il ne faut pas douter de sa parole, quand même l'accomplissement n'en aurait lieu qu'après notre mort. « Que Dieu, qui ne peut pas mentir, nous avait promise avant les temps éternels ». Par cela même qu'il dit : « Avant tous les temps », il montre que cette promesse mérite notre foi. Ce n'est point parce que les juifs ne sont pas venus à la foi, dit-il, qu'il en est ainsi, mais c'est ce qui a été figuré dès le principe. Écoutez, en effet, ses propres paroles : « Il l'a manifestée dans son temps propre ». Pourquoi ce retard? Par une raison providentielle et, pour que toutes choses se fissent au moment convenable. « Il « est temps », dit le Prophète, « que l’Éternel opère». (Ps. CXVIII,126.) Par ces mots : «Dans son temps propre », il faut entendre dans le temps qui convenait, dans le temps qu'il fallait, dans le temps favorable. « Il a manifesté en son temps propre sa parole dans la prédication qui m'est commise». Par là il entend la prédication : car l'Évangile contient toutes choses, les promesses pour le présent et pour l'éternité, la vie, la piété, la foi, tout en un mot. «Dans la prédication », c'est-à-dire ouvertement, avec franchise, car c'est le sens de ces mots : « Dans la prédication ». De même que le héraut élève la voix dans le théâtre en présence de toute l'assistance, de même nous aussi nous prêchons sans rien ajouter du nôtre; nous ne faisons que répéter ce que nous avons entendu. Car la vertu du héraut consiste à dire à tout le monde comment les choses se sont passées, sans rien retrancher ni ajouter.

Si donc il faut prêcher, il faut le faire avec franchise, autrement serait-ce encore prêcher? C'est pourquoi le Christ ne dit pas : Parlez sur les toits, mais: « Prêchez sur les toits». (Matth. X, 27.) Il montre où et comment il faut prêcher. «Qui m'a été commise par le commandement de Dieu notre Sauveur». Ces mots : «Qui m'a été commise », ces autres mots: « Par le commandement», montrent que la prédication est digne de foi; que personne donc ne l'entende d'une manière indigne, ni avec dégoût, ni avec impatience. Mais s'il y a commandement, je ne suis pas maître : c'est un ordre que j'exécute. Parmi nos actions, les unes nous appartiennent, les autres, non. Pour ce que Dieu ordonne de dire, nous ne sommes pas maîtres; mais pour ce qu'il permet, nous sommes libres dans notre parole. Par exemple : «  Celui qui dira à son frère, Raca, sera punissable par le conseil», c'est là un commandement; ou bien: « Si tu apportes ton offrande à l'autel, et que là il te souvienne que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens et offre ton offrande». (Matth. V, 22-24). C'est encore là un commandement, un ordre, et si quelqu'un ne s'y conforme pas, il y a nécessité qu'il subisse le, châtiment. Mais lorsque Jésus-Christ dit : « Si tu veux être parfait, vends ce que tu possèdes », ou bien : « Que celui qui peut comprendre ceci, le comprenne ».(Matth. XIX, 21, 12). Ce n'est pas un commandement, car il laisse l'auditeur libre d'écouter ses paroles, il lui donne à choisir ce qu'il doit faire ou ne pas faire, cela reste en notre pouvoir. Il n'en est pas de même pour les commandements, il faut de toute nécessité les remplir, sous peine d'être, puni. C'est ce que saint Paul dit lui-même par ces paroles : « La nécessité m'en est imposée, et malheur à moi si je n'évangélise pas ». ( I Cor. IX, 16.) Pour moi, je le dirai (408) bien haut, afin que cette vérité éclate à tous les yeux. Ainsi, si celui qui a été préposé au gouvernement de l'Eglise et qui a été honoré de la dignité d'évêque, n'indique pas au peuplé ce qu'il doit faire, il encourt une grande responsabilité; mais le laïque n'est tenu par aucune nécessité de ce genre. C'est pour cette raison que l'apôtre Paul dit : « Selon le commandement de Dieu notre Sauveur». Et voyez comme la suite s'accorde avec ce que je viens de dire. Paul venait de dire : «Dieu qui ne ment point » ; il dit maintenant : « Par le commandement de Dieu notre Sauveur». Si donc il est notre Sauveur, et qu'il nous donne des commandements, par le désir qu'il a de nous sauver, la prédication n'est point une oeuvre d'ambition, c'est une mission de foi, c'est un commandement de Dieu notre Sauveur.

« A Tite, mon vrai fils ». Il y a en effet des fils qu'on ne reconnaît point pour ses vrais fils, comme celui dont il est dit : « Si quelqu'un, qui se nomme frère, est fornicateur, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur, ne mangez pas même avec un tel homme ». (I Cor. V, 11.) Un tel homme est un fils, mais ce n'est point un vrai fils; c'est un fils, car il a reçu la grâce une fois et il a été régénéré; ce n'est. point un vrai fils, car il est indigne de son père, car il se met sous un autre maître. En effet, dans l'ordre de la nature, le vrai fils se distingue du fils illégitime par sa mère, et il porte le nom de son père. Dans l'ordre de la grâce il n'en est pas ainsi, c'est par choix qu'on est fils; aussi appartient-, il à celui qui est un vrai fils de ne pas demeurer tel, et à celui qui ne l'est pas, de le devenir. En effet, ce n'est point par la nécessité de la nature que cette question est décidée, c'est par la liberté du choix: de là tant de changements. Onésime, par exemple, était un vrai fils, mais il cessa de l'être pour un temps, parce qu'il devint méchant. . Ensuite il le redevint au point que l'apôtre l'appelait ses entrailles.

            « A Tite, mon vrai fils, selon la foi qui nous est commune ». Qu'entend-il par ces mots: « Selon la foi qui nous est commune? » Après l'avoir appelé son fils et s'être lui-même donné pour un père; pourquoi diminue-t-il et affaiblit-il cet honneur? En voici la raison: « Selon la foi qui nous est commune», ajoute-t-il, c'est-à-dire, selon la foi je n'ai rien de plus que toi; car elle nous est commune et c'est par elle que toi et moi nous avons été engendrés. Mais alors pourquoi l'appelle-t-il son fils?  C'est ou pour montrer seulement qu'il a l'affection d'un père, ou parce qu'il l'a précédé dans l'apostolat, ou parce que Tite a été baptisé par lui. C'est pour cette raison qu'il appelle . les fidèles ses fils et ses frères : ses frères, parce qu'ils ont été engendrés parla même foi; ses fils, parce qu'ils ont été engendrés à la foi par son ministère. Lors donc qu'il dit: « Selon la foi qui nous est commune», il indique qu'il est le frère de Tite.

« Grâce et paix de la part de Dieu le Père et de Jésus-Christ notre Sauveur ». Après avoir dit: « Mon fils », il ajoute : « De la part de Dieu le Père», pour élever son âme, et lui apprendre de qui il est fils; il ne se contente pas de dire: « Selon la foi qui nous est commune», il ajoute encore : « De la part de notre Père », et par là il lui montre une fois de plus qu'il est son égal. en dignité.

3. Voyez comme il demande pour le maître les mêmes grâces que pour les disciples et la foule des fidèles. C'est qu'il a besoin des mêmes prières, et même il en a plus besoin que les, autres, parce qu'il a un plus grand nombre d'ennemis, parce qu'il lui est plus difficile d'éviter la colère de Dieu. Car plus grande est la dignité de celui qui, est chargé du saint ministère et plus grands sont ses dangers. Il suffit souvent d'une seule grande oeuvre apostolique pour l'élever au ciel, comme aussi d'une seule faute pour le précipiter dans l'enfer. En effet, pour passer sous silence ce qui survient tous les jours, si par amitié ou par quelqu'autre motif, il lui arrive d'élever un indigne à l'épiscopat et de lui confier le gouvernement des âmes dans une grande ville, voyez comme il s'expose aux flammes de l'enfer. Il ne sera pas puni seulement pour toutes les âmes qui périssent, parce que celui qu'il a ordonné manque de piété, mais, encore pour toutes les actions de l'évêque indigne. Celui qui dans l'ordre laïque n'était pas religieux, le sera encore., bien moins, lorsqu'un tel homme aura le gouvernement des âmes; pour celui qui était pieux auparavant, il lui sera difficile de rester tel sous un indigne pasteur. Car la vaine gloire, l'amour des richesses, l'arrogance ont plus de puissance lorsqu'ils s'autorisent des vices de l'évêque, et de même pour les offenses, les outrages, les insultes et mille autres péchés. Si donc quelqu'un n'est pas (409) religieux, il le deviendra moins encore dans ces circonstances. Ainsi, lorsqu'on établit un tel homme prince de l'Église, on se rend responsable de toutes ses fautes et de toutes celles de la multitude qui lui est Gonflée. Si quelqu'un scandalise une seule âme, il lui vaudrait mieux qu'on lui pendît une meule d'âne au cou et qu'on le jetât au fond de la mer. Que ne souffrira donc pas celui qui scandalise tant d'âmes, des cités, des peuples entiers, des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, de citadins, de laboureurs, ceux qui sont dans sa ville, ceux qui lui sont soumis dans d'autres villes? Si vous dites que sa peine sera triplée, vous ne dites rien, tant sera grand son supplice et son châtiment. L'évêque a donc le plus grand besoin de la grâce et de la paix qui viennent de Dieu; s'il gouverne la ville sans ce secours, tout est,en ruine, tout est perdu, car il n'a pas de gouvernail. Quand il serait habile dans l'art de gouverner, s'il n'a pas ce gouvernail, je veux dire la grâce et la paix qui viennent de Dieu, navires et navigateurs seront submergés.

Aussi, je m'étonne lorsque j'en vois qui désirent un tel fardeau. Homme malheureux, homme infortuné, ne vois-tu donc pas ce que tu désires? Si tu vivais pour toi seul d'une vie inconnue et sans gloire, quand tu commettrais mille péchés, au moins tu n'aurais à rendre compte que d'une seule âme. Voilà à quoi se réduirait ta responsabilité. Mais que tu viennes à obtenir une telle dignité, vois de combien d'âmes tu es responsable au jour du châtiment) Écoute saint Paul: «Obéissez», dit-il, « à vos conducteurs et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vos âmes, comme devant en rendre compte ». (Hébr. XIII, 17.) Et cependant tu désires la dignité du commandement. Quel plaisir trouveras-tu donc dans cette dignité? Je n'en vois pas, car personne dans cette dignité n'est véritablement maître. Comment cela? C'est qu'il est remis à la liberté de ceux qu'on commande, d'obéir ou de désobéir, et s'il veut voir au fond des choses, celui qui a cette ambition, bien loin de marcher vers le commandement, sera l'esclave de mille maîtres, tous opposés dans leurs désirs comme dans leurs paroles. Ce qui est loué par l'un est blâmé par l'autre; ce qui est critiqué par celui-ci, est admiré par celui-là. Qui faut-il écouter? à qui obéir? il est impossible de le voir. L'esclave acheté à prix d'argent s'irrite lorsque son maître lui donne un ordre qui le contrarie, mais toi, lorsque tant de maîtres te donneront les ordres les plus contraires, si tu le supportes avec peine, pour cela même tu seras puni et tu déchaîneras toutes les langues contre toi. Est-ce là, je t'en prie, est-ce là une dignité? est-ce là un commandement? est-ce là un pouvoir?

4. L'évêque ordonne qu'on donne de l'argent; si celui qui lui est soumis s'y refuse, non-seulement il n'en apporte. pas, mais pour qu'on ne puisse pas lui reprocher la tiédeur de son zèle, il accuse l'évêque. Il vole, dit-il, il pille, il absorbe la substance des pauvres, il dévore les ressources des indigents. Mets fin à ses injures et dis-lui : Jusqu'à quand médiras-tu? Tu ne veux pas donner d'argent? Personne ne t'y force, personne n'emploie la violence, pourquoi t'emporter en injures contre celui qui te conseille et qui t'exhorte? Mais quelqu'un tombe dans la misère, et il ne lui tend pas la main, soit qu'il ne le puisse pas, soit qu'il ait autre chose à faire. On ne lui fait pas grâce, ce sont de nouvelles récriminations, pires encore que les premières. Est-ce là gouverner? dit-on. Et il ne peut pas même se venger, car les fidèles sont ses entrailles. Or, de même que si les entrailles se gonflent et donnent mal à la tête et à tout le reste du corps, nous n'osons pas nous venger, car nous ne pouvons pas prendre le fer pour les déchirer : de même si quelqu'un de ceux qui nous sont soumis tient cette conduite, et par des accusations de ce genre nous fait souffrir et gémir, nous n'osons pas nous venger, car cela est loin des sentiments d'un père, il nous faut supporter notre douleur, jusqu'à ce qu'ils reviennent à de bonnes pensées.

L'esclave acheté à prix d'argent a une tâche qui lui est imposée; lorsqu'il l'a finie, il est le reste du temps maître de lui-même. Mais l'évêque est tiraillé de toutes parts, on exige de lui beaucoup de choses qui dépassent ses forces ; s'il n'est pas éloquent, ce ne sont que des murmures; s'il est éloquent, ce sont de nouvelles accusations, c'est un homme vain ; s'il ne ressuscite pas les morts, c'est un homme de rien, celui-ci est un juste, mais lui non. S'il prend une nourriture modérée, autres accusations, il devrait suffoquer, dit-on; si quelqu'un l'a vu prendre un bain, nombreux reproches, il n'est pas digne de voir la lumière du soleil. Car s'il fait les mêmes choses que (410) moi, s'il se baigne, s'il boit et s'il mange, s'il a des habits, s'il prend soin de sa maison et de ses serviteurs, pourquoi est-il élevé au-dessus de moi ? Voilà qu'il a des domestiques pour le servir, un âne pour le traîner : pourquoi est-il élevé au-dessus de moi 7 - Dis-moi donc: ainsi il ne faut pas qu'il ait un serviteur, mais il doit allumer son feu lui-même, aller chercher son eau, couper son bois, aller au marché ? quelle honte ! Les apôtres, ces saints hommes, ne veulent pas que celui qui est assidu dans la prédication se mette au service des veuves, ils croient que c'est une occupation indigne de lui, et toi tu le rabaisses au nombre de tes domestiques ! Mais puisque tu lui traces ainsi sa conduite, pourquoi ne te présentes-tu pas pour t'occuper de ces soins? Dis-moi: ne te rend-il pas de plus grands services que toi qui t'occupes des choses du corps? Pourquoi n'envoies-tu pus ton esclave potin le servir ? Le Christ a lavé les pieds de ses disciples : crois-tu donc faire quelque chose de si admirable, parce que tu fournirais à son train de maison ? Mais tu n'y fournis pas et tu l'empêches d'y fournir. Quoi donc? Est-ce qu'il doit vivre du ciel ? Dieu ne le veut pas ainsi. Mais tu vas me dire Les apôtres ont-ils eu des hommes libres pour les servir ? Veux-tu donc savoir comment les apôtres ont vécu? Ils voyageaient, et des hommes, des femmes libres s'employaient corps et âme pour leur donner du repos. Ecoute l'exhortation et les paroles de D'apôtre Paul : « Ayez de l'estime pour ceux qui sont tels que lui. Car il a été proche de la mort pour le service de Jésus-Christ, n'ayant eu aucun égard à sa propre vie, afin de suppléer au défaut de votre service envers moi ». (Philip. II, 29.) Entends-tu ce qu'il dit? Toi cependant tu n'oses pas, je ne dis point supporter un péril, mais même prononcer une seule parole en faveur de ton père spirituel. Mais, dis-tu, il ne doit pas prendre de bains. Pourquoi, dis-moi ? où cela est-il défendu? Ce n'est certes pas une belle chose que la malpropreté. Nulle part nous ne voyons qu'on fasse un crime de ces soins, pas plus qu'on ne les admire.

Ce n'est pas sur ces choses, mais sur d'antres que portent les prescriptions faites aux évêques par l'apôtre Paul; il veut qu'ils soient irrépréhensibles, tempérants, décents, hospitaliers, savants dans la doctrine. Voilà ce qu'exige l'apôtre, ce qu'il faut demander à l'évêque et rien de plus. Tu n'es pas plus diligent que saint Paul, que dis-je? tu n'es pas plus diligent que le Saint-Esprit. S'il est violent, adonné au vin, cruel et inhumain, accuse-le; voilà des vices indignes d'un évêque. S'il vit dans la mollesse, tu peux encore lui en faire un crime. Mais s'il prend soin de son corps pour te servir et t'être utile, l'en blâmeras-tu? Ne sais-tu pas que la mauvaise santé du corps ne nuit pas moins à nous-même et à l'Eglise que la mauvaise santé de l'âme? Pourquoi saint Paul s'en occupe-t-il dans son épître à Timothée ? « Use d'un peu de vin à cause de ton estomac et des maladies que tu as souvent». (I Tim. V, 23.) Voilà ce qu'il dit, car si, polir exercer la vertu, nous n'avions besoin que du seul secours dé l'âme; il serait inutile de soigner son corps. Demandons-nous pourquoi. nous sommes ainsi nés. Mais du moment que le corps est très-utile, le négliger ne serait-ce pas d'une extrême démence ? Car supposons un homme honoré de la dignité épiscopale, chargé du gouvernement de l'Eglise, vertueux et orné de toutes les qualités que doit avoir un évêque, mais d'une santé débile et toujours au lit, à quoi pourra-t-il être bon? Quel voyage pourra-t-il entreprendre? Quelle inspection pourra-t-il faire? Qui pourra-t-il blâmer? Qui pourra-t-il avertir ?

Si j'ai tenu ce discours, c'est pour que vous appreniez à ne' plus blâmer témérairement vos pasteurs, mais à les entourer de déférence et dé respect, et que, si quelqu'un est rempli du désir d'obtenir une telle dignité, la considération de toutes ces accusations éteigne son désir. Car c'est assurément un grand péril et pour lequel il est besoin de la grâce et de la. paix de Dieu. Je vous en prie, demandez-la pour nous comme nous la demandons pour vous, afin que les uns et les autres, couronnés par la vertu, nous obtenions les biens qui nous ont été promis en Jésus-Christ qui partage avec le père et. le Saint-Esprit la gloire, la puissance et l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE II. LA RAISON POUR LAQUELLE JE T'AI LAISSÉ EN CRÈTE, C'EST AFIN QUE TU METTES EN BON ORDRE LES CHOSES QUI RESTENT A RÉGLER, ET QUE TU ÉTABLISSES DES PRÉTRES DE VILLE EN VILLE, SUIVANT CE QUE JE T'AI ORDONNÉ; NE CHOISISSANT AUCUN HOMME QUI NE SOIT IRRÉPRÉHENSIBLE, MARI D'UNE SEULE FEMME, ET DONT LES ENFANTS SOIENT FIDÈLES ET QUI NE SOIENT PAS ACCUSÉS DE DISSOLUTION, NI DÉSOBÉISSANTS. (I, 5, 6-11)
 

Analyse.
 
 

1. Travaux auxquels se livraient les apôtres. — Devoirs des pasteurs.

2. Portrait de l'évêque tel que le veut saint Paul. — Que saint Paul a eu plus de pouvoir que Platon et tous      les philosophes.

3. Combien est difficile le mépris des honneurs.

4. Ce n'est pas l'honneur et la gloire de ce monde que l'on doit rechercher.
 
 

1. Toute la vie des anciens était en action et en lutte; il n'en est pas de même de la nôtre, elle est pleine de négligence. Ceux-là savaient qu'ils avaient été mis au monde pour travailler en se conformant à la volonté du Créateur; niais nous, il semble que :nous soyons nés pour manger, boire et vivre dans la mollesse, tant nous faisons peu de cas des choses spirituelles ! Je ne parle pas des apôtres seulement, mais encore de ceux qui sont venus après eux. Voyez-les donc parcourir tous les pays, et, se livrant tout entiers à cette occupation, vivre toujours sur la, terre, étrangère : on croirait qu'ils n'avaient pas de patrie sur la terre.

Ecoutez ce que dit le bienheureux Paul : « La raison pour laquelle je t'ai laissé en Crète » : il semble que se distribuant le monde tout entier, comme ils eussent fait pour une seule maison, ils administraient ainsi toutes choses et étendaient leur vigilance à tous les lieux, l'un se chargeant de telle région et l'autre de telle autre. — « La raison pour laquelle je t'ai laissé en Crète, c'est afin que tu mettes en bon ordre les choses qui restent à régler ». Il ne prend pas un ton de commandement, : « Afin que tu mettes en bon ordre », dit-il. Voyez-vous comme il a l'âme pure de toute jalousie, comme il recherche partout l'intérêt de ses disciples , comme il ne se demande pas si c'est lui ou un autre qui gouvernera? Là où il y avait le plus de dangers et de difficultés il allait en personne mettre les choses en ordre. Mais ce qui rapportait plus de gloire sans mériter autant d'éloges, il le confie à son disciple, j'entends par là l'ordination des évêques et toutes les autres choses qui avaient besoin d'être redressées, ou plutôt, pourrait-on dire, qui avaient besoin d'une plus grande perfection. — Que dis-tu, je t'en prie? Il mettra en bon ordre ce qui t'est soumis, et tu ne regardes pas cela comme une honte ni comme un déshonneur pour toi ? Pas le moins du monde, car je ne pense qu'à l'intérêt de l'Eglise; et que ce soit par moi ou par un autre que tout aille bien, peu m'importe. — Tels doivent être les sentiments d'un bon pasteur, il ne doit pas rechercher sa propre gloire, mais l'utilité de tous. — « Et que tu établisses des prêtres de ville en ville», cela veut dire des évêques, comme nous l'avons expliqué ailleurs. — « Suivant que je t'ai ordonné, ne choisissant aucun homme qui ne soit irrépréhensible ». —  « De ville en ville », dit-il, car il ne voulait pas que toute l'île fût à la charge d'un seul, mais chacun devait avoir sa part de soucis et d'inquiétudes. En effet, la fatigue serait moins grande et les fidèles seraient gouvernés avec plus de sollicitude du moment qu'un seul maître ne se contenterait pas de parcourir un grand nombre d'églises, mais que chacune d'elles serait confiée à un évêque et embellie par ses soins.

« Ne choisissant aucun homme qui ne soit irrépréhensible, mari d'une seule femme, et  dont les enfants soient fidèles, et qui ne soient pas accusés de dissolution, ni désobéissants». Pourquoi nous offre-t-il ce portrait? Il ferme la bouche aux hérétiques qui condamnent le mariage, en montrant que l'union des époux n'est point blâmable, et qu'elle est au contraire si honorable qu'un homme marié peut monter sur le siège épiscopal. Mais (412) en même temps il flétrit les incontinents en ne leur permettant pas d'obtenir cette dignité après un second mariage. Car comment l'homme qui n'a gardé aucun amour pour la femme qu'il a perdue , pourra-t-il être un bon pasteur de l'église? Quels reproches ne l'atteindront pas ? Vous savez tous en effet, vous savez qu'un mariage en secondes noces, bien qu'il ne soit pas interdit parles lois, offre pourtant matière à de nombreuses accusations. — Ainsi il ne veut point qu'un pasteur se présente devant les fidèles avec une seule tache. C'est pourquoi il dit : « Aucun homme « quine soit irrépréhensible ». C'est-à-dire dont la vie soit pure de toute faute et qui n'offre aucune prise à celui qui voudra l'examiner. Ecoutez les paroles de Jésus-Christ : « Si la  lumière qui est en toi n'est que ténèbres, combien seront grandes les ténèbres mêmes ». (Matth. VI, 23.) —. « Dont les enfants soient fidèles et qui ne soient pas accusés de dissolution, ni désobéissants». Considérons comme il porte sa sage prévoyance jusque sur les enfants. En effet, comment celui qui n'a pu former ses enfants, formerait-il les autres? Si ceux qu'il a eus dès leurs premiers jours avec lui, qu'il a nourris, et sur lesquels la loi et la nature lui donnent autorité, il n'a pas pu les instruire, comment pourra-t-il être utile aux autres? Si le père n'avait pas eu la plus grande négligence, il n'aurait pas souffert que ceux qui étaient sous son autorité devinssent méchants. Il n'est pas possible, non il n'est pas possible qu'après avoir été élevé dès les premières années avec la plus grande sollicitude, qu'après avoir été entouré des plus grands soins , on devienne pervers : car il n'y a pas de défauts naturels que ne puisse vaincre une telle diligence. Si, ne plaçant qu'en seconde ligne l'éducation de ses enfants, un père s'applique à acquérir des richesses et a plus d'amour pour elles que pour sa famille, c'est un homme indigne. Car si malgré la loi de la nature il a eu tant d'insensibilité ou de démence qu'il s'est montré plus inquiet pour ses biens que pour ses enfants , comment pourrait-il monter sur le trône épiscopal et mériter une telle dignité? S'il n'a pas pu corriger ses enfants, quelle insouciance ne peut-on pas lui reprocher? S'il ne s'en est pas occupé, quelle insensibilité ne petit-on point blâmer en lui ? Comment donc celui qui n'a pas pris soin de ses enfants, prendra-t-il soin des étrangers?

Et l'apôtre ne dit pas seulement que les fils de l'évêque ne doivent pas être dissolus, mais il ne veut pas même qu'on puisse les accuser de l'être ni qu'ils aient une mauvaise réputation. « Car il faut que l'évêque soit irrépréhensible, comme étant dispensateur dans la maison de Dieu, non superbe, non colère, non sujet au vin, non batteur (7) ».

2. Un prince séculier, qui commande par la loi et par la contrainte, ne gouverne pas souvent d'après les désirs de ceux qui lui sont soumis, et c'est naturel. Mais un évêque qui doit son autorité à des gens qui la lui ont accordée de leur plein gré et qui lui sont reconnaissants de l'avoir acceptée, s'il se conduit de telle sorte qu'il ne fasse rien que par ses propres idées, sans rendre aucun compte à personne, il exerce bien plutôt un pouvoir tyrannique qu'une magistrature populaire. « Car il faut», dit l'apôtre, « que l'évêque soit irrépréhensible, comme étant dispensateur dans la maison de Dieu, non attaché à son sens propre, non colère ». Comment en effet apprendra-t-il aux autres à vaincre un vice qu'il n'a pas pu s'apprendre à détruire en lui ? Sa charge le fera entrer dans nombre de difficultés qui aigriraient et mettraient hors de lui un homme plus patient: elle lui donnera mille occasions de céder à la colère. S'il n'y est pas préparé d'avance, on ne pourra pas le souffrir, et le plus souvent dans, l'exercice de son ministère il portera le trouble et la ruine partout. — « Non porté au vin, non batteur ». II parle ici de l'évêque qui injurie: or il faut plutôt agir par l'exhortation que par le reproche, mais par l'injure, jamais. Car, dites-moi, quelle nécessité y a-t-il d'injurier? Il faut effrayer par la menace de l'enfer et inspirer une grande terreur. Mais celui qu'on injurie, prend plus d'audace encore et méprise davantage celui qui le traite ainsi. Rien ne porte au mépris comme l'injure: elle déshonore celui qui s'en rend coupable, et ne lui permet pas d'inspirer le respect. Il faut que l'évêque parle avec une grande piété, qu'il rappelle les pécheurs à la pensée du jugement dernier, et que jamais l'injure ne le souille, S'il y en a qui l'empêchent de remplir son ministère, alors il doit agir avec toute son autorité. « Non batteur », dit-il. Le maître est le médecin des âmes, or le médecin ne frappe point, il ranime et guérit celui qui a été frappé.

« Non porté à un gain honteux, mais hospitalier, aimant les gens de bien, sage, juste, (413) saint, continent, retenant fortement la parole de la vérité comme elle lui a été enseignée (8, 9) ». Voyez-vous quelle haute vertu il requiert? « Non porté à un gain déshonnête », c'est-à-dire montrant un grand mépris pour les richesses. « Hospitalier, aimant les gens de bien, sage, juste, saint» : il fait entendre qu'il doit abandonner tout son bien à ceux qui ont besoin. « Continent » : il n'entend point par là celui qui se livre au jeûne, mais celui qui réprime les désirs coupables de sa langue, de sa main, de ses yeux. Car la continence consiste à ne se laisser entraîner par aucun vice. « Retenant fortement la parole fidèle de la vérité, comme elle lui a été enseignée ». Par « fidèle » il veut dire vrai ou qui nous a été transmis par la foi, qui n'a besoin ni de raisonnements ni de recherches. « Retenant fortement ». C'est- à- dire, prenant d'elle un soin inquiet, faisant d'elle toute son occupation. Mais quoi, s'il n'a aucune culture profane? C'est pour cela qu'il dit : «La parole comme elle lui a été enseignée. Afin qu'il soit capable d'exhorter et de convaincre les contradicteurs » ; il n'est donc pas besoin de l'éclat des expressions, ce qu'il faut c'est l'intelligence, c’est la connaissance des Ecritures , c'est la force des pensées.

Ne voyez-vous pas que saint Paul qui a converti le monde, a eu plus de pouvoir que Platon et que tous les autres ensemble? Mais c'est par les miracles, direz-vous? Ce n'est point par les miracles seuls, car si vous parcourez les Actes des apôtres, vous le verrez en beaucoup d'endroits remporter la victoire même avant tout miracle. — « Afin qu'il soit capable d'exhorter par la saine doctrine », c'est-à-dire pour protéger les fidèles et pour renverser les ennemis. — « Et de convaincre les contradicteurs », c'est qu'en effet sans cela il n'y a rien. Car celui qui ne sait pas combattre un adversaire, asservir toute intelligence à l'obéissance de Jésus-Christ, et faire tomber les faux raisonnements; celui qui ne sait pas enseigner la vraie doctrine, que celui-là s'éloigne du trône apostolique. Les autres qualités requises on les trouvera dans les fidèles, comme d'être irrépréhensible, d'avoir des enfants obéissants, d'être hospitalier, juste, saint : mais ce qui est surtout le propre du docteur, c'est qu'il puisse instruire par sa parole ; cependant c'est ce dont on ne prend aucun souci aujourd'hui.

« Car il yen a plusieurs qui ne veulent point se soumettre, vains discoureurs et séducteurs d'esprits, principalement ceux qui sont de la circoncision (10), auxquels il faut fermer la bouche ». Voyez- vous comme il montre la cause de leur perversité ? C'est qu'ils voudraient commander au lieu d'être commandés, car c'est là ce que l'apôtre a fait entendre. Si donc tu ne peux pas les persuader, ne leur donne pas les saints ordres , mais impose-leur silence dans l'intérêt des autres. De quelle utilité seraient-ils , s'ils n'obéissent pas, que dis-je, s'ils sont insoumis ? Mais pourquoi leur fermer la bouche? C'est qu'il y va de l'intérêt des autres.

« Et qui renversent les maisons tout. entières, enseignant pour un gain déshonnête des choses qu'on ne doit point enseigner (11)». Si celui qui a reçu mission d'enseigner , n'est pas capable de les combattre et de leur imposer silence lorsqu'ils se conduisent si effrontément, il deviendra lui-même cause de la perdition de tous ceux qui périront. Car si l'on nous exhorte par ces paroles . « Ne cherche pas à devenir juge, si tu ne peux détruire l'injustice » (Ecclés. VII, 6), on pourrait dire ici avec bien plus de raison encore : Ne cherche pas à devenir évêque , si tu n'es pas capable d'une telle dignité; au contraire, si l'on te forçait à l'être, refuse. Voyez-vous comme partout c'est l'amour de l'argent et le désir d'un gain déshonnête qui est le principe de tous les désordres? « Ils enseignent pour un gain déshonnête des choses qu'on ne doit point enseigner ».

3. Il n'y a rien que ces vices n'ébranlent, car de même qu'un vent violent, lorsqu'il s'abat sur une mer calme, la trouble jusque dans ses profondeurs, au point que les flots charient le sable, de même ceux-ci, une fois entrés dans l'âme, ta bouleversent de fond en comble, l'aveuglent et lui enlèvent sa clairvoyance. Cela est surtout vrai du fol amour de la gloire. Pour les richesses il est facile à qui le veut de les mépriser, mais dédaigner un honneur qui nous est accordé par un grand nombre d'hommes, voilà qui exige un grand courage, une grande philosophie, une âme angélique et qui s'élève jusqu'au sommet du ciel. Il n'y a pas, non il n'y a pas un seul vice qui ait une puissance aussi tyrannique, et qui règne ainsi partout. Car il règne partout, ici plus, là moins, mais partout cependant. Comment pourrons-nous donc le vaincre, sinon tout à fait, au (414) moins en partie? Ce sera en nous tournant vers le ciel, en ayant l'image de la Divinité sous les yeux, en élevant notre pensée au-dessus des choses de la terre. Toutes les fois que vous vous sentirez tenté du désir de la gloire, pensez que vous l'avez acquise, considérez à quoi elle se termine enfin , et comprenez qu'elle n'est rien. Voyez quels maux elle traîne après elle et de quels biens elle nous prive. Vous supporterez les fatigues , vous affronterez les dangers, mais le prix de vos efforts, mais la récompense vous échappera. Songez que la plupart des hommes sont méchants, et méprisez leur gloire. Car prenez-les un à un, voyez quels ils sont, vous trouverez que les honneurs sont ridicules, et qu'ils sont moins une gloire qu'une honte : ensuite élevez votre pensée vers le trône de Dieu. Lorsque vous aurez fait une bonne action, si vous pensez que vous devez la montrer aux hommes, si vous recherchez des spectateurs pour qu'elle soit vue, songez que Dieu la voit, et réprimez tous ces désirs. Eloignez votre pensée de la terre pour la porter vers le céleste séjour.

Si les hommes vous louent, plus tard ils vous blâmeront, ils vous porteront envie , ils vous déchireront ; supposons qu'il n'en soit rien, du moins leurs éloges ne vous rapporteront aucun avantage. En Dieu rien de semblable : il aime à nous louer de nos bonnes couvres. Vous avez bien parlé et vous avez été applaudi : quel profit en retirez-vous? Si vous avez été utile à ceux qui vous applaudissent, si vous les avez convertis, si vous les avez rendus meilleurs, si vous les avez guéris de leurs plaies, il faut vous réjouir assurément non pas des éloges qu'ils vous donnent, mais d'une conversion si belle et si merveilleuse. Mais si malgré leurs louanges continuelles et le tumulte de leurs battements de mains, ils ne retirent aucun fruit de ce qu'ils louent, il faut plutôt gémir sur leur sort, en voyant que leurs applaudissements seront leur condamnation. Du moins votre piété sera-t-elle une gloire pour vous ? Si vous êtes pieux et que vous n'ayez conscience d'aucune faute, vous devez être content non point de paraître ce que vous êtes, mais d'être ce que vous paraissez. Que si, sans être pieux, vous êtes honoré par les hommes, songez que vous ne les aurez pas pour juges au dernier jour, mais gîte Celui qui vous jugera connaît les ténèbres et leurs mystères. Oui, si, lorsque vous avez conscience de vos fautes, vous paraissez pur à tous les yeux, non-seulement il ne faut pas vous réjouir, mais bien plutôt devez-vous pleurer et pleurer amèrement sur vous-même, en pensant à ce jour où tout sera révélé, où les ténèbres montreront leurs secrets à la lumière. Vous possédez de la gloire? dépouillez-vous-en, dans la conviction qu'il vous faudra payer ces hommes. Personne ne vous honore? Et bien, vous devez même vous en réjouir: car Dieu n'ajoutera pas un nouveau reproche à tous ceux qu'il vous fera, il ne pourra pas vous blâmer d'avoir joui de la gloire. Ne voyez-vous pas en effet que l'Éternel, dans l'énumération de tant de bienfaits méconnus, met encore ceci en ligne de compte ? « J'ai », dit-il par la bouche d'Amos, « suscité quelques-uns d'entrevous pour être prophètes, et quelques-uns d'entre vos jeunes gens pour être nazaréens ». (Amos, II, 11.) Ainsi, pour tout le moins vous aurez cet avantage, que vous ne serez pas exposé à de plus grands supplices. Car n'êtes-vous pas honoré en cette vie ? êtes-vous méprisé? ne fait-on de vous aucun cas? que dis-je ! êtes-vous insulté et outragé ? ce dédommagement vous reste; qu'on ne vous demandera pas compte des honneurs que vous auront accordés vos compagnons d'esclavage. Mais vous retirez de là bien d'autres avantages : rabaissé et humilié comme vous l'êtes, vous ne pouvez pas, quand même vous le voudriez, céder à l'orgueil, lorsque vous portez votre attention sur vous-même. Pour celui au contraire qui jouit de grands honneurs, outre qu'il aura de terribles dettes à solder, il se laisse aller à l'arrogance et à la vaine gloire, et il se fait l'esclave des hommes. De plus, à mesure que sa puissance s'étend, il est obligé de faire beaucoup de, choses qui lui déplaisent.

4. Convaincus qu'il est préférable pour nous d'agir ainsi, ne recherchons pas les dignilés, et si on nous les offre, rejetons-les, faisons effort pour nous en éloigner, et étouffons nos désirs ambitieux. Je le dis à ceux qui gouvernent comme à ceux qui sont gouvernés. Car l'âme qui désire les honneurs et la réputation , ne verra pas le royaume des cieux. Ce n'est pas moi qui le dis, ce ne sont point mes paroles, ce sont celles du Saint-Esprit; elle ne le verra pas; quand même elle aurait pratiqué la vertu. Car, dit l'Écriture, « ils ont reçu leur récompense ». (Match. VI, 5.) Mais (415) pour celui qui n'a pas eu sa récompense, comment ne verrait-il pas le royaume des cieux ? Je ne défends pas qu'on recherche la gloire, mais je veux que ce soit la vraie gloire, celle qui vient de Dieu: « Sa gloire », dit l'apôtre, « n'est pas des hommes, mais de Dieu ». (Rom. II, 29.) Soyons pieux loin des regards, sans faste, sans appareil, sans hypocrisie. Au loin la toison de la brebis ! Efforçons-nous plutôt d'être des brebis véritables.  Il n'y a rien de plus vil que la gloire humaine. Car, dites-moi, si vous voyiez une multitude d'enfants encore à la mamelle, désireriez-vous leurs louanges? Vous devez avoir ces sentiments à l'égard de tous les hommes pour ce qui concerne les honneurs ; et voilà pourquoi on les appelle une vaine gloire. Voyez les masques que les comédiens portent sur la scène : comme ils sont beaux et brillants ! comme on les a façonnés avec le dernier soin pour. leur donner la perfection de la forme ! Pourriez-vous dans la vie réelle me montrer tant de beauté? Non sans doute. Mais quoi? votre amour se porte-t-il sur quelque chose de semblable ? Non, dites-vous. Pourquoi ? Parce que ces masques sont vains, et qu'ils imitent, sans l'avoir, la vraie beauté.

Il en est de même de la gloire, et cette beauté qu'elle imite, elle ne l'a pas. Seule la vraie gloire subsiste, c'est celle qui est dans le fond de notre nature. Mais pour celle qui brille au dehors, elle cache souvent la laideur, elle la cache, dis-je, dans les hommes, et souvent jusqu'au soir. Mais détruisez le théâtre, arrachez les masques, et chacun paraît ce qu'il est. N'allons donc pas chercher la vérité polir ainsi dire sur la scène et dans l'hypocrisie. Dites-moi en effet ce qu'il y a d'utile à être vu de la multitude? C'est une vaine gloire et. rien .de plus; car rentrez chez vous, et trouvez-vous seul, la voilà tout entière évanouie aussitôt. Vous vous êtes montré dans l'agora, et tous les regards se sont tournés vers vous : eh bien, et après? Il n'y a plus rien, elle s'est éclipsée, elle a fui comme la fumée, qui se dissipe. Pouvons-nous aimer ainsi l'instabilité même? Quelle démence ! quelle folie ! ne pensant qu'à une chose, demandons-nous seulement quelles louanges nous donnera Dieu. Si c'est là ce qui fixé notre attention, jamais nous ne rechercherons les honneurs qui viennent des hommes; et, s'ils viennent d'eux-mêmes à nous, nous les dédaignerons, nous nous en moquerons, nous les mépriserons ; et quand nous trouverons un lingot d'or, nous aurons les sentiments que nous éprouverions devant de la boue. Que personne donc ne vous loue, car cela ne vous servira de rien, et s'il vous blâme, cela ne saurait vous nuire. A la louange qui vous viendra de Dieu sera jointe une récompense, et à son blâme un châtiment : mais de la part des hommes, blâme et louange, tout est vain.

C'est même en cela que nous sommes égaux à Dieu, car Dieu n'a pas besoin des louanges des hommes: « Je ne tire point ma gloire des hommes », dit-il. (Jean, V, 41.) Est-ce là peu de chose, dites-moi ? Lorsque vous ne pourrez pas arriver à mépriser la gloire, dites-vous qu'en la méprisant vous serez égaux à Dieu et aussitôt vous la mépriserez. Il n'est pas possible que celui qui est esclave de l'honneur, ne le soit pas de toutes choses, il est même plus esclave que les esclaves eux-mêmes. Car nous ne faisons pas faire à nos esclaves tout ce que la gloire exige de ceux qu'elle tient sous ses lois. Elle nous force â dire et à souffrir des choses honteuses, pleines de déshonneur; et c'est surtout lorsqu'elle voit qu'on lui obéit, qu'elle se montre plus tyrannique dans ses ordres. Fuyons donc, fuyons, je vous en prie, cette servitude. Mais, dira-t-on, comment le pourrons-nous ? Si nous avons de sages pensées sur ce monde, si nous le regardons comme un rêvé et une ombre, et rien de plus, nous en viendrons facilement à bout, et nous ne nous laisserons prendre par la gloire ni dans les petites, ni dans les grandes choses. Mais si nous ne la méprisons pas dans les petites, nous succomberons facilement dans les grandes. Ecartons donc loin de nous les sources de cette funeste passion, je veux dire la sottise et la bassesse de l'âme. Si nous prenons des sentiments sublimes, nous pourrons mépriser la gloire qui vient de la multitude, élever notre pensée vers le ciel, et gagner les récompenses éternelles. Puissions-nous les, obtenir tous parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui partage avec le Père et le Saint-Esprit la gloire, la puissance et l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE III. QUELQU'UN D'ENTRE EUX, QUI ÉTAIT LEUR PROPRE PROPHÈTE, A DIT : LES CRÉTOIS SONT TOUJOURS MENTEURS, DE MAUVAISES BÊTES, DES VENTRES PARESSEUX. CE TÉMOIGNAGE EST VÉRITABLE; C'EST POURQUOI REPRENDS-LES VIVEMENT, AFIN QU'ILS SOIENT SAINS EN LA FOI, NE S'ADONNANT PAS AUX FABLES JUDAÏQUES ET AUX COMMANDEMENTS DES HOMMES QUI SE DÉTOURNENT DE LA VÉRITÉ. (I, 12,13; II, 1.)
 

416
 
 

Analyse.
 
 

1. Citation d'un poète grec : sens de cette citation, et pourquoi saint Paul y a recours.

2. Rois-mages, pourquoi conduits par une étoile.

3. En quoi consistent la véritable pureté et la véritable impureté.

4. Que toutes les impuretés marquées autrefois par la loi n'étaient que des figures et des ombres. — Qu'il n'y a proprement que le péché qui soit impur.
 
 

1. Il y a ici plusieurs choses à se demander, d'abord, quel est celui -qui a parlé ainsi ; ensuite, pourquoi, saint Paul s'est servi de ces paroles; enfin, pourquoi il s'est appuyé sur un témoignage profane. En expliquant encore quelques autres points, nous donnerons ainsi la réponse qui convient. Comme l'apôtre parlait un jour aux Athéniens , il leur cita l'inscription qu'il avait lue sur un autel : « Au Dieu inconnu », et un peu plus loin il ajouta : « Car nous sommes aussi sa race, selon ce que quelques-uns même de vos poètes ont dit ». C'est Epiménide qui parlait ainsi des Crétois , et lui-même était Crétois. Mais il faut vous dire pour quelle raison il a parlé ainsi ; or voici comment les choses se sont passées. Les Crétois ont un tombeau de Jupiter avec cette inscription: Ici repose Zas, qu'on appelle Zeus (Jupiter). Le poète, rapportant cette inscription, trouva une occasion de se moquer des mensonges des Crétois; mais dans ce qui suit il poussa encore plus loin la moquerie : « 0 roi, les Crétois t'ont construit un « tombeau, toi cependant tu ne meurs pas, « car tu es immortel ». Si ce témoignage est vrai, voyez combien est grave la conséquence qui en découle. En effet, si le poète est dans la vérité, lorsqu'il leur reproche de mentir parce qu'ils prétendent que Jupiter est mort, et c'est ce que rapporte l'apôtre, le danger est grand. Prêtez ici toute votre attention, je vous prie, mes frères. Le poète dit que les Crétois mentent lorsqu'ils prétendent que Jupiter est mort, et le témoignage de l'apôtre confirme le sien; donc d'après le témoignage de l'apôtre Jupiter est immortel. Il dit enfin : «Ce témoignage est vrai ». Que devons-nous donc penser? Ou plutôt comment résoudrons-nous cette difficulté? Le voici : l'apôtre ne parle pas en son nom, il accepte simplement ce témoignage et il l'applique à leur habitude de mentir. Car pourquoi- n'a-t-il pas aussi ajouté : « O roi, les Crétois t'ont construit un tombeau? » Cela, l'apôtre ne le rapporte pas, il dit seulement qu'Epiménide a eu raison d'appeler les Crétois des menteurs. Ce n'est pas la seule raison sur laquelle nous nous appuyons pour déclarer que- Jupiter n'est pas Dieu. Nous en avons mille autres preuves ailleurs, et nous n'avons pas besoin du témoignage des Crétois. Du reste saint Paul ne dit pas que c'est en ceci qu'ils ont menti. S'ils ont menti, c'est bien plutôt lorsqu'ils ont dit que Jupiter était un dieu; ils croyaient du reste qu'il y avait encore d'autres dieux. Voilà pourquoi l'apôtre dit qu'ils sont menteurs.

Maintenant il faut rechercher pourquoi saint Paul emprunte des témoignages aux Grecs. C'est que nous les réfutons mieux lorsque nous avons à leur montrer leurs pro. pres témoignages, leurs propres accusations, lorsque nous leur opposons pour les condamner ceux mêmes qu'ils admirent. Aussi l'apôtre dit-il dans un autre endroit : « Au Dieu inconnu ». En effet, comme les Athéniens n'ont- pas eu dès l'origine tous leurs dieux, mais qu'ils en ont reconnu quelques nouveaux dans la suite des temps, par exemple ceux qui leur sont venus des contrées du Nord, et que c'est ainsi qu'ils ont institué le culte de Pan, les petits et les grands mystères, (417) ils ont été amenés par là à croire qu'il y avait probablement un autre Dieu qui leur était inconnu, et, pour être pieux envers lui, ils lui ont élevé un autel avec cette inscription : « Au Dieu inconnu », comme s'ils avaient voulu dire qu'il y avait peut-être un autre Dieu qu'ils ne connaissaient pas. L'apôtre leur dit donc : Le Dieu que vous avez reconnu d'avance, je viens vous l'annoncer. Quant à ces mots : « Car nous sommes aussi sa race », c'est Aratus qui s'était ainsi exprimé, en parlant de Jupiter. Après avoir dit d'abord : La terre est pleine de Jupiter, la mer en est pleine, il ajoute : « Car nous sommes aussi sa race» ; il veut montrer par là, selon moi, que c'est Dieu qui nous a créés. Comment donc saint Paul a-t-il appliqué au Dieu, qui gouverne toutes choses, ce qui avait été dit de Jupiter? Il n'applique pas à Dieu ce qui a été dit de Jupiter; mais ce qui appartenait à Dieu, ce qu'on ne pouvait pas attribuer raisonnablement à Jupiter, il l'a rendu à Dieu. Ainsi le nom de Dieu n'appartient qu'à Dieu lui-même, et il est injustement donné aux idoles. Du reste sur qui se serait-il appuyé pour leur parler ? Sur les prophètes ? Mais il ne l'auraient pas cru. C'est ainsi que même en s'adressant aux juifs, il ne leur dit rien qu'il tire des Evangiles, il emprunte tout aux prophètes : « Je me suis fait juif avec les juifs, avec ceux qui sont sans la loi, comme si j'étais sans la loi ; avec ceux qui vivent sous la loi, comme si j'étais sous la loi ». (I Cor. IX, 11.)

2. C'est ainsi que Dieu agit lui-même, comme par exemple dans l'histoire des mages. Car ce n'est point par un ange qu'il les guida, ni par un prophète, ni par un apôtre, ni par un évangéliste. Par quoi donc ? Par une étoile. Comme ils étaient versés dans l'astronomie, c'est par cet art qu'il les prend. C'est ce que nous montrent encore les vaches qui traînent l'arche. Si elles suivent ce chemin, disent les devins, l'indignation de Dieu contre nous est véritable. (I Rois, vi, 9.) Les devins disent-ils donc vrai.? Il s'en faut de beaucoup, mais Dieu les réfute et les confond par leurs propres paroles. Il en est de même pour la pythonisse : car comme Saül avait eu foi en elle, Dieu lui fit annoncer par sa bouche le sort qui l'attendait. (I Rois, XXVIII, 8.) Pourquoi donc saint Paul impose-t-il silence au démon qui disait : « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu souverain et ils vous annoncent la voie du salut?» Pourquoi Jésus-Christ lui-même empêche-t-il les démons de parler ? (Act. XVI, 17 ; Marc, I, 25.) C'est parce que saint Paul avait déjà fait des miracles qui avaient témoigné pour lui ; quant à Jésus-Christ ce n'était plus une étoile qui l'annonçait, mais lui-même qui se révélait au monde. Or les démons ne l'adoraient pas, et il ne devait pas souffrir qu'une idole parlât de manière à entraver son action. Mais Dieu laissa parler Balaam sans l'en empêcher c'est ainsi que toujours il condescend à nos besoins. Vous en étonnez-vous? Il a souffert qu'on se fit de lui une idée grossière et indigne, par exemple, qu'il était matériel, qu'il était visible. Mais il combat cette opinion par ces paroles : « Dieu est esprit ». (Jean, IV, 24.) C'est ainsi encore qu'il se réjouissait des sacrifices, ce qui ne peut convenir à sa nature, et qu'il aurait proféré des. paroles qui ne peuvent s'accorder entre elles, et mille autres choses semblables. C'est que ce n'est jamais sa dignité, mais toujours notre utilité qu'il considère. Un père tient-il compte de sa dignité ? il balbutie avec ses petits enfants, il ne désigne pas les mets, les plats, les coupes par leurs noms grecs, il se sert d'un langage enfantin et barbare, c'est ce que Dieu fait d'une manière plus complète encore. Dans les reproches qu'il adresse par la bouche du Prophète, il se sert de mots que nous puissions comprendre : « Si une nation change de dieux », dit-il. (Jérémie, II, 11.) Partout dans les Ecritures, les choses mêmes aussi bien que les mots sont mises à notre portée.

C'est pourquoi reprends-les vivement, afin « qu'ils soient sains en la foi ». Si l'apôtre parle en ces termes, c'est que dans leurs moeurs ils étaient impudents, fourbes, incorrigibles. Ils étaient rongés de mille vices. Aussi comme ils étaient prompts au mensonge, accoutumés à la fourberie, adonnés à leur ventre, plongés dans la paresse, il était besoin de paroles fortes et frappantes. Un tel caractère en effet ne peut pas être mené par la douceur. « C'est pourquoi reprends-les». Il ne s'agit pas ici de ceux qui sont étrangers à la foi, mais bien des fidèles. « Vivement », ajoute-t-il, c'est-à-dire frappe-les de coups qui fassent des blessures profondes. Il faut se comporter en effet, non pas de la même façon avec tous, mais de différentes manières, (417) selon la diversité des circonstances. Nulle part en cet endroit il ne se -sert de douces exhortations. Car si en adressant de durs reproches à un homme d'un caractère tendre et noble, on le déchire, on le perd, en flattant celui quia besoin d'être repris avec véhémence, on le corrompt, on l'empêche de se relever. « Afin », dit saint Paul, « qu'ils soient sains dans la foi ». Etre sain, c'est n'avoir aucun élément impur, aucun élément étranger à notre nature. Que si ceux mêmes qui observent les prescriptions judaïques touchant les viandes, ne sont pas sains dans la foi, mais s'ils sont faibles et malades, « quant à celui qui est faible en la foi, «recevez-le et n'ayez point avec lui de contestations ni de disputes » (Rom. XIV, 1), que dira-t-on de ceux qui jeûnent avec les juifs, de ceux qui observent le sabbat, de ceux qui vont dans les lieux consacrés par les païens, qui se rendent à Daphné . dans la caverne de la Matrone; ou en Cilicie dans le sanctuaire dédié à Saturne? Comment ceux-là seraient-ils sains dans la foi'? C'est pour cela qu'il faut leur porter des coups sensibles. Pourquoi l'apôtre n'a-t-il pas la même conduite avec les Romains? C'est qu'ils n'avaient pas les mêmes moeurs et qu'ils avaient une meilleure nature.

« Et qu'ils ne s'arrêtent pas aux fables judaïques ». C'est que ces fables sont doublement des fables, et parce qu'elles sont fausses, et parce qu'elles sont sans à propos ; ainsi ce sont de pures fables. Il ne faut pas s'y adonner, et si l'on s’y adonne, c'est se nuire à soi-même. Ce sont donc des fables et des fables inutiles. C'est pourquoi il ne faut pas plus s'adonner aux unes qu'aux autres, car on ne serait plus sain selon la "foi. Si l'on croit à la foi, pourquoi ferait-on appel à autre chose, comme si la foi ne suffisait pas? Pourquoi s'asservirait-on, se soumettrait-on à la loi? N'aurait-on pas confiance en la foi? Cela est d'un esprit malade et incrédule; car, lorsqu'on est ferme dans la foi, on ne doute pas; or, agir ainsi, c'est douter.  « Toutes choses sont pures pour ceux qui sont purs ». Voyez-vous où tendent ces paroles? «Mais rien n'est pur pour les impurs et les infidèles ».

3. Les choses pures ou impures ne sont donc pas telles par elles-mêmes, et-les le sont par l'intention de ceux qui les font. « Mais leur entendement et leur conscience sont souillés. Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le nient par leurs oeuvres, car ils sont abominables, rebelles , et réprouvés pour toute bonne oeuvre ». Ainsi le porc lui-même est pur; pourquoi donc est-il défendu d'en manger, comme si c'était un animal, impur ? Ce n'est point par sa propre nature qu'il est impur, car toutes choses sont pures. Rien n'est plus impur que le poisson qui se nourrit des corps des hommes, et cependant il est permis d'en manger, il a paru pur. Rien n'est plus impur qu'une poule,, puisqu'elle avale des vers; rien n'est plus impur qu'un cerf, car le nom qu'on lui a donné en Grèce vient de ce qu'il dévore des serpents ; et cependant il est permis d'en manger. Pourquoi donc défend-on de manger du porc et de certains autres animaux? Ce n'est pas qu'ils soient impurs, mais Dieu a voulu: nous priver d'une grande partie des plaisirs du ventre. S'il avait donné cette raison il n'aurait pas persuadé, tandis que les regardant comme impurs, nous avons peur d'en goûter. Qu'y a-t-il, je vous prie, de plus impur que le vin, si vous y faites bien attention? Qu'y a-t-il dé plus impur que l'eau? Cependant c'est surtout l'eau qui servait à purifier. Il était défendu de toucher un cadavre, et c'était par des cadavres qu'on se purifiait, car les victimes qu'on immolait étaient des cadavres, et c'est en sacrifiant des victimes qu'on se délivrait de ses fautes. N'étaient-ce pas là. des prescriptions puériles? Prêtez-moi votre attention : le vin rie vient-il pas du fumier? En effet, si la vigne pompe l'humidité qui est dans la terre, elle boit en même temps la graisse du fumier qui la couvre. Enfin, si nous voulons y regarder attentivement, tout est impur. Mais si nous y faisons également attention, bien loin qu'il y ait rien d'impur, tout est pur; Dieu, en effet, n'a rien créé d'impur, et il n'y a d'impur que le péché, car il touche l'âme et la souille. C'est là, du reste, un préjugé; « mais rien n'est pur », dit l'apôtre, « pour les impurs et les infidèles, car leur entendement et leur conscience sont souillés ».

Comment, en effet, trouverait-on quelque chose d'impur dans ce qui est pur? Mais celui dont l'âme est malade souille tout. Si donc on s'arrête à ce scrupule de vouloir discerner quelles sont les choses pures, et quelles les impures, on ne trouvera rien de pur. Pour ces (419) personnes, ni les poissons, ni les autres animaux ne sont purs, mais ils sont tous impurs. « Leur entendement et leur conscience sont « souillés ». Mais quoi donc ! Tout est impur? Loin de nous cette pensée. Ce n'est pas celle de saint Paul. Il rejette toute l'impureté sur les méchants : Il n'y a rien d'impur, dit-il, si ce n'est eux, si ce n'est leur pensée et leur conscience, et rien n'est plus impur. « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le nient par leurs oeuvres, car ils sont abominables, rebelles , et réprouvés pour toute bonne oeuvre. Mais toi, enseigne les choses à qui conviennent à la saine doctrine ». Voilà en quoi consiste l'impureté, voilà ceux qui sont impurs, mais ne te tais pas pour cela. Quand ils ne t'écouteraient pas, dit l'apôtre, fais ton devoir; quand ils ne t'obéiraient pas, exhorte-les, conseille-les; et par là, il les accable plus encore. Ceux qui sont fous croient que rien ne reste en place; mais ce ne sont pas les choses qu'ils voient qui leur donnent cette idée, ce sont leurs yeux qui voient ainsi les choses. Car, comme ils sont sans cesse en mouvement et qu'ils sont aveuglés, il leur paraît que toute la terre tourne, tandis qu'elle ne tourne pas et qu'elle reste ferme. Cette démence vient de l'état où ils se trouvent eux-mêmes, et non de l'état où se trouvent les éléments. Il en est de même ici : lorsque l'âme est impure, elle croit impures toutes choses. La pureté ne se révèle point par des scrupules superstitieux, mais par la confiance à manger de tout. Car celui dont la nature est pure ose tout, mais celui qui est souillé, n'ose rien.

C'est ce qu'on peut dire encore contre Marcion. Ne voyez-vous pas que la vraie pureté consiste à s'élever au-dessus de toutes ces pensées, d'impureté, et qu'au contraire l'impureté consiste à s'abstenir de certaines choses comme impures ? Il n'en est pas autrement pour Dieu même : il a osé se faire chair, c'est marque de pureté; s'il ne l'avait pas osé, t'eût été signe d'impureté. Celui qui ne mange pas certaines choses parce qu'elles lui paraissent impures, celui-là est impur et malade; il n'en est nullement de même de celui qui les mange. N'appelons donc pas purs ceux qui ont de vains scrupules : ceux-là sont les impurs; l'homme pur est celui qui mange de tout. Il faut montrer cette piété scrupuleuse en écartant ce qui peut souiller l'âme, car c'est là l'impureté, c'est là ce qui tache; dans tout le reste, il n'y a rien d'impur. Ainsi, avons-nous la bouche malade, tous les aliments nous paraissent impurs, mais cela provient de notre maladie; il faut donc connaître à fond la nature des choses pures et des impures.

4. Qu'y a-t-il donc d'impur? C'est le péché, la méchanceté, l'avarice, la perversité. « Lavez-vous, nettoyez-vous, ôtez de devant mes yeux la malice de vos actions. — Créez en moi un coeur pur, ô Dieu. — Retirez-vous d'au milieu d'eux, séparez-vous, et ne touchez à aucune chose souillée ». (Isaïe, I,16; Ps. L, 12; Isaïe, LII, 11.) Les prescriptions suivantes figuraient les choses pures d'une manière symbolique : « Ne touche pas un cadavre ». (Lévit. XI, 8.) C'est qu'en effet le péché ressemble à un cadavre d'une odeur nauséabonde. « Le lépreux. », dit le Lévitique, « est impur ». (Lévit. XIII, 15.) C'est-à-dire, la variété, la diversité, c'est le péché. C'est ce que font entendre les saintes Ecritures, comme le montre ce qui suit. Si, en effet, la lèpre couvre tout le corps, celui qui en est atteint est pur; si elle ne le couvre qu'en partie, il est impur. Ne voyez-vous point par là que c'est ce qui est varié, ce qui change qui est impur? De même celui qui est atteint d'une gonorrhée est impur dans son âme; considérez comme atteint de gonorrhée celui gui perd de la semence spirituelle de la parole de Dieu. Celui qui n'est pas circoncis est également impur. Il ne faut voir là que des figures, et entendre que celui-là est impur qui n'a pas retranché de son âme la méchanceté. Celui qui travaille -dans le jour du sabbat est lapidé; c'est-à-dire, celui qui n'est pas entièrement dévoué à Dieu, périt. Voyez-vous combien il y a de sortes d'impuretés? « La femme qui a ses règles est impure ». (Lévit. XV, 19.) Pourquoi donc? N'est-ce pas Dieu qui a fait la semence et qui préside à la génération? Pourquoi donc cette femme est-elle impure? Il faut qu'il y ait là un sens caché. Quel est-il? Dieu veut faire naître la piété dans nos âmes et nous éloigner du libertinage. Car si la mère de famille est impure, combien plus la prostituée ne l'est-elle pas ? S'il n'est pas très-pur de s'approcher de sa femme, combien n'est-il pas impur de souiller le lit d'autrui? « Celui qui revient d'un enterrement est impur » ; combien plus ne l'est-il pas, celui qui revient du meurtre et de la guerre? On pourrait trouver beaucoup de manières d'être impur, si on voulait (420) les rechercher toutes. Mais maintenant nous ne sommes plus soumis à ces prescriptions : du corps, tout est passé à l'âme. Comme les objets matériels sont plus à notre portée, Dieu, pour ce motif, s'est d'abord servi d'images sensibles. Il n'en est plus ainsi, car on ne devait pas s'arrêter à des figures et s'attacher à des ombres, il fallait qu'on possédât la vérité et qu'on la retînt.

L'impureté, c'est le péché , fuyons-le, abstenons-nous-en : « Si tu vas vers lui, il te recevra ». (Ecclés. XXII, 2.) Rien n'est plus impur que la cupidité. Qu'est-ce qui le prouve? Ce sont les faits eux-mêmes. Car, que ne souille-t-elle pas ? Elle souille les mains, l'âme, la maison même où elle dépose ce qu'elle a ravi. Pour les juifs, ce vice-là n'est rien. Cependant Moïse transporta les os de Joseph, Samson a trouvé de l'eau dans une mâchoire d'âne, et du miel dans le corps d'un lion mort; Elie a été nourri par des corbeaux et par une femme veuve. Mais quoi, je vous prie, si nous voulions faire attention à tout, y a-t-il rien de plus exécrable que les membranes des livres? Ne les tire-t-on pas des cadavres des animaux? Ainsi, ce n'est pas. seulement le débauché qui est impur, mais il en est d'autres plus coupables encore. L'adultère est également souillé. Si l'adultère et le débauché sont impurs, ce n'est pas pour avoir eu un commerce charnel; car, par la même raison, l'homme marié qui s'approche de sa femme serait impur; c'est pour avoir violé le droit, pour avoir cédé à la cupidité, pour avoir dérobé à un frère ce qu'il avait de plus précieux. Ne voyez-vous pas que c'est la perversité qui est impure? Celui qui avait deux femmes n'était pas impur, car David, qui en avait plusieurs, ne l'était pas; mais lorsqu'il s'en donna une seule autre injustement, il se souilla; pourquoi? Parce qu'il avait commis une injustice, parce qu'il s'était laissé aller à la cupidité. Pour le débauché, s'il est impur, ce n'est pas davantage pour avoir eu un commerce charnel, mais pour l'avoir eu contre la loi, parce qu'il viole une pauvre créature; ils se font tort réciproquement, ceux qui ont une femme en commun, et ils renversent les lois de là nature. Car une femme doit n'être qu'à un seul homme. « Ils les créa mâle et femelle », dit l'Ecriture. « A eux deux, ils ne seront qu'une même chair ». (Gen. I, 27, et II, 24.) Il n'est pas dit : Plusieurs, mais. « Deux en une même chair ». Ici donc encore, il y a injustice, et par conséquent cette action est mauvaise. Lorsque la colère passe les bornes; elle rend encore l'homme impur, non point parce qu'elle est colère, mais parce qu'elle passe les bornes. En effet, l'Evangile ne dit pas seulement: « Celui qui se met en colère », mais il ajoute . « Sans cause ». (Matth. V, 22.) Ainsi, en toutes choses, avoir des désirs excessifs, c'est être impur. Car l'impureté vient d'une cupidité insatiable. Veillons donc, je vous en conjure, et devenons véritablement purs pour mériter de voir Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui partage avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, etc.

HOMÉLIE IV. QUE LES VIEILLARDS SOIENT SOBRES, GRAVES, PRUDENTS, SAINS EN LA FOI, EN LA CHARITÉ ET EN LA PATIENCE. DE MÊME, QUE LES FEMMES AGÉES RÈGLENT LEUR EXTÉRIEUR D'UNE MANIÈRE CONVENABLE A LA SAINTETÉ; QU'ELLES NE SOIENT NI MÉDISANTES, NI SUJETTES AU VIN, MAIS QU'ELLES ENSEIGNENT DE BONNES CHOSES, AFIN QU'ELLES INSTRUISENT LES JEUNES FEMMES A ÊTRE MODESTES, A AIMER LEURS MARIS, A AIMER LEURS ENFANTS, A ÊTRE SAGES, PURES, GARDANT LA MAISON, BONNES, SOUMISES A LEURS MARIS, AFIN QUE LA PAROLE DE DIEU NE SOIT POINT BLASPHÉMÉE. (II, 2-5, JUSQU'À 10.)
 

Analyse.
 
 

1. Les vices des vieillards.

2. Que la concorde d'un époux est un très-grand bien.

3. De l'heureuse influence que peuvent exercer sur leurs maîtres, les esclaves qui vivent en bons chrétiens.

4 et 5. Excellents avis aux serviteurs. — Le saint orateur leur propose l'exemple du patriarche Joseph.
 
 

1. La vieillesse a certains vices que n'à pas la jeunesse, et certains autres qui lui sont communs avec elle. Elle est paresseuse lente, oublieuse, elle a les sens émoussés, elle est colère. C'est pourquoi l'apôtre prescrit aux vieillards d'être sobres et vigilants. Car il y a (421) beaucoup d'obstacles qui entravent leur vigilance dans cet âge avancé , et tout d'abord cette torpeur des sens que je viens d'indiquer et qui fait qu'ils s'éveillent difficilement, qu'ils se mettent difficilement en mouvement ; aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Graves prudents ». Saint Paul parle donc de la prudence, et cette vertu peut être en quelque sorte appelée la sauvegarde de l'âme. Il y a oui il y a même parmi les vieillards des hommes qui se laissent emporter à la fureur et à la démence, les uns à la suite de l'ivresse , les autres à cause de leurs chagrins; car la vieillesse nous apporte la pusillanimité. — « Sains en la foi, en la charité et en la patience ». L'apôtre dit très-bien :« Et en la patience ». C'est là en effet une qualité qui convient particulièrement à la vieillesse.

« De même que les femmes âgées règlent leur extérieur d'une manière convenable », c'est-à-dire qu'elles fassent briller leur modestie par la manière dont elles s'habillent. « Ni médisantes, ni sujettes au vin » , c'est là en effet surtout le vice des femmes et des vieillards, car lorsque l'âge nous refroidit, nous aimons passionnément lé vin. C'est pourquoi l'apôtre s'attache surtout à ce point dans les conseils qu'il donne aux femmes âgées, il veut extirper partout l'ivrognerie, leur enlever ce défaut, et écarter d'elles le rire qui les suit lorsqu'elles ont bu. Les vapeurs du vin leur montent plus facilement à la tête, et attaquent très-vite les membranes du cerveau grâce à l'affaiblissement de l'âge : c'est de là surtout que vient l'ivresse. C'est principalement à cet âge qu'il est besoin de vin, car la vieillesse est débile; mais il n'en faut pas beaucoup, et il en est de même pour les jeunes femmes, non par la même raison, mais parce que le vin allume en elles les désirs coupables. « Qu'elles enseignent de bonnes choses » , et cependant l'apôtre leur défend d'enseigner: comment donc le leur permet-il ici lui qui a dit ailleurs : « Je ne permets point à la femme d'enseigner? » Mais écoutez ce qu'il ajoute : « Ni d'user d'autorité sur son mari » . (I Tim. II, 12.) En effet il a déjà autorisé les hommes à enseigner l'un: et l'autre sexe; s'il donne maintenant aux femmes le droit d'enseigner, c'est seulement dans la maison; mais nulle part il ne veut qu'elles occupent la première place et tiennent de longs discours, et c'est pour cette raison qu'il ajoute : « Ni d'user d'autorité sur son mari ». — « Qu'elles enseignent la prudente aux jeunes femmes », dit-il.

2. Voyez-vous comment saint Paul met l'union et la concorde dans le peuple? Comment il soumet les jeunes femmes aux. femmes âgées? Car par ces jeunes femmes il n'entend pas seulement leurs filles, mais il parle des droits de la vieillesse. Que toute femme âgée, dit-il, apprenne aux jeunes à être modestes, « à aimer leurs maris », c'est là en effet dans une maison la source de tous les biens. « Que la femme », dit l'Ecriture, « soit en bon accord avec le mari ». (Ecclés. XXV, 2.) S'il en est ainsi, il ne naîtra aucun désagrément. En effet, supposez que la tête vive en bonne intelligence avec le corps, et qu'il n'y ait entre eux aucun dissentiment; tout le reste ne sera-t-il pas en. paix? Lorsque les princes vivent en paix , qui oserait troubler la tranquillité publique ? Mais qu'au contraire ils soient en lutte, rien n'est sans trouble. Il n'y a donc rien de préférable à la concorde des époux, elle est beaucoup plus utile que l'or, la noblesse, la puissance et tous les autres biens. L'apôtre ne, dit pas seulement : Que les femmes vivent en paix, mais: « Qu'elles aiment leurs maris ». Une fois que l'amour unira les époux, aucune difficulté ne s'élèvera entre eux; et tous les autres biens naîtront de cette bonne entente. « A aimer leurs enfants », cela est très-bien dit ! Car celle qui aime l'arbre, aimera bien. plus encore les fruits. « Sages, pures, gardant la maison, bonnes » : tout vient de l'amour, et si les femmes sont bonnes, si elles prennent soin de leur maison, c'est parce qu'elles aiment leurs maris.

« Soumises à leurs maris, afin que la parole de Dieu ne soit point blasphémée » : car celle qui dédaigne son mari, n'a pas soin de sa maison non plus; c'est de l'amour que provient la sagesse, c'est l'amour qui termine tout dissentiment; l'amour persuadera facilement le mari, si c'est un gentil, et le rendra meilleur, si c'est un chrétien. Voyez-vous la condescendance de l'apôtre? Il n'y a rien qu'il ne fasse pour nous arracher aux affaires du monde et le voici maintenant qui prend le plus grand souci du ménage des époux. C'est que si tout est en bon ordre dans la maison, les choses de l'ordre spirituel auront aussi leur place, autrement l'âme elle-même sera ravagée. La femme qui reste chez elle ne peut qu'être sage , la femme qui reste chez elle ne peut qu'être (422) habile à gouverner sa famille; elle ne s'appliquera pas. à vivre dans la mollesse, à dépenser sans motif, ni à faire rien de semblable. « Afin que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée ». Le voyez-vous? il pense à la prédication et non aux choses du siècle. Dans son épître à Timothée il y a ces paroles : « Afin que nous puissions mener une vie paisible et tranquille en toute piété et honnêteté ». (I Tim. II, 2.) Ici, que dit-il? «Afin que la parole de Dieu ne soit point blasphémée ». S'il arrive en effet qu'une chrétienne mariée avec un infidèle ne soit pas vertueuse, il s'élève souvent de là des blasphèmes contre Dieu ; mais si elle a l'ornement de la vertu, la prédication tire gloire et d'elle et de ses bonnes couvres. Qu'elles m'entendent, celles qui sont mariées avec des hommes pervers ou avec des infidèles ; qu'elles m'entendent et qu'elles sachent que par leurs bonnes moeurs elles les mèneront à la piété. Quand vous ne pourriez pas remporter d'autre victoire, quand vous ne pourriez pas les pousser à partager votre foi en nos saints dogmes, du moins vous leur fermerez la bouche, et ne les laisserez pas tourner leurs blasphèmes contre le christianisme. Cela n'est pas un petit résultat, il est immense, puisque par votre conduite vous leur ferez admirer notre religion.

«Exhorte aussi les jeunes gens à être sobres». Voyez-vous comme l'apôtre veut toujours que la bienséance soit observée; tout à l'heure il a confié en grande partie aux femmes l'instruction des femmes, en soumettant les jeunes femmes aux femmes âgées, mais pour l'enseignement des hommes, il le remet à Tite. Car rien , non rien ne peut être plus difficile et plus pénible à cet âge , que de triompher des plaisirs coupables. Ni la passion des richesses, ni le désir de la gloire, ni rien enfin ne troublé autant cet âge que l'amour sensuel. Aussi l'apôtre laisse-t-il de côté tout le reste , pour ne s'attacher qu'à ce seul point dans son exhortation. Il ne néglige cependant pas le reste, car que dit-il? « Montre-toi toi-même pour modèle de bonnes oeuvres en toutes choses ». L'entendez-vous ? Que les femmes âgées, dit-il, enseignent les plus jeunes, mais toi, exhorte les jeunes gens à être tempérants. Que ta vie soit une éclatante leçon, un exemple de vertu, qu'elle soit exposée à tous les yeux, comme un type qui contienne en lui tout ce qu'il y a de beau et qui puisse donner très-facilement le modèle de toutes les qualités à ceux qui voudront se former sur lui : « Montre-toi toi-même pour modèle de bonnes oeuvres en toutes choses, en une doctrine exempte de toute altération, en intégrité, en gravité, en paroles saintes qu'on ne puisse pas condamner, afin que celui qui nous est contraire soit rendu confus n'ayant rien à dire de nous ».

3. Par   « celui qui nous est contraire » , il faut entendre le diable et tous ceux qui le servent. Lorsque notre vie est belle, que nos paroles s'accordent avec nos actions , que nous sommes modérés, doux, bienveillants, et que nous ne donnons aucune prise à nos adversaires, n'avons-nous pas les plus grands biens, des biens ineffables? Quelle n'est donc pas l'utilité du ministère de la parole, je ne dis pas de toute parole, mais d'une parole sainte , irrépréhensible et qui n'offre aucune prise à nos adversaires ! — « Que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres, leur complaisant en toutes choses ». Mais voyez ce qui a été dit auparavant : « Afin que celui qui nous est contraire soit rendu confus, n'ayant aucun mal à dire de nous». Il est donc blâmable celui qui sous prétexte de continence sépare les femmes de leurs maris, et de la même manière enlève les esclaves à leurs possesseurs. Ce n'est plus avoir une doctrine saine et irréprochable, c'est au contraire donner prise aux infidèles contre nous, c'est exciter contre nous toutes les langues. — « Quelles serviteurs » , dit-il, « soient soumis à leurs maîtres, leur complaisent en toutes choses, n'étant point contredisants, ne détournant rien, mais faisant toujours paraître une grande fidélité, afin de rendre honorable en toutes choses la doctrine de Dieu notre Sauveur ». Aussi disait-il avec raison dans un autre passage : « Qu'ils servent comme s'ils servaient le Seigneur et non pas les hommes ». (Ephés. VI, 7.) Je veux que vous serviez votre maître avec amour; cet amour néanmoins vient de la crainte de Dieu, et celui qui, possédé d'une telle crainte, sert fidèlement son maître, recevra les plus grandes récompenses. S'il ne sait ni arrêter sa main, ni contenir sa langue, comment le gentil admirera-t-il notre doctrine ? Si au contraire on voit qu'un esclave, sage en Jésus-Christ, montre plus de force d'âme que les sages du monde, et qu'il sert avec la plus' grandi douceur çans aucun mauvais (423) sentiment, de toute manière il faudra qu'on admire la puissance de la prédication. Car les gentils ne jugent pas de nos dogmes par nos dogmes mêmes, ces dogmes ils les apprécient d'après nos actions et notre conduite. Que les femmes et les enfants soient donc pour eux des docteurs par leur vie et par leurs. moeurs.

Chez eux comme partout on convient que les esclaves sont effrontés, difficiles à former et à conduire, et très-peu propres à recevoir l'enseignement de la vertu : ce n'est point par nature qu'ils sont tels, loin de moi cette idée, c'est par leur genre de vie et la négligence des maîtres. Car ceux-ci ne leur demandent qu'une chose, c'est qu'ils les servent; pour leurs mceurs, si par hasard ils essaient de les corriger, ils le font en vue de leur propre tranquillité, et à cette seule fin qu'ils ne. leur créent point d'embarras en se prostituant , en volant, en s'enivrant. Aussi comme ils sont négligés et qu'ils n'ont personne qui veille sur eux, il arrive qu'ils se jettent dans un abîme de perversité. Parmi les hommes libres, malgré les instances du père, de la mère, du pédagogue, du nourricier, des compagnons d'âge, malgré la voix même de la liberté, c'est à peine s'il en est qui peuvent éviter le commerce des méchants. Qu'adviendra-t-il donc de ceux qui, privés de tous ces secours, mêlés à des compagnons pervertis, et pouvant fréquenter tous ceux qu'il leur plaît, tandis que personne ne se soucie de leur amitié, je lé demande, qu'en adviendra-t-il? C'est pour cela qu'il est difficile qu'un esclave soit homme de bien. Du reste ils ne reçoivent aucun enseignement, ni chrétien, ni profane. Ils ne vivent pas avec des hommes libres , pleins de décence et ayant le plus grand souci de leur réputation. Pour tous ces motifs il est très-rare, il est merveilleux qu'un esclave devienne . jamais bon à quelque chose.

Si donc on voit que la prédication a eu la force d'imposer un frein à des hommes si effrontés, et qu'elle les a rendus plus tempérants et plus doux que tous les autres, leurs maîtres, quand ils seraient les derniers pour l'intelligence, concevront une grande idée de la beauté de nos dogmes. Car il est évident que, la crainte de la résurrection du jugement dernier et des autres châtiments que nous annonçons pour la vie future, a pris racine dans leur âme et en a chassé la perversité qui y était si puissante. C'est ainsi, en effet., que nous opposons au plaisir que procurent les vices une salutaire terreur. Ce n'est pas sans raison, sans motif que les maîtres tiennent partout compté de ces grands effets : plus leurs esclaves ont été pervers, et plus la puissance de la prédication est admirable dans leur conversion. Quand disons-nous qu'un médecin est digne d'admiration? N'est-ce pas quand il ramène à la santé, quand il guérit un malade désespéré, privé de tout secours, n'ayant pas la force de contenir ses passions intempestives , et s'y abandonnant tout entier ? Voyez encore ce que l'apôtre exige des serviteurs , c'est ce qui peut apporter le plus de tranquillité aux maîtres : « Ni contredisants, ni ne détournant rien », c'est-à-dire, qu'ils doivent montrer beaucoup de bon vouloir dans tout ce qu'on leur donné à faire, avoir les meilleurs sentiments à l'égard de leurs maîtres et obéir à leurs ordres.

4. Ne croyez pas qu'en continuant à traiter ce sujet, je marche à l'aventure; car c'est sur les serviteurs que roule tout le reste de mon discours. Ainsi donc, mon ami, ce qu'il te faut penser, c'est que tu sers non pas un homme , mais Dieu , parce que tu es l'ornement de la prédication. De la sorte tu supporteras facilement toutes choses, tu obéiras à ton maître et tu ne te révolteras, point parce qu'il sera mécontent et colère sans un juste motif. Songe en effet que ce n'est pas une grâce que tu lui fais, mais que tu suis le commandement de Dieu, et tu te soumettras facilement à tout. Mais ce que je ne cesse de répéter, je le dirai ici encore : Ayez d'abord les biens spirituels, et vous aurez encore par surcroît les biens terrestres. Car si un esclave se conduit ainsi, s'il a tout ce bon vouloir et toute cette douceur, ce n'est pas seulement Dieu qui l'approuvera et qui lui donnera les plus éclatantes couronnes; mais son maître même, à l'égard duquel il agit si bien, quand ce serait un monstre, quand il aurait un coeur de pierre, quand il serait inhumain et cruel , le louera, l'admirera, le préférera à tous les autres, et, tout gentil qu'il sera, le placera à la tête de ses compagnons. Oui, lors même que les maîtres sont infidèles, il faut que les serviteurs tiennent cette conduite, et, si vous le voulez, je vais vous le, prouver par un exemple.

Joseph a été vendu au chef des cuisiniers, il suivait la religion juive, et non l'égyptienne. Qu'arriva-t-il donc? Lorsque le maître eut (424) reconnu la vertu du jeune homme, il ne fit point attention à la différence de leurs croyances, mais il l'aima, le chérit, l'admira, lui confia, la direction des autres esclaves, au point qu'il ne savait rien par lu !-même de ce qui se passait dans sa propre maison ; Joseph était un second maître, et même il était plus maître que celui qui l'avait acheté, puisque celui-ci ne connaissait pas l'état de ses affaires et que Joseph le connaissait mieux que lui. Lorsque plus tard ce maître crut aux indignes calomnies qu'une femme coupable dirigeait contre lui, il me semble que c'est à cause du respect et de l'estime qu'il avait eus autrefois pour ce juste, qu'il arrêta l'effet de sa colère à la peine de la prison seulement. S'il ne l'avait pas tellement respecté et admiré pour sa conduite d'autrefois, il l'aurait tué aussitôt et lui aurait passé l'épée au travers du corps

« Car la jalousie est une fureur de mari qui n'épargnera point l'adultère au jour de la vengeance » . (Prov. VI, 54.) Si telle est la jalousie dans tout mari, combien plus grande ne devait-elle pas être dans celui-ci, qui était Egyptien, barbare, et qui croyait avoir été blessé dans son honneur par celui qu'il avait élevé en dignité? Vous le savez en effet, toutes les injures qu'on nous fait ne sont pas également cruelles, notre indignation s'élève avec plus d'amertume contre ceux qui d'abord ont eu pour nous de bons sentiments, en qui nous avons eu confiance, qui nous ont été fidèles et qui ont reçu de nombreux bienfaits de nous. Le maître de Joseph ne s'est pas dit en lui-même : Quoi donc? Voilà un esclave que j'ai accueilli ; je lui ai confié toute ma maison, je lui ai donné sa liberté, je l'ai fait plus grand que moi, et c'est ainsi qu'il me répond ! Il ne s'est rien dit de tout cela, tant il était encore tenu par la considération qu'il avait eue pour lui.

Qu'y a-t-il d'étonnant qu'ayant été si honoré dans cette maison il ait inspiré tant d'intérêt même dans les fers? Vous savez combien sont ordinairement cruels les gardiens des prisons. Ils prélèvent un tribut sur les malheurs d'autrui, et les infortunés que d'autres prendraient soin de nourrir, ils les déchirent pour faire des gains dignes de bien des larmes, avec plus de cruauté que des bêtes féroces. Dans les maux qui devraient émouvoir leur pitié, ils ne voient qu'une occasion de gagner dé l'argent. Ce n'est pas tout. Ils n'ont pas la même conduite envers tous ceux qui sont jetés en prison. Car pour ceux qui ont été les victimes de la calomnie, qui n'ont été que diffamés et qu'on a emprisonnés pour cela, il peut leur arriver d'en avoir ensuite pitié. Mais ceux qui ont été jetés dans les fers pour les forfaits les plus odieux, les plus révoltants, ils les déchirent de mille coups. Ainsi ils ne sont pas seulement cruels par nature, ils le sont encore d'après les motifs qui ont fait mettre en prison un infortuné. Qui en effet cet adolescent n'aurait-il pas excité contre lui, lorsqu'après avoir été élevé à une telle dignité, il était soupçonné d'avoir tenté de violer sa maîtresse et d'avoir. répondu ainsi à tant de bienfaits? En s'arrêtant à ces pensées, en voyant les anciens honneurs dont il avait été précipité et les raisons pour lesquelles il avait été jeté dans les fers, le gardien de la prison ne devait-il pas s'attaquer à Joseph avec plus de férocité qu'une bête sauvage ? Mais son espoir en Dieu triompha de tout : c'est ainsi que la vertu sait apaiser les monstres eux-mêmes. La même douceur qui lui avait servi à s'emparer de l'esprit de son maître, lui servit à s'emparer de l'esprit de son gardien. De nouveau, Joseph avait le pouvoir, et il commandait dans la prison comme il avait fait dans le palais. Comme il devait régner, c'est avec raison qu'il a d'abord appris à obéir : même lorsqu'il était esclave il donnait des ordres et il gouvernait la maison de son maître.

5. Écoutez ce que saint Paul exige de celui qu'on prépose au gouvernement de l'Église, il dit : « Si quelqu'un ne sait pas conduire sa propre maison, comment pourrait-il gouverner l'Église de Dieu? » (I Tim. III, 5.) Il était bon que celui que Dieu allait élever au gouvernement d'un grand empire, se signalât d'abord par la conduite d'une maison, et ensuite d'une prison que Joseph gouverna, non comme une prison, mais comme une maison. Il consolait toutes les afflictions, et dans son autorité sur les prisonniers il agissait comme s'il se fût agi de ses propres membres. Il ne se contentait pas de tout faire pour les relever lorsqu'ils étaient abattus par les malheurs, mais s'il voyait quelqu'un absorbé dans ses réflexions, il s'approchait pour lui en demander la cause, car il ne pouvait pas voir un homme triste sans essayer aussitôt de le délivrer de sa tristesse : personne n'est si sensible même à l'égard d'un fils. C'est par là qu'a (425) commencé sa fortune. Il faut en effet faire d'abord ce que nous pouvons, Dieu agit ensuite. Quant à là compassion et à la sollicitude dont il a fait preuve, en voici un exemple : Il vit, dit l'Ecriture, les eunuques mis dans les fers par Pharaon, c'étaient le grand échanson et le grand panetier. « Pourquoi », leur demanda-t-il,« vos visages sont-ils tristes? » (Gen. XL,7.) Leur conduite à son égard non moins que ses paroles, prouve sa vertu. Ils ne l'ont ni méprisé parce qu'ils étaient serviteurs du roi, ni repoussé parce qu'ils étaient tristes et affligés , mais ils lui ont raconté toute leur histoire comme à un véritable frère qui savait compatir à toutes les souffrances. Si je suis entré dans ces développements, c'est pour montrer que l'homme vertueux, quand il serait esclave, quand il serait prisonnier, quand il serait dans les fers, quand il serait sous la terre , ne trouvera jamais rien qui puisse triompher de lui.

Voilà ce que j'avais à dire aux esclaves, pourquoi? Parce que, eussent-ils pour maître une bête sauvage comme l'Egyptien, féroce comme le gardien d'une prison, il leur sera cependant possible dé les fléchir. Quand leurs maîtres seraient des gentils comme ceux-ci, ils trouveront toujours le moyen de les adoucir. C'est qu'il n'y a rien de plus avenant que les bonnes moeurs, rien de plus agréable et de plus doux qu'un caractère facile, obéissant et ami des convenances: quand on a ces qualités on plaît à tout le monde; quand on a ces qualités, on ne rougit ni de l'esclave ni de la pauvreté, ni de l'impuissance, ni de la maladie; car la vertu triomphe de tout, est supérieure à tout. Que si les esclaves ont ainsi tant de force, combien plus encore n'en auront pas les hommes libres l Appliquons-nous donc à mener une telle vie que nous soyons libres ou esclaves, hommes ou femmes. Par là nous serons aimés de Dieu et des hommes, non des hommes vertueux seulement, mais encore des méchants, et de ceux-ci surtout ; car ce sont ceux-ci qui honorent et respectent Le plus la vertu. Les esclaves ne tremblent-ils pas davantage sous des maîtres modérés ? Il en est de même des méchants à l'égard des bons, car ils voient de quels biens ils se privent eux-mêmes. Puis donc que la vertu offre de si grands avantages, suivons-la. Si nous l'acquérons, nous ne trouverons plus rien de pénible, tout nous sera facile, tout nous sera léger. Quand nous devrions passer soit au milieu des flammes, soit au milieu des flots, tout cédera à la vertu, jusqu'à là mort elle-même. Qu'elle excite donc notre émulation et nos efforts pour que nous obtenions les récompenses futures en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

HOMÉLIE V. CAR LA GRACE DE DIEU, SALUTAIRE A TOUS LES HOMMES, A ÉTÉ MANIFESTÉE. NOUS ENSEIGNANT QUE, EN 8ENONÇANT A L'IMPIÉTÉ ET AUX PASSIONS MONDAINES, NOUS VIVIONS DANS CE PRÉSENT SIÈCLE SOBREMENT, JUSTEMENT ET RELIGIEUSEMENT; EN ATTENDANT LA BIENHEUREUSE ESPÉRANCE ET L'AVÈNEMENT DE LA GLOIRE DU GRAND DIEU ET NOTRE SAUVEUR JÉSUS-CHRIST, QUI S'EST DONNÉ LUI-MÊME POUR NOUS, AFIN DE NOUS RACHETER DE TOUTE INIQUITÉ ET DE NOUS PURIFIER, POUR LUI ÊTRE UN PEUPLE QUI LUI APPARTIENNE EN PROPRE, ET QUI SOIT ZÉLÉ POUR LES BONNES OEUVRES. (II, 11, 12, 13, 14, JUSQU'A III, 7.)
 

Analyse.
 
 

1. Effets de la grâce de Dieu. — Passions mondaines.

2. Contre la cupidité et l'avarice. — Contre ceux qui soutiennent que le Fils est moindre que le Père.

3. Qu'il ne faut pas user de propos injurieux.

4. Etat du monde avant Jésus-Christ, et à ce propos, histoire d'Androgée et de Minos.

5. Nous devons porter tout le monde à la vertu, quelque outrage qu'on nous fasse. — On doit être plus soigneux des maladies de l’âme que de celles du corps.
 
 

1. Après avoir exigé des serviteurs une grande vertu (car c'est une grande vertu que d'être en toutes choses un ornement pour la doctrine de Dieu notre Sauveur, et que de ne donner à ses maîtres aucune occasion de se plaindre même pour les plus petites choses), l'apôtre donne (426) un juste motif de la conduite qu'ils doivent tenir. Et quel est ce motif ? C'est que, dit-il, « la grâce de Dieu, salutaire à tous les hommes, a été manifestée». Comment ceux qui ont Dieu pour docteur ne seraient-ils pas tels que je viens de le dire, après avoir déjà trouvé grâce pour mille fautes? Car vous le savez: entre autres considérations, il y en a une quia le plus grand poids pour détourner l'âme du mal et la faire rougir d'elle-même, c'est de voir que malgré les mille péchés dont elle doit compte, bien loin d'être punie, elle trouve grâce et obtient mainte faveur. Dites-moi en effet , si quelqu'un après avoir subi mille offenses de la part de son esclave, ne le fait point battre de verges, mais lui accorde son pardon pour tout le passé, lui dit de craindre le châtiment pour l'avenir, lui recommande de prendre garde de retomber dans les mêmes errements, puis le comble de grands biens, y a-t-il quelqu'un selon vous, qui ne change pas de conduite en s'entendant pardonner ainsi? Ne croyez pas cependant que la grâce s'arrête au pardon des péchés déjà commis; elle nous prémunit encore pour l'avenir, car c'est là aussi un de ses effets. Si ceux qui font le mal ne devaient jamais être punis, ce ne serait plus là de la grâce, ce serait une manière de nous exciter à courir à notre ruine et à notre perte.

Car « la grâce de Dieu, salutaire à tous les hommes, a été manifestée : nous enseignant que, renonçant à l'impiété et aux passions mondaines, nous vivions dans le présent siècle sobrement, justement et religieuse« ment, en attendant la bienheureuse espérance et l'apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ». Voyez-vous comme à côté des récompenses il place la vertu ? De plus c'est bien là l'effet de la grâce de nous arracher aux biens terrestres pour nous conduire au ciel. L'apôtre nous montre ici deux avènements, et il y en a deux en effet, l'un de grâce, l'autre de rétribution ou de justice. — « Renonçant à l'impiété et aux passions mondaines ». C'est là le résumé de toute la vertu. Il ne dit pas : Fuyant l'impiété, mais - « Renonçant à l'impiété ». Le renoncement montre un grand éloignement, une grande haine, une grande aversion. Détournons-nous, dit-il, de la perversité et des passions du siècle avec toute l'ardeur du zèle que nous mettons à nous éloigner des idoles. car ce sont aussi des idoles que les passions du siècle, que la cupidité : et c'est ce qu'il appelle de l'idolâtrie. Toutes nos passions pour les biens qui regardent la vie présente sont des passions du siècle, tous nos désirs pour des biens qui périssent dans ce bas monde, sont des désirs mondains. Rejetons-les tous, car le Christ est venu pour que nous renoncions à l'impiété : par impiété il entend les fausses doctrines, par passion du siècle il entend une vie coupable. «Afin que nous vivions dans ce présent siècle sobrement, justement et religieusement ».

2. Voyez-vous ce que je vous dis toujours, c'est que pour être sobre il ne suffit point de s'abstenir de toute fornication, mais qu'il faut encore être pur de tout autre vice? Ainsi donc celui qui aime l'argent n'est pas sobre. Car de même que l'un aime les plaisirs charnels, de même l'autre aime l'argent, et même celui-ci a moins encore de continence, puisqu'il cède à une moins grande violence. On ne dirait pas d'un cocher qu'il est inhabile, parce qu'il ne saurait pas contenir un cheval impétueux et sans frein, mais parce qu'il ne saurait pas en soumettre un qui serait plein de douceur. Quoi donc, direz-vous, la passion de l'or est-elle moins forte que l'amour des plaisirs charnels ? Cela est évident pour tout le monde, et il y a beaucoup d'arguments à l'appui. D'abord le désir des plaisirs de la chair unit nécessairement en nous, or l'on sait que l'on ne peut se corriger que très-difficilement d'une passion que la nécessité nous impose, car elle a son siège dans notre nature même. En second lieu chez les anciens on tenait très-peu de compte,de l'argent; mais on n'avait pas la même indifférence pour les femmes. Si quel. qu'un s'approche de sa femme jusque dans la vieillesse, comme le permettent les lois, personne ne l'en blâmera, mais tous reprennent celui qui amasse de l'argent. Parmi les philosophes profanes, beaucoup ont méprisé les richesses sans avoir le même dédain pour les femmes, tellement l'amour qu'elles nous inspirent est tyrannique. Mais puisque nous parlons à l'assemblée des fidèles, n'allons pas chercher nos exemples au dehors, tirons-les de l'Ecriture. Voici ce que dit le bienheureux Paul, en quelque sorte sous forme de précepte impératif : « Ayant la nourriture et le vêtement, que cela nous suffise». (1 Tim. VI, 8.) Quant aux époux : « Ne vous privez point l'un de l'autre », dit-il, « si ce n'est par un (427) consentement mutuel; mais après cela retournez ensemble ». (I Cor. VII, 5.)

Vous pouvez le voir donner souvent des préceptes sur le commerce légitime des époux. Il permet qu'on jouisse de ces plaisirs de la chair, et tolère les secondes noces. C'est là un point qui excite toute sa sollicitude, et jamais il ne châtie pour cela, tandis qu'il condamne partout celui qui a la passion de l'or. Le Christ en effet nous a souvent donné des préceptes sur les richesses, nous engageant à fuir cette peste, mais il n'en est pas de même pour le commerce des époux. Ecoutez ce qu'il dit des richesses : « S'il y en a un qui ne renonce pas à tout ce qu'il a, il ne peut être mon disciple ». (Luc, XV, 33.) Nulle part il ne dit: S'il y en a un qui ne renonce pas à sa femme, car il savait -combien cet amour est fortement enraciné dans la nature. Pour l'apôtre il s'exprime ainsi : « Le mariage est honorable et le lit conjugal sans souillure ». (Hébr. XIII, 4.) En aucun endroit il ne dit que le souci de devenir riche est honorable, bien au contraire. Ecoutez-le dans son épître à Timothée : « Ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans le piège, et en plusieurs désirs fous et nuisibles ». (I Tim. VI, 9.) Il ne dit pas amasser de l'argent, mais: « Devenir riches », et pour que vous en jugiez par le sens commun, il est nécessaire de donner ici quelques développements. Celui qui une fois s'est vu privé de toute sa fortune n'est plus tenu par la passion de l'or; car rien ne nous donne l'amour des richesses comme leur possession même. Les choses ne se passent pas ainsi pour l'amour des femmes : au contraire beaucoup ont été faits eunuques, mais n'ont pas pu éteindre la flamme intérieure qui les dévorait: c'est que la concupiscence réside dans d'autres organes que ceux dont on les avait privés, et qu'elle est placée dans le fond même de notre nature. Pourquoi ai-je dit tout cela? C'est pour montrer que les hommes cupides sont plus intempérants que les débauchés, parce qu'ils sont troublés par une passion moins forte; encore n'est-ce pas à proprement parler de la passion, c'est de la lâcheté. La concupiscence est si naturelle que ne s'approchât-on point d'une femme, la nature n'en agirait pas moins : mais il n'y a rien de tel pour l'amour de l'or.

« Que nous vivions religieusement dans le présent siècle». Quelle espérance avons-nous donc? Quelles récompenses obtiendrons-nous pour nos labeurs ? « En attendant », dit-il, « la bienheureuse espérance et l'avènement » : assurément on ne peut y voir rien de plus heureux, rien de plus désirable : ce sont là des biens que les paroles sont impuissantes à rendre, car ils dépassent la pensée. « En attendant », dit-il, « la bienheureuse espérance et l'avènement de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ». Où sont ceux qui prétendent que lé Fils est inférieur au Père? « Notre grand Dieu et Sauveur », dit-il. Lui qui a sauvé ses ennemis, que ne fera-t-il point lorsqu'il recevra dans le ciel ceux qui auront bien agi? « Notre grand Dieu ». En disant notre grand Dieu, il ne dit pas à quel point il est grand, il l'appelle grand d'une manière absolue. Au-dessous de lui personne ne pourra véritablement être appelé grand, car il sera grand par rapport à quelque chose, et celui qui est grand par comparaison, n'est pas grand par sa propre nature. Or ici le mot grand est employé sans comparaison.

« Qui s'est donné lui-même pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de nous purifier pour lui être un peuple qui lui appartienne en propre et qui soit zélé pour les bonnes oeuvres », c'est-à-dire un peuple élu et qui n'ait rien de commun avec les autres. « Zélé four les bonnes oeuvres ». Voyez-vous comme on exige de vous les bonnes couvres ? et on ne nous demande pas seulement des bonnes couvres, on veut que nous soyons zélés, c'est-à-dire que nous nous portions à la vertu avec la plus grande ardeur, avec toute la véhémence désirable. Ainsi, s'il en a arraché plusieurs aux maux qui les accablaient, à l'incurable maladie qui les travaillait, ç'a été un effet de sa bonté. Pour ce qui suivra, c'est notre affaire et la sienne. — « Enseigne ces choses, exhorte et reprends avec toute autorité. — Enseigne ces choses et exhorte ».

3. Voyez quels préceptes il adresse à Timothée : « Prêche la parole, reprends, censure ». (II Tim. IV, 2.) Il dit ici: « Enseigne ces choses, exhorte et reprends avec toute autorité ». Comme les Crétois étaient d'un naturel plus indocile, l'apôtre dit à son disciple d'employer la sévérité et de reprendre avec toute autorité. Il y a en effet des péchés qu'il faut réprimer d'autorité. Ainsi pour les richesses, c'est par des exhortations qu'il faut persuader aux (428) hommes de les mépriser; il faut se servir des mêmes moyens pour engager les auditeurs à être doux et honnêtes. Mais a-t-on affaire à un adultère, à un débauché, à un homme passionné pour les richesses, il est nécessaire d'user d'autorité afin de les convertir. Pour celui qui observe les présages, qui s'adonne à la divination et autres choses semblables, ce n'est pas seulement avec autorité, c'est avec toute autorité qu'on doit les ramener dans la bonne voie. Voyez-vous comme l'apôtre veut que Tite commande avec la plus grande autorité, la plus grande puissance?

« Que personne ne te méprise. Avertis-les d'être soumis aux principautés. et aux puissances, d'obéir aux gouverneurs, d'être prêts à faire toutes sortes de bonnes actions, de ne médire de personne, de n'être point querelleurs ». (III, 1.) Quoi donc? N'est-il pas permis de couvrir d'injures ceux qui ont une mauvaise conduite? « D'être prêts à faire toutes sortes de bonnes actions, de ne médire de personne ». Ecoutons cette exhortation : « De ne médire de personne ». Notre bouche doit être pure de toute injure; quand nos accusations seraient fondées, ce n'est pas à nous à les élever, c'est au juge à examiner les choses : « Mais toi, dit-il, pourquoi juges-tu ton frère? » (Rom. XIV, 10.) Si elles ne sont pas fondées, voyez à quelles flammes terribles vous vous exposez Entendez l'un dés larrons dire à l'autre : « Nous sommes dans la même condamnation », nous courons les mêmes risques. Si vous dites du. mal des autres, bientôt vous-même vous serez en butte à des attaques semblables. C'est pourquoi saint Paul nous avertit en ces termes : « Que celui donc qui croit rester debout, prenne garde qu'il ne tombe ». (I Cor. X, 12.)

« De n'être point querelleurs, mais retenus et montrant une parfaite douceur envers tous les hommes » , c'est-à-dire envers. les gentils et les juifs, les criminels et les méchants. Plus haut en effet il nous effrayait en parlant de l'avenir: « Que celui donc qui croit rester debout, prenne garde qu'il ne tombe»; mais ici il nous exhorte non en parlant de l'avenir, mais en rappelant le passé, c'est ce qu'il fait dans ce qui suit : « Car nous étions aussi autrefois insensés » ; et de même dans l'épître aux Galates : « Nous aussi, lorsque nous étions enfants , nous étions asservis sous les rudiments du monde». (Gal. IV, 3.)

C'est comme s'il disait: Tu ne feras de reproches à personne, car toi aussi tu as tenu la même conduite.

« Car nous étions aussi autrefois insensés, rebelles, égarés, asservis à diverses convoitises et voluptés, vivant dans la malice et dans l'envie, dignes d'être haïs, et nous haïssant l'un l'autre ». Nous devons donc être les mêmes avec tous et nous conduire avec douceur. Car celui qui s'est trouvé dans l'état dont parle l'apôtre, et qui ensuite a été délivré, ne doit pas accabler les méchants d'outrages, mais prier pour eux et rendre grâces à Dieu, qui lui a permis, à lui et aux autres, de se délivrer de leurs anciens maux. Que personne ne se glorifie, car tous ont péché. Lors donc que vous voudrez couvrir quelqu'un de boue, interrogez-vous avec équité, pensez à la conduite que vous avez tenue, à l'incertitude où vous êtes sur votre avenir, et retenez votre indignation. Quand vous auriez cultivé la vertu dès vos premières années, vous auriez cependant commis encore beaucoup de fau. tes; et si vous êtes purs, songez que vous ne le devez point à votre vertu, mais à la grâce de Dieu ; car s'il n'avait pas appelé à lui vos aïeux, vous seriez infidèles.

Voyez comme l'apôtre parcourt tout le domaine de la perversité. Dieu ne nous a-t-il pas dispensé, mille grâces par les prophètes, par tous les hommes ? Et l'avons-nous entendu? « Car nous étions aussi autrefois égarés; mais quand la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour. envers les hommes ont été manifestés, il nous a sauvés » ; comment cela? « Non par des oeuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa miséricorde, par le baptême de la régénération et le renouvellement du Saint-Esprit ». Eh quoi ! nous étions tellement plongés dans le vice, que nous ne pouvions nous purifier, mais que nous avions besoin de régénération ! C'est là en effet une régénération. Car lorsqu'une maison menace ruine, personne n'y met de support, ni ne répare les vieux bâtiments, mais on les renverse de fond en comble pour les relever et les renouveler. Il en est de même de Dieu: il ne répare pas un vieil édifice, il le reconstruit jusque dans ses fondements; c'est ce que veulent dire ces paroles : « Et le renouvellement du Saint-Esprit » ; il nous fait neufs depuis les pieds jusqu'à la tête, comment? par le Saint-Esprit. C'est ce que l'apôtre montre (429) encore d'une autre manière en ajoutant : «Lequel il a répandu en nous abondamment par Jésus-Christ notre Sauveur ». Ainsi nous avons un grand besoin de la miséricorde de Dieu. « Afin qu'ayant été justifiés par sa grâce », c'est encore par sa grâce et non par nos mérités, « nous soyons les héritiers de la vie éternelle «selon notre espérance». Il y a là tout à la fois exhortation à l'humilité et espérance des récompenses futures. Car si Dieu nous a sauvés, lorsque nous étions dans un état tellement désespéré qu'il nous fallait être renouvelés et sauvés par la grâce, puisque nous n'avions pas un seul bien en propre, à combien plus forte raison ne nous sauvera-t-il pas dans l'avenir ?

4. Il n'y avait rien de pire que la férocité humaine avant la venue de Jésus-Christ ; presque tous les hommes étaient en inimitié ou en guerre les uns avec les autres; les pères égorgeaient leurs fils, les mères entraient en fureur contre leurs enfants : il n'y avait rien de fixe, pas de loi naturelle, pas de loi écrite, tout était dans le plus grand désordre, il y avait continuellement des adultères, des meurtres, et des choses plus odieuses que le meurtre, s'il en est, des vols à chaque moment. Un auteur profane dit : Il semblait que lé larcin passât pour vertu, et ce n'est pas étonnant, si l'on voit qu'on adorait un dieu du vol : il y avait souvent des oracles qui ordonnaient de tuer tel ou tel. Raconterai-je un fait qui s'est passé alors? Androgée, un fils de Minos, étant venu à Athènes, et ayant été vainqueur dans les jeux, subit le suppliée et fut tué. Apollon, guérissant le mal par 1e mal, ordonna que pour le venger on enlèverait quatorze enfants à leurs familles et qu'on les ferait périr. Y a-t-il rien de plus cruel que cette tyrannie? C'est ce qui fut exécuté. Pour satisfaire la fureur du, dieu, il se trouva un homme qui égorgea ces enfants, car l'erreur régnait parmi ce peuple. Plus tard ils refusèrent ce tribut et brisèrent ce joug. Si cependant ils avaient eu raison d'égorger ces enfants, il ne fallait pas cesser de le faire; si, air contraire, c'était une injustice criminelle, comme de fait c'en était une, c'était mal de leur donner cet ordre dans le principe.

On adorait des lutteurs au pugilat ou à la palestre. Il y avait sans cessé la guerre dans les villes, dans les villages, dans les maisons. Les amours contre nature étaient communs, et un de leurs philosophes a porté une loi par laquelle il défendait aux esclaves ces sortes d'amours et de se frotter d'huile, réservant cela comme un privilège honorable aux hommes libres. Aussi le faisaient-ils au grand jour dans leurs maisons. Si on examine tout ce qui les concerne, on trouvera qu'ils ont insulté à la nature elle-même et que personne n'y mettait obstacle. Tout leur théâtre est rempli de crimes de ce genre, d'adultères et de débauches, d'impureté et de corruption. Il y avait des nuits entières passées dans des veillées abominables, et les femmes étaient appelées à ces spectacles. O souillure ! pendant la nuit, sous tous les yeux il y avait de ces veillées, et les vierges se trouvaient parmi des jeunes gens en délire au milieu d'une multitude ivre. Ces veillées se passaient dans les ténèbres, et. on y faisait des actions exécrables. C'est pourquoi l'apôtre dit : « Car nous étions aussi autrefois insensés, rebelles, égarés, asservis à diverses convoitises et voluptés ». Celui-ci, veut-il dire, a aimé sa belle-mère, celle-là a aimé son beau-fils, puis s'est pendue. Car pour l'amour qu'on porte aux enfants, et qu'on appelle la pédérastie, on ne peut pas même en parler. Mais quoi ! voulez-vous voir des fils épouser leurs mères? c'est ce qui s'est rencontré chez eux, et, ce qui est plus grave, cela arrivait par ignorance; et leur dieu, bien loin de s'y opposer, se riait de voir la nature outragée, quoique les plus illustres personnages fussent en cause. Mais si ceux qu'on devait s'attendre à voir cultiver la vertu, pour tout le moins dans le désir d'arriver à la gloire, sinon pour un autre motif, étaient si enclins à la perversité, qu'a-t-il dû en être, pensez-vous, de ceux qui menaient une vie obscure? Qu'y a-t-il de plus inconstant que ces plaisirs? Voilà une femme qui aime un certain Egisthe, et par condescendance pour cet adultère , elle tue son mari à son retour. Vous connaissez pour la plupart cette histoire. Le fils de la victime fait périr celui qui a souillé la couche de son père, il égorge même sa mère, ensuite il entre en démence et est agité par les furies, puis dans son délire il en tue un autre et lui prend sa femme. Y a-t-il rien qu'on puisse comparer à ces déplorables événements?

J'ai pris du dehors ces exemples pour montrer aux gentils combien de maux ont régné alors sur la terre. Mais, si vous le voulez, je m'en tiendrai aux saintes Ecritures : «  Ils (430) immolèrent aux démons leurs fils et leurs filles ». (Ps. CV, 35.) De leur côté, les Sodomites n'ont péri que pour avoir outragé la nature par de brutales amours. Au commencement même de la venue du Christ, la fille d'un roi n'a-t-elle pas dansé pendant un repas au milieu d'hommes ivres? n'a-t-elle pas demandé un meurtre et reçu pour prix de sa danse la tête d'un prophète? Qui célébrera les bienfaits de Dieu qui a mis fin à ces abominations ?

« Dignes d'être haïs et nous haïssant l'un l'autre ». En effet, lorsqu'on lâche la bride au plaisir, ce désordre doit nécessairement exciter partout des haines; au contraire, là où l'amour est joint à la vertu, personne ne peut rien ravir à personne. Ecoutez ce que dit saint Paul : « Ne vous trompez point vous-mêmes; ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni ceux qui commettent des péchés contre nature, ni les larrons, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants , ni les ravisseurs n'hériteront point le royaume de Dieu. Or vous étiez cela, quelques-uns de vous. » (I Cor. VI, 9.) Voyez-vous comme tous les genres de perversité étaient répandus, combien il y avait de ténèbres , et comment toute justice était violée? Car si ceux qui avaient le don de prophétie et qui voyaient d'innombrables vices, soit chez les autres peuples soit dans le leur, ne se modéraient pas cependant, mais commettaient mille fautes nouvelles, que ne devaient pas faire les autres? En Grèce, un législateur a ordonné que les jeunes filles combattraient nues sous les yeux des hommes. Combien n'avez-vous pas gagné en vertu, puisque vous ne pouvez pas même entendre parler de ces choses ? Voilà cependant ce dont ne rougissaient pas les philosophes, même l'un d'entre eux et le plus grand, va jusqu'à conduire les femmes à la guerre, et il veut qu'elles soient toutes à tous comme un entremetteur, un proxénète. — « Vivant dans la malice et dans l'envie ». En effet, si ceux qui s'adonnaient à la philosophie, portaient de telles lois, que dirons-nous de ceux qui ne s'y adonnaient pas? Si ceux qui avaient la longue barbe et le manteau des philosophes, tenaient .ce langage, que dirions-nous des autres?

Non, Platon, la femme n'a pas été faite pour être à tous. O vous qui renversez toutes choses, qui vous unissez à des hommes qui vous tiennent lieu de femmes, et qui conduisez à la guerre des femmes qui sous tiennent lieu d'hommes, c'est bien là l'oeuvre du diable,. que de tout confondre et bouleverser, que de s'attaquer à , l'ordre établi dès le commencement du monde, que de changer les lois données par Dieu même à la nature. Dieu en effet n'a accordé à la femme que la garde de la maison, à l'homme il a confié le soin des affaires publiques. Mais toi tu mets les pieds à la place de la tête et la tête à la place des pieds. Tu armes les femmes et tu n'en rougis pas ! Mais pourquoi m'arrêter à ce fait? Chez eux, à ce qu'ils racontent, on a vu une mère tuer ses enfants, et. ils ne rougissent pas, et ils n'ont pas honte de dire à des oreilles humaines ces faits exécrables.

« Mais quand la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour envers les hommes ont été manifestés, il noirs a sauvés, non par des oeuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa miséricorde, par le baptême de la régénération et le renouvellement du Saint-Esprit, lequel il a répandu abondamment en nous par Jésus notre Sauveur, afin qu'étant justifiés par sa grâce, nous soyons les héritiers de la vie éternelle, selon notre espérance ». Qu'est-ce à dire, « selon notre espérance? » Cela signifie : Puissions nous avoir lé bonheur que nous avons espéré; on peut encore lui donner ce sens : car vous êtes déjà les héritiers. « Cette parole est certaine ».Comme il parle des biens futurs et non de ceux de la vie présente, il a soin d'ajouter que ce qu'il dit est digne de foi. Ces choses sont vraies, dit-il, et c'est ce qui a été rendu évident par tout ce qui a précédé. Celui en effet qui nous a délivrés d'une telle iniquité, de tant de maux, nous accordera certainement les récompenses futures si nous persévérons dans la grâce : car c'est la même Providence qui s'étend à tout.

5. C'est pourquoi rendons grâces à Dieu et ne lançons contré les autres ni injures, ni accusations ; exhortons-les plutôt, prions pour eux, donnons-leur des conseils, quand même; ils nous outrageraient, quand même ils trépigneraient : car il faut s'attendre à cela de la part des malades. Mais ceux qui veulent les sauver, supportent tout., font tout, même lorsqu'ils n'obtiennent aucun résultat , afin de n'avoir pas à se reprocher à eux-mêmes d'avoir rien, négligé. Ignorez-vous que souvent, (431) lorsqu'un médecin désespère d'un malade, quelqu'un des parents de celui-ci lui dit : Donne de nouveaux soins, ne néglige rien, pour que je ne puisse pas m'accuser, me blâmer moi-même, pour que je n'aie pas le moindre motif de m'adresser des reproches. Ne voyez-vous pas tous les soins que les amis et les parents ont pour ceux qui les touchent? Que ne font-ils pas dans leur sollicitude ! Ils interrogent les médecins, ils sont toujours là.

Imitons-les, bien que notre inquiétude porte sur d'autres maux. En ce moment si son fils était atteint d'une maladie, un père n'hésiterait pas à entreprendre un long voyage pour l'en délivrer. Mais l'âme est-elle dans un mauvais état, personne n'y prend garde. Tous nous sommes languissants, tous nous sommes mous, tous nous sommes négligents et nous regardons avec indifférence nos enfants, nos femmes, nous-mêmes attaqués par un si grand mal. Ce n'est que plus tard que nous arrivons à en comprendre la gravité: mais songez combien il sera honteux, combien il sera risible de venir dire ensuite: Nous ne nous y attendions pas, nous ne croyions pas qu'il en serait ainsi. Ce ne sera pas seulement honteux, ce sera très-dangereux. Car si dans la vie présente c'est le propre des insensés de ne pas prévoir ce qui arrivera, combien cela n'est-il pas plus vrai encore, lorsqu'il s'agit de la vie future et que nous entendons tant de voix nous donner des conseils et nous dire ce qu'il faut faire, ce qu'il ne faut pas faire.

Attachons-nous donc à cette espérance, prenons souci de notre salut, et en toute circonstance, prions Dieu de nous tendre la mails. Jusqu'à quand serons-nous négligents ? jusqu'à quand serons-nous indifférents? jusqu'à quand ne ferons-nous aucun cas ni de nous-mêmes iiide nos compagnons d'esclavage ? Dieu a répandu abondamment en nous la grâce du Saint-Esprit. Pensons donc quelle bonté il nous a montrée, et à notre tour montrons-lui un zèle aussi grand; aussi grand, nous ne le pouvons pas, mais quand il serait plus petit, ne l'en montrons pas moins. Car si après avoir été visités par la grâce, nous retombons dans notre apathie, des supplices plus terribles nous sont réservés : « Si je ne fusse point venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient point de péché, mais maintenant ils n'ont point d'excuse de leur péché ». (Jean, XV, 22.) Mais loin de nous la pensée qu'on puisse dire cela de nous, puissions-nous au contraire mériter les biens promis à ceux qui aiment Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.

HOMÉLIE VI. ET JE VEUX QUE TU AFFIRMES CES CHOSES, AFIN QUE CEUX QUI ONT CRU EN DIEU AIENT SOIN LES PREMIERS DE S'APPLIQUER AUX BONNES CEUVRES : VOILA LES CHOSES QUI SONT BONNES Ex UTILES AUX HOMMES. MAIS RÉPRIME LES FOLLES QUESTIONS, LES GÉNÉALOGIES, LES CONTESTATIONS ET LES DISPUTES DE LA LOI, CAR ELLES SONT INUTILES ET VAINES. REJETTE L'HOMME HÉRÉTIQUE APRÈS LE PREMIER ET LE SECOND AVERTISSEMENT, SACHANT QU'UN TEL HOMME EST PERVERTI ET QU'IL PÈCHE, ÉTANT CONDAMNÉ PAR SOI-MÊME. (III, 8-15.)
 

Analyse.
 
 

1. Ne pas trop disputer avec les hérétiques.

2. Aller au-devant des besoins des pauvres. — Celui qui fait l'aumône gagne plus que celui qui la reçoit.

3. De la porte étroite, ce que c'est. — Les richesses comparées aux épines.

4. Il faut souffrir avec patience les maux qui nous arrivent. — Histoire de deux martyrs.
 
 

1. Après avoir parlé de la bonté de Dieu et de l'ineffable Providence avec laquelle il prend soin de nous, après avoir dit quels nous étions et quels il nous a faits, l'apôtre continue et dit: « Et je veux que tu affirmes ces choses, afin que ceux qui ont cru en Dieu aient soin les premiers de s'appliquer aux bonnes oeuvres » ; c'est-à-dire, il faut affirmer ces choses et par elles exciter les fidèles à l'aumône. En effet, ces paroles ne nous exhortent pas seulement à l'humilité, elles ne nous enseignent pas seulement que personne ne doit se glorifier, ni injurier autrui ; elles conviennent encore à toutes les autres vertus. Ainsi dons une épître (432) aux Corinthiens, saint Paul dit: « Vous connaissez la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, étant riche, s'est rendu pauvre pour vous, afin que par sa pauvreté vous fussiez rendus riches ». (II Cor. VIII, 9.) Ainsi donc par la pensée de la providence de Dieu et de son infinie bonté, il les exhorte à la pratique de l'aumône, mais non pas à l'aventure et négligemment, car que dit-il? « Afin que ceux qui ont cru en Dieu aient soin les premiers de s'appliquer aux bonnes oeuvres » c'est-à-dire qu'ils doivent porter secours à ceux qui sont lésés injustement, non-seulement en leur donnant de l'argent, mais encore en prenant leur défense, protéger les veuves et les orphelins, et remettre en sûreté tous ceux qui souffrent ; c'est là en effet « s'appliquer aux bonnes oeuvres ». — « Voilà », dit-il, « les choses qui sont bonnes et utiles aux hommes. Mais réprime les folles questions, les généalogies, les contestations et les disputes de la loi, car elles sont inutiles et vaines ».

Qu'entend-il par ces « généalogies? » Dans une épître à Timothée il en fait mention également en ces termes: « Les fables et les généalogies qui sont sans fin ». (I Tim. I, 4:) Peut-être ici et là fait-il allusion aux juifs qui étaient très-orgueilleux d'avoir pour ancêtre Abraham, et qui étaient négligents dans les choses qui les concernaient eux-mêmes. C'est pourquoi il appelle ces généalogies insensées et inutiles, car c'est de la démence que de mettre sa confiance en des choses inutiles.

Quant aux contestations avec les hérétiques, l'apôtre nous recommande de les éviter, pour ne pas nous fatiguer en vain; car en fin de compte nous n'y gagnerons rien. Lorsqu'il y a un homme assez pervers pour décider que, quoi qu'il arrive, il ne changera pas de sentiment, vous épuiserez-vous en vain à répandre la semence sur la pierre, au lieu d'orner les âmes des fidèles en leur parlant- de la charité et des autres vertus? Pourquoi donc l'apôtre dit-il dans un autre endroit: « Afin d'essayer si quelque jour Dieu leur donnera la repentance » (II Tim. II, 25), tandis qu'ici : « Rejette l'homme hérétique »,dit-il,« après le premier et le second avertissement, sachant qu'un tel homme est perverti et qu'il pèche, étant condamné par soi-même ? » Dans le premier passage il parle de ceux qu'on pouvait espérer devoir se corriger et qui résistaient seulement: mais dès qu'il s'agit d'un ennemi manifeste et connu publiquement pour tel, pourquoi combattre en vain, pourquoi porter vos coups dans le vide? Qu'entend-il par ces mots: « Etant condamné par soi-même ? » C'est que l'hérétique ne peut pas dire: Personne ne m'a enseigné, .personne ne m'a averti. Lors donc que malgré les avertissements il reste le même, il est condamné par son propre jugement.

« Quand j'aurai envoyé vers toi Artémas ou Tychique, hâte-toi de venir vers moi à Nicopolis ». — Que dis-tu, saint apôtre? Tu viens de placer la Crète sous son autorité, et de nouveau tu l'appelles vers toi. — Oui, mais ce n'est pas pour le détourner de ses devoirs, c'est pour lui donner plus de force. —En effet il ne l'appelle pas à lui pour qu'il l'accompagne et lé suive partout, écoutez en effet ce qu'il dit : « Car j'ai résolu d'y passer l'hiver ». Quant à Nicopolis, c'est une ville de Thrace. « Envoie devant Zénas ; homme de loi, et Apollon, et prends soin que rien ne leur manque ». On ne leur avait pas encore confié d'églises à gouverner; mais c'étaient des compagnons de saint Paul ; Apollon était véhément, il était savant dans les Ecritures et ha. bile à manier la parole. Pour Zénas, puisque c'était un homme de loi, il ne devait pas, diras-tu, être instruit par les autres. Mais ici par « homme de loi » il faut entendre qu'il était versé dans le droit judaïque, et ce que dit l'apôtre équivaut à ceci : Procure-leur tout en abondance, afin que rien ne leur manque.  « Que les nôtres aussi apprennent à être les premiers à s'appliquer aux bonnes oeuvres pour les usages nécessaires, afin qu'ils ne soient pas sans fruit. Tous ceux qui sont avec moi te saluent. Salue ceux qui nous aiment en la foi (par là il faut entendre ou bien ceux qui aiment Paul, ou bien les fidèles). Grâce soit avec vous tous. Ainsi soit-il ».

2. Pourquoi donc, saint apôtre, ordonnes-tu à Tite de fermer la bouche aux contradicteurs; s'il faut les éviter, lorsqu'il font tout pour leur perte ? —  Saint Paul dit très-bien qu'il ne faut jamais les réfuter en vue de leur être utile car jamais ils n'en retireront le moindre profit puisqu'ils ont l'âme pervertie. Mais s'ils veulent perdre aussi les autres, c'est alors qu'il faut lutter contre eux, les combattre, et leur résister de toutes ses forces. Si donc tu en vois d'autres se corrompre, et que tu sois dans la nécessité de parler, ne te tais point, ferme leur la bouche pour guérir ceux qui vont à (433) leur perte. Un homme qui a du zèle et qui est vertueux, ne peut pas toujours éviter le combat. Seulement qu'il ait soin de se conduire de la manière que je viens de dire. Car souvent l'inoccupation et une philosophie inutile font qu'on donne tous ses soins à la parole: or c'est se préparer un grand châtiment que de parler inutilement lorsqu'il faudrait ou enseigner, ou prier, ou rendre grâces. Il ne faut pas croire que nous devons épargner nos richesses, mais non, nos paroles : il faudrait plutôt encore être économes de celles-ci que de celles-là, et ne pas nous livrer sans réflexion à tout le monde.

Que veulent dire ces paroles : « Qu'ils apprennent à être les premiers à s'appliquer aux bonnes oeuvres? » C'est comme s'il y avait: Qu'ils n'attendent pas que les pauvres aillent vers eux, mais qu'eux-mêmes cherchent avec soin quels sont ceux qui ont besoin de leur aide. En effet, lorsqu'on se soucie des pauvres, c'est de cette manière qu'on s'en soucie, c'est avec le plus grand soin et le plus grand zèle, et, lorsqu'on agit ainsi, il y a moindre profit pour ceux qui acceptent que pour ceux qui donnent : car l'aumône donne accès auprès de Dieu. Au contraire, le combat dont nous avons parlé n'a jamais de fin, parce qu'il est très-difficile de corriger un hérétique. Or, de même que ce serait de la paresse, si l'on ne donnait pas ses soins à ceux dont on peut espérer la conversion, de même ce serait de la folie, ce serait une extrême démence que de perdre son temps auprès de ceux qui sont travaillés d'une maladie incurable : ce serait leur donner plus d'audace.

« Que les nôtres aussi apprennent à être les premiers à s'appliquer aux bonnes oeuvres pour les usages nécessaires, afin qu'ils ne soient pas sans fruit ». Remarquez-vous qu'il s'occupe plus de ceux qui donnent que de ceux qui reçoivent? Il pouvait sans doute les passer sous silence pour bien des raisons : mais, dit-il, je prends souci des nôtres. En quoi donc, dites-moi, l'apôtre veille-t-il à leurs intérêts.? Le voici si d'autres qu'eux découvrant ces trésors spirituels de l'aumône, se les appropriaient en nourrissant les docteurs, ils ne feraient, eux, aucun profit, ils resteraient sans fruit. Ainsi, dites-moi, le Christ, qui avec cinq pains a nourri cinq mille hommes, qui avec sept pains en a nourri quatre mille, n'aurait-il pas pu se nourrir lui-même, lui et ceux qui vivaient avec lui? Pourquoi donc se laissait-il nourrir par des femmes ? « Il y avait là des femmes qui le suivaient et le servaient ». (Marc, XV, 41.) Il nous apprend par là qu'il prend soin de ceux qui font le bien. Saint Paul ne pouvait-il pas ne rien recevoir de personne, lui qui de ses propres mains fournissait aux autres leur subsistance ? Vous le voyez cependant recevoir .et demander; pour quel motif? écoutez : « Ce n'est pas que je recherche des présents, mais je cherche un fruit abondant pour votre compte ». (Philipp. IV, 27.) Au commencement, lorsque, vendant tous leurs biens, les fidèles venaient en déposer le prix aux pieds des apôtres, vous voyez les apôtres s'inquiéter plus de ceux qui donnaient que de ceux qui recevaient. S'ils avaient eu peu de souci des pauvres, ils n'auraient pas puni Saphire et Ananie, lorsqu'ils eurent retenu une partie de leur argent. Quelqu'un leur commandait-il de tout donner à l'Eglise? ce n'est pas saint Paul, car il dit : « Non point à regret  ni par contrainte ». (II Cor. IX, 7.) Mais quoi ! saint apôtre, veux-tu être un obstacle pour les pauvres? — Nullement, répond-il, mais ce n'est pas à leur intérêt, c'est à celui des bienfaiteurs que je veille en ce moment. Voyez encore le prophète, il ne pense pas seulement aux pauvres lorsqu'il donne les meilleurs conseils à Nabuchodonosor, il ne dit pas seulement : Donne aux pauvres, mais: « Rachète tes péchés par des aumônes, et tes iniquités en faisant miséricorde aux pauvres » (Dan. IV, 24) ; c'est-à-dire : Répands tes richesses non pas seulement pour nourrir les autres, mais pour t'arracher toi-même au châtiment. De même le Christ dit : «Vends ce que tu as et le donne aux pauvres, puis viens et me suis ». (Matth. XIX, 21.) Voyez-vous ici encore que ce précepte était donné à ceux qui voulaient suivre Jésus? Comme les richesses sont un empêchement pour la vertu, il ordonne de les donner aux pauvres, et apprend à l'âme à être miséricordieuse, à mépriser l'or, à fuir l'avarice; car celui qui apprend à donner à celui qui n'a rien, apprendra ensuite à ne rien recevoir de ceux qui sont riches. C'est par là que nous nous rendons semblables à Dieu. Il y a plus de difficulté à rester vierge, à jeûner, à coucher sur la terre, mais rien n'a autant de force et de puissance que la miséricorde pour éteindre la flamme de nos péchés : c'est de toutes les vertus la plus grande, elle rapproche du souverain Maître lui-même ceux (434) qui la cultivent, et en cela il n'y a rien que de juste. Car être vierge, jeûner, coucher sur la dure, cela ne profite qu'à celui qui tient cette conduite, nul autre n'est sauvé par là; la miséricorde au contraire s'étend à tous et embrasse tous les membres de Jésus-Christ. Or il y a bien plus de grandeur dans les belles actions qui s'étendent à tous les hommes que dans celles qui ne servent qu'à un seul.

3. C'est cette compassion pour les pauvres qui est la mère de la charité, de la charité, dis-je, cette vertu qui caractérisé le christianisme, qui l'emporte sur tous les autres signes de la foi, et à laquelle on reconnaît les disciples du Christ. C'est le remède de nos fautes; c'est elle qui lave les souillures de notre âme, c'est l'échelle par laquelle nous montons au ciel, c'est elle qui réunit en un seul corps les membres de Jésus-Christ. Voulez-vous savoir quel grand bien est la charité? Au temps des apôtres tous vendaient leurs biens pour leur en apporter le prix qui était ensuite distribué: « Et il était distribué à chacun selon qu'il en avait besoin », (Act, IV, 35.) Dites-le-moi, et ici je laisse de côté les biens futurs, car nous ne parlerons pas encore du royaume éternel voyons seulement les biens de ce monde dites-le-moi, qui sont ceux qui gagnent à cela? Sont-ce ceux qui reçoivent ou ceux qui donnent? Ceux-là murmuraient et avaient entre eux des altercations, pour ceux-ci ils n'avaient qu'une âme : « Tous en effet n'étaient qu'un coeur et qu'une âme» ; la grâce était en eux tous, et ce qu'ils faisaient, ils le faisaient avec grande utilité pour eux. Mais ne voyez-vous pas que les autres y gagnaient aussi? Maintenant, dites-moi, au nombre desquels voudriez-vous être? est-ce au nombre de ceux qui se défaisaient de toutes leurs richesses et restaient sans rien, ou au nombre de ceux qui recevaient quelque chose des autres?

Voyez l'utilité de l'aumône : tous les obstacles, tous les empêchements sont enlevés et aussitôt toutes les âmes sont unies : « Tous n'étaient qu'un coeur et qu'une âme» ; ainsi, quand ce ne, serait pas pour faire l'aumône, il serait encore très-avantageux de donner ses richesses. Si j'ai tenu ce discours, c'est pour que ceux qui n'ont reçu aucun héritage de leurs parents, ne soient pas pour cela tristes et chagrins par la pensée qu'ils ont moins de biens que les riches : ils en ont plus, s'ils le veulent. Car il leur sera plus facile de faire l'aumône du peu qu'ils ont, comme cette veuve dont parlent les livres saints; ils n'auront aucune occasion d'entrer en intimitié avec leurs proches et ils seront les plus libres du monde: personne ne pourra les menacer de la confiscation , ils seront supérieurs à tous les maux. Ceux qui fuient nus donnent peu de prise à ceux qui veulent les saisir, tandis que celui qui est couvert et chargé de vêtements est facilement pris. Il en est de même du riche et du pauvre. Celui-ci, fût-il pris, échappera facilement; celui-là, fût-il libre, s'embarrassera lui-même dans ses propres filets, dans mille soucis, mille chagrins, mille sujets d'irritation et de colère: toutes ces choses accablent l'âme, mais ce n'est pas tout, il y a encore bien d'autres maux qui viennent à la suite des richesses.

Il est bien plus difficile pour le riche que pour le pauvre de se conduire avec modération; il est bien plus difficile pour le riche que pour le pauvre de vivre avec simplicité et d'éviter la colère. Mais, direz-vous, il aura une plus belle récompense. — Nullement. — Pourquoi? ne surmonte-t-il pas de bien plus grandes difficultés? — Oui, mais ces difficultés, il se les est préparées lui-même, car il ne lui était pas commandé d'être riche, au contraire, c'est lui-même qui se crée mille obstacles, mille empêchements. Les autres ne quittent pas seulement leur argent, ils soumettent encore leur corps à de nombreuses macérations. Car ils marchent dans la voie étroite. Mais toi, non-seulement tu conserves tes biens, tu donnes encore des aliments à la fournaise de tes passions, et tu te mets au milieu de nouveaux embarras. Va donc dans le grand chemin, c'est lui qui reçoit tes pareils; pour la voie étroite elle s'ouvre aux affligés, aux opprimés, à ceux qui n'ont pas d'autres fardeaux que ceux qu'on y peut porter, la miséricorde, la bonté, la probité, la douceur. Si c'est là ce dont tu es chargé, il te sera facile d'y entrer, mais si tues arrogant, orgueilleux, si tu es chargé d'épines, qu'on appelle les richesses, il te faudra une large voie. En effet, tu ne pourras pas percer la foule sans te heurter à beaucoup d'autres, lorsque tu feras effort pour avancer : il te faudra beaucoup d'espace. Celui qui porte l'or et l'argent véritables, je veux dire les bonnes oeuvres, ne blessera point je ne dis pas seulement ceux, qui se pressent à côté de lui, mais même ses parents, ceux avec lesquels il vit. Maintenant, si les richesses sont des épines, (435) que sera-ce du désir de les posséder? Pourquoi emportes-tu avec toi tes biens? Est-ce pour produire une plus grande flamme, en jetant tes fardeaux dans le brasier? N'y a-t-il donc pas assez de feu dans l'enfer? Vois comment trois enfants ont triomphé de la fournaise. Suppose que c'est l'enfer : c'est avec l'affliction qu'ils y tombèrent, liés et enchaînés qu'ils étaient : cependant ils y trouvèrent un large espace libre où ils étaient à l'aise; il n'en fut pas ainsi de ceux qui les entouraient.

4. Même maintenant il se produira quelque chose de semblable, si nous voulons résister avec une force virile aux tentations qui nous assiègent. Si nous avons espoir en Dieu, nous serons en sécurité, large et à l'aise; mais pour ceux qui nous auront persécutés, ils périront. Car, dit l'Ecriture : « Celui qui creuse une fosse y tombera». (Ecclés. XXVII, 29.) Qu'ils enchaînent nos pieds et nos mains; la torture même pourra nous délivrer de nos fers. Voyez une chose merveilleuse : voilà des hommes qu'on a liés, le feu les délie. En effet, qu'on livre à des esclaves .les amis de leurs maîtres, ceux-ci craignant- cette amitié, bien loin de leur faire mal, auront pour eux les plus grands égards; il en est de même du feu comme il savait que ces enfants étaient les amis de son maître, il rompit leurs fers, les délia et les mit en liberté, il était pour eux comme un tapis sur lequel ils se promenaient, et ce n'est pas sans raison, puisqu'ils avaient été jetés là pour la gloire de Dieu. Si nous sommes torturés, rappelons-nous ces exemples.

Mais, direz-vous, ceux-ci ont été délivrés de leurs tourments, mais il n'en sera pas de même de nous. C'est justice, car les enfants ne sont pas entrés dans la fournaise avec l'espérance d'être délivrés, mais avec la pensée qu'ils allaient mourir. Ecoutez-les en effet: « Il y a un Dieu dans le ciel qui peut nous délivrer; s'il n'en est rien, sache, ô roi, que nous ne servirons pas tes dieux, et que nous ne nous prosternerons point devant la statue d'or que tu as dressée ». (Dan. III, 17, 18.) Pour nous, nous mettons une sorte de condition aux épreuves que Dieu nous envoie, nous marquons la limite du temps et nous disons : S'il n'a pas pitié de nous d'ici au temps marqué; voilà pourquoi nous ne sommes pas délivrés. Lorsqu'Abraham allait vers la montagne du sacrifice, il ne croyait pas que son fils serait sauvé, il marchait avec l'intention de l'immoler, et contre son attente il le vit sauvé. Vous aussi, lorsque vous tomberez dans l'adversité, ne demandez pas d'être aussitôt délivrés,.disposez votre âme à tout supporter, et bientôt le malheur vous lâchera : car si Dieu vous l'inflige, c'est pour vous instruire. Lors donc qu'une fois nous avons été formés à le supporter patiemment et sans aigreur, il s'éloigne enfin de nous pour toujours, parce que tout est en bon ordre dans notre âme.

Je veux vous raconter un fait qu'il vous sera très-utile et très-profitable d'entendre. Quel est-il? Comme la persécution sévissait et que l'Eglise était troublée par une guerre violente, on se saisit de deux chrétiens, dont l'un était prêt à tout supporter, tandis que l'autre, qui aurait courageusement donné sa tête au bourreau, craignait et redoutait les autres tourments. Voyez comment Dieu a arrangé les choses. Lorsque le juge fut sur son siège, il ordonna qu'on couperait la tête à celui qui était prêt à tout, pour l'autre, il le fit torturer, non pas une ou deux fois, mais dans toutes les villes par lesquelles il passait. Or, pourquoi Dieu a-t-il permis cela? C'était assurément pour donner de la fermeté et de la vigueur au moyen des tourments, à l'âme qui n'avait pas été assez exercée. C'était pour lui enlever toute terreur, afin qu'elle ne craignît pas plus longtemps, qu'elle ne fût point lâche et ne tremblât pas pendant le supplice. De même, c'est au moment où Joseph faisait le plus d'efforts pour sortir de prison, qu'il y était retenu pour plus longtemps; écoutez-le « J'ai été dérobé du pays des Hébreux», dit-il, « mais souviens-toi de moi auprès de Pharaon ». (Genès. XL, 15.) Pourquoi était-il retenu? C'est pour qu'il apprît qu'il ne fallait pas mettre sa confiance dans les hommes, mais s'en rapporter entièrement à Dieu. Maintenant donc que nous savons cela, rendons grâces au souverain maître, et faisons tout ce qu'il convient, afin de gagner les biens éternels en Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui partage la gloire du Père et du Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

Bravo à  http://www.abbaye-saint-benoit.ch/bibliotheque.htm pour l'édition numérique originale
des oeuvres complètes de Saint Jean Chrysostome - vous pouvez féliciter le père Dominique qui a accompli ce travail admirable  par un email à portier@abbaye-saint-benoit.ch
pour commander leur cd-rom envoyez  11 Euros  à l'ordre de Monastère saint Benoit de Port-Valais
Chapelle Notre-Dame du Vorbourg
CH-2800 Delémont (JU)

www.JesusMarie.com