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Saint Jean Chrysostome
Commentaire sur l'Evangile selon Saint Jean

.COMMENTAIRE SUR
L'ÉVANGILE SELON SAINT JEAN.
 

 

 

 

Saint Jean Chrysostome — OEUVRES COMPLÈTES — TRADUITES POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS SOUS LA DIRECTION DE M. JEANNIN
Licencié ès-lettres, professeur de rhétorique au collège de l’Immaculée-Conception de Saint-Dizier, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Ce, Éditeurs 1865, TOME HUITIÈME Pages 93 à 556,

 

 

 

COMMENTAIRE SUR *

L'ÉVANGILE SELON SAINT JEAN. *

HOMÉLIE XLIV. *

JÉSUS LEUR RÉPONDIT : EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS LE DIS, VOUS ME CHERCHEZ, NON A CAUSE DES MIRACLES QUE VOUS AVEZ VUS, MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DONNÉ DU PAIN A MANGER, ET QUE VOUS AVEZ ÉTÉ RASSASIÉS. — TRAVAILLEZ " POUR AVOIR ", NON LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS CELLE , QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE. (VERS. 26, 27, JUSQU'AU VERS. 37.) *

HOMÉLIE XLV. *

ILS LUI DIRENT : QUE FERONS-NOUS, POUR FAIRE DES OEUVRES DE DIEU? - JÉSUS LEUR RÉPONDIT L'ŒUVRE DE DIEU EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU'IL A ENVOYÉ. — ILS LUI DIRENT : QUEL MIRACLE DONC FAITES-VOUS, AFIN QUE LE VOYANT NOUS VOUS CROYIONS ? QUE FAITES-VOUS D'EXTRAORDINAIRE? " (VERS. 28, 29.) *

HOMÉLIE XLVI. *

LES JUIFS SE MIRENT DONC A MURMURER CONTRE LUI DE CE QU’IL AVAIT DIT : JE SUIS LE PAIN VIVANT, QUI SUIS DESCENDU DU CIEL, ET ILS DISAIENT : N'EST-CE PAS LA JÉSUS FILS DE JOSEPH, DONT NOUS CONNAISSONS LE PÈRE ET LA MÈRE? COMMENT DONC DIT-IL QU'IL EST DESCENDU DU CIEL? (VERS. 41, 42, JUSQU'AU VERSET 53.) *

HOMÉLIE XLVII. *

JÉSUS LUI DIT : EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE L'HOMME, ET NE BUVEZ SON SANG, VOUS N'AUREZ POINT EN VOUS LA VIE ÉTERNELLE: — CELUI QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG, A LA VIE EN LUI-MÊME. (VERS. 54, 55, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XLVIII. *

DEPUIS CELA JÉSUS VOYAGEAIT EN GALILÉE, NE VOULANT POINT VOYAGER EN JUDÉE, PARCE QUE LES JUIFS CHERCHAIENT A LE FAIRE MOURIR. — MAIS LA FÊTE DES JUIFS, APPELÉE DES TABERNACLES, ÉTAIT *

PROCHE. (CHAP. VII, VERS. 1, 2, JUSQU'AU VERS. 8.) *

HOMÉLIE XLIX. *

AYANT DIT CES CHOSES, IL DEMEURA EN GALILÉE. — MAIS LORSQUE SES FRÈRES FURENT PARTIS, IL ALLA AUSSI LUI-MÊME A LA FÊTE, NON PAS PUBLIQUEMENT, MAIS COMME S'IL EUT VOULU SE CACHER. (VERS. 9, 1O, JUSQU'AU VERSET 24.) *

HOMÉLIE L. *

ALORS QUELQUES GENS DE JÉRUSALEM COMMENCÈRENT A DIRE : N'EST-CE PAS LA CELUI QU'ILS CHERCHENT POUR LE FAIRE MOURIR? — ET NÉANMOINS LE VOILÀ QUI PARLE DEVANT TOUT LE MONDE SANS QU'ILS LUI DISENT RIEN. — EST-CE QUE LES SÉNATEURS ONT VRAIMENT RECONNU QU'IL EST VÉRITABLEMENT LE CHRIST (1) ? — MAIS NOUS SAVONS CEPENDANT D'OU EST CELUI-CI. (VERS. 25, 26, 27, JUSQU'AU VERS. 36.) *

HOMÉLIE LI. *

LE DERNIER JOUR DE LA FÊTE, QUI ÉTAIT LE PLUS SOLENNEL, JÉSUS SE TENANT DEBOUT, DISAIT A HAUTE VOIX : SI QUELQU'UN A SOIF, QU'IL VIENNE A MOI, ET QU'IL BOIVE. — SI QUELQU'UN CROIT EN MOI, IL SORTIRA DES FLEUVES, D'EAU VIVE DE SON VENTRE, COMME DIT *

L'ÉCRITURE. (VERSET 37, 38, JUSQU'AU VERS. 44.) *

HOMÉLIE LII. *

LES GARDES RETOURNÈRENT DONC VERS LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES PHARISIENS QUI LUUR DIRENT POURQUOI NE L'AVEZ-VOUS PAS AMENÉ ? — LES GARDES LEUR RÉPONDIRENT : JAMAIS HOMME N'A PARLÉ COMME CET HOMME-LA. (VERS. 45, 46, JUSQU'AU VERS. 19 DU CHAP. VIII.) *

HOMÉLIE LIII. *

JÉSUS DIT CES CHOSES ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE, AU LIEU OU ÉTAIT LE TRÉSOR : ET PERSONNE NE SE *

SAISIT DE LUI, PARCE QUE SON HEURE N'ÉTAIT PAS ENCORE VENUE. (VERS. 20, JUSQU'AU VERS. 30.) *

HOMÉLIE LIV. *

JÉSUS DISAIT DONC AUX JUIFS QUI AVAIENT CRU EN LUI : SI VOUS PERSÉVÉREZ DANS MA DOCTRINE, VOUS SEREZ VÉRITABLEMENT MES DISCIPLES. — ET VOUS CONNAÎTREZ LA VÉRITÉ, ET LA VÉRITÉ VOUS RENDRA LIBRES. (VERS. 31, 32, JUSQU'AU VERS. 47.) *

HOMÉLIE LV. *

LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT DONC : N'AVONS-NOUS PAS RAISON DE DIRE QUE VOUS ÉTES UN SAMARITAIN ET QUE VOUS ÊTES POSSÉDÉ DU DÉMON? — JÉSUS LEUR REPARTIT : JE NE SUIS POINT POSSÉDÉ DU DÉMON : MAIS J'HONORE MON PÈRE. (VERS. 48, 49, JUSQU'A LA FIN DU CHAP. VIII.) *

HOMÉLIE LVI. *

COMME JÉSUS PASSAIT, IL VIT UN HOMME QUI ÉTAIT AVEUGLE DÉS SA NAISSANCE. — ET SES DISCIPLES LUI FIRENT CETTE DEMANDE : MAITRE, EST-CE LE PÉCHÉ DE CET HOMME, OU LE PÉCHÉ DE CEUX QUI L'ONT MIS AU MONDE, QUI EST CAUSE QU'IL EST NÉ AVEUGLE ? (CHAP. IX, VERS. 1, 2, JUSQU'AU VERS. 6.) *

HOMÉLIE LVII. *

JÉSUS, APRÈS LEUR AVOIR DIT CELA, CRACHA A TERRE, ET AYANT FAIT DE LA BOUE AVEC SA SALIVE, IL OIGNIT DE CETTE BOUE LES YEUX DE L'AVEUGLE ; – ET IL LUI DIT : ALLEZ VOUS LAVER DANS LA PISCINE DE SILOÉ. (VERS. 6, 7, JUSQU'AU VERS. 16.) *

HOMÉLIE LVIII. *

ILS DIRENT DONC DE NOUVEAU A L'AVEUGLE : ET TOI, QUE DIS-TU DE CET HOMME QUI T'A OUVERT LES YEUX? IL RÉPONDIT : C'EST UN PROPHÈTE. — MAIS LES JUIFS NE *

CRURENT POINT QUE CET HOMME EUT ÉTÉ AVEUGLE. (VERS. 17, 18, JUSQU'AU VERS. 34.) *

HOMÉLIE LIX. *

ET ILS LE CHASSÈRENT DEHORS. JÉSUS APPRIT QU'ILS L'AVAIENT AINSI CHASSÉ, ET L'AYANT RENCONTRÉ, IL LUI DIT : CROYEZ-VOUS AU FILS DE DIEU? — IL LUI RÉPONDIT : QUI EST-IL, SEIGNEUR, AFIN QUE JE CROIE EN LUI? (VERS. 35, 36, JUSQU'AU VERS. 13 DU CHAP. X.) *

HOMÉLIE LX. *

JE SUIS LE BON PASTEUR, ET JE CONNAIS MES BREBIS, ET MES BREBIS ME CONNAISSENT. — COMME MON PÈRE ME CONNAÎT, JE CONNAIS MON PÈRE : ET JE DONNE MA VIE POUR MES BREBIS. (VERS. 14, 15, JUSQU'AU VERS. 21.) *

HOMÉLIE LXI. *

OR, ON FAISAIT A JÉRUSALEM LA FÊTE DE LA DÉDICACE, ET C'ÉTAIT L'HIVER. — ET JÉSUS SE PRONRNANT *

DANS LE TEMPLE, DANS LA GALERIE, DE SALOMON, LES JUIFS S'ASSEMBLÈRENT AUTOUR DE LUI ET LUI DIRENT : JUSQUES A QUAND NOUS TIENDREZ-VOUS L'ESPRIT EN SUSPENS ? (VERS. 22, 23, 24, JUSQU'A LA FIN DU CHAP. X.) *

HOMÉLIE LXII. *

IL Y AVAIT UN HOMME MALADE, NOMMÉ LAZARE, QUI ÉTAIT DU BOURG DE BÉTHANIE, OU DEMEURAIT MARIE, ET MARTHE, SA SOEUR. — CETTE MARIE ÉTAIT CELLE QUI RÉPANDIT SUR LE SEIGNEUR UNE HUILE DE PARFUM. (CHAP. XI, VERS. 1, 2, JUSQU'AU VERS. 29.) *

HOMÉLIE LXIII. *

CAR JÉSUS N'ÉTAIT PAS ENCORE ENTRÉ DANS LE BOURG : MAIS IL ÉTAIT AU MÊME LIEU OU MARTHE L'AVAIT RENCONTRÉ. — CEPENDANT LES JUIFS QUI ÉTAIENT AVEC MARIE, ET LE RESTE. VERS. 30, 31, JUSQU'AU VERS. 40.) *

HOMÉLIE LXIV. *

MAIS JÉSUS, LEVANT LES YEUX EN HAUT, DIT CES PAROLES : MON PÈRE, JE VOUS RENDS GRACES DE CE QUE VOUS M'AVEZ EXAUCÉ. — POUR MOI, JE SAVAIS QUE VOUS M'EXAUCEZ TOUJOURS : MAIS JE DIS CECI POUR CE PEUPLE QUI M'ENVIRONNE, ETC. (VERS. 41, 42, JUSQU'AU VERS. 48.) *
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XLIV.
JÉSUS LEUR RÉPONDIT : EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS LE DIS, VOUS ME CHERCHEZ, NON A CAUSE DES MIRACLES QUE VOUS AVEZ VUS, MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DONNÉ DU PAIN A MANGER, ET QUE VOUS AVEZ ÉTÉ RASSASIÉS. — TRAVAILLEZ " POUR AVOIR ", NON LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS CELLE , QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE. (VERS. 26, 27, JUSQU'AU VERS. 37.)
ANALYSE.

1. Ne pas s'inquiéter de la nourriture du corps, mais de celle de l'âme ; d'un autre côté, ne pas abuser de ce précepte pour justifier la paresse.

2. Demander à Dieu ce qui convient de lui demander. — Les plaisirs et les afflictions, les biens et les maux de ce monde n'ont rien de réel. — Il ne faut donc ni désirer les uns, ni craindre les autres. — Dans l'autre monde tout est éternel, les supplices et les récompenses. — Belle peinture des biens de la vie présente et de ceux de la vie future.

1. La douceur et la clémence ne sont pas toujours utiles : souvent un maître a besoin d'user de paroles fortes et menaçantes. Par exemple, lorsque son disciple est lent et paresseux, il doit se servir de l'aiguillon pour le réveiller de son engourdissement. Le Fils de Dieu le fait ici et souvent ailleurs. Le peuple, s'approchant de Jésus, le flatte et lui dit: " Maître, [312] quand êtes-vous venu ici? " Jésus-Christ, pour montrer qu'il méprise les hommages des hommes, et qu'il n'a en vue que leur salut, leur répond avec sévérité, non-seulement afin de les. corriger, mais aussi pour leur découvrir leur pensée et la produire en public. Et que leur dit-il? " En vérité, en vérité je vous le dis " , termes qu'à coutume d'employer celui qui veut insister fortement sur ce qu'il avance, " vous me cherchez non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger, et que vous avez été rassasiés ". S'il les censure , s'il les réprimande, ce n’est pas avec rudesse, mais avec beaucoup de ménagement. Il ne leur dit pas : O gourmands ! hommes esclaves de vos estomacs, j'ai fait . cent miracles et vous ne m’avez pas suivi, et vous n'avez pas admiré les prodiges que j'ai opérés! Il leur dit avec beaucoup de douceur et de bonté : " Vous me cherchez, non à cause des miracles que: vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger; et que vous avez été rassasiés " ; parlant non-seulement des miracles passés, mais encore de celui qu'il venait de faire. C'est comme s'il disait : le miracle que j'ai fait ne vous a 'point touchés; vous venez parce que vous avez été rassasiés. En effet, ils firent bientôt voir eux-mêmes que Jésus-Christ ne leur disait pas cela par conjecture, puisqu'ils vinrent encore le chercher pour qu'il les rassasiât une seconde fois. C'est pour cette raison qu'ils disaient . "Nos pères ont mangé la manne dans le désert (31) " ; ils redemandent encore la nourriture charnelle , ce qui était certainement très-répréhensible. Mais Jésus-Christ ne s'arrête point à leur faire des réprimandes, il s'attache à les instruire, leur disant : " Travaillez " pour avoir, " non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle, et que le Fils de l'homme vous donne, parce que c'est en lui que Dieu le Père a imprimé son sceau et son caractère ". Ne vous inquiétez pas de cette sorte de nourriture, mais de la nourriture spirituelle.

Quelques-uns, pour vivre mollement dans l'oisiveté, abusent de ces paroles, comme si Jésus-Christ avait interdit le travail des mains l'occasion est bonne pour leur répondre , car ils discréditent pour ainsi dire tout le christianisme, et sont cause qu'on le tourne en ridicule comme encourageant la paresse. Mais écoutons auparavant ce que dit saint Paul. Quoi ? " Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir ". (Act. XX, 35.) Or, celui qui n'a rien, comment donnera-t-il? Pourquoi donc Jésus dit-il à Marthe : " Vous vous empressez et vous vous troublez dans le soin de beaucoup de choses : cependant une seule chose est nécessaire : Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera point ôtée". (Luc, X, 41, 42.) Et encore : " Ne soyez point en inquiétude pour le lendemain ". (Matt. VI, 34.) C'est à quoi, dis-je, il faut absolument répondre , non-seulement pour exciter les paresseux, si toutefois ils veulent bien nous écouter, mais encore de peur que les divines Ecritures ne paraissent se contredire. En effet, l'apôtre dit ailleurs : " Mais je vous exhorte de vous avancer et de vous rendre parfaits, de vous étudier, à vivre en repos, de vous appliquer chacun à ce que vous avez à faire; de travailler de vos propres mains, afin que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux qui sont hors de l'Eglise ". — (I Thess. IV, 10, 11, 12.) Et derechef: " Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais qu'il s'occupe, en travaillant des mains, à quelque ouvragé bon et utile, pour avoir de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence ". (Ephés. IV, 28.) Ici saint Paul n'ordonne pas de travailler simplement pour s'occuper, mais de si bien travailler qu'on puisse gagner de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence. Le même apôtre dit encore ailleurs : " Ces mains que vous voyez ont fourni à tout ce qui m'était nécessaire et à ceux qui étaient avec moi ". (Act. XX, 34.) Et aux Corinthiens : " En quoi trouverai je donc un sujet de récompense : en prêchant de telle sorte l'Evangile que je le prêche gratuitement ? " (I Cor. IX , 18.) Et : " Etant arrivé dans cette ville , il demeura chez Aquila et Priscille, et il y travaillait parce que leur " métier était de faire des tentes ". (Act. XVIII, 2, 3:) Ce sont ces dernières paroles du saint apôtre qui paraissent le plus combattre les premières, si l'on s'en tient à la lettre. Il est donc nécessaire de résoudre cette difficulté.

Que répondrons-nous donc? Ne point s'inquiéter ne veut -pas dire qu'il faut cesser de travailler, mais qu'il ne faut point s'attacher aux choses de ce monde, c'est-à-dire n'être point en inquiétude pour le repos du [313] lendemain et regarder ce soin comme superflu ; car celui qui travaille peut fort bien n'amasser pas pour le lendemain , celui qui travaille peut n'être point inquiet. En effet, l'inquiétude et le travail ne sont pas une même chose; Jésus-Christ et l'apôtre parlent ainsi , afin que celui qui travaille ne mette pas sa confiance dans son travail, mais songe seulement à gagner de quoi faire l'aumône. Au surplus, ce que le divin Sauveur dit à Marthe ne regarde pas le travail en lui-même, mais seulement le temps qu'il faut y consacrer. Il veut qu'on y ait égard et qu'on n'emploie pas celui du sermon à des oeuvres terrestres et charnelles. II ne lui dit donc pas cela pour la jeter dans la paresse, mais pour la porter à l'entendre. Je suis venu chez vous, dit-il, pour vous enseigner les choses nécessaires au salut, et vous. vous empressez pour nous donner à manger? Voulez-vous me bien recevoir et me servir un grand festin? Préparez d'autres mets, soyez attentive à ma parole, imitez l'amour et le zèle de votre soeur. Jésus-Christ ne défend donc pas l'hospitalité, Dieu nous garde de le dire; mais il nous apprend qu'à l'heure du sermon il ne faut point se livrer à d'autres occupations. Enfin quand il dit: " Travaillez pour avoir non la nourriture qui périt ", il ne veut pas dire qu'il faut vivre dans l'oisiveté; car c'est là principalement la nourriture qui périt. En effet, " c'est l'oisiveté qui enseigne tous les maux ". (Ecc. XXXIII, 29.) Mais il déclare qu'il faut travailler et donner à ceux qui sont dans l'indigence : voilà sûrement la nourriture qui ne périt point. Mais celui qui, menant une vie oisive, se livre à la bonne chère et à toute sorte de plaisirs, est véritablement un homme qui travaille pour la nourriture qui périt, et au contraire celui, qui, de,son propre travail, habille Jésus-Christ, lui donne à manger et à boire, personne, s'il n'a perdu l'esprit, ne dira que celui-là travaille pour la nourriture qui périt, lui à qui le royaume est promis, ainsi que les biens qui ne périssent point : voilà la nourriture qui demeure éternellement.

C'est donc avec raison que la nourriture dont ce peuplé se montrait si avide, Jésus-Christ l'appelle une viande qui périt, parce que ces hommes ne se mettaient point en peine d'être instruits des vérités de la foi, parce qu'ils ne s'appliquaient point à connaître qui était celui qui avait opéré le miracle des pains, ni par quelle puissance il l'avait fait, mais qu'ils ne se souciaient que d'une seule chose; de remplir, de rassasier leur ventre sans avoir rien à faire. J'ai nourri vos corps, dit le Sauveur, pour vous engager par là à rechercher une autre viande, une viande solide, qui demeure et qui nourrisse vos âmes ; mais vous courez encore après moi pour avoir la nourriture charnelle. Ainsi, vous ne comprenez point que ce n'est pas pour vous nourrir de cette viande imparfaite que je vous mène avec moi, mais pour vous en donner une qui n'est ni charnelle, ni temporelle, qui vous procurera la vie éternelle, qui ne nourrira pas vos corps, mais vos âmes. Après quoi, comme il avait dit de grandes choses de soi; en promettant de donner cette viande qui ne périt point, de peur que ses auditeurs ne se scandalisent encore de ces paroles, et pour les engager à le croire, il rapporte ce don au Père, car ayant dit : " Que le Fils de l'homme vous donnera ", il a ajouté : "Parce que c'est en lui que Dieu le Père a imprimé son sceau et son caractère ", c'est-à-dire le Père vous l'a envoyé pour cela, pour vous apporter cette viande; on peut expliquer encore cette phrase d'une autre façon, car Jésus-Christ dit aussi ailleurs : " Le Père a attesté que celui dont vous écoutez les paroles est Dieu véritable " (Jean, III, 33), c'est-à-dire il a manifestement fait connaître, et c'est là ce que ces paroles me paraissent insinuer, car ces mots : " Le Père a attesté ", ne veulent dire autre chose, sinon, il a montré, il a révélé par son témoignage. Car Jésus-Christ s'est fait connaître, il s'est manifesté lui-même, mais comme il parlait aux Juifs, il a produit le témoignage du Père.

2. C'est pourquoi, apprenons, mes très-chers frères, à demander à Dieu ce qu'il convient de lui demander. De quelque manière que tournent les choses temporelles, elles ne nous portent aucun préjudice. Si nous nous enrichissons, ce n'est qu'ici-bas que nous jouirons du plaisir que procurent les richesses. Si nous tombons dans la pauvreté, nous n'en souffrirons rien de fâcheux. Soit qu'il nous arrive du bien, soit qu’il nous arrive du mal , cela n'est nullement digne de nous causer de la joie ou de là tristesse. Ce sont là des choses qui ne méritent que le mépris et qui passent très-promptement. Et comme elles passent et n'ont qu'une existence éphémère, c'est justement qu'elles sont appelées une voie, un passage.

Mais les peines et les récompenses futures [314] sont également éternelles. C'est à quoi nous (levons donner tous nos soins et toute notre attention, afin d'éviter les unes et d'acquérir les autres. Des biens terrestres, quelle utilité peut-il nous en revenir? Ils sont aujourd'hui, demain ils s'envoleront; aujourd'hui c'est une belle fleur, demain une poussière que le Vent disperse; aujourd'hui un feu allumé, demain une cendre éteinte. Mais les biens spirituels ne sont pas de même nature. Toujours ils sont beaux, toujours ils sont fleuris, et chaque jour ils deviennent plus brillants. Jamais ces richesses ne périssent, jamais elles ne nous sont enlevées, jamais elles ne tarissent, elles ne nous causent point d'inquiétude, elles ne nous attirent jamais l'envie et la calomnie, elles ne ruinent point le corps, elles ne corrompent point l'âme, elles n'excitent point la jalousie ou l'envie : maux qui sont attachés aux richesses temporelles. La gloire spirituelle n'inspire ni orgueil, ni insolence, elle n'enfle point le coeur, jamais elle ne cesse, jamais fille ne s'obscurcit. La paix et les délices du ciel sont éternelles : toujours constantes , toujours immortelles, elles n'ont ni bornés ni fin. Je vous en conjure , mes chers frères, aspirons à cette vie; si nous la désirons, notes ne ferons aucun cas des choses présentes; au contraire ; nous les mépriserons , nous en rirons. Si quelqu'un nous appelle à fa cour, ce qu'on regarde comme un grand bonheur , soutenus et animés de l'espérance des biens éternels; nous refuserons d'y aller : car ce prétendu bonheur paraît vil et méprisable à une âme prévenue de l'amour des choses célestes. En effet, tout ce qui doit finir n'est point tant à désirer. Ce qui a une fin, ce qui est aujourd'hui et ne sera plus demain, quelque grand qu'il paraisse, est au fond très-petit et très-méprisable. Ne recherchons donc pas les biens qui périssent et s'évanouissent, mais ceux qui demeurent éternellement, afin que nous puissions les obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE XLV.
ILS LUI DIRENT : QUE FERONS-NOUS, POUR FAIRE DES OEUVRES DE DIEU? - JÉSUS LEUR RÉPONDIT L'ŒUVRE DE DIEU EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU'IL A ENVOYÉ. — ILS LUI DIRENT : QUEL MIRACLE DONC FAITES-VOUS, AFIN QUE LE VOYANT NOUS VOUS CROYIONS ? QUE FAITES-VOUS D'EXTRAORDINAIRE? " (VERS. 28, 29.)
ANALYSE.

1. La gourmandise est la ruine de l'âme.

2. Le pain de vie, ce que c'est.

3. La foi et la grue sont nécessaires pour le salut. — Jésus-Christ parle souvent de résurrection, pourquoi.

4. S'entretenir souvent de la résurrection , pour s'exciter à fuir le mal et à faire le bien. — Combien est salutaire la pensée des jugements de Dieu : l'avoir toujours présente, c'est le frein le plus fort et le plus efficace pour réprimer les passions. — Tous comparaîtront au tribunal de Jésus-Christ, les méchants et les bons, pour y recevoir tous selon leurs oeuvres ; les uns plus de honte, les autres plus de gloire. — Ce qui est visible est passager; ce qui est invisible est éternel. — La résurrection et le jugement détruisent le destin. — Rien n'arrive par une fatale nécessité, rien au hasard. — Ne rien oublier pour expier ici ses fautes et ses péchés. — La résurrection et le jugement sont certains : les gens sans foi, les incrédules seront traités comme ils le furent au, temps du déluge et de Loth. — La fin du monde surprendra les hommes. — Preuves de la résurrection et du jugement dernier.

1. Rien de plus honteux, rien de pire que la gourmandise : elle épaissit, elle hébète l'esprit et rend l'âme charnelle; elle ne lui permet pas de voir, elle; l'aveugle. Remarquer, mes [315] frères, comment tous ces malheurs sont arrivés aux Juifs. Dans leur voracité, ils ne pensent qu'aux biens temporels et nullement aux biens spirituels. Jésus-Christ, par des paroles mêlées de reproche et de douceur, veut les tirer de leur assoupissement, et toutefois ils ne se réveillent point, mais ils restent encore couchés par terre. Faites-y attention, je vous prie, le Sauveur leur avait dit : " Vous me cherchez, non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger et que vous avez été rassasiés ". Par ce reproche, il les aiguillonne, il les piqué ; il leur fait connaître la viande qu'ils doivent chercher, en leur disant : " Travaillez " pour avoir, " non la pourriture qui périt ". A quoi il ajoute la promesse de cette récompense : " Mais celle qui demeure pour la vie éternelle ". Ensuite il prévient leur objection, en disant que le Père l'a envoyé. Que répondent-ils donc? Ils parlent comme s'ils n'avaient rien ouï : " Que ferons-nous " , disent-ils, " pour faire des oeuvres de Dieu ? " Au reste, ils lui font cette demande, non pour apprendre et pour faire ce qu'ils auront appris, comme la suite le fait voir, mais pour l'engager à leur donner encore à manger et à les rassasier de nouveau. Que leur dit Jésus-Christ? " L'oeuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé ". A quoi ils répondent : " Quel miracle faites-vous, afin que le voyant nous vous croyions? Nos pères ont mangé la manne dans le désert ". On ne saurait voir pareille folie, pareille démence. Ils avaient encore devant leurs yeux le miracle des pains, et comme si Jésus n'en avait point fait, ils disaient : " Quel miracle faites-vous? " Ils ne lui laissent même pas le choix du miracle, mais ils prétendent lui imposer la loi de n'en point faire d'autres que celui qui avait été fait au temps de leurs pères. " C'est pourquoi ils disent : " Nos pères ont mangé la manne dans le désert". Par là ils espèrent le porter à faire un de ces miracles qui leur donne de quoi les nourrir charnellement.

En effet, pourquoi, de tous les anciens miracles, ne rappellent-ils que celui-là seul, quoiqu'alors Dieu en eût beaucoup fait dans l'Egypte, dans la mer, dans le désert, et ne font-ils mention que de celui de la manne? N'est-ce point parce qu'ils obéissaient en esclaves à leur gourmandise? Mais pourquoi, vous qui l'avez appelé prophète, qui avez voulu le faire

roi pour avoir vu un miracle, maintenant, comme s'il n'avait rien fait pour vous, êtes-vous ingrats et infidèles envers lui et lui demandez-vous un miracle, criant comme des Parasites et hurlant comme des chiens affamés? Quoi ! maintenant que votre âme tombe en défaillance, vous parlez avec admiration du miracle de la manne? Remarquez l'ironie, ils ne disent pas : Moïse a fait ce miracle; vous, que faites-vous? de crainte de l'irriter; mais ils lui adressent la parole avec beaucoup d'honnêteté et de respect, dans l'attente qu'il leur donnera à manger. Ils ne disent pas non plus : Dieu a fait ce miracle, mais vous, que faites-vous? de peur qu'ils ne parussent l'égaler à Dieu; et aussi, ils ne nomment pas Moïse, de peur qu'on ne croie qu'ils le mettent au-dessous de Jésus-Christ, mais ils lui présentent cet exemple : " Nos pères ont mangé la manne dans le désert ". Or Jésus-Christ leur pouvait répondre : Je viens de faire à l'instant un plus grand miracle que celui de Moïse, et je n'ai eu besoin ni d'une verge, ni de prières, mais j'ai tout fait par moi-même. Vous exaltez le miracle de la manne, et moi, je viens de vous donner du pain. Mais il n'était pas alors temps de parler ainsi : Jésus-Christ n'avait en vue que de les attirer et les engager à lui demander la viande spirituelle.

Observez, mes frères, avec quelle prudence Jésus leur répond : " Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, mais c'est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel (32). " Pourquoi n'a-t-il pas dit: Ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain, mais c'est moi qui vous l'ai donné? Pourquoi, au lieu de Moïse, a-t-il nommé Dieu, et s'est-il nommé lui-même au lieu de la manne? C'est parce qu'il avait affaire à des auditeurs fort simples et fort grossiers, comme il y paraît par ce qui suit. Car ces paroles qu'il avait dites au commencement.: " Vous me cherchez, non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger et que vous avez été rassasiés ", ne furent pas capables de les retenir et de réprimer leur gourmandise. Comme donc ils ne cherchaient uniquement qu'à manger, il les en reprit, mais ils ne se corrigèrent point et ne cessèrent pas de demander.

Quand Jésus-Christ promit à la Samaritaine de lui donner de l'eau, il ne lui nomma point le Père, mais il lui dit : " Si vous connaissiez [316] qui est celui qui vous dit : Donnez-moi à boire, vous lui en auriez peut-être demandé vous-même, et il vous aurait donné de l'eau vive " ; et encore : L'eau que je vous donnerai " (Jean, IV, 10) ; et il ne la renvoie pas au Père. Mais ici il parle du Père pour vous faire connaître quelle était la foi de la Samaritaine, et aussi quelle était la faiblesse et la grossièreté des Juifs.

La manne n'était donc pas le pain du ciel; pourquoi donc la dit-on un pain du ciel? On l'appelle le pain du ciel dans le même sens que l'Ecriture dit : " Les oiseaux du ciel " (Ps. VIII, 8), et aussi : " Et le Seigneur a tonné du haut du ciel ". (Ps. XVII, 15.) Le pain que le Père donne, Jésus-Christ l'appelle le pain véritable, non que le miracle de la manne fût faux, mais parce qu'il était une figure et non pas la vérité même.. Jésus-Christ, parlant de Moïse, ne s'élève point au-dessus de lui, parce que les Juifs ne lui donnaient pas encore la préférence sur Moïse, et qu'ils croyaient ce législateur plus grand que lui. Voilà pourquoi, ayant dit : " Moïse ne vous a point donné ", il n'a pas ajouté : C'est moi qui donne; mais il dit : C'est mon Père. Alors les Juifs répondirent : " Donnez-nous ce pain à manger " ; ils croyaient encore qu'il s'agissait d'un pain matériel et sensible; ils s'attendaient encore à contenter leur appétit. Voilà pourquoi ils accoururent si promptement. Que fait donc Jésus-Christ? Peu à peu il élève leur esprit, et il ajoute : " Le pain de Dieu est celui qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde (33) " ;. non-seulement aux Juifs, dit-il, mais aussi à tout le inonde. Il ne dit pas simplement la nourriture, mais une vie différente, de celle-ci : et il dit qu'il donne la vie, parce que ceux qui avaient mangé la manne étaient tous morts; mais les Juifs encore attachés à la terre, disent : " Donnez-nous ce pain (34) ". Sur quoi Jésus-Christ les reprend de ce, que, tant qu'ils ont cru recevoir une viande corporelle, ils sont venus à lui en foule; mais qu'aussitôt qu'ils ont appris que la viande qu'il leur voulait donner était spirituelle, ils ont cessé d'accourir, et il leur dit : " Je suis le pain de vie : celui qui vient à moi n'aura point du faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif (35). Mais je vous l'ai, déjà dit: vous m'avez vu, et vous ne me croyez point (36) ".

2. Jean-Baptiste le leur avait déjà dit d'avance : " Il rend témoignage de ce qu'il a vu et de ce qu'il a entendu, et personne ne reçoit son témoignage". (Jean, III, 32.) Jésus-Christ, de même : " Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu; et cependant, vous ne recevez point notre témoignage ". (Jean, II.) C'est pour les avertir et leur montrer qu'il ne s'étonne point de leur incrédulité, qu'il ne recherche point la gloire et qu'il n'ignore point les secrets,. soit présents, soit futurs, de leurs coeurs.

" Je suis le pain de vie ". L'évangéliste commence maintenant d'entrer dans l'exposition des mystères. Et premièrement, il découvre la divinité du Christ, en disant : " Je suis le pain " de vie " ; car il ne dit pas cela de son corps. Il parle de son corps vers la fin de ce chapitre: " Et le pain que je donnerai, c'est ma chair (52) ". Mais ici il parle de sa divinité. Il est le pain parce qu'il est Dieu, le Verbe, de même qu'ici il devient le pain céleste par la descente du Saint-Esprit. Au reste, Jésus-Christ n'apporté point ici de témoignages, comme dans lé sermon qui précède, parce qu'il avait celui des pains, et que les Juifs faisaient encore semblant de le croire. En entendant l'autre prédication, ils murmuraient, ils contestaient; voilà pourquoi il explique ici sa doctrine. Les Juifs, dans l'espérance d'avoir la nourriture corporelle, demeurent à l'écouter et ne se troublent point jusqu'à ce qu'ils se voient déçus dans leur attente. Mais Jésus-Christ ne se tait pas peur cela ; il leur dit, au contraire, bien des choses propres à les faire rentrer en eux-mêmes. Et ces hommes qui, pendant qu'ils mangeaient et se rassasiaient, l'avaient appelé prophète, maintenant se mettent en colère et le disent fils du charpentier. (Matth. XIII, 55.) Ils ne le traitaient pas de même lorsqu'il leur donnait à manger, mais ils disaient : " C'est ici le prophète ", et ils voulaient le faire roi. Au reste, ils paraissaient se fâcher et se mettre en colère lorsqu'il disait qu'il était descendu du ciel ; mais ce n'était point là le vrai sujet de leur colère : ce qui les irritait, c'était de n'avoir plus d'espérance de recevoir la nourriture corporelle. Et certes, si ces paroles les choquaient, que ne s'informaient-ils de Jésus, comment il était le pain de vie, comment il était descendu du ciel? mais au lieu de le faire, ils se mettent à murmurer.

Ce qui prouve manifestement que ce n'était point là de quoi ils s'offensaient, c'est que [317] Jésus-Christ disait: " C'est mon Père " qui vous " donne le pain "; ils ne dirent pas ; Priez-le de nous le donner, mais : Donnez-nous ce pain. Cependant Jésus-Christ n'avait pas dit C'est moi qui le donne, mais : " C'est mon a Père qui le donne ". Toutefois, leur avide gloutonnerie leur fait penser qu'il pouvait leur donner le pain. Dès lors, comment pouvaient-ils encore s'offenser, et cela, en s'entendant dire que c'était son Père qui le donnait? Quelle est donc la cause de leur colère Entendant qu'ils n'auraient plus a manger, ils né le croient plus, et ils couvrent leur incrédulité du prétexte qu'il disait des choses trop élevées. Voilà pourquoi Jésus dit: " Vous m'avez vu, et vous ne me croyez point ", double allusion et aux miracles et au témoignage des Ecritures : " Car, ce sont-elles ", dit-il, " qui rendent témoignage de moi " (Jean V, 39); et : " Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas ". (Ibid. 43); et : " Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres ? " (Ibid. 44.)

" Tous ceux que mon Père me donne viennent à moi : et je ne jetterai point dehors celui qui vient à moi (37) ". Ne voyez-vous pas que le divin Sauveur m'oublie rien pour le salut des hommes? Au reste, il a ajouté cela, de peur qu'il ne parût agiter des questions curieuses et inutiles, et parler témérairement. Et que dit-il ? " Tous ceux que mon Père me donne viendront à moi, et je les ressusciterai au dernier jour (40) ". Pourquoi Jésus parle-t-il de la résurrection, à laquelle participeront les pécheurs et les méchants, et en parle-t-il comme d'un don et d'une grâce qui est proprement pour ceux qui croient? Parce qu'il ne }'entend pas simplement de la résurrection générale, mais spécialement de la résurrection bienheureuse. Car ayant dit auparavant : " Je ne le jetterai point "; et : je n'en perdrai aucun (39) ", il parle ensuite de la résurrection. En effet, dans la résurrection générale, les uns sont rejetés, ainsi qu'il le dit : " Prenez celui-là et jetez-le dans les ténèbres extérieures ". (Matth. XXII, 13.) Les autres périssent, comme le déclarent ces paroles : " Craignez plutôt celui qui a le pouvoir de jeter dans l'enfer et l'âme et le corps ". (Luc, XII, 5.) C'est pourquoi, voici ce que signifient ces mots : " Je donne la vie éternelle : ceux qui auront fait de mauvaises oeuvres sortiront" des tombeaux pour ressusciter à leur, condamnation ; mais ceux qui en auront fait de bonnes en sortiront pour ressusciter à la vie ". (Jean, V, 29.) Ici donc Jésus-Christ parle de cette résurrection, qui est pour les bons.

Enfin, que veut dire le Sauveur par ces paroles : " Tous ceux que mon Père me donne viendront à moi? " il blâme les Juifs de leur incrédulité : il fait connaître que celui qui ne croit point en lui, désobéit à son Père. Toutefois, il ne le dit pas ouvertement, mais il le fait assez entendre : on aperçoit même qu'il le fait partout, pour montrer que ceux qui ne croient point , non-seulement l'offensent lui-même , mais encore son Père. Si c'est la volonté du Père que son Fils sauve tout le monde, et si c'est pour cela que son Fils est venu dans le monde, ceux qui. ne croient point sont rebelles à sa volonté. Lors donc que mon Père conduit quelqu'un, dit-il, rien ne l'empêche de venir à moi. Il continue ensuite d'expliquer sa parole, et il dit: " Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l’attire (44) ". Et cependant saint Paul déclare que " c'est lui qui les donne au Père : lorsqu'il aura remis son royaume à son Dieu et au Père ". ( I Cor. XV, 24.) Comme donc le Père, lorsqu'il donne, ne se prive point de ce qu'il donne; de même aussi le Fils, lorsqu'il a remis à son Père, né s'est privé de rien. Au reste, il est dit que le Fils donne au Père, parce que " c'est par lui que nous avons accès vers le Père ". (Ephés. II, 18.).

3. Ce mot : " Par lequel ", l'Ecriture le dit aussi du Père, comme dans ce passage : " Par " lequel vous avez été appelés à la société de son Fils " (I Cor. I, 9), c'est-à-dire par la volonté du père. Et encore : "Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n'est point la chair et le sang qui vous ont révélé ceci ". (Matth. II, 17.) En cet endroit, Jésus-Christ insinue à peu près ce que je vais dire : croire en moi ce n'est pas peu de chose, et on a besoin pour cela du secours de la grâce du ciel. Partout le Sauveur établit et confirme cette vérité; enseignant que l'âme courageuse qui est attirée de Dieu, a besoin de la foi.

Mais quelqu'un dira peut-être : Si tous ceux que le Père vous donne vont à vous, si tous ceux aussi qu'il attire vont à vous, et si personne ne peut venir à vous, s'il ne lui a été

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donné d'en-haut , ceux à qui le Père ne le donne point, sont exempts de tout péché. Ce sont là des paroles et des prétextes; car notre volonté est aussi nécessaire : d'être instruit et de croire cela dépend de la volonté. Mais ici, par ces paroles : " Ce que le Père me donne ", Jésus-Christ déclare seulement ceci : ce n'est pas une chose commune que de croire en moi, et cela ne dépend point du raisonnement humain, mais il faut la révélation d'en-haut; et une âme pieuse qui la reçoive. Cette parole : " Celui qui vient à moi sera sauvé ", veut dire que la divine Providence en aura grand soin , car c'est pour cela que je suis venu, et que j'ai pris une chair et la forme de serviteur. A quoi il ajoute : " Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé (38) ".

Que dites-vous, divin Sauveur? Est-ce que vous avez une volonté et le Père une autre? De peur donc que quelqu'un ne formât ce doute, sur-le-champ il l'ôte par ce qui suit : "La volonté de mon Père, qui m'a envoyé, est que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle (40) ". N'est-ce pas là votre volonté? Pourquoi dites-vous donc ailleurs : " Je suis venu pour mettre le feu " sur la terre, et que désiré-je, sinon qu'il " s'allume? " (Luc, XII, 49.) Si c'est donc là votre volonté, il est évident que vous n'avez qu'une seule et même volonté avec votre Père; en effet, Jésus-Christ dit encore ailleurs : " Comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ". (Jean, V, 21.)

Quelle est donc la volonté du Père? N'est-ce pas qu'il ne périsse aucun de tous ceux qu'il vous donne? Et voilà ce que vous voulez vous-même : votre volonté et la volonté :du Père ne sont donc pas différentes. De même, en un autre endroit, Jésus-Christ établit encore plus fortement son égalité avec le Père en disant : " Mon Père et moi nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure " (Jean, XIV, 23); c'est-à-dire : je ne suis venu que pour faire la volonté de mon Père, et je n'ai point d'autre volonté que celle de mon Père. Car: " Tout ce qui est à mon Père est à moi, et " tout ce qui est à moi est à mon Père ": (Jean, XVII, 10.) Donc si tout ce qui est au Père est également au Fils, si tout est commun entre le Père et le Fils, c'est avec raison que le Fils dit : Je ne suis pas venu pour faire ma volonté.

Mais ici Jésus-Christ ne s'explique pas si clairement, il remet à le faire dans la suite. Ces vérités sublimes, comme j'ai dit, il les cache encore et les couvre comme sous une ombre ; il veut montrer que s'il avait dit Telle est ma volonté, les Juifs l'auraient méprisé : il dit donc qu'il coopère à la volonté du Père, afin de les frapper davantage de, crainte et de terreur, de même que s'il disait : Que pensez-vous? Pensez-vous qu'en ne croyant point en moi vous me fâchiez? Vous irritez la colère de mon Père : " Car la volonté de celui qui m'a envoyé est que je ne perde aucun, de tous ceux qu'il m'a donnés (39) ". Le divin Sauveur déclare ici qu'il n'a nullement besoin de leur culte, et qu'il n'est pas venu dans son propre intérêt ou dans celui de sa gloire, mais pour leur salut; il l'a dit aussi dans le discours précédent : "Je ne tire point ma gloire des hommes"; et derechef : " Je dis ceci afin que vous soyez sauvés ". Toujours et partout il s'attache à leur faire connaître qu'il est venu pour leur salut. Au reste, il dit qu'il travailla, pour glorifier son Père, afin qu'ils ne puissent former aucun soupçon contre lui: Il fait voir plus clairement, par la suite, que c'est pour cette raison qu'il a parlé de la sorte: "Celui qui veut faire sa volonté ", dit-il, "cherche sa propre gloire; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé est véritable; et il n'y a point en lui d'injustice ". (Jean, VII, 18.) " La volonté de mon Père est que, quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ". (Jean, VI, 40.) Pourquoi Jésus-Christ parle-t-il si souvent de la résurrection? C'est afin que les Juifs ne jugent pas de la providence de Dieu seulement sur les choses de cette vie, afin que ceux qui ne jouissent pas des biens de ce monde ne se découragent pas, mais se consolent par l'espérance des biens futurs; et que ceux qui méritent le châtiment, s'ils ne le reçoivent pas en cette vie, ne bravent point pour cela la Providence ; mais qu'ils sachent qu'une autre vie les attend.

4. Mais si les Juifs n'ont, en aucune manière, profité de ces vérités, travaillons fortement nous-mêmes; mes frères, à en faire notre profit, en nous entretenant souvent de la résurrection. Si l'envie de nous enrichir, de [319] voler ou de commettre quelque mauvaise action nous agite et nous tourmente , aussitôt pensons à ce jour, et représentons-nous le tribunal auquel nous comparaîtrons; cette pensée réprimera la violence de nos passions et de nos désirs plus efficacement qu'aucun autre frein. Disons-le aux autres, disons-le-nous continuellement à nous-;mêmes : il y a une résurrection , il y a un tribunal redoutable et terrible. Si nous voyons quelqu'un qui se réjouisse et tire vanité de ses richesses, représentons-lui qu'il y a une résurrection et un jugement, et que tout ce qu'il possède de bien restera ici ; si nous trouvons une autre personne dans l'affliction , et gémissant sous le poids de ses calamités , représentons-lui la même chose , faisons-lui savoir que ses peines et ses afflictions finiront ; et si nous rencontrons un paresseux, un homme qui vive,dans la mollesse, crions-lui la même chose, apprenons-lui qu'il sera puni de sa paresse. Cette parole guérira mieux notre âme que tout autre remède que nous lui pourrions appliquer.

Sûrement il y a une résurrection , et cette résurrection n'est point éloignée, déjà elle est à la porte. " Encore un peu de temps ", dit saint Paul, " et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas " .(Héb, X, 37) ; et encore : " Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ " (II Cor. V, 10), c'est-à-dire et les méchants et les bons; ceux-là pour être couverts de honte et de confusion devant tout le monde, ceux-ci pour recevoir une plus grande gloire en présence de tons les hommes. Comme ici les juges punissent publiquement les méchants et comblent les bons de louanges et d'honneurs en présence de tout le monde, il en sera de même à ce jugement, afin que les uns aient plus de confusion, les autres plus de gloire.

C'est pourquoi, faisons tous les jours de ces vérités le sujet de nos méditations. Si elles nous sont toujours présentes , rien de ce monde, rien de ce qui passe ne sera capable de nous attacher. En effet, ce qui est visible est passager, ce qui est invisible est éternel. Disons-nous donc souvent et réciproquement les uns aux autres : il y a une résurrection , il y a un jugement où il nous faudra rendre compte de nos oeuvres. Tous ceux qui croient au destin, qu'ils se le disent, et bientôt ils seront délivrés de cette horrible maladie. Car s'il y a une résurrection et un ,jugement, il n'y a point de destin, en dépit de l'acharnement des impies obstinés à le soutenir. Mais j'ai honte d'enseigner à des chrétiens qu'il y a une résurrection; être encore à apprendre qu'il y en a une, sûrement c'est n'être pas chrétien; c'est n'être pas chrétien que de n'être pas persuade: qu'il n'y a point de fatale nécessité, que rien ne se fait au hasard ni à l'aventure; c'est pourquoi je vous prie et je vous conjure, mes frères, de vous délivrer et de vous purifier de toutes vos fautes et de tous vos péchés, et de faire tous vos efforts pour en obtenir le pardon et la rémission au jour du jugement.

Mais quelqu'un dira peut-être : Quand la consommation viendra-t-elle, quand arrivera la résurrection? Combien déjà s'est-il passé de temps. sans qu'il arrivât rien de pareil? Mais sûrement ce temps viendra, croyez-le. Avant le déluge les hommes parlaient de même et se moquaient de Noé; mais le déluge arriva, et il engloutit dans ses eaux tous ces incrédules; celui-là seul qui avait cru fut sauvé. Et au temps de Loth les hommes ne s'attendaient pas que Dieu leur enverrait cette plaie terrible, jusqu'à ce que le feu et la foudre tombant du ciel les consumèrent tous. Or, ni alors, ni au temps. de Noé, il n'y eut aucun signal pour avertir de ce qui devait arriver ; mais lorsque tous étaient occupés à faire des festins, à boire, à s'enivrer, ce fut alors que tout à coup ces horribles maux fondirent sur eux; il en sera de même de la résurrection, rien ne l'annoncera; quand nous serons en pleine allégresse, elle arrivera. Voilà pourquoi saint Paul dit : " Lorsqu'ils diront : Nous voici en paix et en sûreté, ils se trouveront surpris tout d'un coup d'une ruine imprévue, comme l'est une femme grosse des douleurs de l'enfantement, sans qu'il leur reste aucun moyen de se sauver ". (I Thess. V, 3.) Au reste, la divine Providence l'a ainsi ordonné, afin que nous nous tenions toujours prêts et que nous ne nous croyions pas en sûreté, même lorsque nous ne voyons rien à craindre.

Que répondez-vous ? Vous ne croyez pas qu'il y aura une, résurrection et un jugement? Les démons mêmes le croient et le confessent hautement, et vous ne le croyez pas? " Etes-vous venu ici ", disent-ils, " pour nous tourmenter avant le temps? " (Matth. VIII, 29.) Or, ceux qui disent qu'il y aura des tourments reconnaissent sans doute qu'il y a un [320] jugement, qu'il faudra rendre compte, de ses oeuvres et qu'il y a un enfer. Par nos folies, par. nos extravagances, par nos incrédulités, n'attirons donc point sur nous la colère de Dieu. Comme Jésus-Christ nous a précédés dans les autres choses, en ceci encore il nous précédera. En effet, c'est pour cela qu'il est appelé " le premier né d'entre les morts ". (Col. I,18.) Que s'il n'y avait point de résurrection, comment pourrait-il être le premier né d'entre les morts, aucun d'entre les morts ne marchant à sa suite? S'il n'y a point de résurrection, comment sauvera-t-on la justice de Dieu, lorsque tant de méchants vivent dans la prospérité, et que tant de justes passent leur vie dans la, peine et les afflictions ? Où chacun d'eux recevra-t-il selon ses oeuvres et ses mérites, s'il n'y a point de résurrection? Cette résurrection; nul de ceux qui vivent bien ne refuse d'y croire ; les: gens de bien soupirent sans cesse après cet heureux jour, répétant cette seule parole . " Que votre règne arrive ". (Matth. VI, 10.) Qui sont donc ceux qui n'y croient point? Ce sont ceux qui marchent dans les voies de l'iniquité et qui vivent, dans l'impureté du péché, comme dit le prophète : Ses voies sont souillées en tout temps " vos jugements ne se présentent point devant sa vue. ". (Ps. IX, 26, 27.) Non, il n'est point, d'homme, il n'en est point, qui, menant une vie pure et sainte, ne croie la résurrection: Et tous ceux quine se sentent coupables d'aucun mal, disent, espèrent et croient qu'ils recevront une récompense.

N'irritons donc point la colère de Dieu, mais écoutons ce qu’il dit : " Craignez celui qui peut perdre et l'âme et le corps dans l'enfer " (Matth. X, 28), afin que, corrigés par la crainte et préservés de cette perdition, nous soyions jugés, dignes d'entrer dans le royaume des cieux, que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et à soi, adorable, très-saint et vivifiant Esprit, maintenant et toujours,, et dans les siècles éternels ! Ainsi soit-il. .
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XLVI.
LES JUIFS SE MIRENT DONC A MURMURER CONTRE LUI DE CE QU’IL AVAIT DIT : JE SUIS LE PAIN VIVANT, QUI SUIS DESCENDU DU CIEL, ET ILS DISAIENT : N'EST-CE PAS LA JÉSUS FILS DE JOSEPH, DONT NOUS CONNAISSONS LE PÈRE ET LA MÈRE? COMMENT DONC DIT-IL QU'IL EST DESCENDU DU CIEL? (VERS. 41, 42, JUSQU'AU VERSET 53.)
ANALYSE.

1. Dieu attire à lui les hommes sans détruire leur liberté ; réfutation des Manichéens sur ce sujet.

2. Différence entre la manne et le véritable pain, de vie.

3 et 4. Grandeur et excès de l'amour de Jésus-Christ dans, la divine Eucharistie. — Quel amour nous-mêmes ne devons-nous pas avoir pour lui. — Effets admirables de cet auguste, sacrement ; Jésus-Christ, de lui et de nous, ne fait qu'un seul, corps, dont il est le Chef, et nous les membres. — Il a pris notre chair pour être de même nature que nous. — vertu du sang de Jésus-Christ. — Economie et dispensation de ce précieux sang. — Les mystères que Jésus-Christ à confiés à son Église, l’autel sur lequel il est immolé, sont véritablement terribles et redoutables. — De la sainte Table sortent des sources d'eau et de lumière : leurs effets.— Ceux qui participent aux saints mystères deviennent tout d'or. — Le sang de Jésus-Christ est le prix de la rédemption de tout le monde : c'est avec quoi il a acheté et embelli l’Église son épouse. — Selon les dispositions avec lesquelles on approche de la sainte Table, on y reçoit ou la vie ou la mort : Quiconque reçoit indignement le corps de Jésus-Christ, sera puni comme ceux qui l'out crucifié. — Veiller, être attentif sur soi, penser aux biens dont le Seigneur nous a comblés : cette pensée calme les passions et les réprime.

1. Saint Paul, écrivant aux Philippiens, dit de quelques-uns d'entre eux, " qu'ils font leur

Dieu de leur ventre, et qu'ils mettent leur gloire dans leur propre honte " ( III, 19) : [321] Que la même chose pouvait se dire aussi des Juifs, ce qui précède le fait voir, et aussi ce que disaient ceux qui venaient trouver Jésus-Christ. Car quand il leur donnait à manger et qu'il les rassasiait, ils l'appelaient prophète et le voulaient faire roi; mais lorsqu'il leur fait connaître la nourriture spirituelle et la vie éternelle; lorsqu'il les détourne des choses terrestres, lorsqu'il leur parle de la résurrection et qu'il élève leur esprit, lorsqu'enfin ils devaient le plus l'admirer; c'est alors qu'ils se mettent à murmurer, et qu'ils se retirent. Cependant s'il était le prophète, comme auparavant ils l'avaient reconnu en disant : " Voici celui de qui Moïse a parlé : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophète comme moi, d'entre vos frères, c'est lui que vous écouterez " (Deut. XVIII, 15); ils devaient donc l'écouter quand il disait : " Je suis descendu du ciel ". Mais ils ne l'écoutaient point, et au contraire ils se mettaient à murmurer, gardant néanmoins encore quelque respect pour lui, à cause du miracle qu'il venait de faire pour eux : c'est aussi pour cette raison qu'ils ne le contredisaient pas ouvertement, quoique par leurs murmures ils fissent assez éclater leur dépit et leur colère, de ce qu'il ne leur donnait pas la nourriture qu'ils désiraient. Et en murmurant ils lui faisaient ce reproche : " N'est-ce pas là le fils de Joseph? " ce qui montre qu'ils n'avaient nulle connaissance de son admirable génération; c'est pour cela qu'ils l'appelaient encore fils de Joseph. Et toutefois le divin Sauveur ne les reprend point, il ne leur dit pas : Je ne suis point le fils de Joseph : non qu'il fût le fils de Joseph, mais parce qu'ils n'étaient pas encore capables d'entendre parler de son admirable génération. Que s'ils ne pouvaient point encore comprendre sa naissance charnelle, bien moins auraient-ils compris sa génération ineffable et céleste. S'il ne leur découvrit pas le secret de sa naissance terrestre, à plus forte raison n'aurait-il pas entrepris de leur révéler un mystère aussi sublime. Cependant c'était pour eux un sujet de scandale que de le croire de naissance vulgaire: néanmoins, il ne leur découvre pas la vérité, de peur qu'en étant une pierre d'achoppement, il ne fît qu'en mettre une autre à la place.

A ces murmures, que répond donc Jésus-Christ? " Personne ne peint venir à moi, si mon Père qui m'a envoyé ne l'attire (44) ".

Les manichéens s'emparent de ces paroles malentendues pour s'élever contre la liberté de l'homme, et dire que nous ne pouvons rien faire de nous-mêmes, et toutefois ces paroles prouvent invinciblement que notre volonté est libre et qu'il dépend de nous de vouloir. Eh quoi ! si l'on peut venir à lui, dit le manichéen, quel besoin a-t-on d'être attiré? Mais que le Père nous attire, cela ne détruit pas notre libre arbitre, cela fait seulement connaître que nous avons besoin d'aide et de secours : le Sauveur ne dit point que, pour venir, on a besoin d'un grand secours. Il montre ensuite de quelle manière le Père attire. Car, de peur que les Juifs ne se figurent ici encore une action sensible, il ajoute : " Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père, si ce n'est celui gui est né de Dieu, c'est celui-là qui a vu le Père (46) ". Comment attire-t-il ? dit le manichéen. Déjà depuis longtemps un prophète l'a expliqué par ces paroles : " Ils seront tous enseignés de Dieu (45) ". Remarquez ici, mes frères, quelle est la dignité et l'excellence de la foi : Ceux que le Père attire, ne sont point instruits par les hommes, ni par le ministère d'un homme, mais par Dieu même. C'est pourquoi, afin de persuader ce qu'il dit, il les renvoie aux prophètes. Et s'il est dit que tous seront enseignés de Dieu, objecte encore le manichéen, pourquoi en est-il qui ne croient pas ? parce que ce que dit là le prophète, il le dit seulement de la plupart : à le bien prendre, il ne parle pas absolument de tous, mais de tous ceux qui voudront " croire". En effet, le Maître se présente à tous, prêt à les enseigner tous, à leur donner sa doctrine qu'il répand sur tous.

" Et je le ressusciterai au dernier jour ". Dans ces paroles la dignité du Fils éclate merveilleusement. Le Père attire, et le Fils ressuscite. L'Ecriture ne divise point les oeuvres du Père et du Fils : et comment le pourrait-elle? mais elle montre une égalité de puissance, de même qu'en cet endroit : " Et mon Père qui m'a envoyé rend témoignage de moi ". Après, de peur que quelques-uns ne cherchassent avec trop de curiosité à sonder ces paroles, il les a renvoyés aux Ecritures; ici de même il les renvoie aux prophètes, il les leur cite fréquemment, pour leur faire voir qu'il n'est pas contraire au Père.

Mais, direz-vous, auparavant par qui les hommes ont-ils été enseignés ? est-ce qu'ils [322] n'ont pas été enseignés de Dieu? qu'est-il en ceci de si extraordinaire et de si admirable? C'est qu'alors des hommes servaient de ministres pour instruire les hommes des choses divines, et que maintenant c'est Jésus-Christ et le Saint-Esprit qui les instruisent. Jésus-Christ conclut ensuite par ces paroles : " Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père; si ce n'est celui qui est né de Dieu " : où il ne parle pas de ceux qui sont nés de Dieu en tant que cause, mais de celui qui est engendré de sa substance. S'il disait : Nous sommes tous nés de Dieu, on dirait: En quoi donc le Fils l’emporte-t-il sur les autres, en quoi diffère-t-il d'eux?

Et pourquoi, dira-t-on encore, ne l'a-t-il pas plus clairement expliqué ? c'est à cause de la faiblesse et de la grossièreté des Juifs. Si, lorsqu'il a dit : " Je suis descendu du ciel ", ils s'en sont si fort scandalisés, ne se seraient-ils pas encore beaucoup plus scandalisés et irrités, s'il avait dit: Je suis engendré de la propre substance du Père? Il se dit le pain de Dieu, parce que c'est lui qui nous donne cette vie et la vie future. Voilà pourquoi il ajoute: " Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement (52) ". Mais ici Jésus-Christ appelle pain la doctrine du salut et la foi en lui, ou bien son corps; car l'une et l'autre chose fortifie et vivifie l'âme. Cependant il a dit ailleurs " Celui qui écoutera ma parole, ne mourra jamais " (Jean, VIII, 52), et ils s'en sont scandalisés. Maintenant ils ne se scandalisent point, peut-être, parce qu'ils le considéraient et le respectaient encore à cause des pains qu'il leur avait donnés à manger.

2. Remarquez, mes frères, la différence que met le divin Sauveur entre ce pain et la manne, différence qu'il tire de l'effet que produisent l'un et l'autre. Premièrement, il montre que la manne n'a rien produit de nouveau, en disant : " Vos pères ont mangé la manne dans le désert; et ils sont morts (49) ". En second lieu, il s'attache principalement à les convaincre qu'ils ont reçu de beaucoup plus grands biens que leurs pères, faisant allusion par là à Moïse même et aux hommes admirables de ce temps. C'est pourquoi, ayant dit que ceux qui avaient mangé la manne étaient morts, il a incontinent ajouté : " Celui qui mange de ce pain, vivra éternellement ". Or, ce n'est pas sans raison qu'il a mis ce mot: " Dans le désert ". C'est pour leur faire entendre que la manne n'a pas duré longtemps et qu'elle n'est pas venue jusque dans la terre promise, mais ce pain n'est pas de même nature. " Et le pain que je donnerai, c'est ma chair que je dois livrer pour la vie du monde (52) ".

Il est probable que quelqu'un demandera ici avec étonnement quelle était l'opportunité d'un langage qui, loin d'être utile ou édifiant, ne pouvait que nuire à ceux qui étaient déjà édifiés. " Dès lors ", dit l'évangéliste, " plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite (Jean, VI, 67) et dirent : Ces paroles sont bien dures, et qui peut les écouter? " (Ibid. 61.) En effet, Jésus-Christ aurait pu ne découvrir et ne communiquer ces mystères qu'à ses disciples seuls, comme dit saint Matthieu : " Etant en particulier, il expliquait tout à ses disciples". (Matth. XIII, 36.) Que répondrons-nous à cela ? Nous répondrons qu'aujourd'hui encore de telles paroles sont très-utiles et très-nécessaires. Comme les Juifs pressaient instamment Jésus-Christ de leur donner des viandes à manger, mais des viandes corporelles et sensibles; et que, rappelant la nourriture qui avait été donnée à leurs pères, ils vantaient la manne comme quelque chose de grand, il voulut leur faire connaître que ces choses n'étaient que des ombres et des figures, et que la nourriture qu'il leur promettait était seule la vérité : voilà pourquoi Jésus leur parle de cet aliment spirituel.

Mais, repartirez-vous, il fallait dire : Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et moi je vous ai donné du pain. Mais la différence était grande : les Juifs regardaient le pain comme inférieur à la manne, parce que celle-ci était tombée du ciel, et que le miracle des pains avait été fait sur la terre. Comme donc ils demandaient une nourriture qui leur fût envoyée du ciel, c'est pour cela même que le divin Sauveur leur disait souvent : " Je suis descendu du ciel ". Que si quelqu'un demande pourquoi il leur a parlé des mystères, nous répondrons que c'était là , un temps propre. à les en entretenir. L'obscurité des paroles excite et réveille toujours l'auditeur et le rend plus attentif. Ils né devaient donc pas se,choquer, ni s'en scandaliser; mais plutôt il fallait interroger, chercher à s'éclaircir et à s'instruire; loin de là, ils se retirent. Ils l'appelaient prophète : s'ils le croyaient tel, il fallait donc ajouter foi à ce qu'il disait. C'est pourquoi, qu'ils se soient choqués et scandalisés, [323] cela vient uniquement de leur folie et non de l'obscurité des paroles. Considérez ici, je vous prie, mes frères, de quelle manière le Sauveur gagne le coeur de ses disciples et se les attache; car ce sont eux qui lui disent . " Vous avez les paroles de la vie éternelle : à qui irions-nous, Seigneur (69)? "

Au reste, Jésus-Christ dit ici que c'est lui-même qui donnera; il ne dit pas que c'est son Père : " Le pain que je donnerai " , dit-il, " c'est ma chair " que je dois livrer " pour la vie du monde ". Mais le peuple ne parle pas de même; il dit au contraire : " Ces paroles sont bien dures ". Et voilà pourquoi ils se retirent. Cependant cette doctrine n'était point nouvelle, elle n'était point différente de celle qu'on leur avait enseignée. Déjà auparavant Jean-Baptiste leur avait insinué la même vérité, lorsqu'il appela Jésus agneau. Mais, direz-vous, ils n'avaient point compris ce que cela voulait dire. Je le sais : les disciples eux-mêmes ne l'avaient pas entendu. S'ils n'avaient pas encore une trop claire connaissance de la résurrection, puisqu'ils ignoraient ce qu'avait voulu dire Jésus par ces paroles : " Détruisez ce temple et je le rétablirai en trois jours " (Jean, XI, 19), ils comprenaient bien moins les paroles de Jean-Baptiste, qui étaient plus obscures. En effet, ils avaient appris que les prophètes étaient ressuscités, quoique l'Ecriture ne le dise pas clairement : mais que quelqu'un eût mangé de la chair " d'un homme ", c'est ce qu'aucun d'eux n'avait dit : toutefois, ils étaient dociles et soumis à Jésus-Christ. Ils le suivaient, et ils confessaient qu'il avait les paroles de la vie éternelle. Car c'est le devoir d'un disciple de ne pas examiner avec trop de curiosité les paroles de son maître, mais d'écouter, d'obéir et d'attendre une occasion pour demander ensuite l'explication de ce qu'il n'a point compris. Pourquoi donc en est-il autrement arrivé, dira-t-on, et pourquoi les Juifs rebroussèrent-ils chemin? Ce fut là un pur effet de leur folie. Lorsque cette douteuse et dangereuse question : " Comment ", entre dans l'esprit, l'incrédulité y entre alors avec elle. Ainsi, Nicodème se trouble et s'embarrasse ; ainsi il dit : " Comment un homme peut-il "entrer une seconde fois dans le sein de sa mère? " (Jean, III, 4.) Ainsi se troublent ceux-ci, et ils disent : " Comment celui-ci nous peut-il donner sa chair à manger? (53) "

Si vous demandez comment cela se peut faire, pourquoi ne dites -vous pas de même des pains : Comment Jésus a-t-il multiplié cinq pains en tant d'autres ? c'est qu'alors ils ne se mettaient en peine que de se rassasier, et qu'ils ne faisaient point d'attention au miracle. Mais ici, direz-vous, l'expérience les a instruits. Donc aussi, vu l'expérience qu'ils avaient déjà faite, ils auraient dû croire plus facilement. Le Sauveur a fait précéder le grand miracle des pains, afin qu'ayant reconnu sa puissance et l'efficacité de sa parole, ils n'y fussent plus incrédules dans la suite. Que si les Juifs, en ce temps-là, n'ont point profité de sa doctrine , ni de sa parole , nous , aujourd'hui , nous en retirons réellement tout le fruit et tout l'avantage. C'est pourquoi il faut apprendre quel est le miracle qui s'opère dans nos mystères, pourquoi ils nous ont été donnés, quel profit, quel avantage il nous en doit revenir. " Nous ne sommes tous qu'un seul corps ", dit l’Ecriture, " et les membres de sa chair et de ses os ". Que ceux qui sont initiés à nos saints mystères écoutent attentivement ce que je vais dire.

3. Afin donc que nous devenions tels non-seulement par l'amour, mais encore réellement, mêlons-nous à cette chair divine. C'est l'effet que produit l'aliment que le Sauveur nous a octroyé pour nous faire connaître l'ardeur et l'excès de son amour. Voilà pourquoi il a uni, confondu son corps avec le nôtre, afin que nous soyons tous comme un même corps, joint à un seul chef. En effet, c'est là le témoignage et la marque d'un ardent amour. Job insinue cette vérité, quand il dit de ses serviteurs qu'ils l'aimaient si fort, qu'ils auraient souhaité de le manger. Car pour marquer leur vif et tendre attachement, ils disaient : " Qui nous donnera de sa chair pour nous en rassasier? " (Job. XXXI , 31.) Voilà ce que Jésus-Christ a fait pour nous; il nous a donné sa chair à manger pour nous engager à avoir pour lui un plus grand amour, et nous montrer celui qu'il a pour nous; il ne s'est pas seulement fait voir à ceux qui ont désiré le contempler, mais encore il s'est donné à toucher, à manier, à manger, à broyer avec les dents, à absorber de manière à contenter le plus ardent amour.

Sortons donc de cette table, mes frères, comme des lions remplis d'ardeur et de feu, terribles au démon, pleins du souvenir de [324] notre chef, et de cet ardent amour dont il nous a donné de si vives marques. Souvent les parents confient à des nourrices leurs enfants; moi, au contraire, je les nourris de ma chair, je me donne moi-même à manger. Je veux tous vous annoblir et vous donner à tous une bonne espérance des biens à venir. Celui qui s'est livré pour vous dans ce monde vous fera dans l'autre beaucoup plus de bien encore. J'ai voulu être votre frère pour l'amour de vous; j'ai pris votre chair et votre sang afin que l'un et l'autre fût commun entre nous : je vous rends cette chair et ce sang, par lesquels je suis devenu de même nature que vous. Ce sang forme en nous une brillante et royale image : il produit une incroyable beauté, il ne laisse pas la noblesse de l'âme se flétrir, lorsqu'il l'arrose souvent et la nourrit. Les aliments ne se tournent pas d'abord en sang, mais auparavant ils se convertissent en quelqu'autre chose. Mais ce sang se répand dans l'âme aussitôt qu'on l'a bu , il l'arrose et la nourrit. Ce sang, quand on le reçoit dignement, met en fuite les démons, il appelle et fait venir à nous les anges, et même le Seigneur des anges. Car, aussitôt que les démons voient le sang du Seigneur, ils fuient, mais les anges accourent. Ce sang, par son effusion, a lavé et purifié tout le monde.

Saint Paul, dans son Epître aux Hébreux, dit sur ce sang bien des choses qui sont pleines d'une admirable sagesse. C'est ce sang qui a purifié l'intérieur du temple et le Saint des saints. (Héb. IX.) Que si le symbole de ce sang, et dans le temple des Hébreux, et dans la ville capitale de l'Egypte, seulement jeté par aspersion sur les jambages des portes, a eu tant de puissance et de vertu, la vérité en a bien une plus grande et plus efficace. C'est ce sang qui a consacré l'autel d'or : le grand prêtre n'osait entrer dans le sanctuaire sans en avoir auparavant été arrosé. C'est avec ce sang que se faisait la consécration des prêtres : ce sang figuratif lavait les péchés; si donc la figure a eu tant de vertu et de puissance , si la mort a eu tant de frayeur de l'ombre, combien, je vous prie, craindra-t-elle la vérité? Ce sang est la sanctification et le salut de l'âme. C'est lui qui la lave, la purifie, l'orne, l'enflamme c'est lui qui rend notre intelligence plus brillante que le feu, notre âme plus resplendissante que l'or. C'est ce sang qui, ayant été répandu, a ouvert le ciel.

4. Les mystères que Jésus-Christ a confiés à son Eglise sont véritablement terribles : l'autel, sur lequel est immolée cette divine -victime, est véritablement redoutable. (Gen. II, 10.) Du Paradis sortait une source qui se partageait de tous côtés en des fleuves d'eau sensible : de cette table rejaillit une source qui répand des fleuves d'eau spirituelle. Ce ne sont pas des saules stériles qui s'élèvent autour de cette fontaine, mais des arbres dont la hauteur atteint jusqu'au ciel, qui portent toujours du fruit dans la saison, qui jamais ne se flétrissent. Si quelqu'un est échauffé, qu'il aille à cette fontaine, il y tempérera sa fièvre car elle dissipe la chaleur et rafraîchit tout ce qui est brûlé et en feu, non ce qui est échauffé par l'ardeur du soleil, mais ce que des flèches de feu ont enflammé. C'est d'en-haut, c'est du ciel que cette fontaine prend sa source et qu'elle tire son origine; c'est là qu'elle se renouvelle. Elle donne naissance à plusieurs ruisseaux que l'Esprit-Saint fait couler, et dont le Fils fait la distribution : Ce n'est pas avec le hoyau qu'il leur trace leur route, mais il ouvre notre coeur et nous dispose à les recevoir. Cette source est une source de lumière qui répand les rayons de la vérité.

Là se trouvent les vertus célestes, qui contemplent la beauté des sources et des canaux, parce qu'ils en connaissent la vertu mieux que nous, et qu'ils voient plus clairement cette lumière inaccessible. Et comme s'il pouvait se faire que quelqu'un mit sa main ou sa langue dans de l'or fondu, il la retirerait toute dorée, de même ceux qui participent aux saints mystères dont nous parlons, changent plus véritablement leur âme en or. Ce fleuve fait bouillonner l'eau à plus gros bouillons et avec plus de véhémence que le feu , mais il ne brûle pas; seulement il lave, il purifie. Les autels, les cérémonies et les sacrifices de l'ancienne loi étaient des figures qui nous annonçaient d'avance ce précieux sang. Voilà le prix de la rédemption de tout le monde; voilà avec quoi Jésus-Christ a acheté son Eglise, c'est par ce sang qu'il l'orne et l'embellit tout entière. De même que celui qui achète des esclaves donne de l'or et les habille d'une étoffe d'or, s'il veut les orner et les parer, ainsi Jésus-Christ nous a achetés et ornés par son sang. Ceux qui participent à ce sang vivent dans la société des anges, des archanges et des puissances des cieux; ils sont revêtus de la robe royale de [325] Jésus-Christ et équipés des armes spirituelles. Mais c'est trop peu dire; ils sont revêtus du roi même.

Or, comme c'est là quelque chose de grand et d'admirable, si vous approchez de cette table avec une véritable pureté de coeur, vous vous approchez du salut; mais si votre conscience est impure, vous vous précipitez au supplice et vous avez attiré sur vous la vengeance du Seigneur : car, dit saint Paul, " quiconque en mange et en boit d'une manière indigne du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation ". (I Cor. XI, 29.) S'il est vrai que ceux qui souillent la pourpre royale sont punis comme s'ils l'avaient mise en pièces, doit-on s'étonner que ceux qui reçoivent le corps de Jésus-Christ avec une âme impure, soient condamnés au même supplice que ceux qui le percèrent de clous? Remarquez combien est terrible le supplice que l'apôtre expose à nos yeux ! " Celui qui a violé la loi de Moïse ", dit-il, " est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc croyez-vous que méritera de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour une chose vile et profané le sang de l'alliance, par lequel il avait été sanctifié ". (Héb. X, 28, 29.) Veillons donc sur nous-mêmes, mes très-chers frères, puisque nous avons eu le bonheur de recevoir de si grands biens, et lorsqu'il nous vient dans l'esprit quelque mauvaise pensée, lorsque nous nous sentons portés à dire quelque parole honteuse, ou lorsque nous nous apercevons qu'il s'élève en nous quelque mouvement de colère ou quelqu'autre mauvais sentiment, pensons alors en nous-mêmes aux bienfaits dont le Seigneur nous a honorés, représentons-nous combien grand et excellent est l'esprit que nous avons reçu. Cette pensée réprimera et calmera nos passions. Jusqu'à quand nous attacherons-nous aux choses présentes? Quand nous réveillerons-nous? Jusqu'à quand serons-nous nonchalants, indifférents pour notre salut? Considérons la grandeur et la magnificence des dons de Dieu, rendons-lui des actions de grâces, glorifions-le, non-seulement par la foi, mais encore par les oeuvres, afin que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire appartient, et au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XLVII.
JÉSUS LUI DIT : EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE L'HOMME, ET NE BUVEZ SON SANG, VOUS N'AUREZ POINT EN VOUS LA VIE ÉTERNELLE: — CELUI QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG, A LA VIE EN LUI-MÊME. (VERS. 54, 55, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)
ANALYSE

326

1. Suite des admirables effets de la divine Eucharistie. — Jésus-Christ parle souvent de vie, pourquoi ?

2. Les disciples de Jésus-Christ trouvent dures les paroles de leur Maître.

3. Faire les reproches et. les réprimandes avec douceur.

4. Jésus prédit à Judas sa trahison. — Notre salut comme notre perte dépend de notre libre arbitre.

5. L'exemple de Judas doit faire trembler ceux mêmes dont la vocation est plus visible et plus certaine. — L'avarice, cause de la trahison de Judas, le sera aussi de notre perte. — Mépriser le pauvre dans sa misère, c'est trahir Jésus-Christ. — Celui qui communie indignement, sera puni comme ceux qui ont fait mourir Jésus-Christ. — Les richesses superflues et inutiles. Mépris des choses de la terre. — Contre ceux qui, non-seulement nourrissent des chiens, des ânes sauvages , des ours, et d'autres bêtes. — Le ciel est un plus beau toit que tous nos plafonds dorés, il est plus à nous que ceux-là : le regarder, il nous appelle, il nous invite d'aller au Créateur. — Jésus-Christ est nu, nos plafonds sont dorés, quelle honte pour nous, quelle folie! -Mépriser toutes les choses passagères, ne rechercher que celles qui sont permanentes.

1. Quand nous parlons des choses spirituelles, qu'il ne reste dans nos âmes aucune pensée charnelle ou terrestre; chassons, éloignons de nous toute idée semblable, pour nous attacher uniquement et tout entier à la divine parole. Si lorsque le roi vient dans la ville, on écarte de sa personne tout ce qui peut faire de l'embarras et du tumulte, n'est-il pas beaucoup plus juste que, lorsque le Saint-Esprit nous parle, nous l'écoutions dans une grande paix et une grande tranquillité, et avec beaucoup de crainte et de respect? Et véritablement elles sont effrayantes, les paroles qu'on nous a lues aujourd'hui. Ecoutez ce que dit Jésus-Christ : " En vérité, je vous le dis , quiconque ne mange pas ma chair et ne boit pas mon sang " n'aura point la vie en soi ". Auparavant les Juifs avaient dit que cela était impossible, le divin Sauveur leur montre que non-seulement cela n'est point impossible, mais que c'est encore très-nécessaire. C'est pourquoi il ajoute : " Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour ". Comme il disait : " Si quelqu'un mange de ce pain, il ne mourra jamais ", et qu'il y avait toute apparence qu'ils s'en scandaliseraient de même qu'auparavant, lorsqu'ils avaient fait paraître leur scandale par ces paroles: " Abraham est mort, et les prophètes aussi, comment donc pouvez-vous dire : il ne mourra jamais? " (Jean, VIII, 52.) Il leur présente la résurrection, par laquelle il résout la difficulté, et leur fait voir que celui qui mange de ce pain ne mourra pas pour toujours.

Au reste, Jésus-Christ revient souvent sur ces mystères, pour faire connaître aux Juifs que la vérité, qu'il leur annonce, est très-importante et très-nécessaire , et qu'absolument il faut manger sa chair et boire son sang. Car il ajoute encore: " Ma chair est véritablement viande, et mon sang est véritablement breuvage (56) ". Que signifie cela? Ou que la viande véritable est celle qui nourrit l'âme, ou qu'il veut confirmer et persuader ce qu'il dit; afin qu'ils ne croient pas que ce soit là une énigme ou une parabole, et qu'ils sachent qu'il faut nécessairement manger son corps. Il dit ensuite: " Celui qui mange ma chair demeure en moi (57) ", pour marquer qu'il s'incorpore en lui. Mais ce qui suit ne nous paraîtra pas se lier avec ce qui précède, [327] si nous n'y faisons beaucoup d'attention. En effet, après avoir dit : " Celui qui mange ma " chair demeure en moi ", ajouter : "Comme mon Père qui m'a envoyé est vivant, moi aussi je vis par mon Père (58) " ; où est la suite, où est le rapport? Ces choses ont une étroite liaison et un parfait rapport entre elles. Car le Sauveur ayant souvent promis la vie éternelle , pour confirmer sa promesse , il ajoute: " Il demeure en moi ". Or, s'il demeure en moi, comme je vis, il est visible qu'il vivra aussi. Il dit ensuite: " Comme mon Père qui m'a envoyé est vivant ", ce qui est une similitude, et revient à dire : Je vis comme mon Père vit. Et de peur que vous ne le crussiez " non engendré ", il a incontinent ajouté : " par le Père ", non que pour vivre il ait besoin d'aucune opération : car, afin d'en ôter la pensée, il a déjà dit : " Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même ". (Jean, V, 26.) Que si pour vivre il a besoin d'opération et de secours, il s'ensuivra ou que le Père n'a pas donné au Fils d'avoir la vie, et que cette proposition est fausse; ou, s'il la lui a donnée, qu'il n'a plus besoin dans la suite d'autre aide ni de secours. Que veut dire ce mot : " Par le Père? " Il insinue seulement la cause, le principe. Au reste, il veut dire ceci : Comme mon Père vit, moi je vis aussi : " De même, celui qui me mange, vivra aussi par moi ". Ici Jésus-Christ appelle vie, non toutes sortes de vies, mais la vie glorieuse : que le divin Sauveur n'entende point parler ici de la vie simple et commune, mais de cette vie glorieuse et ineffable, cela se voit manifestement, puisque tous les infidèles et les catéchumènes qui ne sont point initiés aux saints mystères vivent, quoiqu'ils n'aient point goûté à cette chair divine. Voyez-vous que Jésus-Christ ne parle point de cette vie, mais de celle du ciel? Voici ce que signifie ce qu'il dit : Celui qui mange ma chair, quoiqu'il meure et disparaisse à nos yeux, ne périra point et ne tombera point dans le lieu des supplices. D'ailleurs, il ne parle point de la résurrection qui est commune à tous les hommes, car tous ressusciteront pareillement; mais de cette adorable et glorieuse résurrection, qui sera suivie de la récompense.

" C'est ici le pain qui est descendu du ciel. Ce n'est pas comme la manne que vos pères ont mangée, et qui ne les a pas empêchés de mourir. Celui qui mange ce pain, vivra éternellement (59) ". Jésus-Christ parle souvent de la résurrection, pour imprimer cette vérité dans l'esprit de ses auditeurs. Car c'était là le point le plus important de sa doctrine, d'établir et d'affermir la foi en ces choses, la résurrection et la vie éternelle. Et voilà pourquoi il ajoute la résurrection; soit parce qu'il a parlé de la vie éternelle, soit pour montrer que la vie qu'il promet n'est pas pour le temps présent, mais pour celui qui suivra la résurrection. Et par où, direz-vous, le prouvera-t-on? Par les Ecritures. Jésus-Christ y renvoie incessamment les Juifs, afin que par elles ils s'instruisent de ces vérités. Il a dit que " ce pain donne la vie au monde " (Jean, VI, 33), pour les exciter à en manger et leur donner de l'émulation et même du dépit, en voyant les autres jouir d'un si grand bien, de telle sorte qu'ils s'efforcent d'y participer eux-mêmes : et il fait souvent mention de la manne, tant pour leur en faire connaître la différence, que pour les attirer à la foi. Si effectivement, sans moisson, sans blé, sans aucun préparatif, Dieu a pu les nourrir pendant quarante ans, maintenant il le pourra bien mieux, puisqu'il est venu pour opérer de plus grandes merveilles. Et d'ailleurs, si ces choses étaient des figures, et si, sans sueurs et sans travail, ils ramassaient alors de quoi se nourrir, à plus forte raison aurons-nous toutes choses avec abondance, maintenant qu'il y a une si grande différence, qu'il n'y a véritablement point de mort, et que nous jouissons d'une véritable vie.

Au reste, c'est très à propos que le divin Sauveur parle souvent de la vie : la vie est ce que les hommes désirent le plus; rien aussi n'est plus doux ni plus agréable que de ne point mourir. Dans l'Ancien Testament Dieu promettait aux hommes une longue vie, maintenant non-seulement il nous promet une vie longue, mais aussi il nous en fait attendre une qui n'aura point de fin. De plus, Jésus-Christ veut en même temps nous faire connaître que la peine à laquelle le péché nous avait assujettis, est maintenant révoquée, et qu'il. a aboli notre sentence de mort par l'institution non d'une vie ordinaire, mais d'une vie éternelle, contrairement au régime antérieur. " Ce fut en enseignant dans la synagogue de Capharnaüm, que Jésus dit ces choses (60) "; il a fait dans ce lieu un [328] très-grand nombre de miracles; ainsi on ne devait être nulle part plus attentif à sa parole.

2. Mais pourquoi Jésus enseignait-il dans la synagogue et dans le temple? C'était pour attirer le peuple et pour montrer qu'il n'était pas contraire au Père. " Plusieurs donc de ses disciples, qui l'avaient ouï, disaient : Ces paroles sont bien dures (61) ". Que veut dire cela : " ces paroles sont dures? " Elles sont rebutantes et fâcheuses, elles ordonnent des choses trop difficiles et trop pénibles. Mais Jésus-Christ ne disait rien de rebutant, ni de pénible : rien qui prescrivît des règles de vie; seulement il enseignait ce qu'il fallait croire, parlant de temps en temps de la foi qu'on devait avoir en lui. Comment donc ces paroles sont-elles dures? Est-ce parce que le Sauveur promettait la résurrection et la vie éternelle? Est-ce parce qu'il disait qu'il était descendu du ciel ? Est-ce parce qu'il enseignait que personne ne peut être sauvé, s'il ne mange sa chair? Ces choses, je vous prie, sont-elles dures? Qui le peut dire? Que signifie donc ce mot, " dur?" Une chose difficile à entendre, qui surpassait leur force et leur intelligence, qui les épouvantait et les effrayait. Ils croyaient que Jésus-Christ leur parlait de lui-même en termes trop magnifiques. Voilà pourquoi ils disaient : " Qui peut les écouter? " Et peut-être aussi parlaient-ils de la sorte pour excuser leur prochaine retraite.

" Mais Jésus connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient sur ce sujet (62) ", il était de sa divinité de révéler publiquement ce qu'il v avait de plus caché dans leur coeur. C'est pourquoi il leur dit aussitôt: " Cela vous a scandalise-t-il? " Que sera-ce donc " si vous voyez le Fils de l'homme monter où il était auparavant? (63) " Jésus-Christ avait dit la même chose à Nathanaël : " Parce que je vous ai dit que je vous ai vu sous le figuier, vous croyez ". (Jean, 1, 50.) Et à Nicodème : " Personne n'est monté au ciel, sinon le Fils de l'homme qui est dans le ciel ". (Jean, III, 13.) Quoi donc? le Sauveur ajoute-t-il difficulté à difficulté? Non, loin de nous cette pensée; mais il tâche d'attirer ses auditeurs et de les gagner par la grandeur et l'excellence de sa doctrine. Si, ayant dit : " Je suis descendu du ciel " , il n'avait rien ajouté de plus, il leur eût donné un plus grand sujet de scandale et de chute; mais quand il dit : " Mon corps donne la vie au monde ", et : " Comme mon Père qui est vivant, m'a envoyé, je vis a aussi par mon Père " ; et : " Je suis descendu du ciel ", il aplanit, il résout la difficulté. Celui qui dit de soi quelque chose de grand se rend suspect de mensonge; mais celui qui y joint ensuite de telles choses, ôte tout soupçon. Au reste, il n'omet rien pour les empêcher de croire qu'il soit le fils de Joseph. Jésus-Christ n'a donc pas dit ces choses pour augmenter le scandale, mais pour l'ôter. En effet, le regarder comme fils de Joseph, c'était montrer qu'on n'avait pas compris ce qu'il avait dit. Mais être persuadé qu'il était descendu du ciel, et qu'il y devait monter, c'était le vrai moyen d'entendre plus aisément et plus facilement ses paroles.

Après cela il apporte une autre solution de la difficulté : " C'est l'esprit ", dit-il, " qui vivifie; la chair ne sert de rien (64) " ; c'est-à-dire, ce que je dis de moi, il faut l'entendre spirituellement; celui qui l'écoute avec un esprit charnel et terrestre n'y comprend rien et n'en retire aucun fruit. Or, c'était être charnel que de douter que Jésus-Christ fût descendu du ciel, et de le croire fils de Joseph, et de dire : " Comment peut-il nous donner sa chair à manger ? " Toutes ces pensées sont charnelles, et ce que disait Jésus-Christ, il fallait le prendre dans un sens mystique et spirituel. Et comment, repartirez-vous, pouvaient-ils entendre ce que cela voulait dire : " Mangez ma chair? " Certes, il fallait attendre un temps propre et favorable, il fallait interroger, et ne point cesser de faire des questions.

" Les paroles que je vous dis sont esprit et vie " ; c'est-à-dire, ce que je dis est tout divin et spirituel : je ne parle point de choses charnelles et qui soient soumises à la nature, mais de choses qui sont exemptes de ces sortes de nécessités et des lois de cette vie : ce que je dis a un sens tout autre et tout différent de celui que vous lui donnez. Comme donc ici le Sauveur a dit : Les paroles que je vous dis sont esprit, au lieu de dire, sont des choses spirituelles; de même lorsqu'il dit : La chair ne sert de rien, il ne l'entend pas de la chair en elle-même, mais il insinue qu'ils prenaient dans un sens charnel ce qu'il disait, eux qui n'avaient de goût et de désir que pour les choses charnelles, en un temps où tout les invitait à rechercher celles qui sont spirituelles. Prendre dans un sens charnel ce que dit Jésus-Christ, c'est en perdre tout le fruit et [329] le profit. Quoi donc? Est-ce que sa chair n'est pas chair? Elle l'est, sûrement. Pourquoi donc a-t-il dit: " La chair ne sert de rien?" Le divin Sauveur ne l'entend pas de sa chair, Dieu nous garde d'une telle pensée, mais de ceux qui recevaient charnellement ce qu'il disait ; et qu'est-ce qu'entendre charnellement? C'est prendre tout simplement et à la lettre ce qu'on dit, et ne rien penser, et ne rien imaginer de plus; c'est là voir les choses avec des yeux charnels. Or il n'en faut pas juger selon ce qu'elles paraissent aux yeux du corps, mais, tout ce qui est mystère, il faut Je voir et le considérer avec les yeux de l'âme, c'est-à-dire spirituellement. N'est-il pas vrai, n'est-il pas certain, que celui qui ne mange point la chair de Jésus-Christ et ne boit point son sang, n'a pas la vie en lui-même ? Comment donc la chair ne sert-elle de rien, cette chair sans laquelle nous ne pouvons pas vivre? Vous voyez bien que le Sauveur, ne parle point là de sa chair, mais de ce qu'on entend ses paroles d'une manière charnelle.

" Mais il y en a quelques-uns d'entre vous a qui ne croient pas (65) ". Jésus-Christ, selon sa coutume, relève ce qu'il dit; et lui donne de la dignité; il prédit ce qui doit arriver et fait voir que c'est pour le salut de ses auditeurs qu'il leur parle de ces choses, et non pour s'attirer de la gloire. Au reste, en disant : " Quelques-uns ", il sépare ses disciples de ce nombre. Au commencement, il avait dit " Vous m'avez vu et vous ne m'avez point cru". (Jean, VI, 36.) Mais il dit ici : " Il y en a quelques-uns d'entre vous qui ne croient pas ". En effet, il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croiraient point, et qui était celui qui devait le trahir. " Et il leur disait : C'est pour cela que je vous ai dit que personne ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père (66) ". L'évangéliste insinue ici que la dispensation des dons et des grâces du Père se fait librement et volontairement. Et il montre la patience de Jésus-Christ. Et ce n'est pas sans raison qu'il met ici ce mot: " Dès le commencement " ; c'est pour vous faire connaître la prescience de Jésus-Christ, et qu'il avait connu leur incrédulité et la trahison de Judas avant qu'ils eussent ouvert la bouche et qu'ils se fussent déclarés parleurs murmures; ce qui était une preuve bien évidente de sa divinité. Il ajoute ensuite : " S’il ne lui est donné par mon Père ", pour les persuader et les engager à croire que Dieu était son Père et non pas Joseph, et leur faire connaître que ce n'était pas une chose commune que de croire en lui; comme s'il disait Qu'il y en ait qui ne croient pas en moi, je n'en suis nullement troublé, ni étonné; car longtemps auparavant que cela arrivât, je l'ai su, j'ai connu qui sont ceux à qui mon Père a donné.

3. Lorsque vous entendez ce mot : " Il a donné ", ne pensez pas que le Père donne au hasard ou à l'aventure, mais croyez que celui qui s'est rendu digne de ce don, le reçoit. " Dès lors, plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite et n'allaient plus avec lui (67) ". C'est avec juste raison que l'évangéliste n'a pas dit : Ils s'en allèrent, mais : " Ils se retirèrent de sa suite " ; pour montrer qu'ils avaient abandonné le chemin de la vertu, et qu'en se séparant de Jésus ils avaient quitté la foi dont jusqu'alors ils avaient fait profession ; mais les douze disciples ne firent pas de même. C'est pourquoi Jésus leur dit : " Et vous, voulez-vous aussi vous en aller? (68) ". Par où il leur fait connaître qu'il n'a pas besoin de leur ministère, ni de leur service, et que ce n'est pas pour cela qu'il les mène avec lui. Celui qui leur parle de cette manière, quel besoin aurait-il pu avoir d'eux?

Pourquoi ne les a-t-il pas loués, pourquoi n'a-t-il pas exalté leur vertu ? Premièrement, pour conserver sa dignité de maître; en second lieu, pour montrer que c'est de cette manière qu'ils devaient être attirés et engagés à sa suite. Si Jésus les eût loués croyant qu'ils l'avaient obligé, ils en auraient conçu quelques sentiments humains , quelque amour propre. Mais leur ayant fait connaître qu'il n'avait point besoin de leur compagnie, il les a mieux retenus dans leur devoir, et se les est encore plus fortement attachés.

Remarquez aussi, mes frères, avec quelle prudence il leur parle. Il ne leur a pas dit Allez-vous-en, car ç'aurait été là leur donner leur congé et les renvoyer. Mais il les interroge et leur dit : " Et vous, voulez-vous aussi vous en aller? " Par là il ôte toute contrainte et toute nécessité; il les prévient, leur donne la liberté de faire ce qu'ils voudront, afin ;que ce ne soit pas la honte qui les retienne, et qu'au contraire, ils lui soient obligés de la bonté qu'il a de les garder. Et encore, en évitant de leur faire ce reproche publiquement, [330] en les sondant sur leur volonté avec douceur et avec bonté, le divin Sauveur nous apprend comment nous devons raisonner et nous conduire en ces sortes de rencontres. Pour nous, qui faisons tout par vanité et avec hauteur, et qui croyons perdre de notre gloire si ceux qui nous honoraient nous délaissent, nous méritons par cela même qu'ils nous quittent. En un mot, Jésus-Christ n'a point flatté ses disciples : il ne les a pas congédiés, mais il leur a demandé ce qu'ils voulaient faire, en quoi il ne leur marque aucun mépris, mais seulement il leur témoigne qu'il ne veut pas qu'ils restent avec lui par contrainte et par force, car, autant vaudrait s'en aller que demeurer de cette manière.

Mais Pierre, que répondit-il donc à Jésus-Christ? " A qui irions-nous, Seigneur? vous avez les paroles de la vie éternelle (68). Nous croyons et nous savons que vous êtes le Christ Fils de Dieu (70) ". Ne voyez-vous pas dans cette réponse que ce n'étaient point les paroles de Jésus-Christ qui scandalisaient ses auditeurs, mais bien leur propre étourderie, leur paresse, leur corruption et leur méchanceté? Quand il aurait gardé le silence ils n'auraient pas cessé de se scandaliser, eux qui ne lui demandaient que la nourriture corporelle, et qui étaient uniquement attachés à la terre. Les uns et les autres ont tous ensemble entendu ce qu'a dit Jésus-Christ; mais les vrais disciples, étant dans des dispositions toutes contraires, ont dit : " A qui irions-nous?" Paroles qui marquent une grande affection et un véritable attachement. Elles font connaître que leur Maître leur était plus cher que toute autre chose, que leurs pères, que leurs mères, que leurs biens; et que ceux qui se séparent de Jésus n'ont plus de refuge. Ensuite, de peur qu'on ne crût que Pierre avait dit : " A qui irions-nous? " parce que ni lui, ni ses compagnons, ne savaient chez qui se retirer désormais, il ajoute aussitôt la raison pour laquelle ils veulent demeurer : " Vous avez les paroles de la vie éternelle ". Car les uns écoutaient la divine parole avec un esprit charnel et terrestre, mais les autres l'écoutaient spirituellement , mettant toute leur confiance dans la foi.

Voilà pourquoi Jésus-Christ disait : " Les paroles que je vous dis sont esprit "; c'est-à-dire : Ne pensez pas que ce que je vous dis soit sujet à l'enchaînement et à la dépendance des choses de ce monde : les choses spirituelles ne sont pas de cette nature, elles ne sont pas soumises aux lois de la terre. C'est aussi là ce que déclare saint Paul par ces paroles : " Ne dites point en votre coeur : Qui pourra monter au ciel ? c'est-à-dire pour en faire descendre Jésus-Christ. Ou qui pourra descendre au fond de la terre? c'est-à-dire pour appeler Jésus-Christ d'entre les morts ". (Rom. X, 6 et 7.) Déjà les disciples avaient reçu la doctrine de la résurrection et du partage céleste. Considérez, je vous prie, de quelle manière celui qui aime ses frères prend leur défense et répond pour tous. Pierre n’a point dit : Je sais, mais " nous savons ". Ou plutôt remarquez de quelle manière il suit et il imite les propres paroles de son Maître, et s'éloigne du langage des Juifs. Les Juifs disaient : Celui-là est le fils de Joseph ; mais Pierre répond : " Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant "; et : " Vous avez les paroles de la vie éternelle "; peut-être parce qu'il lui avait souvent entendu dire : " Celui qui croit en moi a la vie éternelle ". Car, se servant des mêmes paroles, il fait voir qu'il les a toutes retenues. Et Jésus-Christ, que répond-il? Il ne loue point Pierre, ne le vante point, ce que toutefois il fait ailleurs. Mais que dit-il donc? " Ne vous ai-je point choisi au nombre de douze? et néanmoins un de vous autres est un démon (71)". Comme Pierre avait dit : " Et nous savons ", Jésus, comme de juste, exempte Judas de ce nombre. Il ne parla point des disciples, lorsqu'en une autre occasion, sur cette demande du Christ : " Et vous autres, qui dites-vous que je suis? " Pierre lui répondit : " Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ". (Matth, X, 15, 16.) Mais ici, attendu qu'il avait dit: " Nous croyons ", il retranche justement Judas du nombre, et il le fait longtemps auparavant pour détourner ce traître de sa perfidie, sachant que c'était peine perdue, mais voulant faire tout ce qui était en lui.

4. Admirez la sagesse du divin Sauveur: Il ne fit pas connaître Judas, et aussi il ne permit pas qu'il fût tout à fait inconnu ; d'une part, afin qu'il ne devînt pas plus impudent, et qu'il ne s'obstinât pas dans son crime; d'autre part, afin que, ne se croyant pas connu, il ne s'y portât pas avec plus de hardiesse et d'insolence. Voilà pourquoi il le reprit dans la suite plus ouvertement. Et certes, la première [331] fois il le comprit parmi les autres incrédules, en disant : " Il y en a quelques-uns d'entre vous qui ne croient pas ". C'est ce que l'évangéliste déclare par ces paroles : " Jésus savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui serait celui qui le trahirait ". (Jean, VI, 65.) Mais comme il persévérait dans son malheureux dessein, il lui en fait un reproche plus fort et plus piquant : " Un d'entre vous ", dit-il, " est un démon ". Il parle à tous en commun, pour leur inspirer de la crainte à tous et pour couvrir encore Judas. Sur quoi il y a lieu de demander pour quelle raison les disciples ne répondent point -à une accusation si terrible, mais ils doutent, ils s'attristent, ils se regardent l'un l'autre et chacun d'eux dit : " Se"rait-ce moi, Seigneur?" (Matth. XXVI, 22.) Et Pierre fit signe à Jean de s'enquérir du Maître qui était le traître. (Jean, XIII, 24.) Quelle en est donc la raison? Avant que Pierre eut entendu cette foudroyante parole : " Retirez-vous de moi, Satan " (Matth. XVII, 23), il ne, craignait point ; mais après que son Maître l'eût si amèrement repris, et qu'ayant parlé avec beaucoup d'affection , il n'en fut point loué, mais il s'entendit même appeler Satan, il eut sujet de craindre pour lui, lorsque Jésus dit : " L'un de vous me trahira ". De plus, maintenant Jésus-Christ ne dit pas : " L'un de vous me trahira "; mais : " Un de vous autres est un démon ". (Matth. XXVI, 21.) Voilà pourquoi les disciples ne comprenaient pas ce qu'avait voulu dire leur Maître, et ils pensaient qu'il leur reprochait seulement leur peu de foi et leur imperfection.

Mais pourquoi le divin Sauveur a-t-il dit : " Ne vous ai je point choisi au nombre de

douze, et néanmoins un de vous est un démon (71) ? " C'était pour leur faire connaître que sa doctrine était éloignée de toute flatterie, que ce n'était point par l'adulation qu'il voulait se les attacher et les persuader. Lorsque tous se retiraient, qu'ils demeuraient seuls et qu'ils confessaient hautement le Christ par la bouche de Pierre; ne voulant même pas alors qu'ils s'attendissent qu'il les flatterait, il leur en ôte toute la pensée; c'est comme s'il leur disait : Rien n'est capable de m'empêcher de reprendre les méchants : ne croyez pas que, parce que vous demeurez arec moi, je vous flatte et je vous donne des louanges, ou que parce que vous me suivez, je m'abstienne de reprendre les méchants. Ce qui peut le plus flatter un maître ne me touche point, moi ; celui qui demeure donne une marque de son amour. Il arrivera que celui que le maître a choisi sera outragé et chassé par les insensés, comme s'il était lui-même insensé. Mais toutefois rien de tout cela ne m'empêche de reprendre ceux qui font le mal. Voilà sur quoi les gentils reprennent, aujourd'hui encore, Jésus-Christ de la manière la plus ridicule. Dieu n'a pas coutume de contraindre ni de forcer personne à devenir homme de bien; son élection et sa vocation ne contraignent point, mais il opère par la persuasion. Voulez-vous savoir et vous convaincre que la vocation ne force et ne contraint personne? voyez, examinez combien il y en a parmi ceux qui ont été appelés qui se sont perdus. Par là vous verrez manifestement que le salut et la perte dépendent de notre libre arbitre et de notre volonté.

5. Que ces vérités, mes frères, nous rendent donc extrêmement attentifs et toujours vigilants. Si celui qui était agrégé au sacré collège des apôtres, qui avait reçu un si grand don, qui avait fait des miracles; car il avait été envoyé avec les autres pour ressusciter les morts et guérir les lépreux; si, dis-je, un disciple, pour s'être laissé infecter de la cruelle et très-dangereuse maladie, de l'avarice, a trahi son Maître; si tant de bienfaits et de grâces; si, ni le commerce, ni la familiarité avec Jésus-Christ, ni le lavement des pieds, ni la société de table, ni la garde de la bourse, ne lui ont servi de rien, ou plutôt si toutes ces choses lui ont ouvert le précipice où il s'est jeté; tremblons et craignons nous-mêmes d'imiter un jour ce perfide par notre avarice.. Vous ne trahissez pas Jésus-Christ? Mais lorsque vous méprisez le pauvre qui sèche de faim, ou qui transit de froid, vous méritez le sort de Judas et la même condamnation. Et lorsque nous participons indignement aux saints mystères, nous tombons dans le même abîme, où se sont précipités ceux qui ont fait mourir Jésus-Christ. Lorsque nous volons, lorsque nous opprimons le pauvre et l'indigent, nous nous attirons une terrible vengeance : et certes nous la méritons bien. Jusques à quand serons-nous donc possédés de l'amour des biens de ce monde, de ces choses superflues et inutiles? car les richesses sont des choses vaines et sans utilité. Jusques à quand notre coeur [332] s'attachera-t-il à des vanités, à des bagatelles Jusques à quand différerons-nous de lever les yeux au ciel? de veiller, de mépriser les biens de la terre, les choses qui passent? Notre propre expérience ne nous apprend-elle pas combien toutes ces choses sont viles et abjectes?

Pensons à ces riches qui ont été avant nous tout ce que la mémoire nous rappelle d'eux, ne nous semble-t-il pas un songe? N'est-ce pas comme une ombre, une fleur, une eau qui coule, un conte et une fable? Cet homme était riche : mais ses richesses, que sont-elles devenues? Elles ont péri, elles se sont évanouies. Mais les péchés que ces richesses lui ont fait commettre demeurent, et le supplice qui lui est préparé l'attend à cause de ses péchés. Ou plutôt, quand même vous n'auriez point de supplice à craindre et de royaume à espérer, il vous faudrait avoir égard au sort de vos semblables qui ne diffèrent pas du vôtre.

Voyez plutôt : on nourrit des chiens; plusieurs même nourrissent des ânes sauvages, des ours et divers animaux; et l'homme que la faim dévore, nous l'abandonnons ! Nous faisons plus de cas d'une nature qui nous est étrangère que de notre propre nature. N'est-ce pas quelque chose de beau, direz-vous, que de bâtir de brillantes maisons, d'avoir un grand nombre de domestiques; et quand nous sommes couchés dans nos appartements, de voir des lambris tout éclatants d'or? C'est là un luxe superflu et inutile. Il y a d'autres édifices beaucoup plus brillants et plus imposants que ceux-là, dont vous devez vous réjouir la vue, et que personne ne peut vous empêcher de contempler. Voulez-vous voir un beau plafond? sur le soir regardez le ciel orné d'étoiles. Mais, direz-vous, ce plafond n'est point à moi : c'est tout le contraire, il est plus à vous que l'autre. Car c'est pour vous qu'il a été fait, et il vous est commun avec vos frères. Mais celui que vous dites à vous, n'est point à vous, il est à ceux qui hériteront de vous après votre mort. Celui-là peut vous être très-utile puisqu'il vous annonce le Créateur et vous invite à vous élever jusqu'à lui; mais celui-ci vous nuira beaucoup et il sera votre plus sévère et plus dangereux accusateur au jour du jugement, lorsqu'il paraîtra devant vous tout brillant d'or, Jésus-Christ n'ayant pas un seul habit pour se couvrir.

C'est pourquoi, gardons-nous, mes chers frères, de tomber dans un si grand excès de folie. Ne courons pas après ce qui passe, ne fuyons pas ce qui demeure, ne perdons pas notre salut; mais attachons-nous tous à l'espérance des biens futurs : les vieux, parce qu'ils savent qu'il leur reste peu de temps à vivre; les jeunes, parce qu'ils doivent être persuadés que la vie est courte : le jour du jugement arrivera, comme un voleur qui vient dans la nuit. (Luc, XII, 39.) Puis donc que ces vérités nous sont parfaitement connues; que les femmes avertissent leurs maris, et les maris leurs femmes. Apprenons-les aux jeunes garçons et aux jeunes filles, et exhortons-nous tous mutuellement les uns les autres à fuir les choses présentes et à ne rechercher et n'aimer que les biens de la vie future ; afin que nous puissions les acquérir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE XLVIII.
DEPUIS CELA JÉSUS VOYAGEAIT EN GALILÉE, NE VOULANT POINT VOYAGER EN JUDÉE, PARCE QUE LES JUIFS CHERCHAIENT A LE FAIRE MOURIR. — MAIS LA FÊTE DES JUIFS, APPELÉE DES TABERNACLES, ÉTAIT PROCHE. (CHAP. VII, VERS. 1, 2, JUSQU'AU VERS. 8.)
ANALYSE.

333

1. Jalousie des Juifs et incrédulité des parents de Jésus-Christ.

2. Jacques, frère du Seigneur, premier évêque de Jérusalem.

3. Imiter la douceur et la bonté de Jésus-Christ. — Souffrir patiemment les railleries, les injures, les outrages. — La colère est une bête féroce et furieuse. — Honte et chagrin qu'elle produit : remèdes pour se guérir de cette maladie. — Raisons qu'on allègue pour se venger. — Gens colères : leur image, leur supplice en ce monde et en l'autre.

1. Rien n'est plus mauvais que la jalousie; rien n'est pire que l'envie : c'est par elles que la mort est entrée dans le monde. Le diable voyant que l'homme était en honneur, et ne pouvant souffrir la félicité dont il jouissait, n'omit rien pour le perdre. Et nous voyons tous les jours le même arbre produire le même fruit. C'est l'envie qui a tué Abel : c'est elle quia attenté aux jours de David; c'est elle qui a fait souffrir tant de justes; c'est elle qui a poussé les Juifs à faire mourir Jésus-Christ. L’évangéliste le déclare en disant : " Depuis cela Jésus voyageait en Galilée. Car il n'avait pas le pouvoir de voyager en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir". Que dites-vous, bienheureux Jean ? Celui qui peut tout ce qu'il veut, ne pouvait pas ! Celui qui ayant dit : " Qui cherchez-vous ", a renversé par terre tous ceux qui l'étaient venus chercher? Celui qui étant devant nous, n'est point vu quand il lui plaît : quoi ! celui-là n'a pas eu tout pouvoir? Comment dans la suite, au milieu d'eux, dans le temple, un jour de fête solennelle où tous les Juifs étaient assemblés, où étaient présents ceux qui le voulaient faire mourir, a-t-il dit ce qui les piquait et les irritait le plus ? Les Juifs en étant étonnés eux-mêmes, disaient : " N'est-ce pas là celui qu'ils cherchent pour le faire mourir? Et néanmoins le voilà qui parle devant tout le monde, sans qu'ils lui disent rien ". (Jean, VII, 25, 26.)

Quelle est cette énigme? Ah ! loin de nous ces paroles : l'évangéliste n'a point dit ces choses pour qu'on les regarde comme une énigme, mais pour déclarer que Jésus-Christ a fait des oeuvres qui découvrent sa divinité, et qu'il en a fait aussi qui ont fait connaître son humanité. Quand il dit : " Il n'avait pas le pouvoir", il a parlé de Jésus comme d'un homme qui fait bien des choses à la manière humaine; mais lorsqu'il dit qu'étant au milieu d'eux, personne n'osa mettre la main sur lui pour l'arrêter, il montre la puissance de sa divinité. Car il se retirait comme homme ; il apparaissait comme Dieu; représentant l'un et l'autre véritablement. En effet, lorsqu'étant au milieu de ceux mêmes qui tendaient des piéges pour le prendre, il n'était point arrêté, il faisait alors connaître son invincible puissance; mais lorsqu'il se retirait, il établissait la vérité de son incarnation, afin que ni Paul de Samosate, ni Marcion, ni ceux qui sont attaqués de leur même maladie, ne pussent y contredire. Par cette conduite donc il ferme la bouche à tous ces hérétiques.

" Après cela vint la fête des Juifs ", appelée " des tabernacles ".(Jean, VI, 3.) Cette particule, " après cela " , ne signifie autre chose, sinon qu'après le dernier sermon que Jésus avait [334] prêché, l'évangéliste omet un long intervalle de temps; en voici la preuve : Lorsque Jésus-Christ gravit la montagne et s'y assit avec ses disciples, c'était la fête de Pâques. Mais l'évangéliste parle ici de la fête appelée des tabernacles. Quant aux cinq mois intermédiaires, saint Jean ne nous offre aucun régit; aucune instruction qui s'y rapporte, sinon le miracle des pains et le sermon prêché à ceux qui les mangèrent : d'ailleurs, Jésus-Christ n'avait pas cessé de faire des miracles et de prêcher non-seulement le jour ou le soir, mais encore la nuit, car c'est de nuit que Jésus vint à ses disciples, comme le rapportent tous les évangélistes. Pourquoi ont-ils donc négligé cette période? Parce qu'ils ne pouvaient pas tout raconter. Au reste, ils se sont attachés à rapporter les choses qui devaient dans la suite attirer les reproches ou les murmures des Juifs, et ces choses revenaient souvent. Ils ont souvent, en effet, répété dans leur histoire que Jésus guérissait les malades, qu'il rendait la vie aux morts, ce qui avait excité l'admiration et l'étonnement du peuple. D'ailleurs, lorsqu'il se présente quelque chose de grand et d'extraordinaire, ou quelque accusation dirigée contre Jésus-Christ, ils en font le récit, comme on le voit maintenant. qu'ils disent que ses frères ne croyaient point en lui : ce qui pouvait devenir un grave sujet d'accusation. Et certes, il est admirable de voir combien les disciples ont été fidèles et véridiques dans ce qu'ils ont écrit, eux qui n'ont pas craint de transmettre à la postérité des choses qui semblaient être à la honte de leur Maître et paraissent même raconter ces sortes de faits de préférence aux autres.

C'est pourquoi saint Jean passe ici rapidement sur un nombre de miracles, de prodiges, de sermons, pour arriver à ceci : " Ses frères lui dirent : Quittez ce lieu, et vous en allez en Judée, afin que vos disciples voient aussi les oeuvres que vous faites (3). Car personne n'agit en secret lorsqu'il veut être connu dans le public. Faites-vous connaître au monde (4). Car ses frères ne croyaient point en lui (5) ". Et en quoi, direz-vous, sont-ils incrédules, puisqu'ils le prient de faire des miracles? Oui, certes, ils le sont, et beaucoup; leurs paroles, leur hardiesse, cette liberté prise à contre-temps, marquent leur incrédulité. Car ils croyaient que la parenté leur donnait droit de parler et de demander hardiment. Et si, en apparence, ils lui font une remontrance d'ami, leurs paroles n'en sont pas moins très-piquantes et très-amères : ils l'accusent de timidité et de vaine gloire. En effet, quand ils disent : " Personne n'agit en secret ", ils font l'office d'accusateurs, puisqu'ils lui reprochent sa timidité, et que ses oeuvres leur sont suspectes ; et quand ils disent : " Il veut être connu dans le public ", ils soupçonnent qu'il y a de la vaine gloire en ce qu'il fait.

2. Pour vous, mon frère, admirez la vertu de Jésus-Christ. Car des rangs de ceux qui parlaient de la sorte sortit le premier évêque de Jérusalem, savoir, le bienheureux Jacques, dont saint Paul dit : " Je ne vis aucun des autres apôtres, sinon Jacques, frère du Seigneur ". (Gal. 1, 49.) Il est dit aussi que Judas avait été un homme admirable. Cependant ces frères de Jésus étaient à Cana, lorsque Jésus changea l'eau en vin, mais ce miracle ne fit point alors d'impression sur leur esprit. D'où leur venait donc une si grande incrédulité? De leur mauvaise volonté et de leur envie. Car les parents ont coutume de porter envie à ceux de, leurs parents qu'ils voient dans une plus haute réputation et dans une plus grande estime qu'eux. Qui sont ceux qu'on appelle ici disciples de Jésus-Christ? Le peuple qui le suivait et non les douze qu'il avait choisis. Que répondit donc le divin Sauveur? Remarquez avec quelle douceur il répond. Il n'a point dit : Qui êtes-vous, pour m'oser donner des avis, et m'instruire sur ce que je dois faire? Mais qu'a-t-il dit? " Mon temps n'est pas encore venu (6) ". Il me semble que l'évangéliste veut nous insinuer ici quelque autre chose : que peut-être leur envie les poussait à le livrer aux Juifs, et qu'ils méditaient ce dessein; c'est pour le faire connaître qu'il dit : " Mon temps n'est pas " encore venu ", c'est-à-dire le temps de ma croix et de ma mort. Pourquoi vous hâtez-vous de me faire mourir avant le temps? " Mais pour le vôtre, il est toujours prêt ". C'est-à-dire, les Juifs, encore que vous soyez toujours parmi eux, ne vous feront point mourir, vous qui êtes dans leurs sentiments; mais moi, aussitôt qu'ils m'auront entre leurs mains, ils chercheront à me faire mourir. De sorte que c'est toujours pour vous le temps d'être avec eux : vous n'avez point à craindre qu'ils vous fassent aucun mal : pour moi, ce sera mon temps, lorsque le temps sera venu pour moi d'être crucifié et de mourir. Ce qui suit fait [335] manifestement voir que c'est là ce qu'a voulu dire Jésus-Christ.

" Le monde ne saurait vous haïr (7) ". Et, comment vous haïrait-il, puisque vous êtes dans ses sentiments et dans ses intérêts, et que vous recherchez ce qu'il recherche? " Mais pour moi, il, me hait, parce que je lui fais des reproches de ce que ses oeuvres sont mauvaises " ; c'est-à-dire, je lui suis odieux, parce que je lui fais des reproches et des réprimandes. Une réponse si douce et si modeste doit nous apprendre que, quelque vils et méprisables que soient ceux qui se mêlent de nous donner des conseils, nous devons retenir notre colère et notre indignation. Si Jésus-Christ a souffert avec douceur et avec patience les conseils de gens qui ne croyaient point en lui, lors même que, par malignité et avec une mauvaise intention, ils lui conseillaient ce qui ne convenait point, quel pardon obtiendrons-nous, nous qui, n'étant que terre et que cendre, ne pouvons supporter ceux qui nous donnent des avis et des conseils, et qui nous regardons comme offensés pour peu que ceux qui nous reprennent soient inférieurs à nous? Considérez donc avec quelle douceur Jésus-Christ repousse le reproche qu'on lui fait. Ses frères lui disaient : "Faites-vous connaître au monde " ; il leur répond : " Le monde ne saurait vous haïr : mais pour moi, il me hait ", détournant ainsi leur accusation tant s'en faut, dit-il, que je cherche les hommages des hommes, qu'au contraire je ne cesse point de les reprendre, quoique je sache bien que par là je m'attire leur haine et la mort.

Et quand, direz-vous, les a-t-il repris? Mais plutôt, quand a-t-il cessé de les reprendre ? Ne disait-il pas: " Ne pensez pas que ce soit moi qui vous doive accuser devant le Père : vous avez un accusateur qui est Moïse ". (Jean, V, 45.) Et: " Je vous connais : je sais que vous " n'avez point en vous l'amour de Dieu ". (Jean, V, 42.) Et : " Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul? " (Jean, V, 44.) Ne voyez-vous pas que, par toutes ces choses, le divin Sauveur fait connaître que la haine qu'ils avaient conçue contre lui venait de ce qu'il les reprenait librement, et non de n'avoir pas gardé le sabbat?

Mais pourquoi les envoie-t-il à la fête, leur disant : " Allez, vous autres, à cette fête : pour moi, je n'y vais point encore?" Par là, il fait voir qu'il ne le dit point pour s'excuser,ou pour leur complaire, mais pour permettre l'observance du culte judaïque. Pourquoi donc Jésus est-il allé à la fête, après avoir dit: " Je n'irai pas? " Il n'a point dit simplement : Je n'irai pas, mais il ajoute : Maintenant ", c'est-à-dire avec vous, " parce que mon temps n'est pas encore accompli ". Cependant il ne devait être crucifié qu'à la Pâque prochaine. Pourquoi donc :n'y alla-t-il pas avec eux? car s'il n'y fut pas avec eux, parce que son temps n'était pas encore venu, alors il n'y devait point aller du tout? Mais il n'y fut point pour souffrir la mort, seulement il y fut pour les instruire. Pourquoi y alla-t-il secrètement; car il pouvait y aller publiquement, se présenter au milieu d'eux, et réprimer leur fureur et leur violence comme il l'a souvent fait ? C'est parce qu'il ne le voulait pas faire trop souvent. S'il y eût été publiquement, et s'il les eût encore frappés d'une sorte de paralysie, il aurait découvert sa divinité avant le temps d'une manière trop claire, et l'aurait trop fait éclater par ce nouveau miracle. Mais comme ils croyaient que la crainte le retenait et l'empêchait d'aller à la fête, il leur fait voir au contraire qu'il n'a nulle crainte; que ce qu'il fait, c'est par prudence, et qu'il sait le temps auquel il doit souffrir : quand ce temps sera venu, il ira alors librement et volontairement à Jérusalem. Pour moi, il me semble que ces paroles: " Allez, vous autres ", signifient ceci : Ne croyez pas que je veuille vous contraindre de demeurer avec moi malgré vous. Et quand il ajoute : " Mon temps n'est pas encore accompli ", il veut dire qu'il faut qu'il fasse des miracles, qu'il prêche et qu'il enseigne le peuple, afin qu'un plus grand nombre croie, et que les disciples, voyant la constance et l'assurance de leur Maître, et aussi les tourments qu'il a endurés , en deviennent plus fermes dans la foi.

3. Enfin, que ce que nous venons d'entendre nous apprenne, mes chers frères, à avoir de la bonté et de la douceur : " Apprenez de moi ", dit Jésus-Christ, " que je suis doux et humble de coeur ". (Matth. XI, 29.) Et chassons toute aigreur. On nous insulte, donnons des marques de notre humilité; on s'emporte de colère et de fureur, adoucissons, apaisons cette fureur et cette colère; on nous chagrine, on nous [336] calomnie, on nous déshonore, on se rit, on se moque de nous; ne nous troublons point, ne nous abattons pas, et pour vouloir nous venger ne nous perdons pas nous-mêmes. La colère est une bête, et une bête furieuse et cruelle. C'est pourquoi chantons-nous à nous-mêmes les cantiques des divines Ecritures, et disons-nous : " Tu n'es que terre et que cendre " (Gen. III, 19) : pourquoi la, terre et la cendre " s'élèvent-elles d'orgueil ? " (Eccli. X, 9.) Et : " L'émotion de la colère qu'il a dans le coeur est sa ruine ". (Eccli. I , 28.) Et : " L'homme colère n'est point agréable ".(Prov. XI, 25, LXX.) En effet, rien n'est plus laid, rien n'est plus affreux que l'aspect d'un homme en colère. Que si son aspect est hideux et horrible, son âme l'est bien plus. Car comme d'un bourbier qu'on remue, il sort et se répand une odeur empestée, de même l'âme que la colère agite sera difforme et infecte.

Mais, direz-vous, je ne puis souffrir les injures que me dit mon ennemi. Pourquoi, je vous prie? Si ce qu'il dit de vous est vrai, vous devez en sa présence même donner des marques de votre componction, et lui être obligé; mais si ce qu'il dit est faux, méprisez ses discours. Dit-il que vous êtes pauvre? riez-en; que vous êtes de basse naissance, ou que vous avez perdu la raison? gémissez pour lui. " Celui qui dit à son frère : Vous êtes un fou, méritera d'être condamné au feu de l'enfer ". (Matth. V, 22.) S'il vous outrage; pensez au supplice qui l'attend, et non-seulement vous retiendrez votre colère, mais encore vous répandrez des larmes. Personne ne se fâche contre un homme qui a la fièvre ou qu'une maladie aiguë transporte de fureur; au contraire, on en a pitié, on pleure sur lui. Or, voilà l'image d'une âme en colère. Mais si vous voulez vous venger, gardez le silence; cela mortifiera plus votre ennemi que tout ce que vous lui pourriez dire. Si, au contraire, vous repoussez l'injure par l'injure, vous attisez le feu.

Mais, direz-vous encore, si nous ne répliquons pas, on nous accusera de faiblesse. Non, on ne vous accusera pas de faiblesse, mais on admirera votre sagesse, votre philosophie. Que si l'injure qu'on vous dit allume votre colère, vous donnerez lieu de croire que ce qu'on vous reproche est véritable. Pourquoi, je vous prie, le riche, qui s'entend dire pauvre, en rit-il? N'est-ce pas parce qu'il sait bien qu'il n'est pas pauvre? Nous, de même, si nous rions quand on nous accuse, nous donnerons une très-grande preuve que nous ne sommes nullement coupables. Mais de plus, jusques à quand craindrons-nous les accusations des hommes? Jusques à quand mépriserons-nous notre commun Maître, et serons-nous attachés à la chair? " Car, puisqu'il y a parmi vous des jalousies ", dit l'apôtre, " n'est-il pas visible que vous êtes charnels? " (I Cor. III, 3.)

Soyons donc spirituels, domptons cette méchante et cruelle bête ; entre la colère et la folie, il n'y a aucune différence: la colère est une espèce de démon passager, ou plutôt elle est pire qu'un démoniaque. On excuse un démoniaque, mais l'homme colère se rend digne de mille supplices; volontairement il court à sa perte et se jette dans l'abîme; perpétuellement agité de pensées tumultueuses, nuit et jour dans le trouble et dans les angoisses de l'âme, il souffre ici-bas même des tourments avant-coureurs de l'enfer. C'est pourquoi travaillons à nous délivrer et de ce supplice présent, et de la vengeance future. Chassons loin de nous cette maladie, et comportons-nous en toutes choses avec beaucoup de douceur, afin que nous procurions à nos âmes le repos et la tranquillité, et en ce monde et dans le royaume des cieux, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIE XLIX.
AYANT DIT CES CHOSES, IL DEMEURA EN GALILÉE. — MAIS LORSQUE SES FRÈRES FURENT PARTIS, IL ALLA AUSSI LUI-MÊME A LA FÊTE, NON PAS PUBLIQUEMENT, MAIS COMME S'IL EUT VOULU SE CACHER. (VERS. 9, 1O, JUSQU'AU VERSET 24.)
ANALYSE.

337

1. Jésus-Christ n'agit pas toujours en, Dieu, mais souvent aussi en homme, afin de nous laisser des exemptes à suivre.

2. Autre est l'hypostase de la personne du Père, autre celle du Fils. — Jésus-Christ se dit égal à Dieu son Père : embûches des Juifs.

3. Jésus-Christ réfute l’accusation de violation du sabbat portée contre lui. — Les instructions que Jésus-Christ a données aux Juifs, S'adressent à tous les hommes. — Dans l'exercice de la charité du prochain, ne pas faire acception de personne. — Etre incorruptible dans ses jugements. — Exercer la justice sans respect humain. — Vivre avec une mauvaise conscience, c'est vivre dans les tourments: — Point d'autre ami dans l'autre monde que la vertu : elle seule délivre de l'enfer, et fait entrer dans le paradis.

1. Les choses que, par une sage dispensation, Jésus-Christ a faites à la manière des hommes, non-seulement il les a faites pour confirmer le mystère de son incarnation, mais encore pour nous instruire et nous former à la vertu. Si en toute occasion il eût agi en Dieu, où aurions-nous pu apprendre la conduite que nous devons garder dans les rencontres épineuses et difficiles; comme ici, par exemple, s'il s'était présenté au milieu des Juifs qui né respiraient que sa mort, arrêtant tout à coup leur violence et leur fureur? Si donc Jésus-Christ n'avait point cessé de faire des miracles et des prodiges, si toujours il avait agi en Dieu, nous, venant à tomber dans les mêmes périls, et ne pouvant nous en tirer de même que lui, comment saurions-nous ce qu'il faut faire ; s'il faut nous livrer à la mort ou nous cacher et pourvoir à notre sûreté, afin de prêcher et de répandre la parole de Dieu ? Comme donc, faute d'avoir la même puissance, nous n'aurions pas su la conduite à tenir en pareil cas ; c'est pour cela même que Jésus-Christ nous l'a appris par son exemple. Car l'évangéliste rapporte que " Jésus, ayant dit ces choses, demeura en Galilée. Mais que, lorsque ses frères furent partis, il alla aussi lui-même à la fête, non pas publiquement, mais comme s'il eût voulu se cacher ". Ces paroles : " Lorsque ses frères furent partis ", marquent qu'il ne voulut pas aller à la fête avec eux. Voilà pourquoi il demeura en Galilée et ne se fit point connaître, quoiqu'ils le lui conseillassent.

Mais pourquoi Jésus-Christ, qui parlait toujours publiquement, se conduit-il maintenant comme s'il eût voulu se cacher? L'évangéliste ne dit point qu'il se soit caché, mais, comme s'il eût voulu se cacher. Car il fallait, comme j'ai dit, qu'il nous apprît les ménagements que nous devons, garder en pareil cas. Et d'ailleurs, ce n'était pas la mmême chose de se faire voir à des gens en colère et en fureur contre lui, ou de se montrer plus tard, après la fête.

" Les Juifs donc cherchaient , et ils disaient : Où est-il (11) ? " Voilà, certes, une belle action pour solenniser la fête ! Ils cherchent Jésus avec empressement dans le dessein de le faire mourir; un jour de fête ils délibèrent sur les moyens de le prendre. En un atome endroit de même, ils disent : " Que pensez-vous de ce qu'il n'est point venu ce jour de fête? " (Jean , XI , 56.) Et ici ils disaient : " Où est-il? " Par un excès de haine ils ne daignent même pas le nommer. Sûrement, c'est là bien célébrer, bien sanctifier la fête : c'est là montrer une grande piété. Ils voulaient profiter de la fête même pour [338] s'emparer de Jésus. " Et on faisait plusieurs discours de lui en secret parmi le peuple ". Au reste, je crois qu'ils étaient entrés en fureur à cause du lieu où avait été opéré le miracle, et qu'ils n'en étaient point tant irrités par indignation de l'oeuvre qu'il avait faite; que par crainte qu'il n'en fît d'autres semblables. Mais il arriva tout le contraire de ce qu'ils méditaient Malgré eux-mêmes, ils relevèrent sa gloire et le rendirent illustre; n car les uns disaient " C'est un homme de bien; les autres disaient : Non, mais il séduit le peuple ". La première opinion, je là crois du peuple; l'autre, des sénateurs et des prêtres. Car c'est à ces hommes méchants et jaloux qu'il appartenait de calomnier Jésus. Il séduit le peuple, disent-ils : En quoi , je vous prie? Est-ce en feignant d'opérer des miracles qu'il ne fait point? Mais vous savez le contraire par expérience. " Personne néanmoins n'osait en parler avec liberté, par la crainte qu'on avait des Juifs (13) ". Vous voyez partout que les grands , montrent un coeur corrompu, et que le peuple a de bons sentiments, mais manque du courage qui lui était si nécessaire.

" Or, vers le milieu de la fête, Jésus monta au temple où il se, mit à enseigner (14) ". L'attente où ils avaient été les rendit plus attentifs à sa parole. Remarquez, en effet, avec quel empressement ceux qui,les premiers jours le cherchaient, et disaient : " Où est-il? " s'approchent de lui, et l'écoutent parler, tant ceux qui disaient: c'est un homme de bien, que les autres qui disaient c'est un méchant homme. Mais les uns l'écoutaient pour profiter, de sa doctrine., l'admirer, et l'applaudit; les autres, pour le surprendre dans ses paroles et l'arrêter. Au reste, cette accusation : " Il séduit le peuple ", était fondée sur sa doctrine, car ils ne la comprenaient pas. Et ces mots: " C'est un homme de bien", sur ses miracles. Jésus-Christ ayant donc apaisé leur fureur, leur parla avec tant de fermeté et d'assurance, qu'ils écoutaient avec attention, la colère ne leur bouchant plus les oreilles. L'évangéliste ne nous apprend point ce qu'il enseigna, seulement il rapporte qu'il disait des choses admirables, qu'il les adoucit, et changea leurs dispositions, tant sa parole avait de vertu et d'efficace ! Ceux même qui disaient : " Il séduit le peuple ", étant tout changés, s'étonnaient alors et l'admiraient, c'est pourquoi ils parlaient de lui en ces termes : " Comment cet homme sait-il les lettres, lui qui ne les a point étudiées (15)? " Ne voyez-vous pas que , par ces paroles, l'évangéliste veut nous faire connaître que leur admiration était pleine de malignité? Il ne dit pas qu'ils avaient admiré sa doctrine et reçu sa parole; mais seulement qu'ils admiraient, c'est-à-dire qu'ils s'étonnaient, disant : " D'où lui vient cette science," quand ce doute aurait dû leur faire. apercevoir qu'il n'y avait rien d'humain chez lui.

Mais, comme ils ne voulaient pas reconnaître cela ni le confesser, et qu'ils se bornaient au simple étonnement, voici ce que leur répond le divin Sauveur; écoutez-le : " Ma doctrine n'est pas ma doctrine (16) ". Par là il répond encore à leur soupçon; les renvoyant au Père; pour leur fermer la bouche. " Si quelqu'un ", dit-il, " veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma,doctrine est de lui , ou si je parle de moi-même (17) ". C'est-à-dire, défaites-vous de votre méchanceté, chassez la colère, l'envie, et cette, haine que vous avez conçue contre moi sans raison,, et alors rien ne vous empêchera de: connaître que ma parole est véritablement celle de Dieu : voilà ce qui maintenant couvre votre esprit de ténèbres, voilà ce qui pervertit votre jugement et né vous permet pas de voir, la Vérité : si vous ôtez ces obstacles vos soupçons et vos doutes tomberont, et disparaîtront. Mais Jésus ne leur parla point ainsi,. pour ne leur pas faire un reproche trop dur et trop piquant ; cependant il leur insinue tout cela par ces paroles : " Celui qui fait, la volonté de Dieu, reconnaîtra si ma doctrine est de lui, ou si je parle de moi-même " , c'est-à-dire, si j'enseigne une doctrine étrangère ou nouvelle, ou contraire à côté de Dieu. Car, en employant ce mot " de moi-même " , Jésus-Christ veut toujours dire ceci ; Je ne dis rien de contraire à la volonté de Dieu : tout ce que veut le Père, je le veux. aussi. " Si quelqu'un fait la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine "... Que signifié cela? " Si quelqu'un fait la, volonté de Dieu? " Si quelqu'un aime la vertu, il sentira bientôt la force de mes paroles. Si quel. qu'un. veut lire avec soin les prophéties, il connaîtra si ce que j'enseigne y est conforme ou non.

2. Comment sa doctrine peut-elle être sa doctrine, et ne l'être pas? Car il n'a point dit : Cette doctrine n'est pas ma doctrine; mais [339] après avoir dit ma doctrine, et se l’être appropriée, il ajoute incontinent: ce n'est pas ma doctrine. Comment la même chose peut-elle être et n'être pas à lui,? Elle est sa doctrine, parce que là doctrine qu'il enseignait, il ne Pavait pas apprise: elle n'est pas sa doctrine, parce que c'est la doctrine de son Père. Pourquoi dit-il donc : " Tout ce qui est à mon Père est à moi, et tout ce qui est à moi est à mon Père? " (Jean, XVII, 10.) Car si la doctrine, pour être de votre Père, n'est point- à .vous, ce que vous venez de dire se contredit, puisque c'est pour cela même qu'elle doit être à vous. Mais cette parole : " N'est pas ma doctrine ", déclare d'une manière très-forte et très-expresse, que la volonté du Fils et celle du Père ne sont qu'une seule et même volonté; c'est comme s'il disait: " Ma doctrine ne " diffère nullement de celle du l'ère ", comme si elle était d'un autre. Car, quoique autre soit la personne du Père , autre la mienne, néanmoins je parle et j'agis de manière qu'on ne doit point croire que ce que le Père fait et ce qu'il dit soit différent de ce que je dis et de ce que je fais, et qu'au contraire ce que je fais et ce que je dis est absolument la même chose que ce que dit et ce que fait le Père. Jésus-Christ emploie ensuite un autre argument auquel on ne peut répondre, et qui est fondé sur l'usage et la pratique des hommes. Quel est-il, cet argument ? " Celui qui parle de son propre mouvement, cherche sa propre gloire (18) ". C'est-à-dire celui qui se veut faire une doctrine propre et particulière, ne cherche autre chose en cela que de s'acquérir de la gloire. Or, moi, si je ne cherche pas à m'attirer de la gloire, pourquoi voudrais je me faire une doctrine propre? Celui qui parle de son propre mouvement, c'est-à-dire , celui qui enseigne une doctrine différente et qui lui est propre, ne l'enseigne que pour se faire un nom, pour se faire valoir et pour en tirer vanité; mais si je n'agis, si je ne parle que pour la gloire de celui qui m'a envoyé, pourquoi voudrais-je enseigner une autre doctrine?

Ne remarquez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ a une raison pour dire qu'il ne kit rien de lui-même? Quelle est-elle, cette raison? C'est de convaincre les Juifs qu'il ne cherche point à se faire honorer du peuple. C’est pourquoi, quand il se sert d'expressions grossières comme : " Je cherche la gloire de mon Père"; c'est pour leur montrer partout qu'il ne cherche point sa propre gloire. Au reste, pour user ainsi de ces sortes d'expressions simples et grossières, le Sauveur avait plusieurs raisons , savoir : afin qu'on ne le crût pas non engendré, et contraire à Dieu; afin qu'on crût qu'il s'était revêtu de la chair, pour s'accommoder à la faiblesse et à la portée de ses auditeurs; afin de nous apprendre à rechercher l'humilité et à fuir l'ostentation. Mais il n'en avait qu'une seule pour parler d'une manière élevée, c'était la grandeur et la dignité de sa nature. En effet, si, pour l'avoir entendu dire qu'il était avant qu'Abraham fût au monde (Jean, VIII, 58), les Juifs se choquèrent et se mirent en colère, à quel excès de fureur ne se seraient-ils pas portés, s'ils ne lui avaient jamais ouï dire que des choses sublimes et élevées?

" Moïse ne vous a-t-il pas donné la loi (19) ? Et néanmoins nul de vous n'accomplit la loi. Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir (20) ? " Quel rapport ces paroles ont-elles à celles qui précèdent? Les Juifs imputaient deux crimes à Jésus-Christ : l'un, qu'il ne gardait point le sabbat; l'autre, qu'il appelait Dieu son Père, et qu'il se faisait égal à Dieu. Il est même visible que réellement et de fait Jésus-Christ se disait Fils de Dieu et égal à Dieu, et que ce n'était pas là un vain soupçon des Juifs : il est également certain qu'il ne se disait pas Fils de Dieu, comme sont les hommes en général, mais qu'il s'attribuait cette qualité comme lui étant propre et particulière à lui seul. Plusieurs, souvent, ont appelé Dieu leur Père ; en voici un exemple " Un même Dieu ne nous a-t-il pas tous créés? N'avons-nous pas tous un même Père? " (Malach. II, 10.) Mais ce n'était pas à dire que le peuple fût égal à Dieu. C'est pourquoi ceux qui l'entendaient dire ne se choquaient et ne se scandalisaient point.. Comme donc Jésus-Christ a souvent repris les Juifs, pour avoir dit qu'il n'était pas envoyé de Dieu, comme il s'est défendu de n'avoir pas gardé le sabbat; de même si ce n'eût été que sur un simple soupçon, sur une opinion qui se serait élevée parmi eux, qu'on l'accusât de se faire égal à Dieu, et non parce qu'il l'entendait lui-même ainsi, sans doute il les aurait repris et leur aurait dit : Pourquoi me croyez-vous égal à Dieu? je ne le suis point. Mais il ne leur a rien dit de semblable; au contraire, dans les [340] paroles suivantes, il montre qu'il est égal à Dieu. Ces paroles : " Comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, 1e Fils le fait de même " (Jean, V, 21); et : " Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père " (Ibid. 23); et : " Les oeuvres que le Père fait, le Fils les fait aussi comme lui ". (Ibid. 19.) Toutes ces choses, dis-je, établissent et confirment son égalité. Parlant de la loi, il dit : " Ne pensez pas que je sois venu " détruire la loi ou les prophètes ". (Matth. V, 17.) C'est de cette manière qu'il a coutume d'arracher les mauvais soupçons. Mais ici, l'opinion de l'égalité à l'égard du Père, non-seulement il ne l’ôte pas, mais il l' appuie et l'affermit.

C'est pourquoi, lorsque les Juifs lui dirent " Vous vous faites vous-même Dieu ", il ne les détourna point de ce sentiment; au contraire, il le confirma en disant : " Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Levez-vous, dit-il alors au paralytique , emportez votre lit et marchez ". (Matth. IX, 6.) Donc, la première accusation de se faire égal à Dieu, loin de la détruire, il la confirme; il montre aussi qu'il n'est pas contraire à Dieu, mais qu'il dit et qu'il enseigne les mêmes choses que le Père. Enfin, la seconde, de ne point garder le sabbat, il la repousse par ces paroles : " Moïse ne vous a-t-il pas donné la loi? Et néanmoins nul de vous n'accomplit la loi ". Comme, s'il disait : La loi défend de tuer; mais vous, vous tuez; et toutefois vous in' accusez d'être un violateur de la loi. Mais pourquoi a-t-il dit : " Nul de vous? " Parce que tous cherchaient à le faire mourir. Pour moi, dit-il, si j'ai violé la loi, je l'ai violée pour sauver la vie à un homme; mais vous, vous la violez pour faire du mal. Quand même je la violerais, je serais excusable, le faisant pour sauver; et ce ne serait point à vous de me le reprocher, à vous qui violez la loi dans les choses graves et importantes : car, ce que vous faites renverse entièrement la loi.

Il dispute ensuite contre eux : il l'avait déjà fait autrefois,.et plus au long; mais alors d'une manière plus élevée et conforme a sa dignité, maintenant plus simple et plus grossières Pourquoi? Parce qu'il ne voulait pas si souvent les irriter; car cette fois, dans le transport de, leur colère, ils n'auraient pas reculé devant un meurtre. Voilà pourquoi il persiste à apaiser leur esprit, employant ces deux moyens et le reproche de leur crime : " Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir? " et une remontrance pleine de modestie et de douceur : " Moi qui vous ai dit la vérité " (Jean, VIII, 40); et en leur faisant connaître qu'eux, qui ne respirent que le sang et le carnage, ils ne doivent pas juger les autres.

Pour vous, mon cher auditeur, considérez, je vous prie, combien est humble l'interrogation de Jésus-Christ, combien est insolente et cruelle la réponse des Juifs : " Vous êtes possédé du démon. Qui est-ce qui cherche à " vous faire mourir (20) ? " Parole de colère et de fureur, d'impudence ; et cela parce qu'on leur fait un reproche auquel ils ne s'attendaient pas et qu'ils se croyaient insultés. Car, ainsi que les voleurs chantent lorsqu'ils se mettent en embuscade, et qu'ensuite, pour surprendre celui qu'ils veulent attaquer, ils se tiennent dans le silence; les Juifs agissent de même. Au reste, Jésus-Christ renonçant à les confondre, de peur de les rendre plus impudents, se justifie de nouveau sur la violation du sabbat, et dispute avec eux sur la loi.

3. Mais voyez avec quelle prudence. Il n'est pas surprenant, dit-il, que vous ne me croyiez point, que vous ne vous soumettiez pas à moi, vous qui n'écoute même pas la loi que vous paraissez suivre, et qui la violez, cette loi que vous prétendez tenir de Moïse. Il n'est donc pas extraordinaire que vous ne soyiez pas attentifs à ma parole. Comme ils avaient dit

" Dieu a parlé à Moïse : mais pour celui-ci, nous ne savons d'où il est " (Jean, IX, 99); Jésus leur montre qu'ils font une injure à Moïse, en ne se soumettant pas à la loi qu'il leur a donnée.

J'ai fait une seule action et vous en êtes " tout surpris (21) ". Sur quoi remarquez, mon cher auditeur, que quand Jésus veut se justifier et réfuter le crime dont on l'accuse, il ne fait pas mention de son Père, mais il présente sa personne seule : " J'ai fait une seule action "; il veut faire voir que s'il ne l'avait point faite, ce serait alors qu'on pourrait dire que la loi aurait été violée , et qu'il y a des choses qu'il est plus nécessaire d'observer que la loi même, et que Moïse avait reçu contre la loi un ,commandement d'un ordre plus élevé que n'était la loi. Car la circoncision était [341] au-dessus du sabbat, quoiqu'elle vînt des patriarches et non de la loi. Or, moi j'ai fait une action meilleure et plus grande que la circoncision même. Il aurait pu arriver ensuite aux préceptes de la loi et montrer, par exemple, que les prêtres violaient le sabbat, comme il l'avait déjà dit; mais il parle d'une manière plus générale; au reste, ce mot : " Vous êtes surpris ", signifie : vous êtes troublés.

Or, si la loi avait dû rester immuable, la circoncision ne serait pas au-dessus d'elle; au reste, Jésus-Christ ne dit pas avoir fait une action plus grande que la circoncision, mais ses paroles en impliquent la preuve lorsqu'il dit : " Si un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat (23) ". Remarquez-vous, mes frères, que lorsque le Sauveur détruit la loi, c'est alors qu'elle demeure plus ferme? Remarquez-vous que la violation du sabbat est l'observance de la loi, en sorte que, si le sabbat n'avait pas été violé, nécessairement la loi l'eût été? Par conséquent, dit-il,-j'ai affermi la loi. Jésus n'a point dit : Vous vous mettez en colère contre moi , parce que j'ai fait une action plus grande que- la circoncision : mais seulement il expose le fait et leur laisse à juger ensuite, si l'entière guérison d'un homme n'est pas plus nécessaire que la circoncision. On viole la loi, dit-il, pour faire à un homme une marque qui ne lui sert de rien pour la santé, et, pour l'avoir guéri d'une si grande maladie, on excite votre colère ?

" Ne jugez point selon l'apparence (24) ". Que veut dire cela, " selon l'apparence ? " Quoique Moïse: soit parmi vous en plus grande réputation que moi, ne jugez pas pour cela sur la dignité des personnes, mais sur la nature des choses; c'est là en effet juger, selon la justice. Pourquoi personne n'a-t-il blâmé Moïse? Pourquoi personne ne s'est-il opposé à lui, quand il a ordonné de violer le sabbat par un précepte étranger à la loi? Mais il souffre que ce précepte, on le regarde comme supérieur à sa loi; ce précepte, dis-je, que la loi n'a point établi, mais. qui vient d'ailleurs véritablement il y a là de quoi s'étonner. Vous cependant, qui n'êtes pas des législateurs, vous vengez la loi d'une manière outrée, mais Moïse, qui ordonne de violer la loi par un précepte qui n'est point de la loi, est plus digne de toi que vous. Lors donc que Jésus-Christ dit: J'ai guéri un homme dans tout son corps, il fait entendre que la circoncision ne guérit qu'une partie du corps. Et quelle est cette guérison que procure la circoncision ? " Tout homme ", dit Moïse, " qui ne sera point circoncis, sera exterminé ". (Gen. XVII, 14.) Pour moi , je n’ai pas guéri une maladie partielle, mais j'ai entièrement rétabli un corps qui était tout corrompu. " Ne jugez donc pas selon l'apparence ".

Pensons, mes frères, que ces paroles du divin Sauveur ne s'adressent pas seulement aux Juifs, mais à nous encore. Ne manquons en rien à la justice, mais faisons tous nos efforts poux y rester fidèles. Ne regardons pas si celui qui se présente à nous est pauvre ou riche.; n'examinons pas les personnes, mais l'affaire que nous avons à juger. " Vous n'aurez point de pitié du pauvre en jugement ". (Exod. XXIII, 3.) Que veut dire cela? Si c'est un pauvre qui a commis une injustice et qui a fait du tort, que votre coeur ne s'amollisse point, ne vous laissez point fléchir. Mais s'il ne faut point avoir de compassion du pauvre, bien moins en faut-il avoir du riche. Au reste, ce n'est pas seulement aux juges, mais à tous que je m'adresse ici ; il ne faut jamais blesser la justice, mais toujours inviolablement la garder. " Le Seigneur aime la justice ", dit encore l'Ecriture, " mais celui qui aime l'iniquité, hait son âme ". (Ps. X, 6, 8.)

Ne haïssons pas notre âme, je vous en conjure, mes chers frères, :et n'aimons pas l'iniquité. Ici-bas, nous n'en retirerions que peu ou point de profit, et en l'autre monde elle nous serait fatale. Disons mieux , nous ne jouirons point, même ici-bas de notre iniquité. Vivre dans les délices avec une mauvaise conscience, n'est-ce pas un tourment et un supplice? Aimons donc la justice et ne violons jamais cette loi. Et,quel fruit emporterons-nous de cette vie, si nous n'en sortons avec la vertu? Qui nous protégera en l'autre monde? Sera-ce l'amitié, sera-ce la parenté, sera-ce la faveur ? Que dis-je, la faveur? Quand bien même nous aurions Noé pour père, ou Job, ou Daniel, tout cela ne nous servira de rien si nos oeuvres nous accusent; pour tout aide et pour tout secours nous n'avons besoin que de la vertu. Elle seule nous pourra garantir de tous périls et nous délivrer du feu éternel; elle nous fera entrer dans le royaume des cieux, que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint- Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE L.
ALORS QUELQUES GENS DE JÉRUSALEM COMMENCÈRENT A DIRE : N'EST-CE PAS LA CELUI QU'ILS CHERCHENT POUR LE FAIRE MOURIR? — ET NÉANMOINS LE VOILÀ QUI PARLE DEVANT TOUT LE MONDE SANS QU'ILS LUI DISENT RIEN. — EST-CE QUE LES SÉNATEURS ONT VRAIMENT RECONNU QU'IL EST VÉRITABLEMENT LE CHRIST (1) ? — MAIS NOUS SAVONS CEPENDANT D'OU EST CELUI-CI. (VERS. 25, 26, 27, JUSQU'AU VERS. 36.)
ANALYSE.

1. Les Juifs se contredisent au sujet de Jésus-Christ.

2. Jésus-Christ les démasque et leur montre qu'ils refusent de le recevoir bien qu'ils sachent qu'il est le Messie.

3. Jésus prédit sa mort, ce qui est au-dessus de l'homme. — Nous devons craindre, que nos péchés ne nous empêchent d'aller où est Jésus-Christ : c'est de ses disciples que le Sauveur dit : Je désire que là où je suis , ils y soient aussi avec moi. — Si l'huile de la charité nous manque, il nous en arrivera de même qu'aux vierges folles. — Ce qui resserre et ce qui éteint le Saint-Esprit dans les âmes. — L'inhumanité, la cruauté, la rapine, l'avarice éteignent l'Esprit-Saint dans les âmes par les chagrins et la tristesse que lui causent ces vices. — Ceux qui n'auront pas exercé la charité envers les pauvres, entendront cette terrible parole : Je ne vous connais point.

1. Dans les divines Ecritures, rien n'est inutile, tout a été dicté par le Saint-Esprit; c'est pourquoi examinons-en avec soin toutes les paroles: souvent l'intelligence dé tout un passage dépend d'un seul mot, comme il arrive maintenant ici. " Plusieurs personnes de Jérusalem disaient: N'est-ce pas là celui qu'ils a cherchent pour le faire mourir? Et néanmoins, le voilà qui parle devant tout le monde, sans qu'ils lui disent rien ". Pourquoi nommer les gens de Jérusalem? L'évangéliste montre en cela que ceux pour qui Jésus-Christ avait principalement fait tant de miracles, étaient les plus misérables de tous les hommes, puisqu'ayant vu de leurs propres yeux le plus grand témoignage de sa divinité, ils renvoyaient tout au jugement partial de leurs princes. N'était-ce pas là, en effet, la plus grande marque de sa divinité ? Ces hommes furieux et enragés, qui ne respiraient que le meurtre, courent de toutes parts et cherchent

1. Le texte grec et saint Chrysostome lisent ainsi.

Jésus pour le faire mourir; ils l'ont entre leurs mains , et aussitôt ils s'arrêtent. Qui en aurait pu faire autant? qui, sur-le-champ, aurait pu réprimer une pareille fureur?

Néanmoins, après tant de miracles, volez leur folie, voyez leur rage: " N'est-ce pas là ",disent-ils encore, " celui qu'ils cherchent pour " le faire mourir ? " Remarquez de quelle manière ils se condamnent eux-mêmes: " Qu'ils cherchent pour le faire mourir, et ils ne lui disent rien". Et non-seulement ils ne disent rien , mais, lors même qu'il parle devant tout le monde, .qu'il dit librement ce qu'il veut, qu'il les pique et les irrite , ils ne l'en empêchent point, ils ne l'arrêtent pas. " Ont-ils vraiment reconnu qu'il est le Christ? " Mais vous-mêmes, qu'en pensez-vous? quel jugement portez-vous de lui? Le jugement contraire, répondent-ils; voilà pourquoi ils disaient: " Mais nous savons cependant d'où est celui-ci ". O méchanceté ! ô contradiction ! Ils n'en jugent pas comme les princes, mais 343] ils en portent un autre, jugement injuste et digne de leur folie. " Nous savons ", disent-ils, " d'où il est " : ou, " que quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est ". (Matth. II, 4, 5.) Mais vos princes des prêtres, interrogés sur le lieu de sa naissance , répondirent que c'était dans. Bethléem qu'il devait naître.

D'autres encore viennent dire: " Nous savons que Dieu a parlé à Moïse : mais , pour celui-ci, nous né savons d'où il est ". (Jean, IX, 29.) Voyez ces paroles de gens ivres. Et derechef: " Le Christ viendra-t-il de Galilée? (Jean, VII, 41). " Ne viendra-t-il pas de la petite ville de Bethléem ? " (Ibid. 42.) Ne remarquez-vous pas le jugement de ces insensés. Nous savons, nous ne savons pas: Il viendra de la petite ville de Bethléem : " Mais quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est ". Est-il rien de plus visible que la contradiction de ces paroles? La seule chose qu'ils avaient en vue, c'était de ne point croire.

Mais, à tous ces discours, que répond Jésus-Christ? " Vous me connaissez, et vous savez d'où je suis : et je ne suis pas venu de moi-même; mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point.

Et encore : " Si vous me connaissiez , vous connaîtriez aussi mon Père ". (Jean, VIII, 19.) Comment donc Jésus-Christ .dit-il ici qu'ils le connaissent et qu'ils savent d'où il est; et ailleurs, qu'ils ne connaissent ni lui, ni son Père? Le divin Sauveur ne. se contredit point, loin de nous une telle pensée ! Il est parfaitement d'accord avec lui-même : il parle d'une autre connaissance, quand il dit: Vous ne me connaissez pas. Comme lorsque l'Ecriture dit " Les enfants d'Héli étaient des enfants impies (1), "qui ne connaissaient point le Seigneur". (I Rois, I, 12:) Et encore: " Mais Israël ne m'a point connu ". (Isaïe, I, 3.) De même que saint Paul dit: " Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres " . (Tit. I, 16.) On peut donc connaître et ne pas connaître. Voici ce que veut dire Jésus-Christ: Si vous me connaissiez, vous saviez que je suis le Fils de Dieu. Ce mot: " D'où je suis ", ne désigne point ici le lieu , comme le démontre ce qui suit: " Et je ne suis pas venu de moi-même, mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point ". Il parle ici de cette ignorance que

1. " Impies. " ou " pestilentiels "; la Vulgate dit " de Bélial ", ce qui emporte le même sens.

marquent les oeuvres, et dont l'apôtre dit " Ils font profession de connaître Dieu , mais ils le renoncent par, leurs oeuvres ". Car leur péché n'était pas un péché d'ignorance, mais de méchanceté et de mauvaise volonté. Ce qu'ils savaient fort bien, ils voulaient l'ignorer.

Mais quelle suite y a-t-il en ceci? Pourquoi, pour les réfuter, se sert-il de leurs paroles? Ils disaient . " Nous savons cependant d'où est celui-ci ", et Jésus leur répond : " Vous me connaissez ". Que disaient-ils ? Disaient-ils qu'ils ne le connaissaient pas? Au contraire, ils disaient : " Nous savons ". Mais quand ils disaient qu'ils savaient d'où il était, ils ne voulaient dire autre chose, sinon qu'il était de la terre et le fils d'un charpentier. Mais le divin Sauveur les élevait au ciel, en disant: Vous savez d'où je suis, c'est-à-dire : Je ne suis pas venu d'où vous pensez, mais d'où est celui qui m'a envoyé. En effet, lorsqu'il dit: " Je ne suis pas venu de moi-même ", il insinue ceci, savoir : qu'ils savaient qu'il était envoyé du Père, quoiqu'ils ne voulussent pas le reconnaître. Jésus-Christ les réfute de deux manières : premièrement, il publie devant tout le monde et crie à haute voix ce qu'ils disaient en secret, afin de les couvrir de confusion ; en second lieu, il découvre et manifeste leur pensée; c'est comme s'il disait : Je ne suis pas une personne vulgaire, je ne suis pas venu sans raison; mais : " Celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point ". Que signifient ces paroles : " Celui qui m'a envoyé, est véritable? " S'il est véritable, il m'a envoyé pour la vérité. S'il est véritable, il s'ensuit que celui qui a été envoyé est véritable lui-même.

2. Jésus-Christ le prouve encore d'une autre manière , les prenant par leurs propres paroles. Comme ils disaient : " Quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est " ; par là il leur montre qu'il est le Christ. Car en disant : " Personne ne saura ", ils songeaient à la différence des lieux; et c'est par où il fait voir qu'il est le Christ, puisqu'il est sorti du Père ; et partout il rend témoignage qu'il n'appartient qu'à lui seul de connaître le Père, disant : " Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père, si ce n'est celui qui est né du Père ". (Jean, V, 1, 46.) Ces paroles allumaient leur colère : lorsqu'il leur disait : Vous ne le connaissez point, et qu'il les convainquait qu'ils savaient véritablement [344] qui il était, " qu'il était le Messie et le Fils de Dieu ", mais qu'ils feignaient de ne le point savoir; rien n'était plus propre à les piquer, à les enflammer de colère.

" Ils cherchaient donc les moyens de le prendre ; et " néanmoins " personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue (30) ". Remarquez-vous bien, mes frères, qu'une main invisible les retenait et qu'elle réprimait leur violence. Et pourquoi saint Jean n'a-t-il pas dit que leur fureur s'était apaisée, parce que Jésus-Christ les avait invisiblement retenus, mais seulement que son heure n'était pas encore venue? L'évangéliste a voulu parler d'une manière humaine et plus simple, afin qu'on crût aussi à l'humanité de Jésus-Christ. En effet, comme partout il raconte de lui des choses grandes et élevées, c'est pour cette raison qu'il en mêle aussi de pareilles çà et là. Mais quand le Sauveur dit : " Je suis de lui ", il ne parle pas comme un prophète qui l'est par grâce, il le dit parce qu'il voit le Père et qu'il est avec lui.

" Pour moi, je le connais ", dit-il, " parce que je suis " né " de lui (29) ". Faites-vous bien attention, mes frères, qu'en toute occasion il prouve ce qu'il a déjà dit : " Je ne suis pas venu de moi-même " ; et : " Celui qui a m'a envoyé est véritable? " C'est de peur qu'on ne le croie séparé de Dieu. Et remarquez en même temps l'utilité de ces paroles simples et grossières. En effet, après cela, continue l'évangéliste, plusieurs disaient: " Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n'en fait celui-ci (31) " Quels miracles? Il y en avait trois : celui du vin, celui du paralytique, celui du fils de l’officier ; l'évangéliste n'en rapporte pas davantage : d'où l'on voit manifestement, comme je l'ai souvent fait remarquer, que les évangélistes ont omis bien des choses, et se bornent aux miracles, à propos desquels se déclara la malice des prince. Ils cherchaient donc les moyens de le prendre et de le faire mourir. Qui? Ce n'est pas le peuple qui n'aspirait point au gouvernement et dont le coeur n'était pas empoisonné de l'envie, mais ce sont les prêtres. Car pour le peuple il disait : " Quand le Christ viendra, fera-t-il a plus de miracles? " Néanmoins, ce n'était point là une foi saine et irrépréhensible, mais une foi appropriée à l’intelligence d'une telle multitude. Dire : " Quand le Christ viendra ", ce n'est point là parler comme des gens qui croient que celui-ci est le Christ. Ou il en faut convenir, ou attribuer ce propos à une intervention secourable du peuple, et dire que, lorsque les sénateurs et les princes des prêtres faisaient tous leurs efforts pour faire entendre que Jésus n'était point le Christ, le peuple dit: Supposons que cet homme ne soit point lé Christ, le Christ lui sera-t-il supérieur? Comme je l'ai souvent dit : ce n'est ni la doctrine, ni les sermons, ce sont les miracles qui attirent la populace et là font accourir.

" Les pharisiens entendirent ces discours que le peuple tenait de lui, et les princes " des prêtres avec eux; envoyèrent des archers pour le prendre (31) ". Ne le voyez-vous pas, mes frères, que la violation du sabbat n'était qu'un prétexte? Voilà. ce qui les irritait le plus: les discours du peuple. Car, à présent qu'ils n'ont rien à blâmer, ni dans ses paroles, ni dans ses oeuvres, toutefois ils veulent s'emparer de lui à cause de ces propos de la foulé. Et comme la crainte d'un soulèvement lés intimide et les retient, ils envoient des archers tenter l'expédition. Quelle violence ! quelle fureur ! ou plutôt, quelle infamie ! Souvent, ils avaient eux-mêmes essayé de le prendre, et comme ils ne l'avaient pu, ils en donnent la commission à des archers, pour assouvir, par un moyen quelconque, leur fureur et leur rage. Et cependant, Jésus avait été assez longtemps à discourir avec eux auprès de la piscine, sans qu'ils eussent fait la même tentative; véritablement ils avaient cherché les moyens de le prendre, mais ils n'avaient point osé mettre la main sur lui. Maintenant qu'ils voient tout le peuple près d'accourir à Jésus-. Christ, ils ne peuvent plus se posséder.

Que répond donc Jésus-Christ? " Je suis encore avec vous un peu de temps (33) ". Il pouvait, d'une. seule parole, dompter et épouvanter ces hommes, et,il leur fait une réponse des plus humbles; c'est comme s'il leur disait: Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir? pourquoi me persécutez-vous? Attendez un peu, et sans que vous ayez besoin de faire tant d'efforts, ni d'user de violence, je me livrerai moi-même entre vos mains. Après quoi, de peur qu'on ne crût qu'en disant : " Je suis encore avec vous un peu de temps ", il parlait de la, mort commune â tous, les hommes, comme, en effet, ils le pensèrent; pour leur ôter cette opinion qu'après sa mort il n'agirait plus, il a ajouté : " Et vous ne pouvez venir [345] où je suis (34) ". Or, s'il avait dû demeurer dans la mort, sûrement ils auraient pu l'y aller joindre, car la mort est un pays où nous allons tous. Ainsi, par ces paroles, Jésus gagnait les plus simples, il retenait dans la crainte et le respect les plus violents et les plus emportés, et ceux qui étaient le plus soigneux de s'instruire, il les excitait à se hâter de venir l'écouter, parce qu'il né devait plus rester ici-bas que peu de temps, et qu'ils n'auraient pas toujours le bonheur d'entendre une si excellente et si admirable doctrine? Le Sauveur n'a pas dit seulement : Je suis ici, mais encore : "Je suis avec vous ", c'est-à-dire, dussiez-vous me persécuter, me tourmenter, je ne cesserai pas un seul moment d'avoir soin de vous et de vous prêcher ce qu'il vous est nécessaire de savoir pour votre salut.

" Et je vais " ensuite " vers Celui qui m'a envoyé ". Ces paroles pouvaient les épouvanter et les inquiéter. Car il leur prédit qu'ils auraient besoin de lui. Vous me chercherez, dit-il, non-seulement vous ne m'oublierez pas, mais encore " vous me chercherez et vous ne me trouverez point ". Et quand les Juifs l'ont-ils cherché ? Saint Luc rapporte que les femmes l'avaient pleuré (Luc, XXIII, 27), et il est probable que beaucoup d'autres, et sur le moment, et lors de la ruine de Jérusalem, souhaitèrent la présence de Jésus-Christ par le souvenir qu'ils avaient de lui et de ses miracles. Au reste, le divin Sauveur dit toutes ces choses pour les attirer et les gagner. En effet, le peu de temps qu'il devait être avec eux, le regret qu'ils auraient de lui, après qu'il s'en serait allé, lorsqu'ils ne pourraient plus le trouver; c'était là de quoi les engager à s'attacher à lui pour profiter de ces derniers moments. S'il ne devait pas arriver qu'ils regrettassent sa présence, ce qu'il leur disait n'avait rien d'extraordinaire, ni d'intéressant : si, au contraire, ils devaient souhaiter sa présente, sans qu'il leur fût impossible de le retrouver, ce qu'il leur disait n'aurait pas été capable de les troubler et de les inquiéter si fort.

3. Et encore, s'il avait dû demeurer beaucoup de temps avec eux, peut-être seraient-ils devenus indolents et paresseux. Mais, par ce discours, maintenant il les presse de toutes parts, et il les effraie. Ces paroles : " Je vais vers Celui qui m'a envoyé", leur font connaître qu'il n'a rien à craindre de leurs pièges, et qu'il souffrira la mort volontairement. Jésus-Christ a donc prédit deux choses: et qu'il s'en irait dans peu, et qu'ils ne pourraient le venir trouver : certes, il est au-dessus de l'esprit humain de prédire ainsi sa mort. Ecoutez ce que dit David : " Faites-moi connaître, Seigneur, " quelle est " ma fin, et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui m'en reste " encore. (Ps. XXXVIII, 5, 6.) C'est là sûrement ce que personne ne sait : au reste, Jésus-Christ confirme l'une des choses par l’autre : " La prédiction qu'ils ne le trouveraient point, par celle de sa mort ". Pour moi, je pense que le Sauveur dit énigmatique ment ceci aux archers, et que ces paroles les regardent, qu'il les leur adresse pour les gagner tout à fait, leur faisant connaître qu'il savait pourquoi ils étaient venus, comme s'il leur disait.: attendez un peu, et après j'irai avec vous.

" Les Juifs disaient donc entre eux: où est-ce qu'il ira (35) ? " Cependant des gens qui auraient désiré avec passion qu'il s'en allât, et fait tout ce qu'ils pouvaient pour ne l'avoir plus devant leurs yeux, n'auraient pas dû s'enquérir de ceci, mais dire : nous nous réjouissons que vous vous en alliez : et quand cela arrivera-t-il? Mais ces paroles les inquiètent; voilà pourquoi ils se demandent les uns aux autres, dans la faiblesse de leur esprit: où est-ce qu'il s'en ira? " Ira-t-il vers la dispersion des gentils? " Que signifie cela? " Vers la dispersion des gentils? " C'est ainsi que les Juifs appelaient les gentils, parce qu'ils étaient dispersés partout, et qu'ils se mêlaient librement les uns avec les autres. Dans la suite, les Juifs ont aussi souffert la même confusion et la même ignominie : car ils sont eux-mêmes devenus une dispersion. Autrefois, toute la nation était unie ensemble dans un même lieu, et l'on n'aurait pu trouver un Juif autre part que dans la Palestine : voilà pourquoi les Juifs appelaient les gentils la dispersion : c'était un reproche qu'ils leur faisaient, se glorifiant d'être tous réunis ensemble, et s'en applaudissant extrêmement.

Que veulent donc dire ces paroles : " Vous ne pouvez venir où je vais ", et dans un temps auquel les Juifs se mêlaient partout avec les gentils dans le monde entier? Si Jésus-Christ avait voulu désigner les gentils, il n'aurait pas dit : je vais où vous ne pouvez venir. Niais lorsque les Juifs dirent : " Ira-t-il vers la [346] dispersion des gentils? " ils n'ajoutèrent point, pour les perdre et les exterminer, mais pour les instruire : ainsi leur colère était déjà apaisée, et ils avaient pris confiance dans la parole de Jésus. S'ils n'y avaient point cru, ils ne se seraient pas demandé entre eux ce qu'il voulait dire : mais en voilà assez sur ce qui les concerne.

Nous avons à craindre, mes chers frères, qu'elle ne s'applique à nous-mêmes., cette parole : vous ne pouvez venir où je suis, à cause des péchés dont notre vie est chargée. Car, de ses disciples, Jésus-Christ dit : " Je désire que là où je suis, ils y soient aussi avec moi ". (Matth. XVII, 24.) Mais de nous, j'ai peur qu'il ne dise le contraire, qu'il ne nous dise: " Vous ne pouvez venir où je suis ". Ce qu'il ne nous est pas permis de faire, nous le faisons comment pourrons-nous aller où il est? Dans ce monde, le soldat qui manque de respect au roi, perd le droit de le voir : il est dégradé et condamné au dernier supplice. Si donc nous ravissons le bien d'autrui, si nous nous livrons à l'avarice, si nous commettons l'iniquité, si nous sommes violents et emportés, si nous ne faisons pas l'aumône, nous ne pourrons point aller là où est Jésus-Christ. Mais il nous arrivera la même chose qu'aux vierges folles (Matth. XXV), qui ne purent entrer avec lui aux noces et qui furent obligées de se retirer, leurs lampes s'étant éteintes , c'est-à-dire, l'huile de la charité et des bonnes oeuvres leur ayant manqué. Car le feu de la charité que le Saint-Esprit allume subitement en nous, si nous voulons, nous le rendons plus ardent, et si nous ne voulons pas, nous l'éteignons aussitôt ; mais aussi, dès qu'il sera éteint, il n'y aura plus que des ténèbres dans nos âmes. Comme la lampe qui est allumée répand une grande lumière, de même quand elle vient à s'éteindre, tout n'est que ténèbres. Voilà pourquoi l'Ecriture dit : " N'éteignez pas l'Esprit ". (1 Thess. V,19.) Or, on l'éteint, cet esprit, lorsque l'huile manque, lorsqu'un souffle plus impétueux que le vent vient à l'assaillir; lorsqu'on le comprime et qu'on l'étouffe : car on éteint aussi le feu de cette manière. Or, on étouffe, on comprime cet esprit, en se livrant aux pensées du siècle; on l'éteint, en s'abandonnant aux passions déréglées. Mais surtout, rien, n'est plus capable de l'éteindre que l'inhumanité , la cruauté, les rapines. Si, à défaut d'huile, nous versons par-dessus de l'eau froide, c'est-à-dire l'avarice qui glace par la tristesse les âmes de ses victimes, comment ensuite pourrons-nous le rallumer? Nous sortirons donc de ce monde, emportant avec nous beaucoup de cendres et une fumée qui nous accusera d'avoir éteint notre lampe. Car où il y a de la fumée, là nécessairement il y a eu du feu, et un feu qu'on vient d'éteindre.

Mais à Dieu ne plaise qui aucun de vous n'entende cette foudroyante parole : " Je ne vous connais point ! " (Matth. XXV, 12.) Et qu'est-ce qui la provoque, cette terrible parole? sinon d'avoir vu le pauvre et de n'avoir pas fait attention à lui? Si nous avons méconnu Jésus-Christ affamé, il ne nous connaîtra pas non plus lui-même, nous qui aurons été sans pitié. Et certes ce sera justice. Car celui qui méprise le pauvre et ne l'assiste pas de ses biens, comment espérerait-il participer à des biens qui ne lui appartiennent pas? C'est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, faisons tout ce que nous pouvons, mettons tout en oeuvre pour que l'huile ne nous manque pas. Garnissons bien nos lampes, afin d'entrer avec l'époux dans la chambre nuptiale. Je prie Dieu de nous y faire tous entrer, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles éternels! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE LI.
LE DERNIER JOUR DE LA FÊTE, QUI ÉTAIT LE PLUS SOLENNEL, JÉSUS SE TENANT DEBOUT, DISAIT A HAUTE VOIX : SI QUELQU'UN A SOIF, QU'IL VIENNE A MOI, ET QU'IL BOIVE. — SI QUELQU'UN CROIT EN MOI, IL SORTIRA DES FLEUVES, D'EAU VIVE DE SON VENTRE, COMME DIT L'ÉCRITURE. (VERSET 37, 38, JUSQU'AU VERS. 44.)
ANALYSE.

347

1. Les auditeurs de la parole de Dieu en doivent avoir une soif ardente.

2. Le Saint-Esprit avait déjà été donné aux saints de l'Ancien Testament; mais les apôtres le reçurent avec une plus grande plénitude.

3. Effets de la malice et de la méchanceté. — On se. perd soi-même, en voulant perdre les autres. — Les Juifs ont voulu détruire la prédication de l'Evangile, et ils ont été eux-mêmes détruits et dispersés. Comment il faut se venger de ses ennemis beau moyen de se venger. — Laisser, à Dieu notre vengeance comme nous voulons que nos domestiques nous laissent la leur. — On guérit le mal non par le mal, mais par le bien.

1. Il faut que ceux qui viennent entendre la parole de Dieu et qui y croient; montrent autant d'ardeur pour elle qu'en ont pour l'eau ceux qui sont pressés d'une soif brûlante : il faut que leur âme soit embrasée de désir et d'amour. C'est ainsi que plus fidèlement et plus sûrement ils la pourront garder dans leur coeur. En effet, ceux qui ont bien soif, avalent avec une extrême avidité le verre d'eau qu'on leur présente, et par là ils étanchent leur soif. Ceux donc qui puisent aux sources de la divine parole, s'ils en sont altérés comme des gens qu'une ardente soif consumé, ne cesseront point de boire qu'ils n'aient tout avalé, tout épuisé. L'Ecriture sainte le dit, qu'il faut toujours avoir soif, que toujours il faut avoir faim : "Bienheureux ceux ", dit-elle, " qui sont affamés et altérés de la justice ". (Matth. V, 6.) Et ici Jésus-Christ : " Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive " ; c'est-à-dire, je ne contrains, je ne force personne à venir à moi ; mais si quelqu'un a bonne volonté, s'il a de la ferveur et une grande affection, c'est celui-là que j'appelle.

Mais pourquoi l'évangéliste marque-t-il ainsi " le dernier jour de la fête ", qui était le plus solennel? Car le premier et le dernier jour étaient les plus solennels, et ceux du milieu de l'octave se passaient en festins et en plaisirs. Pourquoi dit-il donc : " Le dernier jour? " Parce que c'est en ce jour que tout le peuple accourait et s'assemblait. Jésus ne fut pas à la fête le premier jour, et il en dit la raison à ses frères. Il ne prêcha ni le second; ni le troisième, pour ne prêcher pas inutilement, puisqu'en ces jours on s'abandonnait aux plaisirs et à la joie: Mais le dernier jour, auquel chacun se retirait chez soi, il leur donne le viatique du salut ; et il crie à haute voix, soit pour montrer qu'il parle en assurance et en toute liberté, soit pour faire connaître à toute cette assemblée qu'il avait parlé d'un breuvage spirituel; et il ajoute : " Si quelqu'un croit en moi, comme dit l'Ecriture, il sortira des fleuves d'eau vive de son ventre ". Jésus appelle ventre le coeur, de même que le Psalmiste dit : " Et votre loi est gravée au milieu de mon ventre ". (Ps. XXXIX, 11.) Et où est ce que l'Ecriture dit : " Il sortira des fleuves d'eau de son ventre? " Nulle part. Que veut donc dire ceci : " Celui qui croit en moi, comme dit l'Ecriture ? " Il faut ici ponctuer de manière qu'il ne paraisse que ces mots

Il sortira des fleuves d'eau de son ventre ", sont de Jésus-Christ même. Car comme [348] plusieurs disaient : " C'est Jésus-Christ ", et " Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles? " il montre qu'il faut avoir une foi pure, avoir de lui une juste opinion, et ne point tant croire sur les miracles que sur ce qu'enseignent les Ecritures. En effet, un grand nombre de ceux qui lui voyaient faire des miracles, ne le reconnaissaient pas pour le Christ ; et qu’on ne pouvait manquer de lui objecter : les Ecritures ne disent-elles pas que le Christ viendra de la race de David?

Jésus parlait souvent des Ecritures, pour faire voir qu'il n'en craignait point le témoignage, et qu'il n'en fuyait point la lumière et c'est pour cela qu'il renvoie les Juifs aux Ecritures. Car il avait dit auparavant : " Lisez " avec soin les Ecritures " (Jean, V, 39) ; et encore : " Il est écrit dans les prophètes : ils seront tous enseignés de Dieu ". (Jean, VI, .45.) Et : " Moïse est votre accusateur ". (Jean, V, 45.) Mais ici il dit : " Comme a dit l'Ecriture : il sortira des fleuves de son ventre". Par où il marque l'abondance et la fécondité de la grâce; de même qu'il dit ailleurs: " Une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle " (Jean, IV, 14), c'est-à-dire; il recevra une abondance de grâces. Ailleurs il avait dit : La vie éternelle; ici il dit : Une eau vive. Le Sauveur appelle eau vive celle qui coule, qui opère toujours. Car lorsque la grâce du Saint-Esprit est entrée dans une âme et y a établi sa demeure, elle coule et se répand avec plus de force et d'abondance qu'aucune autre source; elle ne tarit point et ne cesse jamais de couler. Jésus-Christ donc, pour montrer que jamais cette eau ne tarit, et qu'elle agit d'une manière ineffable, dit une fontaine et des fleuves; non un seul fleuve, mais une infinité de fleuves. Et en cet endroit il s'est servi du mot de rejaillir, pour celui d'inonder.

Voulez-vous le voir clairement, mes frères, que cette eau se multiplie en une infinité de fleuves? Considérez la sagesse d'Etienne, l'éloquence de Pierre, la force de Paul: considérez que rien n'a pu vaincre ni ralentir leur zèle et leur activité : ni la fureur du peuple, ni la violence des tyrans, ni les piéges des démons, ni la mort à laquelle ils se voyaient tous les jours exposés; et que, semblables à des fleuves impétueux qui se débordent, ils ont tout entraîné avec eux.

" Ce qu'il entendait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui, car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné (39) ". Comment donc les prophètes ont-ils prophétisé et opéré tant de miracles? Car ce n'est point par l'Esprit, mais par la vertu de Jésus, que les apôtres ont chassé les démons, comme il le dit lui-même : " Si c'est par Béelzébuth que je chasse les démons, par qui vos " enfants les chassent-ils? " Jésus-Christ disait donc cela pour déclarer qu'avant qu'il eût été crucifié ils n'avaient pas tous chassé les démons par le Saint-Esprit, mais par sa vertu. C'est quand il envoya ses disciples prêcher l'Evangile, qu'il leur dit : " Recevez le Saint-Esprit". Et encore : " Le Saint-Esprit se répandit sur eux et ils faisaient des miracles ". (Matth. XX, 22.)

2. Au reste, lorsque Jésus-Christ envoya ses disciples, il n'est point écrit qu'il leur donna le, Saint-Esprit, mais il leur donna puissance, disant : " Guérissez les lépreux, chassez les démons, ressuscitez les morts : donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement ". (Matth. X, 1, 8.) Or, tout le monde sait que le Saint-Esprit avait été donné aux prophètes; mais aussi on ne .doit pas ignorer que cette grâce était donnée par mesure, qu'elle a été ôtée et qu'elle a cessé sur la terre depuis le jour qu'il fut dit: " Votre maison est abandonnée, elle demeurera déserte " (Matth. XXIII, 38) ; et qu'avant ce jour, même le Saint-Esprit commençait déjà à faire plus rarement sentir son opération. Il n'y avait plus de prophètes parmi les Juifs, et s'il s'en trouvait, leur grâce, leur vertu ne s'étendait point jusque sur les choses saintes et salutaires.

Les Juifs donc ayant été privés de la grâce du Saint-Esprit, il est venu un temps auquel elle s'est répandue sur les hommes avec une plus grande effusion, et c'est après le crucifiement du Sauveur qu'elle a commencé de se manifester, non-seulement avec plus d'abondance, mais encore par des dons plus grands et plus excellents. Car le don duquel il est dit : " Vous ne

savez pas de quel esprit vous êtes animés " (Luc, IX, 55); et encore : " Aussi vous n'avez point reçu l'esprit de servitude, mais vous avez reçu l'Esprit de l'adoption " (Rom. VIII, 15), était effectivement un don plus merveilleux et plus admirable que ceux que Dieu distribuait dans le Vieux Testament; car les saints de l'ancienne loi recevaient aussi le Saint-Esprit, mais ils ne le communiquaient point aux autres; au lieu que les apôtres en [349] remplissaient tout le monde: comme donc ils devaient un jour recevoir cette grâce, et qu'elle ne leur avait point encore été donnée, voilà pourquoi l'évangéliste dit : " L'Esprit n'était pas encore ". Et sûrement c'est de cette grâce qu'il parle, quand il dit : " Le Saint-Esprit n'était pas encore, à savoir, donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié ", appelant gloire ou glorification la croix du Sauveur. Comme nous étions des ennemis de Dieu, des pécheurs, privés de la grâce du Seigneur, des impies, et que la grâce est un signe de réconciliation; comme aussi ce n'est: ni à ses ennemis, ni à ceux qu'on hait que l'on fait du bien, mais à ses amis, mais à ceux qu'on croit gens de bien, il a donc fallu offrir pour nous auparavant un sacrifice d'expiation ; il a fallu que l'inimitié fût détruite dans la chair et que nous devinssions amis de Dieu avant de recevoir son présent. Et s'il y à eu un sacrifice offert, lorsque la promesse a été faite, à Abraham, il fallait, à plus forte raison, en offrir un sous le régime de grâce; c'est là ce que déclare saint Paul par ces paroles: " Que si ceux qui appartiennent à la loi sont les héritiers, la foi dévient inutile et la promesse de Dieu sans effet; car la loi produit la colère " (Rom. IV, 14, 15), c'est-à-dire Dieu a promis à Abraham et à sa postérité de lui donner la terre " de Chanaan " ; mais là postérité d'Abraham s'est trouvée indigne de la promesse et n'a pu se rendre agréable à Dieu par ses propres oeuvres. C'est pourquoi la foi, qui est une chose facile, est venue dans le monde afin d'attirer la grâce et afin que les, promesses de Dieu ne fussent pas sans effet; et c'est encore pour cette raison que le même apôtre, parlant de la foi, dit : " Afin que nous soyions héritiers par grâce, et que la promesse demeure ferme ". (Ibid. 16.) Par grâce, attendu que les enfants d'Abraham n'avaient pu l'acquérir ni par leur travail, ni par leurs sueurs.

Mais pourquoi Jésus-Christ ayant dit : " Selon l'Ecriture ", n'en a-t-il pas apporté des témoignages? C'est parce que l'esprit des Juifs était prévenu. Car les uns disaient : " Cet homme est le prophète, celui que nous attendons (40) ". D'autres : " Il séduit le peuple (12) ". D'autres : " Le Christ ne viendra pas de Galilée, mais de la petite ville de Bethléem (41, 42) ". Et d'autres : " Quand le Christ viendra, personne ne saura d'où-il est (27) ". Ainsi leurs opinions étaient partagées, comme il arrive dans les troubles populaires. En effet, ils ne voulaient pas écouter, ne tenaient pas à s'instruire. Voilà pourquoi Jésus ne leur répond rien-, quoiqu'il y en eût qui disent : " Le Christ viendra-t-il de Galilée? ", Mais il loua Nathanaël comme un vrai israélite, quoiqu'il parlât avec plus de force et de dureté, et qu'il dît avec mépris : " Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? " Mais les premiers et ceux qui disaient à Nicodème : " Lisez avec soin les Ecritures, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée (52) ", ne parlaient point pour savoir qui il était, mais pour écarter et détruire l'opinion que répandaient ceux qui disaient : " Il est le Christ ". En ce qui concerne Nathanaël, c'était l'amour de la vérité et la connaissance des anciennes prophéties qui le faisaient parler comme il fit mais ceux-là n'avaient en vue que de détourner le peuple de la pensée que Jésus était le Christ, voilà pourquoi Jésus ne les instruisit point. Car des gens qui se contredisaient, qui tantôt disaient : " Personne ne saura d'où il est", et tantôt : " Il viendra de Bethléem ", eussent-ils véritablement appris qu'il était le Christ, ils n'auraient sûrement pas manqué de le contester. Que parce qu'il avait demeuré à Nazareth, ils ignorassent qu'il était de Bethléem, je le passe, quoiqu'en cela même-ils ne soient point excusables, puisque Jésus n'était point né à Nazareth; mais sa généalogie, pouvaient-ils de même la méconnaître, pouvaient-ils ignorer qu'il était de la maison et de la famille de David? Comment donc disaient-ils : " Le Christ ne viendra-t-il pas de la race de David? " Voilà précisément par où ils lâchaient d'obscurcir et de cacher sa naissance, et de suborner le peuple parles discours qu'ils semaient.

Mais pourquoi ne vinrent-ils pas dire à Jésus-Christ : Maître , nous admirons votre doctrine et vos oeuvres, mais puisque vous voulez que nous croyions en vous, conformément à ce qu'enseignent les Ecritures , apprenez-nous pourquoi elles annoncent que le Christ viendra de Bethléem, et pourquoi vous êtes venu de Galilée? Mais ils ne dirent rien de cela, et la malignité dictait seule tous leurs propos. L'évangéliste fait bien voir qu'ils ne cherchaient point à le connaître, ou même qu'ils ne le voulaient point, puisqu'il ajoute incontinent : " Quelques-uns d'entre eux avaient envie de le perdre; mais néanmoins [350] personne ne mit la main sur lui (44) ". Et en effet, si quelque chose était capable de les toucher, c'était au moins cette hardie et insolente entreprise, mais ils n'en furent nullement touchés, comme dit le prophète : " Ils ont été divisés, mais ne furent pas néanmoins touchés de componction ". (Ps. XXXIV, 19.)

3. C'est le propre de la malice de ne vouloir céder à personne, et d'avoir uniquement en vue la perte de celui à qui elle tend des piéges. Mais, que dit l'Ecriture ? " Celui qui creuse la fosse pour son prochain tombera dedans ". (Prov. XXVI, 27.) Et voilà ce qui est alors arrivé aux Juifs. Ils avaient envie de faire mourir Jésus-Christ pour détruire la prédication, pour étouffer l'Evangile dès sa naissance. Ce fut le contraire qui arriva: la prédication fleurit, l'Evangile triomphe par la grâce de Jésus-Christ, et leur république est éteinte, leur état est renversé: ils sont errants sur la terre, sans patrie, sans liberté , sans culte ; toute leur prospérité leur est ravie: ils vivent dans la servitude et dans la captivité.

Instruits de ces vérités , gardons-nous de tendre des pièges aux autres, persuadés que c'est là aiguiser une épée contre soi-même, et se faire une plus profonde blessure. Mais on vous a offensé, et vous voulez en tirer vengeance? Ne vous vengez point, et par là vous serez vengé : si vous vous vengez, vous ne vous vengerez point. Et ne pensez pas que ce soit là une énigme, c'est une vérité. Comment cela? Parce que, si vous ne vous vengez point, vous, attirez la colère de Dieu sur celui qui vous a offensé; si , au contraire , vous exercez votre vengeance, il n'en est plus de même: le Seigneur ne vous venge point. Car, " c'est à moi que la vengeance est réservée, et c'est moi qui la ferai , dit le Seigneur ". (Rom. XII,19 ; Deut. XXXII, 43.) En effet, qu'il survienne une querelle entre nos domestiques, nous voulons qu'ils nous en laissent toute la vengeance; mais, s'ils se vengent eux-mêmes, et qu'ensuite ils viennent nous prier de les venger , quelles que soient leurs instances, non-seulement nous ne les vengeons point, mais même nous nous mettons en colère contre eux, et nous leur disons: Déserteur, tu mérites les étrivières ; car ils devaient s'en rapporter entièrement à nous, et nous laisser le soin de les venger. Mais, comme nous leur pouvons dire: Tu t'es vengé toi-même, nous. leur répondons . Retire-toi, et ne viens pas davantage m'importuner. A plus forte raison, Dieu, qui nous, a commandé de nous remettre à lui de toutes choses, nous fer a-t-il cette même réponse. Et quoi 1 n'est-il pas ridicule que nous; qui exigeons de nos serviteurs tant de sagesse et de déférence, nous ne confiions pas au Seigneur ce que nous voulons que nos serviteurs nous confient? Au reste, si je vous dis ceci, mes frères, c'est que je vous vois très-prompts à vous venger.

Le vrai sage ne doit point se venger, il doit remettre et pardonner les fautes qu'on commet contre lui, et il le devrait, quand même il n'aurait pas à attendre une grande récompense, à savoir, la rémission de ses propres péchés: si vous condamnez le pécheur, si vous le punissez, pourquoi, je vous prie; pourquoi péchez-vous vous-même ? pourquoi tombez-vous dans les fautes que vous punissez chez. les autres? Quelqu'un vous a-t-il fait une injure, ne rendez pas injure pour injure, pour ne pas vous punir vous-même le premier: Quelqu'un vous a-t-il frappé, ne rendez pas coup pour coup, vous n'en retireriez aucun avantage. Quelqu'un .tous a-t-il causé du chagrin, ne rendez pas la pareille, il n'en revient aucune utilité, sinon de devenir semblable à celui qui a fait le mal. Si vous souffrez tout patiemment et avec douceur, peut-être le couvrirez-vous de confusion, peut-être le ferez-vous rougir assez pour qu'il calmé sa colère.

Ce n'est point par le mal qu'on guérit le mal; mais c'est par le bien. Il est des païens qui pensent de même et pratiquent cette philosophie. Rougissons donc de céder, en philosophie, à des fous comme sont les païens. Plusieurs d'entre eux; ayant reçu une injure, l'ont courageusement soufferte; plusieurs ne se sont point vengé de la calomnie, plusieurs ont fait . du bien à ceux qui cherchaient à leur faire du mal. Nous devons craindre que, parmi eux, il ne s'en trouve qui, nous surpassent en vertu, et quel pour cela même, nous ne soyions plus sévèrement punis.

En effet, si nous, qui avons reçu le Saint-Esprit, qui attendons un royaume,, qui nous exerçons à la vraie philosophie, qui combattons pour acquérir les célestes récompenses, qui n'avons point, comme ces hommes, un enfer à,craindre , à qui il est ordonné d'être des anges, qui participons aux saints mystères; si nous, dis-je, nous n'atteignons même pas à leur vertu , quelle indulgence obtiendrons-nous? [351] Car si nous sommes obligés de surpasser les Juifs : " Si votre justice " , dit Jésus-Christ, " n'est plus abondante que celle des scribes et des pharisiens , vous n'entrerez point dans le royaume des cieux " (Matth. v, 20) ; à plus forte raison le sommes-nous de surpasser les gentils; si nous devons surpasser les pharisiens , nous sommes tenus bien plus rigoureusement de surpasser les infidèles. Faute d'avoir surpassé les Juifs et les pharisiens, le royaume nous sera fermé. Si nous sommes plus méchants que les païens , comment ce même royaume nous sera-t-il ouvert ?

C'est pourquoi chassons toute aigreur, toute colère, toute fureur. " Il ne m'est pas pénible a de vous écrire les mêmes choses, mais il vous est sûr que je le fasse ". (Philip. III, 1.) Souvent les médecins réitèrent le même remède; nous, de même, nous ne cesserons point de crier, de vous remémorer les mêmes choses, de vous instruire, de vous exhorter. Les embarras du siècle, une multitude d'affaires vous font oublier tout ce que nous vous prêchons et nous vous enseignons ; et nous avons besoin de recommencer sans cesse. Si nous voulons que nos réunions en ce lieu ne soient pas inutiles, produisons de bons fruits, afin que nous obtenions les biens à venir, par la grâce et la boraté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE LII.
LES GARDES RETOURNÈRENT DONC VERS LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES PHARISIENS QUI LUUR DIRENT POURQUOI NE L'AVEZ-VOUS PAS AMENÉ ? — LES GARDES LEUR RÉPONDIRENT : JAMAIS HOMME N'A PARLÉ COMME CET HOMME-LA. (VERS. 45, 46, JUSQU'AU VERS. 19 DU CHAP. VIII.)
ANALYSE.

1. La vérité se découvre d'elle-même aux âmes droites et sincères, et se cache aux esprits infectés de malice.

2. Nicodème, un sénateur, prend la défense de Jésus-Christ contre les pharisiens.

3. Objection des hérétiques. — Réponse. — Jésus-Christ déclare qu'il est consubstantiel à son Père.

4. Blasphémer contre le Fils, c'est aussi blasphémer contre le Père. — Glorifier le Fils comme le Père, il est de même nature on ne peut connaître le Père sans connaître le Fils : s'il n'était pas de même substance, on pourrait connaître le Père sans connaître le Fils. — On ne peut connaître le Père sans connaître le Fils, parce qu'ils sont de même substance. — On connaît l'homme, et on ne connaît pas lange : on connaît la créature, et on ne connaît pas Dieu, parce que les substances sont différentes. — Glorifier le Fils et par la parole et par les oeuvres. — Ce que Dieu demande d'un chrétien. — Laideur et puanteur du péché. — Rien n'est plus honteux, ni plus horrible que la rapine et l’avarice.

1. Rien n'est plus clair, rien n'est plus simple que la vérité, quand on la cherche avec un coeur droit et sincère : mais, s'il y a dans l'âme de la malice, rien n'est alors plus obscur ni plus impénétrable que cette même vérité. En voici un exemple Les scribes et les pharisiens, qui paraissaient les plus sages de tous les hommes, qui étaient toujours avec Jésus-Christ, pour lui tendre des piéges, quoiqu'ils vissent les miracles qu'il faisait, quoiqu'ils lussent les Ecritures, n'en ont retiré aucun fruit, aucun profit, et que dis-je ? ils n'ont fait par, là que se nuire : au contraire, les gardes, privés de tous ces avantages, une seule prédication les a gagnés. Et ceux qui étaient venus prendre Jésus-Christ, ravis [352] d'admiration, furent pris eux-mêmes. Nous ne devons pas seulement admirer leur sagesse pour avoir su se passer- de miracles, et n'avoir eu besoin que de la doctrine seule, de la seule parole de Jésus-Christ pour se convertir (car ils n'ont point dit : Jamais homme n'a fait de si grands miracles, mais bien : " Jamais homme n'a parlé comme cet homme-là " ) : non-seulement donc leur docilité est digne d'admiration , mais aussi la liberté avec laquelle ils répondent à ceux qui les avaient envoyés, aux pharisiens, à ceux qui persécutaient Jésus, et qui n'oubliaient rien pour assouvir l'envie qu'ils lui portaient.

" Les archers retournèrent ", dit l'évangéliste, " et les pharisiens leur dirent : Pourquoi ne l'avez-vous pas amené ? " Etre retournés, c'est plus que d'être demeurés : s'ils,n'avaient pas été rejoindre les pharisiens, ils se seraient dérobés à leur colère ; mais par leur retour, ils ont maintenant la gloire d'être prédicateurs de la sagesse de Jésus-Christ, et par là se manifeste mieux leur fermeté. Ils ne disent point : nous n'avons pas pu l'amener à cause du peuple qui l'écoute comme un prophète; mais quelle est leur réponse? " Jamais homme n'a si bien parlé ". Et certes, ils auraient pu alléguer l'autre excuse, mais leur coeur est droit, et ils le montrent. En effet, leur réponse n'est pas seulement un témoignage de leur admiration et de leur étonnement, mais aussi du reproche qu'ils font aux pharisiens de les avoir envoyés prendre et garrotter un homme qu'ils auraient plutôt dû eux-mêmes aller écouter. Cependant ils n'avaient entendu qu'une prédication fort courte. A une âme droite et sincère il ne faut pas de longs discours , la vérité a par elle-même assez de force.

Que répliquèrent donc les pharisiens? Lorsqu'ils auraient dû être touchés de componction, ils accusent au contraire ces gardes de s'être laissés séduire : " Êtes-vous donc aussi vous-mêmes séduits (47) ? " Ils les flattent encore et n'usent point de rudes paroles, de peur qu'ils ne les quittent tout à fait, mais toutefois, à travers cette circonspection, on entrevoit leur rage et leur fureur. Les pharisiens auraient dû demander ce qu'avait dit Jésus, et admirer ses réponses, et ils ne le font pas, dans la crainte d'être attirés comme les autres, mais ils répliquent par cet argument absurde : " Pourquoi nul des sénateurs n'a cru en lui (48) ? " Dites-moi : N'est-ce pas là faire plutôt un reproche aux incrédules qu'à Jésus-Christ? " Car pour cette populace qui ne sait pas la loi, ce sont des gens maudits (49) ". Et voilà pourquoi vous êtes plus condamnables, vous qui êtes demeurés dans l'incrédulité, tandis que la populace croyait. Ces hommes du peuple se conduisaient comme des gens qui savaient la loi. Comment donc sont-ils maudits? C'est vous qui n'observez pas la loi, qui êtes maudits, et non ceux qui l'observent : et- l'incrédulité de ceux qui refusent de croire à Jésus-Christ n'est pas un argument qui puisse être employé contre lui. Ce procédé est très-blâmable; vous-mêmes, vous n'avez pas cru à Dieu, comme dit saint Paul : " Car enfin, si quelques-uns d'entre eux n'ont pas cru, leur infidélité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu? Non, certes " . (Rom. III, 3.) Les prophètes aussi vous ont continuellement fait ce reproche, vous disant : "Ecoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome " (Isaïe, I, 10); et : " Vos princes n'observent point la loi ". Et derechef : " N'est-ce pas à vous de savoir ce qui est juste ? " (Mich. III, 1.) Et partout ils leur font encore de plus fortes réprimandes.

Quoi donc? Vous êtes infidèles, quelqu'un osera-t-il tirer de là un argument contre Dieu? Loin,de nous ce blasphème, c'est uniquement votre faute : et quel autre témoignage faut-il, pour connaître que vous ne savez point la loi, que votre seule incrédulité? Lors donc qu'ils eurent dit qu'aucun des sénateurs n'avait cru en Jésus, mais ceux-là seulement qui ne savaient point la loi, Nicodème les reprit fort à propos par ces paroles: " Notre loi permet-elle de condamner personne sans l'avoir oui auparavant (51)? " Il fait voir par là qu'ils ne savent et n'observent point la loi. Car si la loi défend de faire mourir personne sans l'avoir ouï auparavant, et si avant d'avoir ouï Jésus, ils cherchaient à le faire mourir, ils étaient des violateurs de la loi : et comme ils avançaient qu'aucun des sénateurs n'avait cru en lui, l'évangéliste indique exprès que Nicodème était de leur corps, pour faire voir que des sénateurs mêmes avaient cru en lui. Sans doute ils ne l'avaient pas encore témoigné publiquement comme ils l'auraient dû, mais néanmoins ils étaient attachés à Jésus-Christ.

Mais remarquez, mes frères, avec quelle [353] modération et quelle retenue Nicodème les reprend. Il ne dit point: Vous voulez le faire mourir, et vous le condamnez sans raison comme séducteur. Il ne leur a point parlé en ces termes : il s'est servi de paroles plus douces et plus modérées pour réprimer l'excès de leur violence inconsidérée et sanguinaire. C'est pour cela qu'il invoque la loi en disant : " Sans avoir ouï avec soin et s'être bien informé de ses actions ". Voilà pourquoi il ne faut pas seulement ouïr, mais il faut ouïr avec soin; car c'est là ce que signifient ces paroles : " Et sans s'être informé de ses actions ", c'est-à-dire ce qu'il prétend. Quelle est son intention, son but, si sa conduite est celle d'un ennemi qui veut renverser la république? Les pharisiens alors, déconcertés parce qu'ils avaient dit que nul des sénateurs ne croyait en Jésus-Christ, répondent faiblement à Nicodème, bien que sans ménagement.

2. Nicodème avait dit : " Notre loi ne condamne personne ". Lui répliquer: " Est-ce que vous êtes aussi galiléen? " c'était une mauvaise réponse qui n'avait nul rapport à ce qu'il avait dit. Il fallait montrer, ou qu'ils n'avaient pas envoyé prendre Jésus sans jugement, ou qu'il n'était point nécessaire de l'entendre, et ils répondent durement et avec colère : " Lisez avec soin, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée ". Mais, qu'avait dit Nicodème ? Que Jésus était un prophète? Non, il avait dit qu'on ne devait condamner personne à mort, sans avoir auparavant instruit son procès, et les pharisiens lui font cette outrageante réponse, comme s'il eût absolument ignoré les Ecritures ; c'est lui dire, aux termes près : Allez à l'école, allez étudier ; car tel est le sens de ces paroles : " Lisez avec soin, et apprenez ".

Que répond donc Jésus-Christ? Comme les pharisiens n'avaient jamais dans la bouche que les noms de galiléen et de prophète, le Sauveur, pour les éloigner absolument de cette fausse pensée et leur faire voir qu'il n'est pas un des prophètes, mais le Seigneur du monde, dit: " Je suis la lumière du monde (12) ". Non de Galilée, non de la Palestine, non de la Judée. Que répliquent les Juifs ? " Vous vous rendez témoignage à vous-même ", ainsi " votre témoignage n'est point véritable (13) ". O folie ! le Sauveur les renvoie toujours aux Écritures, et ils disent : " Vous vous rendez témoignage à vous-même ". Mais quel témoignage a-t-il rendu? " Je suis la lumière du monde ". C'est là une grande parole; oui, certes, c'est là une grande parole. Mais ils ne s'en sont pas beaucoup mis en peine, parce qu'il ne se disait pas égal au Père, ni son Fils, ou Dieu, mais seulement qu'il était la lumière. Néanmoins, ils voulaient aussi détruire cette opinion, car c'était là quelque chose de plus grand que de dire : " Celui qui me suit ne " marche point dans les ténèbres (12) ". Le Sauveur parle de la lumière et des ténèbres spirituelles, c'est-à-dire, il ne demeure point dans l'erreur.

Ici Jésus-Christ attire à soi Nicodème et l'encourage, parce qu'il avait librement parlé et dit son sentiment, et il loue les gardes de leur sage conduite. Ce mot " crier ", marque que Jésus à voulu exciter les pharisiens à venir l'écouter. Et en même temps il insinue qu'ils pensaient à tendre secrètement des pièges et à tromper secrètement, c'est-à-dire, dans lés ténèbres et dans l'erreur, mais qu'ils ne vaincraient et n'éteindraient pas la lumière. Il rappelle à. Nicodème les paroles qu'il avait dites depuis peu : " Quiconque fait le mal, hait la lumière et ne vient point à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient découvertes". (Jean, III, 20.) Comme les Juifs disaient qu'aucun des sénateurs n'avait cru en lui, Jésus dit : " Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient point à la lumière ". Par où il leur fait voir que s'ils ne viennent point, ce n'est pas que la lumière soit faible , mais c'est parce que leur volonté est corrompue et mauvaise.

" Les pharisiens lui dirent : Vous vous rendez témoignage à vous-même (13); et Jésus leur répondit : Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable, parce que je sais d'où je viens et où je vais; mais pour vous, vous ne savez point d'où je viens (14) ". Ce que Jésus avait dit auparavant , les Juifs le- lui opposent comme une décision. Que répond donc Jésus-Christ? Il renverse cette prétendue décision, et leur montre que c'est selon leur opinion qu'il a parlé de la sorte (1), parce qu'ils le prenaient pour un homme, et il leur dit: " Quoique je me rende témoignage à moi-même,

1. Il a parlé de la sorte en saint Jean, chap. V, vers. 31, où le Sauveur, parlant selon l'esprit et l'opinion des Juifs, dit : Si je rends témoignage de moi, mon témoignage n'est pas véritable.

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mon témoignage est véritable, parce que je " sais d'où je viens ". Que veut dire ceci? Je suis de Dieu, et Dieu, et Fils de Dieu. Dieu est pour soi un témoin digne de foi . pour vous, vous ne connaissez point Dieu, vous faites le mal volontairement; vous savez et vous feignez de ne point savoir; vous parlez selon vos sentiments humains et terrestres, et vous ne voulez rien savoir, rien connaître de plus que ce qui paraît au dehors. " Vous jugez selon la chair (15) ". Comme vivre selon la chair, c'est mal vivre; de même, juger selon sa chair, c'est mal juger. " Je ne juge personne, et si je juge, mon jugement est véritable (16) " ; c'est-à-dire, vous jugez injustement. Mais si nous jugeons injustement, répliquent-ils , pourquoi ne nous reprenez-vous pas? pourquoi ne nous punissez-vous pas? pourquoi ne nous condamnez-vous pas? C'est, dit-il, parce que je ne suis point venu pour cela. Voilà ce que signifie cette parole : " Je ne juge personne. Et si je juge, mon jugement est véritable ". Car si je voulais juger, vous seriez au nombre des condamnés. Mais si je ne dis pas ceci, dit-il, pour vous juger; et si j'ai dit : " Je ne parle pas pour juger ", ce n'est pas que je craigne de ne pouvoir vous confondre, si je vous mettais en jugement, si je jugeais, vous seriez condamnés justement; mais le temps de juger n'est pas encore venu. Jésus-Christ fait aussi entrevoir le jugement futur, quand il dit : " Parce que je ne suis pas seul, mais moi, et mon Père qui m'a envoyé ". Enfin il insinue ici qu'il n'est pas seul à les condamner, mais que son Père les condamne aussi. Plus loin, il exprime encore la même chose d'une manière enveloppée, lorsqu'il tâche de les gagner à son témoignage : " Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est véritable (17) ".

3. Quoi donc ! diront les hérétiques? Si nous prenons cette parole simplement et dans le sens naturel qu'elle présente, qu'aura Jésus-Christ de plus que le reste des hommes? Car si cette loi est établie parmi les hommes, c'est que nul homme n'est croyable parlant de lui-même. Mais, à l'égard de Dieu, comment pourrait-on admettre cela? Examinons donc en quel sens Jésus-Christ a dit ce mot d'eux s'est-il servi de ce terme pour désigner deux hommes? Si c'était là son intention, pourquoi n'a-t-il pas apporté le témoignage de Jean-Baptiste, et n'a-t-il pas dit : Je me rends témoignage à moi-même ? Jean rend aussi témoignage de moi. Pourquoi ne s'est-il pas servi du témoignage des anges? pourquoi pas de celui des prophètes? Il pouvait produire une infinité d'autres témoignages. Mais Jésus-Christ ne veut pas seulement indiquer deux personnes, mais encore deux personnes de même substance.

" Ils lui disent : Qui est votre Père? Jésus leur répondit : Vous ne connaissez ni moi ni mon Père (19) ". Comme, le sachant, ils feignaient de ne le point savoir, et l'interrogeaient pour le tenter, Jésus ne daigne même pas leur répondre. Dans la suite, il a parlé plus clairement et plus librement, s'autorisant du témoignage de ses oeuvres et de sa doctrine, parce qu'alors le temps du crucifiement et de sa mort était fort proche. " Je sais, " dit-il, " d'où je viens " : cela pouvait ne pas les toucher beaucoup. Mais quand il ajouta : " Où je vais " ; cette parole devait les troubler et les effrayer davantage, comme indiquant qu'il ne devait point demeurer dans la mort.

Et pourquoi n'a-t-il pas dit : " Je sais que je suis Dieu, " mais " je sais d'où je viens? " Toujours il mêle les choses basses aux choses sublimes, et encore cache-t-il un peu celles-ci. Après avoir dit : " Je me rends témoignage " à moi-même ", et l'avoir montré, il passe à quelque chose de moins élevé ; c'est comme s'il disait : Je connais celui qui m'a envoyé, et vers qui j'irai. De cette manière, les Juifs, entendant que le Père l'avait envoyé, et qu'il retournerait à lui, ne pouvaient contredire ce qu'il disait. Je n'ai rien dit que de véritable, dit-il, c'est de là que je viens et j'y retourne, je vais au Dieu de vérité. Mais vous, vous ne connaissez point Dieu, voilà pourquoi vous jugez selon la chair. En effet, après avoir vu tant de témoignages et de preuves, vous dites encore : " Il n'est point véritable ". De Moïse vous dites : Il est digne de foi, et lorsqu'il parle des autres, et lorsqu'il parle de soi; mais vous parlez autrement au sujet de Jésus-Christ, c'est là juger charnellement.

" Je ne juge personne (15) ". D'ailleurs il dit aussi : " Le Père ne juge personne"; " pourquoi dit-il : Et si je juge, mon jugement est juste, parce que je ne suis pas seul? " (Jean, V, 22.) Jésus-Christ parle encore selon l'opinion des Juifs. Cela signifie : Mon jugement est le jugement du Père, car le jugement du Père ne [355] saurait être différent du mien, ni le mien de celui du Père. Mais pourquoi parle-t-il du Père? Les Juifs ne croyaient pas que le Fils fût digne de foi s'il n'avait le témoignage du Père. Autrement ce qu'il disait serait demeuré sans valeur; car, parmi les hommes, lorsque deux rendent témoignage dans l'affaire d'autrui, alors leur témoignage est réputé véritable; c'est là, en effet, le témoignage porté par deux personnes. Mais si quelqu'un se rend témoignage à soi-même, alors il n'y a plus deux témoins.

Voyez-vous bien, mon cher auditeur, que si Jésus-Christ a parlé en ces termes, ça été pour montrer qu'il est consubstantiel à son Père, et que par lui-même ensuite il n'a pas besoin du témoignage d'un autre ; enfin, pour faire voir qu'il n'a rien de moins que le Père? Reconnaissez donc son autorité dans ces paroles : " Or, je me rends témoignage à moi" même, et mon Père qui m'a envoyé me rend " aussi témoignage (18) ". Jésus-Christ n'aurait pas dit cela, s'il était d'une substance inférieure. Ensuite, pour vous convaincre qu'en parlant ainsi il n'a pas eu en vue le nombre " deux ", faites bien attention que sa puissance n'est en rien différente de celle du Père. Un homme rend témoignage lorsque, par lui-même, il est digne de foi et qu'il n'a pas besoin du témoignage d'un autre, et cela, lorsqu'il s'agit d'une affaire qui ne le regarde point et qui lui est étrangère; mais dans sa propre cause il n 'est pas croyable et il a besoin d'un témoignage. Mais c'est tout le contraire pour Jésus-Christ: lors même qu'il se rend témoignage dans sa propre cause et qu'il dit qu'il a le témoignage d'un autre, il se déclare digne de foi, montrant partout son autorité. En effet, pourquoi ayant dit : " Je ne suis pas seul, mais moi et mon Père qui m'a envoyé ", et le témoignage de deux témoins est véritable; n'en est-il pas demeuré là et a-t-il ajouté : " Je me rends témoignage à moi-même? " N'est-ce pas uniquement pour montrer son autorité ? Et il se met le premier : " Je me rends témoignage à moi-même ". Ici Jésus-Christ montre qu'il est égal en dignité à son Père et qu'il ne sert de rien aux Juifs de se glorifier de connaître Dieu le Père, s'ils ne le connaissent pas lui-même; et encore que c'est parce qu'ils ne veulent pas le connaître qu'ils ne le connaissent pas. Jésus leur dit donc qu'on ne peut connaître le Père sans le connaître lui-même, afin de les attirer par là à sa connaissance. Comme ils le négligeaient et cherchaient toujours à connaître directement le Père, il leur dit : " Vous ne pouvez pas connaître le Père sans moi ". C'est pourquoi ceux qui blasphèment contre le Fils, ne blasphèment pas seulement contre le Fils, mais aussi contre le Père.

4. Prenons-y garde, mes chers frères, et glorifions le Fils : sûrement il n'aurait point parlé de la sorte, s'il n'était de même nature que le Père. Que si, étant d'une autre substance que le Père, il l'avait seulement fait connaître, on pourrait connaître le Père sans connaître le Fils : et réciproquement, en connaissant le Père, on ne connaîtrait pas pour cela le Fils. En effet, celui qui connaît l'homme ne connaît pas nécessairement l'ange. Pourtant, direz-vous, celui qui connaît la créature, connaît aussi Dieu. Non, certes. Car plusieurs, ou plutôt tous les hommes, connaissent la créature, parce qu'ils la voient; mais ils ne connaissent point Dieu pour cela.

Glorifions donc le Fils de Dieu, non-seulement en lui rendant la gloire qui lui est due, comme Fils de Dieu, mais encore par nos oeuvres. Car la gloire qu'on rend par les paroles n'est rien, si elle n'est accompagnée de l'hommage qui vient des oeuvres. " Vous ", dit l'apôtre, " qui portez le nom de Juifs, qui vous reposez sur la loi, qui vous faites gloire d'être à Dieu ", prenez garde à ce que vous faites : " Vous instruisez les autres et vous ne vous instruisez pas vous-mêmes : vous vous glorifiez dans la loi, et vous déshonorez Dieu par la violation de la loi? " (Rom. II, 17, 21, 23.) Vous-même, mon cher auditeur, prenez garde que, vous glorifiant d'être dans la foi orthodoxe, vous ne meniez pas une vie conforme à la foi que vous professez; que vous ne déshonoriez Dieu, en le faisant blasphémer. Dieu veut qu'un chrétien soit le docteur de tout l'univers, le levain, la lumière, le sel. Qu'est-ce que la lumière? C'est une vie brillante, qui n'est offusquée d'aucun nuage. La lumière n'est point utile à soi, le sel ou le levain pas davantage; mais ces choses sont utiles à autrui: de même on demande de nous, non-seulement ce qui est dans notre intérêt, mais encore ce qui est dans l'intérêt des autres. Car le sel, s'il ne sale pas, n'est plus sel (Matth. V, 13; Marc, IX, 49); par là nous est encore révélée une autre vérité : c'est que, si nous vivons [356] bien, les autres aussi vivront bien. Ainsi ce n' est que par notre bonne vie, que nous pouvons être utiles aux autres. (Matth. XXV, 11.) Disons adieu aux folies, aux vanités : car telles sont les choses du monde, telles sont les sollicitudes du siècle. Les vierges sont appelées folles, parce qu'elles s'occupaient des folles affaires du siècle : elles amassaient ici, et elles n'envoyaient pas ce qu'elles avaient amassé où il fallait l'envoyer.

Craignons donc que ce qui leur arriva, ne nous arrive aussi, et que nous n'allions avec un habit sale, où tous sont vêtus d'habits éclatants, car rien n'est plus salé, rien n'est plus hideux que le péché. C'est pourquoi le prophète, pour en présenter en sa personne une vive image à nos yeux, criait à haute voix : " Mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture ". (Ps. XXXVII , 5.) Voulez-vous connaître la puanteur du péché? considérez-le après l'avoir commis. Lorsque la concupiscence ne vous tiendra plus dans ses fers, lorsque le feu ne bouillonnera plus dans vos veines, alors vous verrez ce que c'est que le péché. Lorsque vous serez rentré dans le calme, considérez la colère; considérez l'avarice, lorsque vous aurez éteint en vous cette passion. Rien n'est plus honteux, rien n'est plus horrible que l'avarice et la convoitise. Nous faisons souvent retentir nos chaires de ces vérités, non pour vous chagriner, mais par un désir de produire en vous de grands et d'admirables effets : car peut-être celui qu'une première remontrance n'aura pas corrigé se rendra à une seconde, ou à une troisième. Fasse le ciel, qu'étant tous délivrés du péché et de tous les maux qui l'accompagnent, nous soyons la bonne odeur de Jésus-Christ ( II Cor. II, 15), à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE LIII.
JÉSUS DIT CES CHOSES ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE, AU LIEU OU ÉTAIT LE TRÉSOR : ET PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, PARCE QUE SON HEURE N'ÉTAIT PAS ENCORE VENUE. (VERS. 20, JUSQU'AU VERS. 30.)
ANALYSE.

1. Folie et endurcissement des Juifs.

2. Jésus-Christ, parlant aux Juifs, leur montre constamment son union avec Dieu, son Père. — Il les menace. — Quelques-uns croient en lui.

3. Pour acquérir le salut, lire les saintes Ecritures avec soin et non en passant : en les méditant on apprend, la vraie doctrine et la manière de bien vivre. — Fréquenter l'Eglise, unir la parole de Dieu ; si d'abord on n'en profite pas, un jour on en profitera. C'est déjà avoir fait quelque progrès que de se reconnaître misérable. — Cérémonies qu'on pratiquait anciennement pour lire la sainte Ecriture. — S'appliquer à l'étude de l'Ecriture sainte, du moins des saints Evangiles : utilité, fruits qu'on en retire.

1. Quelle folie que celle des Juifs ! Ils cherchaient avant la Pâque à prendre Jésus-Christ lorsqu'il était au milieu d'eux, ils ont souvent tenté de mettre leurs sacrilèges mains sur lui, ou de le faire saisir par d'autres : leurs desseins, leurs efforts sont vains et inutiles; et ils n'admirent pas encore sa vertu: et sa puissance ne les étonne, ne les effraie point encore, mais ils persistent dans leurs complots. En effet, qu'ils cherchassent continuellement les moyens de le prendre, c'est ce que l'évangéliste atteste par ces; paroles : " Jésus dit ces choses enseignant dans le temple, au lieu où était le trésor: et personne ne se saisit de lui, [357] parce que son heure n'était pas encore venue ". Il enseignait en maître dans le temple, ce qui devait les exciter davantage : ce qu'il disait les choquait, et ils lui faisaient un crime de ce qu'il se disait égal au Père. Car cette parole: " Le témoignage de deux hommes est véritable ", ne signifie pas autre chose. Cependant, dit l'évangéliste, il enseignait dans le temple et en maître : et personne ne se saisit de lui, parce que son heure n'était pas encore venue, c'est-à-dire le temps opportun où il voulait être crucifié. Voilà pourquoi il n'a point été alors en leur pouvoir de le prendre; mais, s'ils n'ont pu assouvir leur passion, c'est par un effet de la sage dispensation du Sauveur. Déjà depuis longtemps ils voulaient l'arrêter, et ils ne l'ont pu; et ils ne l'auraient jamais pu prendre, s'il ne se fût livré lui-même entre leurs mains.

" Jésus leur dit encore : Je m'en vais et vous me chercherez (21) ". Pourquoi ne cesse-t-il de leur tenir ce langage? Pour toucher leur coeur, et pour les effrayer. Remarquez la frayeur que leur causait cette parole; car voulant le faire mourir pour se délivrer de lui, ils demandent où il va : tant leur paraissaient devoir être grandes les conséquences de cette mort. Il voulait aussi leur apprendre une autre chose, que ce ne serait point par un effet de leur violence qu'il serait crucifié, mais parce que les figures de l'Ancien Testament l'avaient annoncé longtemps auparavant, et par ces paroles il annonce sa résurrection. Ils disaient donc : " Est-ce qu'il se tuera lui-même? " Que leur répond Jésus-Christ? Pour leur ôter ce soupçon et leur faire connaître que c'était là un péché, il dit : " Pour vous autres, vous êtes d'ici-bas (23) ", c'est-à-dire, il n'est pas étonnant que vous ayez ces sortes de pensées, vous qui êtes des hommes charnels, et qui n'êtes nullement capables de rien concevoir de spirituel ; mais moi, je ne ferai rien de semblable : " Je suis d'en-haut ". Pour vous, " vous êtes de ce monde ". Là encore, le Sauveur parle de pensées terrestres et charnelles. Il résulte de là que cette parole: "Je ne suis pas de ce monde ", ne signifie pas qu'il n'a point pris une chair, mais qu'il est exempt de leur malice et de leur méchanceté. En effet, il dit aussi que ses disciples ne sont pas de ce monde (Jean, XV, 19), et toutefois ils avaient une chair. De même donc que saint Paul disant : " Vous n'êtes pas dans la chair " (Rom. VIII, 9), ne veut pas dire que ceux à qui il parle n'ont point de corps: ainsi Jésus-Christ, disant à ses disciples qu'ils ne sont pas du monde, veut seulement rendre témoignage de leur sagesse.

" Je vous ai donc dit que si vous ne croyez pas ce que je suis, vous mourrez dans vos péchés (24) "; car si Jésus-Christ est venu pour ôter le péché du monde, et si le péché ne peut être effacé que par le baptême, nécessairement il faut que celui qui ne croit pas ait le vieil homme. En effet, celui qui ne veut pas le tuer et l'ensevelir par la foi, mourra avec lui, et avec lui ira recevoir la peine de ses péchés. Voilà pourquoi le Seigneur disait : " Celui qui ne croit pas, est déjà condamné " (Jean, III, 18), non-seulement parce qu'il ne croit pas, mais aussi parce qu'il va en l'autre monde avec ses premiers péchés. " Ils lui dirent : Et qui êtes-vous donc (25) ? " O l'étrange folie ! Après un si long temps, après avoir vu tant de miracles et entendu sa doctrine, ils lui font cette question : " Et qui êtes-vous? " Que leur répond donc Jésus-Christ? " Je suis le principe de toutes choses, moi qui vous parle " ; c'est-à-dire, vous êtes indignes d'entendre ma parole, bien loin d'apprendre qui je suis : car jamais vous ne me parlez que pour me tenter, et vous ne faites nulle attention à ce que je vous dis : et c'est pour cela que maintenant j'ai bien des reproches à vous faire. Voilà, en effet, ce que signifient ces paroles : " J'ai beaucoup de choses à dire de vous, et à condamner en vous (26) ". Non seulement à reprendre, mais encore à punir. Mais celui qui m'a envoyé, je veux dire mon Père, ne le veut pas: " Car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui ". (Jean, III, 17.) Si c'est donc là pourquoi Dieu m'a envoyé, et si Dieu est véritable, j'ai raison de ne juger personne maintenant, mais je m'attache à enseigner ce qui est nécessaire au salut, et non à faire des réprimandes. Au reste, Jésus-Christ dit cela, afin que les Juifs ne croient pas que lui, qui entend de si grandes choses, il manque de la force nécessaire pour les punir, ou qu'il ignore leurs pensées et leurs dérisions.

" Et ils ne comprirent pas qu'il parlait de son Père (27) ". O folie ! ô aveuglement ! Jésus ne cessait de parler de son Père, et ils [358] ne s'en apercevaient point ! Après quoi, n'ayant pu les attirer ni par un grand nombre de miracles, ni par sa doctrine et ses instructions, il les entretient enfin de son crucifiement et leur dit: " Quand vous aurez élevé en haut le Fils de l'homme ", dit-il, " alors vous connaîtrez qui je suis, et que je ne parle point de moi-même, et que mon Père, qui m'a envoyé, est avec moi et ne m'a point laissé seul ". Jésus-Christ fait voir par là que c'est avec justice qu'il a dit : " Je suis le principe de toutes choses, moi-même qui vous parle ".

2. Tant les Juifs étaient peu attentifs à ce que leur disait Jésus-Christ. " Lorsque vous aurez élevé en haut le Fils de l'homme " alors, dit-il, vous pensez me faire périr, vous débarrasser de moi: mais moi, je vous dis que c'est principalement alors que vous connaîtrez " qui je suis "; vous le connaîtrez par les prodiges et les miracles que je ferai, par ma résurrection, par votre ruine. En effet, toutes ces choses étaient bien propres à faire éclater la puissance du Seigneur. Il n'a point dit : Vous connaîtrez alors qui je suis; mais il dit Lorsque vous verrez que la mort n'aura point eu d'empire sur moi, qu'elle n'aura produit en moi nul changement, ni aucune altération, alors vous connaîtrez qui je suis, savoir, que je suis le Christ, Fils de Dieu, qui gouverne et. conduit tout; et qui ne suis pas contraire au Père. Voilà pourquoi il a ajouté : " Et je ne dis rien de moi-même ". Vous connaîtrez, en effet, ces deux vérités, et ma puissance, et mon union avec mon Père. Car ce mot : " Je ne dis rien de moi-même ", montre l'égalité et l'unité de substance, et qu'il ne dit rien contre la volonté de son Père. Quand votre culte sera changé et aboli, et qu'il ne vous sera plus permis d'adorer le Père selon votre ancienne coutume (1), alors vous connaîtrez, qu'irrité contre ceux qui ne m'ont point écouté, il prend ma défense et me venge lui-même. C'est comme s'il disait : Si j'étais opposé et contraire à Dieu, il n'aurait pas conçu une si grande colère contre vous. Isaïe le déclare aussi : " Il livrera les, impies pour sa sépulture " (Isaïe, Luc, 9); et David: " Il leur parlera alors dans sa colère " (Ps. III, 5) ; et le Seigneur lui-même : " Le temps s'approche que votre maison demeurera déserte " (Match. XXIII, 38) ; écoutez de plus la parabole : " Que

1. C. à. d. Par des sacrifices et vos cérémonies légales.

fera le Seigneur de la vigne à ces vignerons? " Il fera périr misérablement ces méchants ". (Matth. XXI, 40.) Ne remarquez-vous pas que partout il parle de même, attendu qu'ils ne le croyaient point encore?

Que si le Seigneur doit les faire périr, comme véritablement il le fera (car il dit : " Ceux qui ne veulent point m'avoir pour roi, qu'on les amène ici, et qu'on les tue en ma présence). " (Luc. XIX, 27) ; pourquoi cette oeuvre, ne se l’attribue-t-il pas à lui-même, mais au Père? C'est pour s'accommoder à la portée des Juifs, et aussi pour honorer son Père. Voilà pourquoi il n'a point dit : Je laisse votre maison déserte, mais " votre maison demeurera déserte ", parlant impersonnellement. Mais, avoir dit : " Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et tu ne l'as pas voulu " (Luc, XIII, 34) ; et ajouter ensuite : " Elle demeurera "; c'est montrer assez qu'il est l'auteur de la désolation. Puisque, dit-il, mes bienfaits, ma sollicitude, ne vous ont pas déterminés à croire en. moi, les supplices vous feront connaître qui je suis.

" Et mon Père est avec moi ". De peur qu'ils ne. crussent que cette parole : " Celui qui m'a envoyé ", marquait qu'il était moins grand que le Père, il ajoute : " Il est avec moi ". Car l'un de ces termes se rapporte à l'incarnation, l'autre à la divinité. " Et il ne m'a point laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable ". Jésus-Christ descend encore à un langage plus humain, combattant sans relâche ce que disaient les Juifs, qu'iil n'était point envoyé de Dieu, qu'il ne gardait pas le sabbat; il dit : " Je fais toua jours ce qui lui est agréable ". Par où il insinue que là violation du sabbat est agréable au Père. De même, lorsqu'on le menait à la croix, il dit: " Croyez-vous que je ne puisse pas prier mon Père? " (Matth. XXVI, 53.) Et toutefois, par cette seule parole: " Qui cherchez-vous ? " (Jean, XVIII, 4, 6), il les renversa tous par terre. Pourquoi donc né dit-il pas : Ne, croyez-vous pas que je puisse vous faire périr, quand il l'a prouvé par des faits? Il se proportionne à leur portée. Car il avait grand soin de montrer qu'il ne faisait rien de contraire à son Père. De même ici il parle à la manière des hommes et dans le même sens qu'il a dit : " Il ne m'a point laissé seul " ; il dit ici : " Je fais ce qui lui est agréable ".

" Lorsqu'il disait ces choses, plusieurs [359] crurent en lui (30) ". Lorsque le Sauveur s'est abaissé et qu'il a parlé d'une manière simple et grossière, alors plusieurs ont cru en lui. Après cela, me demanderez-vous encore pourquoi Jésus s'abaisse ainsi à parler d'une manière simple et grossière? Mais l'évangéliste vous en a. manifestement fait connaître la raison par ces paroles : " Lorsqu'il disait ces choses, plusieurs crurent en lui ". Les faits mêmes semblent crier par sa bouche : Ne vous troublez pas, vous qui m'écoutez, si vous entendez des paroles basses et grossières; des hommes qui, après avoir entendu une si grande et si sublime doctrine, n'ont point été persuadés que celui qui l'enseignait était envoyé du Père, ne pouvaient guère être amenés à la foi par des choses- grossières. Et ceci est la justification de ce que le Sauveur pourra dire dans la suite de bas et de grossier.

Les Juifs crurent donc, non pas comme il aurait fallu, mais selon leur portée, grâce à cette simplicité de langage qui charmait et reposait leur esprit. En effet, que leur foi n'était point parfaite, l'évangéliste le fait voir après, en rapportant les outrages qu'ils firent à Jésus-Christ; et pourtant c'étaient les mêmes Juifs qui avaient cru; il le déclare ouvertement par ces paroles : " Jésus dit donc aux Juifs qui croyaient en lui : Si vous persévérez dans la créance de ma parole (31) " ; montrant qu'ils n'avaient point encore compris sa doctrine, et que seulement ils écoutaient ce qu'ils disaient; c'est pourquoi il parle avec plus de force, car il s'était d'abord contenté de dire simplement : " Vous me chercherez "; mais maintenant il ajoute : " Vous mourrez dans votre péché ". Et il leur fait connaître comment cela arrive : Quand vous serez morts, dit-il, dans votre péché, vous ne pourrez pas me prier, ni me demander grâce. " Ce que je dis dans le monde ". Par ces paroles, il déclare aux Juifs qu'il va passer vers les gentils. Mais comme ils n'avaient pas compris que c'était de son Père qu'il leur avait parlé auparavant, il leur en parla encore; et l'évangéliste montre la cause pour laquelle le Sauveur s'est servi d'expressions basses et grossières.

3. Si donc nous lisons avec beaucoup de soin et d'attention les saintes Ecritures, et non pas légèrement et en passant, nous pourrons acquérir le salut; si nous les étudions et les méditons assidûment, nous apprendrons la vraie doctrine et la manière de bien vivre. Qu'on soit dur et violent, qu'on ait une âme molle, qu'on soit lâche, qu'autrefois on n'ait nullement profité de cette lecture, maintenant, du moins, on en profitera et on en retirera quelque utilité, fût-elle imperceptible. En effet, si quelqu'un entre dans la boutique d'un parfumeur et s'y arrête un peu, même malgré lui, il sentira bon, il répandra une douce et agréable odeur; à plus forte raison la répandra-t-il, cette bonne odeur, celui qui fréquente l'Eglise. Car, comme de la paresse naît la paresse, de même du travail naît la force et la vigueur de l'âme. Encore que vous soyez chargé d'une multitude de péchés, que vous soyez impur, ne vous éloignez pas pour cela de nos saintes assemblées.

Et de quoi, direz-vous, me servira-t-il d'y assister, si je ne profite pas de ce qu'on y enseigne? Ah ! si vous vous reconnaissez pécheur, si vous vous édites misérable, ce n'est point là un petit profit, ce n'est point là une crainte mal placée, ce n'est point là une frayeur inutile : si seulement vous gémissez de ne pratiquer point ce que vous avez entendu, un jour viendra que vous le pratiquerez. Car il est impossible que celui qui s'entretient avec Dieu et l'écoute, n'en retire pas quelque profit. Au moment de prendre le divin livre des Ecritures, nous nous recueillons et nous lavons nos mains. Ne voyez-vous pas combien de précautions avant même de commencer cette respectable lecture ? Si nous la continuons avec soin et avec attention, nous en rapporterons de grands fruits. En effet, si cette lecture ne nous inspirait de pieuses dispositions, nous ne nous laverions pas les mains; les femmes, qui ont la tête découverte, ne la couvriraient pas aussitôt de leur voile, en signe de recueillement intérieur; les hommes, dont la tête est couverte, ne la découvriraient pas. Voyez-vous que la posture extérieure est un témoignage de la piété qu'on a dans le coeur ? Ensuite, assis pour écouter, on pousse des gémissements, on condamne sa vie passée.

Appliquons-nous donc, mon cher auditeur, à la lecture de l'Ecriture sainte , du moins lisons avec soin les saints évangiles. A peine aurez-vous ouvert ce livre, que vous y verrez le nom de Jésus-Christ, et que vous l'entendrez parler : " Quant à la naissance de Jésus-Christ, elle arriva de cette sorte : " Marie, sa mère, étant fiancée à Joseph, se trouva [360] grosse, ayant conçu dans son sein " par l'opération " du Saint-Esprit, avant qu'ils eussent été ensemble ". (Matth. I, 18.) Or, celui qui entend ces paroles est tout à coup épris de l'amour de la virginité, il admire ce merveilleux enfantement, il s'élève au-dessus de la terre, il la quitte. Ce n'est point déjà une chose de médiocre importance, que le Saint-Esprit n'ait pas dédaigné de remplir une vierge de sa grâce, et un ange de lui parler et s'entretenir avec elle; toutefois ce n'est encore là que ce que l'on voit au commencement. Mais si vous continuez votre lecture jusqu'à la fin, bientôt vous rejetterez toutes les choses du siècle, vous rirez de tout ce qui est terrestre ; si vous êtes riche, vous ne ferez point de cas des richesses, quand vous aurez appris que cette femme d'un charpentier, logée dans une pauvre maison, est la mère du Seigneur; si vous êtes pauvre, vous ne rougirez point de votre pauvreté , lorsque vous apprendrez que le Créateur du monde n'a point rougi d'habiter une humble chaumière.

Si vous méditez ces choses, mon cher frère, vous ne volerez point, vous ne serez point avare, vous n'envahirez pas le bien d'autrui, mais plutôt, vous aimerez la pauvreté et vous mépriserez les richesses; par là, vous éloignerez de vous toutes sortes de maux et de vices. Et encore, lorsque vous verrez Jésus couché , dans une crèche, vous n'aurez plus envie de donner à votre fils un habit tissu d'or, ni à votre femme un lit orné d'argent; et, une fois libre de ces vaines préoccupations, vous ne vous livrerez plus à l'avarice et aux rapines qu'elles provoquent. Il vous en reviendra encore bien d’autres avantages que nous ne saurions présentement détailler, mais que connaîtront ceux qui feront cette expérience.

C'est pourquoi je vous exhorte, mes frères, à faire emplette des saints livres, à en étudier le sens et à le graver dans votre mémoire. Les Juifs, pour les avoir négligés, reçurent l'ord~e de les porter attachés à leurs mains. (Deut. VI.) Pour nous, nous ne les portons pas ans nos mains, mais nous les laissons dans nos demeures, au lieu de les graver dans nos coeurs, comme nous le devrions; car c'est de cette manière, qu'après avoir lavé nos souillures, nous obtiendrons les biens à venir, que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE LIV.
JÉSUS DISAIT DONC AUX JUIFS QUI AVAIENT CRU EN LUI : SI VOUS PERSÉVÉREZ DANS MA DOCTRINE, VOUS SEREZ VÉRITABLEMENT MES DISCIPLES. — ET VOUS CONNAÎTREZ LA VÉRITÉ, ET LA VÉRITÉ VOUS RENDRA LIBRES. (VERS. 31, 32, JUSQU'AU VERS. 47.)
ANALYSE.

361

1. Jésus-Christ promet aux Juifs que sa doctrine, s'ils la gardent, les délivrera de la servitude du péché, et eux, toujours attachés au sens terrestre et charnel, répondent qu'étant fils d'Abraham, ils ne sont les esclaves de personne.

2. Si vous aviez Abraham pour père, vous ne chercheriez pas à me faire mourir, leur dit Jésus-Christ.

3. N'étant pas les enfants d'Abraham, les Juifs sont encore moins les enfants de Dieu; le diable, voilà leur père.

4. Pour entendre et connaître la vérité, il faut mener une vie pure et sainte. — Emporter, non les biens périssables , mais le royaume des cieux. — Celui qui ne connaît pas les petits maux , ne connaîtra pas les plus grands. — Ce qu'on fait quand on veut emporter quelque chose. — Appliquer tous. ses soins et son travail à emporter le royaume des cieux. — Comment on l'emporte.

1. Nous avons besoin d'une grande patience, mes chers frères; cette vertu se forme et croît en nous, lorsque la parole de Dieu a jeté ses racines dans nos coeurs: et, de même que le vent, avec toute sa violence et son impétuosité, ne peut arracher un chêne que de profondes racines tiennent fortement lié à la terre , ainsi personne ne pourra renverser une âme que la crainte a étroitement attachée à Dieu. Car, être cloué, c'est bien plus fort que d'être enraciné. C'est là ce que le prophète demandait au Seigneur: " Percez mes chairs par votre crainte ". (Ps. CXVIII, 120.) Ainsi vous-même percez-vous, et attachez-vous aussi fortement à Dieu qu'un corps le serait à un autre par un clou profondément enfoncé. Ceux qui sont liés de la sorte, à peine peut-on les séparer; mais ceux qui ne le sont pas de même, sont aisément surpris et renversés.

Voilà ce qui est alors arrivé aux Juifs. Après avoir entendu la parole et avoir cru, ils furent encore renversés. Jésus-Christ, voulant donc rendre leur foi plus solide, plus ferme , plus profonde, laboure leur âme, pour ainsi dire, de reproches plus acérés; car, puisqu'ils avaient reçu la foi , leur devoir était d'écouter et de souffrir patiemment les réprimandes ; mais tout d'abord ils prirent feu et s'emportèrent. Maintenant, quelle est la marche suivie par

Jésus-Christ? Il commence par cette exhortation : " Si vous persévérez dans ma doctrine , vous serez véritablement mes disciples, et la vérité vous rendra libres " ; comme s'il disait : Je dois faire une profonde incision, mais ne vous en troublez pas: ou plutôt, par ces paroles , il rabaisse leur orgueil. De quoi , je vous prie, la vérité les rendra-t-elle libres? De leurs péchés. Et que répondirent ces insolents? " Nous sommes de la race d'Abraham, et nous n'avons jamais été esclaves de personne (33) " . Ils perdirent d'abord l'esprit, parce qu'ils désiraient avidement les choses terrestres.

Ce mot: " Si vous persévérez dans ma doctrine " , découvre leur pensée et ce qu'ils méditaient dans le coeur, et montre que celui qui parlait de la sorte savait que véritablement ils avaient cru , mais qu'ils n'avaient point persévéré dans la foi : et encore il leur fait espérer quelque chose de grand, savoir, qu'ils seront ses disciples. Comme, depuis peu, plusieurs s'étaient retirés, Jésus, par allusion à ce départ, dit : " Si vous persévérez " ; en effet, ces gens-là aussi avaient ouï sa doctrine, ils avaient cru, et ils s'étaient retirés, parce qu'ils n'avaient pas persévéré. " Car plusieurs de ses disciples ", dit l'évangéliste, " se retirèrent de sa suite, et n'allaient plus avec lui ". (Jean, VI, 67.)

362

" Vous connaîtrez la vérité ", c'est-à-dire, vous me connaîtrez moi-même, car " je suis la vérité ". (Jean, XIV, 6; I Cor. X, 11.) Toute l'histoire juive n'a été qu'une figure; vous apprendrez de moi la vérité, qui vous délivrera de vos péchés. Comme il disait à ceux-là : " Vous mourrez dans vos péchés "; il a dit de même à ceux-ci : " La vérité vous rendra libres de vos péchés". Jésus ne leur a point dit: Je vous délivrerai de la servitude, mais il le leur a laissé à penser. Que répondirent-ils donc? " Nous sommes de la race d'Abraham, et nous n'avons jamais été esclaves de personne. " Mais s'ils avaient à se choquer, c'était sans doute de ce qu'il avait dit auparavant : " Vous connaîtrez la vérité " ; et ils auraient dû répondre: Quoi donc? Est-ce que nous ignorons la vérité? la loi et nos connaissances sont donc fausses? Mais ce n'est point là de quoi ils se mettaient en peine; la perte des biens de la terre était seule capable de les toucher et de les affliger, et c'était de cette perte et de la servitude terrestre qu'ils voulaient parler. Il est aujourd'hui bien des gens encore, oui certes, il en est beaucoup qui rougissent de la privation de choses indifférentes et de cette servitude, et qui n'ont pas honte de même d'être esclaves du péché ; qui aimeraient mieux être mille fois appelés esclaves du péché, que de l'être une seule fois de la servitude des hommes. Tels étaient ces Juifs . ils ne connaissaient point d'autre servitude, voilà pourquoi ils disaient : Quoi ! vous avez appelé esclaves ceux qui sont de la race d'Abraham, des hommes nobles à qui pour cela même vous ne deviez pas donner le nom d'esclaves qui les déshonore ? Nous n'avons jamais , disent-ils, été esclaves de personne. Tel est l'orgueil, telle est la vanité des Juifs : " Nous sommes de la race d'Abraham : nous sommes Israélites ". Jamais ils ne parlent de leurs actions. C'est pourquoi Jean-Baptiste leur criait : " N'allez pas dire : Nous avons Abraham pour père ". (Matth. III, 9.)

Mais pourquoi Jésus-Christ ne les reprend-il pas de leur insolente réponse? En effet, ils ont été esclaves des Egyptiens, des Babyloniens, et de plusieurs autres. C'est parce qu'il ne leur avait point dit cela pour entrer en dispute avec eux, mais pour les sauver, pour leur faire du bien : voilà ce qu'il avait uniquement en vue. Sûrement il aurait pu leur reprocher une servitude de quarante ans, une autre de soixante-dix, et d'autres sous les juges, tantôt de vingt, tantôt de deux, tantôt de sept ans; il pouvait leur dire qu'ils n'avaient jamais cessé d'être dans l'esclavage. Mais le Sauveur a voulu leur faire voir, non qu'ils étaient esclaves des hommes, mais qu'ils étaient esclaves du péché, ce qui est la plus dure et la plus misérable de toutes les servitudes, une servitude dont Dieu seul peut délivrer l'homme. Car Dieu seul a le pouvoir de remettre les péchés : ils le reconnaissaient et le confessaient, et c'est à quoi il les amène par ces paroles : " Quiconque commet le péché est esclave du péché (34) ", leur montrant qu'il parle de la liberté à l'égard de ce genre de servitude.

" Or l'esclave ne demeure pas toujours en la maison, mais le Fils y demeure toujours (36) ". Leur rappelant ainsi les premiers temps; insensiblement il fait tomber la loi. Il ne voulait pas qu'ils vinssent dire Nous avons les sacrifices que Moïse a ordonnés; ils peuvent nous délivrer de nos péchés; voilà pourquoi il. ajoute ces choses : autrement quelle liaison y aurait-il dans ses paroles? " Parce que tous ont péché, et ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par sa grâce (Rom. III, 23, 24) ", et les prêtres eux-mêmes. C'est pourquoi saint Paul dit du pontife : " C'est ce qui l'oblige à offrir le sacrifice de l'expiation des péchés, aussi bien pour lui-même que pour le peuple, étant lui-même environné de faiblesse ". (Héb. V, 3.) Et c'est là ce que fait entendre Jésus-Christ, en disant : " L'esclave ne demeure pas en la maison ". Au reste, par ces paroles, le Seigneur déclare encore qu'il est égal en dignité à son Père , et fait connaître la différence qu'il y a entre l'esclave et le Fils. Car voilà ce que signifie cette parabole; elle fait connaître que l'esclave n'a point de pouvoir, ce que déclare ce mot : " Il ne demeure pas ".

2. Mais pourquoi Jésus-Christ, discourant sur les péchés, a-t-il parlé de la maison? C'est pour montrer que, comme le maître a toute l'autorité dans la maison, lui il la possède de même sur toutes choses. Et ce mot " Ne demeure pas ", signifie : n'a pas le pouvoir de donner parce qu'il n'est pas le maître; or, le Fils est le maître; c'est ce que veut dire cet autre mot : " Il demeure toujours ", pris métaphoriquement, et selon [363] l’idée qu'on a des choses humaines, afin qu'ils ne lui disent pas : qui êtes-vous ? Toutes choses sont à moi, car je suis le Fils et je demeure dans la maison de mon, Père; Jésus appelle ici maison l'autorité; ailleurs il appelle maison le royaume: " Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père " (Jean, XIV, 2.) Comme il parle de la liberté et de l'esclavage, il est naturel qu'il se serve de cette métaphore, pour montrer que ceux dont il parle n'ont point eu le pouvoir de remettre les péchés.

" Si donc le Fils vous met en liberté, vous serez véritablement libres (36) ". Ne remarquez-vous pas, mes frères, que, le Fils est consubstantiel à son Père,, et qu'il a un pouvoir égal au sien? " Si le Fils vous. met en liberté ", personne ne pourra plus vous la contester, votre liberté , mais elle sera ferme et stable : " Car c'est Dieu même qui justifie, qui osera condamner? " (Rom. VIII, 33, 34.) Jésus-Christ se montre ici pur et exempt de péché; il parle et de la liberté que donnent les hommes, et qui n'en a que le nom, et de cette autre liberté que Dieu seul a le pouvoir de donner. C'est pourquoi il les exhorte à ne pas rougir de ce qu'on nomme ici-bas esclavage, mais seulement de l'esclavage du péché. Et voulant leur faire voir que, quoiqu'ils ne soient esclaves de personne, le mépris qu'ils ont fait de l'autre esclavage les a néanmoins rendus encore plus esclaves, il a incontinent ajouté : " Vous serez véritablement libres ". Et par là il déclare que leur liberté n'est point une liberté véritable. Ensuite, de peur, qu'ils ne disent qu'ils étaient exempts de péché, car il était croyable qu'ils le diraient : voyez de quelle manière il les accuse sur ce point. Il passe surtout ce qu'il y a de répréhensible dans leur vie, et se borne à leur représenter le crime qu'ils méditaient actuellement : " Je sais que vous êtes enfants d'Abraham : mais vous voulez me faire mourir (37) ". Insensiblement il les exclut de la famille d'Abraham, leur apprenant qu'ils ne doivent point se vanter d'en être. Comme ce sont les oeuvres qui rendent l'homme libre ou esclave, ce sont elles aussi qui font la parenté. Il ne leur a pas dit tout d'abord ; Vous n'êtes point les enfants. d'Abraham, cet homme juste, vous qui êtes des homicides; il leur accorde leur filiation et leur dit : " Je sais que vous êtes enfants d'Abraham ", mais ce n'est point là de quoi il est question. Maintenant, il va leur parler avec plus de force et de vigueur. En effet, on peut remarquer en. général que Jésus-Christ, après avoir opéré quelque grande action qu'il avait dessein de faire, parle ensuite avec plus de force et de fermeté, parce qu'alors le témoignage des oeuvres mêmes ferme la bouche aux contradicteurs.

" Mais vous voulez me faire mourir ". Et si c'est justement? Non, certes, c'est pourquoi il en donne la raison : vous voulez me faire mourir, " parce que ma parole ne trouve point d'entrée en vous ". Comment dit-il donc qu'ils ont cru en lui? Oui , ils ont cru, mais, comme j'ai dit, ils n'ont point persévéré : voilà pourquoi il leur fait une vive réprimande. Si vous vous glorifiez, dit-il, de cette filiation, il faut que votre vie y réponde. Et Jésus n'a pas dit : vous ne comprenez point ma parole, mais : " Ma parole ne trouve point d'entrée en vous " ; en quoi il fait connaître l'élévation et la sublimité de sa doctrine. Mais ce n'est point là une raison de me faire mourir, c'en est une plutôt de m'honorer, afin de vous instruire. Mais si vous dites cela ,de vous-même? Pour prévenir cette objection, il ajoute : " Pour moi, je dis ce que j'ai vu dans mon Père, et vous, vous faites ce que vous avez ouï de votre Père (38) ". Comme moi, dit-il, je fais connaître mon Père, et par mes oeuvres et par mes paroles; de même aussi vous, par vos couvres, vous montrez qui est le vôtre. Car non-seulement j'ai la même substance que mon Père, mais encore la même vérité.

" Ils lui répondirent : Nous avons Abraham pour père. Jésus leur repartit : Si vous aviez Abraham pour père, vous feriez ce qu'a fait Abraham; mais maintenant vous cherchez à me faire mourir (39,40) ". Jésus-Christ leur reproche souvent ici leur humeur sanguinaire, et leur parle d'Abraham : mais c'est pour leur déclarer qu'ils se sont exclus de sa filiation, pour rabaisser leur vanité, leur en marquer l'inutilité et les convaincre qu'ils n'y doivent point mettre l'espérance de leur salut, ni compter sur une alliance charnelle , ruais sur l'alliance spirituelle que produit la bonne volonté. C'était là ce qui les empêchait de s'attacher à Jésus-Christ : ils s'imaginaient qu'une si grande alliance leur suffisait seule pour les sauver.

Quelle est cette vérité dont parle ici [364] Jésus-Christ? Qu'il est égal à son Père; c'est pour cette vérité que les Juifs cherchaient à le faire mourir, comme il le dit lui-même : " Vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit la vérité que j'ai apprise de mon Père ". Pour vous faire voir que ce qu'il dit n'est point contraire à son Père, il s'en autorise encore. " Ils lui dirent : Nous ne sommes pas des enfants de la fornication ; nous n'avons tous qu'un père qui est Dieu (41) ". Que dites-vous ? Que vous avez Dieu pour père, et vous accusez et vous condamnez Jésus-Christ pour avoir dit la même chose 1 Ne voyez-vous pas que Jésus a dit que Dieu était son Père d'une manière particulière ?

3. Comme donc le Sauveur avait dépossédé les Juifs de leur prétendue filiation d'Abraham, n'ayant rien à répliquer, ils ont la hardiesse de monter plus haut et de s'arroger la qualité d'enfants de Dieu; mais Jésus-Christ les dégrade encore de cette dignité en leur disant " Si Dieu était votre Père,vous m'aimeriez parce que je suis sorti de Dieu, et que je viens " dans le monde, " car je ne suis pas venu de moi-même, mais c'est lui qui m'a envoyé (42). Pourquoi ne connaissez-vous point mon langage? Parce que vous ne pouvez ouïr ma parole (43). Vous êtes les enfants du diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été. homicide dès le commencement, et il n'est point demeuré dans la vérité. Lorsqu'il dit des mensonges, il dit ce qu'il trouve dans lui-même (44) ". Jésus-Christ a dépossédé et exclu les Juifs de la filiation d'Abraham , et comme ils ont osé s'élever à une grande et plus haute dignité, il les abat et leur porte enfin le coup qui les terrasse, en leur disant : Non-seulement vous n'êtes point les enfants d'Abraham, mais vous êtes même les enfants du diable; par là il les frappe aussi durement que le mérite leur impudence, et il ne laisse pas cette accusation sans preuve ; il la démontre, au contraire : tuer, dit-il, c'est le fait d'une méchanceté diabolique. Et il n'a pas simplement dit : Vous faites les oeuvres du diable , mais vous accomplissez ses désirs, montrant que les Juifs, comme le diable, sont portés au meurtre, et cela par envie.

Car le diable a tué Adam, uniquement pour satisfaire son envie. Jésus-Christ l'insinue ici maintenant. " Et il n'est point demeuré dans la vérité ", c'est-à-dire, dons la droiture, dans la probité. Comme les Juifs accusaient souvent Jésus de n'être point envoyé de Dieu, il leur répond que c'est le diable qui leur suggère cette accusation; car c'est lui qui le premier a enfanté et produit le mensonge, lorsqu'il a dit: "Aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts ". (Gen. III, 5.)C'est lui aussi qui le premier l'a mis en oeuvre. En effet, les hommes ne s'en servent pas comme d'une chose qu'ils trouvent en eux-mêmes, mais comme d'une chose empruntée. Le diable en use comme de sa propriété.

" Mais pour moi, quoique je vous dise la vérité, vous ne me croyez pas (45) ". Quelle est la suite des idées? Vous voulez me faire mourir sans me dire de quoi l'on m'accuse. Vous ne me persécutez que parce que vous êtes ennemis de la vérité; si ce n'est pas pour cela, montrez-moi mon péché. Voilà pourquoi il continue ainsi : " Qui de vous me peut, convaincre d'aucun péché (46) ? " Sur cela ils répondent : " Nous ne sommes pas des enfants de la fornication ". Et néanmoins plusieurs l'étaient, puisqu'ils étaient dans la coutume de faire des mariages illicites. Mais ce n'est point là ce qu'il veut leur reprocher, il s'en tient au premier point. Leur ayant fait voir qu'ils n'étaient pas les enfants de Dieu, mais les enfants du diable; il part de tout cela. (Tuer et mentir, leur dit-il, ce sont là des actions dignes du diable et vous faites l'une et l'autre), pour nous apprendre que c'est à l'amour qu'on reconnaît les enfants de Dieu.

" Pourquoi ne connaissez-vous point mon langage? " Comme ils étaient toujours flottants, toujours dans le doute, et qu'ils ne cessaient point de répéter ces paroles : " Que veut-il dire, vous ne sauriez venir où je vais? A Jésus dit : " Vous ne connaissez point mon langage, parce que vous ne pouvez ouïr ma parole. " Et cela vient de ce que vous avez un esprit bas et rampant, et que ma doctrine est trop élevée. Mais s'ils ne pouvaient pas la comprendre, quel blâme, quel reproche leur faire? C'est qu'ici ne pouvoir pas, c'est la même chose que ne vouloir pas; vous ne le pouvez pas, parce que vous êtes habitués à ramper toujours, et que vous n'élevez jamais vos pensées à rien de grand. Et encore, les Juifs voulant faire entendre qu'ils ne le persécutaient que par zèle pour Dieu, Jésus s'attache partout à montrer que le persécuter, c'est haïr Dieu; que l'aimer, au contraire, ce serait connaître Dieu.

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"Nous n'avons tous qu'un père qui est Dieu ". C'est toujours d'honneurs, et non d'oeuvres qu'ils se prévalent. Donc votre incrédulité prouve, non que je sois étranger à Dieu, mais que vous ne le connaissez pas, et en voici la cause : c'est que vous mentez et voulez faire ce que fait le diable. Vous mentez parce que vous avez une âme basse et rampante, parce que vous n'avez que des pensées charnelles, comme dit l'apôtre : " Puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n'est-il pas visible que vous êtes charnels ? " (I Cor. III, 3.) Pourquoi ne pouvez-vous pas recevoir ma parole et croire en moi? C'est parce que " vous voulez accomplir les désirs de votre Père ", vous en faites votre étude, vous appliquez tous vos soins. Ne voyez-vous pas que ce mot : " Vous ne pouvez pas ", signifie qu'ils ne veulent pas.

" C'est ce qu'Abraham n'a point fait ". Et quelles sont ses oeuvres? la douceur, la modération, l'obéissance : vous , au contraire, vous êtes inhumains et cruels. Mais d'où se sont-ils portés à se dire enfants de Dieu? Jésus-Christ avait fait voir qu'ils étaient indignes d'être enfants d'Abraham : voulant détourner ce reproche, ils se sont élevés à quelque chose de plus grand. Et comme il leur reprochait leurs meurtres, afin de s'en justifier en quelque sorte, ils disent que c'est pour venger Dieu qu'ils s'y sont portés. Au reste ce mot : " Je suis sorti ", signifie qu'il est venu d'en-haut. Par là il fait allusion à son avènement dans le monde. Et comme vraisemblablement ils devaient répliquer : Vous enseignez une doctrine étrangère et nouvelle ; Jésus dit qu'il est sorti de Dieu. Il est naturel, dit-il, que vous n'écoutiez pas ma parole, parce que vous êtes les enfants du diable : pourquoi voulez-vous me faire mourir? De quel crime pouvez-vous m'accuser? s'il n'en est aucun, pourquoi ne croyez-vous pas en moi ?

Puis, après leur avoir fait connaître ainsi, parleur mensonge et le meurtre qu'ils veulent commettre, qu'ils sont enfants du diable, il leur montre qu'ils sont fort éloignés d'être enfants, et d'Abraham et de Dieu, soit parce qu'ils le haïssent, lui qui ne leur a fait aucun mal, soit parce qu'ils n'écoutent point sa parole. Et en même temps il établit invinciblement cette vérité, qu'il n'est point contraire à Dieu, et que ce n'est point pour cette raison qu'ils ne croient point en lui , mais parce qu'ils sont ennemis de Dieu. Il était, en effet, de toute évidence que, s'ils ne croyaient point en celui qui n'avait commis aucun péché, qui se disait sorti de Dieu et envoyé de Dieu, qui enseignait la vérité et l'enseignait de manière qu'il pouvait défier tout le monde de le convaincre d'aucun péché; il était, dis-je, visible que, s'ils ne croyaient point en Jésus-Christ, c'est qu'ils étaient tout à fait charnels. Car il le savait; oui, certes, il le savait parfaitement, que les péchés rabaissent l'âme. C'est pourquoi saint Paul dit : " Nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer à cause de votre lenteur et de votre peu d'application pour les entendre ". (Héb. V, 11.) Lorsqu'on n'a pas la force de mépriser les choses de la terre, on ne peut ni entendre celles du ciel, ni avoir de goût pour elles.

4. C'est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, n'oublions rien , faisons tous nos efforts pour bien régler notre vie : purifions notre âme, de peur qu'aucune tache, qu'aucune souillure ne nous empêche de voir la vérité. Allumons en nous la lampe de l'intelligence et ne semons point parmi les épines. Celui qui ne comprend pas que l'avarice est un mal, comment connaîtra-t-il de plus hautes vérités? Celui qui ne s'en abstient pas, comment s'attachera-t-il aux choses du ciel? Il est bon de ravir, non les biens périssables, mais le royaume des cieux; car ce royaume, dit Jésus-Christ, " les violents l'emportent " (Matth. XI, 12); donc les lâches ne peuvent l'emporter : pour l'acquérir, il faut être diligent et plein d'ardeur. Mais que veut dire ce mot : " les violents? " Qu'il faut faire beaucoup d'efforts, parce que la voie est étroite (Matth. VII, 14), qu'il faut du courage et de la fermeté. Ceux qui vont pour emporter veulent devancer tout le monde. Ils ne considèrent rien, ni l'accusation, ni la condamnation, ni le supplice; mais ils n'ont qu'une seule chose en vue, c'est d'emporter ce qu'ils désirent, et ils font tous leurs efforts pour prévenir ceux qui marchent devant.

Emportons donc le royaume des cieux l'emporter ce n'est pas un crime, mais c'est s'acquérir de la gloire ; c'est au contraire un crime de ne point le ravir. Dans ce royaume, nos richesses ne tournent point à la ruine des autres : travaillons donc à l'emporter. Si nous sentons la colère et la concupiscence s'allumer dans nous et nous presser de leurs aiguillon, [366] faisons violence à notre nature; soyons plus doux, travaillons un peu pour nous reposer éternellement. Ne ravissez point l'or, mais ravissez ces richesses qui vous apprendront à regarder l'or comme de la boue. Dites-moi : Si vous trouviez sous vos yeux et sous votre main du plomb et de l'or, lequel prendriez-vous ? ne serait-ce pas l'or que vous saisiriez? Eh bien ! là où celui qui emporte est puni, vous vous attachez à ce qui est de plus grande valeur, et là où celui qui emporte est honoré et récompensé, vous livrez, vous abandonnez ce qui est de plus grand prix. Que si de l'un et de l'autre côté il y avait une punition à craindre, ne vous seriez-vous pas plutôt jeté sur ce qui vaut le mieux? mais dans le vol que je vous propose, vous n'avez rien à craindre, une félicité éternelle en est la récompense.

Et comment, direz-vous, peint-on l'emporter, ce royaume? Ce que vous avez dans vos mains, jetez-le; car tant que vous aurez les mains embarrassées, vous ne pourrez conquérir cet autre trésor : représentez-vous un homme qui a les mains pleines d'argent; tant qu'il le serrera dans ses mains, pourra-t-il prendre de l'or? ne faut-il pas qu'auparavant il jette l'argent et qu'il ait les mains libres? En effet, un voleur doit être adroit et alerte pour n'être pas pris. De même, il y a autour de nous des puissances ennemies qui nous guettent, toujours prêtes à se jeter sur nous pour nous enlever notre trésor. Mais évitons-les, fuyons-les et ne laissons au dehors aucune prise sur nous. Coupons, rompons les liens qui nous retiennent , dépouillons-nous des biens de ce monde. Quelle nécessité d'avoir des habits de soie? Jusques à quand nous étalerons-nous ces futilités ridicules? Jusques à quand cacherons-nous notre or dans la terre? Je voudrais de tout mon coeur ne plus vous parler continuellement de ces choses; mais jamais vous ne cessez de me donner sujet de vous en parler. Corrigeons-nous enfin aujourd'hui, afin que, donnant aux autres ce bon exemple, les biens que Dieu nous a promis, nous les obtenions, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE LV.
LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT DONC : N'AVONS-NOUS PAS RAISON DE DIRE QUE VOUS ÉTES UN SAMARITAIN ET QUE VOUS ÊTES POSSÉDÉ DU DÉMON? — JÉSUS LEUR REPARTIT : JE NE SUIS POINT POSSÉDÉ DU DÉMON : MAIS J'HONORE MON PÈRE. (VERS. 48, 49, JUSQU'A LA FIN DU CHAP. VIII.)
ANALYSE.

1. Venger avec force ce qu'on dit contre Dieu, souffrir patiemment ce qu'on dit contre nous.

2. Réfutation des Anoméens et des Avens. — Cette parole : Je suis, marque en Jésus-Christ son éternité.

3. Profiter du temps, ne point différer sa conversion. — L’âme, qui est devenue insensible, est semblable au pilote qui a abandonné son vaisseau au gré des vents. — Quels efforts doit faire la vertu pour l'emporter sur la violence des passions. — L'envieux, en voulant perdre quelqu'un, se perd lui-même. — Portrait de l'envieux et de l'envie.

1. C'est une chose impudente et insolente que le vice: lorsqu'il devrait rougir de honte, c'est alors qu'il s'emporte et fait plus fortement éclater sa colère; c'est ce qui arriva pour [367] les Juifs. Lorsque leur coeur aurait dû être touché de componction de ce qu'ils venaient d'entendre; lorsqu'ils devaient admirer la force et la justesse des raisonnements du divin Sauveur, ils le chargent d'injures, ils l'appellent samaritain, démoniaque, et répondent : " N'avons-nous pas eu raison de dire que vous êtes un samaritain, et que vous êtes possédé du démon ? " Jésus-Christ disait-il quelque chose de grand et d'élevé, c'était folie aux yeux de ces hommes sans raison. Il est vrai que l'évangéliste n'a point encore dit qu'ils l'aient appelé samaritain, mais toutefois ces paroles donnent bien lieu de croire qu'ils l'avaient souvent apostrophé de ce nom. Vous êtes possédé du démon, dites-vous à Jésus; mais chez qui vraiment habite le démon ? chez celui qui honore Dieu; ou chez celui qui outrage l'homme qui honore Dieu? Quelle est la réponse du Seigneur? c'est la douceur, c'est la modestie même. " Je ne suis point possédé du démon, mais j’honore mon Père, qui m'a envoyé (49) ". Lorsqu'il fallait les instruire, abattre leur orgueil et leur vanité, et les empêcher de se prévaloir du nom d'Abraham, alors Jésus-Christ parlait avec force et avec vigueur; mais quand il avait à souffrir leurs injures, il répondait avec beaucoup de douceur: Quand ils disaient : Nous avons Dieu pour Père et Abraham aussi, il les réprimandait fortement; mais lorsqu'ils l'appellent démoniaque, il leur répond avec douceur, pour nous apprendre à venger la gloire de Dieu et à souffrir avec patience ce qu'on dit contre nous.

" Pour moi, je ne cherche point ma gloire (50) ". J'ai dit ces choses pour vous montrer qu'il ne vous appartient pas, à vous, qui êtes des homicides, d'appeler Dieu votre Père; ce que j'ai dit, c'est donc pour sa gloire que je l'ai dit, et, pour avoir soutenu sa gloire, je vous entends m'injurier; c'est pour lui que je suis en butte à vos outrages. Mais je n'écoute point vos injures, je ne m'en venge point. Celui pour l'amour de qui je les souffre maintenant, vous en fera rendre compte et vous en punira. " Pour moi, je ne cherche point ma gloire ". C'est pourquoi, au lieu de me venger, je vous invite et vous exhorte à faire ce qui non-seulement vous délivrera du supplice, mais aussi vous procurera la vie éternelle.

"En vérité, en vérité, je vous le dis : Si quelqu'un garde ma parole, il ne mourra jamais (51) ". Jésus-Christ ne parle pas seulement ici de la foi, mais encore de la pureté de la vie. Et plus haut il a dit : "Il aura la vie éternelle " ; il dit ici : Il ne mourra point, et en même temps il insinue que ses ennemis ne peuvent rien contre lui. Car si celui qui aura gardé sa parole ne doit pas mourir, à plus forte raison lui-même ne mourra-t-il point. Les Juifs l'ayant compris, lui dirent : " Nous connaissons bien maintenant que vous êtes possédé du démon: Abraham est mort et les prophètes aussi (52) ", c'est-à-dire ceux qui ont ouï la parole de Dieu sont morts, et ceux qui auront ouï la vôtre ne mourraient point? " Etes-vous plus grand que notre père Abraham (53) ? " O vanité ! de nouveau ils se flattent d'être les enfants d'Abraham. Il eût été plus à propos de répondre : Etes-vous plus grand que Dieu, ou ceux qui vous écoutent sont-ils plus grands qu'Abraham ? mais ils ne le disent point, parce qu'ils croyaient Jésus moins grand qu'Abraham lui-même. Premièrement donc Jésus leur montre qu'ils sont des homicides, et par cette raison il leur prouve qu'ils sont déchus de leur prétendue filiation; et comme ils s'opiniâtraient à la soutenir, il la combat par une autre voie, leur faisant voir qu'ils font d'inutiles efforts pour s'y maintenir.

Au reste, le Sauveur ne découvre et n'explique pas de quelle mort il veut parler présentement; il leur fait entendre qu'il est plus grand qu'Abraham, afin de les confondre encore par ce moyen. Certes, dit-il, quand même je serais un homme ordinaire, vous ne devriez pas me faire mourir injustement; mais puisque je dis la vérité, puisque je n'ai commis aucun péché, puisque je suis envoyé de Dieu et plus grand qu'Abraham, n'est-ce pas follement et vainement que vous cherchez tous les moyens de me faire mourir? Que répondent-ils donc? " Nous connaissons bien maintenant que vous êtes possédé du démon? " La Samaritaine n'avait point parlé de la sorte; elle n'avait point dit à Jésus : Vous êtes possédé du démon, mais seulement : " Etes-vous plus grand que notre père Jacob? " (Jean, IV, 12.) En effet, les Juifs étaient des insolents et des scélérats , tandis que cette femme ne songeait qu'à s'instruire. Voilà pourquoi elle propose ses. doutes, fait une respectueuse réponse, comme elle le devait, et appelle Jésus Seigneur. Car celui qui faisait de si grandes promesses, et qui, d'autre part, méritait d'être cru sur sa parole, ne devait point recevoir des [368] injures et des outrages, mais il devait plutôt être admiré et comblé de louanges; et cependant les Juifs l'appellent démoniaque. Les paroles de la Samaritaine marquaient seulement qu'elle était dans le doute, qu'elle n'avait pas encore une foi solide; mais les paroles des Juifs montraient visiblement leur incrédulité et leur méchanceté : " Etes-vous plus grand que notre père Abraham ? " Etre donc envoyé de Dieu, voilà déjà ce qui le rend plus grand qu'Abraham. Mais lorsque vous le verrez élevé en haut, c'est alors que vous le reconnaîtrez pour tel. Voilà pourquoi le Sauveur disait : " Lorsque vous m'aurez élevé en haut, alors vous connaîtrez qui je suis ". (Jean, VIII, 28.)

Et vous, mon cher auditeur, remarquez la sagesse de Jésus. Après avoir prouvé aux Juifs qu'ils sont déchus de leur prétendue filiation, il leur fait voir qu'il est plus grand qu'Abraham , afin qu'ils sachent qu'il est bien au-dessus des prophètes. Et il leur disait : " Ma " parole ne trouve point d'entrée en vous " (Jean, VIII, 37), parce que, continuellement, ils l'appelaient prophète. Enfin il disait tantôt: qu'il ressuscitait les morts, tantôt que celui.. qui le trairait ne mourrait point, ce qui est encore bien plus grand que de n'être point laissé dans les liens de la mort. Voilà pourquoi les Juifs s'irritaient davantage. Que répondent-ils donc? " Qui prétendez-vous être? " et c'est d'un ton de mépris. Vous vous vantez, disent-ils; à quoi Jésus-Christ réplique : " Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien (54). "

2. Sur cette réponse du Seigneur, que disent les hérétiques? Ecoutez-les un peu. Les, Juifs ont fait à Jésus-Christ cette question : " Etes-vous plus grand que notre père, Abraham?" et il n'a osé affirmativement répondre : Oui, je le suis; mais il se répand en paroles obscures et enveloppées. Quoi donc? Sa gloire n'est-elle rien? selon eux, elle n'est rien. Mais sachez, ô hérétiques, que comme, lorsque Jésus-Christ dit : " Mon témoignage n'est point véritable", il parle selon l'opinion des Juifs; il parle encore de même, quand il dit : " Il y en a un qui me glorifie ". (Jean, V, 32.) Et pourquoi n'a-t-il pas dit, comme plus haut : c'est mon Père qui m'a envoyé ? c'est parce qu'il voulait montrer aux Juifs, que non-seulement ils ne connaissaient pas le Père, mais pas même Dieu. " Mais pour moi je le connais ". C'est pourquoi, quand il dit : Je le connais, ce n'est point une vanterie : s'il disait qu'il ne le connaît pas, ce serait un mensonge. Pour vous autres, lorsque vous dites que vous le connaissez, vous êtes des menteurs; et comme vous dites faussement que vous le connaissez, moi, de même, je dirais faussement que je ne le connais pas.

" Si je me glorifie moi-même ". Les Juifs disent : " Qui prétendez-vous être? " Jésus leur répond : si je me vante moi-même, si ce que je vous dis, je le dis de moi-même, ma gloire n'est rien. Comme donc je connais parfaitement le Père, vous ne le connaissez point du tout. Ainsi, comme lorsqu'il agitait cette question, savoir : s'ils étaient les enfants d'Abraham, il ne leur a pas tout ôté, mais il a dit : Je sais que vous êtes de la race d'Abraham, pour prendre de là occasion de leur faire un plus grand reproche; de même en cet endroit il ne leur ôte pas tout, mais il leur dit: " Vous dites qu'il est votre Père; " leur laissant cette gloire, il montre qu'ils n'en sont que plus coupables et dignes d'une plus grande condamnation. Au. reste, comment peut-on dire que vous ne connaissez point Dieu? Parce que vous chargea d'injures celui qui fait et dit tout pour. sa gloire, celui même que Dieu a envoyé: ceci est dit sans preuves, mais ce qui suit servira à le prouver.

"Et je garde sa parole (55). ". Si les Juifs avaient eu quelque chose à dire contre Jésus-Christ, ils le pouvaient, ils le devaient; car c'était 1à un puissant témoignage pour prouver qu'il était envoyé de Dieu. " Abraham votre père a désiré avec ardeur de voir mon jour; il l'a vu, et il en a été rempli de joie (56)". Jésus-Christ prouve encore que les Juifs ne sont point les enfants d'Abraham, puisqu'ils s'affligent de ce dont il se réjouissait. Et je pense que par ces paroles il désigne le jour du,sacrifice de la croix, qu'Abraham avait marqué d'avance par celui du bélier et d'Isaac, (Gen. XXII.), Que dirent-ils donc? "Nous n'avez " pas encore quarante ans, et vous avez vu " Abraham (57)?" Jésus-Christ avait donc alors environ quarante ans. Jésus leur répondit: " Je suis avant qu'Abraham fût au monde (58). " Là-dessus ils prirent des pierres pour les lui, jeter (59) ". N'avez-vous pas fait attention à la manière dont il prouve qu'il est plus grand qu'Abraham? Celui qui s'est réjoui devoir ce jour, qui a cru que, c'était là une chose désirable, a sans doute regardé comme un bonheur [369] et une grâce de voir ce jour, parce que Jésus est plus grand que lui. Ainsi comme les Juifs voyaient en lui rien de plus que le fils d'un charpentier, il les élève insensiblement à une plus haute connaissance. Mais il est surprenant qu'ayant entendu dire à Jésus-Christ qu’ils ne connaissaient point Dieu, ils ne se eut point fâchés contre lui; et que, lorsqu'il dit : je suis avant qu'Abraham fût au monde, comme si cela les eût dégradés de leur noblesse, ils s'emportent et jettent des pierres.

Abraham a vu mon jour, et " il en a été rempli de joie ". Jésus fait voir, par ces paroles, qu'il n'est point allé à la croix et à la mort involontairement et malgré lui, puisqu'il loue celui qui se réjouit de la croix, qui était le salut du monde. Et néanmoins les Juifs le lapidaient : tant ils avaient de penchant pour le sang et le carnage ! Et ils s'y portaient ainsi d'eux-mêmes sans autre attention, sans rien examiner. Mais pourquoi Jésus n'a-t-il pas dit : j'étais avant qu'Abraham fût au monde, mais : " Je suis ? " Comme son Père, pour se faire connaître, s'est servi de cette parole : " Je suis " , Jésus-Christ en use de même. Cette parole marque qu'il est éternel, en tant qu'elle ne fixe aucun temps particulier. Voilà pourquoi les Juifs regardaient cette parole comme un blasphème. S'ils ne pouvaient donc pas souffrir cette comparaison qu'il faisait de lui avec Abraham, quoiqu'elle ne fût pas si grande; ni si avantageuse, n'est-il pas visible que s'il s'était souvent fait égal à son Père, ils n'auraient pas cessé un moment de le persécuter et de le poursuivre ? Ensuite il se retira encore à la manière des hommes, et se cacha, après les avoir assez instruits, et avoir accompli son oeuvre et sa mission. Il sortit du temple, et fut opérer la guérison d'un aveugle, prouvant par ses oeuvres qu'il est avant Abraham.

Mais peut-être quelqu'un dira : pourquoi ne s réduisit-il pas à l'impuissance? De cette lanière peut-être auraient-ils cru en lui. Il a guéri le paralytique, et ils n'ont point cru en lui. II a fait une infinité de miracles jusque dans sa passion, il les renversa par terre, il les rendit aveugles, et ils ne crurent point. Comment donc auraient-ils cru, s'il les avait réduits à l'impuissance? Rien n'est pire qu'un homme dans le désespoir. Qu'il voie des miracles, qu'il voie des prodiges, ces prodiges et ces miracles ne sont nullement capables de triompher de son obstination. Pharaon en est. un exemple : il reçut mille plaies; mais le châtiment seul pouvait le faire rentrer en lui-même : et il persévéra dans son endurcissement jusqu'à son dernier jour, où il poursuivait encore ceux qu'il avait renvoyés. Voilà pourquoi saint Paul dit souvent : " Que personne ne s'endurcisse par l'illusion du péché ". (Héb. II, 18.) Car de même que les forces s'épuisent à la fin, et que le corps perd tout sentiment, ainsi l'âme, qu'une foule de passions accable, devient comme morte pour la vertu : présentez-lui tout ce qu'il vous plaira, elle ne sent rien : menacez-la du supplice ou de toute autre chose, elle demeure insensible.

3. C'est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, pendant que nous avons une espérance de salut, pendant que nous pouvons nous convertir, ne négligeons point cette affaire travaillons-y de toutes nos forces. Comme les pilotes qui n'ont plus d'espérance abandonnent leur vaisseau au gré des vents et demeurent les bras croisés , les hommes découragés renoncent de même à tout effort. L'envieux n'a en vue que d'assouvir sa cupidité; qu'on le menace du supplice, de la mort, il cherche uniquement à contenter sa passion tels sont aussi et l'impudique et l'avare. Si donc les passions exercent sur l'âme un si puissant empire, la vertu doit déployer bien plus de force; encore. Puisque , pour satisfaire nos passions, nous méprisons la mort, nous devons bien davantage la mépriser pour la vertu. Si ceux qui sont possédés de quelque passion méprisent la vie, à plus forte raison devons-nous la mépriser pour le salut. Autrement, quelle excuse aurions-nous? Ceux qui périssent se donnent mille peines afin de périr, et nous ne prenons pas même une peine égale pour nous sauver, mais nous séchons toujours d'envie.

Rien n'est pire, en effet, que l'envie : en voulant perdre autrui, l'envieux se perd lui-même. L'oeil de l'envieux sèche de dépit, sa vie n'est qu'une mort continuelle : il regarde tous les hommes comme ses ennemis, et ceux même qui ne lui ont fait aucun mal. Il s'attriste que Dieu soit honoré ; ce dont le démon se réjouit, il s'en réjouit aussi. Cet homme est honoré des hommes, mais ce n'est point là un honneur, ne lui portez point envie. Il est honoré de Dieu; imitez-le, mais c'est là ce [370] que vous ne voulez point faire. Pourquoi donc vous perdez-vous vous-même? pourquoi jetez-vous ce que vous avez entre les mains? vous ne pouvez l'égaler ni faire quelque profit? pourquoi, de plus, vous faire du mal? Il faudrait vous réjouir avec lui, afin que si vous ne pouvez pas participer à ses travaux, vous en tiriez du moins quelque profit par votre congratulation : souvent la bonne volonté suffit pour nous faire un grand bien. Ezéchiel dit que les Moabites ont été punis pour avoir insulté les Israélites et s'être réjouis de leurs calamités, et que ceux qui gémissent sur les maux d'autrui, obtiennent le salut. Que si ceux qui pleurent sur les maux de leurs frères y gagnent des consolations, à plus forte raison en recevront-ils ceux qui se réjouissent des honneurs qu'on leur fait : le prophète reprochait aux Moabites de s'être réjouis des maux qui étaient arrivés aux Israélites : et cependant c'était Dieu même qui châtiait ces derniers. Mais Dieu ne veut pas même que nous ayons de la joie des châtiments qu'il inflige, et lui-même ne prend point plaisir à se venger. Que s’il faut s'affliger avec ceux qui souffrent, à plus forte raison ne faut-il pas porter envie à ceux qui sont honorés. C'est ainsi qu'ont péri et Coré et Dathan (Nomb. XVI) qui, d'une part, ont attiré sur eux-mêmes la vengeance divine, et de l'autre, ont rendu par là plus illustres ceux à qui ils portaient envie. Car l'envie est une bête venimeuse, un animal impur, une malice volontaire, qui ne mérite point de pardon, une méchanceté qu'on ne peut excuser, la racine et la mère de tous les maux. Arrachons-le donc de nos âmes, afin que nous soyons délivrés des maux présents, et que nous acquérions les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père, et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE LVI.
COMME JÉSUS PASSAIT, IL VIT UN HOMME QUI ÉTAIT AVEUGLE DÉS SA NAISSANCE. — ET SES DISCIPLES LUI FIRENT CETTE DEMANDE : MAITRE, EST-CE LE PÉCHÉ DE CET HOMME, OU LE PÉCHÉ DE CEUX QUI L'ONT MIS AU MONDE, QUI EST CAUSE QU'IL EST NÉ AVEUGLE ? (CHAP. IX, VERS. 1, 2, JUSQU'AU VERS. 6.)
ANALYSE

1. Guérison de l'aveugle-né. — Nul n'est puni pour le péché de ses parents.

2. Jésus-Christ, en rendant la vue à l'aveugle-né, prouvait aux Juifs qu'il est le Créateur.

3. Contradiction apparente; expliquée. — Saint Paul appelle nuit ce que Jésus-Christ appelle jour, et jour ce qu'il appelle nuit. Félicité de la céleste patrie. — Ce qu'il faut faire pour y parvenir. — Les pauvres nous bâtissent des maisons dans le ciel. Répandre ses biens sur eux.

1. " Comme Jésus passait, il vit un homme qui était aveugle dès sa naissance (1) ". Jésus-Christ, dans son humanité, son zèle pour notre salut, et sa volonté de fermer la bouche aux méchants, ne négligeait rien de ce qu'il lui appartenait de faire, même quand il ne rencontrait qu'indifférence autour de lui. C'est parce que le prophète savait cela qu'il a dit: " Afin que vous soyez reconnu juste et véritable dans vos paroles; et que vous demeuriez victorieux , lorsqu'on jugera de votre conduite " . (Ps. L, 5.) Voilà pourquoi maintenant les Juifs ne pouvaient atteindre à la sublimité de ses paroles, que dis-je? lorsqu'ils [371] l'appelaient démoniaque, et qu'ils cherchaient à le faire mourir; étant sorti du temple, il guérit un aveugle, afin d'apaiser leur fureur même par son absence, afin d'amollir la dureté de leur coeur, et d'adoucir leur inhumanité par un miracle, et aussi de persuader sa doctrine, de lui donner plus de foi et de créance : et le miracle qu'il fait n'est ni commun ni ordinaire, mais tel que jusqu'alors on n'en avait point vu de pareil. " Depuis que le monde est", dit l'aveugle, " on n'a jamais ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né ". Car peut-être quelqu'un a ouvert les yeux, d'un aveugle, mais non pas d'un aveugle-né.

Or, que Jésus, étant sorti du temple, soit venu exprès et dans l'intention d'opérer le miracle, ce qui le prouve manifestement, le voici : Il est allé chercher l'aveugle, et l'aveugle ne l'est point venu chercher. Et encore : Il l'a regardé avec tant d'attention, que ses disciples l'ayant aperçu, se portèrent à lui faire cette demande : " Maître, est-ce le péché de cet homme, ou le péché de ceux qui l'ont " mis au monde, qui est cause qu'il est né aveugle? " Question fondée sur une fausse supposition : car, avant de naître, comment cet homme aurait-il pu commettre quelque péché? Pourquoi aurait-il été puni pour le péché de ses pères? Sur quoi donc les disciples se sont-ils portés à faire cette question? Jésus-Christ, ayant auparavant guéri le paralytique, lui dit : " Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus à l'avenir ". (Jean, V, 14.) De là les disciples connurent que cet homme était devenu paralytique en punition de son péché, et ils raisonnèrent entre eux de la sorte. Que cet homme soit tombé dans la paralysie à cause de ses péchés, soit, cela peut être; mais que direz-vous de celui-ci? est-ce pour ses péchés qu'il est ainsi frappé d'aveuglement? C'est ce qu'on ne peut dire, car il est né aveugle. Peut-être ce sont les, péchés de ses parents qui lui ont attiré cette disgrâce? Mais c'est encore là ce qu'on ne peut dire : car le fils n'est point puni pour les fautes de son père. Si nous voyons maltraiter un enfant,. nous disons : Qu'est-ce que cela signifie? Qu'a donc fait cet enfant? Ce n'est pas là interroger, mais seulement manifester de l'étonnement et du doute. De même les disciples parlaient, de la sorte, non tant pour interroger que pour exposer leur doute. Que répondit donc Jésus-Christ? " Ce n'est point qu'il ait péché, ni ceux qui l'ont mis au monde (33) ". Et il ne dit pas cela pour marquer qu'ils soient tout à fait exempts de péché; car il n'a pas seulement dit : " Ce n'est point qu'il ait péché, ni ceux qui l'ont mis au monde ", mais il a ajouté . " Ce qui est cause qu'il est né aveugle, c'est afin que le Fils de Dieu soit glorifié ". Cet homme-ci a péché, et ses parents ont péché aussi, mais ce n'est point là ce qui est cause de son aveuglement.

Enfin Jésus-Christ, parlant en ces termes, n'a pas .voulu nous faire entendre que véritablement celui-ci n'était point aveugle pour cette cause, mais que d'autres l'étaient, à savoir, pour le péché de leurs parents; car il n'est pas permis de punir l'un pour le péché de l'autre. En effet, si nous l'accordions, il faudrait convenir aussi que cet homme avait péché avant de naître. De même donc que le Sauveur disant : " Ce n'est point qu'il ait péché ", n'entend pas qu'il y ait des hommes qui pèchent dès leur naissance, et qui soient punis pour cela; ainsi lorsqu'il dit : " Ni ceux qui l'ont mis au monde", il ne veut pas dire qu'il y ait quelqu'un de puni pour les péchés de ses pères. Il ôte ce soupçon par la bouche d'Ezéchiel : " Je jure par moi-même, dit le Seigneur, qu'on n'entendra point dire cette parabole : Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en sont agacées ". (Ezéch. XVIII, 34.) Moïse dit aussi " On ne fera point mourir le père pour l'enfant". (Deut. XXIV, 16.) De plus, l'Ecriture Ait d'un certain roi, qu'il ne fit point mourir les enfants pour les pères, afin de se conformer à la loi de Moïse.

Que si quelqu'un me fait cette objection pourquoi donc l'Ecriture dit-elle : " Dieu punit les crimes des pères sur les enfants, jusqu'à la troisième et quatrième génération ? " (Exod. XX, 5; Deut. V, 9) ; nous répondrons que cette sentence n'est point générale, et qu'elle est prononcée contre quelques-uns des Juifs qui étaient sortis de l'Egypte, et en voici le sens : Comme ceux que j'ai tirés de la captivité de l'Egypte sont devenus, même après avoir vu tant de miracles et de prodiges, plus méchants encore que leurs pères, qui toutefois n'avaient rien vu de si grand ni de si admirable, ils seront punis de même qu'eux, dit le Seigneur, parce qu'ils ont commis les mêmes crimes. Et si l'on examine ce passage avec [372] soin et avec attention, on connaîtra fort bien que c'est ainsi qu'il le faut entendre. Pourquoi cet homme est-il donc né aveugle? " Afin ", dit l'Ecriture, " que la gloire de Dieu éclatât ". —D'où naît encore une autre question, savoir : si la gloire de Dieu ne pouvait se manifester que par l'aveuglement de cet homme? Certes, l'Ecriture ne dit point que la puissance de Dieu n'a pu autrement se montrer, car sûrement elle le pouvait; mais c'est afin qu'elle se manifestât encore dans ce miracle. Quoi ! direz-vous, cet homme a donc reçu cette disgrâce pour faire éclater la gloire de Dieu ? Mais quel mal, je vous prie, lui en est-il arrivé? Et si le Seigneur n'avait point voulu qu'il vint au monde, qu'auriez-vous à répliquer?

Mais moi, je dis que de cet aveuglement même, est résulté pour lui un bien : car il a vu des yeux de l'âme. De quoi a-t-il servi aux Juifs d'avoir des yeux? En voyant ils ont été comme des aveugles qui ne voient point, et ils se sont attiré un plus grand supplice. Mais la cécité, quel tort a-t-elle fait à celui-ci? pour avoir été aveugle, il a reçu la vue. Comme donc les maux de cette vie ne sont point de vrais maux, de même les biens ne sont pas de vrais biens. Mais le péché seul est un mal, la cécité, au contraire, n'est point un mal. Or, celui qui tire toutes choses du néant, " est le maître ", il a pu laisser cet aveugle en cet état. Toutefois quelques-uns disent que ce mot " afin que b, n'est point ici une particule causale, et qu'il marque seulement l'événement qui suivit : comme lorsque Jésus-Christ dit : " Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ". (Jean, IX, 39.) Car le Sauveur n'est pas venu, afin que ceux qui voyaient devinssent aveugles. Et encore: " Car ils ont connu ", dit saint Paul, " ce qui se peut découvrir de Dieu; et ainsi ces personnes sont inexcusables ". (Rom. I, 19, 20.) Néanmoins, Dieu ne leur a pas découvert ses perfections, pour les rendre inexcusables, mais pour leur donner un moyen de se justifier. Et derechef, en un autre endroit : " Or, la loi est survenue, afin que le péché abondât ". (Rom. V, 20.) Et cependant la loi n'est pas survenue pour porter l'homme au péché, mais, au contraire, pour le retenir et l'empêcher d'y tomber.

2. Vous voyez, mes frères, que partout la particule: " Afin que " , n'est que pour marquer l'événement, ou ce qui est arrivé en conséquence. Tel qu'un habile architecte, Dieu a d'abord achevé une partie de la maison qu'il a voulu construire, il a laissé l'autre imparfaite, afin qu'en la finissant ensuite, il fermât la bouche aux incrédules relativement à l'origine de tout l'ouvrage. Ainsi il joint en. semble les différentes parties de notre corps, il achève ce qui y manquait, et il y travaille comme à une maison qui serait prête à tom. ber, lorsqu'il rend saine la main qui est desséchée, lorsqu'il affermit les membres du paralytique, qu'il fait marcher les boiteux, qu'il guérit les lépreux, qu'il rend la santé aux malades, qu'il fortifie les jambes faibles, qu'il ressuscite les morts , qu'il ouvre les yeux qui étaient fermés, qu'il en donne à ceux qui n'en avaient point. Il répare donc tous les défauts de notre faible nature , et c'est par où il découvre, il manifeste sa puissance. Au reste, quand Jésus dit: Afin que la puissance de. Dieu éclate, c'est de lui qu'il parle, et non du Père. Car la puissance du Père était parfaitement connue.

Or, comme les Juifs avaient ouï dire que Dieu, pour former l'homme, avait pris du limon de la terre; pour cette même raison, Jésus-Christ se servit aussi de boue. S'il eût dit: C'est moi qui ai pris de la boue, et qui en ai formé l'homme, cette parole aurait choqué ses auditeurs. Mais en le faisant voir par l'oeuvre même qu'il opère, il a réfuté toutes les objections. Le Sauveur, donc, ayant pris de la poussière, la délaya avec sa salive, et par là il découvrit sa puissance , qui était cachée, et la fit éclater. En effet, il n'y avait pas peu de gloire à se faire connaître pour le Créateur. Car de là s'ensuivait tout le reste, une partie faisant croire le tout. La créance ne faisait ainsi que descendre du plus au moins. En effet, de toutes les choses créées, l'homme est ce qu'il y a de plus éminent, et l'oeil est le plus précieux de tous ses organes: voilà pour. quoi, dans la miraculeuse guérison dont nous parlons, le Sauveur ne créa pas simplement l'oeil, mais le créa de la manière que nous venons de rapporter. Car, quoique l'œil soit un fort petit organe, néanmoins il est nécessaire au corps. Saint Paul le déclare par ces paroles : " Et si l'oreille disait: Puisque je ne suis pas oeil, je ne suis pas du corps; ne [373] serait-elle point pour cela du corps? " (I. Cor. III,16.) Tout ce qui est en nous manifeste la divine puissance de celui qui l'a formé; mais 1'œil la fait beaucoup plus éclater, puisque c'est lui qui gouverne tout le corps , qui en fait la beauté , qui est le bel ornement du visage, et la lampe qui éclaire tous les membres. L’oeil est au corps ce qu'est le soleil au monde. Si vous éteignez la lumière du soleil, vous mettez tout dans le trouble et la confusion , vous perdez tout. Si vous éteignez les yeux, les pieds et les mains sont inutiles, l'âme l'est aussi. La perte des yeux entraîne avec soi la ruine de la raison. En effet, c'est par eux que nous sommes parvenus à la connaissante de Dieu. " Car les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ses créatures nous en donnent ". (Rom. I, 20.) L'oeil n'est donc pas seulement la lampe du corps (Matth. VI, 22 et suiv.) mais il l'est plus encore de l'âme gaie du corps. C'est pourquoi il est placé en haut comme sur un trône royal, et il est élevé au-dessus des autres sens. Jésus-Christ forme donc l'oeil. Ensuite, afin que vous ne croyiez point qu'il ait eu besoin de la matière pour faire l'oeuvre qu'il voulait opérer, et que vous appreniez qu'au commencement, quand il a créé toutes choses, la boue dont il s'est servi ne lui était point nécessaire : car celui qui de rien a produit les substances les plus grandes et les plus excellentes pouvait , à plus forte raison, former celle-ci sans faire usage d'aucune matière, s'il l'avait voulu. Pour vous apprendre, dis-je , qu'il n'en a nullement eu, besoin, et vous montrer que c'est lui qui , au commencement , a créé toutes choses , ayant appliqué la boue sur la place de l'œil, il dit: Allez, " lavez-vous (7) ", afin que vous sachiez que, pour former des yeux, il ne m'est pas nécessaire d'avoir en main de la boue , et que je ne m'en sers que pour faire éclater ma gloire et ma puissance.

Le Sauveur donc, pour montrer qu'il parle de sa propre personne , lorsqu'il dit: " Afin que la gloire de Dieu éclate ", a ajouté: " Il faut que je fasse les oeuvres de celui qui m'a envoyé (4) " ; c'est-à-dire , il faut que je me fasse connaître moi-même, et que je produise tout ce qui est capable de prouver que je fais les mêmes couvres que mon Père fait: non de semblables, mais les mêmes; ce qui marque une plus grande égalité, et ne se peut dire que de ceux qui n'ont pas même entre eux la moindre inégalité. Qui donc osera maintenant combattre cette égalité du Fils, voyant qu'il est capable des mêmes oeuvres que le Père a le pouvoir de faire? En effet, non-seulement il a formé des yeux, non-seulement il en a ouvert, mais il a donné la faculté de voir, ce qui. prouve manifestement qu'il a aussi inspiré l'âme. Car si l'âme n'agit, quelque sain, quelque entier que l'oeil soit, jamais il ne verra rien. C'est pourquoi il a aussi communiqué à l'âme la faculté d'agir, et il a donné à cet homme un oeil composé d'artères, de nerfs , de veines , de sang , et de toutes les autres choses dont notre corps est construit.

" Il faut que je fasse des couvres pendant qu'il est jour ". Que signifient ces paroles? Quelle suite ont-elles ? Elles en ont une véritable. Car Jésus-Christ veut dire ceci : Pendant qu'il est jour, pendant que les hommes peuvent croire en moi, et que je vis, il faut que je fasse dés oeuvres. " La nuit vient ", c'est-à-dire le temps approche " où l'on ne pourra rien faire ". Le Seigneur n'a point dit: Dans lequel je ne pourrai point agir, mais : " Où l'on ne pourra rien faire ", c'est-à-dire dans lequel il n'y aura plus ni foi, ni couvre, ni pénitence. Et comme Jésus appelle la foi une couvre, ils lui disent : " Que ferons-nous pour faire des couvres de Dieu ? " (Jean, VI, 28.) Il répond : " L'oeuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé ". (Ibid. 29.) Pourquoi donc personne alors ne pourra-t-il faire cette oeuvre ? Parce qu'alors la foi ne subsistera plus, et que tous écouteront, soit qu'ils le veuillent ou qu'ils ne le veuillent pas.

Et afin que les Juifs ne pussent pas dire que Jésus-Christ agissait par un mouvement d'ambition et de vanité, il leur montre que tout ce qu'il fait c'est pour eux, c'est pour leur salut qu'il le fait; puisque c'est seulement en ce monde qu'on peut croire et opérer des couvres, et qu'en l'autre la foi ne leur servira de rien, qu'ils ne pourront plus ni travailler ni mériter. Voilà pourquoi le divin Sauveur guérit l'aveugle, sans même que celui-ci vînt le chercher ni l'en prier. Mais toutefois ce qui a suivi sa guérison, je veux dire sa foi et sa fermeté, prouvent manifestement qu'il était digne de cette grâce; que s'il avait vu, il serait venu trouver Jésus et aurait cru en lui ; [374] et que s'il avait ouï dire à quelqu'un qu'il était présent, il n'eût pas manqué d'accourir. Il pouvait, en effet, penser et dire en lui-même : Qu'est-ce que cela signifie? Jésus a fait de la boue, il en a oint mes yeux et m'a dit : " Allez, lavez-vous? " Est-ce qu'il ne pouvait pas me guérir en m'envoyant alors à la piscine de Siloé? Souvent je m'y suis lavé avec les autres et cela ne m'a servi de rien. Si véritablement il avait le pouvoir de me rendre la vue, il m'aurait guéri sur-le-champ, sans m'envoyer courir. C'est ce que Naaman disait aussi à Elisée (IV Rois, V, 11) : le prophète lui ayant ordonné de se laver dans le Jourdain, il n'y avait point de foi. Et cependant Elisée jouissait d'une très-grande réputation. Mais cet aveugle ne fut pas incrédule, il ne disputa point, il ne dit point en lui-même : Que veut dire cela ? Fallait-il qu'il mît de la boue sur mes yeux? C'est plutôt là de quoi m'aveugler. Qui a jamais recouvré la vue de cette manière ? Mais il n'eut aucune de ces pensées. Maintenant, mes frères, remarquez-vous cette foi et cette fermeté d'âme?

" La nuit vient " : Par là Jésus-Christ fait connaître qu'après même qu'il aura été élevé sur une croix, qu'après sa mort il aura soin encore des pécheurs, et qu'il en attirera plusieurs. " Il est encore jour ", mais après que le jour sera passé, il retranchera, 'il rejettera absolument les méchants; c'est ce qu'il déclare formellement en ces termes : " Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (5) ". Et il le dit aussi ailleurs : " Croyez, pendant que vous avez la lumière ". 3. Pourquoi saint Paul a-t-il donc appelé nuit la vie présente, et jour celle qui la suivra? Néanmoins il n'avance rien de contraire aux paroles de Jésus-Christ; loin de là, il dit les mêmes choses, non selon la terre, mais selon le sens, savoir : " La nuit est passée, il fait jour ". (Rom. XIII, 12.) Car le temps présent il l'appelle nuit, à cause de ceux qui sont assis dans les ténèbres, ou par comparaison de cette vie pleine de ténèbres à la vie lumineuse, dont on jouira dans le ciel; mais Jésus-Christ appelle le temps futur une nuit, parce qu'alors (1) on ne péchera plus.

L'apôtre appelle au contraire une nuit la vie présente, parce que ceux qui vivent dans l'iniquité et l'incrédulité sont dans les ténèbres. Adressant donc la parole aux fidèles; il

1. Alors, c. à d. dans ce temps futur.

dit : " La nuit est passée, il fait jour ". Parce qu'ils sont destinés à jouir un jour de cette lumière : mais leur première vie, il l'appelle une nuit; c'est pourquoi il leur dit : " Quittons donc les oeuvres de ténèbres ". (Ibid.) Remarquez qu'il leur déclare qu'ils étaient dans la nuit; pour cette raison il ajoute " Marchons avec bienséance et avec honnêteté, comme on marche durant le jour ", afin que nous puissions jouir de la lumière " qui nous est annoncée ". Car si la lumière, "que nous présente maintenant la prédication de l'Évangile ", est si lumineuse et si éclatante, songez à ce que sera celle dont vous jouirez dans le ciel ? Soyez-en persuadés : autant les rayons du soleil éclipsent la lumière des lampes, autant, ou plutôt beaucoup plus, la lumière céleste que nous vous annonçons surpassera celle-ci. Et c'est là ce que voulait dire le Sauveur par ces paroles : " le soleil s'obscurcira " (Matth. XXIV, 29) : c'est-à-dire, il sera éclipsé par la splendeur de la lumière nouvelle.

Que si maintenant, pour avoir des maisons bien éclairées, bien aérées, nous dépensons notre argent et nos peines à bâtir ; ne pensez. vous pas que nous devions épuiser jusqu'à nos dernières forces, pour nous édifier dans le ciel de splendides demeures, là où habite l'ineffable lumière? En bâtissant ici-bas, nous nous exposons à des querelles et à des procès pour des bornes et des cloisons, au lieu que là-haut il ne nous peut rien arriver de semblable : l'envie et la jalousie n'y étant point à craindre, personne ne nous fera de procès pour les limites. Mais, de plus, cette maison que nous construisons ici-bas, nécessairement il faudra la quitter; et l'autre, nous l'habiterons éternellement : l'une dépérit et le temps la dévore, elle est sujette à bien des accidents; l'autre est stable et demeure toujours dans son premier état : le pauvre ne peut bâtir celle-ci; l'autre, pour deux oboles même on la construit, comme fit la veuve que vous connaissez tous. (Marc , XII, 12.) C'est pourquoi je sèche, je meurs de tristesse et de douleur, de voir qu'ayant à espérer de grands biens, nous soyons si lâches et si négligents à nous les procurer, et que nous n'omettions rien pour nous établir ici dans de belles maisons, tandis que nous ne nous soucions point de nous préparer dans le ciel le moindre logement.

375

Dites-moi, je vous prie : dans ce monde, où voudriez-vous avoir votre maison? Est-ce au désert, ou en quelque petit bourg? Non, mais, je pense, dans une grande capitale, là où se fait un plus grand commerce, où éclate une plus grande splendeur. Et moi, je vous mène dans une ville dont Dieu est l'architecte et l'ouvrier. Je vous en conjure, mes chers frères, bâtissons-y; bâtissons où il en coûte et moins de dépense et moins de travail. Ce sont les mains des pauvres qui construisent ces maisons, et voilà la vraie manière de bâtir : ce qui se fait en ce monde n'est bon qu'à attester notre extrême folie. Si quelqu'un vous engageait à faire un voyage en Perse, pour voir le pays et vous en revenir aussitôt après; et s'il vous conseillait en même temps d'y bâtir des maisons, ne le jugeriez-vous pas bien fou de vous porter à une vaine et inutile dépense? Pourquoi bâtissez-vous donc sur cette terre, d'où vous devez sortir sous peu de jours?

Mais, direz-vous, ces maisons que je fais bâtir, je les laisserai à mes enfants. Eh ! vos enfants doivent bientôt vous suivre, s'ils ne vous devancent pas : et il en sera de même de leur postérité, et en ce monde même, c'est un sujet de chagrin et d'affliction que de se trouver sans héritier. Mais dans le royaume céleste vous n'avez rien de pareil à craindre : l'héritage que vous y posséderez ne sera sujet à aucun changement, il vous demeurera entier à vous, à vos enfants et à vos petits-fils, s'ils imitent votre vertu. C'est Jésus-Christ qui construit l'édifice; avec un si habile architecte, on n'a nullement besoin d'inspecteurs; on est exempt de toute inquiétude. Dieu se charge lui-même de tout; de quoi auriez-vous à vous mettre en peine? C'est lui qui assemble les matériaux, qui élève la maison. Et ce n'est point là seulement ce qui est admirable, mais c'est qu'il la construit selon vos désirs, ou plutôt, beaucoup mieux encore que vous ne le pourriez désirer. Car il est excellent architecte, et il s'attache à vous procurer toutes sortes de commodités et d'avantages. Si, étant pauvre, vous voulez bâtir cette maison, ne craignez point, elle ne vous suscitera ni envie, ni jalousie; l'envieux ne 1a voit point, mais seulement les anges qui se réjouissent de vos félicités. Personne ne pourra anticiper sur les bornes de votre héritage, parce gaie vous n'aurez point de voisin qui soit attaqué de cette maladie. Là, vos voisins, ce seront les saints, Pierre, Paul, tous les patriarches, les martyrs, la compagnie des anges et des archanges. C'est pourquoi, mes très-chers frères, répandons nos biens et nos richesses sur les pauvres, afin d'acquérir ces demeures. Plaise à Dieu que nous les obtenions tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE LVII.
JÉSUS, APRÈS LEUR AVOIR DIT CELA, CRACHA A TERRE, ET AYANT FAIT DE LA BOUE AVEC SA SALIVE, IL OIGNIT DE CETTE BOUE LES YEUX DE L'AVEUGLE ; – ET IL LUI DIT : ALLEZ VOUS LAVER DANS LA PISCINE DE SILOÉ. (VERS. 6, 7, JUSQU'AU VERS. 16.)
ANALYSE.

376

1. Foi de l'aveugle-né. — Bonté de Dieu pour tous les hommes sans distinction.

2. Nécessité de la foi partout. — Il y a une paix mauvaise et une guerre qui est bonne:

3. Fuir les méchants, s'attacher aux gens de bien. — Retrancher les membres gangrenés, se séparer des amis dangereux. — En s'en éloignant souvent on les gagne, on les fait rentrer en eux-mêmes. — La société des méchants plus pernicieuse que la peste. — On déshérite les méchants enfants, on doit à plus forte raison fuir les amis qui sont corrompus. — On n'examine pas notre vie, mais on juge de nous par ceux que nous fréquentons. — La compagnie des méchants, dangereuse pour soi, scandaleuse à l'égard des autres.

1. Ceux qui veulent tirer quelque fruit de nos lectures ne doivent pas laisser passer la moindre chose. La raison pour laquelle il nous est ordonné de lire avec soin les Ecritures, c'est que, la plupart du temps, ce qui paraît d'abord d'une facile intelligence renferme un sens caché, qui est d'une grande profondeur. Remarquez, en effet, ce que nous présente la lecture que nous venons de faire : " Après avoir dit cela, il cracha à terre ". Pourquoi Jésus crache-t-il ainsi ? Afin que la gloire de Dieu éclate, et parce qu'il faut qu'il fasse les oeuvres de celui qui l'a envoyé. En effet, ce n'est pas sans raison que l'évangéliste a rapporté ces choses et qu'il a marqué que Jésus avait craché ; mais c'est pour faire connaître qu'il confirmait sa parole par ses oeuvres. Et pourquoi le Sauveur ne s'est-il pas servi de l'eau pour faire la boue, mais de sa salive? Il devait envoyer l'aveugle à la piscine de Siloé : il a donc craché à terre, de peur qu'on n'attribuât une partie de la guérison à l'eau de cette fontaine, et aussi pour nous apprendre que la vertu qui a formé et ouvert les yeux de cet aveugle, était sortie de sa bouche. C'est dans cette vue que l'évangéliste a dit : " Et il a fait de la boue de sa salive ". Ensuite il ordonna à l'aveugle de se laver, afin qu'on ne crût pas que c'était la terre qui avait opéré la guérison.

Pourquoi donc Jésus-Christ ne l'a-t-il pas faite sur-le-champ et a-t-il envoyé l'aveugle à Siloé? C'est pour confondre l'opiniâtreté des Juifs et pour vous faire connaître la foi de l'aveugle. Car il est à croire qu'ils le virent tous aller à la fontaine, ayant les yeux oints de boue; une action si extraordinaire et si inouïe dut attirer sur lui les regards de tout le monde: tous, soit qu'ils le connussent ou non, devaient l'observer avec une attentive curiosité. Comme il n'était pas trop croyable qu'un aveugle-né recouvrât la vue, le Sauveur, en lui faisant faire un long voyage, réunit autour de lui beaucoup de témoins sûrs et irrécusables d'un prodige si nouveau, afin qu'y ayant donné toute leur attention, les Juifs ne pussent pas chanceler ensuite et dire: c'est lui, ce n'est pas lui. De plus, il leur fait voir qu'il n'est pas contraire à la loi, puisqu'il envoie cet homme à la piscine de Siloé. Et il n'était point à craindre qu'on. n'attribuât la gloire de cette guérison à la fontaine, plusieurs y ayant lavé leurs yeux, sans en retirer aucune utilité.

Mais ici, c'est la vertu de Jésus-Christ qui opère tout. Voilà pourquoi saint Jean a marqué la signification de Siloé ; car ayant dit : Jésus [377] l'envoya à Siloé, il a ajouté : " qui signifie envoyé ", pour vous faire entendre que c'est là que Jésus guérit l'aveugle; ainsi nous lisons chez saint Paul: " Car ils buvaient de l'eau de la pierre spirituelle qui les suivait, et Jésus-Christ était cette pierre ". (I Cor. X, 4.) Comme donc Jésus-Christ était la pierre spirituelle, il était aussi la Siloé spirituelle. Au reste, il me semble que cette eau, qui se présente ainsi tout à coup, signifie un grand et profond mystère. Quel est ce mystère ? L'avènement de Jésus-Christ au monde qui est arrivé contre toute espérance.

Considérons ensemble, mes frères, la docilité d'esprit de cet aveugle et son obéissance en tout. Il n'a point dit : si la boue ou la salive me doivent rendre la vue, quel besoin ai-je d'aller courir à Siloé? Mais si c'est Siloé qui me doit guérir, à quoi bon cette salive? Pourquoi a-t-il oint mes yeux ? pourquoi m'a-t-il ordonné d'aller me laver? Il n'a même pas eu la pensée d'aucune de ces objections, mais il n'a eu d'autre vue que d'obéir aux commandements de Jésus. Rien n'a été capable de l'arrêter, ni de le choquer.

Mais si quelqu'un nous fait cette question : Comment cet aveugle, pour avoir retiré la boue qui était sur ses yeux, a-t-il recouvré la vue? Nous ne lui ferons que cette seule réponse, que nous n'en savons rien. Et qu'y a-t-il d'étonnant que nous l'ignorions, puisque ni l'évangéliste, ni celui qui a été guéri, ne l'ont pas su eux-mêmes? Véritablement, l'aveugle savait ce que Jésus avait fait, mais la manière dont il avait recouvré la vue, il n'a pu la comprendre, ni la découvrir. Quand on l'a interrogé, il a répondu : " Cet homme a mis de la boue sur mes yeux, et je me suis lavé, et je vois ". Mais comment cela s'est fait, c'est là ce qu'il ne peut expliquer. Quand on lui ferait là-dessus mille questions, il ne saurait rien répondre de plus.

" Ses voisins", dit l'évangéliste, " et ceux qui l'avaient vu auparavant demander l'aumône disaient (8) : N'est-ce pas là celui qui était assis et qui demandait l'aumône? Les uns ré" pondaient: C'est lui (9) ". La nouveauté du fait les jetait dans l'incrédulité, en dépit de toutes les précautions prises contre le doute. Les uns disaient : " N'est-ce pas là celui qui était assis et qui demandait l'aumône? " Ah! combien est grande l'humanité de Dieu ! Jusqu'où descend-elle? Elle guérit avec une infinie bonté de pauvres mendiants , et par là elle impose silence aux Juifs; elle n'honore pas seulement de ses soins et de sa providence les hommes illustres et les grands, mais ceux aussi qui sont de basse extraction et sans nom dans le monde. CAR DIEU EST VENU POUR LE SALUT DE TOUS LES HOMMES.

Au reste, le paralytique et l'aveugle-né eurent le même sort: ni l'un ni l'autre né connut celui qui venait de le guérir, parce qu'aussitôt après leur guérison Jésus-Christ s'était retiré; le Sauveur avait coutume d'en user de la sorte pour lever tout soupçon sur les miracles qu'il faisait. Comment, en effet, des gens qui ne connaissaient même pas qui était celui qui les avait guéris, se seraient-ils portés à déguiser le fait et altérer la vérité en sa faveur? De plus, cet aveugle n'était pas un inconnu, un vagabond, c'était un homme que tous les jours on voyait assis a, la porte du temple. Comme donc les Juifs étaient tous en doute si c'était lui, que répond-il? " -C'est moi-même ". Il ne rougit pas de son infirmité passée, il ne redoute point la fureur du peuple, et il ne craint pas de se faire connaître pour exalter la gloire de son bienfaiteur. " Ils lui demandent : Comment " est-ce que vos yeux ont été ouverts (10)? Il leur répondit : Cet homme qu'on appelle Jésus (11) ". Que dites-vous là? Un homme peut-il rendre la vue à un aveugle-né? C'est qu'il n'avait pas encore une juste idée de Jésus. " Cet homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue et en a oint mes yeux ".

2. Remarquez, mon cher auditeur, combien cet homme est véridique : il ne dit point de quoi Jésus a fait la boue, car il ne dit pas ce qu'il ignore. En effet, il n'avait pas vu que Jésus avait craché à terre, mais par l'attouchement et la sensation il s'était aperçu qu'il l'avait oint. Et il m'a dit : " Allez vous laver à la piscine de Siloé ". Il assurait cela pour l'avoir ouï. Et d'où connaissait-il la voix de Jésus-Christ? Par son entretien avec ses disciples. Toutes ces choses, il les raconte sur le témoignage des oeuvres, rapportant ce qui s'est fait; la manière, il ne la peut dire. Que si dans les choses qu'on aperçoit par les sens et par l'attouchement, la foi est nécessaire, elle l'est beaucoup plus encore dans celles qu'on ne peut voir. " Ils lui dirent : Où est-il? Il leur répondit : Je ne sais (12) ". S'ils demandaient : " Où est-il ? " c'était déjà dans le dessein de le faire mourir.

378

Ici, mes frères, considérez combien Jésus-Christ est éloigné de toute ostentation et de toute vanité, comment il s'absente et se cache après avoir opéré une guérison, comment il ne cherchait point la gloire ni les applaudissements du peuple. Observez avec quelle vérité l'aveugle répond à toutes les questions qu'on lui fait. Les Juifs cherchaient donc Jésus-Christ pour l'amener aux prêtres, et, ne le trouvant point, ils conduisirent l'aveugle aux pharisiens , afin qu'ils l'interrogeassent plus rigoureusement. L'évangéliste marque que c'était le jour du sabbat; pour faire connaître leur méchant esprit, et qu'ils saisissaient l'occasion et le vain prétexte de le calomnier, parce qu'il semblait avoir transgressé la loi. Cela résulte de ce qu'au moment où ils virent l'aveugle, ils ne lui firent que cette seule question : " Comment a-t-il ouvert vos yeux ? " Et remarquez qu'ils ne dirent point : comment avez-vous recouvré la vue, mais : " Comment a-t-il ouvert vos yeux? " afin de lui donner occasion de calomnier Jésus, pour l'oeuvre qu'il venait de faire. Mais l'aveugle leur répond en peu de mots, comme à des gens qui n'ignoraient pas ce qui s'était passé : il ne nomme point Jésus, il ne dit pas : il m'a dit

" Allez vous laver "; mais sans biaiser, il répond sur-le-champ : " Il a oint de boue mes yeux, et je me suis lavé, et je vois (15)". Les pharisiens savaient parfaitement ce qui s'était passé, puisqu'ils l'avaient déjà vivement accusé , et qu'ils avaient dit : Voyez quelles oeuvres fait Jésus le jour du sabbat, il oint avec de la boue. Mais pour vous, mon cher auditeur, observez que l'aveugle ne se trouble point; qu'à la première interrogation il ait confessé la vérité, alors qu'il n'avait rien à craindre, cela se conçoit plus aisément , mais ce qui est admirable, ce qui est étonnant, c'est que les pharisiens l'ayant intimidé, lui ayant donné lieu de tout craindre, il persiste à soutenir cette vérité, et qu'il ne se dédit pas de ce qu'il a d'abord avancé. Que firent donc les pharisiens, ou même les autres aussi qui se trouvèrent là? Ils l'amenèrent avec eux, espérant lui faire rétracter ce qu'il avait dit; mais vainement ils s'en étaient flattés, il en fut tout autrement. Ils apprirent encore d'une manière plus exacte comme la chose s'était passée, et c'est ce qui leur est toujours arrivé dans les miracles. Nous le ferons plus clairement voir par la suite.

Que dirent donc les pharisiens ? " Quelques-uns ", non tous, mais les plus insolents, dirent : " Cet homme n'est point " envoyé " de Dieu, puisqu'il ne garde point le sabbat ; d'autres disaient : Comment un méchant homme pourrait-il faire de tels prodiges (16) ? " Remarquez-vous que ces Juifs étaient attirés et gagnés par les miracles? Faites attention à ce que répondent maintenant ceux qui avaient envoyé chercher l'aveugle, du moins quelques-uns d'eux; en tant que sénateurs, le désir de la gloire avait fait tomber les autres dans l'incrédulité. Néanmoins la plupart des sénateurs mêmes crurent en lui, mais ils n'osaient le reconnaître publiquement. (Jean, XII, 42.) Le peuple était dans le mépris pour lui, parce qu'il ne contribuait pas beaucoup à la gloire de la synagogue. Les sénateurs, qui étaient plus en vue, avaient plus de peine à se déclarer ouvertement; retenus, les uns, par l'amour de l'autorité, les autres, par la crainte de l'opinion générale. C'est pourquoi Jésus-Christ leur disait: " Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire des hommes? " (Jean, V, 44.)

Eux qui cherchaient injustement à faire mourir Jésus-Christ, ils se vantaient d'agir pour la gloire de Dieu; et ils disaient que celui qui guérissait les aveugles ne pouvait pas être envoyé de Dieu, parce qu'il ne gardait pas le sabbat : à quoi d'autres opposaient qu'un méchant homme n'aurait pas su faire de tels prodiges. Ceux-là, cachant perfidement le miracle, publiaient ce qu'ils appelaient une transgression de la loi. Ils ne disaient pas : Il guérit le jour du sabbat; mais il ne garde pas le sabbat. Ceux-ci montrent encore une grande faiblesse d'esprit; lorsqu'il fallait montrer que le sabbat n'était nullement violé, ils n'objectent que les miracles, et cela se conçoit, car ils le prenaient encore pour un homme, autrement ils auraient pu le défendre d'une autre manière, et répondre que celui qui a fait le sabbat est maître du sabbat (Marc, II, 28); mais ils n'avaient pas encore cette juste opinion de lui. D'ailleurs aucun d'eux n'osait ouvertement déclarer sa pensée ; mais ils s'exprimaient tous sous forme de doute, les uns étant arrêtés par la crainte, les autres par l'amour des dignités. " Il y avait donc de la division entre eux " : et cette division, qui s'était premièrement élevée parmi le peuple, se répandit ensuite parmi les sénateurs. " Les [379] uns disaient : c'est un homme de bien; les "autres disaient : non, mais il séduit le peuple ", (Jean, VII , 12.) Remarquez-vous que les sénateurs, dont la division suivit celle du peuple, montrèrent plus de déraison que lui? Mais, ce qu'il y a d'étonnant, c'est, qu'après s'être ainsi partagés, ils ne firent paraître ni fermeté, ni courage, en présence de l'acharnement des pharisiens. Si leur division avait été parfaite, ils auraient aussitôt connu la vérité : car il y a une division juste et salutaire. C'est pourquoi Jésus-Christ disait: " Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais l'épée ". (Matth. X, 34.) En effet, il y a une paix mauvaise et une guerre qui est bonne et avantageuse. Par exemple, les enfants d'Adam qui bâtissaient une tour, s'étaient unis ensemble pour leur perte, et ils furent divisés, quoique malgré eux, pour leur bien et leur avantage. (Gen. XI.) Coré et sa troupe s'étaient unis pour le mal : leur division fut donc heureuse. (Exod. XIII.) Judas aussi fit très-mal de s'accorder avec les Juifs. (Matth. XXVI.) Il peut donc y avoir une guerre bonne et une paix mauvaise. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit : " Si votre oeil vous scandalise, arrachez-le; et si votre pied vous est un sujet de scandale, coupez-le ". (Matth. V, 29 ; et XVIII, 9.) S'il faut retrancher les membres funestes au corps dont ils font partie, à plus forte raison faut-il se séparer des amis dont la société peut perdre l'âme? La paix n'est donc pas toujours bonne; de même que la guerre n'est pas toujours mauvaise.

3. Je dis ces choses, mon cher auditeur, afin que vous fuyiez les méchants et que vous vous attachiez aux gens de bien. Si nous coupons les membres gangrenés qui sont incurables , de peur qu'ils ne gâtent le reste du corps, si nous retranchons quelques-uns de nos membres, non par mépris, mais dans l'intérêt des autres, à combien plus forte raison devons-nous en user de même à l'égard de ceux dont la société nous est nuisible ? Que si nous les pouvons corriger sans courir aucun risque, nous devons faire tous nos efforts pour cela. Mais s'ils sont incorrigibles , et s'ils nous sont une occasion de chute , il faut les retrancher et les jeter loin de nous. Souvent ce sera tout profit. C'est pour cette raison que saint Paul donne cet avis aux Corinthiens : " Otez le mal du milieu de vous " . (1 Cor. V, 13.) Et encore : "Pour faire retrancher du milieu de vous celui qui a commis une action si honteuse ". (Ibid. 2.) Car la compagnie des méchants est dangereuse et fatale. La peste ne fait pas de si grands ravages, et la gale ne corrompt pas si promptement ceux qui en sont infectés, que l'iniquité des méchants ne devient promptement funeste à leurs amis : en effet, " les mauvais entretiens gâtent les bonnes moeurs ". (I Cor. XV, 33.) Un prophète dit encore : " Fuyez du milieu d'eux et éloignez-vous-en ". (Jérém. LI, 6.) Que personne donc ne se fasse un ami de celui qui est méchant. Si, lorsque nos enfants sont méchants, nous les déshéritons, sans avoir alors égard ni à la nature, ni à ses lois, ni au lien qu'elle forme; nous devons bien, à plus forte raison, fuir nos connaissances et nos amis, s'ils sont vicieux; car, quand même ils ne nous feraient aucun préjudice , néanmoins nous ne pourrons éviter qu'ils ne nous donnent une mauvaise réputation , parce que les étrangers n'examinent pas notre vie , mais jugent de nous par ceux que nous fréquentons.

J'y invite également et les femmes et les filles, et je vous dis à tous avec l'apôtre : " Ayez soin de faire le bien , non-seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes ". (Rom. XII,17.) Faisons donc tout notre possible pour n'être pas un sujet de scandale et de chute à notre prochain. Quelque pure et sainte que soit notre vie, si nous scandalisons les autres, tout est perdu pour nous. Et comment, en vivant saintement, pouvons-nous être une occasion de scandale? C'est lorsque la fréquentation des méchants nous donne une mauvaise réputation. En effet, si l'on nous voit sûrs de nous, au point de ne pas craindre leur commerce, encore qu'il ne nous en arrive à nous nul dommage, nous sommes alors aux autres une pierre d'achoppement. Mon discours vous regarde tous , hommes, femmes et filles, et je laisse à votre conscience à examiner combien de maux naissent de ces sociétés. Pour aloi, à la vérité, je ne soupçonne aucun mal, peut-être aussi les personne, tes plus éclairées : mais votre perfection même peut blesser la conscience de votre frère qui est plus simple et plus faible, et vous êtes obligés d'avoir égard à sa faiblesse. Et quand il n'en serait point blessé , ce gentil qui vous voit s'en scandalisera (1). Or, saint Paul

1. Voyez de chap. VIII de saint Paul, de la première aux Corinthiens, il est aisé d'en faire l'application.

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ordonne " de ne donner occasion de scandale ni aux Juifs, ni aux gentils, ni à l'Eglise de Dieu ". (I Cor. X, 32.) Pour moi, encore une fois, je ne soupçonne aucun mai d'une vierge, car j'aime la virginité, et la charité n'a point de mauvais soupçons (1 Cor. XIII, 5). J'aime fort cet état, et je n'en puis rien penser de mauvais. Mais ces mêmes sentiments, comment les persuaderons-nous aux étrangers? car il faut aussi avoir égard à eux.

Réglons donc si bien notre conduite, que l'infidèle ne trouve rien en nous qu'il puisse nous reprocher. Comme ceux qui vivent bien glorifient Dieu, de même ceux qui vivent mal sont cause qu'on blasphème contre lui. Mais, à Dieu ne plaise qu'il y ait de telles gens parmi vous! que plutôt. nos oeuvres brillent de manière que notre Père qui est dans les cieux, soit glorifié (Matth. V, 16), et que nous jouissions de sa gloire, que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles. Ainsi soit-il,
 
 

 

 

 

HOMÉLIE LVIII.
ILS DIRENT DONC DE NOUVEAU A L'AVEUGLE : ET TOI, QUE DIS-TU DE CET HOMME QUI T'A OUVERT LES YEUX? IL RÉPONDIT : C'EST UN PROPHÈTE. — MAIS LES JUIFS NE CRURENT POINT QUE CET HOMME EUT ÉTÉ AVEUGLE. (VERS. 17, 18, JUSQU'AU VERS. 34.)
ANALYSE.

1. Comment, à propos de l'aveugle-né, les Juifs, en combattant la vérité, la font briller davantage.

2. Interrogé par les Pharisiens, l'aveugle-né leur répond avec courage et rend gloire à Dieu.

3. Désappointement des Pharisiens, ils injurient l'aveugle.

4 et 5. Ce qui est écrit dans les Ecritures nous doit servir d'exemple et de modèle. — L'aveugle-né guéri est un grand modèle des vertus chrétiennes. — Fermeté que doivent avoir les fidèles à soutenir la religion et la vérité. — Courage avec quoi ils doivent défendre et soutenir leurs frères. — C'est dans la lecture et la méditation des livres saints que nous trouverons des armes pour combattre nos adversaires. — Avec quelle attention il faut écouter la parole de Dieu. — Contre les spectacles : on y court plus volontiers et avec plus d'empressement qu'à l'Eglise, où l'on apprend les vérités du salut. — On est savant dans ce qui regarde le théâtre, et ce qui est nécessaire à savoir on l'ignore. — On ignore sa religion, on ne connaît point les livres de l'Ecriture sainte et le nom de leurs auteurs, mais on sait faire de grands discours sur ce qui concerne les spectacles: maux, pertes qu'ils causent. — Dieu nous a donné le temps pour le servir : l'employer à des inutilités, c'est faire une grande perte. — Ce que c'est que la perte du temps : c'est de quoi on doit être le plus avare.

1. Il ne faut pas se borner à lire les Ecritures en courant : vous devez les méditer avec beaucoup de soin et d'attention, de peur que vous ne vous trouviez tout à coup arrêtés. Par exemple, on peut ici justement soulever cette question : comment les Juifs, après avoir dit : " Cet homme n'est point " envoyé " de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat ", disent-ils maintenant : " Et toi, que dis-tu de cet homme qui t'a ouvert les yeux? " Ils ne dirent pas : et toi, que dis-tu de cet homme qui viole le sabbat, mais ils mettent maintenant la justification à la place de l'accusation. Que faut-il donc répondre? Ce ne sont pas ici les mêmes qui disaient : cet homme n'est point envoyé de Dieu, mais ce sont ceux qui, étant d'un sentiment contraire, avaient dit : un méchant homme ne peut pas faire de tels prodiges. Ceux-ci voulant fermer la bouche aux autres, sans paraître néanmoins prendre la défense de Jésus-Christ, font amener l'homme qui portait sur son visage les marques de la [381] vertu et de la puissance de son médecin, et l'interrogent.

Remarquez donc, mon cher auditeur, la sagesse de ce pauvre mendiant, qui parla avec plus de prudence qu'eux tous. Tout d'abord, il dit: " C'est un prophète ", sans s'effrayer du mauvais jugement que portaient de lui les Juifs, qui, s'opposant de toutes leurs forces et au miracle et à sa réputation, disaient : " Comment cet homme peut-il être " envoyé " de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat? " Mais il a dit : " C'est un prophète. Mais les Juifs ne crurent point que cet homme eût été aveugle et eût recouvré la vue, jusqu'à ce qu'ils eussent fait venir son père et sa mère ". Faites attention à tous les artifices dont ils usent pour couvrir et faire disparaître le miracle. Mais la vérité est de telle nature qu'elle se fortifie et s'affermit par les mêmes armes avec lesquelles ses adversaires la combattent; et que les vains efforts qu'ils font pour l'obscurcir, ne servent qu'à la faire briller davantage. Si les Juifs n'avaient pas fait toutes ces choses, beaucoup auraient pu douter du miracle : mais, voici qu'ils agissent comme s'ils n'avaient d'autre but que de dévoiler la vérité : ils ne s'y seraient pas pris autrement, s'ils avaient effectivement travaillé pour Jésus-Christ. En effet, dans l'intention de le perdre, ils demandent : " Comment t'a-t-il ouvert les yeux? " C'est-à-dire, sans doute, c'est par des prestiges et des enchantements? En effet, dans une autre occasion où ils n'ont rien à objecter, ils s'efforcent de calomnier dans leur principe les guérisons et les miracles, en disant : " Cet homme ne chasse les démons que par la vertu de Belzébuth ". (Matth. XII, 24.) Ici, de même, n'ayant rien à objecter, ils se retranchent sur le temps et sur la violation du sabbat; ils disent encore : Cet homme est un pécheur.

Mais cet homme, que votre envie ne peut souffrir et dont vous déchirez la réputation, cet homme vous a défiés de la manière la plus nette, en vous disant : " Qui de vous me peut convaincre d'aucun péché? " (Jean, VIII, 46.) Et personne n'a répondu, personne n'a dit : Vous vous dites impeccable, vous blasphémez : or, s'ils avaient eu de quoi lui faire le moindre reproche, sûrement ils n'auraient point gardé le silence. En effet, des gens qui furent capables de jeter des pierres sur lui, lorsqu'il dit qu'il était avant qu'Abraham fût au monde (Ibid. 58), qui niaient qu'il était le Fils de Dieu, lorsqu'eux-mêmes se vantaient d'être enfants de Dieu, quoiqu'ils fussent des homicides, et qui disaient que celui qui faisait de si grands miracles, n'était pas envoyé de Dieu, parce qu'il ne gardait pas le sabbat, et cela à la suite d'une guérison : ces gens-là, s'il y avait eu le moindre reproche à lui faire, certainement n'y auraient pas manqué. Au reste, s'ils l'appelaient pécheur, parce qu'il semblait ne pas garder le sabbat, leur accusation était ridicule et frivole au jugement même de leurs compagnons qui l'imputaient eux-mêmes à la malignité.

Les Juifs, se voyant donc pressés de toutes parts, tentent quelque chose de plus impudent et de plus insolent encore que tout ce qu'ils avaient fait jusqu'alors. Et quoi? " Les Juifs ne crurent point ", dit l'évangéliste, " que cet homme eût été aveugle, et eût recouvré la vue ". S'ils ne l'ont pas cru, pourquoi donc ont-ils accusé Jésus-Christ de n'avoir pas gardé le sabbat? Pourquoi n'ajoutez-vous pas foi à ce que dit un si grand peuple, à ce que disent les voisins de cet homme, qui le connaissent? Mais, comme je l'ai dit, le mensonge se contredit en tout, et par les mêmes armes par lesquelles il combat la vérité, il périt et se détruit : et la vérité même n'en devient que plus brillante et plus lumineuse. C'est ce qui advint alors. Il fallait qu'on ne pût pas dire que les voisins et les témoins n'avaient rien rapporté d'exact, et qu'ils avaient seulement parlé d'un homme qui ressemblait à cet aveugle : les Juifs font venir son père et sa mère, et par là ils font éclater la vérité malgré eux : car le père et la mère connaissaient mieux leur propre fils que tous les autres. Comme ils n'avaient pu intimider le fils, qui publiait hardiment la gloire de son bienfaiteur, ils se flattaient d'affaiblir le miracle par les réponses qu'ils tireraient de ses parents.

Remarquez la malignité avec laquelle ils les interrogent, car que font-ils? Les ayant fait entrer au milieu de l'assemblée pour les effrayer, ils les interrogent, en disant d'un ton furieux et emporté : " Est-ce là votre fils (19)? " Et ils n'ajoutent pas : Qui était auparavant aveugle; mais que disent-ils? " Que vous nous dites être né aveugle? " Comme s'ils l'avaient habilement feint, pour confirmer l'oeuvre de Jésus-Christ. O hommes exécrables, et [382]

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plus qu'exécrables Quel est le père capable de feindre que son fils est né aveugle ? C'est comme s'ils disaient : Vous l'avez dit né aveugle, et non-seulement contents de cela, vous l'avez dit, mais vous l'avez même répandu partout. " Comment est-ce donc qu'il voit " maintenant? " O folie ! c'est vous, disent-ils, qui avez forgé ce mensonge; c'est vous qui avez fabriqué cette imposture. Ils les portent de deux manières à nier le fait, et par ces paroles : " Que vous dites, " et par celles-ci : " Comment est-ce donc qu'il voit maintenant ? "

2. Les Juifs font trois questions au père et à la mère de l'aveugle : si c'était là leur fils, s'il avait été aveugle, et comment il avait recouvré la vue? Le père et la mère ne répondent qu'aux deux premières, la troisième ils la laissent sans réponse. Et ce qui contribue merveilleusement à confirmer la vérité du miracle, c'est que nul autre que l'aveugle même qui avait recouvré la vue, et qui était digne de foi, ne l'atteste et ne publie la manière dont Jésus l'a guéri. Comment le père et la mère auraient-ils parlé par faveur et par complaisance, eux qui, par la crainte des Juifs, célèrent quelque chose même de ce qu'ils savaient bien? Car que répondent-ils ? " Nous savons que c'est là notre fils, et qu'il est né aveugle. (20). Mais comment il voit maintenant, et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas; il a de l'âge, qu'il réponde pour lui-même (21) ". Ils donnent leur fils pour digne de foi, et par là ils s'excusent de répondre sur la troisième question. Il n'est ni jeune, ni enfant, disent-ils, il peut rendre témoignage de lui-même. " La crainte que son père et sa mère avaient des Juifs, les firent parler de la sorte (22) ".

Voyez, mes frères, avec quel soin et quelle exactitude l'évangéliste découvre leur sentiment et leur intention. Je vous fais cette remarque à cause de ce que j'ai dit il y a déjà quelque temps, dans un de mes discours, sur cette parole : " Il se fait égal à Dieu ". Je soutins que si ce n'eût été là qu'une simple opinion des Juifs, et non pas le sentiment et la doctrine de Jésus-Christ, l'évangéliste y aurait sans doute ajouté quelque correction, et n'aurait pas manqué de dire que c'était l'opinion des Juifs.

Le père et la mère ayant donc renvoyé les Juifs au témoignage de l'aveugle qui avait recouvré la vue, les Juifs appellent cet homme une seconde fois. Ils ne lui disent pourtant pas ouvertement et impudemment : Nie que Jésus t’a guéri ; mais sous apparence de piété ils veulent le séduire par adresse, s'ils le peuvent. "Rends gloire à Dieu (24) ", lui disent-ils. S'ils avaient dit au père et à la mère : Niez que ce soit là votre fils et qu'il soit né aveugle, ils auraient fait une proposition tout à fait ridicule;. et d'autre part le dire au fils, ç'eût été d'une impudence manifeste : voilà pourquoi ils se gardent de parler de la sorte; mais ils prennent une autre voie, et lui tendent des piéges d'une autre manière. " Rends gloire à Dieu ", c'est-à-dire, avoue que Jésus ne t’a point guéri. " Nous savons que cet homme est un pécheur". Pourquoi ne le lui avez-vous donc pas reproché, lorsqu'il vous disait: "Qui de vous me peut convaincre d'aucun péché ? " (Jean, VIII, 46.) D'où le savez-vous, qu'il est un pécheur? Les Juifs dirent donc à cet homme: " Rends gloire à Dieu ", et il ne leur répondit rien. Jésus l'ayant rencontré, le loua, et ne le reprit pas de n'avoir point rendu gloire à Dieu : mais que lui dit-il? " Croyez-vous au Fils de Dieu? " Par où il nous apprend que c'est là rendre gloire à Dieu. Que si le Fils n'était point égal au Père, " croire au Fils ", ce ne serait point là rendre gloire à Dieu. Mais comme celui qui honore le Fils honore aussi le Père, c'est avec raison que Jésus ne reprend pas l'aveugle.

Tant que les Juifs s'attendirent que le père et la mère se rendraient à leur volonté, et qu'ils nieraient ce qu'ils désiraient, ils ne dirent rien à leur fils. Mais lorsqu'ils virent qu'ils n'avaient rien avancé de ce côté-là, ils se tournèrent de l'autre, et ils dirent à l'aveugle : Cet homme est un pécheur. " Il leur répondit: " Si c'est un pécheur, je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que j'étais aveugle, et que je vois maintenant (25) ". Est-ce que l'aveugle a craint? Non. Et pourquoi celui qui avait dit : C'est un prophète, dit-il maintenant : " Si c'est un pécheur, je n'en sais rien ". Il ne le pensait pas, non, il ne le croyait pas; mais il répond de la sorte parce qu'il voulait le justifier de tout péché par le témoignage de l'oeuvre même qu'il venait de faire, et non par ses paroles; et leur présenter une justification digne de foi dans le bienfait de sa guérison, qui les condamnait, eux et tous leurs procédés. Car, si après bien des discours, [383] pour avoir dit : Si cet homme n'honorait point Dieu, il ne pourrait pas faire de si grands miracles; il excita si fort leur colère, qu'ils lui répondirent : " Tu n'es que péché dès le ventre de ta mère, et tu veux nous enseigner? " que n'auraient-ils pas fait, que n'auraient-ils pas dit si dès le commencement il eût parlé en ces termes ?

" Si c'est un pécheur, je n'en sais rien ", c'est-à-dire, maintenant je ne réponds rien là-dessus, et je n'explique pas mon sentiment; ce que je sais fort bien, ce que je puis affirmer, c'est que si c'était un pécheur, il ne ferait pas de tels prodiges. Par ces paroles il écarte tout soupçon et de sa personne et de son témoignage, faisant clairement voir qu'il a purement raconté le fait comme il s'est passé, sans altération, sans y rien ajouter par flatterie ou par complaisance. Comme ils ne pouvaient donc pas empêcher ni anéantir une chose accomplie, ils reviennent encore à l'examen de la manière dont cette guérison s'est faite; et ils se conduisent comme des limiers qui, cherchant la piste d'un gibier bien retranché dans son fort, tournent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Ils reprennent donc les premières réponses, et, tâchant de les ruiner par de fréquentes interrogations, ils disent à l'aveugle "Que t'a-t-il fait? Et comment t'a-t-il ouvert les yeux (26) ? ". Que répond-il? Les ayant vaincus et terrassés; il ne leur parle plus avec douceur. Car tant que cette affaire a eu besoin d'examens et d'informations, il a raconté ta chose avec beaucoup de retenue et de modération : mais après qu'il s'est rendu maître, et qu'il a remporté sur eux une brillante victoire, il les attaque à son tour hardiment et courageusement, et leur répond : " Je vous l'ai déjà dit, et vous ne l'avez point écouté. " Pourquoi voulez-vous l'entendre encore une fois (27)? " L'avez-vous remarquée, cette hardiesse avec laquelle un pauvre mendiant parle aux scribes et aux pharisiens? tant la vérité est forte, le mensonge faible et impuissant. La vérité , d'un homme de la lie du peuple, fait un grand et illustre personnage; le mensonge, au contraire, avilit, et d'un grand fait un homme de rien. Au reste, voici ce que veut dire l'aveugle : Vous ne faites point d'attention à ce que je dis, c'est pourquoi je ne parlerai pas davantage, et je ne répondrai point à vos fréquentes et vaines interrogations, puisque vous ne m'écoutez pas pour

apprendre la vérité, mais pour me surprendre dans mes paroles. " Est-ce que vous voulez devenir aussi ses disciples? " Déjà l'aveugle s'associe aux disciples; car ce mot : " Aussi ", marque qu'il est disciple de Jésus-Christ. Il les attaque ensuite, et les malmène vigoureusement.

3. En effet, sachant que rien n'était plus capable de les piquer au vif que cette demande : " Est-ce que vous voulez ", il la leur adresse exprès pour les braver : en quoi cet aveugle montre une âme élevée, ferme et courageuse, qui méprise leur menaçante fureur; il fait éclater par sa confiance la gloire de Jésus-Christ; il fait voir que celui qu'ils accablent ainsi d'outrages est un homme admirable, dont leurs injures ne peuvent ternir la réputation ; et que ces outrages mêmes ne servent qu'à relever sa gloire.

Ils lui dirent: Sois toi-même son disciple; " mais pour nous, nous sommes les disciples " de Moïse (28)". Mais en quoi? Vous parlez sans fondement. Vous n'êtes pas plus les disciples de Moïse que les disciples de Jésus : si vous étiez les disciples de Moïse, vous seriez aussi les disciples de Jésus-Christ. Voilà pourquoi le Sauveur leur dit auparavant : " Si vous " croyiez à Moïse, vous me croiriez aussi, " parce que c'est de moi qu'il a parlé " (Jean, V, 46); c'est qu'ils avaient toujours ces paroles à la bouche : "Nous savons que Dieu a parlé à Moïse (29) ". Mais qui vous l'a dit? qui vous l'a appris.? Nos pères, répondent-Ils, nous l'ont appris. Mais celui qui ayant dit qu'il est envoyé de Dieu, et qu'il parle des choses du ciel, le confirme par des miracles, n'est-il pas plus digne de foi que vos pères? Et ils ne disaient point : Nous avons ouï Dieu parler à Moïse, mais " nous savons ". Ce que vous savez pour l'avoir ouï dire, ô Juifs, vous le croyez, vous l'assurez, et ce que vous voyez de vos yeux, vous ne le croyez pas si considérable, ni si digne de foi ! Ce que vous dites de Moïse, vous ne l'avez point vu, seulement vous l'avez ouï dire : mais " les oeuvres de Jésus-Christ ", vous ne les connaissez pas pour en avoir entendu parler, mais pour les avoir vues de vos propres yeux.

Que répondit l'aveugle? " C'est ce qui est étonnant, que vous ne sachiez d'où il est (30)", celui qui fait de tels prodiges : il est étonnant qu'un homme qui ne jouit d'aucune dignité parmi vous, qui n'est ni illustre, ni célèbre, [384] puisse faire de si grandes choses : de sorte qu'il est tout à fait visible que c'est un Dieu qui n'a même pas besoin du moindre secours humain. " Or, nous savons que Dieu n'exauce point les pécheurs (31) ". Les Juifs ayant dit auparavant : " Comment un méchant homme pourrait-il faire de tels prodiges (16) ? " L'aveugle s'appuie sur le jugement qu'ils ont porté eux-mêmes, et leur rappelle leurs propres paroles. Cette créance, dit-il, nous est commune et à vous et à moi : elle est juste, demeurez-y. Remarquez bien sa prudence; il a toujours le miracle à la bouche, parce qu'ils ne pouvaient pas le nier; et c'est sur quoi il établit son raisonnement. Observez-vous, mon cher auditeur, qu'au commencement, quand il a dit : " Si c'est un pécheur, je n'en sais rien ", il ne l'a point dit pour marquer un doute réel ? Loin de nous cette pensée ; car il savait fort bien que Jésus n'était pas un pécheur.

Maintenant que le temps est propice et qu'il peut parler librement, voyez de quelle manière il répond : " Or, nous savons que Dieu n'exauce point les pécheurs; mais si quelqu'un l'honore, et qu'il fasse sa volonté, c'est celui-là qu'il exauce ". Par ces paroles, non-seulement il justifie Jésus , et le fait voir exempt de tout péché, mais il prouve encore qu'il est agréable à Dieu, et qu'il fait les couvres de Dieu. Comme les Juifs disaient qu'ils honoraient Dieu, c'est pour cela même qu'il ajoute : " Et fait sa volonté ". Ce n'est pas assez, dit-il, de connaître Dieu, mais il faut faire ce qu'il commande. Ensuite il relève le miracle en disant : " Depuis que le monde est, on n'a jamais ouï dire que personne ait ouvert les yeux à. un aveugle-né (32) ". Si donc vous avouez que Dieu n'exauce point les pécheurs, Jésus ayant fait un miracle et un tel miracle, que jamais personne n'en a fait de pareil; de votre propre aveu il s'ensuit qu'il est évident et manifeste que Jésus a tout surpassé en vertu, et que sa puissance est plus qu'humaine. Que lui répondirent-ils donc? " Tu n'es que péché dès le ventre de ta mère, et tu veux nous enseigner (34)? " Tant qu'ils avaient pu se flatter que l'aveugle nierait, ils l'avaient regardé comme un homme digne de foi, au point de le faire venir devant eux à deux reprises. Que si, dirai-je, vous ne le croyiez pas digne de foi, pourquoi ce double interrogatoire? Mais cet homme disant hardiment la vérité et sans crainte, au lieu de l'admirer davantage, c'est alors qu'ils le condamnent.

Mais que signifient ces paroles : " Tu n'es que péché dès ta naissance? " Qu'ils lui reprochent son ancienne disgrâce, comme s'ils lui disaient : " Tu es tout en péchés dès tes premières années " ; et ils lui font ce reproche comme si c'était pour cela qu'il fût né aveugle : jugement contraire à la raison et tout à fait injuste. Sur quoi, Jésus-Christ voulant le consoler, dit : " Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles (39) ".

" Tu es tout en péchés dès ta naissance ". Et qu'avait-il répondu ? Avait-il avancé une opinion qui lui fût propre et particulière ? Ou plutôt n'est-ce pas le sentiment commun qu'il avait produit, en disant : " Nous savons que Dieu n'exauce point les pécheurs ". N'a-t-il pas simplement exposé ce que vous avez dit vous-mêmes? " Et ils le chassèrent dehors ". L'avez-vous bien entendu, ce prédicateur de la vérité, et n'avez-vous pas reconnu que sa pauvreté n'a point ébranlé sa philosophie? Remarquez-vous tout ce qu'il a souffert d'injures et d'outrages dès le commencement? Remarquez-vous aussi de quelle manière et avec quelle force il a rendu témoignage à la vérité par ses paroles et par ses actions?

4. Au reste, mes frères, ces choses sont écrites, afin que nous les imitions. Si ce pauvre, si cet aveugle, qui n'avait pas même vu Jésus-Christ, a montré tant de courage et de fermeté aussitôt après sa guérison, et même avant d'avoir ouï la doctrine et les instructions du Sauveur, s'il a résisté à tout un peuple qui ne respirait que le carnage, qui était possédé du démon, à un peuple furieux, et qui ne cherchait qu'à trouver dans ses paroles de quoi condamner Jésus-Christ; s'il ne leur a point cédé et ne s'est point caché, mais au contraire, s'il les a hardiment réfutés et s'il a mieux aimé être chassé hors de la synagogue que de trahir la vérité, à combien plus forte raison, nous qui avons vécu déjà tant d'années dans la foi, nous à qui la foi a fait voir des milliers de miracles et de prodiges, qui avons reçu de plus grands biens que lui, qui avons contemplé des yeux intérieurs de l'âme de profonds mystères, et qui sommes appelés à de si grands honneurs, à combien plus forte raison, dis-je, [385] devons-nous faire paraître toute notre fermeté et tout notre courage contre ceux qui accusent et qui attaquent les chrétiens, et les combattre sans merci.

Nous pourrons, mon cher auditeur, nous pourrons repousser nos adversaires, si nous prenons des fortes et des armes dans les saintes Ecritures, si nous relevons notre confiance en donnant toute notre attention à cette lecture et ne l'écoutant point légèrement et en passant. Si quelqu'un vient assidûment à nos discours et est attentif à ce que nous y enseignons, quand même il ne lirait pas l'Ecriture dans sa maison, néanmoins, dans le seul espace d'un an, il pourra apprendre beaucoup de choses; car nous ne lisons pas aujourd'hui un livre de l’Ecriture et demain un autre , mais nous lisons toujours le même. Cependant, plusieurs sont dans de si malheureuses dispositions, qu'après une si longue lecture, ils ne savent pas même encore le nom des saints livres. Et ce qui est affreux, c'est que ces personnes puissent sans effroi venir écouter la parole de Dieu avec tant de négligence.

Mais si un joueur de luth, si un baladin, ou quelqu'autre histrion convoque la ville à ses représentations, tous accourent vite, tous lui savent gré de les avoir avertis et passent la moitié du jour à cette sorte de spectacle; ici Dieu nous parle par les prophètes et par les apôtres, et nous bâillons, nous nous ennuyons. L'été et dans le fort des chaleurs, nous allons sur la place; l'hiver, la pluie et la boue nous retiennent dans nos maisons. Mais à l'hippodrome, où l'on ne peut se mettre à couvert de la pluie, beaucoup, lors même qu'il pleut à seaux et que le vent pousse la pluie au visage, beaucoup, dis-je, poussent la folie jusqu'à s'y tenir patiemment sur leurs pieds ; pour cela ils bravent le froid, la pluie, la boue, la longueur du chemin; rien n'est capable de les retenir chez eux, ni de les empêcher de courir aux spectacles. Mais ici, où il y a un bon toit, où la chaleur est admirablement tempérée, ils refusent d'y venir; ici, où il s'agit de la grande affaire du salut. Dites-le, je vous prie, cette conduite est-elle supportable? Voilà pourquoi, dans ce qui concerne les spectacles, nous sommes si savants et de si grands maîtres; mais dans les choses nécessaires, nous sommes plus ignorants qu'un enfant. Que si quelqu'un vous appelle cocher ou danseur, vous prenez cela pour une injure, et vous faites cependant tout ce qu'il faut pour vous attirer ce reproche; qu'un homme de cette sorte vous appelle au spectacle, vous ne reculez pas et vous vous adonnez presque à toutes les parties de cet art, dont vous fuyez le nom. Mais la profession et le nom qui vous conviennent, je veux dire la profession et le nom de chrétien, vous ne savez même pas ce que c'est. Est-il une plus grande folie? Je voudrais vous répéter souvent ces vérités, mais je crains de me rendre importun, et cela en pure perte. En effet, je vois non-seulement les jeunes gens, mais encore des vieillards, se livrer à ces folies : spectacle qui me fait rougir, que de voir un homme vénérable par sa vieillesse, aller au théâtre déshonorer ses cheveux blancs et y mener son fils avec lui. Quoi de plus ridicule? Quoi de plus infâme ? Le père enseigne à son fils à braver la bienséance.

5. Mon discours vous pique ? C'est ce que je veux : je veux que mes paroles vous affligent, afin que vous renonciez à ces infâmes pratiques. Mais il est des gens , autrement insensibles et froids, que mes paroles ne sont point capables de faire rougir :.mais qu'il soit question de spectacles , ces mêmes gens sont tout de feu , et ils ne finissent point de parler. Demandez-leur qui est Amos, qui est Abdiras, combien il y a de prophètes , combien d'apôtres? ils ne peuvent même pas ouvrir la bouche; mais si vous les écoutez sur les chevaux, sur les cochers, ils parlent avec plus de gravité qu'un sophiste et un rhéteur; et après tout cela ils osent demander: Eh bien ! quel mal, quel tort cela fait-il ? C'est justement cette ignorance qui me fait gémir.

Dieu vous a donné le temps de cette vie pour le servir, et vous l'employez à des choses vaines et inutiles , et encore vous demandez quelle perte vous faites? Employez-vous inutilement la moindre somme d'argent , vous dites que vous avez fait une perte; passez-vous des journées entières aux spectacles, qui sont les pompes de Satan, vous ne croyez rien faire de déraisonnable, et vous comptez cela pour rien? Vous qui devriez employer toute votre vie à la prière et à l'oraison, vous la passez tout entière dans les clameurs, dans le tumulte, à entendre des paroles déshonnêtes, à voir des combats, à des plaisirs qui ne vous conviennent point, à des illusions , à des occupations inutiles et pernicieuses; et ensuite vous dites à tout le monde: Quelle est la perte que [386] j'ai faite? Et vous ne comprenez pas qu'il n'est rien dont on doive être plus avare que du temps. Votre argent, si vous l'avez dépensé, vous pourrez en regagner. Mais le temps que vous avez perdu, difficilement vous le recouvrerez. Car le temps qui nous est donné en cette vie est bien court: si nous n'en faisons pas un bon usage, que dirons-nous à notre Juge lorsqu'il viendra?

Répondez-moi, je vous prie: Si vous. ordonniez à un de vos enfants d'apprendre un certain art, et qu'il perdît son temps ou à la maison ou ailleurs, le maître ne vous avertirait-il pas? ne vous dirait-il pas: Vous avez fait avec moi un marché par écrit, et vous avez fixé un temps; mais si votre fils ne veut pas travailler avec moi et m'écouter , s'il veut au contraire aller perdre le temps de côté et d'autre, comment pourrai-je vous le présenter comme mon disciple ? Nous aussi , nous sommes dans l'obligation de vous dire la même chose; Dieu nous dira : Je vous ai assigné un temps pour apprendre l'art de la piété, pourquoi avez-vous vainement et inutilement consumé ce temps? pourquoi n'avez-vous pas été assidûment écouter votre maître ? pourquoi n'avez-vous pas été attentifs à ses instructions? Que la piété soit un art, n'en doutez point, un prophète vous le déclare : " Venez, mes enfants ", vous dit-il, " écoutez-moi: je vous enseignerai la crainte du Seigneur ". (Ps. XXXIII, 11.) Et encore: " Heureux est l'homme que vous avez a vous-même instruit, Seigneur, et à qui vous c avez enseigné votre loi ! " (Ps. XCIII, 12.) Lors donc que vous aurez inutilement employé le temps, quelle, excuse aurez-vous? Et pourquoi, direz-vous, Dieu a-t-il fixé un temps si court? O folie! ô coeur ingrat ! Quoi ! Dieu a abrégé le temps de votre travail et de vos sueurs, il vous a préparé un repos éternel et immortel, et vous lui en faites un reproche, et vous en êtes fâché !

Mais je ne sais comment nous nous arrêtons si longtemps sur cette matière. Finissons donc ce long discours: car c'est encore une de nos misères qu'un long discours nous ennuie et nous dégoûte, et que la longueur du spectacle, qui commence à midi et ne finit qu'aux flambeaux, ne fatigue personne. Enfin, pour n'être pas toujours à vous faire des reproches, nous vous prions et vous conjurons, mes chers frères, de nous accorder une grâce et à vous et à moi; c'est de laisser là toutes ces choses, pour vous appliquer uniquement aux vérités que nous vous enseignons. Si vous le faites, si vous nous l'accordez , cette grâce que nous vous demandons avec tant d'instance, ce sera pour moi une source de joie, de plaisir, de gloire. Mais ce sera vous qui, sans parler du gré que vous me saurez, recueillerez toute la récompense si , ayant été attachés au théâtre jusqu'à la fureur, vous vous délivrez de cette maladie, grâce à la crainte de Dieu et à nos instructions; si, ayant brisé vos liens, vous courez à Dieu de toutes vos forcés. Et non-seulement vous en recevrez là-haut ta récompense; mais ici encore vous en sentirez une véritable joie. Car la vertu , a cet avantage, qu'outre ces couronnes immortelles, elle nous procure aussi en ce monde une vie douce et agréable. Obéissons donc à la parole de Dieu, afin d'obtenir ces biens et ceux de la vie future, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire soit agi Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

HOMÉLIE LIX.
ET ILS LE CHASSÈRENT DEHORS. JÉSUS APPRIT QU'ILS L'AVAIENT AINSI CHASSÉ, ET L'AYANT RENCONTRÉ, IL LUI DIT : CROYEZ-VOUS AU FILS DE DIEU? — IL LUI RÉPONDIT : QUI EST-IL, SEIGNEUR, AFIN QUE JE CROIE EN LUI? (VERS. 35, 36, JUSQU'AU VERS. 13 DU CHAP. X.)
ANALYSE.

387

1. Jésus-Christ vient au-devant de l'aveugle-né comme pour le complimenter de sa confession courageuse, il lui accorde une nouvelle grâce.

2. A quelles différentes marques on reconnaît le voleur et le pasteur.

3. Jésus est le vrai Pasteur et le vrai Christ.

4. Nous devons demeurer sous la conduite de Jésus-Christ, notre vrai Pasteur; entendre sa voix. — Ce qu'il faut faire pour être sous la garde du Pasteur. — Amour de notre Pasteur : il a donné sa vie pour nous. — Il est tout-puissant, il nous aime, nous nous perdons par notre faute. — Comment on se perd. — Nul ne peut servir Dieu et les richesses. — Leur tyrannie, leur empire est plus cruel qu'aucun autre; c'est le plus dur et le plus horrible de tous les esclavages : description des maux qu'il produit : l'homme qui s'attache aux richesses se dégrade et s'avilit. — Le pauvre est de même condition que nous, il participe à la même naissance spirituelle. — Recommandation de l'aumône.

1. Dieu honore principalement ceux qui , pour la vérité et la confession du nom de Jésus-Christ, souffrent quelque mal ou quelque outrage. Car, comme c'est véritablement conserver ses richesses que de les perdre pour Dieu, et aimer sa vie que de la haïr en ce monde (Jean, XII, 25) ; c'est de même s'amasser un trésor de gloire que d'être ici accablé d'injures. Tel fut le sort de l'aveugle : les Juifs le chassèrent du temple, et le Seigneur du temple le reçut. Il fut chassé d'une assemblée empestée, et il trouva la source du salut : il fut déshonoré par ceux qui déshonorèrent Jésus-Christ, et le Seigneur des anges l'honora : telles sont les récompenses de ceux qui défendent la vérité. Ainsi nous-mêmes, après avoir prodigué ici-bas nos richesses, nous acquérons les biens célestes ; si nous avons donné notre fortune aux pauvres qui sont accablés de misères, nous irons nous reposer dans le ciel ; si nous sommes accablés d'outrages pour le saint nom de Dieu, nous serons honorés ici et là-haut. Jésus rencontra l'aveugle aussitôt qu'on l'eût chassé du temple. L'évangéliste veut dire que Jésus vint exprès pour aller à sa rencontre. Et considérez la récompense qu'il lui donne : il lui octroie le plus grand de tous les biens, car il se fait connaître à lui, qui ne le connaissait point auparavant, et il l'associe à ses disciples.

Pour vous, mes chers frères, je vous prie de remarquer de quelle manière l'évangéliste fait connaître l'empressement de Jésus-Christ et la diligence dont il use ; Jésus ayant dit à l'aveugle : " Croyez-vous au Fils de Dieu? " L'aveugle répond : " Seigneur, qui est-il? " car il ne le connaissait point encore quoiqu'il eût été guéri, parce qu'il était aveugle avant qu'il reçût le bienfait de sa guérison; et qu'après avoir recouvré la vue, il avait été traîné de côté et d'autre par ces furieux. Jésus donc, comme l'Agonothète (1) , reçoit cet athlète qui sort du combat victorieux et triomphant. Et que lui dit-il? "Croyez-vous au Fils de Dieu? " Que veut dire cela? Après avoir si longtemps disputé contre les Juifs, après tant de paroles qu'il a dites pour la défense de la vérité, Jésus lui demande s'il croit; ce n'est pas qu'il

1. L'Agonothète, titre d'un magistrat qu'on choisissait chez les Grecs pour présider aux jeux sacrés : il en faisait la dépense, il déclarait aussi vainqueurs ceux qui l'avaient mérité, et leur distribuait les prix proposés dans ses jeux.

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l'ignore, mais c'est parce qu'il veut se faire connaître, et montrer combien il estime la foi de cet homme. Un si grand peuple, dit-il, m'a chargé d'injures, je n'en fais point de cas; la seule chose que je désire, c'est que vous croyiez en moi, car un seul homme qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux qu'une grande multitude de prévaricateurs (1). " Croyez-vous au Fils de Dieu ? " Jésus l'interroge comme étant lui-même le Fils de Dieu, lui qui est présent à ses yeux, et il commence par lui inspirer le désir de le connaître. Car il ne lui a point dit : Croyez sur-le-champ; mais il l'a interrogé sur sa créance. Que répond-il donc? " Et qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui? " Réponse d'un homme qui souhaite et désire ardemment : il ne connaît pas celui pour qui il a tant parlé, et en cela même il vous fait connaître la grandeur de son amour pour la vérité : la faveur ni l'intérêt ne l'avaient point fait parler, puisqu'il n'avait pas encore vu son bienfaiteur.

" Jésus lui dit : Vous l'avez vu, et c'est celui-là même qui parle à vous (37) ". Il ne dit point : c'est moi; usant encore de ménagement, il lui répond . " Vous l'avez vu ". Ces paroles étaient obscures, c'est pourquoi il en ajoute de plus claires, et il dit : " C'est celui-là même qui parle à vous ". L'aveugle répondit : " Je crois, Seigneur : et, se prosternant " aussitôt, " il l'adora (38) ". Le Sauveur ne lui dit pas non plus : C'est moi qui vous ai guéri, c'est moi qui vous ai dit : allez vous laver dans la piscine de Siloé ; mais passant ces choses sous silence, il lui dit : " Croyez-vous au Fils de Dieu? " Sur quoi l'aveugle se prosterna incontinent et l'adora avec une grande démonstration d'amour et d'affection ce que firent un petit nombre seulement de ceux qu'il avait guéris , comme les lépreux et quelques autres peut-être. Jésus lui découvrit ensuite sa divine puissance; car, afin qu'on ne crût pas que c'étaient là de simples paroles, il y joignit le témoignage des oeuvres. Et comme l'aveugle était encore prosterné à

1. Un seul homme qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux qu'une multitude de prévaricateurs. Le saint Docteur fait sans doute allusion à ce passage de l'Ecclésiastique : " Un vaut mieux que mille ", auquel il ajoute en plusieurs endroits où il le cite, le mot : dikaios, unus justus ; un seul homme juste, comme on peut le voir dans la vingt-quatrième et la trente-neuvième homélie sur la Genèse. Nous remarquons que la bible de Complute a suivi la même leçon. Et ce même sens se trouve aussi dans notre Vulgate, qui dit : Un seul enfant qui craint Dieu, vaut mieux que mille qui sont méchants. Melior est unus timens Deum, quam mille filii impii. Loc. cit. (Eccl. XVI, 3, selon les Septante LXX.)

ses pieds pour l'adorer, il ajouta : " Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement , afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (39) ". Saint Paul dit la même chose : " Que conclurons-nous donc? Que les gentils qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice, et une justice qui vient de la foi en Jésus-Christ (1); qu'au contraire, les Israélites qui recherchaient la justice de la loi, ne sont point parvenus à cette justice ". (Rom. IX, 30.)

Quand Jésus-Christ a dit : " Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement", il a affermi l'aveugle dans la foi, et il y a invité ceux qui le suivaient, à savoir : les pharisiens. Et ce mot : " un jugement ", signifie un plus grand supplice; par là il montre que ceux qui le condamnaient étaient eux-mêmes condamnés; et que ceux qui l'appelaient un pécheur étaient eux-mêmes réprouvés comme tels. De plus, le Sauveur déclare ici qu'il y a deux sortes de vues à recouvrer, et deux aveuglements: l'un sensible, l'autre spirituel. Alors quelques-uns de ceux qui le suivaient lui dirent : " Sommes-nous donc aveugles (40)?" Et comme, dans une autre occasion, ils avaient dit. " Nous n'avons jamais été esclaves de personne " (Jean, VIII, 33); et: " Nous ne sommes pas des enfants bâtards " (Ibid. 41) : maintenant de même ils n'ont d'yeux et d'oreilles que pour les choses sensibles, et telle est la cécité à laquelle ils rougiraient d'être en proie. Après quoi Jésus-Christ, pour leur faire connaître qu'il vaudrait mieux pour eux d'être aveugles que de voir, leur dit : " Si vous étiez et aveugles, vous n'auriez point de péché (41) ". Les Juifs regardant donc comme une ignominie le malheur d'être aveugles, Jésus-Christ rétorque leur discours contre eux, et leur dit: c'est là ce qui vous rendrait moins coupables, et vous ne seriez pas si sévèrement punis. Ainsi le Sauveur écarte toujours les sentiments humains et charnels, et il élève l'âme en lui inspirant des pensées grandes et admirables. Vous dites donc maintenant que vous voyez. Comme Jésus-Christ leur avait dit ailleurs : Vous dites qu'il est votre Dieu; de même il leur dit ici : " Mais maintenant vous dites que vous voyez " ; car dans la vérité vous ne voyez point. Ici Jésus-Christ montre

1. C.-à-d. Ils ont été justifiés par la foi en Jésus-Christ, et non par les oeuvres de la Loi.

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aux Juifs que ce qu'ils regardaient comme un très-grand sujet de gloire et de louanges, serait la cause du rigoureux supplice auquel ils seraient condamnés. Il console de sa cécité l'aveugle de naissance. Ensuite il parle de leur aveuglement; car, de peur qu'ils ne disent: si nous ne vous suivons pas, si nous ne vous croyons point, ce n'est pas que nous soyons aveugles, mais c'est parce que nous vous avons en horreur comme un séducteur; il ne les entretient que de ce sujet.

2. Et ce n'est pas sans raison que l'évangéliste a marqué que quelques pharisiens, qui étaient avec Jésus , comprirent ces paroles et lui dirent : " Sommes-nous donc aussi aveugles? " C'est pour vous faire ressouvenir que ce sont les mêmes qui s'étaient auparavant retirés de sa suite, et qui avaient jeté des pierres sur lui. Car quelques-uns le suivaient par manière d'acquit; aussi ils le quittaient et se tournaient facilement contre lui. Par où Jésus-Christ prouve-t-il donc qu'il n'est pas un imposteur et un charlatan, mais le pasteur? C'est en opposant les unes aux autres les marques et du pasteur et du charlatan, qu'il leur donne le moyen d'examiner et de connaître la vérité. Et premièrement, il montre ce que c'est qu'un fourbe et un larron, le qualifiant ainsi par les Ecritures mêmes.

" En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui n'entre pas par la porte dans la bergerie des brebis , mais qui y monte par un autre endroit, est un voleur et un larron ". (Chap. X, 1.) Observez, mes frères, les marques du larron : premièrement, il n'entre pas de jour, ni publiquement; en second lieu, il n'entre pas par l'autorité des Ecritures, car, entrer par les Ecritures , c'est entrer par la porte. Au reste, le Sauveur désigne ici les faux prophètes, les faux pasteurs qui l'avaient précédé, et ceux qui devaient le suivre : l'Antechrist, les faux christs, Judas, Théodas (Act. V, 36), et tous les autres de cette espèce; et c'est avec justice qu'il appelle les Ecritures la porte. Ce sont elles qui nous mènent à Dieu et nous le font connaître : ce sont elles qui font les brebis : ce sont elles qui les gardent et qui ferment l'entrée aux loups. En effet, les Ecritures, comme une porte sûre , empêchent les hérétiques d'entrer, nous garantissent la possession de tout ce que nous tenons à conserver, et nous préservent de toute erreur. Et si nous n'ouvrons pas nous-mêmes cette porte, nos ennemis ne pourront pas facilement nous prendre. Par là nous discernerons et nous connaîtrons ceux qui sont véritablement pasteurs , et ceux qui ne le sont pas. Mais que signifie ce mot : " Dans la bergerie? " il fait allusion aux brebis et à leur garde. Car, celui qui n'entre pas par la sainte Ecriture, mais qui monte par un autre endroit, c'est-à-dire, celui qui se fraye un chemin différent de celui que les Ecritures ont tracé et nous ont ouvert, celui-là, dis-je, est un voleur.

Ne le remarquez-vous pas , mes frères, que Jésus-Christ, en invoquant le témoignage des Ecritures , montre de cette façon son union avec le Père ? C'est pourquoi il disait aux Juifs : " Lisez avec soin les Ecritures " (Jean, V, 39); c'est pourquoi il a pris Moïse à témoin, et aussi tous les prophètes. " Tous ceux ", dit-il, " qui écoutent les prophètes, viendront à moi ". Et : " Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi ". (Jean, V, 46.) Mais ici il dit ces choses métaphoriquement. Et lorsqu'il a dit : " Qui monte par un autre endroit ", il a désigné les scribes, qui transgressaient la loi, enseignant les opinions des hommes comme la vraie doctrine et les préceptes du Seigneur. Jésus-Christ leur en fait un reproche, en disant : " Nul de vous n'accomplit la loi ". (Jean, VII, 19.) Le divin Sauveur a fort bien dit: " Qui monte ", et non pas qui entre : ce qui marque l'action d'un voleur qui fait ses efforts pour franchir une cloison et ne cesse pas de s'exposer au péril. Voyez-vous ce portrait du voleur? A présent, observez ce qui désigne le pasteur. " Celui qui entre par la porte , est le pasteur des brebis (2). C'est à celui-là que le portier ouvre, et les brebis entendent sa voix : il appelle les brebis par leur nom (3). Et lorsqu'il a fait sortir ses propres brebis, il va devant elles (4) ". Jésus-Christ a fait le portrait et du pasteur et du larron; voyons de quelle sorte il leur applique les paroles qui suivent : " C'est à celui-là ", dit-il, " que le portier ouvre ". Il continue la métaphore pour donner plus de force et d'énergie à ses paroles. Que si vous voulez examiner en particulier chaque terme de la parabole, rien ne nous empêche d'entendre ici Moïse sous ce nom de portier, car c'est à lui que Dieu a confié ses oracles; c'est sa voix que les brebis entendent, " et c'est lui qui appelle ses propres brebis par leur nom ".

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En effet, comme les scribes et les pharisiens appelaient souvent Jésus un séducteur, et confirmaient le peuple dans cette opinion par leur incrédulité, disant : " Y a-t-il quelqu'un a des sénateurs qui ait cru en lui? " (Jean, VII, 48), il leur fait voir, et leur dit qu'il n'est pas un séducteur parce qu'ils le croient tel, mais que c'est eux-mêmes qu'il faut appeler séducteurs et méchants, parce qu'ils ne l'écoutent pas et ne croient point en lui ; et aussi que, pour cette raison, ils sont justement chassés de la bergerie. S'il est du pasteur d'entrer par la vraie porte , et si c'est par là que Jésus est entré, tous ceux qui le suivent pourront être des brebis; ceux au contraire qui se sont séparés, n'ont pas pour cela fait tort au pasteur, mais ils s'en sont fait à eux-mêmes en se séparant de la société des brebis. Que si ensuite il se dit lui-même la porte, ne vous troublez pas : il se dit lui-même et le pasteur et la brebis, selon les différentes fonctions qu'il s'attribue. Ainsi quand il nous offre à son Père , il se dit la porte ; quand il prend soin de nous, il se dit le pasteur. Et il se dit le pasteur, afin que vous ne croyiez pas que nous offrir à son Père, ce soit là toute son oeuvre.

" Et les brebis entendent sa voix , et il appelle ses propres brebis, et il va devant elles ". Cependant, dans l'usage commun , c'est tout le contraire , les pasteurs suivent les brebis. Mais Jésus-Christ, pour montrer qu'il mènera tous les hommes à la vérité, agit contre la coutume des pasteurs; de même que, quand il a fait sortir ses brebis, il ne les a pas éloignées des loups (Matth. X, 16), mais il les a envoyées au milieu d'eux le soin pastoral chez le divin pasteur est bien différent de ce qu'il est chez nous; il est autrement admirable.

3. Au reste, il me semble que c'est l'aveugle qui est ici désigné, puisque Jésus l'a appelé lorsqu'il était au milieu des Juifs, et que celui-ci a entendu sa voix et l'a reconnu. " Et elles ne suivent point un étranger, parce qu'elles ne connaissent point la voix des étrangers (5) ". En cet endroit Jésus-Christ parle de ceux qui ont suivi Théodas ou Judas (Act. V, 36), dont il est écrit que tous ceux qui ont cru en eux, se sont dissipés,,ou encore des faux christs qui devaient séduire bien des gens dans la suite. Et de peur que les pharisiens ne disent qu'il était un de ces faux christs, il fait voir qu'il est bien différent d'eux.

La première différence qu'il apporte consiste en ce que sa doctrine provenait des Ecritures, et que c'est par là qu'il conduisait ses brebis : or, les autres ne faisaient pas de même. La seconde, c'est l'obéissance de ses brebis. Ses brebis n'ont pas seulement cru en lui, lorsqu'il vivait, mais aussi après sa mort; au lieu que les autres brebis se sont incontinent séparées de leurs pasteurs. Nous pouvons en ajouter une encore, qui n'est pas des moins considérables : c'est que ces faux christs, ces faux prophètes agissant en tyrans, faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour exciter le peuple à la révolte : mais Jésus-Christ était si éloigné de cette conduite, qu'il s'enfuit lorsque le peuple voulut le faire roi (Jean, VI, 15); et que quand on vint lui demander s'il était permis de payer le tribut à César, il répondit qu'il fallait le payer (Matth. XXII, 17), et le paya lui-même. (Ibid. XVII, 26.) De plus, il est venu pour le salut de ses brebis, afin qu'elles aient la vie et qu'elles l'aient abondamment (Jean, X, 10) ; mais les autres leur ont même ôté cette vie présente. Ceux-là ont trahi les brebis qui s'étaient confiées à eux, et ont pris la fuite; mais Jésus-Christ est demeuré si ferme, et les a si courageusement défendues, qu'il a donné sa vie pour elles. Ceux-là ont souffert malgré eux et à contre-coeur; mais Jésus-Christ n'a rien souffert que librement et volontairement.

" Jésus leur dit cette parabole : mais ils ne comprirent point ce qu'il disait (6) ". Pour. quoi donc leur parlait-il d'une manière obscure? C'était polir les rendre plus attentifs. Mais aussitôt après il ôte toute obscurité par ces paroles : " Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il entrera, il sortira, et il trouvera des pâturages " ; c'est-à-dire il vivra en sûreté et en liberté. Jésus-Christ appelle ici pâturages la nourriture des brebis, et la puissance et l'autorité qu'il leur donne c'est-à-dire la brebis demeure dans le bercail, et personne ne pourra l'en faire sortir. Et c'est là aussi ce qui est arrivé aux apôtres, qui entraient et sortaient librement comme maîtres de tout le monde, et personne n'a pu les chasser. " Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des larrons, mais les brebis ne les ont point écoutés (8) ". Jésus. Christ ne parle point là des prophètes, comme le prétendent les hérétiques: car les brebis les [391] ont écoutés, et c'est par eux qu'ont cru en Jésus-Christ, tous ceux qui ont cru en lui; mais il parle de Théodas, de judas et des autres séditieux. De plus, ces paroles : les brebis ne les ont point écoutés, il les dit à la louange des brebis. Or, jamais il ne loue ceux qui n'ont point écouté les prophètes; au contraire, il les blâme et les reprend fortement : d'où il est évident que c'est de ces séditieux que le Sauveur dit que les brebis ne les ont point écoutés.

" Le voleur ne vient que pour voler, pour égorger et pour perdre (10) ". Comme il arriva dans la sédition de Théodas, où tous furent égorgés et massacrés. " Mais pour moi, à je suis venu, afin que " les brebis " aient la "vie, et qu'elles l'aient plus abondamment ". Qu'est-ce, je vous prie, qu'une vie plus abondante? C'est le royaume des cieux. Mais il ne le dit pas encore, et il se sert du nom de vie, comme désignant une chose qui leur est connue. " Je suis le bon pasteur (11) ". Ici enfin Jésus-Christ parle de sa passion, il fait voir qu'il souffrira pour le salut du monde, et qu'il n'ira point à la mort malgré lui.

Après cela le divin Sauveur apporte encore un moyen de reconnaître le pasteur et le mercenaire. " Car le bon pasteur ", dit-il, " donne sa vie pour ses brebis. Mais le mercenaire, et celui qui n'est point pasteur et à qui les brebis n'appartiennent pas, voyant venir le loup, abandonne les brebis et s'enfuit : et le loup vient et les ravit (12) ". Par ces paroles Jésus-Christ montre qu'il est égal à son Père en puissance et- en autorité; car il est lui-même le pasteur, à qui les brebis appartiennent. Ne remarquez-vous pas, mon cher auditeur, que dans les paraboles Jésus-Christ parle d'une manière plus élevée, parce que le discours y est plus enveloppé et plus obscur, et n'y donne pas manifestement prise aux critiques des auditeurs? " Le mercenaire voit venir le loup et il abandonne les brebis; et le loup vient et les ravit ". C'est là ce qu'ont fait les faux christs; mais le vrai Christ a fait tout le contraire; lorsqu'on l'a pris, il a dit : " Laissez aller ceux-ci ", afin que cette parole fût accomplie: " Nul d'eux ne s'est perdu ". (Jean, XVII, 12.) On peut aussi en cet endroit entendre le loup spirituel, à qui Jésus n'a point permis de ravir les brebis. Celui-là n'est pas seulement un loup, mais encore un lion : " Car le démon, notre ennemi, tourne autour de nous comme un lion rugissant". (I Pierre, V, 8.) Il est le serpent et le dragon: " Foulez aux pieds les serpents et les scorpions ". (Luc, X, 19.)

4. C'est pourquoi je vous conjure; mes chers frères, de demeurer sous la conduite du pasteur. Nous y demeurerons, si nous écoutons sa voix, si nous lui obéissons, si nous ne suivons point un étranger. Et quelle est la voix qu'il fait entendre ? " Bienheureux les pauvres d'esprit : bienheureux ceux qui ont le coeur pur : bienheureux ceux qui sont miséricordieux ". (Marc, V, 3, 7, 8.) Si nous observons ces choses nous demeurerons sous la garde du pasteur, et le loup ne pourra point trouver d'entrée dans nous : mais quand même il se jeterait sur nous, ce serait à sa confusion et à sa perte. Car nous avons un pasteur qui nous aune si fort, qu'il a donné sa vie pour nous,. Puis donc que notre pasteur est tout-puissant et nous aime, qu'y a-t-il qui puisse nous en pêcher de faire notre salut? Rien, si nous ne faisons pas nous-mêmes défection. Et en quoi consisterait cette défection? Ecoutez-le, il vous l'apprend : " Vous ne pouvez servir deux maîtres, Dieu et les richesses" . (Matth. VI, 24.) Si donc nous servons Dieu, nous échapperons à la tyrannie des richesses. Rien de plus tyrannique, en effet, que l'amour des richesses : il ne nous laisse aucun plaisir, mais il nous plonge dans les inquiétudes, dans l'envié; il nous fait tomber dans des piéges, il suscite les haines, les calomnies, et mille choses qui sont autant d'obstacles pour la vertu; il nous jette dans l'oisiveté, dans la mollesse, dans l'avarice, dans l'ivrognerie, dans tous ces vices qui changent les hommes libres en esclaves, et lés rendent plus misérables que les esclaves : oui, dis-je, ils les rendent esclaves, non des hommes, mais de la plus terrible de toutes les maladies de l'âme.

Celui qui est atteint de cette maladie n'hésite plus à faire mille choses qui déplaisent à Dieu et aux hommes, et il ne craint rien tant que quelqu'un ne le délivre dé son esclavage. O dure servitude ! ô domination diabolique ! En effet, est-il un état plus affreux et plus misérable? Nous sommes accablés d'une infinité de maux et nous en avons de la joie; nous sommes dans les fers et nous aimons nos chaînes. Logés dans une obscure prison, nous refusons la lumière qu'on nous présente; loin de là, nous cherchons à accumuler nos maux [392] et nous nous réjouissons de notre maladie. C'est pourquoi, nous ne pouvons point recouvrer la liberté et nous sommes de pire condition que ceux qui sont condamnés aux mines, puisque, accablés de travaux et de misères, nous n'en recueillons aucun fruit, et ce qu'il y a encore de plus terrible, c'est que si quelqu'un veut nous tirer de cette cruelle servitude, nous ne le souffrons pas et même nous nous fâchons et nous nous mettons en colère. Nullement différents des fous, ou plutôt encore bien plus misérables qu'eux, nous ne voulons point guérir de notre folie.

Mais, ô homme, est-ce pour cela que vous êtes venu au monde ? Est-ce pour travailler aux mines et amasser de l'or que Dieu vous a fait homme? Non, certes, ce n'est point à cette fin que le Seigneur vous a formé à son image, mais c'est afin que vous vous rendiez agréable à sa divine Majesté, afin que vous acquériez les biens futurs, afin qu'un jour vous soyiez associé aux concerts des anges. Pourquoi vous dégradez-vous d'une si haute dignité et vous laissez-vous tomber dans un avilissement si honteux et si infâme? Celui qui est né du même enfantement que vous, je parle de l'enfantement spirituel, se consume de faim, et vous, vous regorgez de toutes sortes de biens. Votre frère marche tout nu dans les rues, et vous, vous entassez habits sur habits comme une pâture préparée pour les vers; ne serait-il pas beaucoup mieux d'en couvrir le corps des pauvres? De cette sorte, ces habits ne seraient point perdus, vous seriez délivrés de bien des soins, et les pauvres vous procureraient la vie éternelle. Si vous ne voulez pas que vos habits soient dévorés des vers, donnez-les aux pauvres, ils sauront fort bien les secouer et les garantir des vers. Le corps de Jésus-Christ est de plus grand prix et plus sûr que toutes vos armoires. Non seulement il conserve les habits, mais encore il les rend plus magnifiques. Pour peu que votre coffre soit emporté avec tous les vêtements que vous y gardiez, c'est pour vous une perte très-considérable. Mais le dépôt dont je parle, la mort même ne peut l'endommager, ni le ravir. Vous n'avez ici nullement besoin ni de portes, ni de serrures, ni de valets qui veillent, ni d'aucune autre précaution. Ce qui est caché dans le ciel est pleinement à couvert de toutes sortes de dangers ; nulle injustice ne peut approcher de ce lieu. Nous ne cessons point de vous dire ces choses, vous les écoutez et vous n'en profitez pas. En voici la raison : nous avons l'âme basse, rampante et attachée uniquement aux choses terrestres.

Mais, à Dieu ne plaise que je vous condamne tous également, comme si vous étiez tous malades sans espoir de guérison ! Quand même ceux qui s'enivrent de leurs richesses se boucheraient les oreilles pour ne me point entendre, ceux du moins qui passent leur vie dans la pauvreté pourront m'écouter. Et en quoi, dira-t-on, ce que vous prêchez intéresse-t-il les pauvres, qui n'ont, ni or, ni argent, ni coffres pleins d'habits? Mais ils ont du pain et de l'eau froide; ils ont deux oboles, des pieds pour aller visiter les malades; ils ont une langue et la parole pour consoler celui qui est dans l'affliction ; ils ont une maison et un toit pour recevoir l'étranger. Des pauvres, nous n'exigeons pas tant et tant de talents d'or: c'est aux riches que nous demandons cela. Que si ;le Seigneur vient à la porte du pauvre, du mendiant, il n'aura point de honte de recevoir même une petite obole (Marc, XII, 43) ; au contraire, il dira qu'il a plus reçu de lui que de ceux qui lui ont beaucoup donné.

Combien de gens aujourd'hui voudraient avoir été au monde dans le temps que Jésus. Christ, revêtu de notre chair, allait de côté et d'autre sur la terre, pour avoir part à ses entretiens et manger à sa table. Maintenant, oui maintenant, ce désir, il ne tient qu'à nous de le satisfaire nous pouvons l'inviter à notre table, nous pouvons manger avec lui et, avec plus d'avantage et de profit, car plusieurs de ceux qui ont mangé avec lui se sont perdus comme Judas et ceux de sa sorte. Mais quiconque maintenant l'invitera à entrer dans sa maison pour le loger et le faire manger à sa table, sera comblé de bénédictions. " Venez ", dit-il, " venez, vous qui avez été bénis par mon Père , possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. (Matth. XXV, 34.) Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'ai eu besoin de logement et vous m'avez logé ; j'ai été malade et vous m'avez visité (35) ; j'étais en prison et vous m'êtes venu voir (36) ". Afin donc qu'un jour nous nous entendions dire ces paroles, revêtons celui qui est nu, logeons l'étranger, nourrissons celui qui a faim, donnons à boire à celui qui a soif, visitons celui qui est malade, celui qui est en prison. Voilà, [393] mes frères, le plus sûr moyen de paraître avec confiance devant Jésus-Christ , d'obtenir la rémission de ses péchés, d'acquérir ces biens qui surpassent toutes nos paroles et toute notre intelligence; veuille le ciel nous les départir à tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire et l'empire appartiennent, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE LX.
JE SUIS LE BON PASTEUR, ET JE CONNAIS MES BREBIS, ET MES BREBIS ME CONNAISSENT. — COMME MON PÈRE ME CONNAÎT, JE CONNAIS MON PÈRE : ET JE DONNE MA VIE POUR MES BREBIS. (VERS. 14, 15, JUSQU'AU VERS. 21.)
ANALYSE.

1. Des mauvais pasteurs. — L'égalité du Fils avec le Père de nouveau affirmée.

2. Allusion à la vocation des Gentils. — Comment Jésus-Christ a le pouvoir de quitter sa vie et la reprendre.

3. Il s'élève parmi les Juifs une contestation au sujet de Jésus-Christ; admirable patience du Sauveur.

4 et 5. Imiter Jésus-Christ, il est notre modèle : suivre les exemples de douceur et de patience qu'il nous a donnés. — Devoirs de ses disciples : douceur et patience. — La douleur des péchés efface toute autre douleur. — Un coeur contrit n'est occupé que de sa douleur, et n'est susceptible d'aucune passion. — Cette vie est un temps de pleurs et de gémissements. — On rit des vérités que les prédicateurs annoncent. — On pèche, et ors demeure dans son péché, et on tombe dans la fournaise qu'on a soi-même allumée. — Donner à manger et à boire à Jésus-Christ, non pendant quelques jours , triais pendant tout le temps qu'on est en ce monde. — Exemple des vierges folles, exclues des noces. — Faire une bonne provision d'huile, donner largement aux pauvres. — Etre miséricordieux envers le prochain autant qu'on le peut. — Grande miséricorde , donner de son nécessaire. — Ne point faire l'aumône, c'est s'ôter toute espérance de salut : tout fidèle qui croit en bien , quel qu'il soit, a droit de participer à tous nos biens. — Les obligations du chrétien sont aisées et faciles à remplir. — Plus les commandements du Seigneur sont faciles, plus aussi seront grands les supplices à quoi seront condamnés ceux qui ne les servent pas. — Visiter les prisonniers : triste peinture de leur état et de leurs souffrances : rien n'est plus capable d'amollir le coeur et de faire penser aux jugements de Dieu. — Les puissances viennent de Dieu : le Seigneur leur a commis la garde et la sûreté des lois. — La crainte et les châtiments sont nécessaires pour retenir les hommes. — Avantage que l'on retire de la visite des prisonniers : et au contraire dangers que murent ceux qui fréquentent le théâtre. — Celui qui aura suivi en ce monde la bonne philosophie , entendra en l'autre des paroles bien consolantes. — Humanité et charité pour les prisonniers. — N'examiner pas à la rigueur ce que font les autres, mais plutôt ce que nous avons fait nous-mêmes. — Il se trouve quelquefois des gens de bien dans les prisons : Joseph en est un exemple. — Bonté de Jésus-Christ à recevoir les pécheurs : modèle de l'humanité que nous devons avoir pour eux. — Il y a hors des prisons des gens plus méchants et plus grands voleurs que ceux qui y sont enfermés. — Souvent on vole dans le petit, et par le menu , ce qu'on n'oserait pas voler en gros. — Ne pas donner le juste prix d'une marchandise ou la surfaire, c'est voler. — Ne pas s'établir juge des autres , mais de soi. — Ce que Dieu a fait pour nous, lors même que nous étions enfants de colère, nous apprend ce que nous devons faire pour notre prochain. — Il y a plus de mérite et plus de gloire à recevoir chez soi un pauvre et un malheureux , qu'à y recevoir un grand, un homme qui est dans la fortune, pourquoi. — Grandes récompenses pour ceux qui vont consoler les prisonniers.

1. C'est une grande tâche que la garde de l’Eglise, une tâche qui requiert beaucoup de sagesse et un courage tel que celui dont parle Jésus-Christ, tel qu'on donne sa vie pour ses brebis, que jamais on ne les abandonne, qu'on soit ferrite et qu'on résiste courageusement au loup. C'est là en quoi le pasteur diffère du mercenaire. Celui-ci s'inquiète peu de ses brebis, et n'a de vigilance que pour ses propres intérêts; mais l'autre s'oublie soi-même, et veille uniquement au salut de son troupeau.

Jésus-Christ donc, après avoir caractérisé le pasteur, parle de deux autres sortes de gens qui nuisent au troupeau : du voleur, qui ne [394] cherche qu'à ravir les brebis, qu'à les égorger, et de celui qui ne les perd pas lui-même, mais qui ne repousse pas le voleur et ne le chasse pas. Par celui-là il désigne Théodas; dans la personne de celui-ci il flétrit les docteurs des Juifs, qui ne prenaient aucun intérêt au troupeau qui leur avait été confié : c'est de quoi longtemps auparavant Ezéchiel leur avait fait des reproches, en leur disant : " Malheur aux pasteurs d'Israël ! Ne se paissent-ils pas eux-mêmes? les pasteurs ne paissent-ils pas leurs troupeaux?" (Ezéch. XXXIV, 2.) Mais les pasteurs d'Israël faisaient le contraire, ce qui est d'une extrême méchanceté et la source de tous les autres malheurs. Voilà pourquoi le prophète dit : Ils ne ramènent pas au troupeau les brebis qui se sont égarées; celles qui se sont perdues, ils ne les cherchent pas; ils ne bandent- point les plaies de celles qui se sont blessées; ils ne travaillent point à fortifier et à guérir celles qui sont faibles et malades, parce qu'ils se paissent eux-mêmes, et non leur troupeau (Ezéch. XXXIV, 4).

Saint Paul déclare la même chose en d'autres termes: " Tous cherchent ", dit-il, " leurs " propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ " (Philip. II, 21); et encore: " Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres ". (I Cor. X, 24.) Jésus-Christ se sépare de ces deux sortes de pasteurs, de ceux qui s'ingèrent dans ce ministère pour la ruine du troupeau, quand il dit : " Pour moi, je suis venu, afin que les brebis aient la vie, et qu'elles l'aient abondamment (10) "; et de ceux qui ne se soucient pas que les loups ravissent les brebis, en ne les abandonnant point, et donnant, au contraire, sa vie pour leur salut. Lorsque les Juifs cherchaient à le faire mourir, il n'a point cessé de prêcher et d'instruire, il n'a point abandonné ses disciples; mais il est demeuré ferme et il a voulu souffrir la mort. C'est pourquoi partout il dit : " Je suis le bon pasteur ".

Ensuite, comme on ne voyait point encore de preuve de ce qu'il avançait (car ce ne fut que quelque temps après que cette parole " Je donne ma vie ", eut son accomplissement, et celle-ci : " Afin qu'elles aient la vie, et " qu'elles l'aient abondamment ", ne devait l'avoir qu'après sa mort) ; que fait-il? Il confirme une des choses par l'autre : en donnant sa- propre vie, il prouve qu'il donne aussi la vie, et c'est là ce que saint Paul nous apprend; car il dit : " Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison étant maintenant réconciliés avec lui, nous serons sauvés ". (Rom. V, 10.) Et encore ailleurs : " S'il n'a pas épargné son propre a Fils, mais l'a livré à la mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il point après nous l'avoir donné? " (Rom. VIII, 32.)

Mais maintenant, comment les Juifs ne font-ils pas des reproches à Jésus, et ne lui disent-ils pas comme auparavant : " Vous vous rendez témoignage à vous-même ", ainsi " votre témoignage n'est point véritable? " (Jean, VIII, 13.) C'est parce qu'il les avait, souvent obligés de se tire, et que les miracles qu'if avait faits lui donnaient plus de liberté vis-àvis d'eux.

Après cela, ayant dit ci-dessus : " Les brebis entendent sa voix, et le suivent "; de peur

que quelqu'un ne demandât : et en quoi cela importe-t-il à ceux qui ne croient point? faites attention à ce qu'il ajoute : " Et je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent ". L'apôtre l'a aussi déclaré de même : " Dieu, n'a point rejeté son peuple qu'il a connu; dans sa prescience ". (Rom. xi, 2.) Et Moïse: " Le Seigneur connaît ceux qui, sont à lui ". (Nomb. XVI, 5; LXX et 11; Tim. II, 19.) Je parle de ceux, dit Jésus-Christ, que j'ai connus dans ma prescience. Et pour vous empêcher de croire que le degré de connaissance soit égal, observez avec quel soin il corrige, par ce qui suit, la fausse idée qu'on s'en pourrait former: " Je connais mes brebis ", dit-il, " et mes brebis me connaissent " : mais ces connaissances, savoir, la mienne et celle des brebis, ne sont point égales. Et où y a-t-il égalité de connaissance? Dans mon Père et dans moi, car : " Comme mon Père me connaît, je connais mon Père (15) ". En effet, si le Sauveur n'avait pas voulu prouver cela, pourquoi aurait-il- ajouté ce qui suit immédiatement? Comme il se confond souvent d'ans la foule, de peur qu'on ne pensât qu'il connaissait son Père seulement à la manière d'un homme; il, a ajouté : " Comme mon Père me connaît, je connais mon Père ". Je le connais aussi parfaitement qu'il me connaît lui-même. Voilà pourquoi il disait : " Nul ne connaît qui est le Fils, que le Père; ni qui est le Père, que le Fils" : marquant par là une connaissance [395] qui lui est propre et particulière, et telle que nul autre n'y peut atteindre.

" Je donne ma vie ". Jésus-Christ le répète souvent, pour montrer qu'il n'est pas un imposteur, puisque saint Paul, pour faire voir qu'il est un docteur et un maître véritable, et pour confondre les faux prophètes, se prévaut des périls et des supplices qu'il a bravés, en disant : " J'ai plus reçu de coups, je me suis a souvent vu tout près de la mort ". (II Cor. XI, 23.) Jésus-Christ ayant dit : Je suis la lumière, je suis la vie, des insensés l'auraient pu regarder comme un homme vain qui ne parlait que pour s'élever au-dessus des autres; mais en disant: je veux mourir, il ne s'attirait l’envie de personne. C'est ainsi pour cela que les Juifs maintenant ne lui disent pas : " Vous vous rendez témoignage à vous-même ", ainsi " votre témoignage n'est point véritable ". Par cette parole, il montrait son infinie sollicitude, lui qui voulait se livrer à la mort pour ceux mêmes qui le lapidaient.

2. C'est pourquoi le divin Sauveur en vient à parler, fort à propos, des gentils : " J'ai en" tore d'autres brebis ", dit-il, " qui ne sont pas de cette bergerie : il faut aussi que je les amène (16) ". " Il faut " : Jésus-Christ se sert de ce terme, non pour marquer une nécessité, mais pour montrer que ce qu'il promet arrivera infailliblement ; c'est comme s'il disait : Pourquoi vous étonner de ce que ces hommes soient prêts à me suivre, de ce que mes brebis écoutent ma voix? Lorsque vous en verrez d'autres encore me suivre et écouter ma voix, alors il y aura lieu de vous étonner davantage. Mais s'il dit : " Qui ne sont pas de cette bergerie ", ne vous troublez pas : la différence n'est que dans la loi, selon ces mots de saint Paul : " Ce n'est rien d'être circoncis, et ce n'est rien d'être incirconcis ". (I Cor. VII, 19.) " Et il faut que je les amène ". Jésus-Christ déclare que les unes et les autres sont toutes dispersées et mêlées ensemble, n'ayant point de pasteur, parce que le bon pasteur n'est pas encore venu. Après quoi il annonce qu'elles seront toutes unies : " Et il n'y aura a qu'un troupeau ". Cette union, saint Paul l'a aussi marquée, en disant: " Afin de former en soi-même un seul homme nouveau de ces deux peuples ". (Ephés. II, 15.)

" C'est pour cela que mon Père m'aime, parce que je quitte ma vie pour la reprendre (1,7) ". Est-il rien de plus humble que cette parole? c'est à cause de nous, c'est en mourant pour nous que le Seigneur doit se faire aimer. Quoi donc ! dites-moi, mon cher auditeur, auparavant Jésus-Christ n'était-il point aimé? est-ce d'aujourd'hui que son Père commence à l'aimer? avons-nous été le principe et le lien de cet amour? Réfléchissez-vous bien sur la manière dont le Sauveur se proportionne à notre faiblesse? Par ces paroles, que veut-il donc prouver? Comme les Juifs lui faisaient ces reproches : qu'il était étranger au Père et un imposteur, qu'il était venu pour notre malheur et notre ruine, il dit : S'il n'est rien en vous qui ait pu me porter à vous aimer, ceci du moins m'y a engagé; c'est que vous êtes aimés de mon Père comme je le suis moi-même, et que la raison de cet amour, c'est que je meurs pour vous. De plus, il veut nous faire voir qu'il ne va point à la mort malgré lui; car s'il ne mourait pas volontairement et parce qu'il lé veut bien, comment sa mort serait-elle un lien d'amour? Il veut nous montrer encore que c'est là principalement la volonté de son Père. Au reste, si ce que le Sauveur dit ici, il le dît dans le langage d'un homme, ne vous en étonnez pas : nous vous en avons souvent expliqué la raison, et il serait ennuyeux et inutile de la répéter.

" Je quitte ma vie, et je la reprendrai de a nouveau. Et personne ne me la ravit, mais c'est de moi-même que je la quitte; j'ai le a pouvoir de la quitter, et j'ai le pouvoir de la reprendre (18) ". Comme les princes des prêtres, et les anciens du peuple avaient souvent tenu conseil pour trouver moyen de le faire mourir (Matth. XXVI, 3, 4), Jésus leur dit : A défaut de mon consentement, vos peines sont inutiles; et il confirme le fait le plus éloigné par le plus prochain, à savoir : la résurrection par sa mort toute volontaire, et c'est là ce qui est étonnant et digne de notre admiration : car ces deux choses sont également nouvelles et extraordinaires.

Soyons donc bien attentifs à ce que dit Jésus-Christ : " J'ai le pouvoir de quitter ma vie ". Et qui ne l'a pas ce pouvoir de quitter sa vie? Chacun peut se tuer; mais ce n'est pas de la sorte qu'il l'entend. Et comment l'entend-il? J'ai tellement le pouvoir de quitter ma vie, que personne ne me la peut ravir malgré moi, et si je ne le veux. Or, il n'en est pas ainsi des hommes. Nous n'avons le [396] pouvoir de quitter la vie qu'en nous tuant nous-mêmes. Mais si nous tombons dans une embuscade et a la merci d'assassins, nous n'avons plus alors le pouvoir de quitter ou de ne pas quitter la vie, mais ces assassins nous tuent marré nous. Il en est tout autrement de Jésus-Christ; quoiqu'on lui dressât dés embûches, il avait le pouvoir de ne pas quitter la vie.

Le Sauveur donc ayant dit : " Personne ne me la ravit ", a ajouté : " J'ai le pouvoir de quitter ma vie " ; c'est-à-dire, moi seul, je puis la quitter; pouvoir que vous n'avez point : et en effet, plusieurs peuvent nous ôter la vie. Mais il n'a point dit cela au commencement, parce qu'on ne l'aurait pas cru. Maintenant que les faits qui s'étaient passés lui servaient de témoignage et de preuve, comme on lui avait souvent dressé des embûches, vainement et sans pouvoir le rendre, car très-souvent il s'était échappé des mains des Juifs, il pouvait dire désormais : " Personne ne me la ravit ". Or, s'il en est ainsi, il s'ensuit qu'il s'est volontairement livré à la mort; et de là résulte la preuve qu'il a le pouvoir de reprendre la vie lorsqu'il le voudra. En effet, si une telle mort est au-dessus de la nature humaine, ne doutez point du reste : puisqu'il est seul le maître de quitter la vie, il la reprendra en vertu du même pouvoir, quand il le voudra. Remarquez-vous comment, par l'une de ces choses il prouve l'autre ? comment, par la manière dont il meurt, il rend sa résurrection indubitable?

" J'ai reçu ce commandement de mon Père ". Quel commandement? de mourir pour le monde. A-t-il attendu, pour en prendre la résolution, que son Père lui en ait fait le commandement? ne s'y est-il déterminé qu'alors, et a-t-il eu besoin d'apprendre la volonté de son Père? Et quel est l'homme assez fou, assez insensé pour parler de la sorte? Mais comme en disant ci-dessus : " C'est pour cela que mon Père m'aime ", il montre une volonté libre, et il écarte tout soupçon d'antagonisme; ici de même, quand il dit qu'il a reçu le commandement de son Père, il ne veut dire autre chose, sinon que ce qu'il fait est agréable à son Père; afin qu'ensuite les Juifs, après l'avoir fait mourir, ne crussent pas que son Père l'avait abandonné et livré à la mort, et ne lui fissent pas ce reproche qu'ils lui firent en effet : " Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même " (Matth. XXVII, 42); et: "Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ". (Ibid. 40.) Mais c'est justement parce qu'il est le Fils de Dieu qu'il n'en descend pas.

3. Et de peur qu'entendant ces paroles: "J'ai reçu ce commandement de mon Père ", vous ne pensiez que cette oeuvre n'était pas volontaire, et que Jésus mourait marré lui, il a dit auparavant : " Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis ", par où il montre que les brebis lui appartiennent, que l'oeuvre qu'il fait est entièrement à lui et qu'il n'a pas besoin de commandement. S'il lui avait fallu un commandement, pour quelle raison aurait-il dit: " C'est de moi-même que je la quitte (18)? " En effet , celui qui quitte la vie de soi. même, n'a pas besoin de commandement. Et même la raison pour laquelle il la quitte, il la déclare. Quelle est-elle? c'est qu'il est Pasteur, et le bon Pasteur. Or, le bon Pasteur n'a pas besoin qu'un autre l'exhorte à donner sa vie pour le salut de ses brebis. Que si, à l'égard des hommes, une pareille exhortation n'est pas nécessaire, à plus forte raison ne l'est-elle point à l'égard d'un Dieu. C'est pourquoi saint Paul disait de lui : " Il s'est anéanti lui-même ". (Philip. II, 7). Jésus-Christ donc, en cet endroit, par ce mot : " Commandement ", ne veut marquer autre chose que son union parfaite avec le Père. Que s'il s'exprime en des termes si humains et si humbles, il faut s'en prendre à la faiblesse et à la grossièreté de ses auditeurs.

" Ce discours excita donc une division parmi les Juifs (19). Les uns disaient : il est possédé du démon, il a perdu le sens: pourquoi l'écoutez-vous (20) ? " Mais les autres disaient: " Ce ne sont pas là des paroles d'un homme a possédé du démon. Le démon peut-il ouvrir les yeux d'un aveugle (21) ? " Ce que disait le Sauveur étant plus qu'humain , tout extraordinaire et bien au-dessus du langage des hommes, pour cette raison les Juifs le disaient possédé du démon, et ils l'ont déjà quatre fois appelé de ce nom. Ils avaient dit auparavant: " Vous êtes possédé du démon. Qui est-ce qui cherche à vous faire mourir? " (Jean, VII, 20.) Et derechef : " N'avons-nous pas eu raison de dire que vous êtes un samaritain , et que vous êtes possédé du démon? " (Ibid. VIII, 48.) Et ici : " Il est possédé du démon , il a perdu le sens : pourquoi l'écoutez-vous? " Mais ce n'est pas seulement quatre fois, c'est [397] bien souvent que Jésus-Christ a dû s'entendre qualifier de possédé. Ces paroles seules: N'avons-nous pas eu raison de dire que vous êtes possédé du démon ? montrent évidemment que ce n'est pas deux ou trois fois qu'ils l'ont injurié de la sorte, mais fort souvent.

" Les autres disaient ", dit l'évangéliste, " ce ne sont pas là des paroles d'un homme possédé du démon. Le démon peut-il ouvrir les yeux des aveugles? " Ceux-ci ne pouvaient pas imposer silence aux autres par les paroles mêmes que Jésus-Christ avait dites; ils le font au moyen de ses oeuvres. Sûrement, ses paroles mêmes ne sont pas celles d'un homme possédé du démon; mais si fous ne voulez pas croire ni obéir à ses paroles, laissez-vous persuader par ses œuvres. Si ses actions ne peuvent provenir d'un homme possédé du démon, et si au contraire elles sont plus qu'humaines, il est visible qu'elles viennent d'une vertu divine. Remarquez-vous la force de cet argument? Car, d'une part il était visible qu'ils ne disaient: " Il est possédé du démon " , que parce que ses paroles étaient au-dessus de l'homme ; et de l'autre Jésus-Christ aussi a fait évidemment connaître, par les œuvres qu'il a faites, qu'il n'était point possédé du démon.

Que répondit donc Jésus-Christ à ces injures? Il ne fit aucune réponse. Auparavant il leur avait répondu : " Je ne suis point possédé a du démon ". Mais maintenant il ne dit mot: leur ayant donné, par ses oeuvres mêmes, une preuve sensible qu'il n'était point possédé du démon, il garda le silence. Ils n'étaient pas dignes de réponse, puisqu'ils le disaient possédé, pour des œuvres qu'il fallait admirer , et qui devaient les persuader de sa divinité. Mais qu'était-il besoin qu'il les réfutât, quand ils étaient divisés et se réfutaient mutuellement? Il demeurait donc dans le silence , et souffrait tout avec beaucoup de tranquillité, non pour cette raison seulement, mais encore pour nous former à; la douceur et à la patience.

4. Imitons donc Jésus-Christ: car il ne s'est pas borné à garder alors le silence, mais aujourd'hui, si on l'interroge , il répond , et il donne des marques et des signes visibles de sa providence. Des hommes qu'il avait comblés de mille bienfaits , à qui il avait fait du bien, non une ou deux fois, mais plusieurs, l'ont appelé démoniaque et insensé, et non-seulement il ne s'est point vengé, mais encore il n'a point cessé de leur faire du bien. Et que dis-je, de leur faire du bien? Il donne sa vie pour eux , et il prie son Père pour ceux qui l'ont crucifié. Ces exemples , que nous donne le divin Sauveur, suivons-les donc aussi nous-mêmes, car c'est véritablement être disciple de Jésus-Christ que d'être doux et patient.

Mais par où parviendrons-nous à cette douceur? En repassant souvent nos péchés dans notre mémoire, en les pleurant avec amertume. L'âme qui vit dans cette tristesse, qui est pénétrée de la douleur de ses péchés, ne se met point en colère et ne s'offense de rien. Où est le deuil, là il rie peut y avoir de colère; où est la douleur, là il n'y a nul emportement ; où est la componction de coeur, il n'y a ni dissensions ni querelles. Un coeur triste et affligé n'a point le temps ni la force de s'irriter, mais il jettera de profonds soupirs, il répandra des larmes amères.

Je sais que plusieurs de mes auditeurs rient de ce que je dis; mais moi, je ne cesserai point de déplorer le malheur de ceux qui rient. La vie présente est une vie de pleurs, de larmes et de gémissements. En effet, nous faisons bien des péchés par nos paroles et par nos actions. Or, ceux qui commettent ces péchés tomberont dans l'enfer, dans un fleuve ardent, dans un gouffre plein de feu, et perdront le royaume des cieux: ce qui est le plus grand et le plus terrible de tous les malheurs. Après une telle menace, dites-le-moi , mon cher auditeur, riez-vous encore, pouvez-vous vivre dans les délices, et votre Seigneur étant en colère contre vous, et vous menaçant dans sa fureur, demeurerez-vous dans votre péché? Par cette conduite ne craindrez-vous pas d'attiser vous-même le feu de la fournaise où vous allez être jeté? N'entendez-vous pas la voix de Jésus-Christ, qui vous crie tous les jours : " Vous m'avez vu avoir faim, et vous ne m'avez pas donné à manger; vous m'avez vu avoir soif, et vous ne m'avez pas donné à boire: Retirez-vous de moi ", allez " au feu a qui avait été préparé pour le diable et pour ses anges? " (Matth. XXV, 42.) Oui, tous les jours Jésus-Christ vous fait cette menace.

Mais je lui ai donné à manger? direz-vous. Quand et combien de fois? Dix ou vingt? Mais cela ne lui suffit pas , vous lui devez donner à manger pendant tout le temps que vous êtes sur la terre. Car les vierges ont [398] eu de l'huile, mais non pas autant qu'il leur en fallait pour leur salut : elles allumèrent, elles aussi, leurs lampes, et néanmoins elles furent exclues des noces (Matth. XXV), comme de juste , car leurs lampes s'éteignirent avant l'arrivée de l'époux. Voilà pourquoi il nous est nécessaire d'avoir une bonne provision d'huile, et de donner libéralement aux pauvres. Ecoutez ce que dit le prophète : " Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon votre grande miséricorde ". (Ps. L, 1.) Ayons donc autant de pitié de nos frères que notre miséricorde peut s'étendre. Tels nous aurons été envers nos compagnons, tel sera aussi le Seigneur envers nous.

Mais en quoi consiste la grande miséricorde? à donner non-seulement de notre superflu., mais aussi de notre nécessaire. Que si nous ne donnons même pas de notre superflu, quelle espérance nous restera-t-il? Par où, par quels moyens nous délivrerons-nous des maux. qui nous menacent? Où irons-nous, à qui recourrons-nous pour obtenir notre salut? Si les -vierges, après tant de travaux et de sueurs, n'ont trouvé aucune consolation ni protection, où sera notre refuge, lorsque notre Juge nous dira d'une voix menaçante ces terribles paroles : " J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger? " (Matth. XXV, 45.) Vous avez manqué à me rendre ces services, toutes les fois que vous avez manqué à les rendre à l'un de ces plus petits. Le Seigneur ne dit pas cela seulement de ses disciples ou des moines, mais encore de tous les fidèles, quels qu'ils soient. Car tout fidèle, fût-il esclave ou mendiant, dès lors qu'il croit en Dieu, a droit de participer à tous nos biens et à toute notre bienveillance. Si, lorsqu'il est nu ou qu'il a faim, nous le négligeons, nous nous entendrons dire ces foudroyantes paroles : "Retirez-vous, allez au feu ". Et sûrement ce sera justice.

En effet, qu'est-ce que le Seigneur exige de nous de pénible et d'onéreux? ou plutôt est-il rien de plus facile que ce qu'il demande de nous? Il n'a point dit : J'étais malade et vous ne m'avez pas guéri, mais: vous ne m'avez pas visité. Il n'a point dit : J'étais en prison et vous ne m'en avez pas retiré, mais vous ne m'êtes pas venu voir. Plus ces commandements sont faciles, plus seront grands les supplices infligés à ceux qui ne les auront point observés. En effet, je vous prie, est-il rien de plus facile que d'aller voir les prisonniers? Qu'y a-t-il de plus aisé et de plus doux? Quand vous les verrez les uns dans les fers, les autres sordides, avec de grands cheveux épars, couverts de haillons ; d'autres exténués de faim, accourir à vos pieds comme des chiens; d'autres ayant le dos tout déchiré, d'autres que l'on ramène de la place liés et garrottés; passant le jour à mendier, sans pouvoir gagner même le pain qui leur est nécessaire pour subsister, et le soir contraints par leurs geôliers à des offices si pénibles et si cruels; quand vous verrez tout ce triste spectacle, eussiez-vous le coeur plus dur que les cailloux , vous le quitterez plein d'humanité; quand vous mèneriez une vie molle et voluptueuse, vous deviendrez un parfait philosophe, parce que, dans les calamités d'autrui, vous verrez, vous apprendrez à connaître la misérable condition de la vie humaine. C'est alors que le jour terrible du Seigneur, que les différents supplices qui sont préparés pour les méchants , se présenteront à votre esprit; méditant ensuite sur tous ces objets, vous chasserez de votre coeur la colère, la volupté, l'amour des choses du siècle; et votre âme deviendra plus tranquille que le port le plus calme et le plus assuré. Vous philosopherez, vous raisonnerez sur ce jugement; repassant en vous-même ce que vous aurez vu, vous direz : si parmi les hommes il v a un si grand ordre, des menaces si terribles, des châtiments si affreux, combien plus redoutable encore doit être la justice de Dieu! " Car il n'y a point de puissance qui ne vienne de " Dieu ". (Rom. XIII.) Celui qui a commis aux princes et aux puissances la garde et la sûreté des lois, y veillera sans doute, et les fera lui-même bien mieux observer.

5. Effectivement, si la crainte ne retenait les hommes, tout sans doute , tout tomberait bientôt dans le désordre, puisqu'il en est plusieurs qui se portent au mal, malgré tant de supplices qui les menacent. Si vous philosophez, si vous méditez sur ces choses, vous serez plus disposés et plus prompts à faire l'aumône, vous jouirez d'un grand plaisir, et beaucoup plus grand que si vous veniez du théâtre. Ceux qui en sortent ont le coeur embrasé du feu de la concupiscence : après avoir vu sur la scène, non sans recevoir mille blessures, toutes ces femmes sans moeurs, ils seront plus troublés qu'une mer agitée de la tempête, [399] tant que les regards de ces prostituées, leurs habillements, leurs paroles, leur manière de marcher, et le reste occuperont leur imagination. Mais ceux qui sortent de ces autres spectacles, n'éprouveront rien de pareil, ou plutôt ils jouiront d'une grande paix et d'une grande tranquillité. La tristesse qu'inspire la vue de ces malheureux qui sont dans les fers, éteint entièrement tous les feux de la concupiscence. Si celui qui sort de la prison vient à rencontrer une femme débauchée, cette rencontre sera sans péril. Son âme, comme si elle était devenue indomptable, ne se laissera point prendre à ces sortes de filets, ayant devant les yeux la crainte des jugements de Dieu, qui la préservera du coup mortel des regards de cette malheureuse. Voilà pourquoi celui qui avait éprouvé toutes sortes de voluptés disait : " Il vaut mieux aller à une maison de deuil qu'à une maison de ris ". (Ecclés. VII, 3.) Celui qui aura pratiqué en ce monde la philosophie que je vous prêche maintenant, s'entendra dire en l'autre les paroles les plus consolantes.

Ne négligeons donc pas, mes chers frères, cette bonne oeuvre. Quand même nous ne pourrions rien porter à manger aux prisonniers, ni soulager leur détresse avec de l'argent, nous pourrons du moins les consoler par nos paroles, relever leur âme abattue, les assister en bien d'autres choses ; soit en parlant pour eux à ceux qui les ont fait mettre en prison ; soit en rendant les geôliers plus doux et plus compatissants; à cela nous ne saurions manquer de faire un bénéfice , petit ou grand. Peut-être vous direz : Il n'y a là ni honnête homme, ni gens de bien; mais ce sont tous des meurtriers , des assassins , des sacrilèges qui ont été fouiller dans les sépulcres, des voleurs, des adultères, des impudiques et des gens coupables de beaucoup de crimes : ah ! ce que vous me répondez-là prouve la nécessité de visiter ces malheureux. Le Seigneur ne nous commande pas d'assister les bons et de punir les méchants, mais d'avoir de l'humanité généralement pour tous, et de répandre sur tous nos charités. En effet, il dit: " Soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes ". (Matth. V, 45.)

Ne faites donc pas aux autres de trop rudes réprimandes, et ne soyez pas un juge trop sévère, mais montrez-vous doux et humain. Nous-mêmes, quoique nous ne soyons pas (les adultères, de ceux qui portent des mains sacrilèges sur les sépulcres, ni des voleurs, nous sommes coupables de bien d'autres fautes qui sont dignes de mille supplices : ou nous avons appelé fou notre frère, et par là nous avons mérité le feu de l'enfer (Matth. V, 28); ou nous avons regardé des femmes avec un mauvais désir, et c'est là un véritable adultère; ou ce qui est le plus grave et le plus énorme de tous les crimes, nous avons participé indignement aux saints mystères, et nous nous sommes rendus coupables du corps et du sang de Jésus-Christ. (I Cor. XI, 27.) N'examinons donc pas à la rigueur ce que font les autres, mais pensons à ce que nous avons fait nous-mêmes; et de cette sorte nous réprimerons cet esprit d'inhumanité et de cruauté, qui nous éloigne des prisons.

Mais en outre, on peut dire que nous trouverons dans les prisons beaucoup de gens de bien, et qui valent mieux quelquefois que tous leurs concitoyens ensemble. La prison où était Joseph renfermait bien des méchants (Gen. XXXIX, 20); néanmoins ce juste avait soin de tous les prisonniers, et il était confondu avec eux, sans que l'on sût qui il était. Bien que son mérite l'égalât à l'Egypte entière, il était pourtant enfermé dans une prison , et personne ne le connaissait. Maintenant aussi il est vraisemblable qu'il y a dans les prisons beaucoup d'hommes vertueux et honnêtes , quoiqu'ils ne soient pas connus de tout le monde; le soin que vous aurez de ceux-ci vous dédommagera pleinement des bons offices que vous rendrez aux autres. Mais quand même il ne s'y trouverait pas un seul homme de bien, une grande récompense ne vous serait pas moins réservée. Certes, votre Seigneur ne parlait pas seulement aux justes, ne rejetait pas les pécheurs; il reçut avec beaucoup de bonté la Chananéenne et l'impure Samaritaine ; il reçut et guérit aussi une autre femme débauchée, ce dont les Juifs lui firent des reproches; et il souffrit que ses pieds fussent lavés des larmes d'une femme impudique, pour mous apprendre à traiter humainement les pécheurs : car en cela consiste par excellence la charité. Que dites-vous? Des voleurs et des misérables, qui ont porté leurs mains sacrilèges dates les, sépulcres, remplissent la [400] prison? Mais, je vous prie, les habitants de cette ville sont-ils tous justes? Ne s'y en trouvera-t-il pas plusieurs qui sont plus méchants que ceux qui sont en prison, et qui volent avec plus d'impudence? Ceux-là cherchent au moins les lieux écartés et les ténèbres, attendent la nuit et se cachent pour faire leur coup : mais ceux-ci, quittant le masque, commettent le crime à visage découvert, sont violents, emportés, avares, et ravissent effrontément le bien d'autrui. Ah ! qu'il est rare de trouver un homme juste et innocent !

6. Que si nous ne ravissons pas de grosses sommes d'argent, ou bien encore tel ou tel nombre d'arpents de terre; ces mêmes vols, nous faisons tout ce que nous pouvons pour les faire adroitement et furtivement dans les petites choses. Lorsque, dans notre commerce, soit en achetant, soit en vendant, nous faisons tous nos efforts et nous employons toutes les ruses et tous les artifices imaginables pour tromper et ne pas donner la juste valeur, ou surfaire le prix, n'est-ce pas là un vol et une rapine? N'est-ce pas là un brigandage? Et ne me venez pas dire que vous n'avez point volé de maisons ni d'esclaves. L'injustice ne se mesure pas sur le prix de la chose qu'on a volée, mais sur la volonté de celui qui vole. La justice et l'injustice ont la même balance et se montrent également dans les grandes et dans les petites choses; et j'appelle un voleur, tant celui qui, coupant la bourse, emporte l'or, que celui qui, en achetant, retient quelque chose du prix convenu ; et je dis abatteur de murailles, non-seulement celui qui passe à travers pour voler quelque chose au dedans, mais encore celui qui, violant le droit, fait tort à son prochain. Ce que nous avons fait, ne l'oublions donc pas, pour nous établir ensuite juge des autres; et lorsque l'occasion se présente d'exercer l'humanité et la charité, n'allons point rechercher le vice et l'injustice, mais ce que nous avons été autrefois ; et par là devenons enfin doux et miséricordieux.

En quel état étions-nous donc ? Ecoutez saint Paul, il va nous l'apprendre : " Nous étions aussi nous-mêmes autrefois désobéissants, insensés, égarés " du chemin de la vérité, " asservis à une infinité de passions et de voluptés, dignes d'être haïs, et nous haïssant les uns les autres " (Tit. III, 3) ; et encore : " Par la naissance naturelle, nous étions enfants de colère ". (Ephés. II, 3.) Mais Dieu nous voyant avec compassion comme des prisonniers qui sont détenus dans une prison et chargés de grosses chaînes, beaucoup plus rudes et plus pesantes que des chaînes de fer, n'a pas rougi de nous venir visiter : il est entré dans notre prison, nous en a tirés, quoique nous fussions dignes de mille supplices; nous a amenés dans son royaume (Col. I, 13) et nous a rendus plus brillants que le ciel ; afin que nous aussi, selon notre pouvoir, nous fassions la même chose pour nos frères. Quand Jésus-Christ dit à ses disciples : " Si je vous ai lavé les pieds, moi qui suis " votre " Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres, car je vous ai donné l'exemple, afin que, pensant à ce que je vous ai fait, vous fassiez aussi de même ". (Jean, XIII, 14.) Il ne nous commande pus seulement de nous laver les pieds mutuellement, mais encore d'imiter toutes les autres choses qu'il a faites pour nous.

Celui qui est en prison est un homicide? Ne nous abstenons pas pour cela de faire une bonne action. C'est un misérable qui a fouillé dans les sépulcres, ou un adultère? N'ayons pas pitié du péché, mais de la misère du pécheur. Mais souvent, comme j'ai dit, il se trouvera, dans ce lieu, quelqu'un qui vaudra des milliers d'hommes ; et si vous allez souvent voir les prisonniers, ce gibier-là ne vous échappera point. Comme Abraham, qui recevait généralement tous les étrangers, rencontra des anges; nous, de même, nous rencontrerons de grands hommes, si nous allons souvent dans la prison. Mais s'il m'est permis de vous dire une chose qui vous surprendra et vous étonnera, c'est que celui qui reçoit dans sa maison un grand, un homme considérable, n'est pas digne de si grandes louanges que celui qui y reçoit un malheureux et un misérable, parce que celui-là porte avec soi de quoi se faire bien recevoir, je veux dire sa condition, sa dignité; mais un pauvre misérable, que tout le monde rebute et méprise, n'a qu'un seul port, qu'un seul asile, savoir : la pitié, la compassion de celui qui veut bien le recevoir; de sorte qu'il n'y a pas de charité plus pure que celle-là. Celui qui rend des services à un homme illustre et célèbre, le fait souvent par ostentation; mais celui qui reçoit un homme abject et méprisable, ne le fait que pour accomplir le commandement du Seigneur.

C'est pourquoi, si nous faisons un festin, il [401] nous est ordonné d'y inviter les boiteux et les aveugles (Luc, XIV, 13) ; si nous faisons l'aumône, il nous est ordonné de la faire aux plus petits et aux plus abjects ; car Jésus-Christ dit : " Autant de fois que vous l'avez fait à l'égard d'un de ces plus petits, c'est à moi-même que vous l'avez fait ". (Matth. XXV, 40.) Puis donc que nous savons qu'il y a dans la prison un trésor caché, entrons-y souvent, établissons-y notre commerce, et l'inclination que nous avons pour le théâtre, tournons-la de ce côté. Si vous n'avez que votre personne à apporter aux prisonniers, donnez-leur des paroles de consolation. Dieu ne récompense pas seulement celui qui nourrit les prisonniers, mais encore celui qui les va visiter. En effet, si, entrant dans la prison, vous encouragez ces pauvres malheureux , si vous fortifiez leur âme abattue et plongée dans la crainte et dans la tristesse, en leur faisant de bonnes exhortations, en les assistant et leur promettant du secours et vos bons offices, en les instruisant, vous n'en recevrez pas une légère récompense. Plusieurs de ceux qui nagent dans les délices riront peut-être s'ils vous entendent parler de la sorte; mais ces infortunés qui sont dans la misère, touchés et pénétrés de leur état, écouteront vos paroles avec beaucoup de douceur et de modestie; ils vous loueront, ils s'amenderont et deviendront meilleurs. Souvent les Juifs ont ri et se sont moqués de saint Paul en l'entendant prêcher; mais les prisonniers l'écoutaient dans un grand silence. Rien ne dispose mieux l'esprit à la philosophie que la misère, les épreuves, les afflictions.

Faisons donc attention, mes chers frères, à toutes ces choses : considérons tout le bien que nous procurerons à ces pauvres prisonniers et celui que nous nous ferons à nous-mêmes, si nous allons souvent les visiter; si le temps que nous employons mal à propos sur la place publique et à des visites inutiles, nous le leur donnons pour les ramener à leur devoir, les gagner à Jésus-Christ et nous procurer à nous-mêmes une grande joie. Travaillons ainsi pour la gloire de Dieu, nous obtiendrons les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE LXI.
OR, ON FAISAIT A JÉRUSALEM LA FÊTE DE LA DÉDICACE, ET C'ÉTAIT L'HIVER. — ET JÉSUS SE PRONRNANT DANS LE TEMPLE, DANS LA GALERIE, DE SALOMON, LES JUIFS S'ASSEMBLÈRENT AUTOUR DE LUI ET LUI DIRENT : JUSQUES A QUAND NOUS TIENDREZ-VOUS L'ESPRIT EN SUSPENS ? (VERS. 22, 23, 24, JUSQU'A LA FIN DU CHAP. X.)
ANALYSE.

402

1. Duplicité et incrédulité obstinée des Juifs. Lorsque Jésus-Christ les instruit par ses paroles, ils lui demandent des oeuvres, et lorsqu'il fait des miracles, ils lui demandent des paroles.

2. La puissance du Père et du Fils est la même. — Les Juifs comprennent que Jésus se dit Dieu, et Jésus les laisse, comme toujours, dans cette pensée. — Jésus affirme donc sa divinité. — Saint Chrysostome revient très-souvent à ce raisonnement.

3 et 4. Jésus, repoussé par les Juifs, se retire au lieu où Jean lui avait rendu témoignage. — Dieu, dans l'ancienne Loi, a séparé son peuple de la société des méchants : il l'a mené dans le désert pour le former et l'instruire dans la voie de ses commandements. — Le Seigneur nous exhorte aussi de fuir le bruit et le tumulte du monde, et de faire nos prières en un lieu retiré. L'âme, qui est exempte des soins du siècle, demeure tranquille comme un vaisseau dans le port: - Devoirs des femmes : elles doivent être plus appliquées à la philosophie que les hommes; pourquoi pouvoir d'une femme pieuse et prudente. — La femme est la compagnie de l'homme : elle sait polir l'homme le plus grossier. — L'homme sage et réglé s'attache tendrement à la femme. — Portrait d'une femme chrétienne. — Quels sont les ornements dont elle se doit parer pour plaire à son mari. — Défigurer le corps, parer l'âme . — Contre le luxe des femmes.

1. Sûrement toute vertu est bonne, mais la douceur et la clémence passant avant toutes les autres , ce sont elles qui montrent que nous sommes hommes, et qui nous distinguent des bêtes; elles qui nous égalent aux anges. Voilà pourquoi Jésus-Christ nous parle souvent de cette vertu,, et nous recommande d'être doux et débonnaires. Il ne nous Y exhorte pas seulement par ses-paroles, mais encore par ses oeuvres et son exemple ; souffrant tantôt des soufflets, tantôt des injures et des complots, puis demeurant et conversant avec ceux mêmes qui le persécutent. En effet, ceux qui l'avaient appelé possédé et samaritain, qui souvent avaient voulu le faire mourir, qui lui avaient jeté des pierres, ceux-là mêmes viennent autour de lui, et lui font cette question : " Etes-vous le Christ? " Et, après tant d'outrages et d'embûches, Jésus-Christ ne les rebute point, il leur répond avec une grande douceur.

Mais le sujet demande que nous reprenions les choses de plus haut. " On faisait à Jérusalem , dit l'évangéliste , la fête de la Dédicace, et c'était l'hiver ". La fête que célébraient les Juifs en ce jour était grande et très-solennelle ; car ils faisaient avec beaucoup de pompe et d'appareil la fête de la construction du Temple, après leur longue captivité de Perse (1). Jésus-Christ était à cette fête. Aux approches de sa mort, il allait souvent dans la Judée. " Les Juifs s'assemblèrent donc autour de lui, et lui dirent : Jusques à quand nous tiendrez-vous l'esprit en,suspens? Si vous êtes le Christ, dites-le nous clairement ". Le Sauveur n'a point dit : Quelle demande me faites-vous ? Vous m'avez souvent appelé possédé, fou , samaritain : vous me croyez contraire à Dieu , et un séducteur, et dernièrement encore vous disiez : " Vous vous rendez témoignage à vous-même, ainsi et votre témoignage n'est point véritable " . (Jean, VIII, 13.) Pourquoi m'interrogez-vous donc et voulez-vous apprendre de moi qui je suis, puisque vous rejetez mon témoignage? Jésus ne dit rien de tout cela,

1. De Perse : saint Chrysostome nomme souvent la Perse pour la Babylonie et l'Assyrie.

403

quoiqu'il connût bien leur mauvaise intention. Et en effet, à juger d'eux par la manière dont ils s'étaient assemblés autour de lui, et avaient dit : "Jusques à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspens? " ils semblaient avoir quelque amour pour lui, et on aurait pu croire qu'un sincère désir de connaître la vérité les portait à lui faire cette demande. Mais ces faiseurs de questions étaient de méchants esprits et des fourbes. Comme il ne leur était pas facile de calomnier les œuvres de Jésus-Christ, ils cherchaient à le surprendre dans ses paroles, ils en détournaient le sens et lui adressaient de fréquentes questions, espérant le réfuter et le confondre par son propre langage; et comme il n'y avait pas moyen de blâmer ses oeuvres, ils cherchaient l'occasion de le censurer sur ses paroles ; c'est pourquoi ils disaient : " Dites-nous ".

Mais ce que vous demandez, il l'a souvent déclaré; il a formellement, dit à la Samaritaine: " C'est moi qui vous parle " (Jean, IV, 26); il a dit à l'aveugle : " Vous l'avez vu; et c'est celui-là même qui vous parle ". (Jean, II, 37.) Il le leur a dit aussi à eux-mêmes, mais en d'autres termes. Et s'ils avaient eu du bon esprit et du sens; s'ils avaient bien voulu examiner la chose, ils auraient reconnu et confessé pour le Christ celui qui; par ses rouvres, leur avait souvent prouvé qu'il l'était. Considérez maintenant leur méchanceté. Quand il prêche et les instruit par ses paroles, ils disent : " Quel miracle faites-vous? " Et lorsque, par ses oeuvres et ses miracles, il découvre et manifeste ce qu'il est, ils lui disent : " Si vous êtes le Christ, dites-le-nous clairement ". Lorsque les oeuvres le crient et le publient, ils demandent des paroles, et lorsque les paroles le leur annoncent, ils demandent des oeuvres; ainsi ils ne sont point d'accord avec eux-mêmes. Mais la suite a bien fait voir, qu'ils ne l'avaient pas interrogé pour s'instruire et connaître la vérité, car ils jettent incontinent des pierres à celui même qu'ils font mine de vouloir croire sur son propre témoignage, si seulement il ouvre la bouche pour se le rendre. C'est donc avec un esprit malin et par une mauvaise intention qu'ils s'assemblent autour de lui et le pressent de se déclarer. La manière aussi dont ils l'interrogent montre une grande animosité : " Dites-nous clairement si vous êtes le Christ ". Mais il leur parlait publiquement dans leurs fêtes solennelles où il se trouvait

toujours, et il ne disait. rien en secret; c'est pour cela qu'ils lui disent d'une manière flatteuse : " Jusques à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspens? " pour tâcher de tirer quelque chose de sa bouche, qui leur donne lieu de l'accuser.

Ce n'est pas seulement par là qu'on prouve qu'ils l'interrogeaient malicieusement, non pour s'instruire, mais pour le surprendre dans ses paroles, et avoir de quoi le calomnier. On le prouve encore par bien d'autres endroits. Lorsqu'ils lui envoyèrent faire cette question : " Nous est-il libre de payer le tribut à César, ou de ne le pas payer? " (Matth. XXII, 17.) Lorsqu'ils tinrent lui demander s'il était permis à un homme de répudier sa femme (Matth. XIX, 3) ; et lorsqu'ils l'interrogèrent sur, la femme qu'on disait avoir eu sept maris (Matth. XXII, 25), ils firent assez connaître qu'ils ne lui avaient fait toutes ces questions que par malice, et dans le dessein de le surprendre et non de s'instruire. Mais alors Jésus les reprit, en leur disant : " Hypocrites, pourquoi me tentez-vous? " (Matth. XXII, 13.) Faisant connaître qu'il voyait ce qui se passait dans le secret de leur coeur. Mais ici il ne leur dit rien de semblable, pour bous apprendre qu'il ne faut -pas toujours faire des reproches à ceux qui nous tendent des piéges, et qu'il faut souffrir bien des choses avec douceur et avec résignation.

Comme donc il y avait de la folie à demander le témoignage de la parole, là où les œuvres parlaient d'elles-mêmes, et publiaient hautement ce qu'il était; voici de quelle manière leur répond Jésus-Christ, faites-y attention, mon cher auditeur. D'abord, il leur insinue que c'est sans sujet qu'ils lui font cette demande, et non pour s'instruire et connaître la vérité; ensuite il leur montre que par ses œuvres il leur a plus clairement déclaré ce qu'il est, qu'il ne le ferait par ses paroles mêmes. Car il dit : " Je vous l'ai souvent dit, et vous ne me croyez pas. Les oeuvres que je fais au nom de mon Père, rendent témoignage de moi (25) ". Jésus leur fait cette réponse, parce que ceux qui parmi eux étaient les plus doux et les plus modérés, se disaient souvent les uns aux autres : " Car un méchant homme ne peut pas faire de tels prodiges " (Jean, IX, 16) ; et encore : " Le démon ne peut pas ouvrir les yeux des aveugles ". (Jean, X, 21.) Et derechef : " Personne [404] ne saurait faire de si grands miracles, si Dieu n'est avec lui ". (Jean, III, 2.) Et aussi voyant les miracles qu'il faisait , ils disaient: " Ne serait-ce point le Christ? " Mais d'autres disaient : " Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n'en fait celui-ci? " (Jean, VII, 31.) Au reste, ces mêmes Juifs, qui demandaient le témoignage de la parole, ont voulu croire en lui sur celui de ses oeuvres, disant: " Quel miracle faites-vous, afin que, le voyant, nous vous croyions ? "

2. Comme ils faisaient donc semblant alors qu'ils croiraient sur sa parole, eux qui n'avaient point cru à tant et de si grandes oeuvres, Jésus-Christ leur reproche leur malice et leur méchanceté, en disant : " Si vous ne croyez pas à mes oeuvres, comment croirez-vous à mes paroles? " C'est pourquoi la demande que vous me faites est vaine et inutile. " Mais je vous ai déclaré qui je suis ", dit-il, et vous ne me croyez point, parce que vous "n'êtes pas de mes brebis (26) ". Le devoir de pasteur, je l'ai entièrement rempli; mais si vous ne me suivez pas, votre refus ne vient point de ce que je ne suis point le pasteur, mais de ce que vous n'êtes pas de mes brebis. Car " mes brebis, ", dit-il, " entendent ma voix, et me suivent (27) : et je leur donne la vie éternelle (28) " : et elles ne périront jamais, " et nul ne peut les ravir d'entre mes mains, parce que mon Père, qui me les a données, est plus grand que toutes choses, et personne ne les saurait ravir de la main de mon Père (29). Mon Père et moi, nous sommes une même chose (30) ". Remarquez, mes chers frères, cette grande miséricorde de Jésus-Christ : en rejetant ces malheureux, il les exhorte pourtant encore à le suivre. " Vous ne m'écoutez pas ", leur dit-il, " parce que vous n'êtes pas de mes brebis " : mais celles qui me suivent sont de ma bergerie. Et il leur parlait de la sorte, afin qu'ils tâchassent d'être de ses brebis. Ensuite, après, leur avoir exposé le bien et l'avantage qu'il leur en reviendrait, le Sauveur les excite et les anime, pour leur inspirer le désir de le suivre.

Quoi donc ! dira-t-on, si c'est à cause de la puissance du Père que nul ne ravit les brebis, s'ensuit-il que -vous, vous n'ayez pas le pouvoir ou le talent de les garder? Non, certes, ce n'est point là le sens de ces paroles; Jésus-Christ, pour vous apprendre qu'il a dit : " Mon Père qui me les a données" , afin que les Juifs ne l'accusassent pas de nouveau d'être contraire à Dieu; Jésus-Christ, dis-je, après avoir dit : " Nul ne les ravira de mes mains ", continue son discours, faisant connaître et déclarant que sa main et celle de son Père ne sont qu'une seule main. Si cela n'était pas ainsi, il devait dire : Mon Père, qui me les a données, est plus grand que toutes choses, et personne ne peut les ravir d'entre mes mains. Or, il n'a pas dit ainsi, mais : " Et personne ne les saurait ravir de la main de mon Père ". Après quoi, de peur que vous ne pensiez qu'il n'a pas la force de garder lui-même les brebis, et que c'est par la puissance de son Père qu'elles sont en sûreté, il a ajouté: " Mon Père et moi, nous sommes une même " chose "; comme s'il disait : Je n'ai pas dit que personne ne les ravirait à cause de la puissance de mon Père, comme si je n'avais pas moi-même la puissance de les garder. " Car mon Père et moi, nous sommes une même chose ", c'est-à-dire, ici, quant à la puissance. En effet, c'était là de quoi il parlait alors. Or, si la puissance est la même, il est évident que la substance est la même. En vain les Juifs recourent à tous les moyens, complots, exclusions de la synagogue, Jésus-Christ dit que c'est en vain qu'ils ont machiné toutes ces choses; car les brebis sont entre les mains de. son Père, comme dit le prophète: " J'ai représenté sur mes mains, vos murs". (Isaïe, XLIX, 16.) Et pour montrer qu'il n'y a qu'une seule main, Jésus dit tantôt ma maint tantôt la main de mon Père. Lorsque vous entendez parler de main, ne vous figurez rien de sensible, mais entendez qu'il s'agit de la vertu, de la puissance.

Au reste, si personne n'avait ravi les brebis des, mains de Jésus-Christ que parce que le Père lui avait communiqué la puissance de les garder, il aurait été inutile d'ajouter

" Mon Père et moi nous sommes une même chose ". Si le Fils était moins grand que le Père, ce serait là une parole vaine et téméraire. Certainement, par ces paroles, Jésus. Christ ne déclare autre chose que l'égalité de puissance: les Juifs l'ayant bien compris, le lapidaient pour cela même qu'il se faisait égal à son Père; et Jésus ne dit rien pour leur ôter cette pensée. Cependant, s'il l'avait faussement imaginé, il aurait dû le leur faire connaître et leur dire : Pourquoi me traitez-vous de la sorte ? Je n'ai point dit cela pour m'attribuer [405] une puissance égale à celle de mon Père. Au contraire, lors même qu'ils sont le plus en fureur et le plus animés contre lui, il confirme ce sentiment et le prouve. Il ne se justifie pas d'avoir mal parlé, ni d'avoir dit une chose fausse; au contraire, il les reprend de ce qu'ils n'ont pas de lui la juste opinion qu'ils en doivent avoir. Car, comme ils disaient : " Ce n'est pas pour aucune bonne oeuvre que nous vous lapidons, mais à cause de votre blasphème, et parce qu'étant homme, vous vous faites Dieu (33) " ; Jésus leur repartit, écoutez-le bien : "Si l'Ecriture appelle Dieux ceux à qui la parole de Dieu était adressée (35), pourquoi dites-vous que je blasphème, parce, que j'ai dit que je suis Fils de Dieu (36)?" C'est-à-dire, si l'on ne blâme pas de se dire, Dieux, ceux qui, par grâce, ont reçu ce titre, de quel droit et pour quelle raison me faites-vous un crime de me dire Dieu, à moi qui suis Dieu par ma nature? Mais le Sauveur n'a point parlé ainsi, c'est plus tard qu'il établit ce point, après avoir préalablement modéré et atténué sort langage, en disant . " Moi que mon Père a sanctifié et envoyé " c'est après avoir apaisé leur fureur, qu'il en vient à une affirmation expresse : mais en attendant, afin qu'ils écoutassent et crussent ce qu'il disait, il a parlé plus simplement et plus grossièrement; c'est plus tard qu'il élève leur esprit à des idées plus hautes et plus sublimes, en leur disant : " Si je ne fais pas "les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas (31). Mais si je les fais, quand vous ne me voudriez pas croire, croyez à mes oeuvres (38) ". Faites-vous bien attention à la manière dont Jésus-Christ prouve, comme j'ai dit, qu'il n'est en rien moins grand que le Père, et qu'il lui est tout à fait égal? Comme on ne pouvait pas voir sa substance, il démontre et manifeste son égalité de puissance par l'égalité et " l'identité " de ses oeuvres.

3. Mais, je vous prie, que croirons-nous? "Nous croirons ce que dit Jésus-Christ : Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi (38) ". Car, dit-il, je ne suis rien autre chose, sinon ce qu'est le Père, tout en demeurant Fils ; et le Père n'est rien autre chose, sinon ce qu'est le Fils, tout en demeurant Père. Et celui qui me connaît, connaît aussi le Père, et il sait ce qu'est le Fils. Que si la puissance du Fils était moins grande, nous ne connaîtrions par lui le Père que d'une manière trompeuse; car, soit puissance, soit substance, on ne peut pas connaître une chose par une autre. " Les Juifs tâchèrent alors de le prendre, mais il s'échappa de leurs mains (39) , et s'en alla au-delà du Jourdain, au lieu même où Jean d'abord avait baptisé (40). Plusieurs vinrent l'y trouver, et ils disaient : Jean n'a fait aucun miracle (41). Et tout ce que Jean a dit de celui-ci s'est trouvé véritable (42) ". C'est la coutume de Jésus-Christ de se retirer aussitôt après qu'il a dit quelque chose d'élevé et de sublime : cédant à la fureur des Juifs , pour l'apaiser et l'étouffer par son absence. C'est ce qu'il fait encore dans cette occasion.

Mais pourquoi l'évangéliste marque-t-il le lieu où alla Jésus-Christ? C'est afin de vous apprendre qu'il fut en cet endroit pour rappeler aux Juifs là mémoire de ce que Jean avait fait, de ce qu'il avait dit, du témoignage qu'il avait rendu. Ils se souvinrent donc de Jean, aussitôt qu'ils furent arrivés en ce lied; c'est pourquoi ils disent : " Jean n'a fait " aucun miracle ". Autrement, de quoi aurait-il servi de rapporter cette circonstance ? C'est donc parce que le lieu les fit souvenir de Jean-Baptiste et de son témoignage , que l'évangéliste la rapporte. Au reste , il est à remarquer que leur raisonnement est juste et très-vrai. Jean, disent-ils, n'a fait aucun miracle : celui-ci en fait, donc en cela même, se montre visiblement là supériorité de celui-ci, et son excellence au-dessus de l'autre. Si donc nous avons cru celui qui ne faisait aucun miracle , à plus forte raison devons-nous croire celui-ci? Ensuite , comme Jean, qui avait rendu témoignage ; n'avait point fait de miracles, de peur que pour cela seul on ne le regardât comme indigne de rendre témoignage, ils ajoutent : quoique Jean n'ait point fait de miracles, néanmoins tout ce qu'il a dit de Jésus-Christ s'est trouvé véritable. De sorte que ce n'est plus Jésus-Christ qui est jugé digne de foi sur le témoignage de Jean; c'est Jean dont les couvres de Jésus-Christ établissent la véracité.

" Il y en eut beaucoup qui crurent en lui (42) ". Plusieurs choses les attiraient : le souvenir des paroles de Jean-Baptiste , de ce qu'il avait dit de Jésus qu'il était plus grand et plus puissant que lui; qu'il était la lumière, la vie, la vérité, et le reste ; comme aussi le souvenir de la voix qui s'était fait entendre du haut du ciel, du Saint-Esprit qui s'était montré [406] en forme de colombe, et qui l'avait fait connaître à tous. A quoi il y avait encore à ajouter l'évidente preuve résultant des miracles, laquelle confirmait tout le reste. S'il faut croire Jean, disaient-ils, à plus forte raison faut-il croire Jésus : si nous avons cru à celui-là, sans qu'il ait fait aucun miracle, nous devons à plus forte raison ajouter foi à celui-ci quia pour lui, outre le témoignage de Jean, la preuve qui résulte des miracles. Ne remarquez-vous pas de quelle utilité leur a été ce lieu, combien il leur a été avantageux de s'être séparé des méchants? Voilà pourquoi Jésus les retire souvent de cette société.

Dans l'ancienne loi, Dieu a de même retiré son peuple de la société dés méchants : il a séparé les Juifs des Egyptiens; il lés a conduits dans le désert pour les former, les instruire de ses lois et de ses préceptes. Il nous exhorte aussi à faire de même, et il nous ordonne de fuir les places publiques, le tumulte et la foule, et à nous enfermer dans notre chambre (Matth. VI, 6), pour y faire tranquillement nos prières. Un vaisseau , qui n'est point agité de la tempête, fait une heureuse navigation, et l'âme qui est exempte de tous soins vit dans la paix et la tranquillité , comme si déjà elle était arrivée au port. Voilà pourquoi les femmes qui gardent généralement la maison devraient être plus appliquées à la philosophie, à la contemplation des choses célestes que les hommes. Voilà pourquoi Jacob, qui demeurait dans sa maison, loin du tumulte, était un homme plus simple qu'Esaü : car ce n'est pas sans intention que l'Écriture dit de lui, qu' " il demeurait dans la tente de son père ". (Gen. XXV, 27.)

Mais, direz-vous, il y a aussi dans la maison beaucoup de tumulte. Oui, et la femme, si elle le veut, peut s'y attirer bien des soins et des embarras pour l'homme qui ne quitte guère la place publique et les tribunaux; il est agité de mille préoccupations étrangères, comme un vaisseau en pleine mer, qui est battu des flots et des vents. La femme, au contraire, assise dans sa maison comme dans une école de philosophie, peut recueillir son esprit, s'appliquer et à la prière et à la lecture, et aux autres exercices de la philosophie. Et de même que ceux qui demeurent au désert ne sont troublés par personne, ainsi la femme, qui est toujours enfermée dans sa maison , peut jouir d'un repos continuel. Si quelquefois elle est obligée de sortir et d'aller en ville, elle n'est pas pour cela exposée à des troubles d'esprit : sans doute, soit pour venir à l'église, soit pour aller au bain , il lui est souvent nécessaire de sortir, mais aussi polir l'ordinaire elle est sédentaire et garde la maison. Elle peut s'y 'exercer à l'étude de la sagesse et calmer l'esprit agité de son mari, lorsqu'il revient chez lui; elle peut l'adoucir et dissiper ses inutiles et chagrinantes pensées qui le tourmentent, et le renvoyer ensuite débarrassé des soins et des affaires dont il a fatigué sa tête au dehors, emportant avec lui ce qu'il a appris de bon auprès de sa femme. Rien, en effet, rien sûrement n'a plus de force et de vertu pour régler et conduire l'homme que sa femme, lorsqu'elle est pieuse et prudente, et aussi pour tourner son esprit où elle veut, et comme il lui plaît. Il aura moins de confiance à ses amis, à des docteurs, et même à des princes, qu'aux' avis, aux conseils de sa femme. Car l'extrême tendresse qu'un mari a pour sa femme, lui fait toujours recevoir ses exhortations avec plaisir. Je pourrais ici vous produire l'exemple de bien des hommes rudes et indisciplinés, que leurs femmes ont polis et civilisés. La femme est la compagne de l'homme, à table , au lit, dans la procréation des enfants : c'est elle qui est la confidente de ses secrets, de ses démarches, que sais-je encore? attachée en tout 'à son mari, elle lui est aussi unie que l'est le corps à la tête. Elle rendra plus de services à son mari que personne, si elle est honnête et sensée.

4. C'est pourquoi j'exhorte les femmes de s'at. tacher à ce que je viens de dire, et de donner de bons et de salutaires avis à leurs maris; car, si la femme est très-capable d'exciter son mari à la vertu , elle peut de même le porter au vice. C'est une femme qui a perdu Absalon, c'est une femme qui a perdu Ammon; une femme a tâché de perdre Job : c'est la femme de Nabal qui l'a préservé de la mort; une femme a sauvé tout un peuple (1). Débora, Judith , et plusieurs autres, ont parfaitement bien rempli la fonction de général d'armée. Saint Paul dit : " Que savez-vous, ô femme, si vous ne sauverez point votre mari? " ( I Cor. VII , 16.) Et l'Écriture nous apprend que dans l'heureux siècle des apôtres, les Perside, les Marie, les Priscille (Rom. XVI) se sont courageusement exposées aux combats apostoliques.

1. Esther, etc.

407

Imitez ces saintes femmes : édifiez et instruisez vos maris, non-seulement par vos paroles, mais encore par vos bons exemples. Et comment l'instruirez-vous, votre mari, par vos oeuvres et vos exemples? Lorsqu'il ne verra en vous ni malice, ni méchanceté, ni curiosité , ni amour pour les ornements et les parures, ni désir, ni goût pour les dépenses superflues, et qu'au contraire vous vous contenterez simplement de ce que. vous avez, alors il vous écoutera avec plaisir, il recevra avec joie vus conseils : mais si vous n'êtes sages qu'en paroles, et si vous faites le contraire de ce que vous dites, alors il vous accusera de bavardage. Mais si vos oeuvres ont d'accord avec vos paroles , si vous instruisez en même temps et par vos paroles et par vos oeuvres (1), votre mari vous écoutera alors avec plaisir, et vous cèdera volontiers : ,lors, par exemple, que vous ne rechercherez point l'or, les pierres précieuses et la magnificence des habits; et qu'au lieu de cela vous vous ferez un trésor de modestie, de tempérance, de douceur et de bonté : lors donc que vous vous présenterez à votre époux ornée de ces vertus, vous serez en droit de les exiger de même de, lui. Car si une femme doit faire quelque chose pour plaire à son mari , c'est son âme qu'elle doit parer, et son corps qu'elle ne ferait ainsi que défigurer. En effet, l'or et les parures ne volts rendront pas si aimable à votre mari, que la tempérance et la douceur, et. d'être prête à donner votre vie pour lui. Voilà ce qui gagne le coeur et toute l'affection d'un époux. Les ajustements superflus lui déplaisent : ils demandent des soins, ils causent de la dépense et de la gêne; mais ce que je viens de dire attache le mari à sa femme, parce qu'une volonté droite et bien disposée, l'amitié, l'attachement ne demandent ni soin, ni dépense; ou plutôt, à proprement parler, c'est là de quoi enrichir une maison. Les parures, on s'en dégoûte par l'habitude : mais les ornements de l'âme répandent tous les jours un nouvel éclat, et allument dans le coeur une flamme plus pure et plus grande.

C'est pourquoi, voulez-vous plaire à votre mari? ornez votre âme de chasteté et de piété, ayez soin du ménage. Ce sont là les choses qui attachent le plus, et qui ne cessent jamais

1. " Jésus a fait et enseigné " . Voilà l'abrégé de tout l'Evangile : il fait faire avant d'enseigner. Il faut que les oeuvres ne démentent pas les paroles.

d'attacher : la vieillesse ne détruit pas cet ornement, la maladie ne le ternit point. C'est le contraire pour la beauté du corps : le grand âge la flétrit, la maladie la consume, et bien d'autres choses la ruinent. Mais les biens de l'âme surpassent tous ceux du corps. La beauté du corps excite l'envie et la jalousie : la beauté de l'âme n'est sujette à aucune maladie, ni à la vaine gloire. En vous attachant de la sorte à parer votre âme, et non votre corps, vous conduirez plus aisément votre ménage, et vos revenus seront plus abondants, si l'or ;dont vous pourriez charger votre corps et vos membres, vous l'employez à des usages nécessaires, comme à la nourriture de vos esclaves et de vos domestiques, à donner à vos enfants l'éducation que vous leur devez, et à d'autres choses raisonnables.

Que si vous étalez cet or aux yeux de votre mari, tandis que son coeur est dans la peine, quel fruit, quel avantage en retirerez-vous? Non, la douleur ne permet pas que les regards soient charmés. Vous le savez, mon cher auditeur, sûrement vous le savez : qu'on vienne à rencontrer la femme la mieux ajustée et la plus parée, on n'y saurait trouver du plaisir, si le coeur est dans l'affliction et dans la tristesse. Pour se réjouir d'une chose, il faut être gai, il faut avoir le coeur content. Or, si tout l'argent est dépensé à parer le corps de la femme, la gêne régnera dans le ménage, et le mari ne pourra goûter ni joie, ni plaisir. Si vous voulez plaire au vôtre, étudiez-vous à lui donner de la satisfaction, et vous lui en donnerez si vous retranchez la superfluité des parures, si vous rejetez tous les vains ajustements. Ces choses semblent faire quelque plaisir les premiers jours des noces; niais peu de temps après elles deviennent fades et insipides. Et en effet, si le ciel qui est si beau, si le soleil qui est si brillant, que vous n'oseriez lui comparer aucun corps, nous ne les admirons pas autant que nous le devrions par la coutume où nous sommes de les voir, comment pourrions-nous longtemps admirer un corps paré de beaux vêtements? Je dis ceci, parce que 1e désire que vous vous pariez de ces vrais ornements que saint Paul vous prescrit : " Non avec des ornements d'or ", dit-il, " ni des perles, ni des habits somptueux; mais avec de bonnes oeuvres, comme le doivent des femmes qui font profession de piété ". (1 Tim. II, 9, 10.)

408

Mais vous voulez plaire aux hommes, et vous attirer leurs regards et leurs compliments? Ah ! certes, ce n'est point là le désir d'une femme chaste ! mais encore, si vous voulez, vous vous en ferez aimer par là, et ils seront les panégyristes de votre chasteté. Nul homme sensé, nul homme qui sait sainement juger des choses, n'aimera et ne louera une femme éprise de la parure, mais seulement les débauchés et ceux qui vivent dans la mollesse : ou plutôt ceux-ci même ne la loueront point; au contraire, ils médiront d'elles, tandis que leurs regards céderont à l'attrait du faste impudique étalé sur sa personne. Mais la femme

chaste et modeste, ceux-là, ceux-ci, tous l'estimeront et la loueront, parce qu'elle ne leur est point un sujet de chute et de scandale, et qu'elle leur donne, au contraire, une leçon de sagesse et de piété : les hommes en feront tous de grands éloges, et Dieu lui donnera une grande récompense. Etudions-nous à parer nos âmes de ces précieux ornements, afin que nous vivions ici en paix et en liberté, et que nous acquérions un jour les biens futurs, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE LXII.
IL Y AVAIT UN HOMME MALADE, NOMMÉ LAZARE, QUI ÉTAIT DU BOURG DE BÉTHANIE, OU DEMEURAIT MARIE, ET MARTHE, SA SOEUR. — CETTE MARIE ÉTAIT CELLE QUI RÉPANDIT SUR LE SEIGNEUR UNE HUILE DE PARFUM. (CHAP. XI, VERS. 1, 2, JUSQU'AU VERS. 29.)
ANALYSE.

1. Difficulté proposée sur Marie, sueur de Lazare. — Jésus-Christ déclare une fois de plus que sa gloire est la même que celle de son Père.

2. C'est la crainte qui fit dire à saint Thomas cette parole : Allons aussi mourir avec lui. — Jésus se rend à Béthanie pour ressusciter Lazare.

3. Je suis la résurrection et la vie. — Jésus-Christ a attendu que Lazare sentît mauvais pour le ressusciter, pourquoi ?

4 et 5. Immodestie des femmes dans le deuil et dans la calamité. — Scandale qu'elles donnent aux païens. — Tort qu'elles font à la religion par leurs excès. — Discours des païens : beaux exemples de philosophie et de modération qu'ils ont donnés. — On fait par respect humain ce qu'on ne ferait point par la crainte de Dieu. — L'affliction qu'on a pour les morts doit être modérée : pleurer plutôt sur soi que sur les morts. — Les pleurs ne sont pas défendus. — Aumônes, oblations, prières pour les morts. — Comment on doit les honorer. — Maux que produisent la tristesse et les pleurs immodérés. — Il est permis de pleurer les morts, mais non avec excès.

1. Plusieurs, quand ils voient des hommes agréables à Dieu, tomber dans quelque affliction, comme la maladie, la pauvreté, ou quelque autre pareil accident, se troublent, ne sachant point que c'est là l'état qui convient le plus aux amis du Seigneur. Lazare était un des amis de Jésus-Christ, et il était malade. Ses soeurs envoyèrent à Jésus, et lui firent dire : " Celui que vous aimez est malade ".

Mais reprenons notre texte plus haut: " Il y avait ", dit l'évangéliste, " un homme malade, nommé Lazare, qui était du bourg de Béthanie ". Ce n'est pas sans sujet qu'il a marqué le lieu d'où était Lazare ; c'est pour une raison qu'il nous découvrira dans la suite. [409] Mais en attendant, expliquons ce qui se présente ici. Il nous a utilement nommé ses sueurs: et de Marie, qui s'est rendue illustre et célèbre par une belle action, il a dit: " Cette Marie était celle qui répandit sur le Seigneur " une huile de parfum ".

Quelques-uns font ici une question : ils demandent pourquoi Jésus-Christ permit que cette femme répandît ce parfum. C'est pourquoi il faut d'abord vous avertir que celle-ci n'est point la femme de mauvaise vie dont parle saint Matthieu, ni celle dont parle saint tue, mais une autre, et une femme vertueuse: celles-là étaient des pécheresses, mais celle-ci est une honnête femme, et une femme attentive et appliquée à ses devoirs: Car elle eut grand soin de bien recevoir Jésus-Christ. L'évangéliste rapporte que ces deux sueurs aimaient aussi Jésus-Christ : et cependant il laissa mourir Lazare. Pourquoi, comme le centenier et l'officier, ne quittèrent-elles pas leur frère malade, pour aller elles-mêmes chercher le Sauveur, au lieu de se borner à lui envoyer quelqu'un? C'est qu'elles avaient en lui une grande confiance, et qu'elles étaient fort liées avec lui. De plus , c'étaient des femmes délicates, de peu de santé, et accablées de leur affliction. Elles firent voir dans la suite que ce n'était point par mépris qu'elles en avaient usé de la sorte. Au reste, il est évident que Marie, soeur de Lazare, n'est point la femme de mauvaise vie dont ailleurs il est fait mention.

Mais, direz-vous, cette femme débauchée; pourquoi Jésus-Christ la reçut-il? Pour la convertir, pour lui remettre ses péchés, pour montrer son humanité, pour vous apprendre qu'il n'est point de maladie due sa bonté ne guérisse, point de péché qui surpasse sa miséricorde. Ne vous arrêtez donc pas seulement à ce que Jésus l'a reçue, mais considérez aussi de quelle manière il l'a convertie. Et pourquoi l'évangéliste raconte-t-il cette histoire, ou plutôt que veut-il nous apprendre par ces paroles : "Or, Jésus aimait Marthe, et sa soeur, et Lazare (5) ? " Il veut que nous ne nous indignions pas , ou que nous ne nous chagrinions pas, lorsque nous voyons des gens de bien et les amis de Dieu tomber dans des maladies. " Celui que vous aimez est malade (3) ". Ils voulaient toucher Jésus-Christ de compassion, le regardant encore comme un homme, ce que la suite de leur discours fait bien voir : " Si vous eussiez été ici, il ne serait pas mort " ; et ils ne dirent pas : Lazare est malade, mais : " Celui que vous aimez est malade ". Que leur répondit donc Jésus-Christ? " Cette maladie ne va point à la mort, mais elle n'est que pour la gloire de Dieu; et afin que le Fils de Dieu en soit glorifié (4) ". Remarquez que Jésus-Christ déclare encore que sa gloire est la même que celle du Père ; car ayant dit : " La gloire de Dieu ", il a ajouté : " Afin que le Fils de Dieu en soit glorifié ".

" Cette maladie ne va point à la mort ". Comme il devait demeurer encore deux jours au lieu où il était, il renvoya ceux qu'on lui avait envoyés pour porter cette réponse aux deux sueurs. Sur quoi il y a lieu de s'étonner qu'elles ne se soient point offensées, ni scandalisées de voir mourir leur frère, après que Jésus avait répondu que sa maladie n'allait point à la mort : de voir arriver le contraire de et qu'avait dit l'auteur de la vie. Mais, sans se troubler, elles allèrent au-devant de Jésus, et ne crurent pas qu'il leur eût fait dire une chose fausse. Au reste, cette particule : " Afin que ", ne marque point la cause de la maladie, mais l'effet qu'elle devait produire : elle avait une autre origine, mais Jésus-Christ s'en servit pour la gloire de Dieu.

"Et ayant dit ces choses, il demeura encore deux jours au lieu où il était (6) ". Pourquoi y demeura-t-il? Afin que Lazare mourût et fût enseveli, et qu'on ne dît pas : Lazare n'était point encore mort, lorsque Jésus l'a ressuscité : il était seulement assoupi, ou il était tombé en défaillance : il n'était pas mort. Jésus demeura donc assez longtemps pour que, le corps de Lazare s'étant corrompu, ils eussent lieu de dire : " Il sent déjà mauvais (7) ". Et il dit ensuite à ses disciples : " Allons en Judée (39) ". Pourquoi le Sauveur, qui n'avait jamais prévenu de ce qu'il allait faire, prévient-il ici ses disciples? C'est parce qu'il les voyait dans une grande consternation : il leur annonce ce qu'il va faire, dupeur que, dans la crainte où ils étaient, ils ne fussent tout troublés de ce départ inattendu.

Mais que répondirent les disciples? " Il n'y a qu'un moment que les Juifs vous voulaient lapider, et vous retournez chez eux (8)?". Ils craignaient effectivement pour leur Maître, mais beaucoup plus pour eux-mêmes, étant encore bien imparfaits. C'est pourquoi, Thomas tout tremblant de peur, dit : " Allons-y [410] aussi, nous, pour mourir avec lui (16) ", car il était plus faible et plus incrédule que les autres apôtres. Mais faites attention à la manière dont Jésus-Christ les fortifie par ces paroles : " N'y a-t-il pas douze heures au jour (9) ? " Il fit cette réponse, ou pour montrer que celui qui ne se sent coupable d'aucun péché, ne doit rien craindre; mais que celui qui a fait le mal, sera puni (de sorte que nous n'avons rien à craindre, nous qui n'avons rien fait qui mérite la mort); ou bien voici ce qu'a voulu dire Jésus-Christ : Celui qui voit la lumière de ce monde est en sûreté: or, s'il est en sûreté, celui qui est avec moi, s'il ne me quitte, pas, l'est beaucoup plus. Il les rassura par ces paroles, et leur fit connaître la raison pour laquelle il fallait faire ce voyage. Et leur ayant ensuite déclaré qu'ils n'iraient point à Jérusalem, Mais à Béthanie, il dit : " Notre ami Lazare dort, mais je m'en vais l'éveiller (11) " ; c'est-à-dire, je ne vais point disputer et combattre une seconde fois avec les Juifs, mais je vais éveiller notre ami. " Ses disciples lui répondirent: Seigneur, s'il dort, il sera guéri (12) ". Ils avaient leur intention en lui faisant cette réponse, c'était de le dissuader d'y aller. Vous dites, répondirent-ils, qu'il, dort? Rien ne vous oblige donc d'aller là. Toutefois Jésus-Christ n'avait dit : " Notre ami ", que pour faire voir la nécessité de ce voyage.

2. Mais comme ils montraient peu de bonne volonté, il leur dit enfin: " Lazare est mort (4) ". Le Sauveur avait donc dit d'abord par modestie, et pour qu'il ne parût ni faste, ni ostentation dans ce qu'il allait faire : " Notre ami Lazare dort ", mais comme ils ne le comprenaient pas, il ajoute : " Lazare est mort, et je me réjouis à cause de vous (15) ". Pourquoi à cause de vous? Parce qu'en étant éloigné, je vous l'ai prédit : ainsi, lorsque je le ressusciterai, vous ne pourrez nullement douter de la vérité du miracle. Le remarquez-vous, mes frères, combien les disciples étaient encore faibles et imparfaits, et comment ils n'avaient pas de la vertu et de la puissance de leur Maître cette juste opinion qu'ils en devaient avoir? Tel est l'effet que produisait en eux la crainte qui avait troublé leur esprit. Jésus, après avoir dit : " Lazare dort ", avait ajouté : " Je m'en vais l'éveiller " ; mais lorsqu'il eut dit : " Lazare est mort ", il n'a point alors ajouté : Je m'en vais le ressusciter, parce qu'il ne voulait pas annoncer d'avance par ses paroles ce qu'il allait opérer, et ce qu'il ne devait faire voir que par l'action même : ainsi le Sauveur nous apprend continuellement qu'il faut fuir la vaine gloire, et ne rien promettre témérairement. Que s'il promit à la prière du centenier, car il dit : " J'irai, et je le guérirai " (Matth. VIII, 7) : il le fit pour montrer la foi de cet homme.

Mais si quelqu'un dit: Pourquoi les disciples pensaient-ils que c'était là un sommeil, pourquoi ne connurent-ils pas que Lazare était mort, lorsque Jésus disait : J'irai, et je le guérirai; en effet, il y avait de la folie de croire que leur Maître ferait quinze stades pour aller éveiller Lazare? je répondrai qu'ils crurent que c'était là une énigme, une parabole, comme bien d'autres choses qu'il disait. Les disciples craignaient donc la violence des Juifs, et Thomas la craignait plus que tous les autres, c'est pourquoi il dit : " Allons aussi mourir avec lui (16) ". Quelques-uns ont dit qu'il avait véritablement souhaité de mourir, mais ils se sont trompés : c'est sûrement la crainte qui faisait parler Thomas de la sorte. Jésus néanmoins ne le reprit pas, car il tolérait encore sa faiblesse. D'ailleurs, Thomas devint dans la suite invincible et le plus fort des apôtres. Et, ce qui est digne d'admiration, cet homme, que nous avons vu si faible avant la croix, avant la mort et la résurrection de son Maître, nous le voyons, après, le plus ardent de tous : tant est grande la vertu de Jésus-Christ ! Car celui-là même qui n'osait pas aller à Béthanie avec son Maître, a parcouru dans la suite presque tout le monde, quoique Jésus-Christ ne fût point présent, et a demeuré parmi des peuples barbares et sanguinaires, qui n'en voulaient qu'à sa vie.

Mais si Béthanie n'était éloignée que de quinze stades, qui font deux milles , comment, lorsque Jésus y arriva, y avait-il déjà quatre jours que Lazare était mort? L'envoyé l'était venu avertir la veille du jour même que Lazare mourut; mais le Sauveur demeura deux jours où il était : ainsi il n'arriva à Béthanie que le quatrième jour. S'il attendit qu'on vînt l'appeler, et ne partit point qu'on ne le fût venu chercher, ce fut de peur qu'il ne s'élevât quelque soupçon sur le miracle. Et celles qui étaient aimées ne vinrent point elles-mêmes, mais se contentèrent d'envoyer.

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" Et comme Béthanie n'était éloignée de Jérusalem que d'environ quinze stades (18) ", cela marque que plusieurs personnes de Jérusalem devaient être venues à Béthanie ; et, en effet, l'évangéliste ajoute incontinent que quantité de Juifs étaient venus voir Marthe et Marie pour les consoler (19). Comment les Juifs allèrent-ils consoler celles que Jésus-Christ aimait, ayant résolu ensemble que quiconque reconnaîtrait Jésus pour être le Christ , serait chassé de la synagogue? Ils furent visiter Marthe et Marie, ou à cause de leur grande affliction , ou parce qu'ils les honoraient comme des personnes respectables pour leur qualité, ou peut-être ce sont ici ces Juifs qui n'étaient pas méchants ; car plusieurs d'entre eux crurent en Jésus-Christ. Au reste, l'évangéliste rapporte ces choses pour confirmer la mort de Lazare. Pourquoi enfin Marthe fut-elle seule au-devant de Jésus-Christ, sans se faire accompagner de sa soeur? Elle voulut voir Jésus en particulier et apprendre ensuite à sa soeur ce qu'il aurait dit. Mais aussitôt que le Sauveur lui eût donné une bonne espérance, elle fut prendre Marie, qui accourut promptement, malgré l'affliction où elle était.

Remarquez-vous la grandeur de son amour? C'est d'elle que Jésus a dit : " Marie a choisi " la meilleure part qui ne lui sera point ôtée ". (Luc, X, 42.) Comment donc, direz-vous, Marthe paraît-elle maintenant avoir plus d'empressement et d'ardeur? Ce n'est pas pour cela que Marthe eut plus d'ardeur, mais c'est que marie n'avait point appris l'arrivée de Jésus. Marthe était ta plus faible, puisqu'ayant ouï tout ce que le Sauveur lui avait dit de consolant sur la mort de son frère, elle répond pourtant encore : " Il sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est là ". Mais Marie, quoiqu'elle n'eût point encore appris ce que Jésus avait répondu à sa soeur, ne dit rien de semblable, mais elle crut aussitôt, et dit : " Seigneur, si vous eussiez été ici , mon frère e ne serait pas mort ".

3. Considérez quelle sagesse font paraître ces femmes, malgré la,faiblesse d'esprit naturelle à leur sexe. A la vue de Jésus-Christ, elles ne se répandent pas aussitôt en pleurs, en cris, en gémissements, comme nous avons coutume de faire, lorsqu'étant dans le deuil et dans l'affliction , nous voyons arriver quelqu'un de notre connaissance : celles-ci, au contraire, aussitôt qu'elles voient leur Maître, elles lui rendent hommage. Véritablement, elles croyaient toutes les deux en Jésus-Christ, mais non comme il fallait y croire. Car elles ne le connaissaient pas encore parfaitement ; elles ne le connaissaient pas comme Dieu; elles ne savaient pas qu'il agissait par sa propre puissance et par son autorité : le Sauveur leur apprit l'une et l'autre chose. Qu'elles ignoraient que Jésus était Dieu, et qu'il agissait par son autorité et sa propre puissance; ces paroles : " Dieu vous accordera tout ce que vous lui demanderez (22) " , qu'elles ajoutent à celles-ci : " Si vous eussiez été ici, notre frère ne serait pas mort ", le font manifestement voir. Elles lui parlent comme d'un homme d'une grande vertu, comme d'un homme illustre et célèbre.

Mais voyez ce que leur répond Jésus-Christ " Votre frère ressuscitera (23) "; par là il réfute, il rejette ces paroles: " Tout ce que vous demanderez ". Il n'a point dit : Je demanderai, mais quoi? " Votre frère ressuscitera ". S'il eût dit : O femme ! regardez-vous encore la terre? Je n'ai nullement besoin d'un secours étranger, je fais tout par moi-même, ces paroles auraient fait de la peine à cette femme , elles l'auraient offensée. Mais en disant: " Votre frère ressuscitera", le Sauveur tient un milieu , et par les paroles qui suivent il a insinué ce que je viens de dire. Marthe ayant dit : " Je sais qu'il ressuscitera en la résurrection " qui se fera " au dernier jour (24) ", Jésus-Christ lui découvre plus clairement son pouvoir par sa réponse : " Je " suis la résurrection et la vie (25) " ; lui montrant qu'il n'a nullement besoin du secours d'autrui, puisqu'il est lui-même la vie. S'il avait besoin de l'assistance d'un autre, comment serait-il lui-même la résurrection et la vie? A la vérité, il ne l'a pas si clairement expliqué, mais néanmoins il en a assez dit pour le faire entendre. Et encore, Marthe avant répondu : " Tout ce que vous demanderez ", etc. Jésus lui explique : " Celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra " faisant connaître que c'est lui qui distribue tous les biens, et que c'est à lui qu'il faut s'adresser pour les obtenir.

" Et quiconque vit et croit en moi, ne mourra point à jamais (26) ". Considérez de quelle manière le Sauveur élève l'esprit de Marthe; car son oeuvre n'était pas limitée à la seule résurrection de Lazare. Il fallait aussi

412

que cette femme et ceux qui se trouvaient là présents avec elle connussent ce mystère c'est pour cela qu'avant de ressusciter Lazare il fait un discours. Que si Jésus-Christ est la résurrection et la vie, sa puissance n'est point circonscrite dans un lieu : partout et en quelque endroit qu'il soit, il peut ressusciter, il peut donner la vie. Encore, si ces femmes avaient dit, comme le centenier : "Dites une parole, et mon serviteur sera guéri " (Matth. VIII, 8); sans doute le Sauveur aurait aussitôt ressuscité leur frère. Mais comme elles l'avaient envoyé chercher et prié de venir, il vint en effet, mais pour les tirer de la basse opinion qu'elles avaient de lui : et il se rendit au lieu où on avait mis Lazare ; mais en même temps qu'il condescend à leur faiblesse, il fait voir qu'il peut guérir et ressusciter, quoique absent et très-éloigné; voilà pourquoi il diffère, il retarde l'exécution du miracle. Une grâce obtenue sur-le-champ fût demeurée ensevelie dans le silence : il fallait que la corruption du cadavre fît des progrès.

Mais cette femme, d'où pouvait-elle savoir que Jésus ressusciterait son frère? Elle lui avait ouï dire bien des choses sur la résurrection ; mais c'est depuis peu qu'elle désirait en voir l'effet. Remarquez-le, elle a encore des sentiments bien bas et bien terrestres. Jésus lui ayant dit : " Je suis la résurrection et la vie ", elle ne répondit pas : Ressuscitez mon frère; mais que répond-elle? " Je crois que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu ". Que lui réplique donc Jésus-Christ? " Quiconque croit en moi, quand il serait mort, vivra" c'est-à-dire, s'il est mort de la mort du corps. " Et quiconque vit et croit en moi, ne mourra point (26) " ; savoir, de la mort de l'âme. Puis donc que je suis la résurrection, si votre frère est maintenant mort, n'en soyez point inquiète, ne vous troublez point, mais croyez " en moi ". Car la mort du corps n'est point une mort. Par ces discours le Sauveur console Marthe de la mort de son frère : il lui donne aussi une bonne espérance, et en lui promettant que son frère ressuscitera, et en disant hautement : " Je suis la résurrection ", et encore, en assurant que si, après être ressuscité, il meurt une seconde fois, il n'en souffrira aucun dommage. C'est pourquoi la mort d'ici-bas n'est point à craindre; en d'autres termes, votre frère n'est point mort, et vous aussi vous ne mourrez point : " Croyez-vous cela? Elle répondit : je crois que vous êtes le Christ, " le Fils de Dieu, qui êtes venu en ce monde ". Il paraît bien que cette femme n'a pas compris ce que lui disait Jésus-Christ. A la vérité, elle sentit que c'était quelque chose de grand, mais elle ne comprit pas tout : c'est pour cela qu'interrogée sur une chose, elle répond sur une autre : mais cependant elle eut cet avantage, que son affliction se dissipa entièrement. Telle est en effet la vertu de la parole de Jésus-Christ. Ainsi l'une dés sueurs avait pris les devants, l'autre la suivit. L'amour dont elles étaient animées pour leur Maître ne leur permettait pas de ressentir vivement leur infortune : l'influence de la grâce communiquait la sagesse au coeur même de ces femmes.

4. Mais aujourd'hui, entre autres défauts, les femmes sont possédées d'étranges maladies dans le deuil et dans les calamités elles font une vaine montre de leur affliction, elles découvrent leurs bras, elles s'arrachent les cheveux, elles se déchirent les joues; les unes par douleur, les autres par ostentation : d'autres découvrent leurs bras par impudicité en présence des hommes. O femme, que faites-vous? Vous vous dépouillez honteusement au milieu de la place publique, vous qui êtes un membre de Jésus-Christ; sur la place publique, dis-je, et devant des hommes? Vous arrachez vos cheveux, vous déchirez vos vêtements, vous jetez de grands cris, vous imitez les danses des Ménades (1), et vous ne croyez pas offenser Dieu? Quelle extravagance et quelle folie ! Les païens n'en riront-ils pas? Ne diront-ils pas que notre religion, que notre doctrine n'est qu'un conte et qu'une fable? Oui, sans doute; ils diront : il n'y a point de résurrection; mais les dogmes chrétiens sont ridicules, ils ne sont que mensonges et qu'illusions. Car parmi eux les femmes, comme s'il ne restait plus rien après cette vie, ne font nulle attention à leurs Ecritures : leurs Ecritures et tout ce qu'ils enseignent ne sont que de pures fictions, comme le prouve la conduite de ces femmes. En effet, si elles croyaient que celui qui est mort, n'est point véritablement mort, mais qu'il est passé à une meilleure vie, elles ne pleureraient pas comme s'il n'était plus; elles ne s'affligeraient point tant, elles ne prononceraient pas de ces sortes de paroles, qui

1. Ménade, bacchante, femme en fureur qui, chez les païens, célébrait les fêtes de Bacchus. On appelle aussi Ménade, une femme emportée et furieuse, qui ne garde aucune mesure, etc.

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sont une visible démonstration de leur incrédulité : je ne te verrai plus, je ne te retrouverai plus. Tout n'est que fables et illusions parmi les chrétiens. Que si la résurrection, qui est le fondement et le gage de tous les biens qu'ils espèrent, n'obtient nulle créance parmi eux, à bien plus forte raison ne croiront-ils point à leurs autres dogmes?

Non, les gentils ne sont pas si faibles, ni si lâches : plusieurs d'entre eux ont donné des preuves de sagesse. Une femme païenne, apprenant que son fils était mort au combat, fit aussitôt cette demande : En quel état est notre patrie, où en sont nos affaires? Un de leurs philosophes, qui avait sur la tête une couronne de fleurs, reçoit la nouvelle qu'un de ses fils était mort pour la patrie; alors il ôte sa couronne, il demande lequel (car il en avait deux); l'ayant appris, il la remet sur-le-champ. Beaucoup de païens ont donné leurs fils et leurs filles pour être offerts en sacrifices à leurs dieux. Les femmes de Sparte exhortaient ainsi leurs enfants : Ou rapportez vos boucliers du combat, ou qu'on vous rapporte morts sur vos boucliers. Certes, j'ai honte de voir les gentils philosopher si bien et montrer tant de sagesse, tandis que nous nous conduisons si honteusement. Ceux qui n'ont aucune idée de la résurrection, se conduisent comme s'ils en avaient une vraie connaissance ; et nous qui en sommes parfaitement instruits, nous vivons comme si nous n'en avions point entendu parler. Plusieurs font, par respect humain, ce qu'ils ne feraient pas pour Dieu même. Car les femmes qui sont au-dessus des autres par leurs richesses, n'arrachent point leurs cheveux, elles ne découvrent pas leurs bras, et en cela même elles sont très-blâmables, non de ne pas découvrir leurs bras, mais de ne le faire que par crainte de se déshonorer et non par esprit de piété. Le respect humain les retient, les empêche de se livrer à leur affliction, et la crainte de Dieu n'est point capable d'arrêter leurs larmes et de réprimer leurs douleurs? Une pareille conduite n'est-elle pas des plus condamnables?

Il faudrait donc que ce que font les femmes riches, parce qu'elles sont riches, les femmes pauvres le fissent de même par la crainte de Dieu. Aujourd'hui tout est renversé, on fait tout le contraire de ce qu'on devrait : celles-là sont retenues par vaine gloire; celles-ci par faiblesse manquent à la pudeur. Fatale absurdité ! Nous faisons tout pour les hommes, tout pour la terre, mais ce n'est rien encore : on tient des discours ridicules, insensés. A la vérité, le Seigneur dit : " Bienheureux ceux qui pleurent " (Matth. V, 5), mais il parle de ceux qui pleurent leurs péchés, et la douleur du péché ne fait pleurer personne; nul ne se met en peine de la perte de son âme. Il ne nous est pas commandé de pleurer ceux qui sont morts, et nous les pleurons.

Quoi donc ! direz-vous, il ne sera pas permis de pleurer la mort d'un homme? Ce n'est point là ce que je défends: je blâme ces coups, ces meurtrissures, ces pleurs excessifs et immodérés. Je ne suis ni dur ni inhumain; je sais la faiblesse de la nature, et les regrets que laisse après elle une longue intimité. Nous ne saurions nous empêcher de pleurer; Jésus-Christ lui-même l'a fait voir, il a pleuré Lazare. Faites de même; pleurez, mais doucement, mais modestement, mais avec la crainte de Dieu. Si vous pleurez de cette sorte, vous ne pleurez pas comme ne croyant point à la résurrection, mais comme ne pouvant supporter la séparation.

5. En effet, ceux qui vont faire un long voyage, nous les accompagnons de nos larmes, mais nous ne pleurons pas comme si nous désespérions de les revoir. Vous de même répandez des larmes sur ce mort, comme si vous l'envoyiez faire un voyage devant vous (1). Ce n'est point un commandement que je vous fais, je ne parle ainsi que pour m'accommoder à votre faiblesse. Si celui qui est mort était un pécheur, s'il a souvent offensé Dieu, sûrement il faut le pleurer, ou plutôt nous ne devons pas seulement pleurer sur lui, ce qui ne lui sert de rien, mais nous devons faire ce qui lui peut être utile et le secourir: par exemple, des aumônes, des oblations, et encore se féliciter de ce qu'il n'aura plus l'occasion de pécher ; mais si c'était un juste, il faut s'en réjouir, parce qu'il est arrivé au port; qu'il n'a plus rien à craindre, ni nul risque à courir. S'il est jeune, il faut encore se réjouir de le voir si promptement délivré des maux et des calamités de cette vie; s'il est vieux, c'est pour nous un sujet de joie et de consolation, qu'il ait si longtemps joui de ce qu'on regarde comme un bien très-désirable (2). Mais pour

1. Ceux qui meurent, dit Grégoire de Nazianze, ne font que prendre les devants. (Orat. XIX.)

2 C.-à-d. de cette vie présente.

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vous, vous passez sur toutes ces considérations; vous appelez vos servantes, vous les excitez à pleurer, comme pour honorer davantage le mort, et c'est là une honte et une extrême infamie. L'honneur que vous lui devez rendre ne consiste pas à verser des larmes, à pousser des gémissements et des cris, mais à chanter des hymnes et des }psaumes; mais à mener vous-mêmes une vie très-pure et très-sainte. Le juste qui est sorti de ce monde, encore que personne n'assiste à ses funérailles, demeurera avec les anges; mais le pécheur qui est mort dans son péché, eût-il toute la ville à son convoi , n'en tirera aucun profit.

Voulez-vous honorer les morts? faites tout autrement que vous n'avez accoutumé de faire; répandez des aumônes, faites de bonnes oeuvres, des oblations, offrez le saint sacrifice de nos autels (1). A quoi bon tant de pleurs? J'ai appris encore une chose bien triste : c'est que par ces torrents de larmes beaucoup de femmes cherchent à s'attirer des amants, comptant sur ce grand deuil et la violente douleur qu'elles font éclater pour se procurer la réputation d'aimer passionnément leurs maris. O invention diabolique ! O artifice de Satan ! Jusques à quand serons-nous terre et cendre, et jusques à quand serons-nous chair et sang? Levons les yeux au ciel, ayons des sentiments spirituels. Quels reproches, quelles remontrances ferons-nous encore aux gentils ? Comment oserons-nous leur enseigner la résurrection, leur parler des vertus chrétiennes? Y a-t-il de la sûreté dans une vie si dérangée Ignorez-vous que la tristesse cause la mort? La douleur aveuglant l'esprit, non-seulement ne permet pas de voir les choses comme il faut, mais elle produit de grands maux. Par

1. C.-à-d. par les mains des ministres de l'Eglise.

ces excès, nous offensons Dieu et nous ne faisons aucun bien ni aux morts ni à nous-mêmes; mais, par la modération, nous nous rendons agréables à Dieu, et les hommes nous comblent de louanges. bi nous ne nous laissons point abattre par la douleur, nous sommes promptement délivrés de-ce qui nous en reste par le Seigneur. Mais si nous nous y abandonnons, il nous laisse en quelque sorte en son pouvoir. Si nous rendons grâces au Seigneur, nous ne perdrons point courage.

Et comment, direz-vous, celui qui a perdu son fils, ou sa fille, ou sa femme, peut-il s'empêcher de pleurer? Je ne dis point qu'il ne faut pas pleurer, mais je dis qu'il ne faut pas pleurer avec excès. En effet , si nous pensons que c'est Dieu qui a pris celui que nous avons perdu, et que notre mari, notre fils, était né mortel, nous nous consolerons bientôt. Que ceux-là donc s'affligent, qui désirent une chose qui est au-dessus de la nature. L'homme est né pour mourir, pourquoi vous affliger de ce qui arrive par l'ordre de la nature ? Vous plaignez-vous de manger pour vous conserver !a vie? Voulez-vous vivre sans manger? Faites de même à l'égard de la mort : vous êtes né mortel (Héb. IX, 27), ne demandez point à être immortel ici-bas. Il est arrêté que les hommes meurent une fois. Ainsi donc ne vous attristez point, ne vous tourmentez point, mais souffrez une loi qui est fixe et invariable pour tous les hommes. Pleurons nos péchés, voilà un deuil salutaire, voilà un acte de vraie philosophie. Ne cessons donc jamais de les pleurera afin qu'en l'autre vie nous puissions jouir de la joie et du repos éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

 

HOMÉLIE LXIII.
CAR JÉSUS N'ÉTAIT PAS ENCORE ENTRÉ DANS LE BOURG : MAIS IL ÉTAIT AU MÊME LIEU OU MARTHE L'AVAIT RENCONTRÉ. — CEPENDANT LES JUIFS QUI ÉTAIENT AVEC MARIE, ET LE RESTE. VERS. 30, 31, JUSQU'AU VERS. 40.)
ANALYSE.

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1. Arrivée de Jésus-Christ à Béthanie. — Ferveur de Marie. — Jésus pleure sur Lazare.

2. Jésus devant la tombe ouverte et le cadavre déjà corrompu de Lazare.

3 et 4. La foi est un grand bien et la source de beaucoup de biens. — Preuve incontestable de la résurrection de Jésus-Christ. — Après sa mort, ses disciples ont fait en son nom de plus grands miracles que lui : Jésus ressuscité ne s'est pas fait voir à tous, pourquoi. — Quelle est la foi qui est un grand bien ? — S'y attacher : en suivre les lumières. — Les philosophes n'ont rien pu comprendre, rien connaître, rien persuader. — De simples pécheurs ont tout compris, tout persuadé, pourquoi. — Les apôtres beaucoup au-dessus des philosophes. — Erreurs particulières des Anoméens. — La chasteté appelée sainteté. —Contre les adultères : ils seront exclus du royaume de Dieu, ils tomberont dans l'enfer. — Crime de l'adultère : il se fait plus de tort qu'il n'en fait à sa femme. — Le mari fidèle ne perd point la sainteté pour demeurer avec la femme infidèle : il la perd, s'il se joint à la femme prostituée. — L'adultère, qui cherche à commettre son crime, vit aussi misérablement que ces malheureux qui sont condamnés au supplice.

1. La philosophie est un grand bien. Je parle de la nôtre, car, pour les doctrines des gentils, ce ne sont que des paroles et des fables, et encore des fables qui n'ont rien de philosophique. En effet, parmi eux tout se fait par gloire et par vanité. La philosophie est donc un grand bien, puisque dans cette vie même elle nous récompense. Par exemple, celui qui méprise les richesses, sent déjà, dès à présent, toute l'utilité de ce mépris, il est exempt de tous soins superflus et inutiles. Celui qui foule aux pieds la gloire, reçoit dès ici-bas sa récompense, puisqu'il n'est esclave de personne; puisqu'il jouit de la véritable liberté. Celui qui désire les biens du ciel, reçoit en ce monde sa récompense, puisqu'il ne fait aucun cas des choses présentes, et que facilement il surmonte toutes les peines et les afflictions de cette vie.

Voici donc une femme philosophe qui a reçu ici la récompense de sa philosophie. Elle est plongée dans sa douleur, elle est trempée de ses larmes et environnée d'un grand monde qui était venu la consoler, et elle n'attend pas que le Maître arrive chez elle, elle n'a point d'égard à sa dignité; le deuil, une violente affliction ne sont point capables de la retenir. Et toutefois c'est une des faiblesses des femmes qui pleurent de se faire un point d'honneur de leur deuil devant ceux qui les voient pleurer. Il en est tout autrement de Marie; elle n'a pas plus tôt appris l'arrivée du Maître, qu'elle court au-devant de lui. Or Jésus n'était pas encore entré dans le bourg, car il marchait lentement, afin qu'on ne crût pas qu'il s'empressait d'aller faire le miracle, et qu'on sût qu'il n'était venu que parce qu'on l'en avait prié. Et c'est là ce que veut insinuer l'évangéliste, quand il dit que Marie se leva aussitôt, ou bien il veut nous apprendre qu'elle accourut ainsi pour prévenir l'arrivée du Maître et ne lui pas donner la peine de venir chez elle. Au reste, elle ne vint pas seule, mais accompagnée des Juifs qui étaient dans sa maison. Marthe fit donc preuve d'une grande prudence en appelant tout bas sa sueur, pour ne pas troubler la compagnie, et en s'abstenant de dire pourquoi elle l'appelait, car si les Juifs l'avaient su, plusieurs d'entre eux se seraient retirés. Mais, croyant qu'elle allait au sépulcre [416] pour pleurer, ils la suivirent tous, et peut-être même cela servit à confirmer la mort de Lazare.

" Et elle se jeta à ses pieds (32) ". Marie était plus fervente que sa sueur; elle ne craignit pas cette foule de peuple qui l'accompagnait, ni le soupçon qu'avaient formé les Juifs sur le pouvoir de Jésus, car plusieurs de ses ennemis disaient : " Ne pouvait-il pas empêcher qu'il ne mourût, lui qui a ouvert les yeux à un aveugle-né ? " Mais le Maître est présent, c'en est assez pour chasser tous les raisonnements humains : elle n'est attentive qu'à l'honorer et à lui donner publiquement des marques de son amour. Et que dit-elle ? " Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort ". Que répond Jésus-Christ? Il ne lui parle point encore, il ne lui dit même pas ce qu'il avait dit à sa sueur, car il y avait là un grand peuple, et ce n'était point le temps de parler de ces choses. Mais il s'accommode au temps et aux personnes, il s'abaisse, et faisant connaître qu'il a une nature humaine , il pleure un peu, et cependant il diffère d'opérer le miracle. Comme le miracle qu'il fallait faire était grand, et tel que rarement il en avait fait de semblables; comme aussi en le voyant plusieurs allaient croire en lui, de peur que s'il l'eût fait en l'absence du peuple, on n'y crût point, et qu'on n'en retirât aucun profit, le divin Sauveur attire beaucoup de témoins, se proportionnant en cela à la faiblesse de notre nature, pour ne pas perdre cette proie. Et il montre ce qu'il a d'humain, il pleure, il se trouble; en effet, l'affection humaine a coutume d'exciter des larmes. Ensuite, Jésus sentant son âme s'attendrir et les larmes lui venir aux yeux, car ces mots : " Il frémit en son esprit ", marquent ces mouvements intérieurs, il les retint et calma le trouble qui paraissait au dehors, et alors il dit : " Où l'avez-vous mis (34) ? " pour ne pas faire cette demande en pleurant. Mais pourquoi demande-t-il? Parce qu'il ne voulait pas aller au devant de leurs sollicitations, mais au contraire les attendre et les écouter, afin qu'ensuite le miracle fût exempt de tout soupçon. " Ils lui répondirent: Seigneur, venez et voyez. Alors Jésus pleura (35) ".

Remarquez-vous, mes frères, que Jésus n'a encore donné aucun signe de la résurrection qu'il voulait faire, et qu'il semble aller au tombeau, non pour, ressusciter Lazare, mais pour le pleurer? Les Juifs nous le font eux-mêmes connaître par ce qu'ils disent : " Voyez comme il l'aimait (36) ; mais il y en eut " aussi " quelques-uns qui dirent : Ne pouvait-il pas empêcher qu'il ne mourût, lui qui a ouvert les yeux à un aveugle-né (37)?" Ces Juifs étaient dans le deuil et dans l'affliction, et ils n'avaient point encore réprimé la malice de leur coeur ! Mais, ô Juifs, Jésus-Christ va faire une oeuvre beaucoup plus merveilleuse, car il est bien plus grand et plus admirable de rappeler un mort a la vie, que d'empêcher un homme vivant de mourir et de chasser la mort qui le presse. Ce qui devait donc leur faire admirer sa vertu et sa puissance, est cause qu'ils le calomnient. Mais néanmoins ils. confessent que Jésus-Christ a ouvert les yeux à un aveugle : et au lieu de l'admirer pour ce prodige, ils s'en servent, au contraire, pour lui reprocher de n'avoir pas fait encore cet autre miracle. Ce n'est point seulement en cela que se manifeste leur perversité et la corruption de leur coeur ; c'est encore en ceci qu'avant même que Jésus fût arrivé, et avant qu'il eût rien fait, sans attendre l'événement, sans savoir ce qu'il fera, ils lui adressent des reproches. Ne voyez-vous pas quelle était leur prévention?

2. Jésus vint donc au sépulcre, et de nouveau il réprime son attendrissement. Pourquoi et dans quel dessein l'évangéliste répète-t-il expressément plusieurs fois que Jésus avait pleuré, et qu'il avait frémi? C'est pour nous apprendre qu'il s'était véritablement revêtu de notre nature. Comme saint Jean avait beaucoup plus parlé de Jésus-Christ, et en avait dit de plus grandes choses que tous les autres évangélistes, il a fait plusieurs fois remarquer en lui les faiblesses humaines, les infirmités de la nature corporelle. Saint Jean, dans l'histoire de la passion, n'entre pas dans les mêmes détails que les autres évangélistes : il ne dit pas que Jésus fut triste, qu'il tomba en agonie, mais il rapporte, au contraire, qu'il renversa par terre ceux qui étaient venus pour le prendre : ce qu'il a donc omis en cet endroit, il le supplée ici, en racontant qu'il pleura, qu'il se troubla, qu'il frémit. En effet, lorsque saint Jean parle de la mort de Jésus-Christ, il se sert de, ces termes : " J'ai le pouvoir de quitter la vie " (Jean, X, 13); rien ici qui se ressente de la faiblesse de notre nature. Mais les autres évangélistes, voulant prouver et faire connaître la vérité de l'incarnation, se sont particulièrement attachés à rapporter tout ce qu'il y a eu d'humain dans la passion du Sauveur : saint Matthieu prouve son incarnation, son humanité par l'agonie, par le trouble, par la sueur : et ici saint Jean, par la tristesse, par les larmes. Si Jésus-Christ n'eût pas été de notre nature, il ne se serait pas senti plusieurs fois ému, troublé, dans la tristesse, dans la douleur.

Mais que répond Jésus aux reproches que lui font les Juifs? Il ne se justifie point sur leur accusation - et qu'était-il besoin de réfuter par des paroles ceux que dans un moment il allait plus sûrement, et avec moins de peine, convaincre de calomnie par ses œuvres ? " Mais il leur dit : Otez la pierre (39) ". Pourquoi, avant d'arriver au tombeau, Jésus n'appela-t-il pas Lazare, et ne lui commanda-t-il pas de se lever et d'en sortir? Ou même, pourquoi ne le ressuscita-t-il pas, lorsque la pierre était encore sur le tombeau? Celui qui, par sa veule parole, pouvait donner à un mort la vie et le mouvement, pouvait bien aussi, à plus forte raison, par cette même parole, ôter la pierre de son tombeau ; celui qui, par sa parole, fit marcher, un homme qui avait les pieds et les mains liés de bandes , pouvait aussi beaucoup plus facilement, par la même vertu, remuer une pierre? Même absent et éloigné il pouvait faire toutes ces choses , pourquoi donc ne les a-t-il lias faites? Il ne les a pas faites, afin de rendre les Juifs témoins du miracle : il ne les a pas faites, de peur qu'ils ne dissent ce qu'ils avaient dit de l'aveugle : " C'est lui, ce n'est pas lui ". Car ces mains liées et leur propre présence auprès du sépulcre, suffisaient pour établir que celui qui ressuscitait était Lazare lui-même.

C'est pourquoi, si les Juifs n'étaient pas venus au sépulcre, ils auraient cru voir ou un fantôme, ou un autre homme, et non Lazare lui-même. Mais maintenant qu'ils sont venus, qu'ils ont eux-mêmes ôté la pierre, que par l'ordre de Jésus ils ont délié les bandes dont Lazare était lié, que ces amis qui l'ont tiré du tombeau, l'ont reconnu à ces bandes, que ses sueurs ont été présentes, qu'une d'elles a dit : " Il sent déjà mauvais, car il y a déjà quatre jours qu'il est là (39) " ; maintenant, dis-je, toutes ces choses sont plus que suffisantes pour les forcer, malgré eux, à rendre témoignage du miracle. Voilà pourquoi Jésus leur commande d'ôter la pierre, par où il leur fait voir qu'il va ressusciter Lazare : voilà aussi pourquoi il demande: " Où l'avez-vous mis? " Il le demande, afin que ceux qui avaient dit : " Venez et voyez " ; et qui avaient conduit Jésus au sépulcre, ne puissent pas dire que c'est un autre qui a été ressuscité : il le demande, afin que la voix et les mains rendent témoignage; la voix, en disant : " Venez et " voyez "; les mains, en ôtant la pierre et en déliant les bandes. Il le demande, afin que la vue et l'ouïe portent aussi leur témoignage celle-ci pour avoir entendu la voix, l'autre pour avoir vu Lazare sortir du tombeau; et encore : l'odorat est un témoin, il a senti la mauvaise odeur : " Il sent déjà mauvais ", a-t-on dit, " car il y a quatre jours qu'il est là ".

J'ai donc eu raison de dire que Marthe n'avait pas compris cette parole de Jésus-Christ " Quand il serait mort, il vivra ". Faites attention à ce qu'elle répond maintenant : elle parle comme s'il était impossible de faire cette résurrection, parce qu'il y a longtemps que le corps, est dans le tombeau. C'était en effet une chose bien surprenante que de ressusciter un cadavre enterré depuis quatre jours et corrompu. Mais observons ici que Jésus, quand il a parlé à ses disciples, a dit : " Afin que le Fils de Dieu soit glorifié ", parlant de lui-même, mais qu'à la femme il dit : " Vous verrez la gloire de Dieu ", parlant du Père. Remarquez-vous, mes frères, que la différence des auditeurs est la cause de cette différence que vous voyez dans le langage? Jésus, adressant la parole à Marthe, liai rappelle ce qu'il lui a dit; comme s'il la reprenait de l'avoir oublié; ou bien, ne voulant pas jeter dans le trouble et dans la frayeur ceux qui étaient présents, il lui dit doucement : " Ne vous ai-je pas dit que, si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu (40) ? "

3. La foi est donc un grand bien : oui, certes, la foi est un grand bien et la source de beaucoup de biens : c'est par elle que les hommes peuvent faire les œuvres de Dieu en son nom. " Si vous avez la foi ", dit Jésus-Christ, " vous direz à cette montagne : Transporte-toi d'ici, et elle se transportera " (Marc, XVII, 19); et encore : " Celui qui croit en moi, fera lui-même les oeuvres que je fais, et en fera encore de plus grandes ". (Jean XIV, 12.) Quelles sont ces plus grandes œuvres ? Celles [418] que les disciples ont faites dans la suite. L'ombre de Pierre a rendu la vie à un mort. Et c'est par là que la puissance de Jésus-Christ éclatait davantage. Car i1 n'était ni si admirable, ni sil étonnant, qu'étant en vie, il fît des miracles, que de voir ses disciples, après sa mort, en faite de plus grands en son nom; c'était là en effet une preuve incontestable de sa résurrection. Si Jésus ressuscité s'était fait voir à vous; on n'aurait pas si bien cru à sa résurrection, on aurait pu dire : c'est un fantôme. Mais celui qui, après sa mort, voyait son nom seul opérer de beaucoup plus grands miracles que lorsqu'il vivait et demeurait parmi l'es hommes, ne pouvait refuser de croire, s'il n'était complètement fou. La foi est donc un grand bien; mais c'est la foi qui part d'un coeur fervent, plein, d'amour et d'ardeur. La foi nous fait philosophes et montre que nous le sommes ; elle nous découvre la bassesse de la nature humaine, et, rejetant tous les vains raisonnements, elle s'élève aux choses du ciel et les, contemple, ou plutôt; ce que la sagesse humaine ne peut comprendre, elle le comprend aisément et le met en pratique. Attachons-nous y donc, à cette foi, et ne confions point notre salut à des raisonnements: Dites-moi, je vous, prie, pourquoi les gentils n'ont rien, pu comprendre? N'étaient-ils pas remplis de toutes les connaissances de la sagesse humaine? Pourquoi n'ont-ils pas pu surpasser des pêcheurs, des faiseurs de tentes, des hommes sans intelligence? N'est-ce pas parce qu'ils s'appuyaient uniquement sur leurs propres lumières, parce qu'ils voulaient tout tirer de leur, faible raison; et, qu'au contraire ceux-ci laissaient tout à là foi, et ne voulaient être, éclairés que de sa lumière? Voilà pourquoi-les . apôtres ont de beaucoup surpassé les Platon, les Pythagore, et tant d'autres rêveurs voilà pourquoi ils ont surpassé les astrologues, les mathématiciens, les géomètres, les arithméticiens et tous les autres savants, de quelque science qu'ils fussent ornés, de toute la distance, qui existe entre des philosophes dignes de ce nom et des hommes privés du sens commun: Remarquez, en effet, que les apôtres ont enseigné que l'âme est immortelle, et que non-seulement ils en ont fait connaître l'immortalité, mais encore qu'ils l'ont persuadée. Mais

1. Que nous sommes philosophes, c'est-à-dire, que nous sommes véritablement chrétiens : Que nous suivons les, principes et les lumières de l'Evangile, de la sagesse, de la droite raison, etc.

les philosophes n'ont pas connu d'abord ce que c'est que l'âme, et après qu'ils en eurent découvert l'existence et l'eurent distinguée, du corps, ils se sont divisés entre eux; les uns disant qu'elle est incorporelle, les autres qu'elle est corporelle, et qu'elle se dissout et périt avec le corps : les philosophes ont dit encore que le ciel est animé, et qu'il est un Dieu ; -mais les pêcheurs ont enseigné que Dieu a créé le ciel, et l'ont persuadé aux hommes.

Au reste, que les gentils donnent, tout su raisonnement, il n'est rien en cela qui nous doive surprendre; maïs que ceux qui paraissent faire profession de la foi, ne soient au fond que des hommes animaux, c'est ce qui est .véritablement digne de nos larmes. Voilà pourquoi ils sont également tombés dans l'erreur; les uns soutiennent, qu'ils connaissent Dieu aussi bien qu'il se connaît lui-même; ce que les païens mêmes n'ont jamais osé dire les autres, que Dieu ne peut engendrer ni produire sans passion; n'attribuant à Dieu rien de plus qu'aux hommes : d'autres enseignent que les bonnes moeurs, qu'une conduite irréprochable, ne servent à rien; mais le temps ne me permet pas de réfuter ces extravagances.

4. Jésus-Christ et saint Paul déclarent, et ont très-grand soin de faire entendre que la foi, quelque sainte et orthodoxe qu'elle soit, n'est d'aucune utilité, si la vie est impure. Jésus-Christ le déclare, par ces paroles : " Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas tous dans le royaume des cieux ". (Matth. 21.) Et encore : "Plusieurs me diront en ce jour-la : Seigneur, Seigneur, n'avons nous pas prophétisé en votre nom ? Et alors je leur dirai hautement : Je ne vous ai jamais connus : Retirez-vous de moi, vous qui, faites des œuvres d’iniquité ". (Ibid. 22, 23.) Car ceux qui ne veillent point sur eux-mêmes, tombent facilement dans le péché, quand bien même ils auraient, une foi pure et saine. Et saint Paul le marque dans son Epître aux Hébreux, par cet avis qu'il leur donne : " Tâchez ", dit-il, " d'avoir la .paix avec tout le monde ", et de vivre dans "la sainteté, sans laquelle, nul ne verra Dieu". (Héb. XII,14.) L'apôtre appelle sainteté la chasteté, voulant que chacun se contente de sa femme, et qu'il n'en aille point chercher d'autre. Celui qui ne se contente pas de sa femme, ne peut se [419] sauver; il se perd, quand bien même il ferait une infinité de bonnes oeuvres, parce qu'il est impossible que le fornicateur entre dans le royaume des cieux; et, que dis-je, le fornicateur t ce n'est plus là une fornication, mais c'est un adultère. Comme la femme qui est liée avec un homme, si elle en connaît un autre, commet un adultère : de même l'homme qui est lié avec une femme, s'il s'approche d'une autre , est adultère. Or, l’adultère ne sera point héritier du royaume des cieux, mais il tombera dans l'enfer. Ecoulez ce que dit Jésus-Christ : " Il tombera là où lever qui les ronge ne meurt point, et où le feu ne s'éteint point ". (Marc, IX, 45.)

En effet, point de pardon pour celui qui, ayant la consolation d'avoir une femme, assouvit sa concupiscence sur une autre; car c’est véritablement là du libertinage. Que si bien des fidèles, afin de se livrer au jeûne et à l'oraison, s'abstiennent de leur femme (I Cor. VII, 5), celui qui, ne se contentant pas de la sienne, en prend une autre, quel feu ne se prépare-t-il pas? S'il n'est point permis à celui qui a renvoyé et répudié sa femme, de s'approcher d'une autre (Matth. V, 32) " (car c'est là un adultère) ", quel crime me commet pas celui qui, gardant sa femme, en prend, une autre? Ne négligez donc rien, tous tant que vous êtes, pour bannir, ce vice de votre âme, arrachez-le jusqu'à la racine: Celui qui tombe dans un tel désordre, se fait plus de tort qu'il n'en fait à sa femme. Ce péché est si grand et si indigne dé pardon, que Dieu punit la femme qui se sépare de son mari malgré lui, quoiqu'il soit idolâtre; et qu'au contraire il ne punit point celle qui se sépare d'un mari adultère. Voyez-vous bien toute l'énormité de ce mal? Saint Paul dit: " Si une femme fidèle a un mari qui soit infidèle, et qu'il consente ode demeurer avec elle, qu'elle ne se sépare point d'avec lui ". (I Cor. VII, 13.) Mais Jésus-Christ parle autrement de la femme adultère; et qu'en dit-il? " Quiconque aura quitté sa femme, si ce n'est en cas d'adultère, la fait devenir adultère ". (Matth. V, 32.) Si le mariage de deux corps n'en fait qu'un seul (Matth. XIX, 5), de là il s'ensuit que celui qui se joint à une prostituée, est un même corps avec elle. (I Cor. VI, 16.) Comment donc une femme vertueuse et modeste, qui est un membre de Jésus-Christ, permettra-t-elle à un mari adultère de s'approcher d'elle? Comment s'unira-t-elle à un membre de prostituée? Observez, mes frères, combien ceci est étonnant : la femme fidèle qui demeure avec un mari infidèle ne devient point impure, car l'apôtre dit : " Le mari infidèle est sanctifié par la femme fidèle ". (I Cor. VII, 44.) Il ne parle pas de même de la femme prostituée , mais il dit : " Arracherai-je donc à Jésus-Christ ses propres membres, pour les faire devenir les membres d'une prostituée? " (I Cor. VI, 15.) En effet, qu'un mari infidèle habite avec la femme fidèle , la sainteté demeure et ne se perd point; mais la cohabitation avec l'adultère la détruit : donc, l'adultère est un très-grand mal, et un mal qui procure un supplice éternel. Dans cette vie même il vous attire des maux sans nombre, il vous fait mener une vie misérable, qui ne diffère point de celle de ces malheureux qui sont condamnés au supplice, lorsque, pour commettre le crime, vous tentez d'entrer furtivement dans une maison étrangère, et que, hommes libres ou esclaves, tout le monde vous est suspect.

C'est pourquoi je vous conjure, mes frères, l'appliquer tous vos soins à vous délivrer de cette affreuse maladie. Si vous ne le faites pas, n'ayez point la témérité d'entrer dans le temple du Seigneur. Il ne faut pas que les brebis galeuses et malades se mêlent parmi celles qui sont saines et vigoureuses, mais il faut qu'elles soient séparées du troupeau jusqu'à' leur guérison. Nous sommes les membres de Jésus-Christ, ne devenons point les membres, d'une prostituée. Ce lieu n'est point une maison de prostitution, c'est l'Eglise : si vous êtes les membres d'une prostituée, n'y venez point pour ne pas déshonorer le lieu saint. Quand même il n'y aurait point d'enfer, point de supplice : après ce mutuel consentement que vous vous êtes solennellement donné, après que le flambeau nuptial a été allumé, après que vous avez contracté un légitime mariage, vécu ensemble, donné le jour à des enfants, comment oserez-vous vous joindre à une autre femme? comment n'avez-vous pas horreur de ce crime, comment n'en rougissez-vous pas? Ignorez-vous que ceux .qui, après la mort de leur femme, en épousent une, autre, sont blâmés de bien des gens, quoiqu'il n'y ait ni peine ni punition attachée aux secondes noces? Et vous, du vivant de votre femme,, vous en prenez une autre : quelle n'est pas votre incontinence ! Apprenez ce [420] que dit l'Ecriture des libertins de cette espèce : " Le ver qui les ronge ne mourra point, et le feu qui les brûle ne s'éteindra point ". (Marc, IX, 45.) Que ces menaces vous remplissent d'effroi, craignez ce lieu de tourments. La volupté que vous ressentez maintenant n'est pas aussi grande que sera grand le supplice auquel vous serez condamnés. Mais Dieu vous garde de vous exposer à un pareil malheur ! que plutôt il nous fasse la miséricorde d'embrasser la piété et la sainteté, afin que nous puissions voir Jésus-Christ, et jouir des biens qu'il nous a promis. Fasse le ciel que nous les obtenions tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, et au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE LXIV.
MAIS JÉSUS, LEVANT LES YEUX EN HAUT, DIT CES PAROLES : MON PÈRE, JE VOUS RENDS GRACES DE CE QUE VOUS M'AVEZ EXAUCÉ. — POUR MOI, JE SAVAIS QUE VOUS M'EXAUCEZ TOUJOURS : MAIS JE DIS CECI POUR CE PEUPLE QUI M'ENVIRONNE, ETC. (VERS. 41, 42, JUSQU'AU VERS. 48.)
ANALYSE.

1. C'est par condescendance pour la faiblesse de ses auditeurs et pour mieux ménager leur salut que Jésus-Christ ne parle pas toujours en Dieu. — Le saint Docteur prouve, contre les Anoméens et les Ariens, que le Père et le Fils sont de même substance.

2. Les paroles que Jésus-Christ adresse à son Père avant que de ressusciter Lazare, bien qu'appropriées à la faiblesse des assistants, prouvent cependant son égalité avec le Père.

3. L'orateur continue de faire ressortir l'autorité avec laquelle Jésus-Christ opère ses miracles. — Dépit des pharisiens à la nouvelle de la résurrection de Lazare. — Ils forment le dessein de faire mourir l'Auteur de la vie.

4. Contre l'envie : description des maux qu'elle produit. — Pleurer ceux qui ne profitent pas des bons conseils : pleurer plutôt le mal que se font les méchants, que celui qu'ils nous font. — Répandre non des larmes humaines, mais des larmes prises des Ecritures : pleurer comme les prophètes ont pleuré. — Qui sont ceux qu'on doit véritablement pleurer.

1. Ce que j'ai souvent dit, je le dirai maintenant encore: Jésus-Christ n'a point tant en vue sa dignité que notre salut, et il ne s'attache point à dire quelque chose de grand et d'élevé, mais ce qui peut nous attirer à lui. Voilà pourquoi il dit peu de choses relevées et sublimes, encore les dit-il d'une manière un peu obscure : et souvent il mêle dans son discours des choses basses et grossières. La raison pour laquelle il use souvent de telles expressions, la voici: c'est parce qu'elles gagnaient et attiraient plus ses auditeurs. Il ne parle pas toujours de même, de peur de faire tort à ceux qui devaient croire dans la suite ; mais souvent aussi il emploie ce langage, pour ne pas offenser ceux qui étaient présents à ses discours. Car ceux qui se sont défaits de ces bas sentiments où les tenaient leurs préjugés n'ont besoin que de la lumière d'un seul dogme sublime pour tout comprendre; mais ceux dont l'esprit n'avait point cessé de ramper à terre, ne se seraient sûrement point approchés de Jésus, s'ils n'avaient fréquemment écouté des discours simples et grossiers. Et néanmoins, après avoir entendu tant et de si grandes choses, au lieu de lui rester fidèles, ils le lapident, ils le persécutent, ils cherchent à le faire mourir et l'appellent blasphémateur. Se prétend-il égal à Dieu? ils disent: " Il blasphème" (Marc, II, 7); quand il dit: " Vos péchés vous [421] seront remis ", ils l'appellent possédé du démon (Matth. IX, 2) ; et de même, lorsqu'il dit: Celui qui écoute ma parole ne mourra point; quand il parle en ces termes: " Mon Père est en moi, et moi dans mon Père " (Jean, X, 28), ils le délaissent; ils se choquent et s'offensent encore lorsqu'il dit " qu'il est descendu du ciel ". (Id. VI, 38.) Si donc les Juifs ne pouvaient souffrir ces paroles , quoique le Sauveur les eût rarement dans sa bouche , certainement ils auraient eu bien de la peine à l'écouter, s'il leur eût toujours dit des choses élevées et sublimes.

Lors donc que Jésus-Christ use de ces expressions: " Je dis ce que mon Père m'a enseigné " (Jean, VIII, 28) ; et: " Je ne suis pas venu de moi-même " (Id. VII, 28) : alors les Juifs croient, comme le déclare ouvertement l'évangéliste, en disant: " Lorsque Jésus disait " ces choses, plusieurs crurent en lui ". (Jean, VIII, 30.) Or, si les paroles basses et grossières attiraient à la foi ; si, au contraire, celles qui étaient sublimes et relevées en éloignaient; ne serait-il pas d'une extrême folie de ne pas croire que Jésus ne se servait de ces expressions basses que pour s'accommoder à la portée de ses auditeurs ? Et cela est si vrai , qu'en une autre occasion le Sauveur , qui voulait dire quelque chose de grand, garda le silence, et qu'en expliquant la raison , il dit : " Afin que nous ne les scandalisions point, allez-vous-en à la mer, et jetez votre ligne ". (Matth. XVII, 26.) Voilà ce qu'il fait encore ici ; car, après avoir dit : " Je savais que vous m'exaucez toujours " , il a ajouté: " Mais je dis ceci pour ce peuple qui m'environne, afin qu'ils croyent ". Est-ce de notre fonds, est-ce en vertu d'une conjecture purement humaine , que nous parlions tout à l'heure? Ainsi, quand celui qui ne veut pas se persuader, sur la foi des textes, que les Juifs s'offensaient de paroles élevées, entend ensuite Jésus-Christ dire lui-même qu'il s'est servi d'expressions basses et grossières afin de ne les pas scandaliser (Jean , XII , 28) , peut-il en douter encore, peut-il penser que Jésus parlait ainsi naturellement, et non par condescendance? C'est encore pour cette même raison qu'une voix s'étant fait entendre du ciel , Jésus dit : " Ce n'est pas pour moi que cette voix est venue, mais pour vous ". (Ibid. 30.) Mais il est permis à un grand de dire modestement de soi bien des choses, et, au contraire, on ne supportera pas qu'un homme du commun et de basse naissance dise de soi rien de grand et d'élevé.

Revenons à ces sortes d'expressions basses et grossières; le Sauveur s'en est servi, non par nécessité, mais par une sage condescendance,afin de se proportionner à la pontée et à la faiblesse de ses auditeurs, ou plutôt afin de les porter à l'humilité, de leur faire connaître qu'il s'est véritablement revêtu de la chair, de leur apprendre qu'il ne faut jamais rien dire de grand sur son propre compte; et encore parce qu'ils le regardaient comme contraire à Dieu, qu'ils pensaient qu'il détruisait la loi, enfin parce qu'ils étaient animés d'envie et de jalousie contre lui, et qu'ils le haïssaient, attendu qu'il se disait égal à Dieu : mais un homme vulgaire ne peut avoir aucune juste raison de parler de soi en de grands termes, et, s'il l'ose faire, on ne doit l'imputer qu'à son insolence, à son impudence, et à une effronterie impardonnable.

Pourquoi donc Jésus-Christ, qui est engendré de cette ineffable et incomparable substance " du Père ", parle-t-il de soi si modestement et si humblement? C'est, et pour les raisons que nous venons de dire, et pour qu'on ne le crût pas non engendré. Il semble même que saint Paul ait eu cette crainte, et que c'est pour cela qu'ayant dit : " Tout lui est assujetti ", il a aussitôt ajouté : " Il en faut excepter celui qui lui a assujetti toutes choses ". (I Cor. XV, 27.) En effet, ce serait une impiété de concevoir seulement une telle pensée : si Jésus-Christ était moins grand que le Père, et d'une autre substance, n'aurait-il pas fait toutes choses, pour qu'on ne le crût pas égal et de la même substance; mais nous voyons maintenant qu'il fait tout le contraire, puisqu'il dit : " Si je ne fais pas les couvres de mon Père, ne me croyez pas ". (Jean X, 37.) Et encore, lorsqu'il dit : " Mon Père est en moi, et moi dans mon Père " (Ibid. 38), il nous insinue et nous déclare qu'il est égal au Père. Or, il aurait fallu que Jésus-Christ combattît avec force et détruisît cette opinion d'égalité, s'il avait été moins grand que le Père, et qu'il ne dît point: " Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi " ; et : " Nous sommes une même chose "; ou : " Celui qui me voit, voit " mon " Père ". (Jean, XIV, 9.) Car quand il parlait de la vertu qui était en lui, il disait : " Mon Père et moi, nous sommes [422] une même chose ". (Id. X, 30.) Quand il ,parlait de son pouvoir, il disait: " Car comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît " (id. V, 21) : ce qu'il n'aurait pu faire, s'il eût été d'une autre substance. Et quand il l'aurait pu faire, il n'aurait pas dû le dire, de peur que les Juifs ne soupçonnassent et ne crussent que c'était une seule et même substance. Si, de peur qu'ils ne pensent et ne soupçonnent qu'il est contraire à Dieu, il dit même souvent des choses qui sont au-dessous de lui, et qui ne conviennent point à sa nature, à plus forte raison aurait-il dû le faire alors, et dans ces occasions. Mais à présent ces paroles qu'il dit : " Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père " (Jean, V, 23) ; et: " Les oeuvres que le Père fait, je les fais aussi comme lui " (Ibid. 19) ; et encore : Qu'il est la résurrection, et la vie, et la lumière du monde, sont des paroles qui le montrent égal au Père, et qui confirment le soupçon .et l'opinion des Juifs. Ne volez-vous pas de quelle manière il se justifie, quand on l'accuse de détruire la loi, et comment, au contraire, l'opinion de l'égalité avec le Père, non-seulement il ne la combat point et ne la détruit pas, mais la confirme? Ainsi,.lorsque les Juifs lui disaient : " Vous blasphémez, parce que vous vous faites Dieu", il prouve et il établit par l'égalité de ses couvres qu'il est Dieu.

2. Eh quoi ! qu'ai-je dit? Le Fils s'est servi d'expressions basses et grossières; mais le Père, qui n'a point pris notre chair, s'en est servi lui-même. Il a permis qu'on lui fit dire bien des choses basses, pour le salut de ceux qui les entendraient. Cette parole : " Adam, où êtes vous? " (Gen. III, 9.) Et celles-ci : " Pour voir si leurs oeuvres égalent le cri qui est venu jusqu'à moi " (Id. XVIII, 21) ; et : " Je connais maintenant que vous craignez Dieu " (Id. XXII, 12) ; et encore : " Pour voir s'ils écouteront et s'ils comprendront " (Ezéch. III, 11); et derechef : " Qui leur donnera un tel esprit?" (Deut. V, 29.) Et : " Entre tous les dieux, il n'y en a point, Seigneur, qui vous soit semblable ". (Ps. LXXXV, 7.) Et plusieurs autres que vous pouvez ramasser dans l'Ancien Testament, vous les trouverez toutes, sans doute, indignes de la majesté de Dieu. .Et encore le Seigneur, parlant d'Achab, dit : " Qui séduira Achab? " Et aussi que Dieu fasse comparaison de soi avec les dieux des gentils, et se préfère toujours à eux; toutes ces choses, toutes ces comparaisons et ces expressions sont indignes de Dieu; mais par une autre raison elles sont dignes de lui. Et voici cette raison : Dieu est si bon et si miséricordieux, que pour notre salut il méprise les paroles qui conviennent à sa dignité. Qu'un Dieu se soit fait homme, qu'il ait pris la forme de serviteur, qu'il parle dans des termes si bas, qu'il soit pauvrement vêtu, tout cela, à n'envisager que sa majesté, est indigne de lui; mais si l'on considère les richesses ineffables de sa bonté, toutes ces choses sont dignes de lui.

Voici une autre raison, qui a porté encore Jésus-Christ à user de ces expressions basses et grossières. Quelle est-elle? C'est que, à la vérité, les Juifs connaissaient et confessaient bien le Père, mais qu'ils ne le connaissaient pas lui-même. Voilà pourquoi il cite souvent le témoignage du Père qui était universellement connu, et il s'en autorise, comme s'il n'eût point été lui-même digne de foi, non par insuffisance, mais pour condescendre à l'imbécillité et à la faiblesse de ses auditeurs. Voilà pourquoi il prie, et il dit : " Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé ". (Jean, V, 21.) Car s'il donne la vie à qui il lui plaît, et s'il la donne de même que le Père, pourquoi prie-t-il? Mais il est temps de reprendre notre sujet.

Ils ôtèrent donc la pierre du tombeau, où le mort était enseveli. " Et Jésus levant les yeux " en haut, dit ces paroles : Mon Père, je vous " rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. " Pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours : mais je dis ceci pour ce peuple qui m'environne, afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé ". Interrogeons maintenant un de ces hérétiques que vous connaissez bien, demandons-lui si Jésus-Christ a ressuscité ce mort pour en avoir obtenu la grâce par ses prières? Il répondra : Oui. Mais si cela est, lui répliquerons-nous, comment donc a-t-il opéré les autres miracles sans prier auparavant; comme lorsqu'il dit: "Sors de cet enfant, je te le commande " (Marc, II, 24); et : " Je le veux, soyez guéri " (Marc, I, 41); et : " Emportez votre lit " (Jean, V, 8); et : " Vos péchés vous seront remis " (Matth. IX, 2).; et lorsque, parlant à la mer, il dit "Tais-toi, calme-toi?" (Marc, IV,11, 39.) Si [423] Jésus-Christ opère par la vertu des prières, qu'a-t-il de plus que les apôtres? Mais les apôtres eux-mêmes ne faisaient pas tons les miracles par la prière, souvent ils se servaient du nom de Jésus sans faire aucune autre prière. Or, si le seul nom de Jésus a eu tant de vertu et de puissance, comment peut-on dire qu'il ait eu lui-même besoin de prier? S'il avait été dans cette nécessité, certainement son nom n'aurait point eu un si grand pouvoir. Lorsqu'il a formé l'homme, de quelles prières a-t-il eu besoin? Dans cette création ne voit-on pas une grande et parfaite égalité entre le Père et 1e Fils? " Faisons l'homme ", dit-il. Or, qu'y aurait-il de plus faible que Jésus-Christ, s'il avait été dans la nécessité de prier?

Mais examinons quelle est cette prière qu'il fait: " Mou Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé ". Qui a jamais prié de cette manière? Il commence par dire : " Je vous rends grâces ", faisant voir qu'il n'a point besoin de prier. " Pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours ". Jésus-Christ a dit cela, non pour marquer qu'il ne pouvait pas lui seul faire le miracle, mais pour faire connaître que la volonté du Père et la sienne ne sont qu'une seule et même volonté. Pourquoi a-t-il usé de cette forme de prière? Ne m'écoutez point, écoutez-le lui-même, il va ,vous l'apprendre : C'est, dit-il, " pour ce euple qui m'environne, afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé ". Le Sauveur n'a point dit : Afin qu'ils connaissent que je suis moins grand que vous, que j'ai besoin de la grâce d'en-haut, et que je ne puis opérer le miracle, sans faire précéder la prière, mais " que c'est vous qui m'avez envoyé ". Car cette prière signifie tout cela, si on la prend dans le sens simple et naturel qu'elle exprime. Jésus n'a point dit : Vous, m'avez envoyé faible et impuissant, tel qu'un serviteur qui ne peut rien faire de lui-même : mais sans faire mention d'aucune de ces choses, de peur toutefois que vous n'en soupçonniez quelqu'une, il produit la véritable raison qu'il a eu de prier. C'est, dit-il, afin qu'ils ne me croient pas contraire à Dieu, qu'ils ne disent pas : Il n'est point envoyé de Dieu; afin de leur faire voir que l'oeuvre que je fais est conforme à votre volonté; c'est comme s'il disait : Si j'étais contraire à Dieu, je n'aurais pu opérer ce miracle. Au reste : " Vous m'avez écouté ", c'est une de ces paroles que l'on dit entre amis et

égaux. "Pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours "; c'est-à-dire, pour accomplir nia volonté, je n'ai pas besoin de prier, mais je le dis afin de les persuader que dans, vous et dans, moi il n'y a qu'une seule volonté. Pourquoi donc priez-vous? C'est par considération pour ceux qui sont faibles et grossiers.

" Ayant dit ces choses, il cria à haute voix (43) ". Pourquoi n'a-t-il pas dit : Au nom de mon Père, sortez ? Pourquoi n'a-t-il pas dit : Mon Père, ressuscitez-le? Mais il omet toutes ces choses, et lors même, qu'il prend la posture d'un homme qui prie, il montre sa puissance par l'oeuvre même, qu'il fait. Il était de la sagesse du divin Sauveur de faire connaître son, humilité par ses paroles, et sa puissance par ses oeuvres En un mot, comme les Juifs ne lui pouvaient faire aucun autre reproche , que de n'être point envoyé de Dieu, comme aussi ils se servaient de cette accusation pour abuser et. tromper le peuplé; Jésus-Christ leur prouve très-clairement par ses paroles qu'il est envoyé de Dieu, et de la manière que le demandait leur faiblesse. Il pouvait leur montrer d'une autre façon, et sans déroger, cette conformité de volontés : mais le peuple n'aurait pu atteindre à cette considération, elle était au-dessus de sa portée. Jésus a dit : " Lazare, sortez dehors ". Et c'est là l'accomplissement de ce qu'il avait dit

" L'heure vient, où les morts entendront la voix, du Fils de Dieu; et que ceux qui l'entendront, vivront ". (Jean, V, 25.) Car, afin que vous ne croyiez pas qu'il a reçu d'un autre la vertu et la puissance de ressusciter les morts, il vous a prédit auparavant qu'il les ressusciterait, et maintenant il le prouve par le fait. Il n'a point dit : Levez-vous; mais : " Sortez dehors ", parlant au mort comme s'il était vivant.

3. Est-il rien d'égal à cette puissance? S'il n'a pas fait ce miracle par sa propre vertu, qu'a-t-il au-dessus des apôtres qui disent " Pourquoi avez-vous les yeux sur nous, comme si nous avions fait marcher ce boiteux par notre puissance, ou par notre piété? " (Act. III, 12.) Si Jésus n'a pas fait le miracle par sa propre vertu, pourquoi, après l'avoir fait, n'a-t-il pas dit ce que les apôtres disaient d'eux-mêmes? Si ce n'est point par sa propre vertu que Jésus a fait cette oeuvre, sûrement les apôtres ont mieux pratiqué la vraie philosophie ou l'humilité que Jésus-Christ même, [424] puisqu'ils ont rejeté et fui la gloire. Et encore en une autre occasion les apôtres disent: " Mes amis, que voulez-vous faire? Nous ne sommes que des hommes non plus que vous".(Act. XIV, 14.) N'est-ce pas parce qu'ils ne faisaient rien par eux-mêmes, que pour le persuader de même au peuple, les apôtres ont dit toutes ces choses? et Jésus-Christ, s'il avait eu ce sentiment de soi, n'aurait-il pas parlé de même, n'aurait-il pas, comme eux, détourné cette opinion et fait connaître au peuple son erreur, j'entends, s'il n'avait pas opéré par sa propre autorité ? Et qui oserait dire le contraire? Cependant il parle tout autrement, il dit : " Je dis ceci pour le peuple qui m'environne, afin qu'ils croient " : donc, s'ils avaient cru il n'eût point été besoin de prières. Mais s'il n'était pas indigne de lui de prier, pourquoi en rejette-t-il la cause sur eux? pourquoi n'a-t-il pas dit : Afin qu'ils croient que je ne suis point égal à vous? Il fallait, en effet, qu'il en vînt là pour détruire cette opinion.

Lorsque les Juifs ont seulement eu la pensée qu'il détruisait la loi, Jésus-Christ, avant même qu'ils en parlent, leur découvre leur pensée et le sentiment de leur coeur, et leur dit : " Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi " (Matth. V,17); mais au sujet de l'égalité il fait tout le contraire, il en confirme l'opinion. Et qu'était-il besoin de détours et de paroles ambiguës et énigmatiques? Il lui suffisait de dire : Je ne suis point égal à Dieu, et de résoudre la question. Quoi donc? N'a-t-il pas dit, repartirez-vous : a Je ne fais point ma " volonté? " Mais ce que vous alléguez là, il l'a dit par une sorte de déguisement, et à cause de la faiblesse dé ses auditeurs, et aussi pour la même raison qu'il a prié. Mais que veulent dire ces paroles : " De ce que vous m'avez exaucé? " Elles signifient : Il n'y a rien de contraire entre vous et moi. Comme donc ce mot : " Vous m'avez exaucé ", ne signifie pas qu'il n'eut point le pouvoir d'opérer la résurrection de Lazare (car, si telle en était la signification, il n'y aurait pas seulement eu en lui une impuissance, mais encore une ignorance, puisqu'avant sa prière il n'aurait pas su si Dieu devait l'exaucer; mais s'il l'ignorait, comment a-t-il pu dire : " Je vais le ressusciter? " (Jean, XI, 11.) Et il n'a point dit : Je vais prier mon père de le ressusciter); comme, dis-je, cette parole : " Vous m'avez exaucé ", est une marque, non de faiblesse et d'impuissance, mais de concorde et d'union; de même celle-ci : " Vous m'exaucez toujours ", n'a point d'autre signification. Et c'est là ce qu'il faut dire, ou que Jésus-Christ a dit ces choses pour répondre à l'opinion des Juifs. Or, s'il n'y avait en Jésus-Christ ni ignorance ni impuissance, il est visible qu'il ne s'est servi de ces expressions basses qu'afin que par l'hyperbole même vous croyiez, et vous soyiez forcé d'avouer qu'en disant ces choses, Jésus-Christ n'a point parlé selon sa nature et sa dignité, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs.

Que répliquent donc les ennemis de la vérité? Que ces paroles: " Vous m'avez exaucé", Jésus-Christ ne les a point dites pour se proportionner à la faiblesse de ses auditeurs, mais pour faire connaître son excellence et sa supériorité sur les autres créatures. Mais ce n'était point là montrer cette supériorité, cette excellence, c'était, au contraire, agir d'une manière très-basse, et faire voir qu'il n'avait rien de plus que les autres hommes. Car prier, cela n'est point d'un Dieu, ni de celui qui est assis sur le même trône. Et ne voyez-vous pas que Jésus n'en vient là et ne s'abaisse jusqu'à ce point qu'à cause de leur incrédulité? Reconnaissez du moins que le fait même est la preuve et une parfaite démonstration de son autorité. Jésus a appelé le mort, et le mort est sorti du tombeau, ayant les pieds et les mains liés de bandes. Mais de peur qu'on ne prît cela pour une illusion, et qu'on ne regardât Lazare comme un fantôme (en effet, sortir d'un tombeau, ayant les mains et les pieds liés, ce n'était pas une chose moins étonnante que de ressusciter), il ordonna de le délier, afin que ceux qui le touchaient et s'approchaient de lui, vissent qu'il était véritablement Lazare. Et il dit: " Laissez-le aller (44) ".

Ne remarquez-vous pas en cela, mes frères, combien Jésus est éloigné du faste? il n'amène point Lazare avec lui, il ne lui ordonne pas de le suivre, il use d'une très-grande modestie, afin qu'on ne l'accuse pas de vanité et d'ostentation. Les uns se contentèrent d'admirer ce miracle, les autres furent rapporter aux pharisiens (46) ce que Jésus venait de faire. A cette nouvelle, quelle est la contenance, quelle est la conduite des pharisiens? Ne croiriez-vous pas qu'ils sont ravis d'admiration et frappés d'étonnement? Non, ils en sont bien éloignés. ils s'assemblent, et pourquoi? Pour [425] délibérer sur les moyens de faire mourir ce Jésus qui vient de ressusciter un mort. O folie ! ils croient pouvoir ôter la vie au vainqueur de la mort, et ils disent entre eux : " Que faisons-nous? Cet homme fait plusieurs miracles (47) ". Jésus, celui dont la divinité leur est prouvée par tant de preuves et de témoignages, ils l'appellent encore un homme ! " Que faisons-nous ? " Croire en lui, l'honorer, l'adorer et ne plus le regarder comme un homme, voilà ce que vous avez à faire. " Si nous le laissons faire, les Romains viendront et ruineront notre ville et notre maison ". Quel est leur but et leur dessein ? Ils veulent émouvoir le peuple, ils se prétendent en danger d'être soupçonnés de complicité avec un usurpateur. Si les Romains apprennent que le peuple suit cet homme, ils nous soupçonneront de rébellion, ils viendront, ils ruineront notre ville.

Pourquoi, je vous prie? La doctrine que Jésus enseigne tend-elle au soulèvement ? N'a-t-il pas ordonné de payer le tribut à César ? (Matth. XXII, 21.) Quand on a voulu le faire roi, ne s'est-il pas enfui ? (Jean, VI,15.) Ne vit-il pas d'une manière simple, sans faste, sans maison, sans aucun étalage? Sûrement, ce n'est point la crainte qui les faisait parler de la sorte, c'est l'envie, c'est la jalousie. Mais il leur arriva ce à quoi ils ne s'attendaient point; les Romains ruinèrent et leur ville et leur nation, parce qu'ils avaient fait mourir Jésus-Christ; aussi bien les oeuvres de Jésus-Christ étaient-elles hors de tout soupçon. En effet, celui qui guérit les malades, qui enseigne la manière de bien vivre, et qui ordonne d'être soumis et obéissant aux puissances, n'est point un homme qui aspire à la tyrannie; au contraire, c'est un homme qui en détourne. Mais notre conjecture n'est point vaine, disent-ils : elle est fondée sur ce qui s'est passé auparavant; mais ceux a qui vous faites allusion avaient semé parmi le peuple cet esprit de révolte: Jésus en était bien éloigné.

Ne voyez-vous pas, mes frères, que tous ces discours étaient faux et artificieux ? Car en quoi Jésus-Christ pouvait-il y donner lieu? Marchait-il accompagné de gardes? Avait-il des chariots à sa suite ? Ne fréquentait-il pas les lieux solitaires et retirés? Mais les Juifs, pour ne paraître point parler de la sorte par une malignité de coeur, répandent mille bruits fâcheux : toute la ville est exposée à un grand péril, on dresse des embûches à la république tout est à craindre,. Non, ce n'est point là ce qui doit vous jeter dans la servitude : d'autres causes bien différentes vous l'attireront, cette captivité que vous craignez, de même qu'elles vous ont autrefois attiré celle que vous avez soufferte en Babylone, et sous Antiochus. Ce . ne sont pas les gens de bien qui se sont trouvés parmi vous, ni ceux qui ont honoré et servi Dieu, qui vous ont livrés à vos ennemis, mais ce sont les méchants ; mais c'est la colère de Dieu que vous avez irrité contre vous ; mais c'est votre envie qui est la source de toutes vos calamités; l'envie, cette ténébreuse passion, qui, ayant une fois aveuglé l'esprit, ne lui permet pas de voir le bien, ni de se porter à rien d'honnête. Jésus-Christ ne vous a-t-il pas appris à être doux ? (Matth. XI, 29.) Ne vous a-t-il pas dit que si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, vous lui présentiez encore l'autre? (Id. V, 39.) Ne vous a-t-il pas enseigné à supporter les injures et à montrer plus de fermeté et de courage à souffrir le mal que les autres en ont à le faire? Est-ce là la doctrine d'un homme qui aspire à la tyrannie? Ne doit-on pas plutôt dire que ce sont là et les oeuvres et la doctrine de celui qui la fuit, de celui qui la chasse et l'éloigne?

4. Mais, comme je l'ai dit, c'est une chose bien funeste et bien insidieuse que la jalousie. C'est elle qui a couvert la terre d'une infinité de maux : c'est cette malheureuse passion qui remplit les tribunaux de criminels. L'amour de la gloire et des richesses, l'ambition, l'orgueil et la superbe, sortent de cette source empestée. C'est l'envie qui infecte les chemins de scélérats et de voleurs; et la merde pirates ; c'est elle qui remplit le monde de meurtres et d'assassinats. C'est elle qui déchire le genre humain. Elle est la mère de tous les malheurs que vous voyez. Ce poison s'est répandu jusque dans l'Eglise, et depuis longtemps il lui cause des maux innombrables. Cette maladie a tout renversé, elle a corrompu la justice. Car " les présents ", dit l'Ecriture, " aveuglent les yeux des sages (1) : de même qu'un mors dans la bouche, ils empêcheront les corrections ". (Eccli. XX, 31, LXX.) Des personnes libres, l'envie fait des esclaves. Tous

1. Ne recevez point de présents, dit Moïse, parce qu'ils aveuglent les yeux des plus clairvoyants, et qu'ils renversent les paroles cite justes mêmes.

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les jours nous vous en parlons,. et nous ne gagnons rien sur vous: Nous, devenons pires que les bêtes féroces, noue ravissons lesbiens du pupille et de l'orphelin, nous dépouillons les veuves, nous maltraitons les pauvres. Nous. ajoutons crimes à crimes. " Malheur à moi ", disait le prophète, " parce qu'il n'y a plus de pieux , de miséricordieux sur la terre ". (Mich. VII, 2.)

C'est à nous maintenant à gémir : mais ce que je dis là, il faudrait le répéter tous les jours. Nous n'avançons rien par. nos prières; nous ne gagnons rien par nos conseils et nos exhortations. Il ne nous reste plus qu'à pleurer : qu'il sorte de nos paupières des ruisseaux de larmes. Jésus-Christ a fait de même; voyant que la ville de Jérusalem ne profitait point de ses avertissements et de ses instructions; il pleura sur son aveuglement.. (Luc, XIX, 41.) Les prophètes font de même : faisons-en autant nous-mêmes aujourd'hui : c'est maintenant un temps de larmes, de pleurs, de gémissements. Disons-nous aussi, c'est le moment : " Cherchez avec soin, et faites venir les femmes qui pleurent les morts : envoyez à celles qui sont les plus habiles, et qu'elles se hâtent de pleurer sur nous avec des cris lamentables ". (Jérém. IX, 17.) Par là, peut-être, pourrons-nous guérir de leur maladie ceux qui bâtissent de magnifiques maisons, ceux qui acquièrent des terres, de l'argent par des rapines.

C'est maintenant te temps de pleurer: pleurez, avec moi, vous qu'on a dépouillés; vous à qui on a fait tant d'injustices , joignez vos larmes aux miennes. Mais ne pleurons pas sur nous, pleurons sur les coupables eux-mêmes, ils ne vous ont point fait de mal, ils s'en sont fait à eux-mêmes. Vous, pour le tort qu'on vous a fait, vous avez en dédommagement le royaume des cieux: eux, pour 1e gain qu'ils ont fait , ils ont l'enfer. Voilà pourquoi il vaut mieux subir le mal que de le faire. Pleurons-les, non par des larmes humaines , mais par des larmes prises des saintes Ecritures, et de la manière, que les prophètes ont pleuré; pleurons amèrement avec Isaïe, et disons: " Malheur à ceux qui joignent maison à maison, et qui ajoutent terres à terres , pour enlever quelque chose à leur prochain. Serez-vous donc les seuls qui habiterez sur la terre?

" Ces maisons sont vastes et embellies, et il ne se trouvera pas un seul homme qui y habite". (Isaïe, V, 8, 70) Pleurons avec Nahum, et disons avec lui : " Malheur à celui qui élève sa maison en-haut (1) !" Ou plutôt pleurons sur eux; comme Jésus-Christ a pleuré sur les Juifs, et disons : " Malheur à vous, riches, parce que vous avez votre récompense et votre consolation " dans ce monde ! (Luc VI, 24.)

De même , je vous en conjure, mes frères, ne cessons point de verser des larmes: et si ce n'est pas manquer aux lois de la retenue, frappons-nous la poitrine, en voyant la;lâcheté et la paresse de nos frères: Ne pleurons plus les morts , mais pleurons ce ravisseur du bien d'autrui, cet avare, cet insatiable amateur des richesses. Pourquoi pleurons-nous les morts? C'est vainement, c'est sans fruit que nous les pleurons. Pleurons sur ceux qui peuvent changer et profiter de nos larmes. Mais, lorsque nous pleurons, peut-être rient-ils de nos larmes? Eh ! n'est-ce pas un nouveau sujet de pleurs, que de les voir rire de ce qui devrait leur arracher des larmes? S'ils se laissaient toucher de nos pleurs, c'est alors qu'il nous faudrait cesser de pleurer, parce qu'alors ils tendraient à leur amendement. Mais, tant qu'ils restent dans l'endurcissement , continuons de pleurer, non sur les riches, mais sur ceux qui aiment l'argent, sur les avares; les spoliateurs. La possession des richesses n'est point un crime, puisque nous en pouvons faire un bon usage, en les appliquant aux besoins des pauvres , mais l'avarice est un mal qui nous prépare des supplices éternels. Pleurons donc: peut-être nos larmes produiront-elles quelques conversions. ou si ceux gui sont tombés dans le précipice de l'avarice ne s'en tirent point, d'autres peut-être prendront garde de n'y pas tomber. Fasse le ciel que ces malades se délivrent de leur infirmité , et qu'aucun de nous n'y tombe, afin que nous puissions tous obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

1. Je n'ai point trouvé ce passage dans Nahum , ni dans les Septante, ni dans la Vulgate. Nahum dit : " Malheur, à toi, ville de sang, qui est toute pleine de fourberie! " Je lis dans Habacuc quelque chose de plus approchant : " Malheur à celui qui ravit sans cesse, ce qui ne lui appartient point ! " Et " Malheur à celui qui bâtit une ville du sang des hommes, et qui la fonda sur l’iniquité ! "
 

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