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Saint Jean Chrysostome
Commentaire sur l'Evangile selon Saint Jean

.COMMENTAIRE SUR
L'ÉVANGILE SELON SAINT JEAN.
 

 

 

 

Saint Jean Chrysostome — OEUVRES COMPLÈTES — TRADUITES POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS SOUS LA DIRECTION DE M. JEANNIN
Licencié ès-lettres, professeur de rhétorique au collège de l’Immaculée-Conception de Saint-Dizier, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Ce, Éditeurs 1865, TOME HUITIÈME Pages 93 à 556,

 

 

 

 

 

COMMENTAIRE SUR *

L'ÉVANGILE SELON SAINT JEAN. *

HOMÉLIE XXIII. *

CE FUT LA LE PREMIER DES MIRACLES DE JÉSUS, QUI FUT FAIT A CANA, EN GALILÉE (VERSET 11, JUSQU'AU VERSET 22.) *

HOMÉLIE XXIV. *

PENDANT QU'IL ÉTAIT DANS JÉRUSALEM A LA FETE DE PAQUES, PLUSIEURS CRURENT EN SON NOM. (VERSET 23, JUSQU'AU VERSET 14 DU CHAPITRE III.) *

HOMÉLIE XXV. *

JÉSUS LUI RÉPONDIT : EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS DIS QUE SI UN HOMME NE RENAÎT DE L'EAU ET DE L’ESPRIT, IL NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU. (VERSET 5.) *

HOMÉLIE XXVI. *

CE QUI EST DE LA CHAIR, EST CHAIR, ET CE QUI EST NÉ DE L'ESPRIT, EST ESPRIT. (VERSET 6, JUSQU'AU VERSET 11.) *

HOMÉLIE XXVII. *

MAIS SI VOUS NE ME CROYEZ PAS LORSQUE JE VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, COMMENT NE CROIREZ-VOUS QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL? — PERSONNE N'EST MONTÉ AU CIEL, QUE CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, SAVOIR, LE FILS DE L'HOMME QUI EST DANS LE CIEL. (VERSET 12, JUSQU'AU VERSET 16.) *

HOMÉLIE XXVIII. *

CAR DIEU N'A PAS ENVOYÉ SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS AFIN QUE LE MONDE SOIT SAUVÉ PAR LUI. (VERS. 17, JUSQU'AU VERS. 21.) *

HOMÉLIE XXIX. *

APRÈS CELA JÉSUS ÉTANT VENU EN JUDÉE, SUIVI DE SES DISCIPLES, IL Y DEMEURAIT AVEC EUX, ET Y BAPTISAIT. (VERS. 22, JUSQU'AU VERS. 30.) *

HOMÉLIE XXX. *

CELUI QUI EST VENU D'EN-HAUT, EST AU-DESSUS DE TOUS. CELUI QUI TIRE SON ORIGINE DE LA TERRE, EST DE LA TERRE, ET SES PAROLES TIENNENT DE LA TERRE. (VERS. 31, JUSQU'AU VERS. 34) *

HOMÉLIE XXXI. *

LE PÈRE AIME LE FILS, ET IL LUI A MIS TOUTES CHOSES ENTRE LES MAINS. — CELUI QUI CROIT AU FILS, A LA VIE ÉTERNELLE : CELUI QUI NE CROIT PAS AU FILS , NE VERRA POINT LA VIE, MAIS LA COLÈRE DE DIEU DEMEURE SUR LUI. (VERS 35, 36 JUSQU'AU VERS. 12 DU CHAP. IV.) *

HOMELIE XXXII. *

JÉSUS LUI RÉPONDIT : QUICONQUE BOIT DE CETTE EAU, AURA, ENCORE SOIF : — AU LIEU QUE CELUI QUI BOIRA DE L'EAU QUE JE LUI DONNERAI, N'AURA JAMAIS SOIF : MAIS L'EAU QUE JE LUI DONNERAI DEVIENDRA DANS LUI UNE FONTAINE D'EAU QUI REJAILLIRA JUSQUE DANS LA VIE ÉTERNELLE, (VERS. 13, 14, JUSQU'AU VERS. 20) *

HOMÉLIE XXXIII. *

JÉSUS LUI DIT : FEMME, CROYEZ-MOI, LE TEMPS EST VENU QUE VOUS N'ADOREREZ PLUS LE PÈRE, NI SUR CETTE MONTAGNE, NI DANS JÉRUSALEM. — VOUS ADOREZ CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ POINT : POUR NOUS, NOUS ADORONS CE QUE NOUS CONNAISSONS : CAR LE *

SALUT VIENT DES JUIFS. (VERS. 21, 22, JUSQU'AU VERS. 27.) *

HOMÉLIE XXXIV. *

CETTE FEMME CEPENDANT LAISSANT LA SA CRUCHE, S'EN RETOURNA A LA VILLE, ET COMMENÇA A DIRE: A TOUT LE MONDE : — VENEZ VOIR UN HOMME QUI M'A DIT TOUT. CE QUE J'AI JAMAIS FAIT : NE SERAIT-CE POINT LE CHRIST? (VERS. 28, 29, JUSQU'AU VERS. 39.) *

HOMÉLIE XXXV. *

LES SAMARITAINS ÉTANT DONC VENUS LE TROUVER , LE PRIÈRENT DE DEMEURER CHEZ EUX, ET IL Y DEMEURA DEUX JOURS. — ET IL Y EN EUT BEAUCOUP, PLUS QUI CRURENT EN LUI , POUR L'AVOIR ENTENDU PARLER. — DE SORTE QU'ILS DISAIENT A CETTE FEMME : CE N'EST PLUS SUR CE QUE VOUS NOUS EN AVEZ DIT QUE NOUS CROYONS EN LUI, CAR NOUS L'AVONS OUÏ NOUS-MÊMES, ET NOUS SAVONS QU'IL EST VRAIMENT LE CHRIST, SAUVEUR DU MONDE. — DEUX JOURS APRÈS IL SORTIT DE CE LIEU, ET S'EN ALLA EN GALILÉE. (VERS. 40, 41, 42, 43, JUSQU'AU VERS. 53.) *

HOMÉLIE XXXVI. *

CE FUT LA LE SECOND MIRACLE QUE JÉSUS FIT, ÉTANT REVENU DE JUDÉE EN GALILÉE. (VERS. 54, JUSQU'AU VERS. 5 DU CHAP. V.) *

HOMÉLIE XXXVII. *

JÉSUS LUI DIT : VOULEZ-VOUS ÊTRE GUÉRI ? — LE MALADE LUI RÉPONDIT : OUI, SEIGNEUR : MAIS JE N'AI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE APRÈS QUE L'EAU A ÉTÉ TROUBLÉE. (VERS. 6, 7, JUSQU'AU VERS. 13.) *

HOMÉLIE XXXVIII. *

DEPUIS, JÉSUS TROUVA CET HOMME DANS LE TEMPLE, ET IL LUI DIT : VOUS VOYEZ QUE VOUS AVEZ ÉT1 GUÉRI, NE PÉCHEZ PLUS A L'AVENIR, DE PEUR QU'IL NE VOUS ARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. (VERS. 14, JUSQU'AU VERS. 21.) *

HOMÉLIE XXXIX. *

LE PÈRE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A DONNÉ AU FILS TOUT POUVOIR DE JUGER. — AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS, COMME ILS HONORENT LE PÈRE. (VERS. 22, 23, JUSQU'AU VERS. 30.) *

HOMÉLIE XL. *

SI JE RENDS TÉMOIGNAGE DE MOI, MON TÉMOIGNAGE N'EST PAS VÉRITABLE. — IL Y EN A UN AUTRE QUI REND TÉMOIGNAGE DE MOI : ET JE SAIS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VÉRITABLE. (VERS. 31, 32, JUSQU'AU VERS. 38.) *

HOMÉLIE XLI. *

LISEZ AVEC SOIN LES ÉCRITURES , PUISQUE. VOUS CROYEZ Y TROUVER LA VIE ÉTERNELLE : ET CE SONT ELLES QUI RENDENT TÉMOIGNAGE DE MOI. — MAIS VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE ÉTERNELLE. (VERS. 39, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.) *

HOMÉLIE XLII. *

JÉSUS S'EN ALLA ENSUITE AU DELÀ DE LA MER DE GALILÉE, QUI EST LE LAC DE TIBÉRIADE. — ET UNE FOULE DE PEUPLE LE SUIVAIT, PARCE QU'ILS VOYAIENT LES MIRACLES QU'IL FAISAIT SUR LES MALADES. — JÉSUS MONTA DONC SUR UNE MONTAGNE , ET S'Y ASSIT AVEC SES DISCIPLES. — OR, LA PÂQUE DES JUIFS APPROCHAIT. VERS. 1, 2, 3, 4, DU CHAP. VI, JUSQU'AU VERS. 15.) *

HOMÉLIE XLIII. *

LORSQUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DESCENDIRENT AU BORD DE LA MER ET MONTÈRENT SUR UNE BARQUE, POUR PASSER AU DELA DE LA MER, VERS CAPHARNAÜM. IL ÉTAIT DÉJÀ NUIT QUE JÉSUS N'ÉTAIT PAS ENCORE VENU A EUX. — CEPENDANT LA MER COMMENÇAIT A S'ENFLER A CAUSE DU GRAND VENT QUI SOUFFLAIT. (VERS. 16, 17, 18, JUSQU'AU VERS. 26.) *
 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIII.
CE FUT LA LE PREMIER DES MIRACLES DE JÉSUS, QUI FUT FAIT A CANA, EN GALILÉE (VERSET 11, JUSQU'AU VERSET 22.)
ANALYSE.

1. Le changement de l'eau en vin est le premier miracle opéré par Jésus-Christ. — Sur quels témoigna es se fonde la vérité de ce miracle, qui porte les disciples à la foi.

2. Jésus-Christ chasse les vendeurs du temple : il a encore une autre fois la même action, mais dans les derniers jours de sa prédication.

3. Pourquoi Jésus-Christ a fait des prédications obscures. — Les apôtres n'ont pas connu la résurrection. — Jésus-Christ ne la leur a point révélée, pourquoi ? — On croit ce qui est prouvé par des faits: ce qui ne l'est que par des paroles, peu le croient. — Le Saint-Esprit donné aux apôtres pour lés faire ressouvenir de tout ce que Jésus-Christ leur avait dit. — Il les a fait ressouvenir, et Jésus-Christ les a enseignés. — Combien était grande la vertu des apôtres. — Leur éloge. — Belle exhortation à l'aumône : sans elle on ne peut entrer à la porte du ciel.

1. Le diable fait tous ses efforts pour nous tenter, il nous serre de près et nous tend de tous côtés des piéges pour nous perdre., Il faut donc veiller et lui fermer toutes les portes; s'il trouve la moindre entrée, bientôt il s'en fera une plus grande, et peu à peu il y fera passer toutes ses forces. Si nous faisons donc quelque état de notre salut, ne le laissons même pas

approcher dans les petites choses, afin de le prévenir pour les plus grandes. Il serait, en effet, d'une extrême folie, sachant combien il est vigilant et attentif à perdre notre âme, de n'apporter pas une égale vigilance et une pareille attention au soin de notre salut. Je ne dis pas ceci sans sujet : je le dis, parce que je crains que le loup ne soit maintenant, à notre [207]

insu, au milieu de la bergerie, prêt à ravir la brebis qui, ou par négligence, ou par malice, s'est séparée du troupeau. Encore si les blessures étaient visibles, ou si c'était le corps qui reçût les plaies, il ne serait pas nécessaire de nous tant prémunir contre les embûches que nous dresse notre ennemi : mais comme l'âme est invisible, comme c'est à elle que sont portés les coups, nous avons besoin d'une grande vigilance à nous examiner, " car nul homme ne connaît ce qui est en l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ". (I Cor. II, 11.)

Ma voix se fait entendre de vous tous, mon discours vous présente des remèdes communs à tous; mais c'est à chacun de mes auditeurs de prendre ce qui est propre à guérir et à chasser sa maladie. Je ne connais ni ceux qui sont malades, ni ceux qui sont en santé : voilà pourquoi je parle de tout, je dis ce qui convient à chacune des maladies de l'âme : je parle tantôt de l'avarice, tantôt des délices de la table, tantôt de l'incontinence : ensuite je loue l'aumône, et je vous exhorte à la faire ; de là je passe à d'autres sortes de bonnes oeuvres. Car j'appréhenderais, si je m'attachais à un seul point, que le remède proposé ne convînt point à vos maux: Si je n'avais ici qu'une seule personne qui m'écoutât, je ne me croirais pas obligé d'embrasser tant de sujets différents; mais comme il y a toute apparence que, parmi une si grande foule d'auditeurs, il se trouve aussi beaucoup de maladies différentes, nous n'avons pas tort de diversifier nos instructions et de parler sur différents sujets : la parole se répandant sur tous, trouvera certainement à qui être utile. C'est pour cette raison que l'Ecriture, adressant la parole universellement à tous les hommes, varie les sujets et traite d'une infinité de matières. Au reste, il ne se peut pas que toutes sortes de maladies ne se rencontrent dans une si grande multitude, quoiqu'elles ne se trouvent pas toutes dans chacun en particulier. Songeons donc à nous en purifier, et puis prêtons l'oreille à la parole divine; aujourd'hui , écoutons avec un esprit extrêmement attentif l'explication du texte qui vient d'être lu.

Quel est ce texte ? " Ce fut là le premier des miracles de Jésus, qui fut fait à Cana en Galilée ". Dernièrement je dis que quelques-uns croient que ce n'est point là le premier miracle. Oui, disent-ils, le premier miracle, si l'on ne parle que de Cana en Galilée. Pour moi, je ne voulus pas m'arrêter à disputer curieusement là-dessus, mais je disque Jésus-Christ n'a commencé à faire des miracles qu'après son baptême : nous avons déjà fait connaître qu'il n'en a fait aucun auparavant. Or, que ce soit là le premier miracle que Jésus a fait après son baptême, ou qu'il en ait fait quelqu'autre, c'est ce que je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rechercher et d'examiner.

" Et par là il fit connaître sa gloire ". Comment, et de quelle manière? car peu de gens firent attention à ce qui se passait; les serviteurs , le maître d'hôtel et l'époux seuls y prirent garde : comment donc fit-il connaître sa gloire? Il y contribue du moins pour sa juste part. Que si alors ce miracle ne fut pas connu, sûrement dans la suite tous en ont ouï parler ; car jusqu'à ce temps encore tout le monde en parle, loin qu'il soit demeuré caché. Mais la suite fait voir que le jour même tous ne l'ont pas connu. Saint Jean, après avoir dit : " Il fit connaître sa gloire ", ajoute : " Et ses disciples crurent en lui ", ses disciples qui déjà l'admiraient. Ne voyez-vous pas qu'il était surtout nécessaire de faire des miracles, lorsqu'il se trouvait là des hommes sages et attentifs? car de tels hommes devaient être particulièrement disposés à croire et à prêter une exacte attention à ce qui se passait. Et comment Jésus aurait-il été connu sans les miracles? certainement la doctrine, et la prophétie jointe au miracle, suffisaient pour inculquer les choses dans l'esprit des auditeurs; afin qu'y étant déjà faits et accoutumés ils fussent plus soigneusement attentifs aux oeuvres qu'ils voyaient. Voilà pourquoi souvent les évangélistes disent de certains lieux que Jésus n'y avait point fait de miracles, à cause de la corruption et de la méchanceté des habitants.

" Après cela il alla à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, mais ils y demeurèrent peu de jours (12) ". Pourquoi alla-t-il à Capharnaüm avec sa mère? car il n'y fit aucun miracle, et les habitants de cette ville ne lui étaient point affectionnés, c'étaient des gens très-corrompus. Jésus-Christ lui-même l'a fait connaître, en disant : " Et toi, Capharnaüm, qui t'es élevée jusqu'au ciel, tu seras précipitée dans le fond des enfers ". (Luc, X,15.) Pourquoi donc y alla-t-il ? Il y fut, à ce qu'il me le paraît, parce qu'il devait aller [208] peu après à Jérusalem; il y fut alors, parce qu'il ne voulait pas mener partout avec lui sa mère et ses frères. Y ayant donc été, il s'y arrêta quelque temps par considération pour sa 'mère, et l'y ayant laissée, il opéra encore des miracles (43). C'est pourquoi l'évangéliste dit qu'ayant demeuré quelque temps à Capharnaüm, il alla de là à Jérusalem. Jésus fut donc baptisé peu de jours avant la Pâque. Et à Jérusalem que fait-il? une action de grande autorité (14, 15). Il chassa du temple tous les marchands qu'il y trouva, les changeurs, ceux qui vendaient des colombes, et des boeufs, et des moutons, et qui se tenaient là pour leur trafic.

2. Un autre évangéliste rapporte qu'en chassant ces gens, il avait dit : " Ne faites pas de la " maison de mon père une caverne de voleurs". (Matth. XX,13; Marc, XI,17; Luc, XIX, 46.) Et saint Jean dit : " Une maison de trafic (16) ". En quoi pourtant ils ne se contredisent point. Mais ils nous apprennent que Jésus a chassé du temple ces vendeurs à deux reprises; cette première fois au commencement de la prédication, l'autre lorsqu'il approchait du temps de sa passion : c'est pour cela que, parlant alors plus durement, il dit: Pourquoi faites-vous de la maison de mon Père une caverne? ce qu'il ne fait pas dans cette première occurrence, où sa réprimande est plus modérée: ce qui explique qu'il ait recommencé.

Et pourquoi, direz-vous, Jésus-Christ les a-t-il ainsi chassés, et avec une violence qu'il n'a montrée en aucune autre occasion, lors même que les Juifs le chargeaient d'outrages et d'injures, l'appelaient samaritain et démoniaque? Car il ne s'en tint pas aux paroles, il alla jusqu'à prendre un fouet pour chasser ces hommes. Mais les Juifs, si prompts à la colère, quand ils le voyaient faire du bien aux autres, se conduisent autrement après ce châtiment qui aurait dû, ce semble, les exaspérer. En effet, ils ne firent point de reproches à Jésus, ils ne l'outragèrent point; mais que lui dirent-ils? " Par quel miracle nous montrez-vous que vous avez droit de faire de telles choses? (18) ". Ne remarquez-vous pas leur furieuse jalousie, et comment le bien fait à autrui les indignait bien davantage? Jésus-Christ donc reproche aux Juifs, tantôt d'avoir fait du temple une caverne de voleurs, indiquant par là que ce qu'on y vendait avait été volé, et provenait de rapine et d'avarice, et qu'ils s'enrichissaient de la misère d'autrui; tantôt qu'ils en avaient fait une maison de trafic, par allusion à leurs commerces honteux.

Mais pourquoi Jésus fit-il cela? Parce qu'il devait guérir des malades le jour du sabbat et faire bien des choses qu'ils regarderaient comme une violation de la loi ; il le fit pour ne point paraître en cela un rival, un ennemi de son Père ; par là il prévint tous ces soupçons; celui qui avait fait paraître tant de zèle pour l'honneur du temple, ne pouvait pas aller à l'encontre du Maître qui y était adoré. Les premières années de sa vie, dans lesquelles il avait vécu selon la loi, suffisaient pour prouver qu'il respectait le Législateur, et qu'il ne venait point substituer une loi à la sienne. Mais comme ces premières années pouvaient être oubliées, ou parce que tous n'en avaient pas connaissance, ou parce qu'il avait été élevé dans une pauvre maison, il fait cette action d'éclat en présence de tout le monde (la Pâque des Juifs était proche), en quoi il s'exposa à un grand péril : car non-seulement il chassa les vendeurs, mais aussi il renversa leurs bureaux et jeta par terre leur argent, afin qu'ils peu-, sassent en eux-mêmes que celui qui, pour la gloire du temple, s'exposait au péril, n'en méprisait pas le Maître. Si ce zèle qu'il faisait éclater eût été seulement feint et simulé, il s'en serait tenu à des remontrances et à des exhortations; mais il se jette au milieu du danger : certes, l'action est hardie. En effet, ce n'était pas peu de chose que de s'exposer à la fureur de forains, de gens brutaux, comme étaient ces marchands; d'outrager cette foule sans raison, et- de l'animer contre soi ; certes, on ne peut pas dire que ce fut là l'action d'une personne qui feint, qui déguise, mais bien d'un homme qui affronte toutes sortes de périls pour la gloire de la maison de Dieu. C'est pourquoi Jésus-Christ fait connaître son union avec le Père, non-seulement par ses actions, ruais encore par ses paroles; car il n'a pas dit: la sainte maison, mais la maison de mon Père. Il appelle Dieu son Père, et ils ne s'en scandalisent point, ils ne s'en fâchent pas, c'est qu'ils croyaient alors qu'il le disait par simplicité. Mais lorsque dans la suite il parla plus clairement pour établir qu'il était égal au Père, ils se mirent en fureur.

Que dirent-ils donc ? " Par quel miracle nous montrez-vous que vous avez droit de faire de telles choses ? " O folie extrême ! Il [209] était besoin d'un miracle pour les obliger de mettre un terme à ces mauvaises pratiques, par lesquelles ils déshonoraient la maison du Seigneur? Ce grand zèle pour la maison de Dieu n'était-il pas un très-grand miracle et suffisant pour prouver sa vertu et sa puissance ? Au reste, cette action fit connaître les bons. Car ses " disciples se souvinrent qu'il est écrit : Le zèle de votre maison me dévore (17) ". Mais les Juifs ne se souvinrent pas de la prophétie; ils disaient : " Quel miracle nous montrez-vous? " Affligés de se voir arrêtés dans leurs trafics sordides et honteux, et comptant par là lui lier les mains, ils. sollicitent de lui un miracle pour avoir lieu de s'inscrire en faux contre ce qu'il ferait; c'est pourquoi il ne leur en donne point. Déjà, quelque temps auparavant, ils étaient venus le trouver pour lui en demander un, et il leur avait fait la même réponse : " Cette nation corrompue et adultère demande un prodige, et il ne lui en sera point donné d'autres que celui du prophète Jonas ". (Matth. XVI, 4.) Mais sa première réponse était plus claire , celle-ci est plus enveloppée; il en use ainsi à cause de leur folie. Celui qui prévenait ceux qui ne demandaient pas et leur donnait des miracles, n'aurait pas repoussé ceux qui lui en demandaient un, s'il n'avait connu leur fourberie et leur méchanceté. La manière même dont ils demandent, de quelle méchanceté et de quelle malignité ne témoigne-t-elle pas ? Faites-y attention, je vous en prie; ils devaient louer son zèle et son amour, et admirer le grand soin qu'il prenait de la maison de Dieu, et au contraire ils le blâment, ils soutiennent qu'il leur est permis de vendre, et qu'il n'a pas le droit de les en empêcher, s'il ne le leur montre par un miracle.

Que leur répondit donc. Jésus-Christ? " Détruisez ce temple et je le rétablirai en trois "jours (19) ". Il dit ainsi bien des choses qui sont obscures pour ceux qui les entendent, mais qui sont claires pour ceux qui viendront dans la suite. Pourquoi? Afin que l'accomplissement de sa prédiction prouvât un jour la connaissance qu'il avait de l'avenir, et c'est ce qui arriva pour cette prophétie : " Après qu'il fut ressuscité d'entre les morts, ses disciples ose ressouvinrent qu'il leur avait dit cela, et ils crurent à l'Ecriture et à la parole que Jésus-Christ avait dite (22) ". Quand Jésus-Christ disait ces choses, les uns hésitaient sur

le sens de ses paroles, les autres disputaient, disant: "Ce temple a été quarante-six ans à bâtir et vous le rétablirez en trois jours? (20)". En disant quarante-six ans , ils font voir qu'ils parlent de la dernière construction du temple; car la première fut finie en vingt années.

3. Pourquoi donc ne résout-il pas cette énigme, et n'a-t-il pas dit : Je ne parle pas de ce temple, mais du temple de mon corps? L'évangéliste , écrivant longtemps après , a donné cette explication, mais Jésus-Christ n'en a dit mot; pourquoi? Parce que les Juifs n'auraient pas ajouté foi à ses paroles. En effet, si alors les disciples mêmes ne pouvaient pas comprendre ce qu'il disait, le peuple l'aurait bien moins compris. " Après que Jésus fut ressuscité d'entre les morts ", dit saint Jean, ils se ressouvinrent, et ils crurent à la parole et à l'Ecriture ". Jésus-Christ proposa alors deux choses à croire : la résurrection, et, ce qui est plus grand, que celui qui était dans ce corps qu'ils voyaient était Dieu ; il leur insinue l'un et l'autre, en disant : " Détruisez ce temple et je le rétablirai en trois jours ". Saint Paul ayant ces paroles en vue, dit qu'elles ne sont pas une faible preuve de la divinité, ce qu'il explique en ces termes : " Qui a été prédestiné " pour être " Fils de Dieu dans " une souveraine " puissance, selon l'Esprit de " sainteté , par sa résurrection d'entre les morts " ; touchant, dis-je, " Jésus-Christ Notre-Seigneur ". (Rom. I, 4.)

Pourquoi là, et ici, et ailleurs, Jésus-Christ donne-t-il cette preuve, disant tantôt: " Quand j'aurai été élevé ". (Jean, XII, 32.) Et: " Quand vous aurez élevé en haut le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez qui je suis". Et tantôt: " Il ne lui sera point donné d'autre prodige a que celui de Jonas ". Et ici encore : " Je le rétablirai en trois jours? " Il la donne, cette preuve, parce que c'est elle principalement qui fait connaître qu'il n'était pas simplement un homme, qu'il pouvait triompher de la mort, détruire sa longue tyrannie, et finir en peu de temps une guerre si difficile. Voilà pourquoi il dit : " Alors vous connaîtrez ". Quand, alors? Lorsqu'après ma résurrection j'attirerai tout le monde, alors vous connaîtrez que, comme Dieu et vrai Fils de Dieu, " j'ai voulu être élevé sur une croix ", pour venger l'outrage que les hommes ont fait à mon Père.

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Mais pour quelle raison Jésus-Christ ne dit-il pas quels miracles il faudrait pour les empêcher de faire le mal, et leur en promit-il un? Parce que s'il leur avait tenu ce premier discours, il les aurait bien plus irrités, et que de l'autre manière il les étonna davantage. Toutefois ils ne répliquèrent rien, car jugeant qu'il disait quelque chose d'incroyable, ils n'eurent plus la force de l'interroger, et comme si ce qu'il avait dit eût été impossible, ils le laissèrent tomber. S'ils avaient eu un peu de sens, quelque incroyable que leur eût paru cette assurance, après lui avoir vu faire beaucoup de miracles, ils l'auraient alors interrogé, alors ils l'auraient prié de les tirer de leur doute ; mais comme ils n'étaient que des fous et des insensés, à de certaines choses ils ne donnaient pas même la moindre attention ; à d'autres ils prêtaient l'oreille , mais avec un esprit malin et corrompu. Voilà pourquoi Jésus-Christ leur parlait énigmatiquement et par figures.

Maintenant on demande pourquoi les disciples n'ont pas connu que Jésus-Christ ressusciterait d'entre les morts? C'est parce qu'ils n'avaient pas encore reçu la grâce du Saint-Esprit : entendant donc souvent parler de la résurrection, ils n'y comprenaient rien; mais ils recherchaient en eux-mêmes ce que cela pouvait être. En effet, ce que disait Jésus-Christ était étonnant et inouï : que quelqu'un pût se ressusciter soi-même, et se ressusciter de cette manière. C'est pourquoi Pierre fut repris, parce que n'ayant aucune connaissance de la résurrection, il disait à Jésus-Christ : " Epargnez-vous à vous-même tous ces maux ". (Matth. XVI, 22.) Avant sa résurrection, Jésus-Christ n'a point révélé à ses disciples ce mystère, de peur qu'il ne fût pour eux un sujet de scandale, et qu'ils ne doutassent de la réalisation d'une prédiction aussi étrange, ignorant encore qui était Jésus.

Car, si personne ne fait difficulté de croire ce dont les oeuvres mêmes et les faits donnent clairement la preuve, il y avait toute apparence qu'à l'égard de ce qui ne serait fondé que sur la parole seule, tous n'auraient pas la même foi. Voilà pourquoi Jésus-Christ permit d'abord que son langage demeurât obscur mais quand il amena ses paroles à réalisation, alors il en donna l'intelligence et il répandit sur ses disciples la grâce du Saint-Esprit avec tant de profusion, qu'aussitôt ils comprirent toute la vérité. Le Saint-Esprit, disait-il, " vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit ". (Jean, XIV, 26.) En effet, des disciples, qui dans un seul soir perdent tout le respect qu'ils avaient eu jusque-là pour leur maître, qui l'abandonnant, s'enfuient tous; qui soutenaient qu'ils ne le connaissaient point, se seraient très-difficilement souvenus de ce qu'ils avaient ouï, et de ce qu'ils avaient vu depuis longtemps, s'ils n'avaient reçu de l'Esprit-Saint une grâce abondante.

Mais, direz-vous, si c'est le Saint-Esprit qui devait les instruire, quelle nécessité y avait-il qu'ils demeurassent avec Jésus-Christ, ne comprenant pas ce qu'il leur disait? c'est parce que le Saint-Esprit ne leur arien révélé, mais seulement les a fait ressouvenir de tout ce que Jésus-Christ leur avait dit. Au reste, que le Saint-Esprit fût envoyé pour rappeler la mémoire de tout ce qu'avait dit Jésus-Christ, cela ne contribuait pas peu à sa gloire, Certainement c'est par un pur bienfait de Dieu, qu'au commencement la grâce du Saint. Esprit s'est répandue sur eux avec tant de profusion et d'abondance ; mais c'est ensuite par leur vertu qu'ils ont conservé un si grand don. Car leur sainteté rendait leur vie illustre, leur sagesse éclatait, leur travail était continuel: ils méprisaient la vie présente, ils ne faisaient aucun cas des choses de ce monde; ils étaient au-dessus du reste des hommes, et s'envolant en haut avec la légèreté des aigles , ils s'élevaient jusqu'au ciel par leurs oeuvres.

Nous-mêmes aussi, mes frères, imitons-les: n'éteignons pas nos lampes, mais conservons les brillantes par nos aumônes. C'est ainsi qu'on entretient la lumière de ce feu. Faisons donc provision d'huile dans des vases pendant que nous vivons. Après notre départ de ce monde nous ne pourrons point en acheter, ni en recevoir d'ailleurs que des mains des pauvres : faisons-en, dis-je, une bonne provision, si nous voulons entrer avec l'Epoux dans la chambre nuptiale : que si nous ne la faisons pas, nécessairement nous demeurerons dehors. Car, quand même nous ferions mille bonnes oeuvres, il est impossible, il est, dis-je, impossible d'entrer sans l'aumône dans la porte du royaume du ciel. C'est pourquoi répandons largement nos aumônes sur les pauvres, afin que nous jouissions de ces biens ineffables, que je vous souhaite, par la grâce et la [211] miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, en tous lieux, la gloire et l'empire,maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIV.
PENDANT QU'IL ÉTAIT DANS JÉRUSALEM A LA FETE DE PAQUES, PLUSIEURS CRURENT EN SON NOM. (VERSET 23, JUSQU'AU VERSET 14 DU CHAPITRE III.)
ANALYSE.

1. Tous ceux que la doctrine a attachés à Jésus-Christ ont été plus fermes et plus constants que ceux que les prodiges avaient attirés. — Pourquoi il ne se fait plus de miracles.

2. Nicodème, faiblesse et imperfection, de sa foi ; condescendance de Jésus-Christ.

3. Ne chercher pas à approfondir avec trop de curiosité les saints mystères. — La curiosité égare de la foi. — Lorsqu'on ne soumet pas sa raison à la foi, on tombe dans mille absurdités. — La raison humaine qui n'est. pas éclairée d'en-haut ne produit que des ténèbres. — Les richesses sont des épines qui nous déchirent.

1. Entre ces hommes " qui voyaient alors les " miracles " de Jésus-Christ, les uns demeuraient dans leurs erreurs, les autres embrassaient la vérité; mais plusieurs d'entre eux ne l'ont gardée que peu de temps, et sont retombés ensuite. Jésus-Christ nous les a fait connaître dans la comparaison qu'il en a faite avec les semences qui ne jettent pas de profondes racines et qui , tombant sur une terre sans profondeur, sèchent aussitôt (Matth. XIII, 3, etc.) C'est d'eux aussi que parle en cet endroit l'évangéliste , quand il dit : " Pendant qu'il était dans Jérusalem à la fête de Pâques, plusieurs crurent en son nom, voyant les miracles qu'il faisait, mais Jésus ne se fiait point à eux (24) ". Les disciples, qui, touchés non-seulement de ses miracles, mais encore de sa doctrine, étaient venus à lui, et l'avaient suivi, furent plus fermes; car les prodiges attiraient les plus grossiers, mais les prophéties et la doctrine engageaient ceux qui avaient de la raison et du jugement. Tous ceux donc que la doctrine lui a attachés ont été plus fermes et plus constants que ceux que les prodiges avaient attirés, et ce sont ceux-là que Jésus-Christ a déclarés bienheureux par ces paroles : " Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru ". (Jean, XX, 29.) Mais que les autres n'étaient pas de vrais disciples, ce qui suit le prouve : " Jésus ne se fiait point à eux ". Pourquoi? Parce qu'il connaissait tout. " Et qu'il n'avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d'aucun homme; car il connaissait par lui-même ce qu'il y avait dans l'homme (25) ", c'est-à-dire, pénétrant au fond de leurs coeurs et dans leurs pensées , il n'écoutait pas leurs paroles, et sachant que leur ferveur n'était que pour un temps, il ne se fiait point à eux, comme à de parfaits disciples : il ne leur confiait pas toute sa doctrine comme à des personnes qui auraient fermement embrassé sa foi.

Or, de connaître le cœur des hommes, cela n'appartient qu'à Celui " qui a formé le cœur de chacun d'eux " (Ps. XXXII , 15) , savoir, de Dieu seul; car " vous seul ", dit l'Ecriture, " vous connaissez les murs ". (Act. I, 24.) Il n'avait pas besoin de témoins pour connaître les pensées et les mouvements de cœur qu'il avait formés: c'est pourquoi il ne se fiait pas aux premières marques de foi qu'ils donnaient. Souvent les hommes, qui ne connaissent ni le présent, ni l'avenir, disent sans crainte et confient tout à des fourbes, qui viennent [212] malignement les écouter, pour se retirer et les quitter peu après : Jésus-Christ ne fait pas de même, connaissant parfaitement tout ce que ces hommes avaient de plus secret et de plus caché dans leurs coeurs. Tels sont aujourd'hui plusieurs, qui véritablement ont le nom de fidèles, mais qui sont inconstants et volages. Voilà pourquoi Jésus-Christ ne se fie point à eux, mais leur cache beaucoup de choses. Comme en effet nous ne nous fions pas à toute sorte d'amis, mais seulement aux vrais; de même Dieu ne se fie pas indifféremment à tous. Ecoutez plutôt ce que Jésus-Christ dit à ses disciples : " Je ne vous appelle plus serviteurs, car vous êtes mes amis ". Comment? pourquoi? "Parce que je vous ai fait savoir. " tout ce que j'ai appris de mon Père ". (Jean, XV, 15.) C'est pour cette raison qu'il refusait aux Juifs les miracles qu'ils demandaient

il savait qu'ils ne les demandaient que pour le tenter.

Est-ce maintenant, comme autrefois, tenter Dieu, que de lui demander des miracles? Car il y a aujourd'hui des gens qui font la question suivante : Pourquoi maintenant encore Dieu ne fait-il pas des miracles? Si vous êtes fidèles, comme vous devez l'être; si vous aimez Jésus-Christ, comme il est juste de l'aimer, vous n'avez pas besoin de miracles les miracles sont pour les infidèles. Pourquoi donc, direz-vous , n'en a-t-on pas donné aux Juifs? Sûrement on leur en a donné ! mais, quelquefois ils ont été repoussés, lorsqu'ils en demandaient, parce qu'ils ne les demandaient pas pour se guérir de leur aveuglement et de leur incrédulité, mais pour s'y fortifier davantage et devenir plus méchants.

" Or, il y avait un homme d'entre les pharisiens , nommé Nicodème , sénateur des Juifs (2), qui vint la nuit trouver. Jésus ". Cet homme semble défendre Jésus-Christ au milieu de la prédication de l'Evangile, car il dit: " Notre loi ne condamne personne sans l'avoir ouï auparavant ". (Jean, VII, 51.) Les Juifs se fâchent contre lui et lui répondent avec indignation : " Lisez avec soin les Ecritures, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée ". (Ibid. 52.) De même , après que Jésus-Christ eut été crucifié, il eut un grand soin de la sépulture du corps de Notre-Seigneur. " Nicodème ", dit l'évangéliste, ce qui était venu trouver Jésus, durant la " nuit, y vint aussi avec environ cent livres d'une composition de myrrhe et d'aloès ". (Jean, XIX, 39.) Dès lors cet homme était bien affectionné pour Jésus-christ : mais néanmoins, non pas autant qu'il était juste, ni avec l'esprit qu'il fallait ; une certaine faiblesse juive le dominait encore. C'est pourquoi il vint de nuit; car il n'aurait pas osé venir de jour. Mais Dieu, plein de bonté et de miséricorde, ne le rejeta point, ne lui fit aucun reproche et ne le priva pas de sa doctrine. Il lui parla au contraire avec beaucoup de douceur, il lui découvrit sa. sublime doctrine, à la vérité d'une manière enveloppée, mais toutefois il la lui découvrit : car il était beaucoup plus excusable que ceux qui faisaient la même chose avec une maligne disposition. En effet, ceux-ci sont tout à fait indignes d'excuse ; celui-là était à la vérité blâmable, mais point tant que les autres. Pourquoi donc l'évangéliste ne l'a-t-il pas marqué? D'abord il a dit ailleurs que plusieurs des sénateurs mêmes avaient cru en Jésus-Christ; mais qu'à cause des Juifs ils n'osaient le reconnaître publiquement , de crainte d'être chassés de la synagogue. Mais ici il a tout dit, tout fait connaître par ces mots : il est venu durant la nuit. Que dit donc Nicodème? " Maître, nous savons que vous êtes, venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur; car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu, n'est avec lui (3) ".

2. Nicodème rampe encore à terre, il a encore de Jésus-Christ des sentiments tout humains, il parle de lui comme d'un prophète, les miracles qu'il a vus n'ont point élevé son esprit et ne lui ont rien inspiré de grand. " Nous savons ", dit-il, " que vous êtes un docteur envoyé de Dieu ." Pourquoi donc venez-vous de nuit secrètement trouver celui qui dit des choses divines et qui est envoyé de Dieu? Pourquoi ne l'abordez-vous pas avec confiance? "Mais Jésus-Christ ne lui dit pas même cela,, il ne lui fait aucune réprimande: " Car il ne brisera point le roseau cassé ", dit l'Ecriture, " et il n'éteindra point la mèche qui. fume encore : il ne disputera point, il ne criera point ". (Isaïe, XLII, 3; Matth. XII, 19, 20.) Et-en un autre endroit : " Je ne suis a pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde ". (Jean, XII, 47.)

Personne ne saurait faire les miracles que " vous faites, si Dieu n'est avec lui ". Cet homme parle encore selon, l'opinion des [213] hérétiques: il dit que Jésus-Christ est mû par un autre, et qu'il a besoin du secours d'autrui pour faire ce qu'il fait. Que répond donc Jésus-Christ? Voyez sa grande douceur. Il n'a point dit : Je n'ai besoin du secours de personne, et je fuis tout par ma puissance et avec autorité : car je suis le vrai Fils de Dieu et j'ai le même pouvoir que mon Père. Il ne s'est pas expliqué alors sur ce point par condescendance pour la faiblesse de son auditeur : ce que je dis souvent, je vous le répéterai ici : pendant longtemps, Jésus-Christ s'est moins attaché à révéler sa dignité qu'à persuader qu'il ne faisait rien contre la volonté de son Père. Voilà pourquoi souvent dans ses discours il se rabaisse : mais il n'en est pas de même quand il agit. Ainsi, opère-t-il des miracles, il parle avec autorité, disant: " Je le veux, soyez guéri (Marc, I, 41) : Ma fille, levez-vous, je vous le commande (Ibid. v , 41) : Etendez a votre main (Ibid. III, 5) : Vos péchés vous sont remis (Matth. IX, 5) : Tais-toi; calme-toi (Marc, IV, 39) : Emportez votre lit, et vous en allez en votre maison (Luc, V, 24) : " Esprit impur, sors de cet homme (Marc, V, 8) : Qu'il vous soit fait selon que vous demandez (Matth. VIII , 13) : Si quelqu'un vous dit quelque chose, dites-lui que le Seigneur en a besoin (Ibid. XXI, 3) : Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (Luc, XXIII, 43) : Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : vous ne tuerez point; mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère sans raison contre son frère, méritera d'être condamné par le jugement (Match. V, 21, 22) : Suivez-moi, et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes ". (Ibid. IV, 19.) Et partout nous voyons sa grande autorité. Car personne ne pouvait trouver à redire à ses oeuvres : et en quoi l'aurait-on pu ? Encore si l'effet n'avait pas suivi sa parole, quelqu'un aurait pu dire que ces ordres étaient vains et présomptueux; mais comme ils avaient leur prompt accomplissement, là vérité du miracle forçait les Juifs malgré eux-mêmes à garder le silence. Mais en ce qui regarde les paroles, leur impudence aurait pu les porter à les accuser de hauteur et de vanité.

Maintenant donc Jésus-Christ parlant à Nicodème, ne lui dit ouvertement rien de grand, rien de sublime ; mais par des paraboles et des figures il le ramène et le tire des bas sentiments qu'il avait conçus de lui, lui faisant connaître qu'il se suffisait à lui-même pour opérer des miracles ; car son Père l'a engendré parfait, se suffisant à soi-même et n'ayant aucune imperfection. Mais de quelle manière Jésus-Christ établit-il cette vérité ? Nicodème a dit : " Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur, et que personne ne saurait faire les miracles que vous faites si Dieu n'était avec lui ". En quoi il crut avoir dit de Jésus-Christ quelque chose de grand. Que fit donc Jésus-Christ? Il lui fit voir qu'il était encore bien éloigné de la vérité, qu'il n'en avait pas la moindre idée, et que lui et tout autre qui parlait de la sorte, et qui avait une pareille opinion du Fils unique, errait hors du royaume de Dieu et n'approchait pas encore de la véritable connaissance. Que dit-il ? " En vérité, en vérité, je vous dis que personne ne peut voir le royaume de Dieu s'il ne renaît de nouveau " ; c'est-à-dire, si vous ne renaissez d'en haut et si vous ne recevez pas la véritable connaissance des mystères, vous errez au dehors et vous êtes éloigné du royaume de Dieu. Mais il ne le dit pas clairement, et afin que ce qu'il disait lui cause moins de peine et d'inquiétude , il lui parle d'une manière enveloppée; il dit en général . " si on ne renaît ", comme s'il disait : Si vous, ou quelqu'autre que ce soit, vous avez de moi de tels sentiments, vous êtes tous hors du royaume. Si ce n'était pas dans cet esprit que Jésus-Christ a dit ces choses, sa réponse ne conviendrait point au sujet. Au reste, si les Juifs l'avaient ouïe, ils se seraient retirés et en auraient ri. Mais Nicodème, même en cela, montre un sincère désir de s'instruire: Souvent Jésus-Christ parle d'une manière couverte, et c'est pour rendre ses auditeurs plus prompts à l'interroger et plus attentifs. En effet, ce qui est clair et d'une facile intelligence n'attire pas l'attention de l'auditeur et se, perd aisément de la mémoire; mais l'attention et la curiosité se réveillent quand on dit quelque chose d'obscur, et aussi on le retient mieux et plus longtemps.

Voici ce que signifient ces paroles de Jésus-Christ: Si vous ne renaissez d'en-haut, si vous ne recevez le Saint-Esprit par le baptême de la régénération, vous ne pouvez véritablement me connaître: l'opinion que vous avez de moi n'est point spirituelle, elle est charnelle. Jésus-Christ ne s'est pas servi de ces termes, de peur [214] d'intimider Nicodème, qui avait parlé selon son esprit et sa capacité; mais, après avoir gagné sa confiance, il l'élève à une plus grande connaissance, en disant: " Si on ne renaît d'en-haut " : ce mot, " d'en-haut ", les uns l'entendent du ciel; d'autres disent qu'il signifie " de nouveau " : Celui, dit-il , qui ne renaît pas de cette manière , ne peut point voir le royaume de Dieu, c'est-à-dire, Jésus-Christ lui-même; par là il faisait connaître qu'il n'était pas seulement ce que l'on voyait au dehors, mais que, pour le voir , il fallait avoir d'autres yeux.

Nicodème ayant ouï cela, dit: " Comment peut naître un homme qui est déjà vieux? (4) " Quoi ! vous l'appelez maître, vous dites qu'il est venu de la part de Dieu ; et à celui que vous reconnaissez pour votre maître , vous faites une réponse qui peut l'embarrasser et le jeter dans un grand trouble ! En effet, cette parole : " Comment ", exprime le doute d'une âme peu croyante et encore attachée à la terre. Sara rit en disant: " Comment " , et ce rire marquait son doute et sa défiance, et plusieurs autres, pour avoir fait une pareille demande, se sont égarés de la foi.

3. C'est ainsi que les hérétiques, faisant de semblables demandes , s'obstinent dans leurs hérésies. Les uns disent: COMMENT s'est-il incarné? d'autres: COMMENT est-il né? Par où ils soumettent l'immense substance à leurs faibles lumières. Nous donc, fuyons une curiosité si mal placée. Ceux qui agitent ces sortes de questions ne sauront jamais comment ces choses se sont faites et perdront la vraie foi. Voilà pourquoi Nicodème, dans son doute, cherche et demandé : COMMENT. Il a compris que ce que disait Jésus-Christ le regarde; il en est tout troublé; couvert de ténèbres, il s'arrête et ne sait où aller. Il a cru venir trouver un homme, et il entend une doctrine trop grande et trop élevée pour qu'elle puisse venir d'un homme, une doctrine que jamais personne n'a entendue: véritablement Jésus-Christ élève son esprit aux sublimes paroles qu'il lui a fait entendre, mais Nicodème retombe dans les ténèbres et ne peut en sortir : il ne peut se fixer, il est emporté de toutes parts, souvent il s'écarte de la foi. C'est pourquoi il persiste à tenter l'impossible, afin d'engager Jésus-Christ à lui enseigner plus clairement sa doctrine. " Un homme " , dit-il, " peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère pour naître encore ? "

Considérez, mes frères; quels propos ridicules on profère, quand, dans les choses spirituelles, on se livre à ses propres pensées; et comment on semble débiter des rêveries dignes d'une personne ivre, lorsque, contre la volonté de Dieu, on veut trop curieusement sonder sa parole, et ne pas soumettre sa raison à la foi. Nicodème entend parler de naissance, et il ne comprend pas que c'est d'une naissance spirituelle qu'on parle ; mais il tourne sa pensée sur la méprisable génération de la chair, et veut rattacher un mystère si grand et si sublime à l’ordre de la nature. Delà ces doutes, ces questions ridicules ; c'est ce qui fait dire à saint Paul : " L'homme animal n'est point capable dès choses qui sont de l'Esprit de Dieu ". (I Cor. II, 14.) Mais toutefois Nicodème garde le respect qu'il doit à Jésus-Christ: il ne rit pas de ce qu'il a entendu : il le regarde comme impossible, il se tait. Deux choses pouvaient paraître douteuses: cette nouvelle naissance et le royaume. Car ces noms de royaume et de renaissance étaient encore inconnus parmi les Juifs; mais il s'arrête principalement à la première de ces choses: voilà ce qui agite son esprit et le tourmente le plus.

Instruits de ces vérités, mes chers frères, ne raisonnons pas sur les choses divines, ne les comparons pas aux productions de la nature, et ne les soumettons pas à des lois nécessaires; mais, confiants aux paroles de l’Ecriture, croyons pieusement à tout ce qu'elle nous enseigne. Celui qui sonde avec trop de curiosité ne gagne rien, et outre qu'il ne trouvera point ce qu'il cherche, il sera de plus très-rigoureusement puni. Vous dit-on que le Père a engendré ? Croyez ce qu'on vous dit; ne cherchez point à connaître COMMENT : vous ne le savez pas ; que ce ne soit point une raison pour vous de refuser de croire à cette génération; c'est en quoi il y aurait une extrême méchanceté. Si Nicodème, ayant ouï parler de génération, non de l'ineffable génération, mais de la renaissance qu'opère la grâce ; si, dis-je, Nicodème , pour n'avoir pas élevé son esprit, n'avoir rien pensé de grand, n'avoir conçu que des idées basses, humaines et toutes terrestres, s'est précipité dans le doute et dans les ténèbres , ceux qui sondent et examinent curieusement cette redoutable et si respectable génération, qui surpasse notre raison et toutes nos pensées, quel supplice ne mériteront-ils pas ? Rien ne produit de plus épaisses ténèbres [215] que la raison humaine, qui ne s'entretient que de choses terrestres et n'est point éclairée d'en-haut. Car elle est toute offusquée par la fange terrestre de ses pensées. C'est pourquoi nous avons besoin de ces sources d'eau qui tombent du ciel, afin qu'après avoir lavé la boue dont notre âme est souillée, ce qui y restera de pur s'élève en haut et aille se mêler avec la divine doctrine. Or, cela arrive. lorsque nous avons soin d'embellir notre âme et de vivre dans la pureté et dans la sainteté. Car notre âme peut se couvrir de ténèbres; oui, elle le peut, non-seulement par une curiosité mal placée, mais encore par la mauvaise vie. Voilà pourquoi saint Paul disait aux Corinthiens : " Je ne vous ai nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas capables ; et à présent même vous ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes " encore charnels , puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes ". (l Cor. 111, 2.) Le saint apôtre dit encore, dans l'épître aux Hébreux, et souvent ailleurs, que c'est là la source et la cause des mauvaises doctrines qui s'élèvent et se répandent dans l'Église. L'âme qui s'est adonnée à ses passions ne peut rien voir de grand, rien penser de noble et d'élevé; étant offusquée par une espèce de chassie, elle demeure ensevelie dans de profondes ténèbres.

Purifions donc notre âme, éclairons-la de la lumière que répand la connaissance de Dieu , de peur que la semence ne tombe parmi les épines. Vous savez quelle est l'abondance de ces épines, quoique nous n'en parlions point. Vous avez souvent entendu Jésus-Christ appeler du nom d'épines (Matth. XIII, 22), les inquiétudes de ce siècle et l'illusion des richesses. Et certes, c'est avec raison : comme les épines sont stériles, les richesses le sont aussi; comme celles-là déchirent ceux qui en approchent, de même celles-ci déchirent l'âme, et comme le feu les consume facilement, et que les vignerons ne peuvent les souffrir, le feu de même consumera les biens de ce monde, de même le vigneron les rejettera ; et encore, comme les bêtes dangereuses, telles que les vipères et les scorpions, se cachent dans les épines, elles se cachent aussi dans les trompeuses richesses. C'est pourquoi mettons le feu du Saint-Esprit dans ces épines, et préparons notre champ, arrachons-en toutes les mauvaises plantes, afin qu'il soit net à l'arrivée du vigneron ; arrosons-le ensuite des eaux spirituelles. Plantons-y le fertile olivier, cet arbre si beau, si agréable, qui est vert en tout temps, qui éclaire, qui nourrit, qui est bon à la santé. L'aumône renferme en soi toutes ces qualités , elle est comme un sceau qui garantit la possession de nos biens. La mort même ne sèche point cet arbre, mais il demeure ferme, et ne meurt jamais; toujours éclairant l'âme, entretenant ses forces., les conservant dans toute leur vigueur ", il la rend plus robuste. Si nous le possédons toujours, cet arbre, nous pourrons avec confiance nous présenter à l'époux, et entrer dans la chambre nuptiale; fasse le ciel que nous y entrions tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE XXV.
JÉSUS LUI RÉPONDIT : EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS DIS QUE SI UN HOMME NE RENAÎT DE L'EAU ET DE L’ESPRIT, IL NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU. (VERSET 5.)
ANALYSE.

216

1. Saint Chrysostome prêchait deux fois la semaine. — Nicodème n'entend, pas les paroles du Sauveur parce qu'il vent raisonner humainement dans les choses spirituelles. —Si un homme ne naît pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux.

2. et 3. Croire ce qu'on ne voit point. — Dans la première création, le Créateur s'est servi de la terre pour créer l'homme. — Dans la seconde, le Saint-Esprit se sert de l'eau. — Le premier homme ,a été créé avec une âme vivante ; et le second est rem-, pli de l'Esprit vivifiant. — Le premier homme avait besoin d'un aide ; le second, recevant la grâce du Saint-Esprit, n'a pas besoin d'un autre aide. — Belle description de ce que Dieu a fait pour le premier homme, et de ce qu'il fait pour le second. Nous attendons une autre vie beaucoup meilleure. — Se soumettre à la parole de Dieu, elle est plus certaine que la vue. — C'est elle qui a tout produit, elle mérite que nous la croyions. — L'eau est nécessaire au baptême, pourquoi? — Cérémonies du baptême. — Les grands mystères que Jésus-Christ a opérés pour nous, et qu'il nous a confiés, doivent nous porter à mener une vie qui en soit digne. — Les catéchumènes sont hors du corps des fidèles. — Contre les catéchumènes qui diffèrent jusqu'à la mort de recevoir le baptême. — Prêter son argent à Jésus-Christ, pour obtenir la rémission de ses péchés. — Donner les petits biens qu'on a pour en acheter de très-grands.

1. Les petits enfants vont tous les jours à l'école trouver leur maître, recevoir la leçon et la réciter, et ne cessent jamais de faire le même exercice, ou plutôt souvent au jour ils joignent la 'nuit. Et vous les obligez de faire tout cela pour des biens fragiles et passagers; mais nous ne demandons pas de vous, qui êtes dans un âge plus fort et plus mûr, ce que vous exigez de vos enfants. Nous ne vous demandons pas de venir tous les jours au sermon, mais nous vous exhortons seulement d'y assister deux fois la semaine, et d'y être attentifs, et encore, afin d'adoucir votre peine et votre travail, ce n'est que pour une petite partie du jour. Voilà pourquoi nous prenons et nous expliquons peu à peu les paroles de l'Ecriture, afin que vous ayez plus de facilité à les comprendre, à les placer dans les réservoirs de votre mémoire, et à les retenir dans votre esprit, pour les rapporter aux autres avec beaucoup de soin et d'exactitude , si vous n'êtes pas. extrêmement négligents et plus paresseux que de petits enfants.

Reprenons donc la suite des paroles de notre évangile. Nicodème était tombé dans de basses idées, il avilissait ce qu'avait dit Jésus-Christ, l'entendant d'une naissance charnelle, et il disait qu'il est impossible qu'un homme qui est déjà vieux pût naître une seconde fois. Jésus-Christ explique plus clairement comment se doit faire cette renaissance, véritablement en des termes difficiles à comprendre pour celui qui l'avait interrogé avec un esprit charnel et tout terrestre, mais qui toutefois pouvaient le relever et le tirer des bas sentiments qu'il avait conçus. En effet, que dit le divin Sauveur? " Je vous dis en vérité que si un homme ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu " ; c'est-à-dire : vous pensez que ce que je dis est impossible; et moi, je le dis tout à fait possible, et même si nécessaire que sans cela personne ne peut être sauvé; car les choses nécessaires, Dieu les a rendues tout à fait faciles. Et certes la naissance terrestre, qui est selon la chair, vient de la poussière ; c'est pourquoi les portes du ciel lui sont fermées : Qu'est-ce en effet qu'a de commun la terre avec le ciel? mais la naissance qu'opère le Saint-Esprit nous ouvre facilement les portes célestes.

Ecoutez ceci, vous tous qui n'avez pas encore reçu le baptême: Soyez saisis de frayeur, [217] gémissez : la menace que vous venez d'entendre fait trembler, cette sentence est terrible. " Celui ", dit Jésus-Christ, " qui n'est pas né de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume des cieux " , parce qu'il porte un vêtement de mort, c'est-à-dire de malédiction et de corruption : il n'a pas encore reçu le symbole du Seigneur (1). il est un étranger et un ennemi. Il n'a pas le signe royal : " Si un homme ", dit-il, " ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux ".

Mais Nicodème ne l'a pas pris en, ce sens. Sur quoi je dis qu'il n'est rien de pire que de se livrer aux raisonnements humains dans les choses spirituelles ! Voilà ce qui a empêché cet homme de s'élever à quelque chose de grand et de sublime. Nous sommes appelés fidèles, afin que, méprisant la faiblesse des raisonnements humains, nous nous élevions à la sublimité de la foi, et que nous confiions notre trésor et nos biens à cette doctrine. Si Nicodème l'avait fait, cette régénération ne lui aurait pas paru impossible. Que dit donc Jésus-Christ ? Pour le tirer de ce sentiment bas et rampant, et pour montrer qu'il parle d'une autre génération, il dit: " Si un homme ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux " . Or, il parle ainsi pour l'amener à la foi par cette menace, pour le convaincre qu'il ne doit pas croire que ce soit là une chose impossible, et pour le tirer de la pensée d'une génération charnelle. Je parle, dit-il, d'une autre naissance, ô Nicodème ! pourquoi, ce que je dis, l'abaissez-vous jusqu'à terre? Pourquoi, ce qui est au-dessus de la nature, le soumettez-vous aux lois de la nature? cette naissance surpasse la naissance ordinaire, elle n'a rien de commun avec nous. L'autre est également appelée naissance; mais ces deux naissances n'ont rien de commun entr'elles que le nom, elles diffèrent dans la chose. Eloignez de votre esprit l'idée des générations ordinaires : j'introduis dans le monde une autre sorte de naissance. Je veux que les hommes soient engendrés d'une autre manière; j'apporte un autre mode de création. J'ai formé l'homme de la terre et de l'eau, cette figure de terre et d'eau n'a rien produit de bon; le vase a pris une mauvaise forme. Je ne veux plus me servir de terre et d'eau, mais de l'eau et de l'Esprit.

1. Le symbole du Seigneur, c'est-à-dire, la toi, la grâce.

Que si quelqu'un me fait cette question Comment de l'eau peut-il se faire quelque chose? Je lui en ferai une autre, et je lui dirai : comment de la terre s'est-il pu faire quelque chose? comment la génération a-t-elle pu être si multiple, les productions si diverses, quand la matière qui a été employée était d'une seule espèce? D'où se sont formés les os, les nerfs, les artères, les veines? D'où se sont formés les membranes, les vaisseaux organisés, les cartilages, les tuniques, le foie, la rate, le coeur ? D'où s'est formée la peau, le sang, la pituite, la bile? D'où viennent tant d'opérations? d'où se produisent tant de différentes couleurs ? car ces choses ne naissent pas de !a terre ou de la boue. Comment la terre ensemencée pousse-t-elle là semence au dehors, et la chair corrompt-elle ce qu'elle reçoit? comment la terre nourrit-elle ce qu'on jette dans son sein; et la chair au contraire est-elle nourrie de ce qu'elle reçoit, loin de le nourrir? Donnons un exemple : la terre ayant reçu de l'eau en a fait du vin, et la chair change en eau le vin qu'elle reçoit. D'où sait-on donc que c'est la terre qui produit ces choses, puisque dans ces productions, comme j'ai dit, la terre produit un effet tout contraire ? Je ne puis le concevoir par le raisonnement, je ne le conçois donc, et je ne le sais que par la foi seulement; or, si les choses mêmes qui se font tous les jours, qui se passent sous nos yeux, sous nos sens, et que nous touchons et manions de nos mains, ont besoin de la foi, à combien plus forte raison des choses mystérieuses et spirituelles en auront-elles besoin? car comme la terre, tout inanimée et immobile qu'elle est, a reçu de Dieu, par le commandement qu'il lui en fait, la vertu de produire des choses si admirables et si merveilleuses, de même de l'Esprit et de l'eau joints ensemble s'opèrent facilement tous ces prodiges et ces miracles, qui surpassent la raison.

2. Ne refusez donc pas de croire ce que vous ne voyez pas. Vous ne voyez point l'âme, et néanmoins vous croyez qu'il y a une âme, et une âme distincte du corps. Mais Jésus-Christ n'emploie pas cet exemple pour instruire Nicodème, il se sert d'un autre. Il ne lui propose pas celui-ci, qui est incorporel et insensible, savoir : l'exemple de l'âme, parce que Nicodème était encore trop grossier. Il lui présente donc un autre exemple, emprunté à une chose qui certainement n'a pas la grossièreté des [218] corps, ni aussi la spiritualité des êtres incorporels, c'est-à-dire, l'impétuosité et l'agilité des vents. D'abord il commence par l'eau, qui est plus subtile et plus légère que la terre, et plus épaisse que le vent. Comme dans la création la terre servit de matière et que le Créateur fit tout le reste, maintenant de même, l'eau sert de matière, et la grâce du Saint-Esprit fait tout le reste : alors a l'homme reçut " l'âme et la vie " (Gen. II, 7); maintenant il est rempli de l'Esprit vivifiant ". (I Cor. XV, 45.) Mais il y a une grande différence entre l'une et l'autre chose; car l'âme ne donne pas la vie, mais l'Esprit, non-seulement vit par lui-même, mais encore il communique la vie aux autres. C'est ainsi que les apôtres ont rendu la vie aux morts. Autrefois l'homme ne fut formé qu'après la création du monde, maintenant, au contraire, le nouvel homme est créé avant la nouvelle création. Car il est régénéré le premier, et ensuite le monde est transformé. Et comme au commencement le Créateur a créé le premier homme tout entier, maintenant de même le Saint-Esprit crée le second homme tout entier. Alors Dieu dit : " Faisons-lui un aide semblable à lui " (Gen. II, 18) ; mais ici il ne dit rien de semblable. En effet, celui qui a reçu la grâce du Saint-Esprit, de quelle autre aide peut-il avoir besoin ? Celui qui demeure dans le corps de Jésus-Christ, de quel secours ensuite aura-t-il besoin? Alors Dieu fit l'homme à son image, maintenant il se l'est uni à lui-même. Alors il lui commanda de dominer sur tous les poissons et sur tous les animaux, maintenant il a élevé nos prémices au-dessus des cieux. Alors il nous, donna le paradis pour l'habiter, maintenant il nous a ouvert les portes du ciel. Alors l'homme fut formé le sixième jour, parce qu'auparavant il fallait finir la création du monde, maintenant il est formé le premier jour, et dès le commencement, et avec la lumière. Par où tout le monde voit que tout ce qui s'est, fait dans la seconde création regarde une meilleure vie et une vie qui ne finira jamais.

La première formation est donc terrestre, et c'est celle d'Adam; après vient celle de la femme, qui fut formée d'une des côtes d'Adam, et ensuite celle d'Abel, qui est né d'Adam. Et toutefois nous rie pouvons connaître aucune de ces générations, ni les expliquer par nos paroles, quoiqu'elles soient charnelles et terrestres. Comment donc pourrons-nous rendre

raison de la génération spirituelle qu'opère le baptême et qui est beaucoup plus excellente et plus sublime? Comment pouvons-nous espérer de concevoir une naissance si étonnante? Les anges s'y sont trouvés présents, mais personne ne pourra expliquer la manière dont se fait par le baptême cette admirable génération. Les anges y ont assisté sans y coopérer, sans y rien faire, seulement ils ont vu ce qui s'y est fait. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit fait tout.

Soumettons-nous donc à la parole de Dieu, qui est plus certaine que la vue même. Car souvent les yeux se trompent, tandis que la parole de Dieu est infaillible. Soumettons-nous donc à cette divine parole ; car la parole qui a créé ce qui n'était point, mérite bien qu'on la croie lorsqu'elle parle de la nature des choses qu'elle a produites. Que dit-elle donc? Qu'il se fait une régénération dans le baptême. Que si quelqu'un vous dit: Comment cela? Fermez-lui la bouche par la parole de Jésus-Christ qui est une sorte de preuve et une démonstration évidente; mais si quelqu'un demande pourquoi on prend de l'eau, demandons-lui nous-mêmes à notre tour pourquoi la terre a été premièrement créée pour la formation de l'homme. En effet, personne n'ignore que Dieu pouvait former l'homme sans prendre de la terre. C'est pourquoi ne cherchez pas avec trop de curiosité à en savoir davantage. Or que l'eau soit nécessaire, apprenez-le par cet exemple : Le Saint-Esprit étant un jour descendu avant l'eau du baptême, l'apôtre ne s'arrêta point à cela; mais pour montrer que l'eau était nécessaire et non pas superflue, voici ce qu'il dit, écoutez-le: " Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui " ont déjà reçu le Saint-Esprit comme nous?" (Act. X, 44, 47.)

Pourquoi donc l'eau est-elle nécessaire au baptême ? Je vais vous l'expliquer pour vous découvrir un mystère caché, car il y a plusieurs autres mystères cachés dans ce sacrement. Aujourd'hui, parmi ce grand nombre; je vous en découvrirai un. Quel est-il? Dans le baptême, on célèbre des symboles divins, on représente la sépulture, la passion, la résurrection, la vie de Jésus-Christ, et ces choses se font toutes à la fois. Notre tête étant plongée dans l'eau comme dans un

1. " Le Père, le Fils , et le Saint-Esprit " FAIT TOUT, pour " font tout " . Saint Chrysostome , comme l'observe Savillus, dit : FAIT TOUT, pour marquer, et mieux exprimer l'unité de substance des trois personnes.

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tombeau, le vieil homme est enseveli et entièrement noyé; quand nous sortons ensuite de cette eau, le nouvel homme ressuscite (1). Comme il nous est facile de nous plonger dans cette eau et d'en sortir ensuite, il est de même facile à Dieu d'ensevelir le vieil homme et d'en former un nouveau. Cette immersion se fait par trois fois, pour nous apprendre que- c'est la vertu du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, qui opère toutes ces choses. Mais pour vous persuader que ce n'est pas par conjecture que nous disons ceci, écoutez ce que dit saint Paul " Nous avons été ensevelis avec lui ", avec Jésus-Christ, " par le baptême, pour mourir " au péché (Rom. VI, 4) ; et ensuite : " Notre vieil homme a été crucifié avec lui " (Rom. VI, 6) ; et encore : "Nous sommes entrés avec lui, par la ressemblance de sa mort ". (Rom. VI, 5.) Or, non-seulement le baptême est appelé une croix, mais la: croix aussi est appelée un baptême : " Vous serez baptisés ":, dit Jésus-Christ, " du baptême dont je dois être baptisé " (Marc, X, 39) ; et ailleurs : " Je dois être baptisé d'un baptême que vous ne connaissez pas (2) ". Car comme il nous est facile d'être baptisés et de sortir de l'eau, de même, Jésus-Christ étant mort, est ressuscité lorsqu'il l'a voulu, ou plutôt beaucoup plus facilement encore que nous ne sortons de l'eau, quoique par une sage et mystérieuse dispensation, il soit demeuré trois jours dans le tombeau.

3. Ayant donc reçu la grâce de participer à de si grands mystères, menons une vie qui soit digne d'un don si singulier; que toute notre conduite soit parfaitement bien réglée; mais vous, qui n'en avez pas encore été jugés dignes, faites tous vos efforts pour le devenir, afin que nous ne soyons tous qu'un seul corps, afin que nous soyons tous frères. Tant que nous sommes ainsi séparés, celui qui est séparé, fût-il notre père, ou notre fils, ou notre frère, quel qu'il soit enfin , il n'est point encore véritablement notre parent, puisqu'il n'a point de part à l'alliance qui vient d'en-haut. En effet, quelle utilité peut-il revenir d'une union de boue, si l'on n'est point spirituellement unis ? Quel gain retirera-t-on d'une parenté terrestre , étant étrangers à l'égard du ciel ?

1. Le saint Docteur fait allusion à la manière de baptiser de son temps par trois immersions. On plongeait l'homme entièrement dans l'eau, et cette action représentait assez bien un pomme qui descend dans le tombeau, et qui disparaît aux yeux des hommes, etc.

2. Je n'ai point trouvé ce passage. C'est toujours me juste allusion aux paroles de Jésus-Christ.

Le catéchumène est un étranger à l'égard d'un fidèle: il n'a ni le même chef, ni le même père, ni la même cité, ni la même nourriture, ni le même vêtement, ni la même table; mais tout est séparé. Tout ce que possède celui-là est sur la terre: tout ce que possède celui-ci est dans le ciel; Jésus-Christ est le roi de celui-ci, l'autre a pour rois le péché et le diable; Jésus-Christ fait les délices de l'un ; la corruption, de l'autre. L'ouvrage des vers est le vêtement de celui-là; le vêtement de celui-ci, c'est le Seigneur des anges. Le ciel est la cité de l'un , la terre l'est de l'autre. Puis donc qu'il n'y a rien de commun entre nous, en quoi, je vous prie, communiquerons-nous? Mais, direz-vous, nous avons tous une même naissance, nous sortons tous du sein d'une même terre? Je vous répondrai: mais cela ne suffit pas pour faire une véritable et légitime alliance. Travaillons donc à devenir citoyens de la cité du ciel. Jusques à quand demeurerons-nous dans notre exil, nous qui devrions faire tous nos efforts pour rentrer dans notre ancienne patrie? La perte que nous risquons de faire n'est ni légère , ni de vil prix. Le Seigneur veuille bien nous en préserver ! mais si une mort imprévue venait à nous enlever de ce monde , avant d'avoir reçu le baptême, fussions-nous chargés de mille biens, de toute sorte de bonnes oeuvres, nous n'aurions pour partage que l'enfer, et un ver venimeux; qu'un feu qui ne s'éteint point, et des liens indissolubles.

Mais, à Dieu ne plaise qu'aucun de mes auditeurs tombe dans ce lieu de supplices ! Nous l'éviterons si, après avoir été initiés aux saints mystères, nous mettons au fondement de l'édifice du salut notre or, notre argent et nos pierres précieuses. C'est ainsi qu'en l'autre monde nous pourrons nous trouver riches, si nous n'avons pas laissé ici notre argent , et si nous l'avons envoyé là-haut, par les mains des pauvres, au trésor inviolable, si nous l'avons prêté à Jésus-Christ. Nous avons contracté de grandes dettes envers ce trésor, non en argent, mais par nos péchés. Prêtons donc notre argent à Jésus-Christ, afin d'obtenir la rémission de nos péchés; c'est lui qui est notre juge. Ne le méprisons pas ici lorsqu'il a faim, afin que là il nous nourrisse: ici habillons-le, afin que là il ne nous laisse pas nus, en nous privatif de sa protection. Si nous lui donnons à boire ici, nous ne dirons pas avec le riche: "Envoyez Lazare, afin qu'il trempe le bout de son doigt [220] dans l'eau pour me rafraîchir la langue qui est toute en feu ". (Luc, XVI, 24.) Si ici nous le recevons chez nous, là il nous préparera plusieurs demeures. Si nous allons le visiter, lorsqu'il est en prison, il nous délivrera, lui aussi, des liens. Si nous exerçons l'hospitalité envers lui, il ne souffrira pas que nous restions étrangers au royaume des cieux; mais il nous fera citoyens de la cité d'en-haut. Si nous allons le voir quand il est malade, il nous guérira sur-le-champ de nos infirmités. Ainsi donc, puisqu'il suffit de donner peu pour recevoir beaucoup, donnons quoi que ce soit, afin d'être amplement rémunérés; pendant que nous en avons encore le temps, semons pour moissonner un jour. Lorsque l'hiver sera arrivé, lorsque la mer ne sera plus navigable, il ne sera plus alors en notre pouvoir de commercer.

Et quand aurons-nous l'hiver? lorsque le grand jour, le jour plein de lumière sera arrivé. Alors nous ne naviguerons plus sur cette grande et vaste mer de la vie présente. Maintenant c'est le temps de semer, alors ce sera le temps de faire la moisson et d'amasser. Si l'on ne sème pas pendant les semailles, et si, au temps de la moisson, on sème, outre qu'on ne récolte rien, on se rend ridicule. Si c'est le temps de semer, il ne faut donc pas chercher maintenant à recueillir, mais il faut semer. En conséquence, répandons pour amasser ensuite ; ne nous attachons pas maintenant à recueillir, de peur que noirs ne perdions notre moisson: le temps présent, comme j'ai dit, nous appelle à semer et à répandre, et non lias à amasser ni à faire des provisions. C'est pourquoi ne perdons pas l'occasion , mais jetons copieusement la semence, et n'épargnons rien de ce qui est chez nous , afin de recouvrer tout avec usure, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit la gloire, au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XXVI.
CE QUI EST DE LA CHAIR, EST CHAIR, ET CE QUI EST NÉ DE L'ESPRIT, EST ESPRIT. (VERSET 6, JUSQU'AU VERSET 11.)
ANALYSE.

1. De la renaissance spirituelle, ses caractères.

2. Le vent souffle où il veut. — La régénération spirituelle préfigurée et prédite.

3. Nous rendons témoignage de ce que nous avons vu. — Persuader par la douceur. — Ne se mettre pas en colère. — Fuir les crieries. — Description de la colère, ses effets. — Celui qui dit des injures fait une action honteuse: celui qui les souffre patiemment est un vrai philosophe. — Les serviteurs sont de même nature que les maîtres, les maîtres ne doivent pas les injurier. — Ce qu'ils font par crainte de leurs maîtres, les maîtres le doivent faire par la crainte de Dieu.

1. Le Fils unique de Dieu a eu la bonté de nous initier à de grands mystères: oui, certes, ils sont grands ces mystères, et nous n'en étions pas dignes: mais il était de sa grandeur et de sa dignité de nous les communiquer. Que si l'on considère notre mérite, non-seulement nous étions indignes de ce bienfait, mais nous méritions sa vengeance et une sévère punition. C'est à quoi néanmoins il n'a point regardé: il ne nous a pas seulement délivrés du supplice, il nous a encore donné une vie bien plus noble que la première, il nous a introduits dans un autre monde, il a formé une nouvelle créature : " Si quelqu'un [221] appar tient à Jésus-Christ ", dit l'Ecriture, " il est devenu une nouvelle créature ". (II Cor. V, 17.) Quelle est-elle cette nouvelle créature? Ecoutez le Fils de Dieu, il vous l'apprend lui-même : " Si un homme ne renaît ", vous dit-il, " de l'eau et de l'Esprit; il ne peut entrer, dans le royaume de Dieu ". (Jean, III, 5.) Il nous avait confié la garde du paradis de délices (Gen. II, 15) ; nous nous sommes rendus indignes de l'habiter : il nous a élevés au ciel. Dans notre première demeure nous ne lui avons pas été fidèles, et cependant il nous a donné quelque chose de plus grand. Nous n'avons pu nous abstenir de manger du fruit d'un seul arbre (Gen. II, 17), et il nous a donné les délices célestes. Etant dans le paradis nous n'avons pas persévéré dans le bien, et il nous a ouvert les cieux. Saint Paul a donc eu raison de s'écrier : " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! " (Rom. XI, 33.)

Non, aujourd'hui il n'est plus besoin ni de mère, ni d'enfantement, ni de sommeil, ni de mariage, ni d'embrassements : l'ouvrage de notre nature s'opère enfin dans le ciel, et se forme de l'eau et de l'Esprit : c'est l'eau qui conçoit et produit l'enfant. Ce qu'est le ventre de la mère à l'embryon, l'eau l'est au fidèle, car il est conçu et enfanté dans l'eau. Au commencement Dieu avait dit : " Que les eaux produisent des poissons vivants ". (Gen. I, 20.) Mais depuis que le Seigneur est entré dans le fleuve du Jourdain, ce ne sont plus des poissons vivants que l'eau produit : elle engendre des âmes raisonnables, qui portent le Saint-Esprit. Et ce qui a été dit du soleil, qu' " il est comme un époux qui sort de sa a chambre nuptiale " (Ps. XVIII, 5); maintenant on, le peut dire des fidèles, qui jettent des rayons plus brillants que le soleil. Encore il faut du temps pour. que ce qui est conçu dans le sein de la mère se forme et vienne à terme : mais il n'en arrive pas de même de ce qui se produit dans l'eau, tout s'y forme en un instant : quand il s'agit d'une vie périssable, résultat d'une corruption charnelle, le fruit tarde à voir le jour : car il est dans la nature des corps de n'arriver que peu à peu à la maturité : mais il n'en est pas ainsi des choses spirituelles : elles sont parfaites dès le commencement.

Comme Nicodème , en entendant dire ces choses, se troublait toujours, voyez comment Jésus-Christ lui découvre le secret de ce mystère, et lui éclaircit ce qui était auparavant obscur : " Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit ". Il l'éloigne par là de tout ce qui tombe sous les sens, et ne lui permet pas de sonder les mystères avec des yeux corporels. Nous ne parlons pas de la chair, ô Nicodème ! lui dit-il; mais de l'Esprit. Ainsi il élève son esprit aux choses spirituelles : n'imaginez, lui dit-il, ne cherchez rien de sensible. Ce n'est pas avec ces yeux qu'on voit l'Esprit : ne pensez pas que l'Esprit produise la chair.

Comment donc, dira peut-être quelqu'un, la chair du Seigneur est-elle née? Elle est née, non de l'Esprit seulement, mais encore de la chair, ce que saint Paul nous apprend par ces paroles : " Il est né d'une femme et assujetti à la loi " (Gal. IV, 4) : le Saint-Esprit l'a ainsi formé, mais non pas tiré du néant : en effet, s'il l'avait tiré du néant, en quoi le sein d'une femme aurait-il été nécessaire? l'Esprit l'a formé de la chair d'une vierge : mais coin ment? je ne puis l'expliquer. Au reste, Jésus-Christ est né d'une femme, de peur qu'on ne crut qu'il n'avait rien de commun avec notre nature. Si, alors même que la chose s'est ainsi passée, il se trouve pourtant des gens qui ne croient pas à cette génération : à quel comble d'impiétés ne se serait-on pas porté, à supposer que cette chair n'eût pas été tirée de celle d'une vierge?

" Ce qui est né de l'Esprit, est esprit " : Ne voyez-vous pas en cela la dignité et la puissance du Saint-Esprit? il fait l'ouvrage de Dieu. L'évangéliste disait ci-dessus : " Ils sont nés de Dieu " ; maintenant il dit ici: ils sont engendrés de l'Esprit. " Ce qui est né de l'Esprit, est esprit " : c'est-à-dire celui qui est né de l'Esprit est spirituel. Jésus-Christ ne parle pas ici de la génération, quant à la substance, mais quant à la dignité et à la grâce. Si donc le Fils est né de cette manière, qu'aura-t-il de plus que le reste des hommes, qui sont nés de même? comment est-il le Fils unique? car, moi aussi, je suis né de Dieu, mais non pas de sa substance : si donc le Fils lui-même n'est pas né de sa substance, en quoi diffère-t-il de nous? De cette manière il se trouvera aussi qu'il est au-dessous du Saint-Esprit. Car la génération dont nous parlons se fait par la grâce de l'Esprit-Saint. Est-ce que, pour rester le Fils, il a besoin du Saint-Esprit? [222] mais en quoi cette doctrine diffère-t-elle de celle des Juifs?

Jésus-Christ donc après avoir dit : ce qui est né de l'Esprit est esprit; comme il voit Nicodème encore dans le trouble, passe à un exemple sensible. " Ne vous étonnez pas ", dit-il, " de ce que je vous ai dit, qu'il faut que vous naissiez encore une fois. Le vent souffle où il veut (7, 8) ". Quand Jésus-Christ dit à Nicodème : " Ne vous étonnez pas ", il marque le trouble et l'agitation de son esprit, et en même temps il l'introduit dans un monde moins grossier que celui des corps; déjà par ces paroles : " Ce qui est né de l'Esprit est esprit", il l'avait éloigné de toutes ces idées charnelles. Mais comme Nicodème ne comprenait pas ce que cela voulait dire, il lui apporte encore un autre exemple, il ne le tire pas de la grossièreté des corps, il ne parle non plus en aucune façon des choses incorporelles, à quoi Nicodème ne pouvait rien entendre, mais il lui propose une chose qui tient le milieu entre ce qui est corporel et ce qui est incorporel; savoir, le vent qui de sa nature est subtil et impétueux, et c'est par ce symbole qu'il l'instruit ; il dit du vent : " Vous entendez bien sa voix, mais vous ne savez d'où il vient, ni où il va ". Quand il dit : " Il souffle où il lui plait " ; il ne veut pas dire que le vent s'emporte à son gré, mais il veut marquer son impétuosité et sa force irrésistible. C'est la coutume de l'Ecriture de parler ainsi des choses inanimées (1) : comme lorsqu'elle dit : " Les créatures sont assujetties à la vanité, et elles ne le sont pas volontairement ". (Rom. VIII, 20.) Ce mot donc : " Il souffle où il lui plaît ", signifie qu'on ne peut le retenir, qu'il se répand partout; que personne ne peut l'empêcher d'aller de côté et d'autre, et qu'il se déchaîne avec une grande violence, nul ne pouvant arrêter son impétuosité.

2. " Et vous entendez bien sa voix ", en d'autres termes, le bruit, le son : " Mais vous ne savez d'où il vient, ni où il va : il en est de même de tout homme qui est né de l'Esprit " : c'est là la conclusion. Si vous n pouvez pas, dit-il, expliquer l'impétuosité du vent, que l'ouïe et le tact vous font sentir, et s vous ne connaissez pas la route qu'il suit pourquoi cherchez-vous curieusement à sonder l'opération de l'Esprit-Saint, vous qui ne

1. C'est-à-dire, d'attribuer du sentiment et de la raison aux créatures insensibles.

comprenez pas la violence du vent, quoique vous en entendiez le bruit? car ce mot: " Il souffle où il lui plaît ", est dit de la puissance du Saint-Esprit, et c'est ainsi qu'il faut l'expliquer. Si personne ne peut arrêter le vent, et s'il souffle où il lui plaît, ni les lois de la nature, ni les bornes des générations corporelles, ni quelqu'autre chose que ce puisse être, ne pourront à bien plus forte raison empêcher l'opération de l'Esprit-Saint. Or, que ce soit du vent qu'il est dit : " Vous entendez sa voix ", c'est ce qui est évident : Jésus-Christ n'aurait pas dit à un infidèle, à un ignorant, en voulant parler de l'opération de l'Esprit-Saint, " vous entendez sa voix ". Comme donc on ne voit pas le vent, quoiqu'il fasse du bruit, de même on n'aperçoit pas des yeux du corps la génération spirituelle : et néanmoins le vent est un corps, quoique très-subtil : car tout ce qui est soumis aux sens est un corps. Si donc ce n'est ni une peine, ni un chagrin pour vous, de ne pas voir un corps, ni aussi une raison d'en nier l'existence , pourquoi vous troublez-vous quand vous entendez parler de l'Esprit-Saint? pourquoi demandez-vous tant de comptes, puisque vous ne faites pas de même à l'égard d'un corps? quelle est donc la conduite de Nicodème? Après un exemple si clair, il demeure encore dans ses basses idées, dans sa grossièreté juive; et comme dans le doute, où il persiste toujours, il dit encore à Jésus-Christ : " Comment cela se peut-il faire? (9) " Le divin Sauveur lui répond plus durement: " Quoi ! vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses? (10) " Considérez toutefois que jamais il ne l'accuse de malice, que seulement il lui reproche sa grossièreté et sa stupidité.

Mais qu'a de commun, dira-t-on, cette génération avec ce qui s'est passé parmi les Juifs? mais plutôt dites-moi, je vous prie, ce qui ne s'y rapporte pas. La création du premier homme, la formation de la femme tirée de son côté ; les femmes stériles devenues fécondes, et tout ce qui a été opéré par l'eau et sur les eaux, savoir : dans la fontaine d'où Elisée retira le fer qui y était tombé; les prodiges qui se sont faits au passage de la mer Rouge; les miracles arrivés à la piscine dont l'ange remuait l'eau (Jean, C, 5) , et la guérison miraculeuse de Naaman de Syrie dans le Jourdain ; toutes ces choses, dis-je, étaient comme des figures et des symboles de la génération [223] et de la purification qui devait un jour arriver, et qui les annonçaient d'avance; les oracles mêmes des prophètes prédisaient en quelque sorte cette nouvelle manière de naître, comme par exemple , ces paroles : " La postérité à venir sera annoncée par le Seigneur, et les cieux annonceront sa justice au peuple qui doit naître " dans la suite; " au peuple qui a été fait par le Seigneur ". (Ps. XXI, 34.) Et celles-ci : " Il renouvelle sa jeunesse comme celle de l'aigle ". (Ps. CII, 5.) Ces autres : " Jérusalem , recevez la lumière : car voilà que votre roi est venu ". (Isaïe, LX, 1.) Et encore : " Heureux sont ceux à qui les iniquités ont été remises ". (Ps. XXXI, 1.) Isaac était aussi une figure de cette naissance.

Dites, ô Nicodème ! dites-le nous : comment Isaac est-il né ? Est-ce purement selon la loi de la nature? Non : donc cela s'est fait d'une manière qui tenait et de la naissance naturelle, et de la nouvelle naissance, car Isaac est né d'un mariage, et d'autre part il n'est pas simplement né du sang. Et moi, je vous ferai voir que non-seulement cette naissance, mais encore l'enfantement de la Vierge, ont été prédits et annoncés d'avance par les prodiges figuratifs dont je viens de parler. Comme personne n'aurait pu facilement croire qu'une Vierge enfantât , premièrement les femmes stériles, et non-seulement les femmes stériles, mais encore les vieilles ont enfanté. Et toutefois, qu'une femme soit formée d'une côte, c'est quelque chose de plus merveilleux et de plus étonnant : mais comme ce prodige était très-ancien , une autre espèce d'enfantement a paru dans la suite : et la fécondité des femmes stériles a préparé les esprits à croire à l'enfantement de la Vierge ; c'est pour rappeler ces célèbres événements à Nicodème que Jésus-Christ lui disait : " Quoi ! vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses? Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu, et cependant personne ne reçoit notre témoignage ". Jésus-Christ ajouta ces choses, et pour prouver encore par d'autres exemples ce qu'il avait dit, et pour s'accommoder à sa fait blesse.

3. Mais que signifient ces paroles : " Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu (11) ? " Comme de tous les sens, la vue est celui qui nous persuade le plus , comme lorsque nous voulons qu'on nous croie, nous élisons que nous n'avons pas entendu de nos oreilles, mais que nous avons vu de nos propres yeux; voilà pourquoi Jésus-Christ, parlant à Nicodème, emprunte le langage des hommes et leur façon de parler; il l'emprunte pour persuader ce qu'il dit : mais que cela soit ainsi, que telle ait été son unique intention, et qu'il ne veuille pas parler de la vue sensible, ses propres paroles le font voir visiblement. II avait dit: " Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit ", il ajoute : " Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu ". Mais cela n'était point encore arrivé. Pourquoi dit-il donc: " Ce que nous avons vu ? " N'est-il pas évident qu'il parle de cette exacte et parfaite connaissance qui ne peut se tromper ? " Et cependant personne ne reçoit notre témoignage. " Ce mot donc: " Ce que nous savons ", Jésus-Christ le dit ou de soi et de son Père, ou de soi seulement; mais celui-ci : " Personne ne reçoit ", il ne le dit pas maintenant pour marquer sa colère et son indignation, mais seulement pour faire connaître ce qui se passe. Car il n'a point dit : Est-il rien de plus insensible que vous? Quoi! vous ne recevez pas ce que nous vous expliquons avec tant de soin et d'exactitude? Il montre au contraire une très-grande modération et dans ses actions, et dans ses paroles; il ne dit rien d'approchant, mais il prédit avec douceur ce qui en arriverait, et nous donne à nous cet exemple d'une extrême patience, afin que nous ne soyions ni fâchés , ni chagrins, lorsque nous ne persuadons pas ceux à qui nous parlons.

En effet, que sert de se fâcher ? on n'y gagne rien; au contraire, on s'aliène les esprits, on les rend plus opiniâtres dans leur incrédulité. C'est pourquoi il faut bien se garder de se fâcher : il faut s'attacher à rendre digne de foi ce qu'on dit, en s'abstenant non-seulement de se mettre en colère, mais aussi de se répandre en clameurs; car des clameurs naît la colère. Arrêtons dune le cheval, pour renverser le cavalier. Coupons les ailes à la colère, et nous comprimerons son essor. Elle est un venin subtil, qui s'insinue facilement, et qui infecte l'âme. Il faut donc lui fermer toutes les portes. Il serait ridicule d'adoucir et d'apprivoiser des bêtes, et de négliger notre âme, de la laisser devenir brutale et farouche. La colère est un grand feu qui dévore tout : elle [224] corrompt le corps, elle ruine l'âme; elle rend l'homme laid et horrible à voir. Certes si un homme en colère voulait se regarder au miroir, il ne lui faudrait point d'autre avertissement : rien n'est plus affreux qu'un visage en colère. La colère est une espèce d'ivresse, ou plutôt elle est pire et plus misérable qu'un démon : mais être attentifs ,à ne se pas répandre en clameurs, c'est la meilleure voie pour arriver à la vraie philosophie. Voilà pourquoi saint Paul commande de fuir non-seulement la colère, mais encore les clameurs : " Que toute colère ", dit-il, " et toute clameur soient bannies d'entre vous ". (Ephés. IV, 31.)

Soyons donc soumis et, obéissants au grand Maître de toute philosophie, de toute sagesse 1 Et lorsque nous nous sentons émus de colère contre nos serviteurs, pensons à nos péchés et rougissons de honte en voyant leur douceur et leur patience. Car quand vous chargez d'injures votre serviteur, et qu'il écoute vos injures patiemment et en silence, que vous faites une action honteuse, et que lui, il se conduit en vrai philosophe : c'est un avertissement qui devrait vous suffire. En effet, quoiqu'il ne soit qu'un valet, toutefois il est homme, doué d'une âme immortelle et honoré des mêmes dons que nous par notre commun Maître. Que si nous étant égal dans les plus grandes choses et dans les dons spirituels, il souffre patiemment vos outrages à cause de je ne sais quelle légère prérogative humaine, de quel pardon et de quelle excuse serons-nous dignes, nous, qui même par la crainte de Dieu ne pouvons, ou même ne voulons pas nous contenir, comme ce domestique le fait par la crainte qu'il a de nous?

Réfléchissons donc en nous-mêmes sur toutes ces choses, pensons que nous sommes des pécheurs, et que nous participons tous à une même nature; étudions-nous à parler avec douceur en toute occasion, afin qu'étant humbles de coeur, nous procurions à nos âmes le repos et la paix, et de la vie présente et de la vie future. Je prie Dieu de nous l'accorder à tous, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, etc.
 
 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVII.
MAIS SI VOUS NE ME CROYEZ PAS LORSQUE JE VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, COMMENT NE CROIREZ-VOUS QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL? — PERSONNE N'EST MONTÉ AU CIEL, QUE CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, SAVOIR, LE FILS DE L'HOMME QUI EST DANS LE CIEL. (VERSET 12, JUSQU'AU VERSET 16.)
ANALYSE.

1. Il ne faut pas chercher à comprendre par la raison la génération du Fils unique.

2. Le serpent d'airain, figure de Jésus-Christ. — Combien Dieu a aimé le monde.

3. Amour de bien : excès de sa bonté pour des pécheurs et des ingrats. — Dieu, pour nous sauver, n'a même pas épargné son Fils, et nous épargnons notre argent : mauvais usage qu'on fait des richesses. — Ce que Jésus-Christ a fait pour nous : notre ingratitude, notre dureté pour lui en la personne des pauvres. — Eussions-nous mille vies, nous devrions les répandre toutes pour Jésus-Christ. — Contre ceux qui, donnant tout à leur luxe, négligent et méprisent les pauvres.

1. Je l'ai souvent dit, je le répéterai maintenant encore, et je ne cesserai point de le dire : Qu'est-ce donc? C'est que souvent Jésus-Christ, lorsqu'il veut parler de choses élevées et sublimes, s'abaisse à la portée de ses auditeurs, et ne se sert point de paroles dignes de [225] sa grandeur, mais des plus simples et des plus grossières. S'il avait une fois parlé des choses divines en propres termes, il n'avait pas besoin de se répéter pour nous instruire, du moins autant qu'il est possible ; mais il n'en est pas de même des paroles simples et grossières, par lesquelles il se mettait à la portée de ses auditeurs : si elles n'eussent été fréquemment répétées, comme il s'agissait de choses sublimes, elles n'auraient point touché, ni ébranlé un auditeur charnel qui rampait à terre. Voilà pourquoi Jésus-Christ a beaucoup plus dit de choses simples que d'élevées : mais de peur que cela ne fît tort à ses disciples, et ne les laissât toujours courbés vers la terre, il ne dit point ces choses simples, il ne se sert point de ces grossières comparaisons, sans marquer pour quelle raison il en use de la sorte : et c'est ce qu'il a fait en cet endroit. Ayant discouru du baptême, et de cette renaissance qu'opère la grâce ; voulant parler ensuite de son ineffable et mystérieuse génération, il interrompt son discours et il en déclare lui-même la cause. Quelle est-elle ? c'est la grossièreté et la faiblesse de ses auditeurs : il l'a même insinué incontinent après par ces paroles: " Si vous ne me croyez pas lorsque je avons parle des choses de la terre, comment me croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ? " C'est pourquoi, quand Jésus-Christ dit quelque chose de simple et de grossier, il faut en attribuer la raison à la faiblesse et à la grossièreté de ses auditeurs.

Au reste quelques-uns croient qu'en cet endroit ces mots: les choses de la terre, signifient le vent, et que cela revient à dire : si vous ayant donné l'exemple des choses de la terre, néanmoins je ne me suis pas fait entendre, comment pourrez-vous comprendre des choses qui sont très-élevées et très-sublimes? mais s'il appelle ici le baptême terrestre, n'en soyez f pas surpris: il l'appelle ainsi, ou parce qu'il est conféré sur la terre, ou parce qu'il le compare j avec sa redoutable génération; car quoique la renaissance qu'opère le baptême soit céleste, [si néanmoins on la compare avec cette génération que produit la substance du Père, on i peut la dire terrestre. Et remarquez que Jésus-Christ n'a point dit : Vous ne comprenez pas ; mais: Vous ne croyez pas. En effet, accuser de folie celui qui ne veut pas croire, ne le comprenant pas, ce qui est du domaine de la raison, rien n'est plus juste : et au contraire si quelqu'un refuse de recevoir ce que la raison n'admet pas et qui n'est accessible qu'à la foi, on ne l'accusé pas de folie, mais on le blâme à cause de son incrédulité. Jésus-Christ donc voulant ramener Nicodème, lui parle avec plus de force et lui reproche son incrédulité, afin qu'il ne cherche pas à comprendre par le raisonnement le sens de ses paroles mais si la foi nous oblige de croire à notre régénération, quel supplice ne méritent pas ceux qui 'cherchent à connaître par la raison la génération du Fils unique?

Mais peut-être quelqu'un dira : pourquoi Jésus-Christ a-t-il dit ces choses, si ses auditeurs devaient refuser de les croire? C'est parce que si ceux-là ne les croyaient pas, il était sûr que les hommes qui viendraient après eux les croiraient, et en retireraient un grand avantage. Jésus-Christ donc, parlant à Nicodème avec beaucoup de force, lui fait voir enfin que non-seulement il connaît ces choses, mais encore bien d'autres, incomparablement plus grandes; ce qu'il montre par les paroles qui suivent, où il dit: " Personne n'est monté au ciel, que celui qui est descendu du ciel ", savoir : " le Fils de l'homme qui est dans le ciel ". Et quelle est, direz-vous, cette conséquence? elle est très-grande et très-bien liée à ce qui précède; Nicodème avait dit : " Nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu " pour nous instruire comme " un docteur " ; Jésus-Christ amende ces paroles, en lui disant, ou à peu près : Ne pensez pas que je sois docteur, comme l'ont été plusieurs prophètes, qui étaient des hommes terrestres, car moi, je viens du ciel. Aucun des prophètes n'est monté au ciel , et moi j'y habite. Ne voyez-vous pas, mes frères, que ce qui paraît même très-élevé reste fort au-dessous d'une telle grandeur? Car Jésus-Christ n'est pas seulement dans le ciel, il est partout, il remplit tout; mais il se rabaisse encore à la portée et à la faiblesse de son auditeur, afin de l'élever peu à peu. Au reste, en cet endroit, Jésus-Christ n'appelle pas la chair le Fils de l'homme, mais il se désigne tout entier, pour ainsi parler, par le nom de la moindre substance. En effet, il a coutume de se nommer tout entier, tantôt par la divinité, tantôt par l'humanité.

" Et comme Moïse éleva dans le désert le serpent " d'airain, "il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé en haut (14) ". Ceci encore parait ne pas se rattacher à ce qui [225] précède, et néanmoins s'y rapporte tout à fait. Car, après, avoir dit que le baptême procure aux hommes un très-grand bien, il découvre aussitôt la source de ce bienfait, et fait connaître qu'elle n'est pas moins, précieuse que l'autre., puisque le baptême. tire toute sa vertu de la croix. Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, en use de même, il joint ces biens ensemble, en disant : " Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous, ou avez-vous été baptisé au nom de Paul?" (I Cor. I, 13). Par où l'apôtre fait parfaitement connaître l'ineffable amour de Jésus-Christ, en ce qu'il a souffert pour ses ennemis et est mort pour eux, afin de leur remettre entièrement leurs péchés par le baptême.

2. Mais pourquoi n'a-t-il pas clairement dit qu'il devait être crucifié, et a-t-il renvoyé ses auditeurs à l'ancienne figure? Premièrement pour leur montrer la liaison et la concorde qu'il y a entre l'Ancien et le Nouveau Testament, et leur apprendre que ce qui s'est passé dans l'un, n'est pas contraire à ce qui se passe dans l'autre. En second lieu, afin que vous compreniez vous-mêmes et que vous soyiez bien persuadés qu'il n'est pas allé à la mort malgré lui; de plus que cette mort ne lui fait aucun tort, et enfin que c'est par elle qu'il procure le salut de plusieurs. Et de peur que quelqu'un ne dît . Comment peut-il se faire que ceux qui croient à un homme crucifié soient sauvés,. puisque la mort l'a enlevé lui-même? il nous rappelle une ancienne histoire. Si les Juifs qui regardaient la figure du serpent d'airain (Exod. XXI), évitaient la mort, à plus forte raison, ceux qui croient en Jésus-Christ crucifié, recevront-ils de grands ors et des grâces plus excellentes. En effet, si Jésus-Christ a été crucifié, ce n'est pas qu'il ait été le plus faible ou les Juifs les plus forts; son temple animé a été attaché à la croix, parce que Dieu a aimé le monde.

" Afin que tout " homme " qui croit en lui, ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (15) ". Ne voyez-vous pas la cause de la mort et le salut qu'elle procure? Ne voyez-vous pas l'accord de la figure avec la vérité? Alors les Juifs évitèrent la mort, irais une mort temporelle; maintenant les fidèles sont préservés de la mort éternelle. Là le serpent élevé en l'air guérissait les morsures des serpents; ici, Jésus crucifié guérit les blessures que fait le dragon spirituel. Là, celui qui regardait des yeux du corps était guéri; ici, celui qui voit des yeux de l'âme, se décharge de tous ses péchés. Là pendait une figure d'airain qui représentait un serpent, ici le corps du Seigneur que le Saint-Esprit a formé. Là, un serpent mordait et un serpent guérissait; ici la mort a donné la mort, et la mort a donné la vie. Le serpent qui tuait avait du venin, celui qui donnait la vie n'avait point de venin. Ici c'est la même chose : la mort qui donnait la mort avait le péché, comme le serpent avait le venin; mais la mort du Seigneur était exempte de tout péché, comme le serpent d'airain l'était du venin : " Car il n'avait commis aucun péché. ", dit l'Ecriture, " et de sa bouche il n'est jamais sorti aucune parole de tromperie ". (I Pierre, II, 23.) C'est là ce qu'a déclaré saint Paul par ces paroles: " Jésus-Christ ayant désarmé les principautés et les puissances; les a menées hautement en triomphe à la face de tout le monde, après les avoir vaincues par lui-même ". (Col. II, 15.) De même qu'un courageux athlète, qui, élevant fort haut son ennemi, le jette par terre, remporte une plus illustre victoire , ainsi Jésus-Christ,. à la face de tout le monde, a terrassé les puissances qui nous étaient ennemies, et, après avoir guéri ceux qui avaient été blessés dans le désert, il les a, par son crucifiement, délivrés de toutes les bêtes; aussi Jésus-Christ n'a point dit : II faut que le Fils de l'homme soit attaché à une croix, mais il a dit : Il faut qu'il soit élevé; de manière à choquer moins celui qui l'écoutait, et à se rapprocher de la figure.

" Car Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que tout " homme " qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (16) ". C'est-à-dire: Ne vous étonnez pas que je sois élevé, afin que vous soyiez sauvés.; ainsi a décidé mon Père, et mon Père vous a tellement aimés, qu'il a donné son Fils pour ses serviteurs et pour des serviteurs ingrats; quand personne n'en ferait autant pour son ami. Saint Paul dit même

" Et certes, à peine quelqu'un voudrait-il mourir pour un juste ". (Rom. V, 7). L'apôtre appuie davantage sur- cet amour de Dieu, parce qu'il parlait à des fidèles ; Jésus-Christ l'exprime ici avec plus de ménagement, parce qu'il parlait à Nicodème ; mais ce qu'il dit est plus significatif encore, comme on peut s'en convaincre en pesant chacun des mots dont il [227] se sert. Car ces paroles: " Il a tellement aimé ", et cette opposition : " Dieu; le monde ", montrent un incomparable amour.

En effet, elle est grande la différence qui est entre Dieu et le monde, ou plutôt elle est immense. Dieu, l'immortel, celui qui est sans principe, qui a une grandeur infinie, a aimé des hommes formés de terre et de cendres, chargés d'une multitude de péchés, qui ne cessaient de l'offenser, dès ingrats : oui, dis-je, voilà ceux qu'il à aimés. Les paroles qui suivent sont aussi fortes, car il ajoute : " Qu'il a donné son Fils unique ", non pas un de ses serviteurs, ni un ange, ni un archange. Mais personne n’a jamais marqué tant d'affection, tant d'amour pour son fils même, que Dieu en a eu pour des serviteurs ingrats. Jésus-Christ prédit donc ici sa Passion; sinon ouvertement, du moins d'une manière enveloppée : maïs l'avantage et le bien qui devait revenir de sa Passion, il le déclare ouvertement : "Afin ", dit-il, " que tout " homme " qui croit en lui, ne périsse point. mais qu'il ait la vie éternelle ". Jésus-Christ avait dit qu'il sérail élevé, et il avait insinué sa mort. Ces paroles pouvaient causer du chagrin et de la tristesse à Nicodème, lui inspirer à son sujet dès sentiments humains, et lui faire penser que sa mort serait la fin de sa vie. Voyez de quelle façon il rectifie tout cela, en disant que la victime offerte est le Fils de Dieu, le principe et la source de la vies et de la vie éternelle ; or, celui qui, par sa mort, devait donner la vie aux autres, ne pouvait longtemps demeurer dans la mort. Si ceux qui croient en Jésus-Christ crucifié ne périssent point, bien moins périra-t-il celui qui est crucifié. Celui qui tire les autres de leur perte doit lui-même être bien plus exempt de périr; celui qui donne la vie aux autres, à plus forte raison se la donnera-t-il à lui-même.

Ne voyez-vous pas, mes chers frères, que partout on a besoin de la foi ? car Jésus-Christ dit que la croix est une source et un principe de vie. La raison ne l'admettra pas facilement témoin les sarcasmes actuels des gentils. Mais la foi qui s'élève au-dessus de la faiblesse de la raison, croit et reçoit cette vérité. Et d'où vient que Dieu a tant aimé le monde ? d'où cela vient-il ? Uniquement de sa bonté.

3. Qu'un si grand amour nous couvre donc de honte; qu'an si grand excès de bonté nous lasse donc rougir. Dieu, pour nous sauver, n'a même pas épargné son propre Fils (Rom. VIII, 32), et nous épargnons nos richesses pour notre perte. Dieu adonné pour nous son Fils unique, et nous ne méprisons pas l'argent pour son amour, ni même pour notre bien et nôtre avantage. Une pareille conduite, une ingratitude si extrême, de quel pardon est-elle digne? Si nous voyons un homme s'exposer pour nous aux périls et à la mort, nous le préférons à tous les autres, nous le considérons même comme notre ami le plus intime, nous lui donnons tous nos biens et nous disons qu'ils sont plus à lui qu'à nous-mêmes, et encore ne croyons-nous pas nous, être assez libérés envers lui. Mais, à l'égard de Jésus-Christ, nous ne nous conduisons pas de même, nous n'avons pas un coeur si reconnaissant. Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, et il a répandu pour nous son précieux sang; pour nous,. dis-je, êtres sans bonté et sans amour pour lui. Mais nous, notre argent, nous ne le dépensons même pas pour notre utilité ; nous abandonnons celui qui est mort pour nous, nous le laissons nu, nous le laissons sans logement et qui nous délivrera du supplice au jugement futur? Si Dieu ne nous punissait pas, si c'était à nous à nous punir nous-mêmes, ne prononcerions-nous pas l'arrêt contre nous? ne nous condamnerions-nous pas au feu de l'enfer, pour avoir méprisé et laissé se consumer de faim celui qui a donné sa vie pour nous?

Et pourquoi m'arrêter à parler de l'argent et des richesses? Si nous avions mille vies, n'aurait-il pas fallu les offrir toutes pour Jésus-Christ? Et en cela même nous n'aurions encore rien fait qui fût comparable au bien que nous avons reçu. En effet, celui qui oblige le premier, donne une marque évidente de sa bonté, mais celui qui a reçu un bienfait, quoiqu'il donne ensuite, ne fait pas une grâce : il s'acquitte d'une dette, et surtout lorsque celui qui donne le premier fait ce bien à des gens qui sont ses ennemis, et que celui qui use de retour et de reconnaissance donne à son bienfaiteur des biens qu'il lui doit, et qu'il doit recouvrer un jour.

Mais toutes ces choses ne nous touchent pas, et nous sommes si ingrats, que lors même que nous couvrons d'or nos serviteurs, nos mules, nos chevaux, nous méprisons Notre-Seigneur, nous le laissons marcher nu dans les rues, demander son pain de porte en porte, debout dans les carrefours, et nous tendre les mains, [228] sans lui rien donner, et souvent même en le regardant avec dureté, bien qu'il se soumette pour notre amour à toutes ces peines et ces misères. Car volontairement il a faim, afin que vous le nourrissiez; il marche nu, pour vous fournir l'occasion de revêtir un vêtement incorruptible; et cependant vous ne lui donnez rien : vos habits, ou les vers les mangent, ou bien vous en chargez inutilement des coffres, et ils ne sont pour vous qu'un embarras, pendant que celui qui vous les a donnés, avec tout ce que vous possédez, se promène tout nu dans les rues.

Mais vous ne les enfermez pas dans vos coffres, vous vous en habillez magnifiquement? Que vous en revient-il (le plus, je vous prie ? Est-ce afin que cette foule de peuple qui inonde la place vous regarde? Et de quoi cela vous sert-il? le peuple n'admire pas celui qui porte ces habits magnifiques, mais bien celui qui donne aux pauvres. Si vous voulez qu'on vous admire, habillez les pauvres, et vous recevrez mille applaudissements. Alors Dieu se joindra aux hommes pour vous louer; mais si vous faites le contraire, personne ne vous louera; tous vous porteront envie et parleront mal de vous, voyant votre corps bien paré et

votre âme négligée. Ces sortes d'ornements se voient jusque sur le corps des prostituées, souvent même ce sont elles qui portent les plus beaux et les plus riches habits. Mais les gens de bien ne recherchent que la vertu et s'appliquent seulement à bien orner leur âme.

Je vous dis souvent ces choses, et je ne cesserai point de vous les dire, moins par intérêt pour les pauvres que par sollicitude pour vos âmes. Si nous-mêmes nous n'assistons pas les pauvres, il leur viendra du moins d'ailleurs quelque consolation, quelque secours; et quand même il ne leur en viendrait aucun, quand ils périraient, de faim, ce ne serait pas pour eux une grande perte. La faim et la pauvreté, quel tort ont-elles fait à Lazare? Mais vous, rien ne vous délivrera de l'enfer, si les pauvres n'accourent à votre secours : dénués, privés de toute consolation, vous direz ce que dit le riche condamné au feu éternel. Mais à Dieu ne plaise que la réponse qui lui fut faite s'adresse jamais à aucun de vous! Au contraire, fasse le ciel que vous soyiez tous reçus dans le sein d'Abraham, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XXVIII.
CAR DIEU N'A PAS ENVOYÉ SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS AFIN QUE LE MONDE SOIT SAUVÉ PAR LUI. (VERS. 17, JUSQU'AU VERS. 21.)
ANALYSE.

229

1. Plus la miséricorde du Seigneur est grande, plus seront grands ses châtiments. — Dieu a ouvert les portes de la pénitence à tous les hommes. — Deux avènements de Jésus-Christ.

2. et 3. Celui nui ne croit pas en moi est déjà condamné. — Qui sont ceux gui s'éloignent de Jésus-Christ ? - Les grands pécheurs: Les homme obstinés dans leur incrédulité, attachés à leurs dérèglements et à leurs vices. — Pour être chrétien, il faut joindre la bonne vie à la pureté de la doctrine. —- Raison pourquoi les gentils ne peuvent se résoudre d'embrasser la foi. — Les philosophes païens exerçaient la vertu par vaine gloire. — Ceux qui se sont éloignés de Jésus-Christ n'ont nul moyen d'excuse — Pour se bien convertir, il faut se prescrire auparavant une règle pour bien vivre. — Nul gentil n'est exempt de tous vices. — L'amour de la vaine gloire a perdu et perd bien des hommes. — La vaine gloire est le plus dangereux de tous les vices : la fuir; elle détruit tout ce que la vertu peut opérer de bon. — Celui qui l'a en vue, perd tout le fruit de ses bonnes Œuvres. — Pour acquérir la gloire des hommes et celle qui vient de Dieu, il ne faut désirer et ne rechercher que celle-ci uniquement.

1. Beaucoup d'hommes sans vertu, abusant de la clémence de Dieu pour multiplier leurs péchés et croître en paresse, osent tenir ce langage : Il n'y a point d'enfer, il n'y a point de supplice, Dieu remet tous les péchés. Mais un sage leur ferme la bouche par ces paroles "Ne dites pas : La miséricorde du Seigneur est grande, il aura pitié du grand nombre de mes péchés. Car la miséricorde et la colère sont en sa présence, et son indignation s'allumera sur les pécheurs ". ( Eccli. V, 6, 7.) Et ailleurs : " Plus sa miséricorde est grande, et plus seront grands ses châtiments ". (Ibid. XVI, 13.) Mais que devient, direz-vous, la miséricorde , si nous devons tous recevoir le châtiment en proportion de nos péchés? Le prophète et saint Paul déclarent que nous devons tous recevoir selon nos mérites. écoutez-les; le prophète lé dit en ces termes : " Seigneur, vous rendrez à chacun selon ses oeuvres " (Ps. LXI, 11) ; l'apôtre en ceux-ci : " Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres ". (Rom. II, 6.)

Mais néanmoins, que la clémence de Dieu soit grande, le partage qu'il a fait de notre vie en deux, l'une pour les combats, l'autre pour les couronnes, le démontre et ne permet pas d'en douter ; car en cela même il fait éclater sa grande miséricorde. Comment ? Parce que, ayant commis un nombre infini de péchés, et que n'ayant point cessé depuis l'enfance jusqu'à l'extrême vieillesse de souiller notre âme de crimes, nous ne sommes point punis de tant de fautes, et qu'il nous accorde le pardon par le baptême de la régénération, en nous donnant la justice, la pureté et la sainteté. Mais, direz-vous, si celui qui a reçu la grâce du baptême dès son enfance, tombe ensuite dans mille péchés? S'il y tombe, il est certainement plus coupable, et aussi mérite-t-il un plus grand châtiment : si, après le baptême, nous nous laissons aller à toutes sortes d'excès et de crimes, les péchés que nous commettons alors seront beaucoup plus sévèrement punis que ceux que nous avons commis auparavant, quoique les uns et les autres soient de la même espèce et de la même qualité. Saint Paul le déclare et en donne la raison. par ces paroles : " Celui ", dit-il, " qui a violé la loi de Moïse, est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc , croyez-vous, que méritera de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui [230] aura tenu pour une chose vile et profane le sang de l'alliance, par lequel il avait été sanctifié, et qui aura fait outrage à l'esprit de la grâce". (Héb. X, 28, 29.) Cet homme sera donc digne d'un plus grand supplice mais cependant Dieu lui a ouvert les portes de la pénitence, et lui a fourni plusieurs moyens de laver ses péchés, s'il veut s'en servir et en profiter.

Considérez, je vous prie, mes frères, combien le Seigneur nous a donné de témoignages et de preuves de sa clémence. Premièrement, par la grâce du baptême, il nous a remis tous nos péchés; et en second lieu, après même une si grande grâce, il ne punit pas encore le pécheur qui s'est rendu digne du supplice, mais il lui laisse le temps de se corriger et de faire pénitence. C'est pourquoi Jésus-Christ dit à Nicodème : " Dieu n'a pas envoyé son Fils " dans le monde pour juger le monde, mais pour sauver le monde ". (Jean, III, 17.) .Car il y a deux avènements de Jésus-Christ : l'un est déjà arrivé, l'autre doit arriver; mais ils ne sont pas tous les deux pour la même cause et la même fin : Jésus-Christ est venu d'abord, non pour juger nos péchés, mais pour les remettre; la seconde fois, il viendra, non pour les remettre, mais pour les juger. Voilà pourquoi le divin Sauveur dit du premier avènement : " Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde ". Mais du second, il dit : " Quand le Fils viendra dans la gloire de son Père, il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche; et alors celles-là iront dans la vie éternelle, et ceux-ci dans le supplice éternel ". (Matth. XXV, 3,1 et suiv.)

Mais toutefois le premier avènement était aussi pour juger, quant à ce que demande la justice. Pourquoi? Parce que, avant son avènement, il y avait une loi naturelle, des prophètes, et de plus la loi, écrite, la doctrine, des instructions, des promesses, des miracles, des supplices, et plusieurs autres choses qui pouvaient corriger les hommes et les retenir dans leur devoir. Demander compte de toutes ces choses , eût été dans l'ordre. Mais comme Jésus-Christ est clément, il n'a point, jugé, il n'a pas fait rendre compte, et il a tout pardonné. S'il eût fait rendre compte, s'il eût jugé, tous les hommes auraient péri. " Car tous ont péché " , dit l'Écriture, " et ont besoin de la gloire de Dieu ". (Rom. III, 23.) Ne voyez-vous pas son immense miséricorde?

" Celui qui croit dans le Fils n'est pas con" damné; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné (18) ". Mais si Jésus-Christ n'est pas venu alors pour juger le monde, comment celui qui ne croit pas est-il déjà condamné, puisque le temps du jugement n'est point encore arrivé? Jésus-Christ dit cela, ou parce que l'incrédulité qui n'est pas suivie de la pénitence est elle-même un supplice; car être hors de la lumière, c'est en soi un grand supplice : ou pour prédire ce qui arrivera. En effet, comme un homicide est déjà condamné par la nature de son crime , quoiqu'il ne le, soit pas encore par la sentence du juge, il en est de même pour l'incrédulité , puisqu'Adam est mort le jour qu'il a mangé du fruit de l'arbre défendu , son arrêt de mort lai ayant été ainsi prononcé : " Au même temps que vous aurez mangé du fruit de cet arbre, vous mourrez". (Gen. II, 17.) Néanmoins il vivait: comment donc était-il mort? Il était mort par la sentence même, et parla nature de son action: celui qui s'est rendu coupable d'un crime qui mérite le supplice est dès lors sous le coup du supplice, sinon réellement, du moins parla sentence qu'a prononcée la loi.

Mais, de peur qu'en entendant ces paroles: " Je ne suis pas venu pour juger le monde ", quelqu'un ne s'imaginât pouvoir impunément pécher, et ne devînt plus négligent et plus paresseux, Jésus-Christ ôte ce vain prétexte à la négligence, en disant: " Il est déjà condamné ". Comme le temps du jugement futur n'était point encore arrivé, Jésus-Christ fait intervenir l'image et la crainte du supplice. Certes, voilà un témoignage d'une grande bonté. Non-seulement Dieu donne son Fils, mais encore il diffère le temps du supplice, afin que les pécheurs et les incrédules puissent laver leurs péchés.

" Celui qui croit en Jésus-Christ n'est pas condamné ". Celui qui croit, non celui qui examine curieusement, relui qui croit, non celui qui raisonne. Mais si sa vie est impure et se oeuvres mauvaises ? D'abord , des hommes de cette espèce, saint Paul dit qu'ils ne sont pas véritablement fidèles: " Qu'ils font profession de connaître Dieu; mais qu'ils le renoncent par leurs oeuvres". (Tit. I,16.) Au reste, ce divin Sauveur déclare ici que ce n'est pas sur ce point qu'ils seront jugés; qu'ils seront condamnés et; plus sévèrement punis pour leurs [231] oeuvres ; mais, qu'ayant cru, ils ne seront pas punis comme infidèles.

2. Ne voyez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ, qui a commencé son discours par des choses étonnantes et terribles, y revient encore ici. Au commencement il avait dit : " Si un homme ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu " ; il dit maintenant: " Celui qui ne croit pas en moi est déjà condamné " ; c'est-à-dire, ne croyez pas que le retardement du supplice soit favorable au pécheur, s'il ne change de vie: car il n'y aura point de différence entre celui qui n'aura pas cru, et ceux qui sont déjà condamnés et punis.

" Et le sujet de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière (19) " ; c'est-à-dire, ils sont punis, parce qu'ils n'ont pas voulu sortir des ténèbres et accourir à la lumière: par ces paroles il leur ôte toute excuse. Si j'étais venu, dit-il, pour leur faire rendre compte et les punir, ils pourraient dire: c'est pour cela même que nous nous sommes éloignés de vous. Mais je suis venu pour les tirer des ténèbres et les amener vers la lumière. Qui donc aura pitié d'un homme qui refuse de passer des ténèbres à la lumière? En effet, dit-il, ils n'ont aucun reproche à nous faire, ils ont reçu de nous mille bienfaits, et ils nous fuient, et ils s'éloignent de nous. Jésus-Christ, les accusant encore de cette même conduite , disait: " Ils m'ont haï sans aucun sujet" (Ps. XXXXIV, 22); et ailleurs: " Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé , ils n'auraient point le péché " (Jean, XV, 22) qu'ils ont: car celui qui, en l'absence de la lumière , reste dans les ténèbres, est en quelque sorte digne d'excuse et de pardon; mais celui qui , après que la lumière est venue, se tient dans les ténèbres, montre visiblement sa mauvaise volonté et son obstination. Et comme il devait paraître incroyable à plusieurs qu'il y eût des hommes capables de préférer lés ténèbres à la lumière; contre le sentiment général, l'évangéliste nous découvre la raison de cette méchante disposition. Quelle est-elle? C'est, dit-il, "parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière et ne s'approche point de la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient condamnées (20) ". Et cependant Jésus-Christ n'est pas venu pour juger ni pour demander compte , mais pour remettre et pardonner les péchés, et pour sauver par la foi.

Pourquoi se sont-ils donc éloignés? Si Jésus-Christ s'était assis dans son tribunal pour les juger, ils auraient eu. une espèce d'excuse celui qui se sent coupable de crimes, fuit ordinairement son juge ; mais si le juge accorde le pardon, tous les criminels s'approchent de lui. Puis donc que Jésus-Christ est venu pardonner les péchés, ceux qui se sentaient le plus coupables étaient aussi ceux qui devaient accourir à lui avec le plus d'empressement; plusieurs même l'ont fait : car les publicains et les pécheurs venant trouver Jésus, mangeaient avec lui. De qui veut donc parler Jésus-Christ? De ceux qui avaient tout à fait résolu de persévérer dans, leur méchanceté. En effet, il est venu pour remettre les péchés passés et pour affermir et fortifier ceux qui prenaient la résolution dé ne plus pécher à l'avenir'; mais comme il y a des hommes assez mous et assez lâches, quand il s'agit de la vertu et des peines qu'elle exige, pour persister obstinément dans leurs péchés jusqu'au dernier soufflé de vie, ce sont ceux-là qu'il veut censurer ici.

Le christianisme demande à ses disciples qu'ils joignent la bonne vie à la pureté de la doctrine. Ces gens craignent de nous approcher, dit Jésus, parce qu'ils ne veulent pas vivre dans la pureté et dans la sainteté. Personne ne reprend', ceux qui vivent dans (erreur des gentils, à cause de leurs excès : ceux qui adorent les dieux du paganisme, et célèbrent des fêtes aussi, infâmes, aussi ridicules que le sont leurs dieux mêmes, ont une conduite digne de la doctrine qu'ils professent mais ceux qui adorent Dieu, s'ils sont des lâches, s'ils vivent mal ; il n'est personne qui ne leur adresse des réprimandes et des reproches : tant la vérité est en admiration, même parmi ses ennemis.

Considérez donc, mes frères, avec quelle exactitude et quelle précision Jésus-Christ parle : il ne dit pas : celui qui fait le mal ne s'approche point dé la lumière, mais celui qui persévère dans le mal; en d'autres termes, celui qui se plaît à se vautrer toujours dans la boue du péché, ne veut point se soumettre à mes lois : il se tient à l'écart, pour se livrer librement à la volupté et faire toutes les autre choses que je défends; S'il s'approchait de [232] moi, il serait comme un voleur que la lumière découvre aussitôt. Voilà pourquoi il fuit mon empire. Et véritablement nous entendons dire à bien des gentils, que la raison pour laquelle ils ne peuvent se résoudre à embrasser notre religion, c'est qu'ils ne sauraient s'abstenir de l'ivrognerie, de la fornication et d'autres vices semblables.

Quoi donc ! direz-vous, est-ce qu'il n'y a pas des chrétiens dont la vie n'est pas meilleure que celle des païens? est-ce qu'il n'y a pas des païens qui vivent philosophiquement? Qu'il y ait des chrétiens qui font le mal, je le sais aussi bien que vous ; mais qu'il y ait des gentils qui fassent le bien, c'est ce qui n'est pas également venu à ma connaissance. Et ne me parlez pas de ceux qui sont naturellement modérés, modestes et ornés de belles qualités; car ce n'est point là en quoi consiste la vertu mais parlez-moi de ceux qui, étant violemment agités par les passions, vivent néanmoins philosophiquement. Certes, vous ne m'en trouverez point. En effet, si la promesse d'un royaume, si la menace d'un enfer et bien d'autres semblables vérités, peuvent à peine retenir les hommes dans l'exercice de la vertu ; combien plus difficilement la pratiqueront-ils, ceux qui ne croient rien de tout cela? Que si quelques-uns contrefont la vertu, c'est par un esprit de vanité : or, ceux qui se contrefont ainsi, et qui exercent la vertu par vaine gloire, ne s'abstiendront pas, s'ils espèrent échapper aux regards, de satisfaire leurs mauvaises inclinations. Mais, toutefois, afin qu'on ne pense pas de nous que nous aimons à contester, nous vous accordons que parmi les gentils il s'en rencontre quelques-uns qui vivent bien ; car cela ne détruit nullement ce que nous avons avancé, puisque nous n'avons entendu parler que de ce qui arrive communément, et non pas de ce qui peut se rencontrer quelquefois.

3. Considérez encore que Jésus-Christ leur ôte d'ailleurs tout prétexte et toute excuse, en disant que la lumière est venue dans le monde : l'ont-ils cherchée, dit-il, cette lumière? Se sont-ils donné quelque peine, quelque mouvement pour la trouver? La lumière s'est elle-même présentée à eux, et. ils n'ont pas même fait un pas vers elle. Mais comme ils peuvent alléguer la mauvaise vie de quelques chrétiens et s'en faire une excuse, nous leur répondrons qu'il n'est pas ici question de ceux qui sont nés chrétiens et qui ont reçu de leurs pères la véritable religion, quoique le plus souvent leur mauvaise vie finisse par les écarter de la vraie foi. Néanmoins je ne crois pas que ce soit d'eux que parle maintenant Jésus-Christ, je pense au contraire qu'il a en vue ces gentils ou ces Juifs qui auraient dû se convertir et embrasser la vraie foi. Car il fait voir. qu'aucun de ceux qui vivent dans l'infidélité, ne peut approcher de la foi, qu'il ne se soit auparavant prescrit une règle de bonne vie, et que personne ne demeurera dans l'in. crédulité, si auparavant il n'a résolu de persévérer dans le mal. Ne me dites pas : cet homme est chaste, il ne vole pas le bien d'autrui, parce que ce n'est point en ces choses seulement que consiste la vertu. En effet, de quoi lui servira-t-il d'être chaste , de ne point voler, si d'ailleurs il est passionné pour la vaine gloire, ou si, par complaisance pour ses amis, il demeure dans l'infidélité? ce n'est pas là bien vivre. L'esclave de la gloire ne pèche pas moins que le fornicateur, ou plutôt il commet beaucoup plus de péchés et de beaucoup plus grands.

Mais faites-moi connaître quelqu'un qui soit exempt de tous vices et de tous péchés et qui néanmoins reste païen : je vous en défie: jamais vous ne m'en pourrez trouver un seul. Ceux d'entr'eux qui ont le plus brillé et qu'on dit avoir méprisé les richesses et la bonne chère, ont été, plus que les autres, esclaves de la gloire, qui est la source de toutes sortes de maux. Voilà par où les Juifs ont persévéré dans leur malice et dans leur méchanceté, et c'est aussi la raison pour laquelle Jésus-Christ leur fait ce reproche : "Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire qui vient des hommes? " (Jean, V, 44.) Mais pourquoi n'a-t-il point parlé de cela à Nathanaël, à qui il enseignait la vérité, et ne lui a-t-il pas tenu de longs discours? c'est parce que l'âme de celui-ci n'était point infectée de cette passion, et qu'il était venu le trouver avec un coeur simple, disposé à faire ce qu'il lui ordonnerait : et qu'il employait, à écouter sa doctrine et ses instructions, le temps que les autres donnent au repos et au sommeil. A la vérité il était venu trouver Jésus à la sollicitation de Philippe; cependant le divin Sauveur ne le rebuta pas; en effet, c'est à lui qu'il dit : " Vous verrez un jour les cieux ouverts, et les anges de Dieu monter et descendre", [233] (Jean, 1, 51.) Mais à Nicodème il ne dit rien de cela, il l'entretient de l'incarnation et de la vie éternelle, parlant diversement à chacun selon les dispositions de son coeur : Nathanaël, qui entendait les prophètes, et qui n'était pas si craintif, dut se tenir pour content de ce qu'il lui dit; quant à Nicodème. qui était encore timide et craintif, il ne lui révèle pas tout sur-le-champ, mais il ébranle son âme pour chasser la crainte par la crainte; il lui fait entendre que celui qui ne croit pas est déjà condamné; que ne pas croire, c'est l'effet d'une mauvaise volonté. Et comme il tenait grand compte de la gloire humaine et même plus que des supplices, car, dit l'Ecriture, " Plu" sieurs des sénateurs crurent en lui, mais à " cause des Juifs ils n'osaient le reconnaître a publiquement " (Jean, II, 42), il en tire un argument propre à le toucher, et, par ses paroles, lui fait connaître qu'on ne peut avoir d'autre raison de ne pas croire en lui que de mener une vie déréglée et impie. Il est à remarquer que dans la suite Jésus-Christ dit a Je suis la lumière du monde " (Jean, VIII, 12), et qu'ici il dit seulement : " La lumière est venue dans. le monde ". (Jean, III, 19.) La raison en est qu'au commencement il parlait d'une manière obscure, dans la suite il s'exprime plus clairement. Mais de plus la crainte de l'opinion publique retenait cet homme et l’intimidait. Voilà pourquoi Jésus-Christ ne lui parle qu'avec réserve.

Fuyons donc la vaine gloire: elle est le plus fort et le plus dangereux de tous les vices, c'est d'elle que naissent l'avarice et l'amour des richesses; c'est elle qui enfante les haines, les guerres, les différends. Car celui qui désire d'avoir plus qu'il n'a ne peut jamais se fixer ni demeurer en repos; et l'on n'ambitionne toutes les autres choses que parce qu'on aime la vaine gloire. Pourquoi, je vous prie, cette troupe d'eunuques, cette foule d'esclaves et de serviteurs; pourquoi tout cet étalage, une si grande pompe, un si grand faste? Est-ce pour autre chose que pour s'attirer plus de spectateurs et de témoins de sa folle magnificence? Si donc nous extirpons la vanité en arrachant la racine du mal, nous en emporterons aussi les branches, et rien n'empêchera que nous ne vivions sur la terre comme si déjà nous étions dans le ciel. L'amour de l'ostentation n'entraîne pas seulement au mal ceux qu'il possède; il s'insinue et se glisse encore adroitement jusque dans la vertu, et s'il n'est pas assez fort pour nous en éloigner, il nous persécute jusque dans son sein en nous imposant des labeurs que rien ne vient rémunérer. Car celui qui a en vue la vaine gloire, soit qu'il jeûne, soit qu'il prie, soit qu'il fasse l'aumône, en perd toute la récompensé. Se macérer en vain, s'exposer aux ris et à la moquerie des hommes, et perdre la gloire céleste, la récompense du ciel, est-il rien de plus misérable, est-il une perte qui soit comparable à celle-là? On ne peut acquérir ensemble et la gloire humaine et la gloire du ciel, quand on les recherche toutes deux. Car autrement nous pouvons obtenir l'une et l'autre. Ne les désirons pas toutes les deux, mais ne recherchons que la gloire du ciel; si nous les aimons l'une et l'autre, nous ne les obtiendrons pas à la fois, cela est impossible ; c'est pourquoi, si nous voulons acquérir la gloire, fuyons la gloire du monde, désirons, recherchons celle qui vient de Dieu seul ; de cette sorte nous obtiendrons et la gloire présente et la gloire future. Fasse le ciel que nous jouissions de celle-ci, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE XXIX.
APRÈS CELA JÉSUS ÉTANT VENU EN JUDÉE, SUIVI DE SES DISCIPLES, IL Y DEMEURAIT AVEC EUX, ET Y BAPTISAIT. (VERS. 22, JUSQU'AU VERS. 30.)
ANALYSE

234

1. Rien n'est plus grand que la vérité, rien n'est plus bas que le mensonge. — Pourquoi Jésus-Christ ne baptisait pas , mais seulement ses disciples.

2. Les disciples de Jean portaient envie à ceux de Jésus-Christ.

3. Comment l'Eglise devient l'épouse de Jésus-Christ. — Maux et pertes que cause la vaine gloire : elle renverse les villes et les déserts. — Comment on peut se délivrer de ce vice et le vaincre. — La gloire de ce monde est vaine et fausse : la gloire du ciel est seule réelle et véritable : y élever ses yeux, vrai moyen de mépriser tout ce qui est ici-bas , et toute la gloire des hommes.

1 . Rien n'est plus illustre, rien n'est plus fort et plus puissant que la vérité, comme aussi rien n'est plus bas, rien n'est plus faible que le mensonge : il a beau se déguiser, facilement on le démasque, facilement on le dissipe. La vérité, au contraire, se montre à nu à tous ceux qui veulent contempler sa beauté; elle ne cherche pas à se cacher, elle ne craint point le péril ni les piéges, elle n'ambitionne pas les hommages de la multitude. Rien d'humain n'a d'empire sur elle; mais, supérieure à tous les piéges qu'on lui tend, elle les voit sans s'ébranler; ceux qui se réfugient dans son sein y trouvent un asile assuré, ils y sont gardés comme dans une forteresse imprenable ; telle est la grandeur de sa puissance; les coups cachés qu'on lui porte, elle les détourne; mais ses oeuvres, elle les expose aux yeux de tout le monde; c'est ce que Jésus-Christ déclare à Pilate en lui répondant: "J'ai parlé publiquement à tout le monde, et je n'ai rien dit en secret ". (Jean, XVIII, 20.)

Ce que le divin Sauveur dit alors, maintenant il le fait : " Après cela ", dit l'évangéliste, " Jésus étant venu en Judée, suivi de ses disciples, il y demeurait avec eux et y baptisait ". Aux jours de fêtes solennelles, Jésus allait à Jérusalem pour enseigner publiquement sa doctrine à ceux qui s'y assemblaient, et afin que tous profitassent de ses miracles. Mais quand la fête était passée, il s'en allait souvent auprès du Jourdain, parce qu'une multitude de peuple y accourait; car il se rendait toujours aux lieux les plus fréquentés, non par vanité ou par ambition, mais pour faire du bien à plus de monde. D'ailleurs, l'évangéliste dit dans la suite que ce n'était pas Jésus qui baptisait , mais ses disciples (Jean, IV, 2); il est donc évident qu'il faut entendre la même chose ici, à savoir que les disciples baptisaient seuls.

Mais pourquoi, direz-vous, Jésus-Christ ne baptisait-il pas? Longtemps auparavant Jean-Baptiste avait dit : " C'est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu ", (Matth. III, 11.) Or il n'avait pas encore donné le Saint-Esprit; c'est donc pour une bonne raison qu'il ne baptisait pas, mais seulement ses disciples baptisaient parce qu'ils voulaient engager beaucoup de monde à venir écouter la prédication et la doctrine du salut. Et pourquoi les disciples de Jésus baptisant, Jean-Baptiste ne cessa-t-il point de baptiser jusqu'à ce qu'il fût mis en prison? Car quand l'évangéliste dit: "Jean baptisait à Ennon ", il y ajoute: " Alors Jean n'avait pas encore été mis en prison " (Jean, III , 23, 24) ; il montre donc que Jean-Baptiste n'avait pas encore censé de baptiser. Et encore pourquoi a-t-il baptisé jusqu'à ce temps? Cependant, il aurait fait connaître que [235] les disciples de Jésus étaient. plus dignes de baptiser que lui, si, lorsqu'ils commencèrent, il eût lui-même cessé. Pour quelle raison donc baptisait-il? Ce fut pour ne leur pas attirer plus d'envie et de plis grandes disputes. En effet, si, publiant souvent ce qu'était Jésus-Christ, lui cédant la première place et se déclarant inférieur à lui, il ne persuada pas pour cela les Juifs que c'était à lui qu'ils devaient aller; s'il eût, dis-je, cessé de baptiser, il les aurait encore plus émus et les aurait rendus plus opiniâtres. Voilà pourquoi Jésus-Christ commença principalement à prêcher après la mort de Jean-Baptiste. Au reste, je crois qu'il ne vécut pas longtemps, afin que les esprits de cette multitude se réunissent et se tournassent tous vers Jésus-Christ, et qu'ils ne fussent plus partagés entre l'un et l'autre. De plus, Jean-Baptiste , pendant qu'il baptisait, ne cessait point de les exhorter à aller trouver Jésus-Christ et de leur rendre de grands témoignages de lui. D'ailleurs il baptisait au nom de celui qui devait venir après lui, afin qu'ils crussent en lui. Si donc celui qui prêchait ainsi Jésus-Christ eût discontinué de baptiser, comment aurait-il fait connaître l'excellence et la supériorité des disciples de Jésus? N'aurait-on pas cru , au contraire, que c'était par jalousie ou par dépit qu'il ne baptisait plus? Mais en continuant il confirme et fortifie ce qu'il a dit. Car il ne cherchait pas à s'acquérir de la gloire, mais il envoyait ses auditeurs à Jésus-Christ. Et il ne le servait pas moins que les disciples, ou plutôt encore plus, attendu que son témoignage était moins suspect et que sa réputation l'emportait dans l'esprit de tout le monde sur celle des disciples. L'évangéliste voulant nous le faire entendre, disait: " Toute la Judée et tout le pays des environs du Jourdain allaient le trouver, et ils étaient baptisés par lui ". (Matth. III, 5.) Quoique les disciples de Jésus baptisassent, le peuple ne cessait pas d'accourir en foule à Jean-Baptiste.

Que si quelqu'un demande en quoi le baptême des disciples était supérieur à celui de Jean, nous répondrons en rien , car l'un et l'autre était dénué de la grâce du Saint-Esprit, et les uns et les autres n'avaient tous qu'un seul et même motif : c'était d'envoyer à Jésus-Christ ceux qu'ils baptisaient. En effet, afin de n'être pas obligés de courir de toutes parts, pour chercher et assembler ceux qui devaient croire en Jésus-Christ, comme André qui avait amené Simon, et Philippe Nathanaël , ils résolurent et convinrent de baptiser, afin que par le baptême ils pussent sans peine et sans travail les attirer à Jésus-Christ , et préparer le chemin à la foi qu'il devait prêcher; mais que ces baptêmes n'eussent aucun avantage l'un sur l'autre, les paroles qui suivent le font voir.

Quelles sont ces paroles? " Il s'excita une dispute entre les disciples de Jean, et un Juif (1), touchant la purification (2) (25) ". Et cela n'est pas surprenant, puisque les disciples de Jean portaient continuellement envie aux disciples de Jésus-Christ, ou plutôt à Jésus-Christ même : lorsqu'ils les virent baptiser , ils commencèrent dès lors à parler à ceux qu'ils baptisaient pour leur insinuer que leur baptême, à eux, avait une supériorité sur celui des disciples de Jésus-Christ, et s'étant approchés de quelqu'un de ceux qui venaient d'être baptisés , ils tâchèrent de le lui persuader et ne le purent pas : mais l'évangéliste fait clairement entendre que ce sont les disciples de Jean, et non pas ce Juif, qui ont excité cette dispute : car il ne dit pas qu'un certain Juif leur avait demandé leur avis; mais il dit que la question touchant la purification d'où vint la dispute, fut agitée par les disciples de Jean avec un Juif.

2. Faites attention, je vous prie, mes frères, à la douceur et à la retenue de l'évangéliste. Il ne prend point de parti, il ne s'emporte ni contre les uns, ni contre les autres ; mais autant qu'il le peut, il diminue la faute, disant seulement qu'il s'éleva une dispute. Toutefois, la suite fait bien voir que c'est par jalousie que ces disciples avaient excité la dispute ; mais il le rapporte encore avec bien de la modération, car il dit : " Ils vinrent trouver Jean, et lui dirent : Maître, celui-là qui était avec " vous au delà du Jourdain, auquel vous avez " rendu témoignage , baptise maintenant et tous vont à lui (26) ". C'est-à-dire celui que vous avez baptisé ; car c'est ce que signifie ce mot : a Celui auquel vous avez rendu

1. " Un Juif ", saint Chrysostome dit : meta ioudaiou, et plusieurs exemplaires lisent de même. Notre Vulgate dit : " Les Juifs ". Au reste, il est facile de concilier cette petite différence ; parce qu'il est assez vraisemblable que la contestation ayant d'abord été commencée par un Juif qui avait reçu le baptême de Jésus-Christ, passa aux autres et devint générale.

2. " La Purification ", autrement " le Baptême ", qui est appelé " Purification ", parce que les Juifs le mettent au nombre des purifications légales, On peut aussi appeler le baptême " purification "parce que le propre effet du baptême est de purifier.

236

témoignage " ; en d'autres termes: celui que vous avez illustré, et que vous avez rendu célèbre, ose imiter ce que vous faites : ils n'eurent garde de dire : celui que vous avez baptisé : ils auraient été forcés de faire mention de cette voix qui s'était fait entendre d'en-haut et aussi de la descente du Saint-Esprit : mais que disent-ils? " Celui qui était avec vous au " delà du Jourdain, auquel vous avez rendu " témoignage ". C'est-à-dire : celui qui était au nombre de vos disciples, qui n'avait rien de plus que nous, s'est séparé de nous et baptise. Mais ce n'est pas seulement par là qu'ils croyaient pouvoir l'animer contre Jésus, c'est encore en lui insinuant que son baptême serait à l'avenir moins illustre et moins célèbre car, ajoutent-ils, " tous vont à lui ". D'où il paraît visiblement qu'ils ne purent même pas amener à leur sentiment le Juif avec qui ils avaient disputé. Ils parlaient ainsi, parce qu'ils étaient incomplètement instruits et encore sensibles à l'ambition.

Que fit donc Jean-Baptiste ? il ne les reprit pas durement, de crainte qu'en le quittant ils ne se portassent à quelque mauvaise action. Mais que leur dit-il? " L'homme ne peut rien recevoir, s'il ne lui a été donné du ciel (27)". Que s'il parle de Jésus-Christ dans des termes trop bas, ne vous en étonnez pas; il ne pouvait pas tout d'un coup instruire des hommes si prévenus, et qui étaient dans de si mauvaises dispositions. Mais cependant il tâche de les effrayer, et de leur faire connaître que, de combattre contre. Jésus , c'était combattre ainsi contre Dieu même. Gamaliel fit la même réponse : " Vous ne pourrez détruire cette oeuvre , et vous seriez en danger de combattre contre Dieu même ". (Act. V, 39.) L'évangéliste établit la même vérité d'une manière un peu enveloppée. Il fait répondre à ces disciples : " L'homme ne peut rien recevoir, s'il ne lui a été donné, du ciel. " C'est-à-dire, vous tentez l'impossible, et en agissant de la sorte, vous vous mettez en danger de combattre contre Dieu même. Quoi donc? Théodas (Act. V, 36) n'agissait-il pas par lui-même? J'en conviens : il agissait véritablement par lui-même; mais à peine parut-il, qu'il fut anéanti et toute son oeuvre avec lui. Mais il n'en est pas ainsi de l'oeuvre de Jésus-Christ. Par là, Jean apaise insensiblement ses disciples, en leur faisant voir que ce Jésus, à qui. ils osaient s'opposer, n'est pas un homme, mais un Dieu qui les surpasse en dignité, et en gloire. Qu'ainsi, si ses oeuvres brillaient et éclataient, si tous allaient à lui, il ne fallait pas s'en étonner, car telles sont les oeuvres de Dieu : que celui qui faisait de si grandes choses était un Dieu, autrement ses oeuvres n'auraient pas eu tant de force ni tant de vertu. Qu'au reste, les oeuvres des hommes se découvrent et se détruisent facilement; or, il n'en est pas de mémé pour celles-ci : elles ne sont donc pas des oeuvres humaines. Et remarquez comment il tourne contre eux-mêmes ces paroles : " Celui à qui vous avez rendu témoignage ", par où ils croyaient l'exciter à perdre Jésus-Christ. Car après leur avoir montré que ce n'était pas par son témoignage que Jésus-Christ était devenu illustre, il leur ferme la bouche en disant : " L'homme ne "peut rien recevoir de soi-même, s'il ne lui a été donné du ciel ".

Que veut dire cela? Si vous admettez mon témoignage, et si vous le croyez véritable, apprenez de même , que ce n'est pas moi que vous devez mettre au-dessus de lui , mais lui que vous devez regarder comme au-dessus de moi. Quel est en effet le témoignage que j'ai porté? Je vous en prends à témoin : Voilà pourquoi il ajoute : " Vous me rendez vous-mêmes témoignage que j'ai dit : Je ne suis point le Christ, mais : J'ai été envoyé devant lui (28)". Si donc c'est à cause du témoignage que je lui ai rendu, que vous venez me dire : " Celui à qui vous avez rendu témoignage " ; qu'il vous en souvienne donc de mon témoignage, et vous reconnaîtrez que non-seulement il ne l'a point abaissé, mais encore qu'il l'a beaucoup relevé. Mais d'ailleurs ce témoignage ne venait point de moi, il vient de Dieu même, qui le lui a rendu par ma bouche. C'est pourquoi si je vous parais digne de foi , rappelez-vous qu'entre plusieurs autres choses que j'ai dites , j'ai dit aussi que " j'ai été envoyé devant lui ".

Ne voyez-vous pas que Jean-Baptiste fait insensiblement connaître que cette parole est divine? Car voici ce qu'il veut dire : Je suis un ministre, et je dis ce que n,'â ordonné de dire celui qui m'a envoyé; je ne cherche pas à plaire aux hommes, mais je remplis le ministère que m'a confié son Père en m'envoyant; ce n'est ni par faveur, ni par complaisance que j'ai rendu ce témoignage; j'ai dit ce que j'avais mission de dire. Ne croyez donc pas que je [237] sois pour cela quelque chose de grand; ma mission, mes paroles, tout ne tend qu'à faire connaître sa grandeur et son excellence. Car il est le Seigneur et le maître de toutes choses; ce qu'il déclare encore par les paroles qu'il ajoute : " L'époux est celui à qui est l'épouse; mais l'ami de l'époux qui se tient debout, et qui l'écoute, est ravi de joie d'entendre la voix de l'époux (29) ". C'est pourquoi celui qui a dit: " Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ", se dit maintenant son ami, non pour s'élever et se donner des louanges, mais pour montrer combien il a à coeur les intérêts de Jésus-Christ; que ce qui se passe ne se fait point malgré lui, ni contre sa volonté, mais à son grand contentement; et qu'il n'a rien dit, qu'il n'a rien fait qui ne tendît à cette unique fin; voilà ce qu'il fait très-prudemment connaître par le nom d'ami. En effet, dans les mariages les serviteurs de l'époux n'ont ni tant de joie, ni tant de plaisir que ses amis. Jean-Baptiste ne se dit donc pas égal en dignité à l'époux, à Dieu ne plaise 1 mais il se dit son ami, pour marquer l'excès de sa joie et pour se mettre à la portée de ses disciples. Il a déjà fait entendre qu'il n'est qu'un envoyé, qu'un ministre, en se disant envoyé devant lui. C'est pourquoi il se dit l'ami de l'époux, et aussi parce qu'il voyait ses disciples souffrir de ce qu'on allait à Jésus-Christ; par là il leur fait voir que non-seulement cela ne lui fait aucune peine, mais encore qu'il s'en réjouit extrêmement.

Puis donc que je suis venu, dit-il, pour travailler et contribuer à ce grand ouvrage, bien loin de m'attrister que tous aillent à Jésus-Christ, j'aurais au contraire une douleur extrême, s'il en était autrement. Si l'épouse n'allait pas trouver son époux, c'est alors que je m'affligerais; mais non maintenant que je vois réussir nus efforts. Son oeuvre s'accomplit, c'est un sujet de gloire; pour nous ce que nous désirions avec tant d'ardeur se réalise; l'épouse connaît son époux. Et vous-mêmes, vous m'en rendez témoignage, quand vous me dites : " Tous vont à lui ". Voilà ce que je voulais, et c'est pour cela que j'ai tout fait : aussi, témoin de cet heureux succès, je m'en réjouis, je tressaille, je bondis d'allégresse.

3. Mais que signifient ces paroles : " L'ami de l'époux qui se tient debout, et l'écoute, est ravi de joie " d'entendre " la voix de l'époux? " Jean-Baptiste se sert ici d'une parabole pour arriver à son sujet. Car en parlant d'époux et d'épouse, il montre comment se font les fiançailles, à savoir: par la parole et par la doctrine; c'est ainsi que l'Église est fiancée à Dieu. C'est pourquoi saint Paul disait : " La foi vient de ce qu'on a ouï, et on a ouï parce que la parole de Jésus-Christ " (Rom. X, 17) a été prêchée. Cette parole me ravit de joie. Mais à l'égard de ce mot : " Qui se tient debout ", ce n'est pas sans intention qu'il s'exprime ainsi, mais pour montrer que son ministère est fini, qu'il faut maintenant qu'il se tienne debout et qu'il écoute après avoir remis l’épouse à son époux : qu'il est le ministre et le serviteur de l'époux, que ses bonnes espérances, que ses voeux sont comblés; voilà pourquoi il continue ainsi : " Je me vois donc dans l'accomplissement de cette joie " ; c'est-à-dire, j'ai accompli mon oeuvre, nous n'avons plus rien à faire. Ensuite, il retient, il renferme dans son coeur la vive douleur qui le presse, en considérant, non-seulement les maux présents, mais ceux aussi qui doivent arriver encore. Il en prédit quelque chose et le confirme et par ses paroles, et par ses oeuvres, en disant : " Il faut qu'il croisse et que je diminue " ; c'est-à-dire, mon ministère est fini, je dois me retirer et disparaître; mais pour lui, son temps est arrivé, il doit s'avancer et s'élever; c'est pourquoi, ce que vous craignez, non-seulement va arriver présentement, mais encore s'accroîtra de plus en plus. Et voilà même ce qui illustre le plus notre ministère, et ce qui en fait toute la gloire; c'est pour cela que j'ai été son précurseur, et je suis ravi de joie de voir que l'oeuvre de Jésus-Christ ait un si grand et si heureux succès, et que le but vers lequel ont tendu tous nos efforts, soit désormais atteint.

Ne voyez-vous pas, mes chers frères, avec quelle patience et quelle sagesse Jean-Baptiste apaise la douleur de ses disciples, étouffe leur jalousie et leur fait connaître que s'opposer à l'accroissement de Jésus-Christ, c'est tenter l'impossible? remède propre, entre tous, à guérir leurs mauvaises intentions. Car si la divine Providence a permis que toutes ces choses arrivassent du vivant de ce saint précurseur, et lorsqu'il baptisait encore, c'est afin qu'il rendît témoignage de la supériorité du Sauveur, et que ses disciples fussent sans excuse, s'ils s'obstinaient à ne pas croire en Jésus-Christ. En effet, ce ne fut pas de [238] lui-même qu'il se porta à rendre ces témoignages, ni pour satisfaire la curiosité d'autres personnes; ce fut pour répondre aux demandes de ses disciples, qui seuls l'interrogeaient et entendaient ses réponses. Car, s'il eût parlé de son propre mouvement, ils n’auraient pas cru si facilement, qu'en apprenant ce qu'il pensait, et par la réfutation de leurs objections, et par la réponse à leurs demandes. Ainsi les Juifs, qui lui avaient envoyé des gens, pour l'interroger et savoir son sentiment, ne s'y étant pas rendus, lorsqu'ils le connurent, se sont pour cela même rendus indignes de tout pardon.

Qu'est-ce donc que tout cela nous apprend ? Que la vaine gloire est la source et la cause de tous les maux : c'est elle qui a jeté les Juifs dans une furieuse jalousie; c'est elle qui les a ranimés après une courte trêve, et portés à aller trouver Jésus-Christ pour lui dire : " pourquoi vos disciples ne jeûnent-ils point? " (Matth. IX, 14.) Fuyons donc ce vice, mes bien-aimés. Si nous le fuyons, nous nous préserverons de l'enfer : car c'est principalement ce vice qui en attise le feu, tant sa domination s'étend sur tout, tant il exerce son tyrannique empire sur tout âge et sur tout rang ; c'est lui qui met le trouble dans l'Eglise, qui ruine les républiques, qui ruine les maisons, les villes, les peuples, les provinces. Pourquoi vous en étonner, quand il a bien pu pénétrer jusque dans le désert, où il a fait sentir toute la forte de son pouvoir? Ceux qui s'étaient dépouillés de leurs biens et de leurs richesses, qui avaient renoncé au luxe du monde, à toutes ses pompes et à ses maximes, qui avaient surmonté les désirs de la chair et les violentes passions de la cupidité, ont souvent tout perdu pour s'être laissé vaincre par la vaine gloire. C'est par ce vice que celui qui avait beaucoup travaillé a été vaincu par celui qui, bien loin d'avoir travaillé, avait au contraire commis beaucoup de péchés. Je parle du pharisien et du publicain. Mais prêcher contre ce vice, vous montrer les maux qu'il cause, ce serait peine perdue, car tout le monde est du même avis sur ce point; et ce dont il s'agit, c'est de réprimer en soi cette funeste passion.

Comment donc en viendrons-nous à bout? En opposant la gloire à la gloire. Comme, en effet, nous dédaignons les richesses de la terre, lorsque nous en envisageons d'autres; comme nous méprisons cette vie, lorsque nous pensons à une autre qui est bien préférable, nous pourrons de même rejeter la gloire de ce monde, lorsque nous songerons à une gloire plus belle, à ce qui est proprement la vraie gloire. Celle dont nous parlons n'est qu'une vaine et fausse gloire, un nom sans réalité; mais celle du ciel est une gloire véritable, qui a pour panégyristes, non les hommes, mais les anges, les archanges et le Seigneur des archanges, ou plutôt aussi les hommes mêmes. Si vous jetez les yeux sur ce théâtre, si vous cherchez à connaître le prix de ces couronnes, si vous vous transportez au lieu où retentissent ces applaudissements, les biens de la terre ne seront pas capables de vous toucher et de vous arrêter ; vous ne vous prévaudrez plus de leur possession, vous ne chercherez pas à les acquérir si elles vous manquent. Dans cette cour, on ne voit aucun des satellites du roi, au lieu de rechercher les bonnes grâces de celui qui siège sur le trône et porte le diadème, s'occuper de ces cris d'oiseaux, de ces bourdonnements de moucherons qui s'appellent les éloges des hommes.

Connaissant donc la bassesse des choses humaines, envoyons, plaçons tous nos biens et' toutes nos richesses dans ces inviolables trésors, et cherchons la gloire qui est stable et éternelle. Je prie Dieu de nous l'accorder à tous, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, etc.
 
 

 

 

HOMÉLIE XXX.
CELUI QUI EST VENU D'EN-HAUT, EST AU-DESSUS DE TOUS. CELUI QUI TIRE SON ORIGINE DE LA TERRE, EST DE LA TERRE, ET SES PAROLES TIENNENT DE LA TERRE. (VERS. 31, JUSQU'AU VERS. 34)
ANALYSE.

239

1. Efforts de saint Jean-Baptiste pour amener ses disciples à Jésus-Christ.

2. On ne peut rejeter Jésus-Christ sans accuser de mensonge Dieu qui l'a envoyé.

3. Il ne faut pas lire ou écouter légèrement les paroles de la sainte Ecriture : peser toutes les paroles; et observer toutes les circonstances. — Les paroles de la sainte Ecriture sont des armes , mais il faut savoir les manier et s'en servir. — Quand, on défend mal les vérités de la religion, on est la risée et la fable des païens et des hérétiques. — Pour les affaires de ce monde chacun est adroit et habile ; pour la grande affaire du salut, nous ne sommes que des lâches. — Les Livres saints n'ont pas seulement été écrits pour les anciens, mais encore pour nous.

1. L'amour de la gloire est un vice très-pernicieux; oui, dis-je, très-pernicieux, et la source de toutes sortes de maux l C'est fine épine que difficilement on arrache, une bête qu'on ne peut apprivoiser, une hydre à cent têtes armée contre ceux mêmes qui la nourrissent. Comme les vers rongent le bois qui les nourrit, comme la rouille dévore le fer d'où elle naît, et la teigne mange la laine, ainsi la vaine gloire donne la mort à l'âme sa nourrice. C'est pourquoi il nous faut être bien vigilants et attentifs pour arracher et détruire ce vice. Voyez ici encore tout ce que dit Jean-Baptiste à ses disciples, parce qu'il les voit infectés de cette maladie et qu'il a peine à les calmer. A ces premières paroles que vous avez entendues, il ajoute encore celles-ci pour les apaiser : " Celui qui est venu d'en-haut est au-dessus de tous; celui qui tire son origine de la terre est de la terre, et ses paroles tiennent de la terre". Puisque partout, dit-il, vous exaltez mon témoignage, puisque vous publiez que je suis très-digne de foi, vous devez savoir que ce n'est pas à celui qui est de la terre à rendre digne de foi celui qui est venu d'en-haut; mais ce mot : " Il est au-dessus de tous ", que signifie-t-il? Que celui qui est venu du ciel n'a besoin de personne, qu'il se suffit à lui-même, et que saris comparaison il est le plus grand de tous. Au reste, Jean-Baptiste dit de soi qu'il est de la terre et que ses paroles tiennent de la terre, non qu'il parlât de son propre mouvement, mais dans le sens auquel Jésus-Christ dit: " Si vous ne me croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre" (Jean, III, 12), désignant ainsi le baptême, non qu'il soit terrestre, mais parce qu'il le comparait alors à son ineffable génération ; en cet endroit de même, Jean-Baptiste dit qu'il parle en habitant de la terre, par comparaison de sa doctrine à celle de Jésus-Christ; car ces mots : "Ses paroles tiennent de la terre ", signifient seulement que ce qu'il dit est bas et grossier, et pour ainsi dire semblable aux choses de la terre, si on le compare avec la sublimité et l'excellence de la doctrine que Jésus-Christ enseigne : " Puisqu'en lui sont renfermés tous les trésors de la sagesse ". (Col. II, 3.) Mais encore ces paroles : " Celui qui tire son origine de la terre, est de la terre ", font voir évidemment elles-mêmes qu'il ne veut point parler de pensées humaines; en effet, il n'était pas tout entier de terre; la meilleure partie de son être venait du ciel, car il avait une âme et il participait à l'esprit, et ces choses ne sont pas de la terre: Comment dit-il donc qu'il est de la terre? Cette façon de parler ne signifie rien de plus, que ceci : Je suis peu de chose, puisque je [240] rampe à terre et que je suis né sur la terre. Le Christ, au contraire, nous est venu d'en-haut.

Enfin Jean-Baptiste ayant guéri, par tous ces discours, la maladie de ses disciples, parle ensuite de Jésus-Christ avec plus d'assurance; en parler auparavant, t'eût été jeter ses paroles en l'air et les prodiguer en pure perte, puisqu'elles n'auraient point trouvé d'entrée dans l'esprit de ses disciples. Mais après qu'il a arraché les épines, alors il sème avec confiance en disant : " Celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous. Et il rend témoignage de ce qu'il a vu et de ce qu'il a entendu, et personne ne reçoit son témoignage (32) ". Jean, après avoir parlé de Jésus-Christ en termes sublimes, baisse ensuite le ton ; car ce mot : " Ce qu'il a entendu et ce qu'il a vu ", appartient au langage des hommes. Ce que Jésus-Christ savait, il ne l'avait point appris par la vue ni par l'ouïe, mais il le tenait de sa propre nature; étant sorti parfait du sein de son Père, il n'avait pas besoin de maître ainsi qu'il le dit lui-même: " Comme mon Père me connaît, je connais mon Père ". (Jean, X,15.) Que signifie donc ceci : " Il dit ce qu'il a entendu, et il rend témoignage de ce qu'il a vu? " Comme c'est par ces sens que nous apprenons parfaitement toutes choses, et qu'on nous regarde comme des maîtres dignes de foi sur les choses,que nous avons ou vues ou entendues, parce qu'alors on est persuadé que nous n'inventons point et que nous ne disons rien de faux; c'est pour se conformer à notre usage que Jean-Baptiste a dit : " Jésus-Christ rend témoignage de ce qu'il a entendu et de ce qu'il a vu ", pour faire voir qu'il n'y a point en lui de mensonge et qu'il ne dit rien que de vrai. Ainsi, souvent nous-mêmes, nous avons la curiosité d'interroger celui qui nous raconte quelque chose, et de lui dire : l'avez-vous vu, l'avez-vous entendu vous-même? S'il l'assure, nous regardons alors son témoignage comme véritable. Ainsi Jésus-Christ dit: " Je juge selon ce que j'entends " (Jean, V, 30) ; et : " Je ne dis que ce que j'ai appris de mon Père " (Jean, VIII, 26) ; et : " Nous rendons témoignage de ce que nous avons vu " (Jean, III, 11), et plusieurs autres choses semblables, non pour nous faire entendre que ce qu'il dit il l'a appris (le croire serait le comble de la démence) ; mais de peur que les Juifs n'eussent l'insolence de regarder comme suspect aucune de ses paroles; car, attendu qu'ils n'avaient pas encore de lui l'opinion qu'ils devaient avoir, il s'autorise souvent de son Père pour persuader ce qu'il dit.

2. Mais pourquoi s'étonner qu'il cite le témoignage de son Père, puisque souvent il a recours aux prophètes et aux Ecritures, comme lorsqu'il dit : " Ce sont elles qui rendent témoignage de moi? " (Jean, 10, 39.) Il emprunte le témoignage des prophètes, dirons-nous pour cela qu'il est au-dessous d'eux? A Dieu ne plaise ! Il se proportionne à la faiblesse de ses auditeurs. Il dit qu'il rapporte ce qu'il a appris de son Père, non qu'il ait besoin d'un docteur, mais afin de prouver qu'il ne dit rien de faux. Ainsi ce que dit Jean-Baptiste, vous devez l'expliquer de cette manière : j'ai besoin de ses leçons, puisqu'il est venu du ciel et qu'il nous apporte une doctrine céleste, que lui seul entend parfaitement. Car voilà ce que signifie ce mot : Il a entendu et il a vu. " Et personne ne reçoit son témoignage ". Mais il a eu des disciples, et plusieurs écoutaient assidûment sa parole; pourquoi donc dit-il : " Personne ne reçoit? " c'est-à-dire : Il y en a peu qui le reçoivent. S'il avait voulu dire : " Personne ", pourquoi aurait-il ajouté: " Celui qui a reçu son témoignage a attesté que Dieu est véritable (33)? " Ici Jean-Baptiste reproche à ses disciples leur peu de foi en Jésus-Christ : en effet, par ce qui suit on voit clairement qu'ils ne crurent pas même après ces paroles. Voilà pourquoi étant en prison, il les envoya à Jésus, afin de les lui mieux attacher. Et alors néanmoins ils ne crurent pas encore tout à fait en lui, comme Jésus-Christ le fait connaître par ces paroles: " Heureux celui qui ne prendra point de moi un sujet de scandale et de chute ! " (Matth. XI, 6.) Jean-Baptiste n'a donc point eu d'autre raison de dire: " Et personne ne reçoit son témoignage ", que dans l'intention d'instruire ses disciples; c'est comme s'il disait quoiqu'il y en ait peu qui doivent croire en lui, ne pensez pas que ce qu'il dit ne soit pas véritable, car il rend témoignage de ce qu'il a vu. Au reste, il le dit aussi pour censurer l'aveuglement des Juifs, de même qu'au commencement de son évangile, saint Jean les réprimande en disant: " Il est venu chez soi, et les siens ne l'ont point reçu " (Jean, I, 11) : par la faute, non de celui qui est venu, mais de ceux qui ne l'ont pas voulu recevoir: " Celui [241] qui a reçu son témoignage, a attesté que a Dieu est véritable (33) "; par ces paroles il les effraie et les épouvante, car il leur fait voir que celui qui rejette le Fils ne le rejette pas lui seul, mais encore son Père; c'est pourquoi il ajoute : " Celui que Dieu a envoyé ne dit a que des paroles de Dieu (34) ". Puis donc qu'il ne dit que des paroles de Dieu, celui qui croit en lui, croit en Dieu, et celui qui ne croit pas en lui, ne croit point en Dieu. Mais ce mot : " Il a scellé ", veut dire : il a fait connaître. Après quoi ayant ainsi augmenté leur crainte, il ajoute : " Que Dieu est véritable ", pour marquer qu'on ne peut rejeter Jésus-Christ, ou ne pas croire en lui, sans accuser de mensonge Dieu qui l'a envoyé. Puis donc que Jésus-Christ ne dit rien qui ne vienne de son Père, celui qui ne l'écoute point, n'écoute point son Père qui l'a envoyé.

Ne voyez-vous pas ici , mes frères, avec quelle force Jean-Baptiste frappe encore sur ses disciples? Jusque-là ils ne croyaient pas qu'il y eût du mal à ne pas croire en Jésus-Christ. Voilà pourquoi il leur représente vivement l'extrême péril auquel s'exposent les incrédules; afin qu'ils apprennent que n'écouter pas Jésus-Christ, c'est la même chose que de ne pas écouter son Père. Il poursuit, et se proportionnant à leur portée, il leur dit : " Parce que Dieu ne lui donne pas son Esprit par mesure ". Il se sert encore, comme j'ai dit, d'expressions basses et grossières, accommodant ainsi son langage à leur intelligence; autrement il n'aurait pu exciter en eux la crainte. S'il avait dit de Jésus-Christ des choses grandes et élevées, ils ne l'auraient pas cru, ils l'auraient repoussé avec mépris : voilà pourquoi il rapporte tout au Père, parlant quelquefois de Jésus-Christ comme d'un homme.

Mais que signifie ceci : " Dieu ne lui donne pas son Esprit par mesure ? " Nous, dit Jean-Baptiste, nous recevons les dons du Saint-Esprit par mesure: car, par le Saint-Esprit il entend ici les dons. En effet, ce sont les dons qui sont distribués. Mais Jésus-Christ a en lui-même tous les dons, ayant reçu toute la plénitude du Saint-Esprit sans mesure. Or, si ces dons sont immenses, à plus forte raison sa substance est-elle immense. Ne voyez-vous pas aussi que le Saint-Esprit est immense " comme le Père? " Celui donc qui a reçu toute la vertu du Saint-Esprit, qui connaît Dieu, qui dit: " Nous disons ce que nous avons entendu, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu ", comment nous pourrait-il paraître suspect? il ne dit rien qui ne soit de Dieu, rien qui ne soit du Saint-Esprit : mais cependant Jean-Baptiste ne parle point de Dieu le Verbe; l'autorité qu'il donne à sa doctrine, il la tire toute du Père et du Saint-Esprit. Ses disciples connaissaient un Dieu, ils savaient qu'il y a un Saint-Esprit, quoiqu'ils n'en eussent pas une juste idée : mais qu'il y eût un Fils, ils l'ignoraient. C'est pour cela que, voulant donner de l'autorité à ce qu'il dit, et le persuader, il a toujours recours au Père et au Saint-Esprit. Car séparer cette raison " qui oblige Jean-Baptiste d'en user ainsi ", et recevoir la doctrine en soi, comme elle se présente, ce serait se tromper beaucoup et s'écarter extrêmement de l'idée qu'on doit avoir de la dignité de Jésus-Christ. En effet, le motif de leur foi en Jésus-Christ ne devait pas être qu'il avait la vertu du Saint-Esprit, puisqu'il n'a nullement besoin du secours du Saint-Esprit, et qu'il se suffit à lui-même : Jean-Baptiste se conforme donc ainsi à l'opinion des simples, pour les élever peu à peu à de plus hauts et de plus grands sentiments.

Au reste, je dis ceci, mes chers frères, pour vous faire connaître que nous ne devons pas légèrement passer sur les paroles de la sainte Ecriture, qu'il faut faire attention au but et à l'intention de celui qui parle, à l'esprit et à la faiblesse de ses auditeurs, et examiner bien d'autres choses. Car les docteurs ne découvrent et n'expliquent pas clairement tout, comme ils le voudraient, mais ils tempèrent beaucoup de choses, selon la portée de leurs disciples. C'est pourquoi saint Paul dit : " Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels , mais comme à des personnes encore charnelles : je ne vous ai nourris que de lait, et non de viandes solides "(I Cor. III, 1, 2.) Je voudrais, dit-il, vous parler comme à des hommes spirituels, et je ne l'ai pu, pourquoi? Ce n'est pas qu'il en fût lui-même incapable, c'est qu'ils n'auraient pu l'entendre, s'il leur avait parlé comme à des hommes spirituels. De même Jean-Baptiste voulait enseigner de grandes choses à ses disciples, mais ils ne pouvaient encore les comprendre; voilà pourquoi il s'attache si fort aux expressions les plus simples et les plus basses.

3. Il faut donc observer toutes choses avec [242] soin; car les paroles de l'Ecriture sont des armes spirituelles. Mais si nous n'avons pas l'adresse de les bien manier, ni d'en équiper nos disciples comme il faut, elles ne perdent rien, à la vérité, de leur vertu propre, mais elles nous deviennent inutiles. Supposons qu'il y ait ici une forte cuirasse, un casque, un bouclier, une pique: qu'ensuite quelqu'un les prenne, et qu'il se mette la cuirasse aux pieds, le casque non sur la tête, mais sur les yeux, le. bouclier, non sur la poitrine, mais sur les jambes: pourra-t-il s'en aider? ou plutôt n'en sera-t-il pas embarrassé? Sans aucun doute. Mais ce n'est pas la faute des armes; c'est la sienne, celle de son ignorance, puisqu'il ne sait ni s'en revêtir ni s'en servir. Il en est de même. des saintes Ecritures : si nous en confondons l'ordre , elles n'en auront pas moins en soi leur force et leur vertu, mais elles ne nous serviront de rien. J'ai beau vous répéter ces vérités, et en public et en particulier; c'est peine perdue : toujours je vous vois attachés aux affaires du siècle, toujours je vous vois mépriser les choses spirituelles : voilà pourquoi nous nous mettons peu en peine de bien vivre, et, lorsque nous combattons pour la vérité, nous sommes sans force et nous devenons la fable et la risée des gentils, des Juifs et des hérétiques. Quand bien même vous seriez aussi négligents dans les autres choses, on ne devrait même pas vous le pardonner. Mais dans les affaires séculières chacun de vous est plus subtil et plus perçant qu'une épée, tant l'artisan que le magistrat mais dans les choses nécessaires et spirituelles nous sommes d'une extrême négligence, traitant les bagatelles comme des affaires sérieuses, et n'attachant pas même une importance secondaire aux plus pressants de nos intérêts. Ignorez-vous que ce qui est écrit dans les livres saints ne l'est pas pour les anciens, , pour nos pères seulement, mais aussi pour nous? La voix de saint Paul qui dit : " Tout ce qui est écrit a été écrit pour nous servir d'instruction, à mous autres qui nous trouvons à la fin des temps, afin que nous concevions une espérance ferme par la patience et par la consolation que les Ecritures nous donnent " (Rom. XV, 4; 1 Cor. X, 11); cette voix, dis-je, n'est-elle pas venue jusqu'à vous?

Je parle inutilement, je le sais bien; mais je ne cesserai point de parler. En le faisant, je me justifierai devant Dieu, quand bien même personne ne m'écouterait. Prêcher devant des gens dociles et attentifs, c'est une peine allégée : mais prêcher souvent sans être écouté, et néanmoins, sans se rebuter, prêcher toujours, c'est se rendre digne d'une plus grande récompense; parce que, quelque dégoût qu'il y ait à n'être point. écouté, on ne laisse pas de remplir son ministère selon la volonté de Dieu. Toutefois , quoique votre négligence doive nous procurer une plus grande récompense, nous aimons mieux l'avoir moindre et être plus sûrs de votre salut : car votre avancement et votre profit est une grande récompense à nos yeux. Au reste, si nous vous représentons maintenant ces choses , mes chers frères, ce n'est pas pour vous chagriner ni pour vous faire de la peine, mais pour vous exposer la vive douleur que votre tiédeur nous cause. Puisse le ciel nous guérir tous de ce vice, afin que nos coeurs étant embrasés de l'amour des choses spirituelles, nous acquérions les biens célestes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit la gloire au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXI.
LE PÈRE AIME LE FILS, ET IL LUI A MIS TOUTES CHOSES ENTRE LES MAINS. — CELUI QUI CROIT AU FILS, A LA VIE ÉTERNELLE : CELUI QUI NE CROIT PAS AU FILS , NE VERRA POINT LA VIE, MAIS LA COLÈRE DE DIEU DEMEURE SUR LUI. (VERS 35, 36 JUSQU'AU VERS. 12 DU CHAP. IV.)
ANALYSE.

1. La foi sans la bonne vie ne sert de rien pour le salut.

2. Pourquoi Jésus-Christ se retire. — Origine des Samaritains.

3. Vie laborieuse de Jésus-Christ. — Histoire de la Samaritaine.

4. Continuation du même sujet. — Jésus-Christ abolit les observances du Judaïsme.

5. Bel exemple que donne la Samaritaine de l'amour et du zèle qu'on doit avoir pour la parole de Jésus-Christ : elle invite les autres à venir l'entendre, les Juifs les en détournaient. — Faire ce qui n'est point agréable à Dieu , c'est vivre inutilement et pour la perte. — Nous rendrons compte du temps que nous avons perdu, pour l'avoir employé à des inutilités. — Dieu nous a mis, en ce monde pour y travailler pour l'autre. —L'âme est immortelle : Le corps sera aussi immortel, afin que nous jouissions des biens éternels. — Dieu nous offre lé ciel, et nous lui préférons la terre : outrage que nous faisons à Dieu.

1. L'expérience nous apprend, mes frères, qu'en toutes choses l'esprit de ménagement procure de grands biens et de grands avantages : ainsi l'on devient habile dans les arts, dont on a reçu d'un maître à peine les premiers éléments. Ainsi l'on bâtit les villes, mettant insensiblement et peu à peu une pierre l'une sur l'autre; ainsi nous entretenons, nous conservons notre vie. Et ne vous étonnez pas que cette sage conduite ait tant de vertu et d'efficacité dans tout ce qui concerne . cette vie, lorsqu'elle en a tant dans les choses spirituelles. C'est ainsi qu'on a pu arracher, les Juifs de- leur idolâtrie, en les ramenant et les persuadant peu à peu, eux qui au commencement n'avaient entendu rien de grand, rien de sublime, ni quant à la doctrine, ni quant aux moeurs. C'est ainsi encore, qu'après l'avènement de Jésus-Christ, lorsque le temps d'annoncer la sublime doctrine fut arrivé, les apôtres attiraient à eux tous les hommes, évitant de leur parler tout d'abord des choses grandes et élevées. C'est ainsi qu'en usait au commencement Jésus-Christ à l'égard de plusieurs. C'est ainsi qu'en use maintenant Jean-Baptiste : il parle de Jésus-Christ comme d'un homme admirable, et jette un voile sur ce qui dépasse la portée humaine. Au commencement il disait : " L'homme ne peut rien recevoir de soi-même " ; ensuite, après avoir ajouté quelque chose de grand, et dit : " Celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous ", il baisse encore le ton, et dit entre autres choses : " Car Dieu ne lui donne pas son Esprit par mesure " ; et ensuite : " Le Père aime le Fils, et il lui amis toutes choses entre les mains ". De là il arrive aux peines, sachant que la crainte du supplice est d'une grande utilité, et que plusieurs ne sont pas tant touchés dos promesses que des menaces; et c'est enfin par où il finit, disant : " Celui qui croit au Fils, a la vie éternelle ; celui qui ne croit pas au Fils, ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ". Ici encore ce qu'il dit des peines, il le rapporte au Père, car il n'a pas dit la colère du Fils, quoique le Fils soit le juge ; mais il a nommé le Père pour effrayer davantage.

Ne suffit-il pas, direz-vous, de croire au Fils, pour avoir la vie éternelle? Non. Ecoutez ce que dit Jésus-Christ, qui le déclare par ces paroles : " Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le royaume des cieux ". (Matth. VII, 21.) Et le blasphème , contre le Saint-Esprit suffit pour nous faire jeter dans l'enfer. Et pourquoi parler d'un [244]

article de doctrine? Quand bien même on croirait parfaitement au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, si l'on ne vit bien, la foi seule ne servira de rien pour le salut. Lors donc que Jésus-Christ dit : " La vie éternelle consiste à " vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu " véritable " (Jean, XVIII, 3) ; ne pensons pas que cette créance nous suffise pour le salut, mais nous avons besoin encore d'une bonne vie et d'une conduite bien réglée. Quoique Jean-Baptiste ait dit ici : " Celui qui croit au Fils, a la vie éternelle ", il insiste davantage sur ce qui suit. Car dans son discours il joint et lie ensemble le bien et le mal, et voyez comment, à sa première proposition, il ajoute celle-ci : " Celui qui ne croit pas au Fils, ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ". Mais néanmoins nous ne concluons pas de là que la foi suffise seule pour le salut; ce qui se prouve par une infinité d'autres endroits de l'Évangile, où il est parlé de la bonne vie. Voilà pourquoi Jésus-Christ n'a point dit : La vie éternelle consiste seulement à vous connaître; ni : Celui qui croit seulement au Fils, a la vie éternelle; mais il marque, à propos de ces deux choses, que la vie y est attachée : certes, si la bonne vie n'accompagne pas la foi, la foi ne nous sauvera pas d'un grand supplice. Car il n'a pas dit

La colère l'attend; mais la colère demeure sur lui; par où il déclare que la colère ne se retirera jamais de lui.

Mais de peur que ce mot : " Il ne verra point la vie ", ne vous induisît en erreur, et ne vous donnât lieu de penser qu'il ne s'agit que de cette vie présente ; et afin que d'autre part vous soyiez persuadé que le supplice est éternel, il a dit : " La colère demeure ", pour montrer qu'elle demeure éternellement, et qu'elle séjourne sur l'incrédule. Au reste, l'intention de Jean-Baptiste est d'exciter ses disciples par toutes ces paroles, et de les pousser vers Jésus-Christ. C'est pourquoi il ne leur adresse pas la parole à eux seuls et en particulier; mais il l'adresse à tous en général, et de la manière qui pouvait mieux les attirer et les gagner. Car il n'a point dit : Si vous croyez, si vous ne croyez pas; mais il parle en général, pour ne leur pas donner de la défiance, et il le fait avec plus de force que Jésus-Christ. Le Sauveur dit : " Celui qui ne croit pas est déjà condamné " ; mais Jean-Baptiste s'exprime ainsi " Il ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ". Et certes il a raison. Jésus-Christ ne pouvait parler de soi comme un autre en pouvait parler. S'il avait parlé de même, on aurait cru que souvent il revenait sur ce sujet par amour-propre et par vanité; mais Jean n'était pas exposé à ce soupçon. Que si, dans la suite, Jésus-Christ s'est lui-même servi d'expressions plus fortes, c'est lorsque sa réputation s'étant établie, on avait de lui une grande opinion.

" Jésus ayant donc su que les pharisiens avaient appris qu'il faisait plus de disciples et baptisait plus de personnes que Jean, quoique Jésus ne baptisât pas lui-même, mais ses disciples, il quitta la Judée et s'en alla en Galilée ". (Chap. IV, 1, 2, 3.)

Véritablement Jésus ne baptisait pas lui-même, mais, pour exciter plus d'envie contre lui, on le rapportait ainsi. Pourquoi, direz-vous, se retira-t-il? ce ne fut pas par crainte, mais pour ôter tout sujet d'envie et adoucir la jalousie. Il pouvait contenir ceux qui l'attaquaient, mais il ne voulait pas trop souvent le faire, de peur de détruire la foi à l'incarnation. Si étant pris, il se fût souvent échappé miraculeusement de leurs mains, plusieurs auraient tenu cette vérité pour suspecte. Voilà pourquoi il faisait bien des choses humainement : voulant qu'on le crût Dieu, il voulait aussi qu'on crût qu'il s'était revêtu de notre chair. Voilà pourquoi, après sa résurrection, il disait à un de ses disciples : " Touchez et considérez qu'un esprit n'a ni chair ni os ". (Luc, XXIV, 39.) Voilà pourquoi il reprit Pierre, qui lui disait: " Ayez soin de vous, cela ne vous arrivera point ". (Matth. XVI, 22.) Tant il a pris soin d'établir cette créance.

2. En effet, entre les dogmes de l'Église, celui de l'incarnation n'est pas le moins important, ou plutôt il est le principal; puisque l'incarnation est l'origine et le principe de notre salut, puisque c'est par elle que tout a été fait, que tout a été consommé. C'est elle qui a détruit la mort, qui a ôté le péché, qui a annulé la malédiction, qui nous a apporté une infinité de grâces. Voilà pourquoi Jésus-Christ voulait qu'on crût principalement à l’incarnation, qui a été pour nous la racine et la source de toutes sortes de biens. Mais tout en agissant comme un homme, il ne laissait pas la divinité s'obscurcir en lui. Ayant donc quitté la Judée, il continuait de faire ce qu'il avait fait auparavant. Car ce n'était pas sans [245] sujet qu'il s'en était allé en Galilée, il préparait les grandes oeuvres qu'il voulait opérer parmi les Samaritains, et il ne les dispensait pas indifféremment, mais avec cette sagesse qui lui était convenable; afin de ne pas laisser le moindre sujet d'excuse au juif le plus impudent. L'évangéliste nous l'insinue par ce qu'il ajoute : " Et comme il fallait qu'il passât par la Samarie (4) " , en quoi il montre que c'était comme en passant qu'il avait été dans la Samarie. Les apôtres faisaient de même lorsque les Juifs les persécutaient, ils s'en allaient vers les gentils; Jésus-Christ, de même (Marc, VII, 26), chassé par les uns, s'en allait vers les autres, comme il le fit à l'égard de la Syrophénicienne.

Or cela s'est fait ainsi pour ôter aux Juifs tout prétexte, tout sujet de dire : il nous a quittés pour passer vers les incirconcis. C'est pour cette raison que les apôtres, voulant se justifier, disaient : " Vous étiez les premiers à qui il fallait annoncer la parole de Dieu; " mais puisque vous vous en jugez vous-mêmes indignes, nous nous en allons présentement vers les gentils ". (Act. XVII, 46.) Et Jésus-Christ : " Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues ". (Matth. XV, 24.) Et : " Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens ". (Ibid. 26.) Mais lorsque les Juifs le rejetèrent, ils ouvrirent dès lors la porte aux gentils. Et néanmoins il n'allait pas exprès chez eux, mais seulement en passant c'est donc en passant, et " qu'il vint en une ville de la Samarie, nommée Sichar, près de l'héritage que Jacob donna à son fils Joseph (5). Or il y avait là un puits ", qu'on appelait la fontaine de Jacob (6) ". Pourquoi l'évangéliste parle-t-il du lieu avec tant d'exactitude? C'est afin qu'en entendant une femme dire : " Notre père Jacob nous a donné ce " puits "; vous ne vous en étonniez pas. C'était la ville où Lévi et Siméon, transportés de colère, pour l'outrage fait à Dina leur soeur, firent ce cruel massacre que vous savez.

Mais il ne sera pas hors de propos de rapporter ici l'origine des Samaritains. Car tout ce pays s'appelait Samarie. D'où ont-ils donc pris ce nom ? La montagne qui était auprès s'appelait Somor, d'un homme de ce nom qui l'avait possédée, comme dit Isaïe : " Ephraïm sera la capitale de Somoron " (Isaïe, VII, 9) ; ceux qui l'habitaient alors ne s'appelaient pas Samaritains, mais Israélites. Dans la suite des temps ces hommes offensèrent le Seigneur. Phaceïa régnait, lorsque Theglathphalassar entra dans le royaume , se rendit maître de plusieurs places, attaqua Ela, le tua, et donna le royaume à Osée. (IV Rois, XV.) Salmanasar fit la guerre à ce dernier, prit d'autres villes et se les rendit tributaires. Osée se soumit au commencement, il se révolta ensuite et envoya chercher du secours dans l'Ethiopie (1). Le roi d'Assyrie, l'ayant appris, marcha contre lui, et enleva Samarie, où il ne laissa aucun des précédents habitants, de peur qu'ils ne se révoltassent une seconde fois. II les transféra à Babylone et dans la Médie; il envoya d'autres peuples tirés de différents endroits de ces pays, habiter Samarie, afin d'y affermir pour toujours son empire, en donnant tout le pays à des nations dévouées. (IV Rois, XVII.)

Les choses s'étant ainsi passées, Dieu, pour manifester sa puissance et faire voir que ce n'était pas par faiblesse qu'il avait livré les Juifs, mais pour les punir de leurs péchés, envoya contre ces barbares des lions qui exercèrent partout les plus grands ravages : on en porta la nouvelle au roi : il fit retourner à Samarie un des prêtres qu'on avait emmené captif, avec ordre d'apprendre à ces peuples le culte qui doit être rendu à Dieu. (IV Rois, XVII, 26, 27.) Mais ils ne renoncèrent qu'à moitié à leur impiété. Cependant, ayant dans la suite rejeté le culte des idoles, ils adorèrent le vrai Dieu. Tel était l'état de ce pays, lorsque les Juifs y revinrent : ils eurent une grande aversion contre les habitants, qu'ils regardaient comme des étrangers et des ennemis, et ils les appelaient Samaritains, du nom du mont Somorou. Les Samaritains ne recevaient pas toutes les Ecritures, ce qui donnait lieu à de nouvelles contestations entre eux et les Juifs. Ils ne recevaient que les livres de Moïse, et faisaient peu de cas des prophètes. Au reste, ils prétendaient s'arroger la noblesse des Juifs et faisaient remonter leur origine jusqu'à Abraham, qu'ils disaient être le chef de leur race, en tant que Chaldéen; ils appelaient Jacob leur père, comme descendant d'Abraham. Mais les Juifs les avaient autant en horreur et en abomination que tous les autres peuples. Voilà pourquoi, voulant injurier et outrager Jésus-Christ, ils lui disaient : " Vous êtes un samaritain, vous êtes possédé du démon ". (Jean, VIII, 48)

1. " Dans l’Ethiopie ", c’est une méprise, il faut dire l’Egypte.

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C'est aussi pour cette même raison que Jésus-Christ, faisant l'histoire d'un homme qui était descendu de Jérusalem à Jéricho, introduit un samaritain ." qui exerça la miséricorde envers lui " (Luc, X 30 et suiv.), à savoir, une personne vile, méprisable et abominable selon eux : que des dix lépreux qu'il guérit, il n'en appelle qu'un seul étranger, parce qu'il était samaritain (Luc, XVII, 18) et qu'instruisant, ses disciples, il leur disait : N'allez point vers les gentils' (Matth. X, 5 ), et n'entrez point dans les villes des Samaritains.

3. Ce n'est pas seulement pour composer son histoire et en suivre le fil, que l'évangéliste a nommé Jacob ; mais c'est aussi pour faire connaître que les Juifs étaient depuis longtemps rejetés. En effet, déjà depuis longtemps et du vivant de leurs pères, les Samaritains habitaient ces pays : car la terre qu'habitaient leurs pères, sans qu'elle leur appartînt, les Juifs, après en être devenus les maîtres, l'avaient perdue par leur négligence et leur méchanceté. Ainsi il ne sert de rien aux enfants d'être sortis de pères vertueux et gens de bien , s'ils dégénèrent eux-mêmes de leur vertu. Ces barbares n'eurent pas plutôt été en butté aux ravages des lions, qu'ils revinrent à la loi et au culte des Juifs; mais les Juifs, après avoir été châtiés par tant dé fléaux et de calamités, n'en devinrent pas pour cela meilleurs. Voilà donc le pays où alla Jésus-Christ; voilà le peuple qu'il fut visiter, faisant une guerre continuelle à la vie molle et voluptueuse, et montrant par son exemple qu'il faut vivre dans l'austérité et dans le travail. Car dans ce voyage. il ne se servit point de bêtes de somme, il le fit à pied, et si vite, qu'il en fut fatigué. Jésus-Christ nous apprend partout, que chacun doit travailler, et tâcher de se suffire à soi-même ; il veut enfin que nous soyions si éloignés du superflu, que nous nous retranchions même beaucoup de choses nécessaires. C'est pourquoi il disait : " Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ". (Matth. VIII, 20.) C'est aussi pourquoi souvent il demeure sur les montagnes et dans le désert, et non-seulement le jour, mais encore. la nuit. David parlant de lui par une inspiration prophétique, disait : " Il boira de " l'eau du torrent dans le chemin " (Ps. CIX, 8), pour montrer son grand détachement. Saint Jean marque ici la même chose : " Jésus étant fatigué du chemin, s'assit sur cette fontaine" pour se reposer. " Il était environ la sixième heure du jour. Il vint alors une femme de la Samarie pour tirer de l'eau (7); Jésus lui dit : Donnez-moi à boire. Car ses disciples " étaient allés au marché pour acheter à manger (8) " : par où nous voyons sa patience dans les fatigues de ses voyages, le peu de soin qu'il avait de sa nourriture, le peu d'attention qu'il y donnait. Ses disciples avaient appris à l'imiter en cela : ils ne portaient point de provisions avec eux. C'est ce qu'un autre évangéliste nous fait remarquer à cette occasion Jésus leur ayant dit de se garder du levain des pharisiens (Matth. XVI, 6), ils pensèrent qu'il leur parlait ainsi, parce qu'ils n'avaient point pris de pains. De même, lorsqu'il est question de la faim qui les obligea de rompre des épis (Matth. XII, 1) , pour manger, et encore en rapportant que Jésus-Christ lui-même s'approcha d'un figuier, parce qu'il avait faim. (Matth. XXI, 18.) Par tous ces exemples, il nous apprend qu'il faut mépriser son ventre, et n'en avoir point tant de soin.

Observez encore ici, mes frères, que les disciples n'avaient rien apporté avec eux, et qu'ils ne s'empressaient pas de faire des provisions dès le matin, mais qu'ils allaient acheter à manger à l'heure du dîner. Nous, au contraire, à peine sommes-nous sortis du lit, qu'avant toute autre chose nous songeons à manger; nous appelons vite nos cuisiniers, et nos sommeliers , et leur faisons mille recommandations : après quoi, nous pensons à nos affaires, donnant toujours aux choses charnelles la préférence sur les choses spirituelles, et considérant comme nécessaire ce qui est fort accessoire. Ainsi nous faisons tout à contre-temps. C'est tout autrement que nous devrions agir nous devrions nous attacher avec grand soin aux choses spirituelles; et après y avoir donné tout le temps requis, passer à nos autres affaires.

Enfin, observez encore dans Jésus-Christ, outre sa patience dans les fatigues et dans les travaux , son extrême éloignement pour le faste : remarquez, non-seulement qu'il était fatigué, qu'il s'assit le long du chemin, mais aussi qu'on l'avait laissé seul, et que ses disciples s'en étaient allés. Toutefois, s'il l'avait voulu, il pouvait, ou ne les pas envoyer tous à la fois, ou bien, eux partis, se donner d'autres serviteurs : mais il ne le voulut pas, parce que [247] de cette manière il accoutumait ses disciples à mépriser le faste. Et qu'y a-t-il là de merveilleux, dira peut-être quelqu'un ? s'ils étaient humbles et modestes, ce n'étaient que des pêcheurs et des faiseurs de tentes? Mais ces pêcheurs se sont tout à coup élevés au ciel, ils se sont rendus plus illustres que les rois, puisqu'ils sont devenus les amis du Seigneur de tout l'univers, et les compagnons de ce Maître admirable. Or, vous le savez, ceux qui d'une basse condition s'élèvent aux dignités, en deviennent plus facilement orgueilleux et insolents, pour cela seul qu'auparavant ils n'étaient pas accoutumés à de tels honneurs. Jésus-Christ, en les retenant dans leur simplicité primitive, leur apprenait à être humbles et modestes en tout, et à n'avoir jamais besoin de serviteurs.

Jésus, dit l'évangéliste, étant fatigué du chemin, s'assit sur cette fontaine pour se reposer. Ne voyez-vous pas que la fatigue et la chaleur l'obligèrent de s'asseoir pour attendre ses disciples? car il savait bien ce qui devait arriver des Samaritains. Mais ce n'était point là le principal sujet qui l'avait attiré ; néanmoins, une femme qui faisait paraître tant d'envie et de désir de s'instruire , n'était point à rejeter. En effet, il était venu vers les Juifs, et lés Juifs ne voulaient pas le recevoir. Les gentils, au contraire, l'appelaient et le pressaient de venir chez eux, quand il voulait aller ailleurs: ceux-là lui portaient envie, ceux-ci croyaient en lui : les Juifs concevaient de l'indignation contre lui , les gentils l'admiraient et l'adoraient. Quoi donc 1 fallait-il négliger le salut de tant d'hommes et abandonner des gens qui étaient dans de si bonnes et si heureuses dispositions?Certes cela était indigne de la bonté du divin Sauveur: c'est pourquoi il conduisait toutes choses avec la sagesse qui lui est propre et convenable. Il était assis, il reposait son corps et se rafraîchissait auprès de cette fontaine. C'était alors l'heure de midi , l'évangéliste le déclare : " Il était environ ", dit-il, " la " sixième heure " du jour, " et il s'assit ". Que veut dire ce mot: " Assis? " Non sur un trône, non sur un coussin, mais simplement à terre. " Il vint alors une femme de la Samarie a pour tirer de l'eau ".

4. Voyez la précaution que prend Jésus-Christ de faire connaître que cette femme était sortie de la ville pour un tout autre motif, et comme partout il réprime les impudentes chicanes des Juifs, comme il leur ôte tout sujet de dire qu'il avait lui-même violé sa défense, d'entrer dans les villes des Samaritains (Matth. X, 5), lui qui parlait avec eux. C'est pourquoi l'évangéliste dit que ses disciples étaient allés à la ville pour acheter à manger, insinuant que Jésus-Christ avait eu bien des raisons de s'entretenir avec cette femme. Que fit-elle donc? Ayant. entendu ces paroles: " Donnez-moi à boire ", elle en prit occasion, avec beaucoup de prudence, de lui proposer quelques questions , et elle lui dit: " Comment vous, qui êtes juif, me demandez-vous à boire, à moi qui suis samaritaine ? car les Juifs n'ont point de commerce avec les Samaritains (9) ". Mais qu'est-ce qui lui fit penser qu'il était juif? Peut-être son habit ou son langage. Pour vous, remarquez combien cette femme est avisée et prudente. En effet, s'il y avait à prendre garde à quelque chose, c'était plutôt à Jésus-Christ à user de précaution qu'à elle. Car elle n'a pas dit: Les Samaritains n'ont point de commerce avec les Juifs; mais : les Juifs n'ont point de commerce avec les Samaritains. Cependant cette femme, quoiqu'elle fût exempte de reproche, croyant qu'un autre était en faute, ne se tut pas, mais elle releva ce qu'elle regardait comme une transgression de la loi.

Mais quelqu'un pourrait bien demander pourquoi Jésus lui demanda à boire, la loi ne le permettant pas? Si l'on dit qu'il prévoyait qu'elle ne lui donnerait point d'eau, il devait encore moins lui en demander. Que faut-il donc répondre? Que dès lors il était indifférent pour lui de s'affranchir de ces sortes d'observances. Car celui qui portait les autres à les transgresser devait bien , à plus forte raison , les transgresser lui-même. " Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche", dit Jésus-Christ, " qui souille l'homme, mais c'est ce qui en sort ". (Matth. XV, 11.) Au reste, cet entretien avec cette femme n'est pas un faible sujet de reproche et d'accusation contre les Juifs, car il les avait souvent invités, et par ses paroles, et par ses oeuvres, à s'approcher de lui , sans réussir à les gagner. Voyez au contraire la docilité de cette femme ; sur une courte demande que lui fait Jésus-Christ, aussitôt elle accourt. Or Jésus ne pressait encore personne d'entrer dans cette voie , mais il n'empêchait pas de venir à lui ceux qui le voulaient (1). Car il a simplement dit à ses disciples : N'entrez pas dans les villes des

1. C'est-à-dire, il ne forçait pas les gens à venir écouter ses instructions et sa doctrine, mais aussi il ne les empêchait pas, il ne rejetait pas ceux qui voulaient venir à lui

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Samaritains, mais il ne leur a pas dit de repousser, de rejeter ceux qui s'approcheraient d'eux : t'eût été là une recommandation indigne de sa bonté. Voilà pourquoi il répondit ainsi à cette femme. " Si vous connaissiez le don de Dieu, et qui est celui qui vous dit: " Donnez-moi à boire, vous lui auriez peut-être demandé vous-même, et il vous aurait donné de l'eau vive (10) ". Premièrement Jésus lui fait entendre qu'elle mérite d'être écoutée, et de n'être point rejetée, et ensuite il lui découvre qui il est: car tout en apprenant qui est celui qui lui parle, elle sera docile et obéissante, ce que personne ne peut dire des Juifs. En effet, les Juifs ayant appris qui il était, ne lui ont proposé aucune question, ne lui ont fait aucune demande, et ils n'ont point voulu apprendre de lui ce qui leur aurait été utile pour le salut; au contraire ils le chargeaient d'injures et le chassaient.

Après ces paroles, voyez avec quelle modestie répond cette femme : " Seigneur, vous n'avez point de quoi en puiser, et le puits est profond : d'où auriez-vous donc de l'eau vive (11) ? " Déjà Jésus l'a tirée de la basse opinion qu'elle avait de lui, en sorte qu'elle ne le regardait plus comme un homme du commun. Non-seulement elle l'appelle Seigneur, mais aussi elle lui parle d'une manière honnête et respectueuse. La suite même fait voir que c'est pour l'honorer qu'elle lui parle ainsi. Car elle ne se moqua point de lui, elle ne lui dit rien de désobligeant, mais seulement elle hésitait encore. Que si d'abord elle n'a pas tout compris, ne vous en étonnez pas. Nicodème lui-même ne comprenait pas ce que lui disait Jésus-Christ. Pourquoi dit-il : " Comment cela se peut-il faire? " Et encore : " Comment peut naître un homme qui est déjà vieux? " Et derechef : " Peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère pour naître encore? " Mais cette femme répond avec plus de retenue : " Seigneur, vous n'avez point de quoi en puiser, et le puits est profond : d'où auriez-vous donc de l'eau vive ? " Jésus-Christ disait une chose, elle en pensait une autre, n'entendant que la lettre des paroles, peu capable encore d'en comprendre l'esprit et la sublimité.

Et certes, elle aurait pu répondre avec vivacité: Si vous l'aviez, cette eau vive, vous ne me demanderiez point à boire, vous seriez le premier à boire l'eau que vous avez : vainement donc vous vous vantez. Mais elle ne parle point de la sorte, elle répond avec modestie et au commencement et dans la suite. Au commencement elle dit . " Comment, vous qui êtes juif, me demandez-vous à boire? " Elle n'a point dit, comme si elle eût parlé à un étranger et à un ennemi : Dieu me garde de vous donner à boire, à vous qui êtes un ennemi de notre nation, un étranger ! Ensuite, l'entendant parler de lui dans ces termes magnifiques qu'irritent pardessus tout la malveillance, au lieu de se moquer de lui, elle lui dit simplement : " Etes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous adonné ce puits et en a bu lui-même, aussi bien que ses enfants et ses troupeaux? (12) " Ne voyez-vous pas avec quelle adresse elle s'arroge la noble extraction des Juifs? Mais voici ce qu'elle a voulu dire. Jacob s'est servi de cette eau, il n'a rien eu de meilleur à nous donner. Par là elle fait connaître qu'elle a attaché à la première réponse un sens élevé et sublime; car quand elle dit: " Il en a bu lui-même, aussi bien que ses enfants et ses troupeaux ", elle ne fait entendre autre chose sinon qu'elle a quelque idée, quelque sentiment d'une eau meilleure, que d'ailleurs elle ne tonnait pas bien.

Au reste, ce qu'elle entend, je vais plus clairement vous le développer : vous ne pouvez pas dire que Jacob nous a donné ce puits, mais qu'il s'est servi d'un autre; car lui et ses enfants en buvaient, et certes ils n'auraient pas bu de cette eau s'ils en avaient eu une meilleure. Or vous-même vous ne sauriez donner de cette eau, et vous ne pouvez en avoir une meilleure, à moins que vous ne vous déclariez plus grand que Jacob. D'où pouvez-vous donc avoir l'eau que vous promettez de nous donner? Les Juifs au contraire n'usent pas avec lui de si douces paroles, lorsque, les entretenant sur le même sujet, il leur .parle de cette eau; mais aussi ils n'en tirent aucun profit. Quand il fait mention d'Abraham, ils cherchent à le lapider. Cette femme ne se conduisait pas de même à son égard; mais patiente malgré la chaleur du milieu du jour, elle dit, elle écoute tout avec une très-grande douceur, et elle n'éprouve aucun de ces sentiments que vraisemblablement les Juifs auraient fait éclater, savoir, qu'il était un insensé, un homme hors de son bon sens, qui avait des visions, qui parlait sans cesse d'une fontaine et d'un puits [249] qu'il ne montrait point, mais qu'il promettait avec beaucoup de vanité et d'ostentation. La Samaritaine au contraire écoute avec persévérance, jusqu'à ce qu'elle trouve ce qu'elle cherche.

5. Mais si cette femme samaritaine a du zèle et de l'empressement pour s'instruire, si elle s'assied auprès de Jésus-Christ qu'elle ne tonnait pas, quel pardon espérons-nous, nous qui le connaissons, qui ne sommes pas assis sur un puits, ni dans un lieu désert, ni exposés aux chaleurs du midi et aux brûlants rayons du soleil, mais qui, à la fraîcheur du matin, à l'ombre de ce toit, étant fort commodément et à notre aise, écoutons impatiemment ta parole de Dieu et languissons dans notre lâcheté et notre paresse? Non, la Samaritaine ne fait pas de même, elle est si attentive à ce que lui dit Jésus, qu'elle appelle, qu'elle invite même les autres à venir l'entendre. Mais les Juifs, non-seulement n'appelaient pas les autres, mais même, s'ils voulaient venir à Jésus, ils les en détournaient; c'est pourquoi ils disaient : " Y a-t-il quelqu'un des sénateurs qui croie en a lui? Car pour cette populace qui ne sait ce a que c'est que la loi, ce sont des gens maudits de Dieu ". (Jean, VII, 38,49.)

Imitons donc la Samaritaine : entretenons-nous avec Jésus-Christ; maintenant encore il est au milieu de nous, il nous parle par les prophètes et par ses disciples. Ecoutons-le donc etsoyons obéissants à sa voix. Jusques à quand mènerons-nous une vie oisive et inutile ?,Car. faire ce qui n'est point agréable à Dieu, c'est vivre inutilement, ou plutôt ce n'est pas seulement vivre inutilement, mais c'est encore vivre pour sa perte. En effet, si nous perdons le temps qui nous a été donné en l'employant à des choses tout à fait inutiles, nous sortirons de ce monde pour être punis de l'avoir mal et inutilement employé. Puisque celui qui a consommé et dévoré l'argent qui lui avait été donné pour le faire profiter, en rendra compte

à son maître qui le lui avait confié (Matth. XXV; Luc, XIX) ; sûrement celui qui passe sa vie à des inutilités, ne sera pas exempt du supplice. Non certes, Dieu ne nous a pas fait naître, ne nous a pas mis en ce monde et ne nous a pas donné une âme seulement pour jouir de cette vie, mais afin d'y travailler et d'y faire du profit pour la vie future. Les bêtes n'ont que l’usage de la vie présente, mais nous, nous n'avons une âme immortelle qu'afin que nous fassions tous nos efforts pour acquérir cette vie future.

Si quelqu'un demande à quel usage sont destinés les chevaux, les ânes, les boeufs et les autres animaux de la même espèce? A nul autre, dirons-nous, qu'à nous servir en cette vie ; mais à notre égard il n'en est pas de même : nous attendons un sort plus heureux, nous serons dans une meilleure vie quand nous serons sortis de celle-ci; et il n'est rien que nous ne devions faire pour nous y rendre illustres et nous mêler au choeur des anges, pour "être éternellement et dans tous les siècles des siècles en la présence du Roi. C'est pourquoi notre âme est immortelle et nos corps seront immortels, afin que nous jouissions des. biens éternels. Mais si les cieux, vous étant destinés et préparés pour vous, vous vous attachez à la terre, quelle injure, quel outrage ne faites-vous pas à celui qui vous les veut donner? C'est à quoi vous devez penser. Dieu vous présente les cieux, et vous, n'en faisant pas un grand cas, vous leur préférez la terre. Voilà pourquoi, méprisé par vous, il vous a menacés de l'enfer; il veut vous apprendre combien sont grands les biens dont vous vous privez. Mais à Dieu ne plaise que nous tombions dans ce lieu de supplice l que plutôt, nous rendant agréables au Seigneur, nous possédions les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècle, des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMELIE XXXII.
JÉSUS LUI RÉPONDIT : QUICONQUE BOIT DE CETTE EAU, AURA, ENCORE SOIF : — AU LIEU QUE CELUI QUI BOIRA DE L'EAU QUE JE LUI DONNERAI, N'AURA JAMAIS SOIF : MAIS L'EAU QUE JE LUI DONNERAI DEVIENDRA DANS LUI UNE FONTAINE D'EAU QUI REJAILLIRA JUSQUE DANS LA VIE ÉTERNELLE, (VERS. 13, 14, JUSQU'AU VERS. 20)
ANALYSE.

250

1. L'Ecriture appelle le Saint-Esprit tantôt un feu, tantôt une eau : termes qui expriment, non la substance, mais l'opération. Suite de l'histoire de la Samaritaine.

2. Docilité de la Samaritaine.

3. Sagesse de Jésus-Christ; avec quelle bonté il ménage les moments de notre conversion. — L'empressement qu'a la Samaritaine de s'instruire des vérités du salut, est un grand sujet de confusion pour les chrétiens. — Le saint-Docteur recommande la lecture et la méditation des saintes Ecritures. — On se pique plus d'avoir de beaux livres bien conditionnés que d'en faire un bon usage. — On en fait parade dans de magnifiques bibliothèques; et c'est tout le fruit qu'on en retire. — Livres en lettres d'or : c'est une vanité juive. — Le démon n'ose entrer dans la maison où est le livre des Evangiles. — La lecture spirituelle sanctifie. —

1. L'Ecriture appelle la grâce du Saint-Esprit tantôt un feu, tantôt une eau; faisant voir que ces noms marquent, non la substance, mais l'opération. Car le Saint-Esprit ne peut être composé de différentes substances, puisqu'il est indivisible , et d'une seule nature. Jean-Baptiste désigne l'une de ces choses quand il dit : " C'est celui qui vous " baptisera dans le Saint-Esprit et dans le " feu ". (Matth. III, 11.) L'autre est désignée par Jésus-Christ lui-même : " Il sortira ", dit-il, " des fleuves d'eau vive de son coeur. Ce qu'il entendait de l'Esprit que devaient recevoir " ceux qui croiraient en lui ". (Jean, VII, 38.) C'est pourquoi, dans l'entretien qu'il a avec la Samaritaine, il appelle eau le Saint-Esprit : " Celui ", dit-il, " qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif ". L'Ecriture appelle ainsi l'Esprit-Saint un full, pour montrer la force et l'ardeur de la grâce, et la destruction des péchés ; elle l'appelle une eau, pour marquer qu'elle purifie et rafraîchit l'âme de ceux qui la reçoivent. Et c'est avec raison : car tel est un jardin planté d'arbres chargés de fruits, et toujours verts, telle est une âme vigilante et soigneuse qu'embellit la grâce de l'Esprit-Saint. Elle ne permet pas, cette grâce, que la tristesse et la douleur, ni les ruses et les artifices de Satan lui portent la moindre atteinte, elle qui repousse facilement les traits enflammés de l'esprit malin.

Pour vous, mon cher auditeur, considérez, je vous prie, la sagesse de Jésus-Christ, et avec quelle douceur il encourage cette femme et élève son coeur. Car il ne lui a point dit au commencement: " Si vous saviez qui est celui qui vous a dit : Donnez-moi à boire "; ce n'est qu'après lui avoir donné lieu de le regarder comme juif et de l'accuser à ce titre que, pour se justifier, il lui parle ainsi; mais aussi par ces paroles : " Si vous saviez qui est celui qui vous a dit: Donnez-moi à boire, vous lui en auriez peut-être demandé vous-même ", et par ses grandes promesses qui la portèrent à rappeler la mémoire du patriarche, il ouvrit les yeux de son esprit. Ensuite, à sa réplique : " Etes-vous plus grand que notre père Jacob? " il ne répondit pas : Oui, je le suis. Il aurait paru le dire par ostentation, faute de preuve suffisante. Toutefois, par ce qu'il dit il l'y prépare. Car il ne dit pas simplement : Je vous donnerai de l'eau; mais ayant gardé le silence sur Jacob, il releva ce qu'il était, faisant [251] connaître, par la nature du don et par la différence des biens qu'il apportait; la différence des personnes, et sa prééminence, sa supériorité sur le patriarche. Si vous admirez, dit-il, que Jacob vous ait donné cette eau, que direz-vous si je vous en donne de beaucoup meilleure? Déjà vous avez presque reconnu que je suis plus grand que Jacob, lorsque vous m'avez demandé : Etes-vous plus grand. que notre père Jacob, pour promettre une eau meilleure? Si je vous la donne, cette eau, vous conviendrez donc alors que je suis plus grand que lui? Voyez-vous l'équité de cette femme, qui sans faire acception de personnes, juge par les oeuvres mêmes et du patriarche et de Jésus-Christ?

Mais les Juifs n'ont pas fait de même : ils ont vu Jésus-Christ chasser les démons, et ils l'ont appelé démoniaque; bien loin de le dire plus grand que le patriarche. La Samaritaine au contraire juge par où Jésus-Christ voulait qu'elle jugeât, à savoir, par cette évidence qui vient des oeuvres : car c'est là sur quoi il juge lui-même, en disant : " Si je ne fais pas les oeuvres de mou Père, ne me croyez pas mais si je les fais, quand vous ne me voudriez pas croire, croyez à mes oeuvres ". (Jean, X, 37.) C'est aussi par là qu'il persuade cette femme et, l'amène à la foi. Elle a dit : " Etes-vous plus grand que notre père Jacob? " Jésus-Christ laisse Jacob, mais il parle de l'eau et dit : " Quiconque boit de cette eau, aura encore soif ". Et sans s'arrêter à dépriser l'eau du patriarche, il passe tout à coup à l'excellence et à la supériorité de la sienne propre; il ne dit point : cette eau n'est rien ou peu de chose, il se borne à produire le témoignage qui résulte de sa nature même : " Quiconque boira de cette eau aura encore soif: au lieu que celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais soif ": Cette femme avait déjà entendu parler d'une eau vive, mais elle n'avait pas compris quelle était cette eau : comme on appelle eau vive celle qui coule continuellement de source et ne tarit jamais, elle croyait que c'était celle-là qu'il fallait entendre. C'est pourquoi Jésus-Christ, dans la suite, lui fait plus clairement connaître l'eau dont il s'agit, et lui en montrant l'excellence par la comparaison qu'il en fait avec l'autre, il continue ainsi : " Celui qui boit de l'eau que je lui donnerai , n'aura jamais soif ", lui montrant par là, comme j'ai dit, son excellence, et encore par ce qui suit : en effet, l'eau matérielle n'a aucune des qualités qu'il attribue à la sienne. Qu'est-ce donc qui vient ensuite? " L'eau que je donnerai deviendra dans lui une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle ". Car de même que l'homme qui a chez lui une fontaine, n'aura jamais soif, il en est de même de celui qui aura cette eau.

Cette femme crut aussitôt, en quoi elle se montra beaucoup plus sage que Nicodème, et non-seulement plus sage , mais aussi plus forte. Nicodème, en effet, ayant ouï une foule de semblables choses, ne fut appeler ni inviter personne, il ne crut même pas et n'eut point confiance : la Samaritaine, au contraire, annonçant à tout le monde ce qu'elle a appris, fait la fonction d'apôtre. Nicodème, à ce qu'a dit Jésus-Christ, réplique : " Comment cela se peut-il faire? " (Jean. III, 9.) Et Jésus ayant apporté un exemple clair et sensible, l'exemple du vent, il ne crut pas encore : mais la Samaritaine se conduit bien autrement: elle doutait au commencement; ensuite, sur un simple énoncé sans preuves, elle se rend et croit aussitôt. Car après que Jésus eut dit: " L'eau que je lui donnerai deviendra dans lui une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle " ; elle réplique sur-le-champ : " Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus ici pour en tirer (15) ".

2. Ne voyez-vous pas, mes frères, comment insensiblement Jésus-Christ l'élève à la plus haute doctrine et à la perfection de la foi? D'abord elle le regardait comme un juif schismatique et violateur de la loi: ensuite, lorsque Jésus eut éloigné cette accusation (car il ne convenait pas que celui qui devait l'instruire fût suspect), ayant entendu parler d'une eau vive, elle pensa que c'était de l'eau naturelle et sensible qu'il parlait; comprenant enfin que l'eau qu'il promettait était spirituelle, elle crut que ce breuvage avait la vertu de désaltérer, et toutefois elle ne savait pas ce que c'était que cette eau; mais elle doutait encore : comprenant déjà qu'il s'agissait d'une chose dépassant la portée des sens, mais n'en ayant pas encore une entière connaissance. Enfin elle voit plus clair, et néanmoins elle ne comprend pas tout, puisqu'elle dit : " Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus en tirer ". Ainsi déjà elle préférait [252] Jésus à Jacob. Non, je n'ai pas besoin de cette fontaine, disait-elle en elle-même, si vous me donnez l'eau que vous me faites espérer : en quoi vous voyez bien qu'elle le,préfère au patriarche. Voilà la marque d'un bon esprit. Elle a fait paraître qu'elle avait une grande opinion de Jacob : elle vit un homme plus grand que Jacob, son premier sentiment ne fut pas capable de l'arrêter. Cette femme ne crut donc pas facilement, et elle ne reçut pas inconsidérément ce qu'on lui disait, puisqu'elle chercha avec tant de soin à s'éclaircir et à découvrir la vérité, mais aussi elle ne fut ni indocile, ni opiniâtre : sa demande le fait bien voir.

Au reste, quand Jésus-Christ a dit aux Juifs a Celui qui mangera de ma chair, n'aura " point de faim : et celui qui croit en moi, n'aura jamais soif " (Jean, VI, 35); non-seulement ils ne l'ont point cru, mais encore ils s'en sont choqués et scandalisés. Cette femme, au contraire, attend et demande; le Sauveur disait aux Juifs: " Celui qui croit en moi n'aura jamais soif " ; mais à la Samaritaine il ne parle pas de même, il se sert d'une expression plus basse et plus grossière : " Celui qui boira de cette eau n'aura jamais soif ". — Comme cette promesse tombait uniquement sur des choses spirituelles, et non pas sur des choses charnelles et sensibles, Jésus-Christ, élevant l'esprit de la Samaritaine par des promesses, continue à lui proposer des choses sensibles, parce qu'elle ne pouvait pas comprendre encore ce qui était purement spirituel. S'il eût dit : Si vous croyez en moi, vous n'aurez jamais soif; ne sachant pas qui était celui qui lui parlait, ni de quelle soif il s'agissait, elle ne l'aurait pas compris. Mais pourquoi n'a-t-il pas parlé de même aux Juifs? parce qu'ils avaient vu beaucoup de miracles, tandis que cette femme n'en avait vu aucun, et que c'était la première fois qu'elle entendait la parole. Voilà pourquoi il va désormais lui révéler prophétiquement sa vertu et sa puissance. Voilà aussi pourquoi il ne la reprend pas d'abord de ses dérèglements. Mais que lui dit-il? " Allez, appelez votre mari et venez ici (16) ". Cette femme lui répondit : " Je n'ai point de mari". Jésus lui dit : " Vous avez raison de dire que vous n'avez point de mari (17). Car vous avez eu cinq maris, et maintenant " celui que vous avez n'est pas votre mari vous avez dit vrai en cela (18) ". Cette femme lui dit : " Seigneur, je vois bien que vous êtes prophète (19) ".

Ah ! quelle philosophie dans une femme ! avec quelle douceur ne reçoit-elle pas la réprimande ! Et pourquoi, direz-vous, ne l'aurait-elle pas reçue ? Jésus-Christ n'a-t-il pas souvent repris les Juifs avec plus de force et de sévérité ? car il y a bien plus de vertu et de puissance à pénétrer dans ce qu'il y a de plus caché dans le coeur, qu'à découvrir une action secrète qui s'est passée au dehors. L'une de ces choses n'appartient qu'à Dieu seul et à celui qui a conçu la pensée dans son esprit; l'autre est possible à quiconque vit avec nous. Cependant les Juifs s'irritent des réprimandes et des reproches que leur fait Jésus-Christ. Quand il leur dit.: " Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? " (Jean, VII, 20), non-seulement ils n'en sont pas surpris, comme cette femme, mais ils le chargent d'injures et d'outrages, bien qu'ils eussent devant leurs yeux des preuves et des exemples de beaucoup d'autres miracles, et que la Samaritaine n'eût entendu que cette seule parole. Et non-seulement, dis-je, ils n'ont point été étonnés, mais ils l'ont chargé d'outrages, lui disant: " Vous êtes possédé du démon. Qui est-ce qui cherche à vous faire mourir? " (Ibid.) Celle-ci, au contraire, non-seulement elle n'injurie, elle n'outrage point, mais elle est dans l'étonnement et dans l'admiration; elle honore Jésus-Christ comme un prophète; quoiqu'il la réprimande plus sévèrement qu'il n'a repris les Juifs. Car enfin, son péché lui était particulier à elle seule, elle seule en était coupable; au lieu que celui des Juifs était public, et commun à tous. Or nous avons, coutume de n'être pas si humiliés des. péchés qui nous sont communs avec bien d'autres, que de ceux qui nous sont propres et particuliers. Et véritablement les Juifs croyaient faire quelque chose de grand en faisant mourir Jésus-Christ; mais l'action de cette femme, généralement tout le monde la regardait comme mauvaise. Néanmoins, elle ne se fâcha point, elle ne s'emporta point; au contraire, elle fut dans l'étonnement et dans l'admiration.

Jésus-Christ se conduisit de la même manière à l'égard de Nathanaël. D'abord il ne prophétisa pas, il ne dit pas : " Je vous ai vu " sous le figuier " (Jean, I, 48) ; mais il ne lui fit cette réponse, qu'après qu'il eût dit . " D'où me connaissez-vous? " Il voulait que ceux [253] qui venaient le trouver, donnassent eux-mêmes occasion aux miracles et aux prophéties, afin de se les attacher davantage et d'échapper à tout soupçon de vaine gloire. La conduite qu'il tient envers la Samaritaine est tout à fait pareille. Il jugeait qu'il lui serait désagréable, et même inutile, d'entendre au premier abord ce reproche : " Vous n'avez point de mari " mais le placer après qu'elle en avait donné l'occasion, c'était alors le faire à propos et d'une manière convenable; par là, il la rend et plus docile et plus attentive. Et à propos de quoi, demandez-vous, Jésus-Christ lui dit-il : " Appelez votre mari ? " Il s'agissait d'une grâce et d'un don qui surpasse la nature humaine : cette femme le lui demandait avec instance. Jésus a dit : " Appelez votre mari", pour lui faire entendre que son mari y devait aussi participer. Elle cache son déshonneur par le désir qu'elle a de recevoir ce don, et croyant parler à un homme, elle répond : " Je n'ai point de mari ". La voilà l'occasion, elle est belle, Jésus-Christ la saisit et lui parle, sur les deux points, avec une grande précision : car il énumère tous les maris qu'elle a eus auparavant, et déclare celui qu'elle cachait. Que fit-elle donc? Elle ne s'en offensa point, elle ne s'éloigna point pour aller se cacher; elle ne prit pas le reproche en mauvaise part, au contraire elle en fut dans une plus grande admiration, et n'en devint que plus ferme et plus persévérante; elle dit : " Je vois bien que vous êtes un prophète ". Au reste, faites attention à sa prudence : elle ne court pas aussitôt à la ville, mais elle s'arrête encore à réfléchir sur ce qu'elle vient d'entendre, et elle en est toute surprise. Car ce mot : " Je vois ", veut dire Vous me paraissez un prophète. Puis, une fois qu'elle a conçu ce soupçon, elle ne propose à Jésus-Christ aucune question sur les choses terrestres, ni sur la santé du corps, ni sur les biens de ce monde, ni sur les richesses; mais promptement elle l'interroge sur la doctrine, sur la religion. Et que dit-elle ? " Nos pères ont adoré sur cette montagne ", parlant d'Abraham, parce que les Samaritains disaient qu'il y avait amené son fils. " Et vous autres, comment pouvez-vous dire que c'est dans Jérusalem qu'est le lieu où il faut adorer? (20) "

3. Ne voyez-vous pas, mes frères, combien l'esprit de cette femme s'est élevé ? Auparavant elle ne pensait qu'à apaiser sa soif, elle ne pense plus maintenant qu'à s'instruire. Que fait donc Jésus-Christ ? Il ne résout pas la question proposée; car il ne s'attachait pas à répondre exactement à tout, t'eût été une chose inutile. Mais il élève toujours de plus en plus son esprit, et il ne commence à entrer en matière qu'après qu'elle l'a reconnu pour prophète, afin qu'elle ajoute plus de foi à ses paroles. En effet, regardant Jésus-Christ comme un prophète, elle ne doutera point de ce qu'il lui dira.

Quelle honte, quelle confusion pour nous, mon cher auditeur ! cette femme, qui avait eu cinq maris, cette samaritaine, a un si grand désir de s'instruire et de connaître la vraie religion , que ni l'heure, ni aucune affaire ne peuvent la distraire .ni la détourner de cette occupation. Et nous, non-seulement nous ne faisons point de questions sur des dogmes, mais nous sommes en tout lâches et paresseux. Aussi tout est négligé.

Qui de vous, je vous prie, lorsqu'il est dans sa maison, prend entre ses mains le livre chrétien, en examine les paroles, les lit et les médite avec soin? Personne; mais chez plusieurs, nous trouverons des osselets et des dés; des livres chez personne ou chez un bien petit nombre. Encore ceux-ci n'en font-ils pas plus d'usage que ceux qui n'en ont point : ils les gardent précieusement dans leurs cabinets, bien roulés, ou serrés dans des coffrets, et ne sont curieux que de la finesse du parchemin ou de la beauté du caractère ; car de les lire, c'est de quoi ils ne se mettent nullement en peine. En effet, s'ils achètent des livres, ce n'est pas pour les lire et en profiter, mais pour faire orgueilleusement parade de leurs richesses. Tant est grand le faste que produit la vaine gloire ! Je n'entends pas dire que personne tire vanité de bien comprendre ce que contiennent ses livres, mais plutôt, on se glorifie et on se vante d'avoir des livres écrits en lettres d'or. Et quel avantage, je vous prie, en revient-il ? Les saintes Ecritures ne nous ont pas été données pour que nous les laissions dans les livres, mais afin que, par la lecture et la méditation, nous les gravions dans nos coeurs. Certes, il y a une ostentation juive à garder ainsi les livres, à se contenter d'avoir les préceptes écrits sur beau parchemin ; mais sûrement la loi ne nous a pas ainsi été donnée au commencement : elle a été écrite sur des tablettes de chair qui sont nos coeurs. (II Cor. III, 3.) [254] Au reste, je ne dis pas ceci pour vous détourner d'acheter des livres; au contraire, je vous en loue, et je souhaite que vous en ayez; mais je voudrais que vous en eussiez assez présents dans votre esprit , et le texte et le sens, pour en être purifiés. Car si le diable n'est pas assez hardi pour entrer dans une maison où l'on garde le livre des saints évangiles , le démon ou le péché oseront beaucoup moins approcher d'une âme instruite et remplie de ces divins oracles.

Sanctifiez donc votre âme, sanctifiez votre corps :ayez les paroles de l'Ecriture continuellement à la bouche et dans le coeur. Si les paroles déshonnêtes souillent et appellent les démons, certes, il est visible que la lecture spirituelle sanctifie et attire la grâce spirituelle. Les Ecritures sont comme des enchantements divins : chantons-les donc en nous-mêmes, et appliquons ces remèdes aux maladies de notre âme. Si nous. comprenions bien ce qu'on nous lit, nous l'écouterions avec beaucoup de soin et d'attention. Toujours je vous le dis et je ne cesserai point de vous le dire. N'est-il pas honteux que; pendant qu'on voit sur la place publique des gens rapporter avec une étonnante mémoire les noms des cochers (1) et des danseurs, leur extraction, leur patrie, leurs talents et même les bonnes et les mauvaises qualités des chevaux ; ceux qui s'assemblent dans ce temple ne sachent rien de ce qui s'y dit et de ce qui s'y fait, et ignorent même le nombre des livres de la sainte Ecriture? Si c'est le plaisir que vous y trouvez qui vous engage à apprendre les choses que j'ai dites, je vous ferai voir qu'on en goûte ici un plus grand. Car lequel, je vous prie, est le plus réjouissant, lequel est le plus admirable, ou de voir un homme lutter contre un homme, ou de voir un homme combattre contre le diable, et un corps disputer la victoire à une puissance incorporelle, et la remporter? Contemplons ces sortes de combats, ces combats, dis-je, qu'il est beau et utile d'imiter, et dont l'imitation nous procure une couronne; mais fuyons ces combats qui rendent infâmes ceux qui s'y exercent; vous la verrez, cette lutte contre les démons : vous la verrez avec les anges et le Seigneur des anges, si vous daignez y porter vos regards.

Dites-moi, mon cher auditeur, si les rois et les princes vous faisaient asseoir auprès d'eux pour vous faire mieux jouir du spectacle, ne regarderiez-vous pas cela comme un très-grand honneur? Ici donc, où l'on voit, avec le Roi des anges, le diable lié et garrotté, se débattre et s'efforcer vainement de rompre ses liens, pourquoi n'accourez-vous pas à ce spectacle? " Vous vaincrez, vous lierez le diable ", si vous avez entre vos mains le livre dé l'Ecriture. Palestres, courses, côtés faibles de l'ennemi, artifices du juste, ce livre vous enseignera tout cela. Si vous savez contempler ces spectacles, vous apprendrez vous-mêmes l'art de combattre, et vous vaincrez, et vous terrasserez les démons. Au reste, ces autres spectacles que vous fréquentez, sont des fêtes et des assemblées de démons, et non des théâtres à l'usage des hommes. S'il n'est pas permis d'entrer dans le temple des idoles, il l'est encore moins d'assister aux assemblées de Satan. Voilà ce que je ne cesserai point de redire, au risque de vous importuner, jusqu'à ce que je voie du changement en vous. Car " il ne m'est pas pénible ", dit l'Apôtre, " et il et vous est avantageux que je vous prêche les mêmes choses ". (Phil. III, 1.) Ne trouvez donc pas mauvais que je vous aie fait cette réprimande; et certes, si quelqu'un devrait s'en chagriner et se fâcher, ce serait bien plutôt moi, qui ne suis point écouté, que vous qui m'entendez toujours et ne faites rien de ce que je dis; mais à Dieu ne plaise que je sois toujours obligé de vous faire des reproches ! Fasse le ciel que, vous étant délivrés de ce vice honteux, vous noyiez jugés clignes d'assister au spectacle céleste, et de jouir de la gloire future que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ , avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

1. COCHERS. Noua avons déjà observé ailleurs que ces cochers dont parle quelquefois saint Chrysostome sont eaux qui servaient aux jeux publics, et qui menaient leurs chariots avec beaucoup d'adresse et de rapidité, etc.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XXXIII.
JÉSUS LUI DIT : FEMME, CROYEZ-MOI, LE TEMPS EST VENU QUE VOUS N'ADOREREZ PLUS LE PÈRE, NI SUR CETTE MONTAGNE, NI DANS JÉRUSALEM. — VOUS ADOREZ CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ POINT : POUR NOUS, NOUS ADORONS CE QUE NOUS CONNAISSONS : CAR LE SALUT VIENT DES JUIFS. (VERS. 21, 22, JUSQU'AU VERS. 27.)
ANALYSE.

255

1. L'homme a toujours besoin de foi. — La foi est comme le vaisseau. qui nous porte sur la mer de ce monde.

2. De la véritable adoration. — Humilité, abaissement de Jésus-Christ de ne pas dédaigner de s'entretenir avec une simple femme. — Respect et vénération de ses disciples. — Rien n'est égal à être aimé de Jésus-Christ. — Ce qui a attiré à saint Jean le grand amour du Sauveur : son humilité et sa grande douceur. — Saint Pierre Coryphée, ou chef et prince des apôtres. — L'humilité est le fondement de la vertu. — Vanité des richesses. — Le saint Docteur recommande l’aumône.

1. Partout, mes chers frères, partout la foi nous est nécessaire, cette foi qui est la source de toutes sortes de biens, qui opère le salut (1), sans laquelle nous ne pouvons comprendre les dogmes ni les grandes vérités de notre religion : sans la foi nous sommes semblables à des gens qui tâchent de passer la mer sans navire; ils nagent un peu de temps avec leurs mains et leurs pieds, mais aussitôt qu'ils se sont avancés, les flots les submergent : de même ceux qui se livrent à leurs. propres raisonnements, font naufrage avant d'avoir rien appris, comme le dit saint Paul : " Ils ont fait naufrage en la foi ". (I Tim. I, 19.) Pour nous, de peur qu'un pareil malheur ne nous arrive, attachons-nous fortement à cette ancre sacrée dont aujourd'hui Jésus-Christ se sert pour attirer à lui la Samaritaine. Elle disait : " Comment, vous autres, dites-vous que c'est dans Jérusalem qu'est le lieu qu'il faut adorer? " Et Jésus-Christ répondit . " Femme, croyez-moi, le temps est venu que vous n'adorerez plus le Père, ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem ". Il lui révéla une très-grande vérité, qu'il n'a point découverte ni à Nicodème, ni à Nathanaël. La Samaritaine soutient que son culte vaut mieux que celui des Juifs, et s'efforce de le confirmer par

1. " Qui opère le salut ". Litt. La médecine du salut.

l'autorité des anciens. Jésus-Christ ne répondit rien à cela. En effet, il eût été inutile alors de faire voir pourquoi les anciens avaient adoré sur la montagne, pourquoi les Juifs adoraient dans Jérusalem. C'est pour cette raison qu'il passe ce point sous silence , et laissant de côté les titres qui pouvaient être produits des deux parts, il élève son âme, montrant que ni les Juifs, ni les Samaritains n'ont rien de grand à donner à l'avenir; et alors il marque la différence qu'il y a entre les deux cultes : d'ailleurs il déclare que les Juifs sont au-dessus des Samaritains, non qu'il préfère un des lieux à l'autre; mais il leur accorde la primauté, pour une seule raison, qui est la suivante : Il ne s'agit pas maintenant, dit-il, de disputer sur la prééminence du lieu : quant à la manière de rendre le culte, certainement les Juifs sont préférables aux Samaritains : Car " vous adorez ce que vous ne connaissez point : pour nous, nous adorons ce que nous connaissons ".

Comment donc les Samaritains ne connaissaient-ils point ce qu'ils adoraient? c'est qu'ils croyaient à un Dieu local et partiel. Telle est donc l'idée qu'ils avaient de Dieu, tel est le culte qu'ils lui rendaient; c'est dans cet esprit qu'ils déclarèrent aux Perses, que le Dieu de ce lieu était en colère contre eux, ne donnant [256] rien de plus à Dieu qu'à une idole. C'est pourquoi ils adoraient également et Dieu et les démons, confondant ainsi ce qui ne peut s'allier ensemble. Mais les Juifs, exempts de cette superstitieuse opinion, éloignés de cette erreur, regardaient celui qu'ils adoraient comme le Dieu de tout l'univers, quoique tous n'eussent pas la même foi et la même créance. Voilà pourquoi Jésus dit : " Vous adorez ce que vous ne connaissez point pour nous, nous adorons ce que nous connaissons ". Au reste, ne vous étonnez pas qu'il s'associe aux Juifs : il parle selon l'opinion de cette femme, et comme prophète des Juifs. C'est pour cela qu'il se sert de cette expression : " Nous adorons ". Car que Jésus-Christ soit adoré, c'est ce que personne n'ignore. En effet, il est de la créature d'adorer, mais il n'appartient qu'au Seigneur des créatures d'être adoré. Néanmoins il parle ici comme juif. Ce mot donc : " Nous ", veut dire : nous Juifs.

Jésus-Christ relevant ainsi le culte des Juifs, se rend digne de foi; et en écartant tout ce qui peut paraître suspect, en ôtant tout soupçon, en montrant qu'il ne donne pas la préférence aux Juifs par faveur, à cause de l'alliance qu'il a avec eux, il persuade ce qu'il dit. En effet, le jugement qu'il porte sur le lieu, dont les Juifs se glorifiaient le plus, comme d'un avantage incomparable; cette prééminence qu'il leur ôte; tout cela, dis-je, fait bien voir qu'il n'avait point d'égard aux personnes, mais qu'il jugeait suivant la vérité et par cette vertu prophétique qui était en lui. Après donc qu'il a tiré la Samaritaine de son, erreur et de sa fausse créance, en lui disant : " Femme, croyez-moi ", et le reste, il ajoute : " Car le salut vient des Juifs ", c'est-à-dire, ou parce que c'est de là que sont venus tant de biens au monde (car c'est de là que sont sorties la connaissance de Dieu, la réprobation des idoles, et aussi toutes les autres vérités : votre culte même, quoiqu'il ne soit pas pur, vous le tenez des Juifs) : ou bien c'est son avènement que Jésus-Christ appelle le salut; mais plutôt l'on ne se tromperait point, en voyant dans l'une et l'autre chose ce salut que Jésus-Christ dit venir des Juifs. Saint Paul l'insinue même par ces paroles : " Desquels est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est Dieu au" dessus de tout ". (Rom. IX, 5.) Ne remarquez-vous pas l'éloge que fait Jésus-Christ de l'Ancien Testament, et comment il déclare : qu'il est la racine et la source de tous biens, et qu'il n'est nullement contraire à la loi? puisqu'il publie que la source de tous les biens sort des Juifs. " Mais le temps vient, et il est déjà venu, que les vrais adorateurs adoreront le Père (23) ". Femme, dit-il, dans la manière d'adorer, nous sommes préférables à vous, mais désormais ce culte va finir; il y aura un changement, non-seulement de lieu, mais encore dans la manière de rendre le culte. Et en voici le commencement : Car " le temps vient, et il est déjà venu ".

2. Or comme les prophètes ont annoncé les choses futures longtemps avant qu'elles dussent arriver, ici Jésus-Christ prend la précaution de dire : " Le temps est déjà venu". Ne croyez pas, dit-il, que cette prédiction ne doive s'accomplir qu'après une longue suite d'années : son accomplissement est présent, le salut est à la porte, et " déjà le temps est venu, que les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ". Quand il a dit : " Les vrais ", dès lors il a également exclu et les Juifs et les Samaritains : quoique ceux-là valussent mieux que ceux-ci, ils sont pourtant très-inférieurs aux adorateurs qui leur devaient succéder; ils le sont autant que la figure est au-dessous de la vérité. Par ce nom de " vrais adorateurs ", Jésus-Christ entend l'Eglise, qui est elle-même une vraie adoration, et un culte digne de Dieu. " Car ce sont là les adorateurs que le Père cherche ". (Jean, IV, 23.) Si donc ce sont là les adorateurs que le Père cherchait, ce n'est point par sa propre volonté qu'autrefois les Juifs l'ont adoré de la manière qu'ils faisaient, mais c'est par condescendance qu'il l'a permis, afin de former et d'introduire dans la suite les vrais adorateurs. Qui sont-ils donc, les vrais adorateurs? Ce sont ceux qui n'enferment point le culte dans un lieu, et qui adorent Dieu en esprit, comme dit saint Paul Dieu " que je sers par le culte intérieur de mon esprit dans l'Evangile de son Fils " (Rom. I, 9) ; et encore : " Je vous conjure de lui offrir vos corps ", comme " une hostie vivante et agréable à ses yeux ", pour lui rendre " un culte raisonnable et spirituel ". (Rom. XII, 1.)

Quand Jésus-Christ dit: " Dieu est esprit (24)", il ne veut marquer autre chose, sinon qu'il est incorporel ; il faut donc que le culte que nous rendons à un Dieu incorporel soit incorporel lui-même, et que nous lui offrions nos [257] adorations par ce qu'il y a dans nous d'incorporel, je veux dire par l'âme et par l'esprit pur. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit: " Et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité ". Comme les Samaritains et les Juifs négligeaient leur âme, et avaient au contraire un grand soin de leur corps, qu'ils purifiaient soigneusement en toutes manières, il leur apprend que ce n'est point par la pureté du corps qu'il faut honorer l'incorporel, mais par ce qu'il y a d'incorporel en nous , c'est-à-dire par l'esprit. N'offrez donc pas à Dieu des brebis et des veaux , mais offrez-vous vous-mêmes à lui en holocauste : c'est là lui offrir une hostie vivante. Il faut adorer en vérité.

Dans l'ancienne loi, toutes choses étaient des figures, savoir, la circoncision, les holocaustes, les sacrifices, l'encens. Dans la nouvelle, il n'en est pas de même : tout est vérité. En effet, ce n'est point la chair qu'on doit circoncire, mais les mauvaises pensées: il faut se crucifier soi-même, et retrancher, immoler les désirs honteux de la concupiscence. Voilà ce qui parut obscur à la Samaritaine : son esprit n'ayant pu atteindre à la sublimité de ces paroles, elle hésite, elle doute, elle dit: " Je sais que le Messie, c'est-à-dire, le CHRIST, doit venir (25) ". Jésus lui dit: " C'est moi-même qui vous parle (26) ". Comment les Samaritains pouvaient-ils attendre le CHRIST, eux qui ne recevaient que Moïse ? Grâce aux livres mêmes de Moïse. Au commencement de ses livres, Moïse annonce et fait connaître le Fils. En effet, cette parole : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance " (Gen. I, 26), s'adresse au Fils; c'est le Fils qui parle à Abraham dans sa tente (Gen. XVIII) : Jacob l'annonce prophétiquement en ces termes : " Le sceptre ne sera point ôté de Juda; ni le Prince qui est de sa race, jusqu'à la venue a de celui à qui il est réservé (1), et il est l'attente des nations ". (Gen. XL. 9, 10.) Moïse aussi lui-même le prédit: " Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un Prophète comme moi, d'entre vos frères: c'est lui que vous écouterez ". (Deut. XVIII, 15.) Et encore ce qui est écrit du serpent, de la verge de Moïse, d'Isaac, du bélier, et plusieurs autres choses qu'on peut voir et recueillir dans l'Ancien Testament, prédisaient toutes l'avènement du CHRIST.

Et pourquoi , direz-vous , Jésus-Christ ne

1. C’est-à-dire : " De celui à qui le sceptre est réservé ", c'est la leçon des Septante, et celle de notre texte.

s'est-il pas servi de ces figures et de ces preuves pour persuader cette femme? Il a cité le serpent à Nicodème, à Nathanaël il a rapporté les prophéties, et à .celle-ci il n'a fait aucune mention de toutes ces choses ? Pourquoi cela , et quelle en est la raison? C'est que ceux-là étaient des hommes versés dans les saintes Ecritures, et que celle-ci n'était .qu'une pauvre femme, simple et grossière, sans connaissance de ces Livres saints. Voilà pourquoi, dans l'entretien que Jésus a avec elle , il n'emploie pas ces figures, mais par l'eau, et par la prophétie, il l'attire à lui : c'est par là qu'il rappelle dans sa mémoire le CHRIST, et enfin il se fait connaître. Que si tout d'abord il eût discouru de ces choses avec cette femme, qui ne l'interrogeait pas, elle l'aurait pris pour un homme insensé, qui parlait sans savoir ce qu'il disait mais, en réveillant peu à peu ses souvenirs, il trouve l'occasion de se découvrir à elle fort à propos. Les Juifs s'étaient souvent assemblés autour de lui , pour lui dire: " Jusqu'à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspens ? Si vous êtes le CHRIST, dites-le-nous " (Jean, X, 24); sans qu'il leur répondît clairement: mais à cette femme il déclare ouvertement qu'il est le CHRIST, parce qu'elle était dans de meilleures dispositions que les Juifs: les Juifs ne l'interrogeaient pas pour s'instruire , mais toujours ils l'épiaient malignement pour le surprendre. S'ils eussent voulu s'instruire, ils en trouvaient assez le moyen dans sa doctrine, dans ses paroles, ses miracles , et les Ecritures. La Samaritaine, au contraire, parlait avec simplicité et sincérité; comme le fait voir la conduite qu'elle tint ensuite. Car elle écouta, elle crut, elle engagea les autres à croire, et en tout on voit son attention, sa fidélité et sa foi. " En même temps a ses disciples arrivèrent (27) ". Ils arrivèrent à propos, dans lé temps qu'il fallait, lorsque Jésus-Christ l'avait parfaitement instruite. " Et, ils s'étonnaient de ce qu'il parlait avec une femme. Néanmoins nul ne lui dit: Que lui demandez-vous, ou, d'où vient que vous parlez avec elle?

3. De quoi les disciples s'étonnaient-ils? qu'admiraient-ils? Un accès si facile, tant d'humilité dans une si grande et si illustre personne; qu'il ne dédaignât point de parler à une pauvre femme; qu'il se rabaissât jusqu'à s'entretenir avec une samaritaine. Néanmoins, dans leur étonnement, ils ne demandèrent point à Jésus pourquoi il s'arrêtait à parler [258] avec cette femme: tant ils savaient bien garder le rang de disciples; tant était grande et profonde la vénération qu'ils avaient pour leur Maître ! S'ils n'avaient pas encore de lui l'opinion qu'ils devaient avoir, ils le regardaient pourtant, et ils l'honoraient comme un homme admirable. Souvent néanmoins ils ont paru plus hardis. nomme lorsque Jean se reposa sur son sein (Jean, XIII, 23) ; lorsqu'ils s'approchèrent de lui et lui dirent: " Qui est le plus grand dans le royaume des cieux? " (Matth. XXVIII, 1); lorsque les enfants de Zébédée demandent d'être assis dans son royaume, l'un à sa droite et l'autre à sa gauche (Matth. XX, 21). Pourquoi donc ici les disciples ne demandent-ils point à Jésus la raison de cet entretien? Parce que, quand il s'agissait de leur propre intérêt, alors ils étaient dans la nécessité de demander; mais ici rien ne les regardait. Au reste, ce n'est que longtemps après que Jean se reposa sur le sein de Jésus; c'est lorsque , s'appuyant sur l'amour que Jésus lui portait, cet amour même lui inspira plus de hardiesse et de confiance. Car, parlant de soi, il dit: " C'était là le disciple que Jésus aimait ". (Jean, XIX, 26.) Est-il rien d'égal à ce bonheur?

Mais n'en demeurons point là, mes chers frères, ne nous contentons pas d'exalter cet apôtre et de le nommer bienheureux: faisons nous-mêmes tous nos efforts pour atteindre à la félicité (les bienheureux; imitons l'évangéliste et cherchons à connaître ce qui lui a attiré ce grand amour de Jésus-Christ. Quelle en est la cause? Il a quitté son père, et sa barque, et ses filets, et il a suivi Jésus-Christ: mais cela lui était commun avec son frère, et aussi avec Pierre, et avec André, et avec les autres apôtres. Qu'y a-t-il donc eu en lui de si grand, de si excellent pour lui mériter un si grand amour? Saint Jean n'a rien dit de soi , sinon qu'il était aimé; la raison de cet amour, il l'a cachée par modestie. Qu'il fût extrêmement aimé de Jésus-Christ, cela était visible pour tout le monde : cependant nous ne voyons pas qu'il eût des entretiens avec lui, ni qu'il l'interrogeât en particulier, comme souvent le firent Pierre et Philippe, et Judas, et Thomas (Jean , XIII , 24) ; si ce n'est une seule fois, et encore par amitié pour un de ses confrères dans l'apostolat, qui l'en avait prié. Le CORYPHÉE des apôtres lui ayant fait signe d'adresser une question, il le fit. car ils avaient une vive affection fun pour l'autre. Ainsi l'on rapporte d'eux qu'ils étaient montés ensemble au Temple, qu'ils avaient prêché ensemble (Act. III, 1). D'ailleurs Pierre montre souvent plus d'ardeur e de feu que les autres, et enfin c'est à lui que Jésus-Christ dit: " Pierre, m'aimez-vous plus que ne font ceux-ci? " (Jean, XXI, 15.) Or, celui qui aimait plus que les autres, était sûrement aimé. Mais à l'égard de l'un on voyait éclater son amour pour Jésus, à l'égard de l'autre , c'était l'amour de Jésus qui paraissait visiblement. Qu'est-ce donc qui a fait aimer Jean d'un amour singulier? Pour moi, il me semble que c'est son humilité et sa grande douceur: c'est pourquoi on remarque souvent une certaine crainte dans sa conduite.

Moïse nous l'apprend , combien est grande cette vertu de l'humilité: car c'est elle qui l'a rendu si grand. Rien, en effet, ne lui est comparable : voilà pourquoi c'est par elle que Jésus-Christ commence les béatitudes (Matth. V, 3); voulant jeter le fondement d'un grand édifice, il a placé l’humilité la première. En effet, sans elle personne ne peut obtenir la grâce du salut: qu'on jeûne, qu'on prie, qu'on donne l'aumône , si c'est par vanité et par ostentation, tout est abominable; comme au cou. traire avec elle tout est agréable, tout est doux et aimable, tout est paix et sûreté. Conduisons-nous donc humblement, mes chers frères, conduisons-nous humblement: certes il nous sera aisé et facile de pratiquer cette vertu, si nous veillons sur nous-mêmes. O homme, qu'avez-vous enfin qui puisse vous enorgueillir? Ignorez-vous la bassesse de votre nature? Ne savez. vous pas que votre volonté est portée au mal? Pensez à la mort, pensez à la multitude de vos péchés.

Peut-être vos belles actions vous inspirent de hauts sentiments et vous enflent le coeur? mais cela même vous en fera perdre tout le fruit. Voilà pourquoi ce n'est point tant le pécheur, que l'homme de bien et de vertu, qui doit s'attacher à l'humilité. Pour quelle raison? Parce que celui-là, sa conscience l'y force; mais celui-ci, s'il rie veille extrêmement, bientôt un vent impétueux l'emporte, et toute sa vertu s'évanouit, comme celle du pharisien dont parle l'évangéliste (Luc, XVIII, 10). Vous faites l'aumône aux pauvres ? ruais ce n'est point de votre bien ; c'est de celui qui appartient au Seigneur : c'est de ce qui vous est commun avec vos compagnons. Voilà justement pourquoi vous devez être et plus humbles et [259] plus modestes; prévoyant par les calamités de vos frères celles qui pendent sur vos têtes , et retrouvant en eux votre propre nature.

Peut-être ne sommes- nous pas sortis de parents si misérables? Je le veux; mais si les richesses sont entrées dans nos maisons, sans doute elles nous quitteront bientôt. Et encore, ces richesses, que sont-elles? Une vaine ombre, une fumée qui s'exhale, la fleur de l'herbe, ou plutôt elles sont plus viles que la fleur de l'herbe. Pourquoi donc vous glorifier d'un peu d'herbe? Les richesses ne viennent-elles pas, et aux voleurs, et aux impudiques, et aux femmes prostituées, et aux profanateurs des sépulcres? Est-ce donc d'avoir de tels compagnons de richesses que vous vous glorifiez? Vous êtes avides d'honneur? Mais rien n'est plus propre à vous attirer de grands honneurs que l'aumône. Ceux que procurent les richesses et les dignités sont accompagnés de haine; mais les honneurs que produit l'aumône sont libres et volontaires; ils partent du coeur et de la conscience de ceux qui les rendent, qui ne peuvent nous les ravir. Que si les hommes ont tant de vénération et de respect pour ceux qui font l'aumône, et s'ils leur souhaitent toutes sortes de biens et de prospérités, songez à la rétribution, à la récompense que le Dieu des miséricordes leur octroiera. Travaillons donc à les acquérir, ces richesses qui demeurent toujours et que jamais on ne peut perdre, afin que, et en cette vie et en l'autre, nous soyons grands et illustres, et que nous jouissions un jour des biens éternels, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

HOMÉLIE XXXIV.
CETTE FEMME CEPENDANT LAISSANT LA SA CRUCHE, S'EN RETOURNA A LA VILLE, ET COMMENÇA A DIRE: A TOUT LE MONDE : — VENEZ VOIR UN HOMME QUI M'A DIT TOUT. CE QUE J'AI JAMAIS FAIT : NE SERAIT-CE POINT LE CHRIST? (VERS. 28, 29, JUSQU'AU VERS. 39.)
ANALYSE.

1. Suite de l'histoire de la Samaritaine : humilité de cette femme.

2. Pour quelle raison Jésus-Christ, ainsi que les prophètes, exprime souvent sa pensée par des comparaisons, des métaphores, des allégories. — Les prophètes ont semé, les apôtres ont moissonné.

3. Suivre l'exemple de la samaritaine; confesser soi-même ses péchés pour en faire pénitence. — On craint les hommes, on ne craint pas Dieu : on craint d'être déshonoré devant les hommes, et on ne craint pas de l'être devant Dieu. — On cache ses péchés aux hommes, et on ne s'efforce pas de les effacer devant Dieu par la pénitence. — Vraie pénitence, en quoi elle consiste. — Retourner au péché, c'est être semblable au chien qui retourne à ce qu'il a vomi. — Excellents moyens pour se corriger de ses vices : examiner ses péchés chacun en particulier, n'en passer aucun. — Saint Chrysostome a cru que la fin du monde était proche. — Le Seigneur arrivera subitement : se tenir toujours prêt à son avènement.

1. Il nous faut beaucoup de ferveur, il faut qu'un grand zèle nous anime, sans quoi nous ne pourrons acquérir les biens que Jésus-Christ nous a promis. Et certes, il le déclare lui-même, tantôt en disant : " Si quelqu'un ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas, il n'est pas digne de moi ". (Matth. X, 38.) Et tantôt : " Je suis venu pour mettre le feu sur la terre, et que désiré-je, sinon qu'il s'allume ? " (Luc, XII, 49.) Par ces paroles , Jésus-Christ nous apprend que son disciple doit être fervent, tout de feu et [260] toujours prêt à s'exposer à toutes sortes de périls. Telle était la Samaritaine : son coeur était si brûlant de la parole de Jésus-Christ qu'elle venait d'entendre, que laissant là sa cruche et l'eau pour laquelle elle est allée à ce puits, elle court à la ville inviter tout le peuple à venir voir Jésus. " Venez ", dit-elle, venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai jamais fait ". Remarquez son zèle, remarquez sa prudence: elle était venue puiser de l'eau, et ayant trouvé la véritable source, elle quitte, elle méprise la fontaine terrestre, pour nous apprendre, quoique par un exemple bien humble, que si nous voulons soigneusement nous appliquer à l'étude de la céleste doctrine , nous devons mépriser toutes les choses du siècle et n'en faire aucun cas. Ce qu'ont fait les apôtres, cette femme l'a fait aussi, et même avec plus d'ardeur dans la proportion de son pouvoir. Ceux-là étant appelés, ont abandonné leurs filets, mais celle-ci, volontairement, et sans que personne le lui commande, laisse sa cruche et fait l'office d'évangéliste; sa joie lui prête des ailes, et elle n'amène pas à Jésus-Christ une ou deux personnes, comme André et Philippe, mais elle met toute la ville en mouvement et lui attire tout le peuple.

Observez avec quelle prudence elle parle. Elle n'a point dit : venez voir le Christ; mais avec ces mêmes ménagements par lesquels Jésus-Christ avait gagné son coeur, elle attire, elle engage les autres. " Venez", dit-elle, " venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai jamais fait " ; elle n'eut point de honte de dire: " Il m'a dit tout ce que j'ai jamais fait ", quoiqu'elle eût pu dire : venez voir le Prophète. Mais quand une âme est embrasée du feu divin, rien de terrestre ne la touche plus, elle est insensible à la bonne et à la mauvaise réputation, elle va où l'emporte l'ardeur de sa flamme. " Ne serait-ce point le Christ? " Remarquez encore la grande sagesse de cette femme : elle n'assure rien, mais elle ne garde pas non plus le silence. Car elle ne voulait pas les attirer à son opinion par son propre témoignage, mais elle voulait qu'ils vinssent entendre Jésus-Christ, afin qu'ils partageassent tous son sentiment, jugeant bien que, par là, ce qu'elle avait dit acquerrait et plus dé force, et plus de vraisemblance. Toutefois Jésus-Christ ne lui avait pas découvert toute sa vie, mais ce qu'elle en venait d'entendre lui fit juger qu'il avait aussi la connaissance de tout le reste. Elle n'a point dit: venez, croyez; mais, " venez, voyez " ; ce qui, certainement, était moins fort et plus propre à les attirer. L'avez-vous bien remarquée, la sagesse de cette femme? Elle savait, oui, elle savait à n'en point douter, qu'aussitôt qu'ils auraient goûté de cette eau, il leur arriverait ce qui lui était arrivé à elle-même. Au reste, une personne d'un esprit plus grossier aurait parlé du reproche qu'on lui avait fait dans des termes plus enveloppés; mais cette femme déclare ouvertement sa vie, et en fait une confession publique pour attirer et gagner tout le monde à Jésus-Christ.

" Cependant ses disciples le priaient de prendre quelque chose, en lui disant: Maître, mangez (31) ". Ces mots: " ils le priaient", signifient dans leur langage : " Ils l'exhortaient ". Voyant qu'il était accablé de chaud et de lassitude, ils l'exhortaient : ce n'était point une liberté trop familière qui les portait à le presser de prendre quelque chose, mais l'amour qu'ils avaient pour leur. Maître. Que leur répondit donc Jésus-Christ? " J'ai une viande à manger que vous ne connaissez pas (32). Ils se disaient donc l'un à l'autre : " Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger? (33) " Pourquoi donc vous étonnez. vous qu'une femme, entendant nommer l'eau, ait cru qu'il s'agissait d'eau naturelle, lorsque les disciples eux-mêmes n'ont pas d'autres sentiments et ne s'élèvent à rien de spirituel; ils doutent, tout en montrant, selon leur coutume, la vénération,et le profond respect qu'ils ont pour leur Maître, et discourent ensemble sans oser l'interroger. Ils font de même dans une autre occasion, où, souhaitant de lui demander la raison d'une chose, ils s'en abstiennent pourtant. Que dit encore Jésus-Christ? " Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, et d'accomplir son oeuvre, (34) ". Ici Jésus-Christ appelle sa nourriture le salut des hommes, en quoi il nous montre le soin extrême qu'il a de nous, et la grandeur de sa divine Providence. Car cet ardent désir que nous avons des, choses nécessaires à la vie, Dieu l'éprouve à l'égard de notre salut.

Mais faites attention à ceci : d'abord, Jésus-Christ ne découvre pas tout, mais premièrement il met l'auditeur en suspens, il le jette dans le doute, afin qu'après avoir commencé [261] à chercher le sens de ce qu'il a entendu, tourmenté par l'incertitude, il reçoive ensuite avec plus d'empressement et de joie l'explication qu'il cherchait, et redouble d'empressement à écouter. Pourquoi donc le Sauveur n'a-t-il pas d'abord dit : Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père? quoique cela ne fût pas tout à fait clair, ce l'était pourtant plus que ce qu'il avait déjà dit; mais que dit-il ? " J'ai une viande à manger que vous ne connaissez pas ". Premièrement donc, comme j'ai dit, par le doute même où il les met, il les rend plus attentifs, et il les accoutume à comprendre ce qu'il dit énigmatiquement et par figures. Au resté, Jésus-Christ déclare dans la suite quelle est la volonté de son Père.

2. " Ne dites-vous pas vous-mêmes que dans "quatre mors la moisson viendra? mais moi je vous dis: Levez vos yeux et considérez les campagnes qui sont déjà blanches et prêtes à moissonner (35) ". Voilà encore que Jésus-Christ, par des paroles simples, par une comparaison familière, élève l'esprit de ses disciples à la contemplation des choses les plus grandes et les plus sublimes : sous le nom de viande, il n'a voulu leur faire connaître autre chose, sinon que le salut futur et prochain des hommes ! Par ceux de champ et de moisson il exprime encore la même chose, c'est-à-dire cette multitude d'âmes qui était prête à recevoir la prédication. Par les yeux, il entend ici et ceux de l'âme et ceux du corps. Ils voyaient effectivement alors les Samaritains accourir en foule vers lui; leur volonté ainsi disposée et soumise, c'est ce qu'il appelle les campagnes blanches. Comme les épis, lorsqu'ils sont blancs, sont tout prêts à moissonner, ainsi ceux-ci sont tout préparés et disposés pour le salut. Mais pourquoi Jésus-Christ n'a-t-il pas dit clairement : Les Samaritains viennent pour croire en moi; déjà instruits par les prophètes, ils sont disposés et tout prêts à recevoir la parole et à porter du fruit? et pourquoi les a-t-il désignés sous les noms de campagne et de moisson? ces figures, que signifient-elles? En effet, ce n'est pas ici seulement, mais c'est encore dans tout l'Evangile qu'il en use de la sorte : les prophètes font de même, et prédisent bien des choses sous l'enveloppe des métaphores et des figures. Quelle en est donc la raison? l'Esprit-Saint n'a pas vainement établi cette coutume. Mais enfin pourquoi? Pour deux raisons : la première,

pour donner au discours plus de force et d'énergie, pour l'animer et le rendre plus sensible, car l'objet que représente une image naturelle excite et réveille davantage, et l'esprit qui le voit comme peint sur un tableau en est plus vivement frappé : voilà la première raison. La seconde, afin que la narration soit plus agréable et que le souvenir s'en conserve plus longtemps. En effet, rien ne se fait mieux écouter de la plupart des auditeurs, rien aussi ne les persuade davantage, qu'un discours qui nous présente les choses mêmes dont nous avons l'expérience. Cette parabole en fournit un exemple admirable.

" Et celui qui moissonne reçoit la récompense, et amasse les fruits pour la vie éternelle (36) ". Les fruits qu'on recueille de la moisson des biens de la terre ne servent point pour la vie éternelle, mais pour cette vie présente et passagère ; au contraire, ceux qui proviennent de la moisson spirituelle, sont réservés pour la vie immortelle. Voyez-vous comment, si la lettre est grossière, le sens est spirituel, et comment les paroles elles-mêmes distinguent et séparent les choses terrestres des choses du ciel? Comme, à l'égard de l'eau, Jésus-Christ en a marqué la qualité propre par ces paroles : " Celui qui boira de cette eau n'aura jamais soif "; de même ici, à l'égard de la moisson, il déclare que le moissonneur récolte pour la vie éternelle : " Afin que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble ".

Qui est-ce qui sème?qui est-ce qui moissonne? les prophètes ont semé, mais ce sont les apôtres qui ont moissonné (Jean, IV, 28). Ceux-là néanmoins n'ont pas été privés de la joie, ni de la récompense de leurs travaux, et quoiqu'ils ne moissonnent pas avec nous, ils partagent notre allégresse : car le travail de la moisson n'est pas le même que celui des semailles : là donc où il y a moins de travail, il y a aussi plus de joie : je vous ai réservés pour moissonner et non pour semer, en quoi il y a beaucoup à travailler. En effet, dans la moisson le profit est considérable et le travail n'est pas si grand, il est au contraire aisé et facile'. Au reste, par ces paroles, Jésus-Christ veut dire : la volonté des prophètes mêmes est que tous les hommes viennent à moi, la loi a proposé la voie; ils ont semé pour produire ce fruit : le Sauveur montre aussi que c'est lui qui les a

1. En effet, il est toujours plus doux de recueillir que de semer.

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envoyés, et qu'il y a beaucoup d'affinité entre l'ancienne et la nouvelle loi; et tout cela il le fait par cette parabole. Il cite encore ce proverbe qui était dans la bouche de tout le monde : " Car ", dit-il, " ce que l'on dit d'ordinaire est vrai en cette rencontre : que l'un sème et l'autre moissonne (37) ". En effet, plusieurs disaient : Quoi ! les uns ont eu toute la peine, et les autres ont recueilli tout le fruit? Et Jésus-Christ dit que cette parole trouve ici sa juste application : les prophètes ont travaillé, et vous, vous recueillez le fruit de leurs travaux. Il n'a point dit la récompense, car ils n'ont pas accompli gratuitement un si grand travail; il dit seulement: le fruit.

Daniel s'est vu dans le même cas; il cite ce proverbe : " C'est aux méchants à faire le mal (1). David aussi, en répandant des larmes, rappelle le même proverbe (2). (I Rois, XXIV, 14.) Jésus-Christ avait déjà dit auparavant: " Ainsi que celui qui sème soit dans la joie, aussi bien que celui qui moissonne ". Comme il devait dire que l'un sèmerait et l'autre moissonnerait, afin qu'on ne crût pas, comme j'ai dit, que les prophètes seraient privés de leur récompense, il ajoute quelque thèse de tout nouveau et à quoi on ne pouvait pas s'attendre, quelque chose qui n'arrive point dans les choses sensibles, irais qui distingue les choses spirituelles. Car s'il arrive dans les choses sensibles que l'un sème et que l'autre moissonne, le semeur et le moissonneur ne sont pas ensemble dans la joie; mais l'un est dans la tristesse d'avoir travaillé pour l'autre, et celui-ci est seul dans la joie. Or, ici il n'en est pas de même: ceux qui ne moissonnent pas ce qu'ils ont semé sont dans la joie comme ceux qui moissonnent; d'où il est visible qu'ils participent tous à la récompense. " Je vous ai envoyé moissonner ce qui n'est pas venu par votre travail : d'autres ont .travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux (38) ". Par ces paroles Jésus-Christ les excite et les encourage davantage. S'il paraissait dur et pénible de parcourir toute la terre et de prêcher, il fait voir au contraire que cela leur serait facile. En effet, ce qui était laborieux et causait de grandes sueurs , c'était d'ensemencer et d'amener à la connaissance de Dieu une âme qui n'en avait nulle idée.

1. Ou : " Le mal est venu des méchants ".

2. En disant: " Les impies agiront avec impiété ". Dan. XII, 10.

Mais à quelle fin Jésus-Christ dit-il ceci? Afin que, quand il les enverrait prêcher, ils ne se troublassent et ne se décourageassent point, comme s'ils étaient envoyés à une oeuvre laborieuse et bien difficile. La fonction des prophètes était effectivement pénible, leur dit-il; et les faits confirment ce que je dis, que votre tâche, à vous, est facile. Ainsi que dans la moisson il est facile d'amasser des fruits, et qu'en peu de temps on remplit l'aire de gerbes, sans attendre la saison, ni l'hiver, ni le printemps, ni les pluies; c'est la même chose ici: les faits l'attestent assez haut. Pendant que Jésus-Christ discourait ainsi avec ses disciples, les Samaritains sortirent de leur ville et arrivèrent; et le fruit fut amassé sur-le-champ, Voilà pourquoi il disait: " Levez vos yeux et considérez les campagnes qui sont déjà blanches ". Le Sauveur dit ces choses, et l'effet suit aussitôt, la parole. " Il y eut beaucoup de Samaritains de cette ville-là qui crurent en lui sur le rapport de cette femme, qui les assurait qu'il lui avait dit tout ce qu'elle avait jamais fait (39) ". Car ils voyaient bien que ce n'était ni par faveur, ni par complaisance, qu'elle avait loué Jésus, puisqu'il l'avait reprise de ses péchés et qu'elle n'aurait pas découvert ainsi à tout le monde la honte de sa vie pour faire plaisir à quelqu'un.

3. Suivons donc l'exemple de la Samaritaine, et que la crainte des hommes ne nous empêche pas de confesser publiquement nos péchés; mais craignons Dieu comme il est juste de le craindre : Dieu qui à présent voit nos oeuvres, Dieu qui punira un jour ceux qui maintenant ne font pas pénitence. Mais, hélas ! nous faisons tout le contraire: nous ne craignons pas celui qui nous doit juger ; et ceux dont nous n'avons rien à craindre, qui ne nous peuvent faire, aucun mal, nous les redoutons, nous ne craignons rien tant que d'être flétris par eux. Voilà pourquoi nous serons punis en cela même en quoi nous craignons de l'être (1) : car celui qui ne prend garde qu'à n'être point déshonora devant les hommes, et qui ne rougit point de commettre le mal devant Dieu, s'il ne fait pénitence, sera diffamé au jour du jugement, non devant une ou deux personnes, mais aux yeux de tout le monde entier. En effet, que là il se doive trouver une grande assemblée, pour voir

1. Je rirai à mon tour à votre mort, dit le Seigneur, et je me raillerai lorsque ce que vous craignez sera arrivé, lorsque le malheur un. prévu tombera sur vous, etc. Prov. I, 16.

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vos bonnes et vos mauvaises oeuvres, c'est ce que vous apprend la parabole des brebis et des boucs. (Matth. XXV, 34.) Saint Paul vous en avertit aussi : " Car nous devons tous ", dit-il, " comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ; afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était revêtu de son corps ". (II Cor. V, 40.) Et encore : " Il découvrira les plus secrètes pensées du " cœur ". (I Cor. IV, 5.)

Vous avez commis un péché, ou vous avez eu la pensée de le commettre, cela, à l'insu des hommes? mais ce ne sera point à l'insu de Dieu : et cependant vous n'en êtes nullement en peine, et vous ne craignez que les yeux des hommes. Pensez donc que, dans ce jour, il ne vous sera pas possible de vous cacher aux hommes, et qu'alors tout sera exposé à nos yeux comme dans un tableau, afin que chacun prononce la sentence contre soi-même. C'est là de quoi. l'exemple du riche ne nous permet pas de douter. Il vit debout devant ses yeux le pauvre qu'il avait méprisé, je veux dire Lazare, et celui qu'il avait rejeté avec horreur: maintenant il le prie de soulager sa soif d'une goutte d'eau sur le bout de son doigt. (Luc, XVI, 49.) Je vous en conjure donc, mes frères, encore que personne ne voie ce que nous faisons, que chacun de vous entre dans sa conscience, qu'il prenne la raison pour juge, et qu'à ce tribunal il fasse comparaître ses péchés. Et s'il ne veut pas qu'ils soient divulgués au jour terrible du jugement, qu'il y applique les remèdes de la pénitence et qu'il guérisse ses plaies. Car chacun peut, quoique chargé de mille plaies, chacun peut s'en aller guéri. " Si vous pardonnez ", dit Jésus-Christ, " vos fautes vous seront pardonnées; mais si vous ne pardonnez point, elles ne vous seront point pardonnées ". (Matth. VI, 14, 15.) En effet, comme les péchés noyés dans le baptême ne reparaissent plus, ainsi les autres seront effacés, si nous faisons pénitence.

Or, la pénitence consiste à ne plus commettre les mêmes péchés. " Car celui qui y retourne est semblable à un chien qui retourne à ce qu'il avait vomi " (II Pierre, 11, 21, 22), et à celui aussi qui, comme dit le proverbe, bat le feu (1), et qui tire de l'eau dans un

1. Qui bat le feu a. Ou qui remué, qui agite, qui souffle le leu celui qui retombe dans les mêmes péchés, lui est semblable.; parce qu'au lieu d'éteindre sa passion et sa concupiscence, il l'allume, de même que celui qui bat, ou souffle le feu, le ranime et l'enflamme davantage, bien loin de l'éteindre. Vid. Adag. Erasm.

vase percé (1). Il faut donc s'abstenir du vice, et de fait et de coeur, et appliquer à chaque péché le remède qui lui est contraire. Par exemple : avez-vous ravi le bien d'autrui ? avez-vous été avare? abstenez-vous de voler, et appliquez à votre plaie le remède de l'aumône. Vous avez commis le péché de fornication? cessez de le commettre et appliquez à cette plaie la chasteté. Vous avez terni la réputation de votre frère par votre langue ? cessez de médire et appliquez le remède de la charité. Faisons ainsi la revue de chacun de nos péchés en particulier, et n'en passons aucun; car le temps de rendre compte est proche, certainement il est proche : c'est pourquoi saint Paul disait. " Le Seigneur est proche: Ne vous inquiétez de rien ". (Phil. IV, 5, 6.) Mais à nous, au contraire, peut-être faut-il nous dire : le Seigneur est proche, soyez dans l'inquiétude. Ces fidèles avaient de la joie d'entendre ces paroles: " Ne vous inquiétez de rien ", eux qui passaient leur vie dans les calamités, dans les travaux, dans les combats. Mais à ceux qui, vivant dans les rapines et dans les voluptés, ont un terrible compte à rendre, ce n'est point cela qu'il leur faut dire, mais: le Seigneur est proche, inquiétez-vous!

Et certes la consommation du siècle n'est point éloignée, déjà le monde se hâte vers sa fin. Les guerres, la misère, les tremblements de terre, le refroidissement de la charité, la prédisent et l'annoncent. Comme le corps qui expire et qui est près de mourir est accablé de mille douleurs; comme aussi d'une maison qui va s'écrouler se détachent du toit et des murailles bien des morceaux qui tombent à terre, de même la fin du monde est proche, et voilà pourquoi toutes sortes de maux l'attaquent de toutes parts. Si alors le Seigneur était proche, il l'est bien plus à présent; si plus de quatre cents ans se sont écoutés depuis que saint Paul à dit : le Seigneur est proche ; s'il appelait son époque l'accomplissement des temps, à plus forte raison, du temps présent, doit-on dire qu'il est la fin du monde. Mais peut-être c'est pour cela que quelques-uns ne le croient pas. Eh ! n'est-ce pas, au contraire, une nouvelle raison de le croire? D'où le savez

1. On sait que tirer de l'eau dans un vaisseau percé, ou dans un crible, c'est perdre son temps et sa peine ; c'est ne rien faire. Il en est de menue de celui qui retombe toujours dans les mêmes péchés qu'il a pleurés, et dont il a fait pénitence, etc.

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vous, ô homme, que la fin n'est pas proche, que cette prédiction de saint Paul est encore loin de son accomplissement? Comme ce n'est pas le dernier jour que nous disons être la fin de l'année, mais aussi le dernier mois, quoiqu'il soit de trente jours; de même, quand il s'agit d'un si grand nombre d'années , un espace de quatre cents années peut être appelé la fin. Quoi qu'il en soit, dès lors l'apôtre a prédit la fin du monde.

Modérons-nous donc , changeons de vie , complaisons-nous dans la crainte de Dieu. Car dans le temps même où nous aurons le plus de confiance, lorsque nous y penserons le moins et que nous ne nous y attendrons pas, c'est alors que tout à coup le Seigneur arrivera. Voilà de quoi Jésus-Christ nous avertit, en disant : " Il arrivera , à la consommation de ce siècle, ce qui arriva au temps de Noé et au temps de Loth ". (Matth. XXIV, 37.) Saint Paul nous le prédit de même: " Lorsqu'ils diront " : Nous voici en " paix " et en " sûreté, ils se trouveront surpris tout d'un coup d'une ruine imprévue , comme l'est une femme grosse des douleurs de l'enfantement ". (I Thess. V, 3.) Qu'est-ce que cela veut dire, des douleurs d'une femme grosse? Souvent les femmes grosses, au moment où elles jouent, dînent, sont au bain, se promènent sur la place publique, né pensent à rien moins qu'à ce qui va leur arriver, se trouvent subitement attaquées des douleurs de l'enfantement : puis donc que nous sommes également menacés d'être surpris, tenons-nous toujours prêts. On ne nous dira pas toujours ces choses, nous n'aurons pas toujours la même faculté, "Qui est celui ", dit l'Ecriture, " qui vous louera dans l'enfer? " (Ps. VI, 5.) Faisons donc pénitence en ce monde, afin que Dieu ait, pitié de nous au jour futur, et que nous obtenions le pardon entier de nos péchés. Je le demande pour nous tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire et l'empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

HOMÉLIE XXXV.
LES SAMARITAINS ÉTANT DONC VENUS LE TROUVER , LE PRIÈRENT DE DEMEURER CHEZ EUX, ET IL Y DEMEURA DEUX JOURS. — ET IL Y EN EUT BEAUCOUP, PLUS QUI CRURENT EN LUI , POUR L'AVOIR ENTENDU PARLER. — DE SORTE QU'ILS DISAIENT A CETTE FEMME : CE N'EST PLUS SUR CE QUE VOUS NOUS EN AVEZ DIT QUE NOUS CROYONS EN LUI, CAR NOUS L'AVONS OUÏ NOUS-MÊMES, ET NOUS SAVONS QU'IL EST VRAIMENT LE CHRIST, SAUVEUR DU MONDE. — DEUX JOURS APRÈS IL SORTIT DE CE LIEU, ET S'EN ALLA EN GALILÉE. (VERS. 40, 41, 42, 43, JUSQU'AU VERS. 53.)
ANALYSE.

1. Plus docile à la grâce que les Juifs, les Samaritains confessent, après avoir seulement vu et entendu Jésus-Christ, qu'il est le sauveur du monde.

2. Guérison du lits d'un officier de la cour d'Hérode.

3. Ne point demander à Dieu des miracles, ou des gages de sa puissance. — Louer et aimer Dieu dans l'une et l'autre fortune : dans la joie et dans les afflictions ; dans la santé et dans la maladie : et souffrir tout pour son amour.

1. Il n'est rien de pire que l'envie et la jalousie. Rien n'est plus dangereux que la vaine gloire : elle corrompt le plus souvent tout le bien que l'on fait. Les Juifs en sont un exemple. Avec de plus grandes connaissances que les Samaritains, grâce aux prophètes qui les [265] avaient élevés, ils leur furent néanmoins inférieurs. Les Samaritains crurent au témoignage d'une femme, et sans avoir vu de miracles ils sortirent de leur ville pour venir, prier Jésus-Christ de demeurer chez eux; ruais les Juifs, même après avoir vu des prodiges et des miracles, bien loin de l'engager à demeurer avec eux, le chassèrent et n'omirent rien pour l'éloigner tout à fait de leur pays; eux, pour qui il. était venu, ils le repoussèrent, tandis que d'autres le sollicitaient de demeurer chez eux. Jésus-Christ ne devait-il donc pas aller chez ceux qui l'en priaient, et se donner à ceux qui brûlaient de le posséder? Devait-il s'obstiner à ce point à rester parmi des ennemis, parmi des traîtres? cela n'aurait pas été digne de sa providence. Voilà pourquoi il se rendit à la prière des Samaritains et demeura deux jours chez eux. lis auraient bien voulu 1e retenir et le garder dans leur ville ; l'évangéliste l'insinue par ces paroles : " Ils le prièrent de demeurer chez eux" ; mais il ne le voulut pas, il y demeura seulement deux jours, et dans ce peu de temps un grand nombre crurent en lui ; cependant il n'y avait point d'apparence qu'ils crussent en lui, soit parce qu'ils n'avaient vu aucun miracle, soit à cause de la haine qu'ils portaient aux Juifs. Mais néanmoins, jugeant avec impartialité ses paroles, ils conçurent de si grands sentiments de lui, que tous ces obstacles ne purent les étouffer, et ils l'admirèrent à l'envi : " De sorte qu'ils disaient à cette femme : Ce n'est plus sur ce que vous nous avez dit que nous croyons en lui, car nous l'avons ouï nous-mêmes et nous savons qu'il est vraiment le Christ, sauveur du monde ". Les disciples surpassèrent leur maîtresse; ils auraient pu, avec justice, accuser les Juifs, eux qui avaient cru en Jésus-Christ et qui l'avaient reçu. Ceux-là pour qui il avait entrepris l'oeuvre du salut lui jetèrent souvent des pierres, mais ceux-ci, lorsqu'il n'allait point chez eux, l'engagèrent à y venir; ceux-là, après avoir vu des miracles, persistent dans leur obstination et dans leur incrédulité; mais ceux-ci, sans en avoir vu, font paraître une grande foi , et même ils se glorifient d'avoir cru en Jésus sans le secours des miracles; mais ceux-là ne cessent point de le tenter et de lui demander des miracles. Ainsi, toujours il est nécessaire qu'une âme soit bien disposée; la vérité venant alors à se présenter, entrera facilement en elle et s'en rendra la maîtresse. Que si elle ne se rend pas la maîtresse, cela ne vient point de la faiblesse de la vérité, mais de l'endurcissement de l'âme. En effet, le soleil éclaire facilement les yeux qui sont purs et nets, mais s'il ne les éclaire pas, c'est la maladie des yeux, ce n'est point la faiblesse du soleil qui en est cause.

Ecoutez donc ce que disent les Samaritains "Nous savons qu'il est vraiment le CHRIST, Sauveur du monde ". Remarquez-vous en combien peu de temps ils ont connu qu'il attirerait à soi tout le monde, qu'il était venu pour opérer le salut de tous les hommes, que sa providence ne devait point se renfermer et se borner aux Juifs seulement, et que sa parole se ferait entendre et se répandrait partout? Mais les Juifs , bien différents d'eux, " s'efforçant d'établir leur propre justice, ne se sont point soumis à Dieu, pour recevoir cette justice qui vient de lui ". (Rom. X, 3.) Les Samaritains, au contraire, confessent que tous les hommes sont coupables, et publient hautement cet oracle de l'Apôtre: " Tous ont péché et ont " besoin de la gloire de Dieu , étant justifiés " gratuitement par sa grâce ". (Rom. III , 23, 24.) Car en disant qu'il est le Sauveur du monde, ils font voir que le monde était perdu; ils montrent en même temps la puissance d'un tel Sauveur. Plusieurs sont venus pour sauver les hommes, des prophètes, des anges: mais celui-ci est le vrai Sauveur, qui donne le salut véritablement et réellement, et non pas seulement pour un temps limité. Voilà un témoignage évident de la sincérité et de la pureté de leur foi.

En effet, les Samaritains sont doublement admirables: ils le sont et pour avoir cru, et pour avoir cru sans voir de miracles; aussi ce sont eux que Jésus-Christ déclare heureux, eu disant: " Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru " (Jean, XX, 29) : ils sont encore admirables pour avoir cru sincèrement, puisqu'ayant ouï une femme dire, avec quelque sorte de doute: " Ne serait-ce point le CHRIST? Ils ne dirent pas : Nous doutons aussi, nous en jugeons de même; mais: " Nous savons ", non-seulement cela, mais encore " qu'il est vraiment le Sauveur du monde ". Ils ne le regardaient plus comme un homme ordinaire, mais ils le reconnaissaient pour le vrai Sauveur. Cependant, qui avaient-ils vu qu'il eût sauvé? ils n'avaient entendu que des paroles, et toutefois ils parlent, comme ils auraient pu le [266] faire, s'ils avaient vu beaucoup de miracles et des plus grands. Et pourquoi les évangélistes ne rapportent-ils pas ce que Jésus-Christ a dit, et ne font-ils pas mention de ces discours admirables ? C'est afin que vous sachiez que, parmi les grandes choses qu'il a dites et qu'il a faites, ils en passent beaucoup sous silence; mais néanmoins, en rapportant l'issue, ils indiquent suffisamment tout le reste. En effet, Jésus-Christ a converti par sa parole tout le peuple et toute la ville. C'est quand les auditeurs n'ont été ni dociles, ni soumis, qu'ils sont dans la nécessité de rapporter ce qu'a dit Jésus-Christ, de peur qu'on ne rejette sur le prédicateur ce qui n'est imputable qu'à l'aveuglement des auditeurs. " Deux jours après, il sortit de ce lieu, et s'en alla en Galilée. Car Jésus témoigna lui-même qu'un prophète n'est point honoré dans son pays (44) ". Pourquoi l'évangéliste ajoute-t-il cela? Parce qu'il ne fut pas à Capharnaüm , mais en Galilée , et de là à Cana. Et afin que vous ne demandiez pas pourquoi il ne demeura pas chez les siens, mais chez les Samaritains, il vous en donne la raison, en disant que c'est parce qu'ils ne l'écoutaient point: il n'y alla donc pas, pour ne les pas rendre plus coupables, et dignes d'un jugement plus rigoureux.

2. Au reste, par sa patrie, je crois que l'évangéliste entend ici Capharnaüm: Jésus-Christ nous apprend lui-même qu'il n'y a point été honoré ; écoutez ce qu'il dit: " Et toi, Capharnaüm , qui as été élevée jusqu'au ciel , tu seras précipitée jusque dans le fond des enfers ". (Luc, X, 15.) Il l'appelle sa patrie dans le langage de l'incarnation, comme y résidant habituellement. Quoi donc ! direz-vous, ne voyons-nous pas bien des personnes fort estimées et honorées de leurs compatriotes? D'abord , de ces exceptions, il n'y a rien à conclure. De plus, si quelques-uns se sont fait une réputation dans leur patrie, ils en avaient une bien plus grande au dehors : l'habitude de vivre ensemble engendre souvent le mépris.

" Etant donc revenu en Galilée, les Galiléens le reçurent " avec joie , " ayant vu tout ce qu'il avait fait à Jérusalem au jour de la fête, à laquelle ils avaient été aussi (45) ". Ne remarquez-vous pas que ceux dont on parlait mal sont ceux-là mêmes qui accoururent à lui plus promptement? Qu'on en parlât mal, ce que rapporte l'évangéliste ne nous permet pas d'en douter: " Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth? " (Jean, I, 46.) Et d'autres: " Lisez avec soin les Ecritures , et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée ". (Jean , VII , 52.) Les Juifs tenaient ce langage pour insulter Jésus-Christ, car plusieurs le croyaient de Nazareth. Ils lui faisaient encore ce reproche, comme s'il eût été samaritain: " Vous êtes un samaritain, et vous êtes possédé du démon " (Jean, VIII, 48) : Mais voilà, dit l'Ecriture, que les Samaritains et les Galiléens croient, pour la honte des Juifs: et même les Samaritains se montrent meilleurs que les Galiléens. En effet, ils ont reçu Jésus-Christ sur le seul témoignage d'une femme, mais les Galiléens n'ont cru en lui qu'après avoir vu les miracles qu'il avait faits.

" Jésus vient donc de nouveau à Cana en Galilée, où il avait changé l'eau en vin (46) ". L'évangéliste rapporte ici le miracle à la louange des Samaritains. Les Galiléens crurent en Jésus-Christ, mais après avoir vu les miracles qu'il avait opérés et à Jérusalem et chez eux ; les Samaritains , au contraire, le reçurent pour sa doctrine seulement. Saint Jean rapporte que Jésus vint en Galilée pour mortifier la jalousie des Juifs; mais pourquoi alla-t-il à Cana? Il y fut la première fois parce qu'il était invité aux noces; mais, maintenant pourquoi y va-t-il? Pour moi, il me semble véritablement qu'il y fut pour confirmer, par sa présence , la foi au miracle qu'il y avait opéré, et aussi pour s'attacher plus sûrement ces hommes, en allant chez eux de son propre mouvement, sans qu'ils l'en eussent prié, et en quittant même sa patrie pour leur donner la préférence sur les siens.

" Or, il y avait un seigneur de la cour dont le fils était malade à Capharnaüm, lequel ayant appris que Jésus venait de Judée, en Galilée, l'alla trouver, et le pria de vouloir venir chez lui, pour guérir son fils (47) " ainsi qualifié seigneur de la cour (1), ou comme étant de la race royale, ou comme exerçant quelque dignité. Quelques-uns croient que c'est le même que celui dont parle saint Matthieu, mais on prouve visiblement que c'est un autre, et par sa dignité et par sa foi ; celui-là, quoique Jésus-Christ voulût bien aller chez

1. " Seigneur de la cour ". C'est ce que signifie le mot Basilikos dans le grec, et celui de Regulus dans la Vulgate , qui a la même signification que Regius, ou, comme l'explique saint Jérôme, Palatinus. i. e. un officier de la cour du prince, ou d'Hérode, que les Galiléens appelaient roi, quoique les Romains ne lui donnassent que le nom de Tétrarque.

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lui, le prie de ne pas se donner cette peine; celui-ci, au contraire, le presse de venir dans sa

maison, quoiqu'il ne s'y offre pas; l'un dit " Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison " (Matth. VIII, 8), l'autre fait de grandes instances : " Venez , " dit-il , " avant que mon fils meure (29) ". Celui-là, descendant de la montagne , vint à Capharnaüm; celui-ci fut au-devant de lui, de Samarie, comme il allait non à Capharnaüm, mais à Cana. Le serviteur de celui-là était attaqué d'une paralysie , le fils de celui-ci d'une fièvre. " Et il le pria de vouloir venir chez lui pour guérir son fils qui allait mourir:". Que lui répondit Jésus-Christ? " Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point (48) ". Toutefois, que cet officier vînt le trouver et le priât, c'était une marque de sa foi, de quoi l'évangéliste lui, rend témoignage , en rapportant ensuite que Jésus lui ayant dit : " Allez, votre fils se porte bien, il crut a la parole que Jésus lui avait dite, et s'en alla (50) ".

Que prétend donc ici l'évangéliste ? ou nous faire admirer avec lui les Samaritains pour avoir cru sans voir de miracles, ou pour censurer en passant la ville de Capharnaüm, qu'on regardait comme la patrie de Jésus. Car un autre qui dit, dans saint Luc (1) : " Seigneur, je crois, aidez-moi dans mon incrédulité " (Marc, IX, 23), s'est servi des mêmes paroles. Au reste, cet officier a cru, mais sa foi n'était point pleine et entière; il le fait voir en s'enquérant de l'heure où la fièvre avait quitté son fils. Car il voulait savoir si la fièvre l'avait quitté d'elle-même, ou si c'était par le commandement de Jésus-Christ. " Et comme il reconnut que c'était la veille à la septième heure " du jour, " il crut en lui, et toute sa famille (53) ". Ne voyez-vous pas qu'il crut, non sur ce qu'avait dit Jésus-Christ, mais sur le témoignage de ses serviteurs? Aussi le Sauveur lui fait un reproche sur l'esprit dans lequel il était venu le trouver, et par là il l'excitait davantage à croire en lui. En effet, avant le miracle, il ne croyait qu'imparfaitement. Que si cet officier est venu trouver Jésus et le prier, il n'est rien en cela de merveilleux; les pères, dans leur tendresse pour leurs enfants, s'ils en ont un de malade, courent précipitamment aux médecins, et non-seulement à ceux en qui ils ont une entière confiance, mais aussi à

1. C'est par erreur que Chrysostome cite saint Luc.

ceux mêmes sur qui ils ne comptent pas entièrement, tant ils craignent de rien négliger. Et toutefois, celui-ci n'est venu trouver Jésus que par occasion, lorsqu'il allait en Galilée; s'il eût pleinement cru en lui, son fils étant à la dernière extrémité et prêt à mourir, il n'aurait pas manqué de l'aller chercher jusque dans la Judée. Que s'il craignait, c'est aussi en quoi on ne peut l'excuser.

Remarquez, je vous prie, mes frères, que ses paroles mêmes montrent sa faiblesse et son peu de foi. Car il est constant qu'il aurait dû avoir une plus grande opinion de Jésus-Christ, sinon avant, du moins après qu'il eut fait connaître les bas sentiments qu'il avait de lui, et qu'il en eut été repris. Cependant écoutez-le parler, vous verrez combien il rampe encore à terre : " Venez, " dit-il, " venez avant que mon, fils meure (49); " comme si Jésus-Christ n'aurait pas pu ressusciter son fils s'il était mort, comme s'il ne savait pas l'état où il était. Voilà pourquoi il le reprend et parle à sa conscience un langage sévère, lui faisant connaître que les miracles se font principalement pour le salut de l'âme. Ainsi il guérit également et le père qui est malade d'esprit, et le fils qui est malade de corps, pour nous apprendre qu'il ne faut pas tant s'attacher à lui à cause des miracles, que pour la doctrine. Le Seigneur opère les miracles, non pour les fidèles, mais pour les infidèles et les hommes les plus grossiers.

3. Dans sa tristesse et dans sa douleur, cet officier ne faisait pas beaucoup d'attention aux paroles de Jésus-Christ, il n'écoutait guère que celles qui tendaient à la guérison de son fils; mais dans la suite il devait se les rappeler et en faire un grand profit: c'est ce qui arriva. Mais pourquoi Jésus-Christ, sans en être prié, offre-t-il d'aller chez le centenier, et ne fait-il pas la même offre à celui qui le presse et le sollicite vivement? C'est que la foi du centurion étant parfaite, voilà pourquoi Jésus-Christ offre d'aller chez lui, afin de nous faire connaître la vertu de cet homme; mais l'officier n'avait encore qu'une foi imparfaite. Comme donc il le pressait instamment en lui disant : " Venez, " faisant voir par là qu'il ne savait point encore que Jésus pouvait guérir son fils, quoique absent et éloigné, Jésus lui montre qu'il le peut, afin que la connaissance qu'avait le centurion par lui-même, cet officier l'acquît, voyant que Jésus avait guéri [268] son fils sans aller chez lui. Ainsi quand il dit: " Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point ", c'est comme s'il disait: Vous n'avez point encore une foi digne de moi, et vous me regardez encore comme un prophète. Jésus-Christ donc, pour manifester ce qu'il est et montrer qu'il faut croire en lui, même indépendamment des miracles, s'est servi des mêmes paroles par lesquelles il. s'est fait connaître à Philippe

" Ne croyez-vous pas que je suis dans mon a Père et que mon Père est en moi ? (Jean, XIV, 10.) Quand vous ne me voudriez pas croire, croyez à mes œuvres ". (Jean, X, 38.)

" Et comme il était en chemin, ses serviteurs vinrent au-devant de lui, et lui dirent: a Votre fils se porte bien (51).

" Et s'étant enquis de l'heure qu'il s'était a trouvé mieux, ils lui répondirent : Hier, environ la septième heure " du jour " la fièvre le quitta (52).

" Son père reconnut que c'était à cette heure-là que Jésus lui avait dit : Votre fils se porte bien ; et il crut, lui et toute sa famille (53) ".

Ne le remarquez-vous pas, mes très-chers frères, que le bruit de ce miracle se répandit aussitôt? En effet, cet enfant ne fut pas délivré d'une manière ordinaire du péril où il était, mais sa guérison eut lieu sur-le-champ; d'où il est visible qu'elle n'était point naturelle, et que c'est Jésus-Christ qui l'avait opérée par sa vertu et par sa puissance. Déjà il était arrivé aux portes de la mort, comme le déclarent ces paroles du père : " Venez avant que mon fils meure " , lorsque tout à coup il en fut arraché; voilà aussi ce qui étonna les serviteurs. Peut-être même accoururent-ils non-seulement pour apporter cette bonne nouvelle, mais encore parce qu'ils regardaient comme inutile que Jésus-Christ vînt : ils savaient effectivement que leur maître devait être arrivé; voilà pourquoi ils furent à sa rencontre par le même chemin. Au reste, cet officier cessant de craindre, ouvre son coeur à la foi, pour montrer que c'est son voyage qui lui a procuré le miracle de la guérison de son fils ; il déploie toute sa diligence de peur qu'on ne croie qu'il l'ait fait inutilement; et c'est aussi pour cela qu'il s'informe exactement de tout : " Et il crut, lui et toute sa famille ". Ce témoignage était exempt de tout doute et de tout soupçon. En effet, ses serviteurs, qui n'avaient point été présents au miracle, qui n'avaient point entendu Jésus-Christ, ni su l'heure, ayant appris de leur maître que c'était à cette même heure que lui avait été accordée la guérison de son fils, eurent une preuve très-certaine et très-évidente de la puissance de Jésus-Christ, et voilà pourquoi ils crurent aussi eux-mêmes.

Quel enseignement, mes frères, tirerons-nous de là? Que nous, ne devons point attendre des miracles, ni demander au Seigneur des gages de sa divine puissance. Je vois des gens qui font paraître un plus grand amour de Dieu lorsque leurs fils ou leurs femmes ont reçu quelque soulagement dans leur maladie; mais quand bien même nos voeux et nos désirs ne sont point exaucés, il est juste de persévérer toujours dans la prière, de ne pas cesser de chanter des cantiques d'actions de grâces et de louanges. C'est là le devoir des serviteurs fidèles; c'est là ce que doivent au Seigneur ceux qui l'aiment et le chérissent comme il faut; ils doivent, dans la prospérité et dans l'adversité, dans la paix et dans la guerre, toujours également accourir et s'attacher à lui ! Rien, en effet, n'arrive que par l'ordre de sa divine providence : " Car le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de verges tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants ". (Hébr. XII, 6.) Celui qui ne le sert et qui ne l'honore que lorsqu'il vit dans la paix et dans la tranquillité, ne donne pas des marques d'un fort grand amour, et ne montre pas qu'il aime purement et sincèrement Jésus-Christ; mais pourquoi parler de la santé, des richesses, de la pauvreté, de la maladie? Quand même vous seriez menacés du feu, des plus cruels et des plus horribles tourments, vous ne devriez pas pour cela cesser un instant de chanter les louanges du Seigneur; mais il vous faudrait tout souffrir pour son amour : tel doit être le fidèle serviteur, telle est une âme ferme et constante. Avec ces dispositions, vous supporterez facilement, mes chers frères, les afflictions et les calamités de la vie présente, vous acquerrez les biens futurs, et vous vous présenterez avec beaucoup de confiance devant le trône de Dieu. Veuille le ciel nous la départir à tous, cette confiance, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XXXVI.
CE FUT LA LE SECOND MIRACLE QUE JÉSUS FIT, ÉTANT REVENU DE JUDÉE EN GALILÉE. (VERS. 54, JUSQU'AU VERS. 5 DU CHAP. V.)
ANALYSE.

269

1. La piscine des brebis, figure du baptême.

2. Le paralytique de trente-huit ans, beau modèle de patience. —Persévérer dans la prière: — Qualités de la prière. — Pour. quoi la vie de l'homme, est pénible et laborieuse. — Pourquoi la loi. — Le travail est nécessaire : l'homme ne peut soutenir la, vie oisive. —Pourquoi le plaisir accompagne le vice, et la peine la vertu. — Vrais chastes, qui? - La chasteté, en quoi elle consiste. — Il faut combattre pour remporter la victoire. — Trois genres d'eunuques, Jésus-Christ n'en récompense qu'un. — Artisans du vice, qui? — On ne fait pas le bien sans peine, pourquoi. — Peines mêlées dans la vertu. — On admire plus ceux qui sont bons par leur volonté que ceux qui le sont par tempérament. — Point de travail, point de modération. — Nager dans les délices, rien de plus méprisable. — Agir ou travailler, la différence. — Dieu ne cesse point d'agir. — Le plaisir que procure le vice est court; la joie que donne la vertu est éternelle. — Nulle volupté dans ce monde : la vraie volupté est dans le ciel.

1. Comme tout homme expert dans l'art d'extraire l'or des mines qui le renferment ne néglige pas la moindre veine, sachant bien qu'il en peut tirer de grandes richesses, de même, dans les divines Ecritures, vous ne sauriez, sans grand dommage, passer un seul " iota " ni un seul point; il faut tout observer, tout examiner : car c'est le Saint-Esprit qui en a dicté toutes les paroles, et elles ne contiennent rien d'inutile. Considérez donc ici ce que dit l'évangéliste : " Ce fut là le second miracle que Jésus fit, étant revenu de Judée en Galilée ". Ce mot de " second ", il ne l'a point ajouté sans sujet; mais il le met là pour célébrer encore la conversion que l'admiration avait opérée chez les Samaritains ; faisant voir que lés Galiléens, même après un second miracle, n'ont point atteint à cette sublime élévation, à laquelle sont arrivés les Samaritains, sans avoir vu aucun miracle.

" Après cela, la fête des Juifs étant arrivée, " Jésus s'en alla à Jérusalem (Chap. V, 1.) ".

" Après cela, c'était la fête des Juifs ". Quelle fête? La Pentecôte, comme il me semble. Et "Jésus s'en alla à Jérusalem ". Souvent Jésus-Christ allaita Jérusalem passer les jours de grandes solennités, et afin que les Juifs l'y vissent célébrer leurs fêtes avec eux, et pour attirer à lui le petit peuple qui est simple. Car à ces fêtes accouraient principalement ceux qui sont les plus simples de coeur et d'esprit.

" Or il y avait à Jérusalem la piscine des brebis, qui s'appelle en hébreu Bethsaïda, qui a cinq galeries (2), dans lesquelles étaient couchés un grand nombre de malades, d'aveugles, de boiteux et de ceux qui avaient les membres desséchés, qui tous attendaient que l'eau fût remuée (3) ".

Quelle était cette manière de guérir les malades? Quel mystère nous propose-t-on? Ce n'est pas sans sujet que ces choses sont écrites. Dans cette figure, dans cette image, l'Ecriture peint en quelque sorte et expose à nos yeux ce qui doit arriver, afin que nous y soyons préparés, et que quand il arrivera quelque chose d'étonnant, à quoi l'on ne s'attendait point, la foi de ceux qui le verront n'en soit nullement ébranlée, mais demeure ferme. Qu'est-ce donc qu'elle nous présente, que nous prédit-elle? Le baptême que nous devions recevoir, ce baptême plein de vertu, qui devait apporter et répandre une abondance de grâces, qui devait laver tous les péchés, et rendre la vie aux morts. Ces grands prodiges sont donc peints et représentés comme sur un tableau, et dans la piscine, et dans plusieurs autres figures. [270] Dieu donna d'abord une eau propre à laver les taches et les souillures, non les véritables, mais seulement celles qu'on regardait comme véritables , à savoir , les souillures qu'on contractait par les funérailles, par la lèpre et autres semblables, qu'on peut voir dans l'ancienne loi, et qui étaient purifiées par l'eau.

Mais reprenons notre sujet. Premièrement donc, comme nous l'avons dit, l'eau lavait les taches du corps, et en second lieu, elle guérissait plusieurs maladies différentes. Dieu, pour nous approcher de la grâce du baptême et nous la faire voir de plus près, a voulu que la piscine ne lavât pas seulement alors les taches, mais qu'elle guérît aussi les maladies. En effet, les figures les plus voisines en date de la vérité, ou du temps du baptême, de la passion et des autres mystères , sont plus claires et plus lumineuses que les plus anciennes. Et comme les gardes qui approchent de près la personne du roi, sont plus élevés en dignité que ceux qui en sont plus éloignés, ainsi les figures qui sont venues dans un temps plus proche et plus voisin des choses qu'elles marquaient, sont plus claires et plus brillantes.

" Et l'ange descendant dans cette piscine, en remuait l'eau (4) ", et lui communiquait 1a vertu de guérir les malades; afin que les Juifs apprissent qu'à plus forte raison le Seigneur des anges peut guérir toutes. les maladies de l'âme. Mais comme l'eau de cette piscine n'avait pas en elle-même et par sa nature la vertu de guérir simplement les maladies, car alors elle les aurait toujours et continuellement guéries, mais l'acquérait par l'opération de fange; de même, en nous l'eau n'opère pas simplement et par sa propre vertu, mais après qu'elle a reçu la grâce du Saint-Esprit, elle lave, elle efface alors tous les péchés.

" Autour de cette piscine étaient couchés un grand nombre de malades, d'aveugles, de boiteux et de ceux qui avaient les membres " desséchés, qui tous attendaient que l'eau fût remuée (3) ". Alors la maladie était elle-même un obstacle à la guérison du malade, elle empêchait,de se guérir celui qui le voulait mais maintenant chacun a le pouvoir d'approcher et de venir à la piscine. Ce n'est point un ange qui en remue l'eau; c'est le Seigneur des anges qui opère tout. qui fait tout. Et nous ne pouvons pas dire : " Pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi (7) ". Quand même tout le monde entier y viendrait, la grâce ne s'épuise. point, ni sa vertu; elle demeure toujours la même. Et:de même que les rayons du soleil éclairent tous les jours le monde sans s'épuiser, et ne perdent rien de leur lumière pour se répandre en plusieurs endroits de la terre; ainsi, à plus forte raison, la grâce du Saint-Esprit ne diminue point par la multitude de ceux qui la reçoivent. Or Dieu a opéré ce prodige afin que ceux qui apprendraient que l'eau a le pouvoir de guérir les maladies du corps, et qui en auraient eux-mêmes fait l'épreuve depuis longtemps, eussent plus de facilité à croire que les maladies de l'âme pouvaient aussi se guérir.

Mais pourquoi donc Jésus-Christ, laissant tous les autres malades, s'approcha-t-il de celui qui l'était depuis trente-huit ans? Pourquoi lui fait-il cette question : " Voulez-vous être guéri (5, 6)? " Ce n'était pas pour l'apprendre qu'il lui fit cette demande, elle aurait été inutile; mais c'était pour faire connaître la persévérance de cet homme, et pour nous montrer que c'était là la raison pour laquelle, préférablement aux autres, il était venu à celui-là. Que dit donc le malade? " Il lui répondit : Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine après que l'eau a été troublée : et pendant le temps que je mets, à y aller, un autre y descend avant moi (7) ". Jésus l'interrogea donc, et lui dit : " Voulez-vous être guéri? " Afin que nous apprissions ces circonstances. Et il ne lui dit pas : Voulez-vous que je vous guérisse ? parce qu'on n'avait pas encore de lui une si grande opinion, mais: " Voulez-vous être guéri ? " Certes, elle est tout à fait admirable la persévérance de ce paralytique : depuis trente-huit ans, espérant chaque année d'être délivré de sa maladie, il demeura dans ce lieu et n'en sortit point. Mais s'il n'eût été très-patient, quand même des années d'attente ne l'auraient point lassé, la perspective d'une attente nouvelle ne l'aurait-elle pas rebuté ? Pensez avec quel soin veillaient les autres malades; car on ne savait pas le temps où l'eau serait troublée. Les boiteux et les estropiés pouvaient observer le moment; quant aux aveugles, ils en étaient peut-être informés par l'agitation générale.

2. Rougissons donc, mes très-chers frères, rougissons et répandons des larmes sur notre prodigieuse lâcheté. Cet homme a persévéré [271] pendant trente-huit ans, sans obtenir la guérison qu'il désirait, il ne l'obtenait point, et toutefois il ne renonçait point, et s'il n'obtenait point cette grâce, ce n'était point faute de soin ou de bonne volonté : mais c'est parce que d'autres l'en empêchaient, et usaient de violence à son égard : cependant il ne s'est point découragé. Nous, au contraire, si nous .persévérons dix jours à prier pour obtenir quelque grâce, et que nous ne l'obtenions pas, nous nous engourdissons, nous nous décourageons aussitôt, nous n'avons plus ni la même ardeur ni le même zèle. Nous qui passons tant d'années à capter la faveur d'un homme, qui ne craignons point, pour cela, d'aller à la guerre exposer notre vie, de passer nos jours dans l'affliction et dans la misère, de nous appliquer à des couvres basses;et serviles, et qui souvent à la fin sommes frustrés de nos belles espérances, nous n'avons ni la force, ni le courage de persévérer auprès de Notre-Seigneur avec tout le zèle et toute l'ardeur que nous devrions avoir; quoique la récompense promise soit beaucoup plus grande que ne le sont les travaux eux-mêmes; car " cette espérance ", dit l'Ecriture, " n'est point trompeuse ". (Rom. V, 5.) Et de quel supplice ne nous rendons-nous pas dignes par une telle conduite? En effet, n'eussions-nous rien à attendre, nulle récompense à recevoir, le bonheur de s'entretenir souvent avec Dieu n'en est-il pas une qui égale, qui surpasse tous les biens imaginables?

Mais, direz-vous, la prière continuelle n'est-elle pas une chose pénible ? Et quoi ! dans l'exercice de la vertu tout n'est-il pas pénible? Que la volupté accompagne le vice, et la peine la vertu, voilà, direz-vous encore, qui m'inspire mille doutes. C'est là de quoi, si je ne me trompe, plusieurs recherchent la cause. Quelle en est donc la cause ? En nous créant , Dieu nous a donné une vie exempte d'inquiétudes et de peines : nous avons abusé de ce don, et nous étant privés d'un si grand bien par notre lâcheté, nous avons perdu le paradis. Voilà pourquoi le Seigneur a rendu la vie de l'homme pénible et laborieuse, et on peut dire qu'il se justifie auprès du genre humain de cette manière : Au commencement je vous ai donné les délices, mais vous êtes devenus plus méchants par la bonté que j'ai eue pour vous ; voilà pourquoi je vous ai condamné à vivre dans le travail et dans les sueurs. (Gen. III, 19.) Et comme ce travail ne vous empêchait pas de faire le mal, il vous a encore donné la loi, qui contient beaucoup de préceptes , comme on met un frein et des entraves à un cheval fougueux et indomptable qu'on ne peut manier ; car c'est ainsi qu'en usent les écuyers pour retenir et dresser les chevaux. Il nous est donc ordonné de mener une vie laborieuse; parce que l'oisiveté a coutume de nous corrompre. En effet, notre nature ne peut soutenir une vie oisive, mais aisément elle tombe de l'inaction dans le vice. Supposons qu'un homme tempérant et vertueux n'ait pas besoin de travailler, et que tout lui arrive en dormant , cette vie aisée, à quoi aboutira-t-elle? ne nous rendra-t-elle pas vains et insolents?

Mais pourquoi, direz-vous, tant de plaisirs accompagnent-ils le vice, tant de peines et de sueurs suivent-elles la vertu ? Et quel mérite auriez-vous, à quelle récompense auriez-vous droit, si la vertu n'était pas pénible et laborieuse? Que de gens je pourrais citer, qui naturellement haïssent les femmes et fuient leur commerce comme quelque chose de détestable ! dites, je vous prie, sont-ce là ceux que nous appellerons chastes, ou à qui nous donnerons des louanges et des couronnes? Non sûrement; car la chasteté est une continence, une victoire sur la volupté, remportée à la suite d'un combat. A la guerre, là où le combat est le plus animé, là sont aussi les plus glorieux trophées ; mais quand personne ne résiste, c'est tout le contraire. Il est bien des hommes qui sont par nature lâches et indolents : dirons-nous que ces sortes de gens sont doux ?.Nullement: c'est pourquoi Jésus-Christ ayant distingué trois sortes d'eunuques, en laisse deux sans couronnes, sans récompenses, et fait entrer l'autre dans son royaume. (Matth. XIX, 12.)

Mais, direz-vous, à quoi le vice est-il bon? Et moi je dis : Qui en est l'artisan? En est-il un autre que la paresse, qui part de la volonté? Mais, direz-vous, il faudrait qu'il n'y eût que des gens de bien. Et qu'est-ce qui lui est propre, à l'homme de bien? N'est-ce pas de veiller constamment sur soi-même, ou est-ce de dormir et de ronfler dans son lit ? Et pourquoi, direz-vous, n'a-t-il pas ainsi été établi dans la nature, que nous fissions tous le bien sans peine et sans travail? paroles vraiment dignes des bêtes et de tous ceux qui font leur Dieu de leur ventre. Mais, afin que vous sachiez [272] que ce sont là les discours des lâches et des paresseux, répondez-moi : Supposons ici un roi et un général d'armée, et que, tandis que le roi est à boire, à s'enivrer, à dormir, le général se soit élevé des trophées par un grand travail, à qui attribuerons-nous la victoire? Qui des deux recevra les éloges de cette belle action, qui en goûtera les fruits? Ne le remarquez-vous pas, que le coeur s'attache davantage à ce qui a coûté plus de sueurs et, de peines? Le Seigneur a mêlé des peines à la vertu, à laquelle il veut accoutumer l'âme. C'est pour cette raison que nous admirons la vertu, encore que nous ne la suivions pas; et le vice, quoique très-doux, nous le condamnons.

Que si vous dites : Pourquoi n'admirons-nous pas plutôt ceux qui sont naturellement bons que ceux qui le sont par leur volonté ? Parce qu'il est juste de préférer celui qui travaille à celui qui ne travaille point. Et pourquoi, dites-vous, travaillons-nous maintenant? C'est que vous n'avez point su résister aux tentations du repos. De plus, si on l'examine de près, on trouvera que la paresse nous perd d'une autre manière, et nous cause bien des peines et du travail. Si vous le voulez, tenons un homme enfermé, nourrissons-le seul, engraissons-le, ne lui permettons pas de se promener, ni de rien faire; mais faisons-le jouir des plaisirs de la table et du lit; faisons-le nager dans,les délices sans interruption : y aurait-il une vie plus misérable? Mais autre chose est d'agir, direz-vous, autre de travailler : et au commencement, sans 'travailler, l'homme pouvait agir. Le pouvait-il? Sûrement, il le pouvait, et Dieu le voulait ainsi. Mais c'est vous qui avez troublé cet ordre, car. Dieu vous avait établi pour cultiver le paradis, il vous avait donné votre tâche; mais saris y mêler le travail. Si au commencement l'homme avait travaillé, Dieu ne lui aurait pas, dans la suite, imposé cette peine : l'homme, de même que les anges, peut en même temps et agir et ne point travailler. En effet,, que les anges agissent, le prophète vous l'apprend, écoutez-le: " Anges du Seigneur, qui êtes puissants et remplis de force, qui faites ce qu'il vous dit " (Ps. CII, 20) : certes, maintenant la diminution des,forces rend l'activité pénible, Mais alors nous étions dans un état bien différent : " Car celui qui est entré dans son repos ", dit l'Écriture, " s'est reposé de ses oeuvres, comme Dieu s'est reposé après ses ouvrages ". (Héb. IV, 4, 10.) Par ce repos, l’Ecriture n'entend pas l'inaction, mais l'absence de travail. En effet, encore maintenant . Dieu agit, comme dit Jésus-Christ: " Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et j'agis aussi incessamment ".

C'est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, chassant toute paresse, suivons, embrassons la vertu. Le plaisir que procure le vice est court, mais la douleur qu'il cause est éternelle : au contraire, la joie que donne la vertu est immortelle, et le travail passager. La vertu, avant de distribuer ses couronnes à son disciple, le soulage et le nourrit par l'espérance : le vice, au contraire, avant même la condamnation au supplice , tourmente son sectateur, bourrelle sa conscience de remords, de craintes, de mille inquiétudes. Or, ces peines ne sont-elles pas pires que tous les travaux et toutes les sueurs ensemble? Et quand même on pourrait s'en délivrer et ne sentir que la volupté seule, est-il rien de plus vil et de plus méprisable que cette volupté? Elle paraît et disparaît aussitôt; elle se flétrit; avant qu'on la tienne, elle s'enfuit : vantez, exaltez tant qu'il vous plaira la volupté du corps, la volupté de la table, la volupté des richesses, chaque jour, à chaque instant elle s'use et se perd. Et comme à toutes ces choses doit s'ajouter le supplice et les tourments, est-il quelqu'un de plus malheureux et de plus misérable que celui qui recherché ces plaisirs? Instruits de ces vérités, souffrons tout pour la vertu; c'est ainsi que nous jouirons de la vraie volupté, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

HOMÉLIE XXXVII.
JÉSUS LUI DIT : VOULEZ-VOUS ÊTRE GUÉRI ? — LE MALADE LUI RÉPONDIT : OUI, SEIGNEUR : MAIS JE N'AI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE APRÈS QUE L'EAU A ÉTÉ TROUBLÉE. (VERS. 6, 7, JUSQU'AU VERS. 13.)
ANALYSE.

273

1. Combien est grand le profit qu'on tire des saintes Ecritures. — Résignation du paralytique de saint Jean, différent de celui de saint Matthieu.

2. Foi du paralytique.

3. Combien est grand le mal que produit le vice : parallèle des hommes furieux et des envieux : leur misérable condition. — Belle peinture de l'envie. — Les envieux sont sans excuse, leur péché est impardonnable.

1. L'utilité qu'on tire des saintes Ecritures est grande, le profit en est impérissable, comme le déclare saint Paul en disant : " Car tout ce qui est écrit a été écrit pour nous servir d'instruction, à nous autres, qui nous trouvons à la fin des temps : afin que nous concevions une espérance ferme par la patience et par la consolation que les Ecritures nous donnent " (Rom. XV, 4; I Cor. X, 11) : ces divins livres sont un trésor de toutes sortes de remèdes. Faut-il réprimer l'orgueil, éteindre la concupiscence, fouler aux pieds les richesses, mépriser la douleur, élever le coeur, lui donner du courage et de la fermeté, fortifier la patience? c'est là que chacun trouve de prompts et de puissants secours. Quel homme, en effet, parmi ceux qui depuis longtemps luttent contre la pauvreté, ou qu'une dangereuse maladie retient dans leur lit, ayant lu ces belles paroles de l'apôtre, ne se sentira pas pénétré d'une vive consolation?

Ce paralytique de trente-huit ans voit chaque année les autres malades recouvrer la santé; il se voit lui-même toujours dans son infirmité, et il ne se laisse point abattre, et il ne se décourage point, encore que le chagrin d'avoir vu faut d'années s'écouler inutilement, et l'attente d'un avenir incertain, où ne se montrait nulle lueur d'espérance, pussent bien le mettre au supplice. Ecoutez donc sa réponse, considérez toute l'horreur de son infortune. Jésus-Christ lui ayant dit : " Voulez-vous être guéri? " il répondit : " Oui, Seigneur; mais je n'ai personne pour me jeter dans la piscine après que l'eau a été agitée ". Quoi de plus triste que ces paroles? Quoi de plus malheureux qu'un tel sort? Voyez-vous ce coeur brisé par une si longue misère? Ne remarquez-vous pas comme il retient et étouffe son chagrin ? De sa bouche il ne sort aucun blasphème, aucun murmure; tels que dans la calamité et dans l'affliction nous entendons souvent plusieurs en prononcer. Il ne maudit point le jour de sa naissance, il ne se fâcha point de la question qui lui était faite, et il ne dit pas : Vous me demandez si je veux être guéri, n'est-ce pas pour m'insulter et vous moquer de moi? mais il répondit avec beaucoup de douceur et de calme : " Oui, Seigneur ". Il ne connaît pas celui qui l'interroge, il ne sait pas que c'est lui qui le doit guérir, et cependant il raconte tout sans aigreur, et il ne demande rien, comme le font ceux qui parlent à leur médecin; mais il expose simplement son état. Peut-être s'attendait-il que Jésus-Christ l'aiderait, et lui prêterait la main pour le jeter dans l'eau, peut-être aussi voulait-il par ces paroles le toucher et l'y engager. Que dit donc le Sauveur? [274] Voulant montrer qu'il pouvait tout faire par sa parole : " Levez-vous ", lui dit-il, " emportez votre lit et marchez (8) ".

Quelques-uns croient que ce paralytique est le même que celui dont parle saint Matthieu mais il n'en est rien, comme le démontrent un grand nombre de preuves. Premièrement celui-ci n'avait personne qui eût soin de lui ; mais celui-là avait bien des, gens qui le soignaient et le portaient. L'autre dit: " Je n'ai personne ". La réponse fait une seconde différence : celui-là ne parle point, celui-ci raconte tout ce qui le regarde. Une troisième preuve se tire du temps: l'un fut guéri un jour de fête, et le jour même du sabbat, l'autre en un autre jour. Il y a aussi une différence, de lieux: celui-là est guéri dans une maison, celui-ci auprès de la piscine. Le mode de guérison est aussi différent: là Jésus-Christ dit : " Vos péchés vous sont remis " (Ibid.), ici il guérit premièrement le corps, et l'âme ensuite: là il donne la rémission, car il dit: " Vos péchés vous sont remis " ; ici il invite, il exhorte à se tenir sur ses gardes pour l'avenir " Ne péchez plus à l'avenir ", dit-il, " de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire ".. (Jean, V, 14.) Les accusations des Juifs ne diffèrent pas moins : ici ils blâment Jésus-Christ d'avoir fait la guérison le jour du sabbat, là ils l'accusent d'avoir blasphémé.

Pour vous, mon cher frère, considérez l'immense sagesse de Dieu. Il ne fit pas sur-le-champ sortir le paralytique,de son lit; mais premièrement, discourant avec lui et l'interrogeant, il gagne son affection et sa confiance, afin d'ouvrir dans son coeur un chemin à la foi. Et non-seulement il le fait lever et le guérit, mais encore il lui commande de porter son lit, afin d'établir la réalité du miracle, et que personne ne pût y soupçonner de prestige ou d'illusion. En effet, si les membres n'avaient pas repris leur, force et leur vigueur, il n'aurait pas pu porter son lit.

Souvent Jésus-Christ en use de la sorte, pour mieux clore la bouche à l'impudence des incrédules. Dans le miracle des pains (Matth. XIV, 1-14) , de peur que quelqu'un ne dît que le peuple avait seulement été rassasié , et que la multiplication des pains n'était qu'une pure imagination, il eut soin qu'il restât une grande quantité de morceaux. Quand il eut guéri le lépreux, il lui dit: " Allez vous montrer aux prêtres " (Matth. VIII, 4) ; afin de rendre manifeste cette guérison, et de réprimer l'insolence de ceux qui l'accusaient d'aller contre les préceptes de Dieu. Le Sauveur a fait la même chose, lorsqu'il changea l'eau en vin (Jean, II, 8) : car il ne fit pas seulement voir le vin, mais il en fit porter au maître d'hôtel, afin que celui qui pouvait assurer qu'il ne savait pas comment la chose s'était passée rendît un témoignage qui ne fût point suspect. C'est pourquoi l'évangéliste a dit: Le maître d'hôtel ne savait pas d'où venait ce vin(Ibid. 9); par:là il a fait connaître que le témoignage de cet homme était tout à fait certain. Et ailleurs, après avoir ressuscité un mort , Jésus dit: " Donnez-lui à manger " (Matth. V, 43), pour rendre indubitable le miracle de cette résurrection, C'est par toutes ces choses que Jésus-Christ persuade , même les plus insensés, qu'il n'est point un fourbe, ou un enchanteur, et qu'il est venu pour le salut de tous les hommes.

Mais pourquoi, à ce paralytique, Jésus-Christ ne demande-t-il pas la foi, comme à ces aveugles à qui il dit: " Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez? " (Marc, VI, 35; Luc, IX, 12 ; Matth. IX, 28.) Parce que cet, homme ne savait pas encore qui il était: Jésus-Christ n'a pas coutume de demander la foi avant, mais après les miracles. Et c'est avec justice qu'il l'exigeait de ceux qui avaient vu dans les autres des effets de sa puissance; mais à l’égard de ceux qui ne le connaissaient point encore, et qui devaient le connaître par les miracles., il ne les invite à croire qu'après les avoir opérés. C'est pourquoi saint Matthieu ne marque pas, dans son évangile, que Jésus-Christ ait demandé la foi, quand il commença de faite des miracles; mais qu'il l'exigea de ces deux aveugles seulement après qu'il eût guéri bien des malades.

Ici, mon cher auditeur, remarquez la foi de ce paralytique. Entendant ces paroles: " Emportez votre lit, et marchez " , il ne rit pas, il ne dit pas : Qu'est-ce que cela veut dire? l'ange descend et trouble l'eau , et il ne guérit qu'un seul malade : et vous, qui êtes un homme , vous espérez faire, par votre seul commandement, plus qu'un ange? Il y a là un orgueil et une présomption tout à fait risible. Mais il ne dit rien, de cela, ou même il n'en eut pas la pensée;-et aussitôt qu'il eut entendu cette parole: " Levez-vous" , il se leva et fut guéri; il obéit sur-le-champ à celui qui lui fit [275] ce commandement: " Levez-vous, emportez votre lit, et marchez ". Certes, cela est admirable ! mais ce qui suit l'est beaucoup plus: ou plutôt qu'il ait cru au commencement, quand personne ne murmurait, cela n'est pas si merveilleux; mais que dans la suite il soit demeuré ferme dans sa foi , lorsque les Juifs , comme des furieux et des enragés, se jetaient sur lui , le chargeaient de reproches, l'assiégeaient dé toutes parts et lui disaient: " Il ne vous est pas permis d'emporter votre lit " ; qu'alors non-seulement il ait méprisé leur furie et leur rage, mais qu'il ait hautement et publiquement proclamé , avec une fermeté pleine et entière, le bienfait qu'il avait reçu, et réprimé leur insolence ; c'est là, selon moi, la marque d'une âme vraiment forte et généreuse. En effet, les Juifs se jettent sur lui, l'accablent d'injures et d'outrages , lui disent avec insolente: " C'est aujourd'hui le sabbat, il ne vous " est pas permis d'emporter votre lit " , et il leur répond froidement: " Celui qui m'a guéri m'a dit: Emportez votre lit, et marchez (11) ". Seulement il s'abstient de leur dire: Vous êtes des fous et des insensés de vouloir que je ne regarde pas comme mon Maître celui qui m'a délivré d'une si longue et si cruelle maladie, et que je n'exécute pas tout ce qu'il m'a ordonné. Au reste, s'il eût voulu user d'artifice, il pouvait se tirer d'affaire d'une autre manière, en disant: Je ne fais pas ceci volontairement , mais pour obéir au commandement qu'on m'en a fait; s'il y a du mal , rejetez-le sur cette personne, et je vais laisser là mon lit, ou peut-être aurait-il caché le bienfait de sa guérison : car il savait fort bien que ce n'était point tant la violation du sabbat qui leur tenait au coeur, que de voir qu'un malade eût été guéri. Mais il n'a point télé le miracle, ne s'est point excusé: il a nettement confessé le bienfait de sa guérison , et l'a hautement publié. Voilà ce qu'a fait le paralytique.

Mais maintenant considérez, je vous prie, avec quelle malignité les Juifs se conduisirent. Ils ne dirent pas : Qui est-ce qui vous a guéri? mais laissant cela, ils relevaient avec grand bruit cette violation du sabbat. " Qui est donc cet homme-là qui vous a dit : Emportez votre lit, et marchez (12) ? Mais celui qui avait été guéri, ne savait pas lui-même qui il était car Jésus s'était retiré de la foule du peuple qui était là (13) ". Et pourquoi Jésus-Christ se cacha-t-il? Premièrement, afin que par son absence il rendît le témoignage exempt de tout soupçon : car celui qui avait en lui-même le sentiment et la preuve du rétablissement de sa santé, était un témoin du bienfait tout à fait digne de foi : en second lieu, pour n'allumer pas davantage dans leur coeur le feu de leur colère; il savait que la seule présence de celui qui est en butte à l'envie est capable d'en attiser le feu. C'est pourquoi il se retire et leur laisse toute liberté de discuter entre eux cette affaire, ne disant rien lui-même pour sa justification, mais voulant que ceux qui avaient été guéris, parlassent seuls avec les accusateurs. Et ces accusateurs eux-mêmes rendent aussi témoignage du miracle; en effet, ils ne disent pas : Pourquoi avez-vous commandé que cela se fît le jour du sabbat? ruais : pourquoi faites-vous cela le jour du sabbat? où l'on voit que ce n'est pas la transgression de la loi qui anime, mais la jalousie qu'ils ont de la guérison du paralytique. Et toutefois, à considérer les choses humainement, il fallait bien plutôt accuser d'avoir travaillé le paralytique, que Jésus-Christ, qui avait seulement prononcé une parole. Ici c'est par un autre que Jésus-Christ fait violer le sabbat, ailleurs c'est lui-même qui le viole, savoir, lorsqu'il fait de la boue avec sa salive (Jean, IX, 6), et qu'il en oint les yeux. Au reste, Jésus-Christ opérant ces guérisons, ne transgresse point la loi, mais il passe et s'élève au-dessus de la loi. Nous reviendrons sur ce sujet dans la suite car étant accusé de ne pas garder le sabbat, il ne se justifie pas partout de la même manière; c'est ce qu'on doit exactement observer.

3. Mais en attendant, voyons, mes frères, combien est grand le mal que produit l'envie voyons de quelle manière elle aveugle les yeux de l'âme pour la ruine de celui qui l'éprouve. Comme souvent ceux qui sont transportés de fureur se plongent le poignard dans le sein; de même aussi les envieux, ne regardant qu'à la perte de celui à qui ils portent envie, se précipitent avec une brutale impétuosité à la leur propre. Ces hommes sont pires que les bêtes mêmes : car si les bêtes s'arment contre nous, c'est, ou parce qu'elles n'ont point à -manger, ou parce que nous les avons provoquées; mais ceux-ci , après avoir reçu des bienfaits, traitent souvent comme ennemis leurs propres bienfaiteurs. Sûrement, ils sont pires que les bêtes, pareils aux démons; ou plutôt, peut-être sont-ils plus méchants [276] qu'eux. En effet, les démons ont contre nous une haine implacable, mais du moins ils ne dressent pas de piéges aux autres démons, leurs semblables. Et même Jésus-Christ se servit de cet exemple pour réfuter les Juifs, lorsqu'ils disaient qu'il chassait les démons par Béelzébuth. (Matth. XII, 24.) Les envieux au contraire ne respectent même pas lés êtres de leur nature; ils ne s'épargnent pas eux-mêmes; car avant de nuire à ceux à qui ils portent envie, ils nuisent à leur âme, en la remplissant vainement de trouble et de tristesse.

O homme, pourquoi vous tourmentez-vous du bien qui arrive à votre frère? vous devriez vous affliger du mal qui vous arrive, et non du bonheur de votre prochain. Voilà pourquoi votre péché est tout à fait indigne de pardon. L'impudique peut s'excuser sur la concupiscence, un voleur sur la pauvreté, un homicide sur la colère; excuses à la vérité frivoles et insensées , mais pourtant concevables. Pour vous, quel prétexte, je vous prie, quelle excuse donnerez-vous? Absolument aucune, si ce n'est votre extrême malignité. L'évangéliste nous commande d'aimer nos ennemis(Matth. V, 44) ; à quels supplices serons-nous condamnés, si nous haïssons nos amis? Et si celai qui aime ses amis, n'a rien fait de plus que ce que font les païens (Ibid. 46, 47); celui qui fait du mal à ceux qui ne l'offensent point, quel pardon, quelle consolation peut-il espérer? Ecoutez saint Paul qui dit: " Quand j'aurais livré mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, tout cela ne sert de rien ". (I Cor. XIII, 3.) Or, que là où est la jalousie et l'envie, là il n'y ait absolument point de charité; c'est ce qu'on ne peut ignorer.

Cette passion est pire que la fornication et l'adultère ; car ces derniers vices s'arrêtent dans celui qui les commet; mais l'envie étend son tyrannique empire sur tout : elle a renversé des églises entières ; elle a désolé tout l'univers : elle est la mère des meurtres. C'est elle qui a excité Caïn à tuer son frère l'envie a animé Esaü contre Jacob, ses frères contre Joseph, le diable contre tout le genre humain. Mais vous ne tuez point? ah ! vous commettez de bien plus grands crimes que le meurtre, lorsque vous priez pour que votre frère soit couvert d'ignominie, lorsque vous lui tendez des piéges de tous côtés, lorsque vous rendez inutiles tous les travaux qu'il a entrepris pour la vertu, lorsque vous ne pouvez souffrir qu'il soit agréable au Maître du monde. Ce n'est donc pas lui que vous attaquez, mais c'est celui qu'il adore et qu'il sert: voilà celui à qui vous faites un outrage, lorsque vous voulez qu'on vous honore préférablement à lui. Et, ce qui est pire que tout le reste, ce crime énorme, vous n'y voyez qu'une chose indifférente. Que vous fassiez l'aumône, que vous veilliez, que vous jeûniez, vous êtes le plus méchant de tous les hommes, si vous portez envie à votre frère. Les exemples le prouvent : Un Corinthien tomba dans la fornication (I Cor. V, 1), mais il en fut repris et se convertit promptement : Caïn porta envie à Abel, et jamais il ne se guérit; mais quoique Dieu prodiguât les remèdes à la plaie de son coeur, il s'aigrissait davantage et se hâtait encore plus de commettre le meurtre qu'il avait médité; d'où vous voyez que cette passion est plus forte et plus violente que l'autre, et que difficilement on s'en délivre, si l'on n'y fait une grande attention.

Arrachons-la donc jusqu'à la racine, cette misérable passion ; considérant que, autant nous offensons Dieu lorsque nous envions la prospérité de notre frère, autant nous lui sommes agréables, lorsque nous nous réjouissons avec le prochain du, bien qui lui arrive; et que par là nous nous assurons une part des récompenses préparées pour celui qui fait le bien. C'est pourquoi saint Paul nous exhorte à être dans la joie, avec ceux qui sont dans la joie, et à pleurer avec ceux qui pleurent (Rom. XII, 15), afin qu'à ces deux titres nous retirions un grand profit. Considérant donc que quoique nous ne travaillions pas nous-mêmes, si nous avons de bons sentiments pour celui qui travaille, nous nous assurons une part de ses couronnes : chassons toute envie et allumons dans nos cœurs le feu de la charité, afin que, par les louanges et les applaudissements que nous donnerons aux belles actions de nos fières, nous acquérions et les biens présents ,et les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soit la gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XXXVIII.
DEPUIS, JÉSUS TROUVA CET HOMME DANS LE TEMPLE, ET IL LUI DIT : VOUS VOYEZ QUE VOUS AVEZ ÉT1 GUÉRI, NE PÉCHEZ PLUS A L'AVENIR, DE PEUR QU'IL NE VOUS ARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. (VERS. 14, JUSQU'AU VERS. 21.)
ANALYSE.

277

1. Dieu châtie le corps pour les péchés de l'âme. — La plupart des maladies viennent du péché.

2 et 3. Reconnaissance du paralytique. — Jésus se compare à Dieu son Père, et se déclare son égal.

4. Cette parole : Le Fils ne peut rien faire de lui-même , marque la parfaite égalité et la parfaite union du Père et du Fils. — Contre l’ambition et la passion de s'élever sur les autres. — Fuir la vaine gloire, maux qu'elle produit : chercher la gloire qui vient de Dieu. — Gloire qui vient des hommes, gloire qui vient de Dieu ; leur différence.

1. Le péché est un grand mal, oui, un grand mal, et la perte de l'âme; mais, de plus, il peut arriver que ce mal déborde jusque sur le corps. Comme, pour l'ordinaire, quand l'âme est malade, nous ne sentons aucune douleur, et, au contraire, si le corps est un peu incommodé, nous apportons tous nos soins pour le délivrer de son incommodité, Dieu pour cela même châtie le corps à cause des péchés de Pâme, afin de rendre la santé à la plus noble portion de l'homme par le châtiment de la moins noble. C'est ainsi que saint Paul corrigea l'incestueux de Corinthe (I Cor. V), il mortifia sa chair pour guérir son âme; l'incision qu'il fit à son corps le guérit de son vice. En quoi il imita l'habite médecin qui, voyant que l'hydropisie ou le mal de rate ne cède point aux remèdes intérieurs, applique au dehors et le fer et le feu. C'est ainsi qu'en usa Jésus-Christ à l'égard du paralytique, il le déclare lui-même, écoutez ce qu'il dit: " Vous voyez que vous avez été guéri, ne péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire. Que nous apprend-il donc par là ? Premièrement, que c'est du péché qu'était venue sa maladie; secondement, qu'il faut véritablement croire qu'il y a un enfer; troisièmement, que le supplice de l'enfer est éternel.

Qu'ils paraissent donc ici ceux qui disent Dans l'espace d'une heure j'ai tué, en un instant j'ai commis un adultère. Quoi ! pour un péché si court, je souffrirai une éternité de peines? Mais voilà un homme dont le péché n'a pas duré aussi longtemps que la punition et qui a passé presque tout le cours d'une vie humaine dans la peine de son péché. En effet, les péchés ne sont pas mesurés au temps, mais à la nature même des crimes. De plus, vous avez à remarquer que, quoique nous soyions sévèrement punis des premiers péchés, nous le serons encore avec beaucoup plus de rigueur dans la suite, si nous retombons à l'avenir dans les mêmes fautes, et cela est très-juste. Car celui que le châtiment ne corrige pas sera désormais plus rigoureusement puni, comme titi homme incorrigible et endurci. Car le premier châtiment aurait dû suffire pour le rendre meilleur et l'empêcher de retomber. Si cette première punition ne le rend ni plus modéré, ni plus sage, et qu'il ne craigne pas de commettre les mêmes fautes, il mérite le supplice, il se l'est lui-même attiré. Or si, même ici-bas, les péchés de rechutes sont plus sévèrement punis que les autres, quand ici nous n'en recevons aucun châtiment, n'avons-nous pas extrêmement à craindre et à trembler qu'en l'autre monde nous n'ayions à souffrir des tourments insupportables?

Et pourquoi, direz-vous, tous ne sont-ils pas punis de même? Nous voyons beaucoup de scélérats dont l'embonpoint annonce la bonne [278] santé, et qui jouissent d'une heureuse fortune. Je le crois, mais ne nous y fions pas, et plaignons-les comme étant les plus à plaindre de tous les hommes. S'ils ne souffrent rien ici, c'est pour eux un gage et des arrhes d'un plus rigoureux supplice qui leur est réservé. Saint Paul l'a déclaré par ces paroles : " Mais maintenant lorsque nous sommes jugés de la sorte, c'est le Seigneur qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde. " (I Cor. XI, 32.) Ici, c'est le lieu de l'avertissement, là du supplice.

Quoi donc ! direz-vous, est-ce que toutes les maladies viennent des péchés? Non toutes, mais plusieurs. Il y en a qui tirent leur origine de la paresse ; l'intempérance , l'ivrognerie, l'oisiveté, engendrent des maladies corporelles. Au reste, dans tout ce qui nous arrive, nous avons une chose à observer, c'est de souffrir toutes sortes de plaies et d'afflictions avec actions de grâces. Le Seigneur nous envoie aussi des maladies pour nous punir de nos péchés. Nous lisons dans les livres des Rois qu'un homme fut attaqué de la goutte en punition de ses fautes (1). Il nous en envoie encore pour nous éprouver et nous rendre plus illustres; c'est pourquoi Dieu dit à Job : "Ne croyez pas que je vous aie traité de cette manière à autre intention que de faire connaître et de publier votre justice? " (Job, XI, 3, LXX.) Mais pourquoi, quand il s'agit de la guérison de ces paralytiques, Jésus-Christ publie-t-il leurs péchés ? Car à celui dont parle saint Matthieu, il dit : " Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis "; et à celui-ci: "Voyez, vous avez été guéri, ne péchez plus à l'avenir ". (Matth. IX, 2.) Je sais que quelques-uns accusent ce paralytique d'avoir mal parlé de Jésus-Christ, et qu'ils disent que c'est pour cela que le Sauveur lui dit : " Ne péchez plus ". Mais que répondrons-nous sur l'autre dont saint Matthieu fait mention ? Jésus; Christ lui a dit aussi : " Vos péchés vous sont remis ". D'où l'on voit clairement que ce n'est point là la raison pour laquelle il lui a fait cette remontrance. Et ce qui suit le fait même plus clairement connaître. " Depuis ", dit l'évangéliste, " Jésus trouve cet homme dans le temple " ; c'était là sûrement une marque de piété; il n'allait pas à la place publique, ni aux lieux de promenade, il ne se livrait pas aux plaisirs de la table, ni à la paresse, mais il se tenait au temple : encore qu'il dût prévoir que tout le monde l'en chasserait, rien pourtant ne fut capable de l'en faire sortir. Jésus-Christ l'ayant donc rencontré après s'être entretenu avec les Juifs, ne fit pourtant aucune allusion de ce genre; or, s'il eût voulu lui faire des reproches à ce sujet, il lui aurait dit : Quoi, vous persistez encore dans les mêmes fautes, et après avoir recouvré la santé, vous n'avez point changé de conduite, vous n'êtes pas devenu meilleur? Mais il ne lui dit rien de semblable, seulement il le confirme pour l'avenir.

2. Mais pourquoi, quand il guérit les boiteux et les estropiés, ne leur dit-il rien de la rémission des péchés ? Pour moi, il me semble que chez ceux-là la maladie était la peine du péché, et chez ceux-ci une simple infirmité corporelle. Si cela n'était pas, Jésus-Christ leur aurait fait une pareille remontrance. Et de plus, de toutes les maladies, la paralysie étant la plus grande et la plus fâcheuse, en y apportant le remède, il l'applique également aux moindres. De même qu'en guérissant un autre lé. preux, il lui ordonna d'aller rendre gloire à Dieu (Matth. VIII, 4), et ne donna pas cet avertissement à lui seul, mais par lui à tous ceux qui seraient guéris de leurs infirmités; ainsi par ceux-là il exhorte tous les autres, et il donne à chacun ces salutaires avis. A quoi il faut ajouter encore que Jésus-Christ avait vu sa grande persévérance; c'est pourquoi il l'avertit d'observer ce qu'il lui prescrit comme le pouvant, bien, et tant par le bienfait de sa guérison que par la crainte des maux à venir, il le retient et l'engage à être sage.

Remarquez , mes frères, combien Jésus-Christ est éloigné de toute vanité. Il n'a point dit : Vous voyez que je vous ai guéri, mais: " Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus a l'avenir ". Il n'a pas dit non plus : De peur que je ne vous punisse, mais : " De peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire ", Nulle part il ne fait mention de sa personne; il lui montre aussi que s'il a recouvré la santé

1. L'exemple que rapporte le saint Docteur ne se trouve point dans la sainte Ecriture, où il n’est nulle part fait mention de goutte, mais la vérité qu'il avance n'en est pas moins constante : Dieu a quelquefois visiblement frappé de maladie le pécheur en punition de son péché. Entre une infinité d'autres exemples qu'on pourrait facilement tirer des Livres saints, celui d'Ozias est bien mémorable Ce prince a la témérité de mettre la main à l'encensoir, et, sur-le-champ, il est frappé de lèpre. (II Paral. XXVI.) L'avarice et le mensonge de Giezi sont punis de la même maladie. (IV Rois, V, 26, 27, etc.)

279

c'est plutôt une grâce que l'effet de son mérite. Car il n'a pas dit qu'il a été délivré de ses peines pour son mérite, mais qu'il a été sauvé et guéri par la miséricorde de Dieu. Si cela n'était pas ainsi, il aurait dit : Vous voyez que vous avez été puni de vos péchés comme vous le deviez, prenez garde à vous à l'avenir. Or il ne lui parle point de la sorte, mais comment :

" Vous voyez que vous avez été guéri, ne péchez plus à l'avenir ". Disons-le-nous souvent, mes frères, et quoique châtiés, quoique dans l'affliction, que chacun de nous se dise à soi-même : " Vous voyez que vous avez été e guéri, désormais ne péchez plus ". Que si, persévérant dans les mêmes fautes, nous n'en sommes point châtiés, répétons-nous ces paroles de l'apôtre : " La bonté de Dieu vous a invite à la pénitence. Et cependant, par notre "dureté et par l'impénitence de notre coeur, a nous nous amassons un trésor de colère ". (Rom. II, 4, 5.) Et non-seulement en rétablissant son corps, mais encore autrement, Jésus-Christ donna au paralytique un grand témoignage de sa divinité. Car, en lui disant : " Ne péchez plus à l'avenir "; il lui fit voir qu'il connaissait tous les péchés qu'il avait commis auparavant, et par conséquent qu'il devait désormais le juger digne de foi et croire en lui. " Cet homme s'en alla donc trouver les Juifs et leur dit que c'était Jésus qui l'avait guéri (15) ". Observez cette nouvelle marque de la reconnaissance de ce paralytique. Car il n'a point dit : C'est Jésus qui m'a dit : " Emportez votre lit ". En effet, comme les Juifs lui objectaient continuellement ce qui paraissait blâmable, lui, toujours il leur répond ce qui relevait la gloire de son médecin, et devait les gagner et les attirer. Il n'était ni assez stupide, ni assez ingrat pour trahir son bienfaiteur et parler malignement contre lui, après en avoir reçu une si grande grâce, et une grâce jointe à un avis si salutaire. Eût-il été barbare et inhumain comme une bête féroce, eût-il eu un coeur de pierre, le bienfait et la crainte auraient retenu sa langue. La menace que lui avait faite Jésus-Christ lui aurait encore fait craindre qu'il ne lui arrivât quelque chose de pire, ayant surtout éprouvé par lui-même jusqu'où pouvait aller le pouvoir d'un si grand médecin. D'ailleurs , s'il eût voulu le charger, le rendre blâmable, il aurait tu et caché sa guérison et il n'aurait parlé que de la violation du sabbat; mais, au contraire, avec beaucoup de fermeté et d'assurance, avec un coeur reconnaissant, il célèbre la gloire de son bienfaiteur, en quoi il ne diffère point de l'aveugle qui disait: " Il a fait de la boue avec sa salive et il en a oint mes yeux " (Jean, IX, 6) ; celui-ci dit tout de même : " C'est Jésus qui m'a guéri ".

" Et c'est pour cela que les Juifs persécutaient Jésus et. voulaient le faire mourir, parce qu'il faisait ces choses le jour du sabbat (16) ". Que répondit donc Jésus-Christ? Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et j'agis aussi incessamment". (Jean, V, 17.) Quand il s'agissait de défendre ses disciples, Jésus produisait aux Juifs le témoignage de David, leur compagnon : " N'avez-vous point lu ", leur disait-il, " ce que fit David, se voyant pressé de la faim?" (Matth. XII, 3.) Mais quand il parle pour lui-même, il cite l'exemple de son Père, montrant par l'un et par l'autre qu'il est égal à son Père, et lorsqu'il le nomme son propre Père, et lorsqu'il fait voir qu'il opère les mêmes oeuvres que lui. Et pourquoi Jésus ne rapporte-t-il pas les miracles qu'il a faits auprès de Jéricho ? (Matth. XII, 29.) Il les voulait tirer de leurs idées charnelles et grossières, et faire qu'ils ne le regardassent plus comme " purement " homme, mais qu'ils vinssent et recourussent à lui comme à Dieu et à leur Législateur. Car s'il n'était pas Fils de Dieu et de la même substance, la défense qu'il, produisait était pire que l'accusation.. En effet, si un magistrat, accusé d'avoir transgressé la loi de son roi, s'excusait sur ce que le roi l'aurait lui-même transgressée, il ne serait pas pour cela absous de son crime, mais au contraire il serait regardé comme plus coupable et plus digne de châtiment ; mais ici, où la dignité est égale, la défense est tout à fait juste et légitime : pour la même raison que vous justifiez Dieu, justifiez-moi. Voilà pourquoi, avant toutes choses, le Sauveur dit: " Mon Père, " afin de les forcer malgré eux de reconnaître en lui une même autorité et une même puissance, en l'honorant comme vrai Fils de Dieu.

Que si quelqu'un dit : Et où est-ce que le Père agit, lui qui s'est reposé le septième jour (Gen. II, 2) après ses ouvrages? Qu'il apprenne de quelle manière Dieu agit. Comment donc agit-il? Il gouverne et conserve ses ouvrages par sa providence. Lors donc que vous voyez le lever du soleil, le cours de la lune, les [280] étangs, les fontaines, les fleuves, les pluies et le mouvement de la nature, soit dans les semences, soit dans nos corps, soit dans ceux ,des bêtes, et de toutes les autres choses qui composent ce monde, reconnaissez-y l’action continuelle du Père, " qui fait lever son soleil ", dit l'Écriture, " sur les bonnes sur les " méchants ". (Matth. V, 45.) Et encore : " Si donc Dieu a soin de vêtir de cette sorte une herbe des champs, qui est aujourd'hui et qui sera demain jetée au feu ". (Matth. VI, 30.) Et derechef, sur les oiseaux : " Votre Père céleste les nourrit ". (Matth. VI, 29.)

3. Ainsi, tout ce qu'a fait Jésus-Christ le jour du sabbat, il l'a fait par sa parole, sans rien de plus. Quant au crime dont on l'accusait, il s'en est justifié par ce qui se faisait dans le temple (Matth. XII, 5), et par l'exemple même de ses accusateurs; mais quand il commande de travailler, comme d'emporter le lit (ce qui, sûrement, n'est pas un travail bien considérable, mais tel néanmoins qu'il marque clairement l'inobservance du sabbat), alors il parle plus haut, il leur apporte des preuves plus relevées, pour les confondue et leur imposer silence par la dignité de son Père, et les élever à de plus grands sentiments. C'est pourquoi, lorsqu'il s'agit du sabbat, il ne se justifie pas comme homme seulement, ni comme Dieu seulement, mais tantôt d'une façon, tantôt de l'autre. Car il voulait qu'on crût à la fois, et à l'abaissement de son incarnation, et à la dignité, à la majesté de sa divinité. Voilà pourquoi maintenant il se justifie comme Dieu. En effet, s'il leur eût toujours parié humainement, toujours ils auraient eu de lui des sentiments bas et grossiers ; c'est donc pour les tirer dé leur opinion et les éclairer, qu'il nomme sou Père.

Au reste, les créatures elles-mêmes agissent au jour du sabbat : le soleil poursuit son cours, les fleuves roulent leurs eaux, les fontaines coulent, les femmes accouchent; mais afin que vous sachiez que le Fils de Dieu n'est pas du nombre des créatures; il n'a point dit J'agis aussi, car les créatures agissent, mais quoi ? J'agis aussi, car mon Père agit : " Mais les Juifs cherchaient encore avec plus d'ardeur à le Maire mourir, parce que non-seulement il ne gardait pas le sabbat, mais qu'il " disait même que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu (18) ". Et il ne le démontra pas seulement par ses paroles, mais encore plus par ses oeuvres. Pourquoi par ses oeuvres? Parce que, de ses paroles, ils pouvaient prendre texte pour lui faire des reproches, pour l'accuser d'orgueil et de vanité; mais en voyant la vérité et la réalité des choses et des oeuvres, qui manifestaient et publiaient sa puissance, alors ils ne pouvaient même pas ouvrir la bouche contre lui.

Ceux qui ne veulent pas croire pieusement ces vérités, disent :Jésus-Christ ne s'est pas fait égal à Dieu, mais seulement les Juifs l'en soupçonnaient : c'est pourquoi, revenons sur ce qui a été dit plus haut. Dites-moi : les Juifs persécutaient-ils Jésus-Christ; ou ne le persécutaient-ils pas? Certainement ils le persécutaient; personne ne l'ignore. Le persécutaient-ils pour cette raison qu'il se faisait égal à Dieu, ou pour une autre? c'était sûrement pour cette raison, comme tous le reconnaissent. Gardait-il le sabbat, ou non? il ne le gardait pas, nul n'osera le nier. Disait-il que Dieu était son Père, ou ne le disait-il pas? certes, il le disait. Donc tout le reste s'ensuit de même : comme les faits d'appeler Dieu son Père, de ne pas garder le sabbat, d'être persécuté des Juifs pour la première de ces raisons; et encore plus pour l'autre., sont des vérités parfaitement établies; quand il s'égalait à Dieu, il ne faisait que parler encore dans le même esprit : et ceci est encore plus évident par ce qui est rapporté ci-dessus; car dire ces paroles. " Mon Père agit, et j'agis aussi ", c'était la même chose que de se faire égal à Dieu. Jésus-Christ ne montre aucune différence entre ces paroles. Il n'a point dit : Il agit, et moi je le sers, je l'aide; mais : comme il agit, j'agis aussi moi-même; et il fait voir une grande égalité.

Que si, cette égalité, Jésus-Christ n'avait pas voulu la montrer, et si les Juifs l'en avaient vainement soupçonné, il n'aurait pas permis qu'ils gardassent cette fausse opinion de lui, mais il l'aurait corrigée. Et l'évangéliste ne l'aurait point passée sous silence, mais il aurait publiquement déclaré que les Juifs avaient eu ce soupçon, mais que Jésus-Christ ne s'était pas fait égal à Dieu; c'est ainsi qu'il en use ailleurs, lorsqu'il voit que ce qui a été dit dans un sens, on le prend dans un autre; par exemple, à propos de cette phrase : " Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours " (Jean, II, 19), qui concernait sa chair. Mais les Juifs, ne comprenant pas ce qu'avait dit [281] Jésus-Christ, et croyant qu'il parlait de leur temple, disaient: " Ce temple a été quarante-six ans à bâtir, et vous le rétablirez en trois jours? " (Jean, II, 20.) Comme donc Jésus-Christ avait dit une chose, et que les Juifs en avaient pensé une autre, que ce qu'il avait dit de sa chair, ils l'avaient entendu de leur temple, l'évangéliste, pour le taire remarquer, ou plutôt pour corriger cette fausse opinion, a ajouté : " Mais il entendait parler du temple de son corps". (Jean, II, 21.) De même, si en cet endroit Jésus-Christ ne s'était pas fait égal à son Père, sûrement l'évangéliste aurait redressé la pensée des Juifs qui le croyaient, et il aurait dit : Les Juifs croyaient que Jésus-Christ se faisait égal à Dieu, mais il ne parlait pas de cette égalité. Et non-seulement notre évangéliste en use ainsi dans l'endroit que nous avons cité, mais un autre aussi fait de même ailleurs. Jésus-Christ ayant dit à ses disciples : " Ayez soin de vous garder du levain des Pharisiens et des Saducéens ",. et les disciples ayant pensé et dit entre eux : " Nous n'avons point pris de pain " (Matth. XVI, 6); comme le Sauveur voulait dire une chose, appelant levain leur doctrine, et les disciples en entendaient une autre, pensant que c'était du pain que Jésus parlait, il rectifie cette pensée : et même ici ce n'est pas l'évangéliste, c'est Jésus-Christ lui-même qui la corrige, en disant : " Comment ne comprenez-vous point que ce n'est pas du pain que je vous ai parlé? " (Matth. XVI, 11.) Mais dans le passage sur lequel roule la dispute, on ne voit nulle correction.

Mais, dira quelqu'un, Jésus-Christ ruine cette interprétation, en ajoutant : " Le Fils ne peut rien faire de lui-même ". Que dites-vous? c'est tout le contraire : loin de nier l'égalité par ces mêmes paroles que vous alléguez, il l'établit et la confirme. Renouvelez votre attention, mes frères, la question est très-considérable et très-importante. Cette expression : " De lui-même ", se rencontre souvent dans l'Écriture, où elle s'applique, et à Jésus-Christ, et au Saint-Esprit; il en faut donc connaître la valeur et la force, pour ne pas tomber dans de très-grandes et de très-grossières erreurs. En effet, si vous la prenez dans le premier sens qu'elle présente, quelles absurdités ne s'en suivra-t-il pas? Faites-y attention. L'Écriture n'a point dit que Jésus-Christ pouvait faire certaines choses de lui-même, et qu'il n'en pouvait pas faire d'autres; mais elle dit en général : " Le Fils ne peut rien faire de lui-même (19) ".

4. Nous ferons donc cette demande à notre contradicteur : Jésus-Christ, selon vous, ne peut donc rien faire de lui-même? S'il répond Non, nous repartirons : Mais il a fait le plus grand de tous les biens par lui-même; saint Paul le crie et le publie hautement : " Qui étant l'image de Dieu ", c'est de Jésus-Christ qu'il parle, " n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu : mais il s'est anéanti lui-même , en prenant la " forme de serviteur ". (Phil. II, 6, 7.) Et encore : Jésus-Christ lui-même dit ailleurs : " J'ai le pouvoir de quitter la vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre, et personne ne me la ravit : c'est de moi-même que je la quitte ", (Jean, X, 18.) Ne voyez-vous pas que celui qui s'est anéanti lui-même, en prenant de lui-même notre chair, a en son pouvoir et la mort et la vie? Et que dis-je de Jésus-Christ? Nous qui sommes ce qu'il .y a de plus vil et de plus abject, nous faisons toutefois bien des choses de nous-mêmes; de nous-mêmes nous choisissons le vice, de nous-mêmes nous pratiquons la vertu. Que si nous ne faisons pas ce choix de nous-mêmes, et si nous n'en avons pas le pouvoir, le péché ne saurait nous précipiter dans l'enfer; ni les bonnes oeuvres nous ouvrir le royaume des cieux. Donc, cette parole : " Jésus-Christ ne peut rien faire de lui-même ", ne signifie autre chose, sillon qu'il ne peut rien faire de contraire à son Père, rien d'opposé , rien d'étranger: ce qui marque justement l'égalité et une parfaite union.

Et pourquoi Jésus-Christ n'a-t-il pas dit le Fils ne fait rien de contraire, mais: il ne peut pas faire? c'est encore pour montrer par là une parfaite égalité. Car par cette expression l'Écriture ne désigne pas une faiblesse, mais elle fait voir sa grande puissance. En effet, saint Paul aussi parle ailleurs du Père en ces mêmes termes : " Afin qu'étant appuyés sur ces deux choses inébranlables, par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe ". (Héb. VI, 18.) Et derechef : " Si nous le renonçons (1), il demeure fidèle; car il ne peut pas se

1. " Si nous le renonçons ". Mon texte le porte de même. Saint Chrysostome le prend du verset précédent. Ainsi que nous lisons dans les textes grec et latin du Nouveau Testament , il faudrait dire : Si nous sommes infidèles. Mais la pensée est toujours le même.

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contredire lui-même". (II Tim. II, 13.) Ce mot : " Il est impossible ", ne marque nullement une faiblesse, mais un pouvoir et une puissance ineffable. Et voici ce que cela signifie. Cette substance n'admet et ne souffre aucune de ces sortes de choses, aucune de ces imperfections. Comme lorsque nous disons : Il est impossible que Dieu pèche, nous ne lui attribuons pas un défaut, ou une faiblesse, mais nous témoignons, au contraire, de sa puissance ineffable; de même aussi, lorsque Jésus-Christ dit : " Je ne puis rien faire de moi-même ", cela signifie : il est absolument impossible que je fasse rien de contraire à mon Père.

Mais, afin que vous puissiez vous convaincre que c'est ainsi qu'il faut entendre ce, passage, examinons ce qui suit et voyons de quel côté est Jésus-Christ, ou du vôtre, ou du nôtre. Vous dites que ces paroles marquent un défaut de pouvoir, une limitation d'autorité et de puissance : et moi je soutiens, au contraire, qu'elles montrent évidemment une égalité entière et parfaite, et que tout se fait comme par une même volonté et une même puissance. Interrogeons Jésus-Christ lui-même, et par ses réponses nous jugerons si. les paroles sur lesquelles nous disputons, il les explique selon votre opinion ou selon la nôtre. Que dit-il donc? " Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui". Ne voyez-vous pas qu'il renverse et détruit absolument votre opinion , au lieu qu'il établit et confirme la nôtre? En effet, si le Fils ne fait rien de lui-même, le Père aussi ne fera rien de lui-même, puisque tout ce que fait le Père, le Fils le fait également. Et s'il n'en était pas ainsi, il s'ensuivrait une autre absurdité. Car Jésus-Christ n'a point dit : Le Fils fait ce qu'il a vu faire au Père, mais : il ne fait rien, s'il ne le voit faire au Père; comprenant ainsi tous les temps dans son affirmation : or, selon vous, il apprendra toujours à, faire les mêmes choses. Sentez-vous combien est élevée et sublime cette pensée qui, quoiqu'enveloppée d'expressions basses et grossières, force pourtant, malgré eux, les hommes les plus impudents et les plus téméraires , d'éloigner de leur esprit toutes basses idées, tous sentiments indignes d'une si grande majesté? Et qui serait assez misérable et assez malheureux pour dire que le Fils apprend chaque jour ce qu'il doit faire? Alors, comment serait vrai ce que dit le prophète-roi : " Mais pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années ne passeront point?" (Ps. CI, 28.) Et comment ceci le sera-t-il? "Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui " (Jean, I, 3), si ce que fait le Père, le Fils l'imite en le voyant? Ne remarquez-vous pas comme son autorité et sa puissance se découvrent et se manifestent, et par ce qu'on a dit ci-dessus, et par ce qu'on va dire encore ?

Que si Jésus-Christ emploie quelquefois des expressions tout humaines, ne vous en étonnez pas. Comme les Juifs, pour l'avoir entendu parler en des termes plus élevés, le persécutaient et le prenaient pour un, ennemi de Dieu, il commence par s'exprimer d'une manière un peu basse et grossière, seulement quant aux expressions; puis il s'élève, il parle d'une manière plus sublime, ensuite il redescend, baisse le ton; variant. ainsi son discours et ses instructions, afin que les plus endurcis puissent aisément croire en lui. Voyez; après avoir dit : " Mon Père agit, et j'agis aussi ", et s'être montré égal à Dieu, il dit encore: " Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu'il voit faire au Père ".Ensuite, il s'énonce en des termes plus élevés, et il dit : " Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui ". Après quoi, il s'abaisse de nouveau : " Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait; et il lui montrera des oeuvres encore plus grandes que celles-là (20) ". Peut-on voir un plus grand abaissement? Non, certes, car ce que j'ai dit, et ce que je ne cesserai point de dire, je vais le répéter maintenant. Lorsque Jésus-Christ veut dire quelque chose d'une manière basse et humble, il ne craint point l'excès, de telle sorte que la grossièreté des paroles persuade même les plus méchants de recevoir avec piété ce qu'ils entendent. En effet, si ce n'était point là l'intention du divin Sauveur, considérez combien seraient absurdes ses paroles; pour s'en convaincre, il suffit de les examiner. Quand il dit : " Il lui montrera des oeuvres encore plus grandes que celles-ci ", il paraît n'avoir pas encore appris beaucoup de choses, ce qu'on ne peut pas même dire. des apôtres ; car dès que les apôtres eurent reçu la grâce du Saint-Esprit, ils reçurent aussitôt toutes les connaissances et tous les pouvoirs qui leur étaient nécessaires; mais, de cette manière, il se trouverait que le Fils n'avait pas encore appris bien des choses qu'il [283] lui était nécessaire de savoir. Que pourrait-on imaginer de plus absurde qu'une pareille idée? Que veulent donc. dire ces paroles? Le voici : Comme, après avoir guéri le paralytique d'une manière si éclatante, il devait ressusciter un mort, il use de ces expressions comme pour dire : Vous êtes remplis d'admiration :de m'avoir vu guérir sur-le-champ un paralytique, vous verrez des œuvres encore plus grandes que celles-ci. Néanmoins, il n'a pas si clairement expliqué sa pensée , mais il l'a enveloppée d'expressions plus simples et plus grossières, pour apaiser la fureur des Juifs.

Mais, pour connaître que ce mot : " Il lui montrera ", ne doit pas se prendre à la lettre, voyez ce qui suit : " Car, comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut ". Or ces paroles : " il ne peut rien faire de lui-même ", sont contraires à celles-ci : " A qui il veut ". Car, s'il donne la vie à qui il veut, il peut faire quelque chose de lui-même. En effet, le vouloir suppose le pouvoir. Et s'il né peut rien faire de lui-même, il ne donne donc pas la vie à qui il lui plaît; ce mot : " Comme le Père ressuscite ", prouve une égale vertu; et celui-ci : " A qui il veut ", montre un pouvoir égal. Par où vous voyez que ces paroles : " Il ne peut rien faire de lui-même ", loin de rien ôter à son pouvoir, marquent, au contraire, une puissance égale et une même volonté. Ce mot : " Il lui montrera ", entendez-le de même. Car le Fils dit ailleurs : " Je le ressusciterai au dernier jour. " (Jean, VI, 40.) Et encore, pour montrer que cette vertu, que ce pouvoir d'agir, il ne l'a pas reçu , il dit: " Je suis la résurrection et la vie ". (Jean, XI, 25.) Ensuite, afin que vous ne disiez pas qu'il ressuscite les morts et qu'il donne la vie à qui il lui plaît, mais que les autres choses, il ne les fait pas de même, il prévient l'objection et la résout par ces paroles: "Tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi comme lui ", déclarant que tout ce que le Père fait, il le fait aussi comme lui, savoir, qu'il ressuscite les morts, qu'il forme les corps, leur rend la vie, qu'il remet les péchés, et qu'il fait toutes les autres choses de même que le Père les fait.

5. Mais ceux qui négligent leur salut ne font nulle attention à ces choses, tant est grand le marque produit l'amour de la domination. C'est lui qui a enfanté les hérésies; c'est lui qui a établi l'idolâtrie des gentils. Dieu voulait que ses perfections invisibles devinssent visibles par la création du monde (Rom. I, 20); mais les gentils ont fermé les yeux à la lumière, ils ont rejeté cette doctrine et se sont eux-mêmes frayé un autre chemin ; voilà pourquoi ils se sont égarés de la droite voie. Les Juifs n'ont point cru, parce qu'ils ont, aspiré à la gloire qui dent des hommes, et qu'ils n'ont point recherché celle qui vient de Dieu. (Jean, V, 44.) Mais nous, mes très-chers frères, fuyons cette passion avec un très-grand soin, et de toutes nos forces. Eussions-nous fait une infinité de belles actions et de bonnes oeuvres, le venin de la vaine gloire les gâtera toutes. Si nous avons donc en vue les louanges, recherchons celles qui viennent de Dieu. La louange des hommes, de quelque nature qu'elle soit, s'évanouit aussitôt. qu'elle paraît; et quand même elle ne s'évanouirait pas, sûrement elle ne nous procurerait aucun avantage; d'ailleurs, souvent elle vient d'un jugement corrompu. Qu'a-t-elle de si admirable, la gloire humaine, cette gloire dont jouissent de jeunes danseurs, des femmes impudiques, des avares, des voleurs? Mais celui que Dieu loue est admiré, non avec ces sortes de gens, mais avec les saints ; savoir avec les prophètes et les apôtres, avec les hommes qui ont mené une vie angélique. Que si nous aimons à amasser la. foule autour de nous et à nous faire regarder, examinons bien ce que c'est que cela, et nous trouverons que rien n'est plus vil ni plus méprisable. En un mot, si vous,aimez la foule, attirez à vous une grande troupe d'anges, rendez-vous redoutables aux démons; par là , vous ne ferez nul cas des hommes; par là, vous foulerez même aux pieds, comme de la fange et de la boue, tout ce qui paraît briller, et vous connaîtrez clairement alors que rien n'avilit tant l'âme que l'amour de la gloire.

Non, certes, non, il ne se peut pas -que l'amateur de la vaine gloire ne traîne une vie pleine d'amertumes, de même qu'il est impossible que celui qui la méprise, ne foule aux pieds une infinité de vices. Celui qui est victorieux de la vaine gloire, vaincra aussi l'envie, l'amour des richesses et les autres maladies les plus cruelles. Et comment, direz-vous, la vaincrons-nous? Nous en triompherons si , dans tout ce que nous faisons, nous avons l'autre gloire en vue , je veux dire la gloire céleste , dont celle-ci s'efforce de nous chasser. C'est [284] elle qui, dans cette vie, nous rend illustres, et qui nous suit dans l'autre; c'est elle qui nous délivre de toute servitude charnelle.

Attachés à la terre et aux choses terrestres, maintenant nous sommes misérablement esclaves de la chair. Soit que vous alliez vous promener sur la place publique, soit que vous entriez dans votre maison, soit que vous alliez dans les rues, dans les lieux d'assemblées, dans les hôtelleries; si vous montez sur un vaisseau pour naviguer, si vous allez dans une île, ou dans les palais des rois, si vous suivez le barreau, ou si vous allez au sénat, partout vous trouverez les sollicitudes de ce siècle , et vous verrez s'occuper, avec mille fatigues, des choses de ce monde, les voyageurs, les citoyens, les navigateurs , les laboureurs, ceux qui demeurent à la campagne , ceux qui habitent la ville; en un mot, tous les hommes.

Quelle espérance pouvons-nous avoir de notre salut, nous qui, habitant la terre de Dieu, ne songeons nullement aux choses de Dieu? La Loi nous commande de vivre ici en étrangers, et nous sommes étrangers à l'égard du ciel, et habitants du monde. N'est-ce pas là une stupidité monstrueuse ? Tous les jours on nous parle du jugement et du royaume des cieux, et nous ne craignons pas d'imiter ceux qui vivaient au temps de Noé, et les habitants de Sodome (Matth. XXIV, 37; Gen. XIIII, 13, et XVIII, 19) ; nous attendons l'expérience pour nous instruire. Mais si toutes ces choses sont écrites, c'est afin que celui qui ne croit pas ce qui doit arriver apprenne du passé à lire dans l'avenir. Méditons donc ces vérités, mes frères, tant celles qui ont eu leur accomplissement, que celles qui s'accompliront infailliblement un jour, et secouons un peu le joug rigoureux de, notre servitude : ayons quelque soin de notre âme, afin que nous acquérions les biens présents et les biens futurs, par la grâce et la bonté. de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l'empire, dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XXXIX.
LE PÈRE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A DONNÉ AU FILS TOUT POUVOIR DE JUGER. — AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS, COMME ILS HONORENT LE PÈRE. (VERS. 22, 23, JUSQU'AU VERS. 30.)
ANALYSE.

1. Craindre le jugement dernier.

2. Pourquoi Jésus-Christ use de paroles simples. — Sabellien enseignait qu'il n'y a qu'une seule personne en Dieu.

3. Jésus-Christ parle souvent du jugement de la vie, de la résurrection, pourquoi ?

4. Deux volontés en Jésus-Christ, comment?

5. Dans l'étude de l'Ecriture sainte ne rien passer, examiner les circonstances, sonder, peser tout, ne pas s'excuser sur son ignorance, sur sa simplicité. — Il est ordonné d'être prudent. — Pardonner aux autres, afin que le Seigneur nous pardonne : refuser le pardon aux autres, c'est se le refuser à soi-même. — Pardonner de. môme que Jésus-Christ nous a pardonné. —Ce qu'il faut faire pour acquérir la vie éternelle. — Recommandation de l'aumône.

1. Il faut, mes très-chers frères, il faut en toutes choses user d'une grande attention; car nous rendrons un compte exact, et de nos paroles et de nos oeuvres. Nos affaires ne sont pas limitées dans tes bornes étroites de cette vie , mais une autre vie nous attend, et nous comparaîtrons tous au redoutable jugement du Seigneur. "Nous devons tous comparaître", dit saint Paul, " devant le tribunal de Jésus-Christ , afin que chacun reçoive ce qui est [285] " dû aux bonnes ou aux mauvaises oeuvres " qu'il aura faites, pendant qu'il était revêtu " de son corps ". (I Cor. V, 10.) Pensons toujours à ce tribunal; c'est là le vrai moyen de nous appliquer toujours à la vertu. Comme celui qui écarte ce jour de son esprit, semblable à un cheval qui a pris le mors aux dents, se jette dans les précipices (le Psalmiste dit: " Ses voies sont souillées en tout temps ", et il en donne la raison : " Vos jugements ne se présentent point devant sa vue") (Ps. IX, 26); de même, celui qui craint le jugement, marchera avec modestie et sera retenu dans toutes ses actions : " Souvenez-vous de votre dernière fin ", dit le Sage, " et vous ne pècherez point". (Eccli. VII, 40.) Celui qui à présent nous remet nos péchés, alors sera notre juge; celui qui est mort pour nous viendra juger ici tout te genre humain. Jésus-Christ " apparaîtra ", dit encore saint Paul, " non pour expier le péché, " mais pour le salut de ceux qui l'attendent ". (Héb. IX, 28.) C'est pourquoi le Sauveur dit ici : " Mon Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout pouvoir de juger, afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ". Quoi donc ! direz-vous, l'appellerons-nous le Père ? Dieu nous en garde ! Car il dit le Fils, afin que demeurant le Fils, nous l'honorions comme nous honorons le Père: celui au contraire qui l'appelle le Père , n'honore pas le Fils comme il honore le Père; mais il confond tout. Comme donc les châtiments rappellent plutôt les hommes à leurs devoirs que les bienfaits, Jésus-Christ nous fait de terribles menaces, afin que du moins la crainte nous porte à l'honorer.

Lorsque Jésus-Christ dit : " Tout " , il nous fait entendre qu'il a le pouvoir de punir et de récompenser, et de faire l'un et l'autre selon qu'il lui plaît. Il dit: " Il a donné " , afin que vous ne pensiez pas qu'il n'est point engendré, et que vous ne croyiez pas qu'il y a deux Pères: car tout ce qu'est le Père, le Fils l'est aussi, demeurant engendré et Fils. Mais, pour ne vous laisser aucun, doute que ce mot: " Il a donné " signifie la même chose que : " il a engendré " , il le déclaré expressément ailleurs , en disant: " Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (26) ". Quoi donc ! le Père a-t-il premièrement engendré le Fils, et n'est-ce qu'ensuite qu'il lui a donné la vie? Celui qui donne, donne à quelqu'un qui est: le Fils était-il donc engendré sans avoir là vie? Mais les démons mêmes, tout démons qu'ils sont, ne sont point capables d'une pensée si abominable, où éclatent également et l'extravagance et l'impiété. Disons donc que, comme ce mot: " Il a donné la vie ", est la même chose que: il l'a engendré vivant ; de même . " Il a donné le pouvoir de juger " , signifie: il l'a engendré juge. Et de peur qu'entendant ces mots , qui marquent que le Père est le principe du Fils, vous ne pensiez qu'il y a une inégalité de substance entre l'un et l'autre, et une moindre dignité dans celui-ci, il vient lui-même vous juger , pour vous montrer son égalité. Car celui qui a le pouvoir de punir et de récompenser ceux qu'il veut, peut faire les mêmes choses que le Père. En effet, s'il n'avait pas un égal pouvoir, s'il n'avait reçu cet honneur que dans la suite, après avoir été engendré, quelle aurait été l'origine de cette élévation ? par quels degrés serait-il parvenu dans la suite à une si éminente dignité ? Ne rougissez-vous pas d'avoir des sentiments si bas et si charnels de cette nature immortelle qui ne peut recevoir aucun accroissement ?

Pourquoi, direz-vous, parle-t-il donc de la sorte? Afin que les hommes croient plus facilement ce qu'il dit, et pour les préparer à entendre des choses plus élevées; de là ce mélange des deux langages. Mais voyez et examinez bien comment il opère ce mélange, et pour cela il ne sera pas hors de propos de reprendre les choses dès le commencement. Il a dit

" Mon Père agit, et j'agis aussi " ; et par là, il montre qu'il est égal à son Père et qu'il doit être également honoré : " Et les Juifs cherchaient à le faire mourir ". Que fait-il ensuite? Il tempère, il adoucit ses paroles, mais il leur conserve le même sens, en disant: " Le Fils ne peut rien faire de lui-même ". Après, il parle encore d'une façon plus élevée, et dit : " Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui ". Puis il baisse le ton : " Parce que le Père ", dit-il, " aime le Fils et il lui montre tout ce qu'il fait, et il lui montrera des oeuvres encore plus grandes que celles-ci ". Après quoi, il remonte : " Car comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ". Puis viennent des paroles basses mêlées avec des paroles élevées : " Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout a pouvoir de juger ". Ensuite le langage se [286] relève: "Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père".

Ne remarquez-vous pas de quelle manière il varie son discours, par, l'admirable mélange des paroles et des idées élevées, avec des expressions et des choses plus basses et plus grossières, afin que les hommes d'alors les reçussent plus-facilement, et que ceux qui viendraient dans la suite des temps ne perdissent pas le fruit et l'avantage qu'ils en devaient retirer, mais qu'interprétant les expressions tout humaines au moyen de celles qui sont plus élevées et plus sublimes, ils eussent de Jésus-Christ l'opinion qu'on en doit avoir? En effet, s'il n'en est pas ainsi; si ce n'est point par condescendance que Jésus-Christ a parlé comme il l'a fait, comment expliquer les choses sublimes qui se trouvent mêlées à son langage? Si celui qui doit parler de soi d'une manière grande et élevée reste au-dessous de ce qu'il pourrait dire, il donne lieu de croire que c'est par une sorte de ménagement qu'il en use ainsi. Mais si un homme qui doit parler de soi en des termes humbles et modestes, s'exprime avec pompe : pourquoi s'attribue-t-il, dira-t-on de lui, ce qui est au-dessus de sa nature et de sa condition? Ce n'est plus esprit de ménagement, mais extrême impiété.

2. Si donc Jésus-Christ s'exprime quelquefois dans un langage si humble,. nous pouvons en donner la juste raison , une raison convenable à sa divinité : nous dirons qu'il agit ainsi par condescendance , qu'il nous apprend de cette manière à être humbles et modestes, et que par là il pourvoit à notre salut; il le déclare ailleurs par ces paroles : " Mais je dis ceci afin que vous soyez sauvés". (Jean, V, 34.) Comme ne voulant point s'appuyer de son propre témoignage, ce qui eût été indigne, de sa grandeur et de sa dignité, il rapporte celui de Jean-Baptiste, il explique en même temps la raison pour laquelle il se sert de termes pareils, en disant.: " Mais je dis ceci afin que vous soyez sauvés".

Mais vous, qui prétendez qu'il n'a pas un pouvoir égal à celui du Père, que répondrez-vous quand vous lui entendrez dire qu'il aune, vertu, une puissance, une gloire égales à celles du Père ? Si, comme vous le soutenez, il est beaucoup inférieur au Père, pourquoi- veut-il être honoré comme lui ? Car il ne se contente pas de dire ce que nous venons de rapporter ci-dessus ; et il ajoute : " Celui qui n'honore point le Fils, n'honore point le Père qui l'a envoyé ". (Jean, V, 23.) Remarquez-vous comment il joint l'honneur qui doit être rendu au Fils avec celui qu'on doit rendre au Père? Et qu'est-ce que cela prouve, dira quelqu'un, nous voyons qu'il en fait autant à l'égard des apôtres : " Celui qui vous reçoit", dit-il, "me reçoit ? " (Matth. X, 40.) Mais là, il parle de la sorte pour montrer qu'il regarde comme fait pour lui ce qu'on fait pour ses serviteurs; ici, il veut dire que la substance est la même et la gloire égale. De plus, il n'a point dit des apôtres qu'il faut les honorer; mais, parlant de soi, il a dit formellement : " Celui qui n'ho" more point le Fils, n'honore point le Père ". Si de deux monarques régnant ensemble on en offense un, l'offense rejaillit aussi sur l'antre, et surtout si celui qui est offense est son fils; que dis-je ? C'est outrager le roi que d'outrager un de ses soldats; mais c'est l'outrager indirectement et non de la même manière. Ici, au contraire, tout est personnel. Si donc Jésus-Christ a pris soin de dire : " Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père"; c'est pour que, lorsqu'il dira ensuite : " Celui qui n'honore point le Fils n'honore point le Père ", vous compreniez qu'il s'agit d'un même honneur, d'un culte égal Car il n’a pas dit simplement : Celai qui n'honore point; mais: celui qui n'honore point en la manière que j'ai dit, n'honore point le Père.

Et comment, direz-vous, celui qui envoie et celui qui est envoyé sont-ils de -la même substance ? Quoi 1 vous revenez encore aux idées humaines et terrestres, et vous né faites pas attention que Jésus-Christ n'a dit toutes ces choses que pour nous faire connaître le principe, pour nous empêcher de tomber dans l'erreur de Sabellius, et pour guérir, par ce remède, la maladie des Juifs, qui étaient tentés de voir en lui un ennemi de Dieu; car ils disaient de lui : " Cet homme n'est point de Dieu; cet homme n'est pas venu de Dieu ? " C'est donc pour leur ôter ce soupçon qu'il ne se servait point tant de paroles élevées que de paroles humaines et grossières. S'il disait souvent qu'il avait été envoyé; ce n'était pas pour vous donner lieu de croire qu'il est inférieur au Père ; mais pour fermer la bouche aux Juifs. Voilà pourquoi souvent il s'autorise de son Père, tout en mêlant à ce témoignage sa propre autorité. S'il eût toujours parlé d'une [287] manière conforme à sa dignité, les Juifs n'auraient point reçu sa parole,- puisque souvent même, pour quelques paroles plus dignes de sa grandeur, ils le persécutaient et jetaient des pierres sur lui. Que si, en vue d'eux, il eût toujours dit des choses grossières et humiliantes, plusieurs, dans la suite, s'en seraient scandalisés, et cela aurait été préjudiciable à leur salut; c'est pour cette raison que le Sauveur mêle dans sa doctrine du grand et du simple: du simple, comme j'ai dit, pour imposer silence aux Juifs; du grand, pour dévoiler la dignité de sa personne et retirer de la basse idée qu'on avait de lui, ceux qui avaient du sens et de la raison, faisant assez connaître que les choses humaines et grossières qu'il disait, ne lui convenaient nullement : car être envoyé marque un. passage d'un lieu à un autre. ET DIEU EST PARTOUT.

Pourquoi dit-il donc qu'il a été envoyé ? Jésus-Christ use de paroles plus grossières lorsqu'il veut montrer sors unité de sentiment et de volonté avec le Père. Et c'est pour la même raison qu'il tempère ce qui suit : " En vérité, en vérité je vous dis que celui qui entend ma parole et croit à celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle (24) ". Ne remarquez-vous pas que, pour détruire entièrement ce soupçon des Juifs, qu'il était contraire à Dieu, il répète très-souvent la même chose qu'ici, et dans ce qui suit, et par les menaces, et par les promesses , il leur ôte tout lieu de contester et de chicaner; et qu'encore ici il se rabaisse extrêmement par la simplicité et la grossièreté des expressions dont il se sert? Il n'a point dit : Celui qui entend ma parole et qui croit en moi ; ils auraient regardé ces paroles comme fastueuses et dictées par une vaine jactance. En effet, si, après leur avoir donné tout le temps de le connaître, après avoir opéré tant de miracles, il s'exposait, en usant de paroles élevées, à se faire accuser par eux d'orgueil et de vanité, à combien plus forte raison en eût-il été de même alors. C'est pourquoi ils lui disaient : " Abraham est mort et les prophètes aussi; comment dites-vous : " Celui qui gardera ma parole ne mourra jamais? " (Jean, VIII, 51.) Ecoutez donc ce qu'il dit pour les empêcher de se laisser emporter à la colère : " Celui qui entend ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle ". Ils devaient être plus disposés à écouter, en l'entendant dire que ceux qui l'écoutaient croyaient au Père : admettant cela volontiers , ils devaient être plus portés dès lors à croire tout le reste. C'est ainsi qu'en disant quelque chose de simple et d'aisé à comprendre, Jésus préparait le chemin aux vérités plus élevées et plus sublimes.

Jésus-Christ dit : " Il a la vie éternelle "; à quoi il ajoute aussitôt : " Et il ne vient point en jugement, mais il est déjà passé de la mort à la vie ". Joignant ainsi ces deux choses ensemble, il gagne la confiance, il persuade, et parce qu'il disait qu'il fallait croire au Père, et parce qu'à celui qui croirait il lui promettait de grands biens. Au reste, ces paroles : " Il ne vient point en jugement ", signifient: il n'est point condamné, il n'est point puni; la " mort" ne doit point s'entendre de la mort naturelle, mais de la mort éternelle; et de même pour la vie, il ne s'agit point de la vie terrestre, mais de la vie immortelle.

" En vérité, en vérité, je vous dis que l'heure vient et qu'elle est déjà venue, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui l'entendront vivront (2) ". Jésus-Christ prouve ce qu'il dit par les oeuvres mêmes, car ayant dit : " Comme le Père ressuscite les morts et leur rend là vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît " ; afin qu'on ne pense pas que c'est par orgueil et par vanité qu'il parle de la sorte ; ce qu'il avance, il le prouve par les oeuvres en disant : " L'heure vient". Ensuite, pour que vous ne croyiez pas qu'il y aura beaucoup à attendre, il ajoute : " Et elle est déjà venue, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui l'entendront vivront ". Ne voyez-vous pas ici, mes frères, cette autorité et cette puissance ineffable? Ce qui arrivera dans la résurrection, dit-il, arrivé de même dès maintenant. Alors la voix éclatante de celui qui commande s'étant fait entendre, tous ressusciteront. " Au signal que Dieu aura donné", dit l'Ecriture, " les morts ressusciteront ". (I Thess. IV, 46.) Et qu'est-ce qui prouve, direz-vous, que ce ne sont point là de vaines et de fastueuses paroles? Ce qui suit : " L'heure est déjà venue ". Si Jésus-Christ n'avait prédit que des choses éloignées, on aurait été dans le doute et dans la défiance;.mais il fournit le moyen de vérifier ce qu'il avance. Moi demeurant, vivant avec vous, dit-il, cela arrivera. S'il n'eût pas eu le pouvoir de réaliser sa promesse, il n'aurait pas promis, de peur de paraître ridicule à [288] tout le monde. Ensuite, ce qu'il a dit, il l'explique par ces paroles : " Car, comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (26) "

3. Faites bien attention à ceci, mes frères, que Jésus-Christ établit l'égalité et met cette seule différence entre le Père et le Fils, que l'un est le Père, l'autre le Fils; car ce mot : " Il a donné ", met seul cette différence; mais il montre que tout le reste est égal et pareil. D'où il est visible que Jésus-Christ fait tout avec la même puissance et par la même vertu que le Père, et qu'il n'emprunte point d'ailleurs cette vertu. En effet, la vie, qu'il a, il l'a de même que le Père. Voilà pourquoi il ajoute encore ce qui suit, pour nous le faire comprendre. Quoi? " Et il lui a donné le pouvoir de juger (27) ".

Et pourquoi Jésus-Christ parle-t-il si fréquemment de la résurrection et du jugement? " Car "; dit-il, " comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne

la vie à qui il lui plaît ". Et, encore : " Le Père ne juge personne : mais il a donné au Fils tout pouvoir de juger ". Et derechef " Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même ". Et : " Ceux qui entendront la voix du Fils de Dieu, vivront". Et en cet endroit-ci : " Il lui a donné même le pouvoir de juger ". Pourquoi donc parle-t-il si souvent de ces choses, à savoir, du jugement, de la vie, de la résurrection? Parce que c'est là principalement ce qui peut toucher et amollir le coeur le plus dur et le plus obstiné. Celui, en effet, qui croit qu'il doit ressusciter, et qu'il sera puni de ses crimes, cette foi seule à la résurrection et au jugement, à défaut de tout témoignage visible, suffira sans doute pour qu'il accourre à Jésus-Christ, afin de se rendre son juge propice et favorable.

" Ne vous étonnez point que ce soit le Fils de l'homme (27) ". Paul de Samosate ne lit pas de même; voici comme il lit : " Il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme ". Mais le texte, lu de cette façon, n'a ni suite ni sens., Jésus-Christ n'a pas reçu ce pouvoir de juger, parce qu'il. est homme. Autrement, qu'est-ce qui empêcherait que tous les hommes ne fussent juges? Mais le Fils est engendré de l'ineffable substance du Père; voilà pourquoi,il est juge. Voici donc comment il faut lire : " Ne vous étonnez point que ce soit le Fils de l'homme ". Jésus-Christ paraissait à ses auditeurs dire des choses qui se contredisaient, et ils ne le regardaient que comme un homme;, toutefois, ses paroles leur semblaient être au-dessus de l'homme, ou plutôt au-dessus des anges, et ne pouvoir venir que d'un Dieu; pour résoudre donc l'objection et la détruire, il a ajouté : " Ne vous étonnez point que ce soit le Fils de l'homme, car le temps vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du, Fils de Dieu (28) : Et " ceux qui auront fait de bonnes oeuvres sortiront des tombeaux pour ressusciter à la vie; mais ceux qui en auront fait de mauvaises en sortiront pour ressusciter à leur condamnation ".

Et pourquoi n'a-t-il pas dit: Ne vous étonnez point que ce soit le Fils de l'homme, car il est, aussi le Fils de Dieu ; et n'a-t-il parlé que de la résurrection ? La qualité de Fils de Dieu, il, l'avait déjà établie plus haut en disant : " Il entendront la voix du Fils de Dieu ". S'il; l'omet; ici, n'en soyez pas surpris. Ayant parlé d'une couvre qui et propre à Dieu, il a laissé à ses auditeurs à inférer de là qu'il est et Dieu et Fils de bien. S'il t'eût souvent répété, il les aurait rebutés et rendus plus opiniâtres; mais confirmant ainsi sa doctrine par ses miracles, il amenait les Juifs à la recevoir avec moins de peine. C'est ainsi que souvent, dans le raisonnement, lorsqu'il suffit de poser les prémisses pour convaincre, on ne tire pas soi-même la conclusion, on dispose mieux l'auditeur, on remporte une plus glorieuse victoire, en forçant l'adversaire à tirer lui-même la conséquence : de cette Façon, ceux qui soutenaient l'opinion opposée ont moins de peine à donner raison à leur contradicteur.

Lorsque Jésus-Christ a parlé de la résurrection de Lazare, il n'a point fait mention du jugement, parce que ce n'est point pour ce sujet qu'il l'a ressuscité. Au contraire, lorsqu'il a parlé de la résurrection générale des morts, il a ajouté ceci : que ceux qui auront fait de bonnes oeuvres, ressusciteront pour vivre éternellement ; mais que ceux qui en auront fait de mauvaises, ressusciteront pour être condamnés. Saint Jean a stimulé de même son auditeur; soit en lui rappelant le jugement dernier, soit en disant que celui qui ne croit pas au Fils, ne verra point la vie, mais que la colère de Dieu demeurera sur lui. [289] (Jean, III, 26) De même Jésus-Christ a dit à Nicodème " Celui qui croit au Fils n'est pas condamné : mais celui qui ne croit pas est déjà condamné ". (Ibid. 18.) De même, ici encore, il fait mention et du jugement et du supplice auquel seront condamnés ceux qui auront fait le mal. Comme il avait dit auparavant : " Celui qui écoute ma parole, et qui croit à celui qui m'a envoyé, n'est point jugé (1)", de peur qu'on ne crût qu'il suffisait de croire pour être sauvé, il ajoute qu'on rendra compte de la vie : ceux qui auront fait de bonnes oeuvres; ressusciteront pour la vie : ceux qui en auront fait de mauvaises, ressusciteront pour, être condamnés. Comme donc il avait dit que tout le monde lui rendrait compte, et qu'à sa voix tous ressusciteraient, vérité .jusqu'alors certainement inconnue, à laquelle on ne s'attendait, pas, à laquelle encore aujourd'hui plusieurs ne croient point, même parmi ceux qui semblent y croire, et à plus forte raison les Juifs de ce temps : comme donc Jésus-Christ avait dit que tous lui rendraient compte, que, tous ressusciteraient, écoutez et observez de quelle manière il l'annonce pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs: " Je ne puis ", dit-il, " rien faire de moi-même, je juge selon ce que j'entends, et mon jugement est juste, parce que. je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé (30) ". Toutefois il n'avait pas donné une faible preuve de la résurrection, lorsqu'il guérit le paralytique. C'est pourquoi il n'en, a parlé qu'après avoir opéré cette guérison, qui ne différait pas beaucoup d'une résurrection : Quant au jugement, il y a fait allusion après avoir rétabli le corps du paralytique, en disant : " Vous voyez que vous êtes guéri, ne, péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire ". (Jean, V, 14.) Cependant il prédit, et la résurrection particulière de Lazare, et la résurrection générale. Et ayant prédit ces deux résurrections, celle de Lazare qui devait bientôt arriver, et celle de tous les hommes qui ne devait arriver que très-longtemps après, il confirme la proximité de la première par la guérison du paralytique, en disant: " L'heure vient, et elle est déjà venue", et il annonce la résurrection générale par celle de Lazare, exposant aux yeux des hommes une image des choses à venir dans celles qui se sont déjà passées. Nous le voyons

1. i.e. Condamné.

agir ainsi constamment : lorsqu'il fait deux ou trois prédictions; celle dont l'événement est le plus éloigné, il la persuade par ce qui est déjà arrivé.

4. Jésus-Christ, connaissant donc que les Juifs étaient extrêmement faibles et grossiers, ne s'est point contenté. des premières instructions qu'il leur avait déjà données, ni des premières œuvres qu'il avait opérées devant eux; mais, pour vaincre leur obstination et leur dureté, il ajoute à cela de nouvelles paroles, et dit : " Je ne puis rien faire de moi-même : Je juge selon ce que j'entends, et mon jugement est juste ; parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé ". Mais sa doctrine devait paraître nouvelle, étrangère, différente de celle que les prophètes avaient enseignée; car les prophètes disaient que c'est Dieu qui juge toute la terre, c'est-à-dire le genre humain: David le publie partout : " Il jugera ", dit-il, " les peuples dans l'équité " (Ps. XCV, 12) ; et " Dieu est un juge " également "juste, fort et patient" (Ps. VII, 12) ; tous les prophètes et Moïse le déclarent de même. Jésus-Christ, au contraire, disait: " Le Père ne juge personne mais il a donné au Fils tout pouvoir de juger". Comme donc cette doctrine pouvait troubler le Juif qui l'entendait, et le porter à soupçonner Jésus d'être contraire à Dieu, voilà, dis-je, pourquoi il se rabaisse si fort, c'est-à-dire autant que le demandait leur faiblesse, afin d'arracher jusqu'à la racine ce pernicieux soupçon de leur esprit; voilà pourquoi il dit : " Je ne puis, rien, faire de moi-même " ; c'est-à-dire, vous ne me verrez rien faire, ou vous ne m'entendrez rien dire qui soit contraire à la volonté du Père, qui soit différent de ce qu'il veut. De plus, comme il a dit auparavant qu'il était le Fils de l'homme et montré que les Juifs le prenaient pour un homme pur et simple, il fait de même en cet endroit. Comme donc encore, lorsqu'il dit ci-dessus : " Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu " (Jean, III, 11) ; et saint Jean : " Il rend témoignage de ce qu'il a vu, et personne ne reçoit son témoignage " (Ibid. 32); il parle d'une connaissance certaine et 'intime du Père à l'égard du Fils, et du Fils à l'égard du Père, et non pas simplement de celle qu'on acquiert par l'ouïe et par la vue; de même ici, par l'ouïe il n'entend autre chose, sinon qu'il ne peut faire [290] que ce que veut le Père. Mais il ne l'a pas expliqué si clairement, parce que s'il l'avait ouvertement déclaré, les Juifs auraient été incapables encore d'ajouter foi à ses paroles.

Mais de quelle manière s'énonce-t-il? En des termes très-simples et très-humains : " Je juge selon ce que j'entends ", il ne fait pas mention d'enseignement de la doctrine; il ne dit pas : selon ce qu'on m'enseigne, mais: " selon ce que j'entends ". Et encore ce n'est pas qu'il ait besoin d'entendre; car non-seulement il n'avait pas besoin d'être instruit, mais pas même d'entendre. Par ces paroles donc, il ne montre autre chose, sinon la parfaite union qui est entre le Père et le Fils, et l'identité de leur jugement ; c'est comme s'il disait : je juge de même que si c'était le Père qui jugeât. Après quoi Jésus-Christ ajoute : " Et je sais que mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé (30) ". Que dites-vous, Seigneur? Avez-vous une autre volonté que la volonté du Père?, Ailleurs, vous avez dit : " Comme vous et moi nous sommes un ". (Jean, XVII, 21, 22.) Et encore, parlant de la volonté et de l'union : " Comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous; qu'ils soient de même un en nous (Ibid.) ", c'est-à-dire, par la foi en nous.

Ne remarquez-vous pas, mes frères, que ce qui paraît le plus simple, renferme sous cette écorce un sens sublime et très-élevé? Voici ce que Jésus-Christ nous apprend : il nous fait connaître que la volonté du Père n'est point différente de la sienne : la volonté du Père; dit-il, et la mienne sont aussi bien une que celle d'une seule âme est une. Et ne vous étonnez pas s'il dit que cette union est étroite à ce point, puisque saint Paul, parlant On Saint-Esprit, se sert du même exemple, et dit: " Qui des hommes connaît ce qui est en l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? Ainsi nul ne tonnait ce qui est en Dieu, que l'Esprit de Dieu". ( I Cor. II, 11.) Jésus-Christ ne veut donc dire autre chose, sinon ceci : Je n'ai point de volonté propre, ni d'autre volonté que la volonté du Père mais s'il veut quelque chose , je le veux aussi, et si je veux quelque chose, il le veut de même. Comme donc personne ne peut blâmer le Père dans ses jugements, personne ne peut me blâmer dans les miens : la même pensée forme et produit l'un et l'autre jugement. Que si, en disant ces choses , Jésus-Christ emprunte la manière de parler des hommes, n'en soyez pas surpris; c'est parce que les Juifs le prenaient pour un homme ordinaire. C'est pourquoi, dans ces endroits, il ne faut pas seulement faire attention aux paroles, mais encore à l'opinion des hommes , et regarder la réponse comme étant donnée en conformité de cette opinion : autrement il s'ensuivrait bien des absurdités.

Observez ceci, je vous prie. Le Sauveur a dit: " Je ne cherche point ma volonté ". Il a donc une autre volonté , et de beaucoup inférieure; et non-seulement inférieure, mais aussi moins utile. Si cette volonté est salutaire et conforme à celle du Père, pourquoi ne la cherchez-vous pas? Les hommes peuvent dire cela avec justice, eux qui ont plusieurs volontés contraires à la volonté de Dieu : mais vous, pourquoi parlez-vous de la sorte, vous qui êtes en tout égal et semblable au Père? Ce langage ne convient pas même à un homme parfait, à un crucifié. Saint Paul se lie et s'unit si étroitement à la volonté de Dieu, qu'il dit: " Je vis, " ou plutôt ce n'est plus moi qui vis ; mais " c'est Jésus-Christ qui vit en moi ".(Gal. II, 20); comment le Maître de tout le monde a-t-il pu dire: " Je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé ", comme s'il s'agissait d'une autre volonté ? Quelle explication donc faut-il donner à ces paroles? Celle-ci: Jésus-Christ parle comme homme, et selon l'opinion de ses auditeurs. Comme il a parlé ci-dessus tantôt comme Dieu , et tantôt comme homme, il dit encore ici, comme homme: " Mon jugement est juste ". Et d'où cela parait-il ? De ce qu'il dit: " Parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté

de celui qui m'a envoyé ". En effet, comme on ne peut justement accuser un homme qui est exempt de passion d'avoir jugé contre les règles de. la justice; de même à présent vous ne pouvez nie faire aucun reproche. Que celui qui veut établir sa fortune, on le soupçonne d'avoir foulé aux pieds la justice, peut-être y a-t-il quelque raison , quelque fondement? mais celui qui ne cherche pas ses propres intérêts, quelle raison mirait-il de juger injustement ? Servez-vous donc de ce raisonnement pour juger de ma doctrine et de mes oeuvres. Encore si je disais que je n'ai pas été envoyé par le Père, et si je ne lui rapportais pas la gloire de mes actions, peut-être quelqu'un de [291] vous pourrait-il penser que je me vante, et que je ne dis pas la vérité? Mais si tout ce que je fais, je le rapporte à un autre, pourquoi ma parole vous serait-elle suspecte? Ne voyez-vous pas où en vient Jésus-Christ, et comment il prouve que son jugement est juste par un argument d'un usage vulgaire et général ? Ne voyez-vous pas avec quelle clarté et quelle lumière se montre ce que j'ai souvent dit? Et qu'est-ce que j'ai dit ? Que l'excès même de grossièreté qu'il y a souvent dans les paroles du Sauveur est justement ce qui porte les . hommes de sens à ne point s'arrêter aux basses idées qu'elles présentent d'abord, et à les expliquer dans un sens plus élevé et plus sublime; par là, ceux qui maintenant rampent à terre, sont amenés peu à peu, et sans peine, à s'élever plus haut.

5. Faisons attention à toutes ces choses, je vous prie, et, dans la lecture de l'Ecriture sainte, n'omettons rien, ne passons pas la moindre parole ; mais examinons tout avec soin, et considérons bien la raison de chaque parole. Ne croyons pas pouvoir nous excuser sur notre ignorance ou sur notre simplicité. Jésus-Christ ne nous a pas seulement ordonné d'être simples , mais encore d'être prudents (Matth. X, 16.) Usons donc de simplicité, mais joignons à cela la prudence, soit dans l'étude de la doctrine, soit dans nôs actions, et jugeons-nous nous-mêmes, afin qu'au jour du jugement nous ne soyons pas condamnés avec ce monde (I Cor. XI, 31, 32). Tels que nous désirons que Notre-Seigneur soit à notre égard , tels soyons nous-mêmes à l'égard de nos serviteurs. " Remettez-nous nos dettes " , dit l'Ecriture , " comme nous les remettons à ceux qui nous doivent". (Matth. VI,12.) Je le sais fort bien, que le coeur ne souffre pas volontiers les injures; mais si nous faisons réflexion qu'en les supportant courageusement, ce n'est pas pour celui qui nous offense que nous agissons, mais pour nous-mêmes, promptement nous chasserons le poison de la colère. En voici un exemple: Celui qui ne remit pas à son débiteur sa dette de cent deniers (Matth. XVIII , 24) , ne fit pas tort au prochain, niais il se rendit lui-même débiteur de cent mille talents dont on venait de lui remettre la dette.

Ainsi, lorsque nous ne pardonnons pas aux autres, c'est à nous-mêmes que nous refusons le pardon. Ne disons donc pas seulement à Dieu: Seigneur, ne vous souvenez point de nos offenses; mais disons-nous aussi chacun de nous à nous-mêmes: Ne nous souvenons pas des offenses de nos compagnons. Vous êtes votre premier juge , Dieu ne l'est qu'après vous. Vous-même vous écrivez la loi qui vous absout ou qui vous condamne: vous-même vous prononcez la sentence d'absolution ou de condamnation; il dépend donc de vous que Dieu se souvienne de vos péchés, ou qu'il ne s'en souvienne pas. Voilà pourquoi saint Paul commande de remettre et de pardonner, si l'on a quelque grief contre quelqu'un (I Cor. VI) ; et non-seulement de tout remettre , de tout oublier, mais encore d'étouffer tout ressentiment, en sorte qu'il n'en reste pas la moindre étincelle. Jésus-Christ non-seulement n'a pas publié nos péchés, mais il ne nous en a même pas rappelé le souvenir; il ne nous a pas dit: Vous avez péché en cela et en cela; mais il nous à pardonné, il a effacé la cédule qui nous était contraire (Col. II, 14), il n'a pas même tenu compte de nos péchés, comme le déclare saint Paul.

Faisons de même, mes frères; effaçons tout de notre esprit. Si celui qui nous a offensés nous a fait quelque bien , n'ayons égard qu'à ce bienfait; s'il nous a fait du mal, éloignons-en le pénible souvenir, effaçons-le, qu'il n'en reste pas la moindre trace dans notre mémoire. S'il ne nous a jamais fait aucun bien , et que nous lui pardonnions alors généreusement son offense, la récompense et la louange que nous obtiendrons en retour en seront d'autant plus grandes. D'autres expient leurs péchés par les veilles, en couchant sur la dure, et par mille autres macérations; pour vous, vous pouvez laver tous vos crimes par une voie plus aisée , à savoir., par l'oubli des injures. Pourquoi, comme un furieux et un insensé , vous plongez-vous le poignard dans le sein, et vous excluez-vous vous-même de la vie éternelle, au lieu de faire tous vos efforts pour l'acquérir? Si la vie actuelle vous paraît si désirable , que direz-vous donc de celle d'où sont bannies là douleur, la tristesse, les larmes (Apoc. XX, 4)? où l'on n'a point à craindre la mort , ni la perte des biens que l'on possède? Heureux, et trois fois heureux ceux qui jouissent de ce bienheureux partage ! Malheureux, et mille fois malheureux ceux qui se privent eux-mêmes de ce bonheur!

Et qu'est-ce qui nous procurera cette vie? demanderez-vous. Ecoutez ce que répondit [292] notre juge à un jeune homme qui lui faisait cette question : " Quel bien faut-il que je fasse " pour acquérir la vie éternelle? " (Matth. XIX, 16.) Jésus-Christ, après lui avoir énuméré les autres commandements, finit par celui de l'amour du prochain. Peut-être quelqu'un de mes auditeurs me répondra comme cet homme riche : Nous avons gardé tous ces commandements, nous n'avons point dérobé, nous n'avons point tué, nous n'avons point commis d'adultère : mais vous ne pourrez pas dire que vous ayez aimé votre prochain, comme vous le deviez; car, ou vous lui avez porté envie, ou vous l'avez outragé, ou vous ne l'avez pas secouru quand on l'a maltraité, ou vous ne lui avez pas fait part de vos biens : vous ne l'avez pas aimé. Au reste, ce n'est point là seulement ce que Jésus-Christ commande; il y a une autre chose encore, et quoi? " Vendez tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres : puis venez et suivez-moi ". (Matth. XIX, 21.) C'est-à-dire : Imitez-moi dans votre conduite.

Qu'apprenons-nous de là? Premièrement, que celui qui n'a pas toutes ces qualités et ne possède pas toutes ces vertus, ne pourra point être placé dans le royaume des cieux au rang des premiers. Ce jeune homme ayant répondu : J'ai gardé tous ces commandements, comme s'il lui manquait encore quelque chose de grand pour atteindre à la perfection, Jésus lui dit : " Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres : puis venez et suivez-moi ". Voilà donc ce qu'il faut premièrement, apprendre; secondement, que Jésus le reprit de s'être donné de vaines louanges. En effet, cet homme qui avait de grands biens, et qui laissait les pauvres dans la détresse, comment aurait-il aimé son prochain ? Il ne disait donc pas vrai.

Mais nous, sachons remplir toutes nos obligations , et répandons tous nos biens pour acquérir le ciel. Si quelques-uns prodiguent tous leurs biens pour se procurer une dignité séculière, une dignité, dis-je qu'on ne peut posséder que dans cette vie, et encore fort peu de temps: car longtemps avant leur mort plusieurs ont été dépouillés de leur magistrature; d'autres, à l'occasion de cette charge, ont même perdu la vie; on le sait, et toutefois on emploie tout pour s'y élever: si donc il n'est rien, qu'on ne tente pour acquérir ces sortes de dignités, quoi de plus misérable que nous, qui ne voulons pas faire la moindre dépense, ni donner ce que nous allons perdre dans peu et laisser ici-bas, pour acquérir une dignité permanente, éternelle, et qu'on ne pourra jamais nous ravir? Quelle étrange manie ! ce qu'on va nous arracher malgré nous, nous ne voulons pas le donner de bon gré, et l'emporter avec nous? Ah ! certes, si quelqu'un, nous conduisant à la mort, nous proposait de racheter notre vie pour tous nos biens, nous l'accepterions bien vite, et nous ferions encore de grands remerciements. Et maintenant que, près d'être plongés dans les abîmes de l'enfer, on nous propose de nous en racheter, en donnant seulement la moitié de nos biens, nous aimons mieux être ensevelis dans ce lieu de supplices, et garder inutilement ce qui ne nous appartient pas, pour perdre ce qui est véritablement à nous. Quelle excuse aurons-nous à donner? Quelle pitié, quelle compassion mériterons-nous, si, ayant négligé d'entrer dans ce chemin aisé et facile; qui se présentait si heureusement à nous, nous aimons mieux nous précipiter dans la fatale route qui conduit à l'abîme, et nous priver nous-mêmes de tous les biens de cette vie et de tous ceux de la vie future, lorsque nous aurions pu. librement jouir et des uns et des autres? Mais si, jusqu'à présent, nous n'avons point réfléchi sur ces importantes vérités, rentrons du moins maintenant en nous-mêmes, et faisons sagement une juste dispensation des biens présents, afin que nous puissions facilement acquérir les biens à venir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

 

HOMÉLIE XL.
SI JE RENDS TÉMOIGNAGE DE MOI, MON TÉMOIGNAGE N'EST PAS VÉRITABLE. — IL Y EN A UN AUTRE QUI REND TÉMOIGNAGE DE MOI : ET JE SAIS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VÉRITABLE. (VERS. 31, 32, JUSQU'AU VERS. 38.)
ANALYSE.

293

1. Explication très-simple et très-satisfaisante d'un texte qui, au premier abord, semble difficile.

2. Témoignage de, Jean en faveur de Jésus-Christ, et témoignage des oeuvres de Jésus-Christ.

3. Témoignage de Dieu le Père.

4. Combattre les hérétiques par les saintes Ecritures. — L'avarice est la racine de tous les maux : belle peinture des maux que cause ce vice. — Nul ne peut servir deux maîtres : Dieu et les richesses. — De quelle manière il faut faire l'aumône. — Combien le jugement dernier sera rigoureux pour ceux qui ont été inhumains et cruels envers les pauvres.

1. Si un homme ignorant dans l'art de fouiller dans les mines, s'avise d'en ouvrir une et d'y vouloir travailler, au lieu de s'enrichir, il ne fera que tout brouiller au hasard, et son travail sera infructueux, ou plutôt très-nuisible : de même, ceux qui ne connaissent pas l'enchaînement des choses que contiennent les livres sacrés, qui n'examinent point la propriété des paroles et du langage, et n'observent pas les règles, mais qui se contentent de tout parcourir uniformément, ceux-là mêlent l'or avec la terre, et ne trouveront jamais le trésor qu'elle garde en dépôt dans son sein.

Je dis ceci, mes frères, parce que le texte qu'on nous propose est à la vérité tout d'or; mais cet or, loin d'être apparent, est, au contraire, caché à de grandes profondeurs. C'est pourquoi il faut, en fouillant et en déblayant, tâcher de pénétrer jusqu'au vrai sens. Qui est-ce, en effet, qui ne sera pas sur-le-champ saisi et tout troublé en entendant Jésus-Christ dire : " Si je rends témoignage de moi, mon " témoignage n'est pas véritable? " En effet, il rend souvent témoignage de lui-même : il a dit à la Samaritaine : " C'est moi-même qui vous parle " (Jean, VI, 26); il a dit à l'aveugle-né : " C'est celui-là même qui parle à vous " (Jean, IX, 37) ; et faisant une réprimande aux Juifs, il leur dit : " Pourquoi dites-vous que je blasphème, parce que j'ai dit que je suis Fils de Dieu ? " (Jean, X, 36), et de même en plusieurs autres endroits. Or, si toutes ces choses étaient des mensonges, quelle espérance pourrions-nous avoir de nous sauver? où donc trouverons-nous la vérité, puisque celui qui est 1a vérité même, dit

" Mon témoignage n'est pas véritable ? " Et ce n'est pas seulement ce texte qui semble en contradiction avec le précédent; il y en a un autre encore qui ne le paraît pas moins. Jésus-Christ dit, dans la suite : " Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable ". (Jean, VIII, 24.) Lequel donc de ces deux textes recevrai-je ? Lequel des deux croirai-je aux? Si nous les admettons indifféremment sans examiner quelle est la personne qui parle, quel est le sujet, et toutes les autres circonstances, ils se trouveront faux l'un et l'autre. Si le témoignage de Jésus-Christ n'est pas véritable, ceci ne l'est pas non plus; et le premier texte, pas plus que le second.

Quel est donc ici le sens? Nous avons besoin de beaucoup de vigilance et d'attention, ou plutôt de la grâce de Dieu, pour ne pas nous arrêter à l'écorce et à la lettre toute nue. C'est ainsi que se trompent les hérétiques, faute d'examiner quel est le but, quelle est l'intention de celui qui parle; et aussi quel est l'esprit, quelles sont les dispositions de ceux à qui [294] l'on adresse la parole. Si nous ne faisons donc attention à ces deux choses, à la personne qui parle et à ceux à qui on parle, et même à d'autres encore, comme au temps, au lieu, à l'esprit et aux dispositions des auditeurs, il s'ensuivra bien des absurdités. Que signifient donc ces paroles qu'on vient d'exposer? Les Juifs ne pouvaient manquer de dire : " Si vous rendez témoignage de vous-même, votre témoignage n'est pas véritable ". Voilà pourquoi Jésus-Christ les arrête tout court et les prévient, en leur disant, à peu de choses près Vous me direz sans doute, nous ne vous croyons point : car parmi les hommes nul ne croit celui qui se rend témoignage à lui-même. Il ne faut donc pas passer légèrement sur ce mot : " Il n'est pas véritable ", mais il faut sous-entendre : selon leur opinion ; c'est comme s'il disait : selon vous, il n'est pas véritable. Jésus-Christ ne dit donc rien de contraire à sa dignité, mais il parle selon leur opinion. Et quand il dit : " Mon témoignage n'est pas véritable ", il leur reproche leur sentiment, et prévient l'objection qu'ils lui allaient faire. Mais lorsqu'il dit : " Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable ", il découvre la vérité, telle qu'elle est, à savoir, qu'étant Dieu, il faut le croire digne de foi, lors même qu'il se rend témoignage à lui-même. Ayant prédit la résurrection des morts et le jugement, ayant dit que celui qui croit en lui n'est pas condamné, mais qu'il est déjà passé de la mort à la vie, qu'assis à son tribunal il fera rendre compte à tous les hommes de toutes leurs oeuvres, et qu'il a la même puissance et la même vertu que le Père, pour confirmer toutes ces vérités par de nouveaux arguments, il est dans l'obligation d'exposer premièrement l'objection des Juifs.

Et voici comment il le fait : j'ai dit que " comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ". (Jean, V, 21.) J'ai dit que " le Père ne juge personne; mais qu'il a donné au Fils tout pouvoir de juger ". (Jean, V, 22.) J'ai dit qu' " il faut honorer le Fils comme on honore le Père ". (Jean, V, 23.) J'ai dit que " celui qui n'honore point le Fils, n'honore " point le Père ". (Jean, V, 23.) J'ai dit que " celui qui entend ma parole, et qui y croit, ne mourra point, mais qu'il est déjà passé de la mort à la vie ". (Jean, V, 24.) J'ai dit que ma voix ressuscitera les morts, dès maintenant et dans la suite (Jean, V, 25). J'ai dit que je ferai rendre compte de tous les péchés (Jean, V, 28, 29). J'ai dit que je jugerai justement, et que je récompenserai ceux qui auront fait de bonnes oeuvres (Jean, V, 30): Comme donc Jésus-Christ avait dit tout ce que nous venons d'exposer; comme tout ce qu'il avait dit était certainement grand et important, et qu'il n'en avait néanmoins point encore donné de preuves claires et évidentes, mais qu'il avait tout laissé dans l'obscurité; il propose d'abord ce qu'on objectait, pour venir ensuite à la véritable preuve de ce qu'il a avancé; c'est comme s'il parlait ainsi, quoiqu'en d'autres termes : Peut-être direz-vous vous dites toutes ces choses, mais vous n'êtes pas un témoin digne de foi, vous qui vous rendez témoignage à vous-même.

Voilà donc comment Jésus-Christ résout d'abord la difficulté que faisaient les Juifs: il la résout en leur découvrant ce qu'ils voulaient opposer, en leur faisant connaître qu'il voit ce qu'il y a de plus caché dans leur coeur, et en leur donnant cette première preuve de sa vertu et de sa puissance; enfin, après avoir exposé leur objection et y avoir satisfait, il leur apporte d'autres preuves claires, évidentes et invincibles; c'est en leur présentant trois témoins : ses oeuvres, le témoignage du Père et la prédication de Jean-Baptiste. De ces trois témoignages, il leur présente le plus faible le premier, savoir: celui de Jean-Baptiste. Il avait dit : " Il y en a un. autre qui rend témoignage de moi : et je sais que son témoignage est véritable (31) " ; il ajoute : " Vous avez envoyé vers Jean; et il a rendu témoignage à la vérité (33) ". Mais si votre témoignage n'est pas véritable, comment dites-vous vous-même : le témoignage de Jean est véritable : " Et il a rendu témoignage à la vérité? " Cela seul, mes frères, ne vous fait-il pas clairement voir que Jésus-Christ a dit : " Mon témoignage n'est pas véritable ", en se plaçant au point de vue des Juifs ?

2. Mais, direz-vous, n'est-ce point par complaisance que Jean a rendu témoignage? Jésus-Christ ôte ce soupçon, et il empêche les Juifs de tenir ce langage. Voyez comment : il n'a point dit d'abord : Jean a rendu témoignage de moi; mais auparavant il a dit : Vous avez envoyé à Jean; or, vous n'auriez pas député vers lui, si vous ne l'eussiez jugé digne [295] de foi. Et ce qui est encore plus grand et plus considérable, c'est qu'ils ne l'envoyèrent pas questionner sur Jésus-Christ, mais sur lui-même; or, celui qu'ils regardaient comme un homme digne de foi, dans le témoignage qu'il porterait de lui-même, à plus forte raison le tenaient-ils pour tel dans celui qu'il rendrait d'un autre. Il est de coutume, parmi nous autres mortels, de ne pas croire autant ceux qui parlent d'eux-mêmes, que ceux qui parlent d'autrui. Mais pour Jean-Baptiste, ils le croyaient si sincère et si digne de créance, que lors même qu'il parlait de foi, il n'avait besoin d'aucun autre témoignage. Et en effet, les députés ne lui firent pas cette demande Que dites-vous de Jésus-Christ? Mais . " Qui êtes-vous? Que dites-vous de vous-même? " Tant était grande leur considération et leur admiration pour lui ! Jésus-Christ donc fait allusion à tout cela, en disant : " Vous avez envoyé à Jean ". Voilà pourquoi aussi l'évangéliste ne dit pas seulement que les Juifs avaient envoyé à Jean ; mais encore il marque, en termes exprès, que les députés étaient des prêtres et des pharisiens, des hommes considérables, incapables de se laisser corrompre ou tromper, et parfaitement en état de bien entendre sa réponse.

" Pour moi ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage (34) ". Pourquoi recevez-vous donc le témoignage de Jean? C'est que sûrement son témoignage n'était pas. le témoignage d'un homme. " Celui ", dit Jean-Baptiste, " qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit ". (Jean, I, 33.) Ainsi le témoignage de Jean était le témoignage de Dieu : ce qu'il disait, il l'avait appris de Dieu. Mais afin que les Juifs ne disent pas : où est la preuve que ce que Jean a dit? il l'a appris de Dieu, et que de là ils ne prissent occasion d'une nouvelle dispute, Jésus-Christ leur ferme absolument la bouche, en se plaçant encore au point de vue de leur opinion. Car il n'y avait nulle apparence que bien des gens connussent que Jean était l'organe de Dieu; mais ils l'écoutaient comme parlant de lui-même sans autre impulsion. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit : " Pour moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage ".

Mais si vous ne deviez pas recevoir le témoignage d'un homme, et si vous ne vouliez pas vous en servir, pourquoi avez-vous produit ce témoignage? De peur donc que les Juifs ne lui fissent cette objection, il la prévient, voyez comment : Après avoir dit : " Ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage ", il ajoute : " Mais je dis ceci afin que vous soyez sauvés ". C'est-à-dire : Je. n'avais pas besoin du témoignage d'un homme, étant Dieu; mais comme vous n'avez des yeux et des oreilles que pour Jean, que vous le croyez le plus digne de foi de tous les hommes ; que vous accourez à lui comme à un prophète (toute la ville allait en foule le trouver auprès du Jourdain), et que moi, vous ne m'avez pas cru, lors même que j'ai opéré des miracles : voilà pourquoi je vous apporte ce témoignage.

" Jean était une lampe ardente et luisante, et vous avez voulu vous réjouir pour un peu de temps à la lueur de sa lumière(35)".De peur que les Juifs ne répliquassent : Et bien, Jean a rendu témoignage de vous, mais nous n'avons pas reçu son témoignage; Jésus-Christ fait voir qu'ils l'ont reçu. Car il n'avait pas député à Jean des hommes du commun, mais des prêtres et des pharisiens; tant ils admiraient cet homme, et étaient incapables de résister à ses paroles ! Ce mot : " Pour un peu de temps", marque leur légèreté et leur extrême inconstance, en ce qu'ils l’avaient si tôt quitté et si promptement oublié.

" Mais pour moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean (36) ". Si vous vouliez recevoir la foi en considérant l'admirable enchaînement des choses qui se passent devant vous, je vous y aurais bien mieux et plus facilement amenés par mes oeuvres ; mais comme vous ne le voulez pas, je vous renvoie à Jean, non que j'aie besoin de son témoignage,. mais parce que je fais tout pour procurer votre salut : J'ai dans mes oeuvres un témoignage plus grand que celui de Jean. Mais je ne cherche pas seulement, pour me recommander à vous, des témoins dignes de foi, mais encore des témoins connus et vénérés parmi vous. Ainsi, après les avoir repris par ces paroles : " Vous avez voulu vous réjouir pour un peu de temps à la lueur de sa lumière ", et leur avoir fait connaître que leur zèle n'avait été qu'un feu volage et passager, il appelle Jean une lampe, pour leur montrer que la lumière qu'il avait ne venait pas de lui, mais de la grâce du Saint-Esprit. Toutefois, il n'a pas encore marqué en quoi il différait de Jean, à savoir qu'il était lui-même le soleil de justice ; mais l'ayant seulement [296] insinué, il les réprimande vivement et fait voir que s'ils n'avaient pas su croire en-lui, cela provenait de la même disposition d'esprit et de coeur, qui les avait portés à mépriser Jean. Car ils n'avaient admiré Jean que " pour un peu de temps " : s'ils n'avaient pas été si légers et si inconstants, Jean les aurait bientôt amenés à Jésus-Christ.

Après avoir ainsi montré que les Juifs sont tout à fait indignes de pardon, Jésus-Christ ajoute : " Mais pour moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean ". Lequel? Celui des oeuvres. " Car les oeuvres ", dit-il, " que mon Père m'a donné pouvoir de faire, les oeuvres ", dis-je, " que je fais, rendent témoignage de moi que c'est mon Père qui m'a envoyé ". Par là, il rappelle la guérison du paralytique et de plusieurs autres. A l'égard du témoignage de Jean, peut-être quelqu'un aurait-il pu le soupçonner d'emphase et de complaisance, bien qu'il ne convînt guère de parler ainsi de Jean, de cet homme si sage, si appliqué à la philosophie, qui excitait parmi eux tant d'admiration? mais les oeuvres ne pouvaient donner prise aux mêmes soupçons, même de la part des hommes les plus insensés. Voilà pourquoi Jésus-Christ apporté un autre témoignage en disant : " Les oeuvres que mon Père m'a donné pouvoir de faire, les oeuvres ", dis-je, " que je fais, rendent témoignage de moi que c'est mon Père qui m'a envoyé ". Ici Jésus-Christ repousse et anéantit l'accusation de n'avoir pas gardé le sabbat. (Jean, IX, 16.) Les Juifs disaient: Comment cet homme serait-il de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat? Voilà pourquoi il dit : "Les oeuvres que mon Père m'a donné pouvoir de faire ", quoiqu'il agît par sa propre autorité; mais il voulait prouver plus fortement qu'il ne faisait rien de contraire au Père; c'est pourquoi il ne craint point d'employer ce langage qui le rabaisse.

3. Et pourquoi, direz-vous, n'a-t-il pas dit : Les oeuvres que mon Père m'a donné pouvoir de faire rendent témoignage que je suis égal au Père? Certainement par les oeuvres on pouvait facilement connaître ces deux vérités, et qu'il ne faisait rien de contraire à son Père, et qu'il était égal à son Père; ce qu'il prouve ailleurs quand il dit : " Si vous ne me croyez pas, croyez à mes œuvres, afin que vous sachiez et que vous croyiez que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi " (Jean, X, 38) ; ses oeuvres donc rendaient. témoignage de ces deux choses, et qu'il était égal à son Père, et qu'il ne faisait rien de contraire à son Père. Pourquoi donc n'a-t-il pas ouvertement déclaré tout ce qu'il est, et a-t-il omis ce qu'il y a de plus grand en lui pour ne découvrir que ce qui l'est moins? Parce que c'était premièrement là de quoi il s'agissait. Quoiqu'il fût beaucoup moins grand pour lui qu'on le crût envoyé de Dieu, qu'égal à Dieu (les prophètes, en effet, avaient prédit sa mission, mais non son égalité), toutefois il a grand soin d'insister sur ce titre inférieur, sachant bien que ce point, une fois accordé, le reste sera désormais admis sans difficulté; il omet donc ce qu'il y a da plus grand, et parle seulement de ce qui l'est moins, afin que la première de ces choses passât à l'a faveur de l'autre. Après quoi, il ajoute encore : " Mon Père qui m'a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi (37) ". Où l'a-t-il rendu, ce témoignage ? Sur le Jourdain, lorsqu'il a dit : " C'est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ". (Matth. III, 17.) Mais ce témoignage n'était pas bien clair, il avait besoin de quelque explication ; celui de Jean, au contraire, était manifeste : les Juifs avaient eux-mêmes député vers lui, et ils ne pouvaient le nier; les miracles aussi étaient évidents : ils les avaient eux-mêmes vu opérer; ils avaient ouï parler de la guérison du paralytique, et ils y avaient cru; c'est même pour cela qu'ils accusaient Jésus-Christ de n'avoir pas gardé le sabbat. Enfin il ne manquait plus que d'apporter le témoignage du Père; pour le produire Jésus-Christ a ajouté : " Vous n'avez jamais ouï sa voix ". Comment donc Moïse dit-il.: Dieu parlait, Moïse a répondu? ( Exod. XX, 19.) Comment David dit-il: " Il entendit une voix qui lui était inconnue?" (Ps. LXXX, 6.) Moïse dit encore : S'il y a un " peuple qui ait entendu la voix de Dieu ". (Deut. IV, 33.)

" Ni vu sa figure ". Et toutefois il est écrit d'Isaïe, de Jérémie, d'Ezéchiel et de plusieurs autres qu'ils ont vu Dieu. Que fait donc maintenant Jésus-Christ? Il élève ses disciples à la plus haute et à la plus sublime philosophie, leur montrant insensiblement que dans Dieu il n'y a ni voix, ni figure, et qu'il est au-dessus et des sons, et de ces sortes de figures qu'ils imaginaient; comme en disant: "Vous n'avez jamais ouï sa voix ", il ne veut pas dire que le Père parle et qu'on ne l'entend pas; de [297] même, lorsqu'il dit: "Vous n'avez point vu sa a figure", il ne veut pas dire qu'ira une figure, et que néanmoins on ne la voit pas, tuais il entend que Dieu n'a pas plus de figure que de voix, ni quoi que ce soit de pareil. Afin donc que les Juifs ne disent pas : C'est vainement que vous vous vantez, Dieu n'a parlé qu'à Moïse seul (ils disaient en effet : " Nous savons que Dieu a parlé à Moïse, mais pour celui-ci nous ne savons d'où il est " (Jean, IX,. 29) ; Jésus-Christ dit ces choses pour leur apprendre qu'en Dieu il n'y a ni voix, ni figure. Mais que dis-je? Non-seulement vous n'avez point entendu sa voix, ni vu sa figure,. mais encore ce dont vous vous glorifiez tant, ce dont vous êtes si fiers, à savoir, d'avoir reçu ses commandements, et, de les observer, vous ne pouvez pas même vous en prévaloir, et voilà pourquoi il ajoute : " Et sa parole ne demeure point en vous (38)"; c'est-à-dire, ses commandements, ses préceptes, sa loi, ses prophètes. Véritablement Dieu a donné ces choses, mais elles ne demeurent point en vous, puisque vous ne croyez pas en moi. Partout et à tous moments les Ecritures répètent qu'il faut croire en moi, et vous, cependant, vous n'en faites rien; il est donc évident que sa parole s'est retirée de vous; aussi, Jésus-Christ ajoute encore : " Parce que vous ne croyez point à celui qu'il a envoyé " .

Ensuite, de peur que les Juifs ne répliquent Si nous n'avons pas entendu sa voix, comment a-t-il rendu témoignage de vous? Jésus-Christ dit : " Lisez avec soin les Ecritures, car ce sont " elles qui rendent témoignage de moi. (39) " ; par où il leur insinue que c'est dans lés Ecritures que Dieu a rendu témoignage de lui. En effet, et sur le Jourdain, et sur là montagne, ce témoignage avait été rendu; mais Jésus-Christ ne rapporte point les paroles que le Père fit entendre, peut-être ne l'auraient-ils pas cru. Car la voix que le Père avait fait entendre sur la montagne, ils ne l'avaient pas ouïe, et celle qu'il avait fait entendre sur le Jourdain, s'ils l'avaient ouïe, ils n'y avaient point fait d'attention. Voilà pourquoi il les renvoie aux Ecritures, leur faisant connaître que c'est là qu'ils trouveront le témoignage du Père. Mais auparavant il détruit leurs anciennes prétentions, comme d'avoir vu Dieu, ou d'avoir entendu sa voix. Jésus-Christ donc renvoie les Juifs au témoignage des Ecritures, parce qu'il était vraisemblable qu'ils ne croiraient pas à la voix du Père qu'il leur citait, et qu'ils s'imagineraient qu'il voulait parler de ce qui était arrivé sur le mont Sina. Mais auparavant il corrige le sentiment qu'ils pouvaient s'être formé à ce sujet, en leur faisant connaître que Dieu en avait usé de la sorte par condescendance et par bonté.

4. Nous aussi, mes frères, lorsque nous avons à combattre les hérétiques et à nous armer pour défendre la vérité contre eux, prenons nos armes dans les saintes Ecritures. " Car ", dit l'apôtre, " toute Ecriture qui est inspirée de Dieu est utile, pour instruire, pour reprendre, pour corriger et pour conduire à la piété et à la justice, afin que l'homme de Dieu soit parfait; étant propre et parfaitement préparé à tout bien ". (II Tim. III, 16, 17.) Mais il ne faut pas que l'athlète qui doit entrer en lice n'ait qu'une seule partie des armes, et soit dépourvu de l'autre; il ne serait pas alors parfaitement préparé. De quelle utilité serait-il, je vous le demande, de prier assidûment et de ne pas donner largement l'aumône ? ou de répandre libéralement ses biens, et de ravir et voler le bien d'autrui, même de faire l'aumône par ostentation et par vaine gloire ? ou de distribuer véritablement ses aumônes avec les dispositions requises, et selon la volonté de Dieu, mais de s'en prévaloir ensuite et de s'en vanter? ou d'être à la vérité humble et de jeûner, mais d'être néanmoins avare, usurier, attaché aux choses terrestres, et d'introduire dans son âme la mère de tous les maux? car " l'avarice est la racine de tous les maux ". Ayons-la en horreur, fuyons ce vice.

C'est l'avarice qui renverse tout le monde c'est elle qui trouble tout et met tout en confusion : c'est elle qui nous fait sortir de l'aimable et très-heureuse servitude de Jésus-Christ. " Vous ne pouvez ", est-il écrit, " servir Dieu et les richesses " (Matth. VI, 24), qui ordonnent le contraire de ce que Jésus-Christ commande. Jésus-Christ dit : donnez aux pauvres ; les richesses disent : ravissez le bien des pauvres. Jésus-Christ dit: pardonnez à ceux qui vous dressent des embûches et à ceux qui vous offensent; les richesses disent au contraire : à ceux qui ne vous ont nullement offensés, tendez-leur des piéges. Jésus-Christ dit : soyez doux, soyez bons; celles-ci disent au contraire : soyez inhumains, soyez cruels, ne faites aucune attention aux larmes des pauvres, pour nous rendre [298] notre Juge sévère au grand jour de son jugement. En effet, alors toutes nos oeuvres se présenteront à nous, et ces malheureux que nous aurons outragés, dépouillés et mis à nu, nous fermeront la bouche et nous ôteront toute défense. Si Lazare, à qui le riche n'avait fait aucun tort, mais aussi qu'il n'avait point secouru, fut pour lui, au grand jour, un terrible accusateur, et l'empêcha d'obtenir le pardon de sa dureté, quelle excuse, je vous prie, apporteront ceux qui ravissent le bien d'autrui, au lieu de distribuer le leur aux pauvres, et qui renversent la maison de l'orphelin? Si ceux qui ne donnent pas à manger à Jésus-Christ lorsqu'il a faim (Matth. XXV, 42), amassent tant de charbons de feu sur leurs têtes, ceux qui volent le bien . de leur prochain, qui suscitent mille procès et qui envahissent les richesses de tout le monde, quelle consolation, quelle commisération peuvent-ils espérer?

Chassons donc, mes frères, chassons cette passion. Nous l'arracherons de nos coeurs, si nous pensons au sort qu'ont eu les hommes avares et injustes qui ont été avant nous et qui sont morts. D'autres ne jouissent-ils pas de leurs richesses, du fruit de leurs travaux, et eux-mêmes ne sont-ils pas condamnés à un supplice, à un tourment, à des maux insupportables ? Ne serait-il pas d'une extrême folie de se tourmenter pour se charger, dans cette vie, de soins et de peines, et quand nous en sortirons être ensuite livrés à des supplices, à des tourments insupportables, lors même qu'il ne tient qu'à nous de vivre, même ici-bas, dans les délices? Rien en effet ne procure une si grande joie que l'aumône, qu'une conscience pure et nette, que de se voir à la mort délivrés de tous maux, et d'acquérir des biens ineffables et infinis. Comme le vice, avant même de précipiter dans l'enfer ceux qui s'y livrent, a coutume de les accabler dès à présent de mille peines et de mille travaux; la vertu, de même, avant d'ouvrir la porte du royaume des cieux à ceux qui l'exercent, remplit leur âme de mille délices par la bonne espérance et la joie continuelle . qu'elle répand sur toute la vie. Afin donc de nous procurer cette joie, et dans cette vie, et dans la vie future, exerçons-nous aux bonnes oeuvres ; c'est de cette manière que nous obtiendrons ces couronnes immortelles que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

HOMÉLIE XLI.
LISEZ AVEC SOIN LES ÉCRITURES , PUISQUE. VOUS CROYEZ Y TROUVER LA VIE ÉTERNELLE : ET CE SONT ELLES QUI RENDENT TÉMOIGNAGE DE MOI. — MAIS VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE ÉTERNELLE. (VERS. 39, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.)
ANALYSE.

1. Il ne faut pas lire l'Ecriture sainte seulement en courant et à la légère.

2. Les Juifs auront pour accusateur Moise lui-même.

3. Réfutation des prétextes et vaines excuses des Juifs : leur malice et leur méchanceté. — Description d'un fourbe et de la malignité. — La vertu produit la prudence. — Description de la vertu. — Le péché naît de la folie. — Celui quia la crainte de Dieu est très-sage : celui qui ne l'a pas est un insensé.

1. Ayons grand soin, mes très-chers frères, de rechercher les choses spirituelles, et ne croyons pas qu'il nous suffise, pour le salut, d'y donner une part quelconque de notre [299] application. Si, dans les affaires terrestres de ce monde, nul ne fait de grands profits, lorsqu'il s'y applique mollement et légèrement, à plus forte raison en sera-t-il ainsi dans les choses spirituelles et célestes, parce que celles-ci requièrent et plus de soin et plus de vigilance. Voilà pourquoi Jésus-Christ, quand il renvoie les Juifs aux Ecritures, ne les y renvoie pas pour en faire une simple lecture, mais pour les étudier avec soin et avec attention. Car il n'a point dit : lisez les Ecritures, mais approfondissez les Ecritures. Pour y découvrir le témoignage qu'elles rendent de lui, il fallait beaucoup chercher, beaucoup travailler. En effet, à l'égard des Juifs, ces témoignages étaient cachés sous des ombres et des figures. C'est pour cette raison que Jésus-Christ leur commande de fouiller et de creuser dans les Ecritures , afin qu'ils puissent trouver ce qu'elles recèlent dans leur profondeur. Ces témoignages ne sont pas à la surface ni apparents, ils sont très-profondément cachés comme un trésor. Or, celui qui veut découvrir un trésor profondément enfoui, ne le trouvera jamais sans beaucoup de soin et de peine. Voilà pourquoi Jésus-Christ, après avoir dit : "Lisez avec soin les Ecritures ", a ajouté : " puisque vous croyez y trouver la vie éternelle ". Il n'a point dit : vous pouvez, mais, vous croyez y trouver. Par où il leur montre qu'ils ne feront pas un grand profit, tant qu'ils croiront pouvoir acquérir le salut par la seule lecture; sans la foi. C'est comme s'il disait : N'admirez-vous pas les Ecritures, ne les regardez-vous pas comme des sources de vie? C'est sur elles maintenant que je me fonde moi-même.;. car ce sont elles qui rendent témoignage de moi; mais vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie éternelle.

Jésus-Christ avait donc raison de dire: " Vous croyez " ; puisqu'ils ne voulaient pas écouter sa doctrine, et qu'ils tiraient vanité de la lecture simple qu'ils faisaient des Ecritures. Ensuite, de peur qu'on ne le soupçonnât de vaine gloire, à cause du grand soin qu'il avait de se faire connaître, et qu'on ne pensât que, dans son désir d'inspirer. la foi en lui , il avait en vue ses propres intérêts (car il avait cité le témoignage de Jean et celui de Dieu le Père, il avait fait mention de ses oeuvres ; et il avait promis la vie éternelle , se servant de toutes ces choses pour les attirer et les gagner) comme, dis-je, il était croyable que plusieurs le soupçonneraient de rechercher la gloire , voici ce qu'il a ajouté, faites-y attention: " Je ne tire point ma gloire des hommes (41) " ; c'est-à-dire, je n'en ai point besoin ; je ne suis pas de nature à avoir besoin de la gloire qui vient des hommes. Si la lumière du soleil ne reçoit point d'accroissement de celle d'une lampe, moi , je dois avoir bien moins besoin de la gloire humaine. Mais si vous n'en avez point besoin, pourquoi avez-vous apporté ces témoignages? " Afin que vous soyez- sauvés ". Jésus-Christ l'avait déclaré ci-dessus, ici encore il l'indique par ces paroles: " Afin que vous ayez la vie éternelle ". Il apporte même une autre raison , que voici: " Mais je vous connais : je sais que vous n'avez point en vous l'amour de Dieu (42) ". Comme , sous prétexte de zèle et d'amour de Dieu, souvent ils le persécutaient, parce qu'il se prétendait égal à Dieu; comme il savait aussi qu'ils ne croiraient point en lui, il a voulu les prévenir et les empêcher de dire : Pourquoi parlez-vous de la sorte? Je le fais, leur dit-il, pour vous reprendre, parce que ce n'est pas l'amour de Dieu qui vous porte à me persécuter. Car Dieu rend témoignage de moi, et par les oeuvres et par les Ecritures. Si donc, dans la pensée que j'étais contraire à Dieu, auparavant vous me chassiez, vous me persécutiez, maintenant que je vous ai fait connaître la vérité, vous devriez vous empresser de venir à moi, pour peu que vous eussiez d'amour pour Dieu; mais vous ne l'aimez pas véritablement. J'ai dit ces choses pour vous prouver que l'orgueil et la vanité vous animent, et que vous ne. cherchez qu'à couvrir l'envie que vous me portez. Voilà ce que Jésus-Christ démontre, non-seulement par ce qu'il vient de dire, mais encore par ce qu'il ajoute ensuite, car il dit: " Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas : si un " autre vient en son propre nom, vous le recevrez (43) ". Vous voyez, mes frères, que si partout Jésus-Christ dit qu'il a été envoyé, qu'il a reçu du Père le pouvoir de juger, et qu'il ne peut rien faire de lui-même, c'est pour ôter tout prétexte à l'endurcissement des Juifs.

Mais de qui dit-il qu'il viendra en son propre nom? De l'Antéchrist, et il démontre la malice et la méchanceté des Juifs par des preuves incontestables. Si c'est effectivement l'amour de Dieu qui vous porte à me persécuter, vous devrez donc, à plus forte raison, [300] persécuter l'Antéchrist. L'Antéchrist ne vous prêchera pas une doctrine semblable à la mienne; il ne dira pas que: le Père l'a envoyé, ni qu'il vient de sa part et par son ordre. Mais, au contraire, il exercera un empire tyrannique, usurpant ce qui ne lui appartient pas, et s'annonçant comme le Dieu de tout l’univers, selon les paroles de saint Paul : " il s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, voulant lui-même passer pour Dieu ". (II Thess. II, 4.) Car c'est là venir en son propre nom. Pour moi, je ne parle pas de même; mais je déclare que je suis venu au nom de mon Père. Or, qu'après un tel aveu, qu'après avoir si manifestement déclaré qu'il était envoyé du Père, ils ne le reçussent pas, cette obstination suffisait seule pour faire voir à tout le monde qu'ils n'aimaient point Dieu. Et maintenant, par le contraste de l'accueil qu'ils devaient faire à l'Antéchrist, il met au jour leur impudente malignité. Car, puisqu'ils ne recevaient pas celui qui se déclarait envoyé de Dieu, et qu'ils devaient adorer celui qui ne connaîtrait point Dieu, mais qui se vanterait d'être le Dieu de tout l'univers, il était visible que leurs persécutions contre Jésus-Christ partaient de leur envie et dé la haine contre Dieu. C'est pourquoi Jésus-Christ donne deux raisons de ce qu'il a dit; d'abord, la meilleure : "Afin que vous soyez sauvés, afin que, vous ayez la vie "; mais, sachant qu'ils riraient et se moqueraient de lui, il leur en expose une seconde, plus forte que celle-là, à savoir, que s'ils ne se soumettent pas et s'ils n'obéissent pas à sa parole, Dieu ne cessera point pour cela d'agir en toutes choses selon sa coutume.

2. Saint Paul, parlant prophétiquement de l'Antéchrist , dit : " Dieu leur enverra une opération d'erreur, afin que ceux qui, au lieu d'ajouter foi à la vérité, ont consenti à l'iniquité,soient tous condamnés ".(II Thess. II, 11, 12.) Le Sauveur ne dit pas que l'Antéchrist viendra; mais " s'il vient ", s'abaissant ainsi à la portée de ses auditeurs; leur iniquité n'était pas encore arrivée à son comble; c'est pourquoi il a tu la raison de cet avènement.. Mais saint Paul l'a ouvertement déclarée polir ceux qui sont intelligents : c'est l'Antéchrist qui ôte aux Juifs toute excuse. Jésus-Christ découvre ensuite la cause de leur incrédulité, en disant : "Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? (44) " Par où il montre encore qu'ils n'avaient pas en vue les intérêts de Dieu, mais qu'ils couvraient de ce prétexte leurs propres passions. Ils étaient, en effet, si éloignés de faire ce qu'ils faisaient pour la gloire de Dieu, qu'ils recherchaient moins sa gloire que celle des hommes: Comment auraient-ils donc conçu un si grand zèle pour la gloire de Dieu, eux qui la méprisaient si fort; qu'ils lui préféraient même la gloire humaine? Puis, après avoir dit que les Juifs n'avaient point d'amour de Dieu, et le leur avoir prouvé par deux raisons: l'une, par ce qu'ils avaient fait contre lui; l'autre, par ce qu'ils feraient pour l'Antéchrist, et leur avoir démontré clairement qu'ils étaient indignes de tout pardon, Jésus-Christ fait comparaître Moïse pour prononcer contre eux une nouvelle accusation.

" Ne pensez pas que ce soit moi qui vous doive accuser devant le Père : vous avez un accusateur, qui est Moïse, en qui vous espérez (45).

" Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce que c'est de moi qu'il a écrit (46).

" Que si vous ne croyez pas ce qu'il a écrit; comment croirez-vous ce que je vous dis? (47) ". C'est-à-dire, dans ce que vous faites contre moi, c'est Moïse que vous outragez avant moi : le refus que vous faites de croire atteint Moïse plus que moi-même. Vous voyez de quelle manière il les pousse jusque dans leurs retranchements; et leur ôte tout moyen de justification. Lorsque vous me persécutiez, vous alléguiez l'amour que vous avez pour Dieu? Or, j'ai fait voir que c'est la haine de Dieu qui vous a poussés à agir de la sorte. Vous m'accusez de ne point garder le sabbat et de violer la loi ? Je me sais justifié de cette accusation. Vous assurez que vous marquez votre fidélité à Moïse dans ce que vous avez la hardiesse de faire contre moi? Et moi je montre que c'est là principalement en quoi vous désobéissez à Moïse. Et tant s'en faut que je m'oppose à la loi ; que vous n'aurez point d'autre accusateur que celui-là même qui vous a donné la loi. Comme donc, parlant des Ecritures , Jésus-Christ disait : " Vous croyez y trouver la vie éternelle " ; maintenant de même, parlant de Moïse, il dit : "En qui vous espérez " : où l'on voit que le Sauveur les [301] prend en tout par leurs propres paroles. Et par où saurons-nous, diront les Juifs, que Moïse doit être notre accusateur, et que vous ne parlez pas en l'air? Qu'y a-t-il de commun entre vous et Moïse? vous n'avez point gardé le sabbat qu'il a ordonné de garder: comment donc se portera-t-il pour accusateur contre nous? Et comment, prouverez-vous que nous croirons en un autre qui viendra en son propre nom? Toutes ces choses. vous les dites sans témoins et sans preuves. Bien au contraire, elles trouvent toutes leurs preuves dans ce que j'ai dit ci-dessus : puisque, par mes oeuvres, par le témoignage de Jean, par celui du Père, il est évident et certain que c'est Dieu qui m'a envoyé, sûrement il l'est aussi que Moïse sera votre accusateur. En effet, qu'a dit Moïse? " S'il vient quelqu'un qui fasse des prodiges et des miracles, qui amène à Dieu, et qui prédise véritablement l'avenir, ne faudra-t-il pas le croire? (Deut. XIII, 1.) Jésus-Christ n'a-t-il pas fait toutes ces choses? Il a opéré de vrais miracles dont on ne peut contester la vérité, il a attiré tous les hommes à Dieu, il a confirmé ses prédictions par l'accomplissement des choses qu'il a prédites. Mais où est la preuve que les Juifs croiront à un autre? En ce qu'ils ont haï et persécuté Jésus-Christ. Ceux qui. se déclarent contre celui qui vient avec l'aveu de Dieu recevront sans doute celui qui est son ennemi. Au reste, si le Sauveur, après avoir dit : " Ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage ", cite maintenant Moïse, ne. vous en étonnez pas, ce n'est point à Moïse qu'il renvoie les Juifs,, mais à la sainte et divine Ecriture : et parce qu'ils la craignaient moins que leur législateur, il le leur présente en personne comme leur accusateur, pour leur inspirer plus de crainte et d'effroi. Après quoi il réfute un à un tous leurs discours.

Donnez à ceci, mes frères, toute votre attention : les Juifs disaient qu'ils persécutaient Jésus pour l'amour de Dieu; et Jésus-Christ leur montre que c'est par haine de Dieu qu'ils le persécutent. Les Juifs se vantaient d'être attachés à Moïse, et le Sauveur leur prouve que leur persécution venait de ce qu'ils ne croyaient point à Moïse;, car s'ils étaient zélés pour la loi, ils devaient recevoir celui qui accomplissait la loi. S'ils aimaient Dieu, ils auraient dû croire à celui qui attirait à Dieu; s'ils croyaient à Moïse; il fallait qu'ils adorassent celui qu'il a lui-même prédit. Puisqu'avant de refuser de me croire, vous avez refusé de croire à Moïse; que maintenant vous me chassiez, moi qu'il vous a annoncé; c'est de quoi on ne doit nullement s'étonner. Comme donc Jésus-Christ fait voir que ceux qui admiraient Jean le méprisaient eux-mêmes en se déclarant contre lui, Jésus, et le persécutant; de même, il prouve que ces mêmes Juifs, lorsqu'ils s'imaginaient croire Moïse, ne le croyaient point; et il retorque contre eux tout ce qu'ils alléguaient pour se justifier. Je suis si éloigné, dit-il, de vous détourner de la loi; que j'appelle à témoin contre vous votre législateur même. Jésus-Christ déclare donc que les Ecritures rendent ce témoignage : mais où? il ne le marque pas, et c'est pour leur inspirer plus de crainte et de terreur, et les engager à chercher, à examiner et à l'interroger. S'il leur avait marqué les endroits, sans qu'ils l'eussent demandé, ils auraient rejeté le témoignage. Mais pour peu qu'ils fissent attention à ce que leur disait Jésus-Christ, avant toutes choses -ils l'interrogeraient et s'instruiraient auprès de lui. Voilà pourquoi, non-seulement il leur donne des preuves et des témoignages clairs et évidents, mais souvent aussi il leur fait des reproches et des menaces, pour les ramener du moins par la crainte : et cependant ils gardent le silence. Telle, en effet, est la malice.: quoi qu'on dise ou qu'on fasse, elle ne change point, elle conserve toujours son venin.

3. C'est pourquoi il faut, mes frères, se dépouiller de toute malice et se garder d'user d'artifice et de déguisement. " Car Dieu en" voie ", dit l'Ecriture, " des voies perverses " aux pervers ". (Prov. XXI, 8, LXX.) Et : " L'Esprit-Saint, qui est le maître de la science, fuit le déguisement, et il se retire des pensées qui sont sans intelligence ". (Sag. I, 5.) Rien ne rend l'homme si fou que la malice. Un fourbe, un homme pervers, ingrat (car tout cela tient à la malice), un homme qui persécute ceux qui ne l'offensent pas, qui emploie contre eux l'artifice et le déguisement, ne donne-t-il pas les marques d'une extrême folie.

Rien, au contraire, n'inspire plus de prudence que la vertu : elle rend l'homme reconnaissant , honnête , miséricordieux , doux , humble , modeste : c'est elle qui produit toutes les sortes de biens. Et qu'est-il de plus [302] sage que celui dont l'âme est dans de si heureuses dispositions? En .effet, la vertu est véritablement la source et la racine de la prudence : la malice au contraire est la fille de la folie. L'homme superbe, arrogant et colère, n'est infecté de tous ces maux que parce que la prudence lui manque. C'est pourquoi le prophète disait : " Ma chair est toute malade.... mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture, à cause de mon extrême folie " (Ps. XXXVII, 3, 5) : par où il montre que le péché, de quelque nature qu'il soit, naît de da folie ; et que celui qui est doué de vertu et qui craint Dieu , est le plus sage de tous les hommes. Voilà pourquoi le Sage dit : " La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse ". (Prov. 1, 7.) Or, si celui qui craint Dieu possède la sagesse, le méchant, qui ne le craint point, en est donc absolument. dépourvu : et puisqu'il est privé de la vraie sagesse, il est le plus fou de tous les hommes. Cependant, plusieurs respectent les méchants comme pouvant leur nuire et leur faire du mal, et ils ne voient pas, ils ne comprennent pas, qu'il. les faut regarder comme les plus malheureux de tous les hommes, parce que c'est dans leur propre sein qu'ils plongent leur épée, lorsqu'ils croient en frapper les autres : signe visible d'une étrange folie, que de se percer soi-même, sans le savoir, et dé se tuer, en pensant faire du mal à autrui.

Voilà pourquoi saint Paul. qui savait parfaitement que lorsque nous voulons frapper les autres, nous nous tuons nous-mêmes, disait: " Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt les injustices? Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu'on vous trompe? " (1 Cor. VI, 7.) Car celui qui n'offense personne n'est point offensé, et celui qui ne fait point de mal n'en reçoit point : je :d soutiens , quoique cela puisse paraître une énigme et un paradoxe à la foule incapable de raisonner: Sachant cela, mes frères, disons malheureux, et plaignons, non ceux qui sont offensés et outragés, mais ceux qui offensent et qui outragent. C'est véritablement se faire tort à soi-même que d'attaquer Dieu et lui déclarer la guerre, d'ouvrir la bouche à mille accusateurs, et de se faire une mauvaise réputation en ce monde, en se préparant dés supplices immenses dans l'autre : comme, au contraire, souffrir courageusement les injures et les outrages , c'est de quoi se rendre Dieu propice et favorable, et s'attirer la pitié, l'approbation et les louanges de tout lé monde : ceux donc qui donnent un si grand et si bel exemple de philosophie chrétienne , seront illustres et célèbres en cette vie, et ;en l'autre ils jouiront des biens éternels, que je prie Dieu de nous accorder à tous; par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

HOMÉLIE XLII.
JÉSUS S'EN ALLA ENSUITE AU DELÀ DE LA MER DE GALILÉE, QUI EST LE LAC DE TIBÉRIADE. — ET UNE FOULE DE PEUPLE LE SUIVAIT, PARCE QU'ILS VOYAIENT LES MIRACLES QU'IL FAISAIT SUR LES MALADES. — JÉSUS MONTA DONC SUR UNE MONTAGNE , ET S'Y ASSIT AVEC SES DISCIPLES. — OR, LA PÂQUE DES JUIFS APPROCHAIT. VERS. 1, 2, 3, 4, DU CHAP. VI, JUSQU'AU VERS. 15.)
ANALYSE.

303

1. Il est quelquefois bon de se retirer loin de la persécution.

2. Miracle de la multiplication des pains. — Erreur des Marcionites.

3. Avec quel soin Jésus-Christ ménagé l'instruction de ses disciples dans l'opération de ses miracles.

4 Mépriser les dignités humaines et les richesses de la terre. — Les honneurs et les richesses de ce monde n'ont rien de comparable aux honneurs et aux biens que Dieu nous a promis.- La gloire des hommes est servile, pernicieuse, et de peu de durée. — Aimer, non cette gloire passagère, mais la gloire immortelle. — Différence de la servitude du monde et de celle de Jésus-Christ. — Contre les spectacles. — L'argent qu'on y dépense est criminellement employé : de quelle supplice n'est-on pas digne, lorsqu'on donne à des femmes de mauvaise vie et à des abominables l'argent qu'on doit distribuer aux pauvres?

1. Ne tenons point tête aux méchants, mes très-chers frères, mais apprenons à laisser le champ libre à leurs attaques contre nous, autant du moins que nous le pourrons sans compromettre notre vertu; c'est ainsi qu'on arrête et qu'on rend inutile toute leur fureur. Et comme un dard, s'il choque contre un corps dur et solide, revient avec une grande impétuosité sur celui qui l'a décoché ; et, comme il perd aussitôt sa violence et toute sa force, si, quoique violemment lancé , il ne rencontre rien qui ait de la fermeté et de la résistance : de même les hommes colères et emportés deviennent plus furieux, lorsque nous leur résistons; et si nous cédons, aussitôt leur fureur s'apaise. Voilà pourquoi Jésus-Christ, lorsque les pharisiens eurent appris qu'il avait à sa suite plus de disciples que Jean, et qu'il baptisait plus que lui, s'en alla en Galilée pour étouffer leur jalousie, et par sa retraite il calma la fureur qu'avait sans doute allumée dans leur coeur l'envie qu'ils lui portaient. De retour en Galilée, il ne va point aux mêmes lieux où il avait été auparavant. Il ne vint point à Cana, mais il fut au-delà de la mer. Une grande foule de peuple le suivait pour contempler ses miracles. Quels miracles? Pourquoi saint Jean ne les raconte-t-il pas? Parce que cet évangéliste a rempli la plus grande partie de son livre des prédications de Jésus-Christ. En effet, dans l'histoire d'une année entière et même de la fête dé Pâques, il ne fait mention d'aucun autre miracle que de la guérison du paralytique et du fils de l'officier ; parce qu'il n'a pas voulu tout rapporter, et certainement il ne l'aurait pas pu; il s'est donc contenté de rapporter une faible partie des grandes oeuvres que Jésus-Christ a opérées.

" Et une grande foule de peuple le suivait ", dit-il, " parce qu'ils voyaient les miracles qu'il faisait ". Ce peuple ne suivait pas Jésus par une foi pure et ferme : il se laissait plutôt entraîner par la curiosité de voir des miracles que par amour pour l'admirable doctrine qu'ils avaient entendu prêcher: ce qui montre une âme grossière; car, dit l'apôtre : " Les " miracles sont, non pour les fidèles, mais pour les infidèles ". (I Cor. XIV, 22.) Mais le peuple, dont parle saint Matthieu, n'était pas de même, écoutez ce qu'il en dit : " Ils étaient " tous dans l'admiration de sa doctrine, parce " qu'il les instruisait comme ayant autorité ". (Matth. XVII, 28, 29.) Pourquoi Jésus monta-t-il sur une montagne et s'y assit-il avec ses [304] disciples? C'est à cause du miracle qu'il allait faire. Mais que les disciples y soient montés seuls, c'est la faute du peuple qui ne l'avait pas suivi. Au reste, Jésus-Christ n'est pas monté sur une montagne pour cette unique raison, mais encore pour nous apprendre à fuir la foule et le tumulte, et montrer que la solitude est propre à l'étude de la sagesse. Souvent aussi Jésus se retirait seul sur une montagne, et y passait toute la nuit en oraison (Luc, VI, 12) , pour nous enseigner que celui qui veut s'approcher de Dieu, doit avoir l'esprit libre, exempt de tout trouble et de toute dissipation; et chercher un lieu paisible et tranquille.

" Or, le jour de Pâques, qui est là grande fête des Juifs, était proche ". Pourquoi, direz-vous, Jésus ne se rendit-il pas à cette fête, et lorsque tous allaient à Jérusalem, pourquoi fut-il en Galilée, non seul, mais accompagné de ses disciples; et de là à Capharnaüm? C'est qu'il prenait l'occasion de la méchanceté des Juifs, pour abolir peu à peu la loi.

" Jésus ayant levé les yeux, vit une grande foule de peuple (5) ". Ici Jésus-Christ nous fait connaître qu'il ne ;s'est jamais assis avec ses disciples, sans une raison particulière; comme de leur parler, de les instruire avec plus d'attention, et de se les attacher: en,quoi nous voyons le grand ,soin que sa divine Providence en avait, et combien il s'abaissait pour: se proportionner à leur faiblesse. Ils étaient assis tous ensemble, saris doute les yeux fixés les uns sur lés autres. Ensuite " Jésus regardant, vit une grande foule de peuple qui, venait à lui ". Les autres évangélistes, marquent que les disciples, s'approchant de Jésus, l'avaient prié et conjuré de ne les, pas renvoyer, à jeun. Saint Jean dit que Jésus-Christ s'adressa à Philippe. Je tiens pour vrais l'un et l'autre rapport, mais ces choses ne sont point arrivées dans le même temps; l'une a précédé l'autre, et les faits relatés sont différents. Pourquoi donc s'est-il adressé à Philippe? Jésus-Christ savait qui, de ses disciples avait lé plus besoin d'instruction: et c'est Philippe qui dit à Jésus: " Montrez-nous votre Père, et il nous suffit ". (Jean, XIV, 8.) C'est pourquoi il l'instruit auparavant de ce qu'il va faire : s'il eût tout simplement opéré le miracle, et sans l'y préparer, il ne lui aurait pas paru si grand. Il a donc sain de lui faire d'abord avouer sa disette, afin qu'il connaisse mieux la grandeur du miracle. Faites attention à sa réponse: " Où trouverons-nous tout le pain qu’il faut pour donner à manger à tout ce monde? " Le Seigneur fit de même, dans l'ancienne loi, à l'égard de Moïse, et,cela avant d'opérer le miracle qu'il voulait faire : " Que tenez-vous à la main? :" (Exod. IV, 2), lui dit-il. Comme les miracles qui arrivent inopinément et tout à coup, font facilement oublier ce qui s'est passé auparavant, Jésus-Christ rend Philippe attentif en lui faisant premièrement sentir et confesser sa disette; afin qu'ensuite son étonnement ne lui fasse pas perdre le souvenir de ce qu'ira lui-même reconnu et déclaré, et que la comparaison qu il fera lui montre toute la grandeur du miracle. Voilà aussi ce qui arriva en cette occasion. Philippe, à la question que lui fait Jésus-Christ, répond : " Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun tant soit peu (7). Mais Jésus disait ceci pour le tenter, car il savait bien ce qu'il devait faire (6)". Que signifie cette parole : " Pour le tenter? Jésus-Christ ignorait-il ce que répondrait Philippe? Non, c'est ne qu'on ne peut dire.

2. Quel est donc le sens de cette parole? Nous pouvons l'apprendre des livres de l'Ancien Testament, où on lit: "Après cela Dieu tenta Abraham, et lui dit : Prenez Isaac, votre fils unique, pour qui vous avez tant d'affection ", (Gen. XXII,1, 2.) Car Dieu ne dit point cela pour savoir si Abraham obéirait ou s'il n'obéirait pas, " lui qui connaît toutes choses avant.

même qu'elles soient faites ". (Dan. XIII, 42.), Mais, en l'un et l'autre endroit, Dieu parle à la manière des hommes, comme lorsque l'Ecriture dit,: " Dieu pénètre. le fond du coeur. ". (Rom. VIII, 27), elle n'attribue pas à Dieu une ignorance, mais une exacte et parfaite connaissance ; ainsi, lorsqu'elle dit : " Dieu tendre " ; cela ne signifie autre chose, sinon que le Seigneur connut exactement, ou bien on peut encore dire que Dieu les rendit plus fermes dans la foi, en donnant alors à Abraham , et maintenant à Philippe, une plus grande connaissance du miracle par la demande même qu'il leur fit. C'est pourquoi l'évangéliste, de crainte que, la simplicité de, ces paroles ne vous inspirât d'absurdes sentiments, a ajouté : " Car il savait bien ce qu'il " devait faire ". D'ailleurs , il faut partout remarquer le soin que prend l'évangéliste de. réprimer tous les mauvais soupçons. De même qu'en cet endroit il a soin de prévenir- la fausse [305] opinion que les Juifs pouvaient concevoir, en disant : " Car il savait bien ce qu'il devait faire," ; de même, lorsqu'il dit plus haut les Juifs le persécutaient " parce que non seulement il ne gardait pas le sabbat, mais qu'il disait même que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu " (Jean, V, 18); si ce n'eût été là le sentiment que Jésus-Christ lui-même voulait qu'on eût de lui et qu'il avait établi et confirmé par ses oeuvres, il n' aurait pas manqué de relever l'erreur. En effet, si dans ce que Jésus-Christ dit de lui-même, l'évangéliste craint les mauvaises interprétations et va au-devant des fausses idées qu'on pouvait se former; à plus forte raison, dans ce que les autres disaient de lui, a-t-il dû craindre de laisser passer des erreurs sans les signaler. Si donc, en cet endroit, il n'a rien dit, c'est qu'il savait que ces paroles exprimaient la pensée de Jésus-Christ et sa volonté éternelle. Voilà pourquoi saint Jean ayant dit " Se faisant égal à Dieu ", n'a point ajouté de correctif, parce que l'opinion des Juifs n'était point fausse, et qu'en cela ils avaient de Jésus-Christ le vrai sentiment qu'ils en devaient avoir, ses oeuvres établissant et démontrant cette égalité.

Lors donc que Jésus eût interrogé Philippe, " André, frère de Simon Pierre, dit (8) : Il y a ici un petit garçon qui a cinq pains d'orge et " deux poissons, mais qu'est-ce que cela pour "tant de gens? (9) ". André a de plus grands sentiments que Philippe, et cependant il n'a pas tout à fait compris l'intention de Jésus-Christ. D'ailleurs , je crois qu'il n'a point

parlé ainsi au hasard, mais qu'avant appris les miracles des prophètes, comme celui d'Elisée dans la multiplication des pains (IV Rois, IV, 42), il conçut quelques sentiments plus élevés, sans atteindre toutefois le sommet. Pour nous, mes frères, qui aimons la bonne chère, remarquons ici quelle était la nourriture de ces hommes admirables, combien elle était simple par la qualité et le nombre des mets, et tâchons de les imiter en cela. Ce qu'André dit ensuite marque beaucoup de grossièreté, car à ces paroles : Un petit garçon a cinq pains d'orge, il ajouta: " Mais qu'est-ce "que cela pour tant de gens? " Il pensait apparemment que celui qui opérait des miracles ferait peu de choses de peu et beaucoup de beaucoup. Mais c'est en quoi il se trompait, car il était aussi facile à Jésus de produire une grande abondance avec beaucoup qu'avec peu, car il n'avait nullement besoin d'avoir la matière entre ses mains. Mais de peur qu'on ne crie qu'il n'était pas convenable à sa sagesse de faire usage des créatures, comme l'ont follement enseigné les marcionites, il s'est expressément servi des choses créées pour opérer des miracles. Lors donc que ces deux disciples avaient perdu toute espérance, Jésus-Christ fait le miracle. De cette manière , après qu'ils eurent reconnu et confessé la difficulté de trouver la quantité de pains qu'il fallait pour donner à manger à cette foule de peuple, le miracle, leur fut plus avantageux et plus profitable, en leur faisant connaître la vertu et la puissance de Dieu. Et comme ce miracle était de la nature de ceux que les prophètes avaient opéré, quoique Jésus-Christ ne le produisît pas de même qu'eux et qu'il fît précéder l'action de grâces, de peur toutefois que ces personnes simples et faibles ne tombassent dans quelque soupçon et dans quelque doute, voyez, mes frères, comment il prend tous les moyens pour élever leur esprit et leur faire sentir la différence. Lorsque les pains ne paraissaient point encore , c'est alors même qu'il fait le miracle, afin que vous sachiez que ce qui n'est point, comme ce qui est, lui est également soumis, ainsi que :le déclare saint Paul : " Dieu appelle ce qui n'est point comme ce qui est ". (Rom. IV, 17.) Comme si déjà la table était préparée et le repas servi, Jésus-Christ ordonne sur-le-champ qu'on les fasse asseoir et voilà par où il élève l'esprit de ses disciples. Mais la preuve que la demande qu'il leur avait faite leur avait été utile, c'est qu'aussitôt ils obéirent; ils ne furent point troublés, ils ne dirent pas : Qu'est-ce que cela veut dire ? Pourquoi commandez-vous qu'on les fasse asseoir, lorsqu'on ne voit rien à manger ? Ainsi, les disciples, avant de voir le miracle, commencèrent à croire, eux qui au commencement ne croyaient pas de même et qui disaient: " Où achèterons-nous des pains? " Ou plutôt même ils firent asseoir le peuple avec joie.

Mais d'où vient que Jésus-Christ, avant de guérir le paralytique, de ressusciter un mort, de calmer la mer, ne prie point, et qu'ici il prie lorsqu'il va multiplier les pains? C'est pour nous apprendre qu'avant de manger, il faut rendre grâces à Dieu. Au reste, c'est dans les plus petites choses que Jésus-Christ a [306] coutume de rendre ainsi grâces à Dieu, afin de vous apprendre que ce n'est pas par nécessité qu'il le fait, car s'il avait eu besoin de le faire, il l'aurait plutôt fait dans les grandes oeuvres qu'il a opérées. Mais celui qui les a produites avec cette suprême autorité, on ne peut douter que, dans les autres, il n'agit ainsi par condescendance.

3. De plus, ici était présente une grande foule de peuple à qui il fallait persuader qu'il était envoyé de Dieu. Voilà pourquoi, lorsque Jésus-Christ opère quelque miracle en particulier, il ne fait point d'action de grâces; mais s'il le produit en présence -de plusieurs, il en fait pour ôter le soupçon qu'il était ennemi dé Dieu et contraire au Père. " Et il distribua les pains et les poissons à ceux qui étaient assis, et ils furent rassasiés (11) ". Remarquez la différence qu'il y a entre le serviteur et le maître : les serviteurs, recevant la grâce avec mesure, faisaient aussi leurs miracles; mais Dieu, agissant avec un pouvoir absolu, opère toutes choses avec un luxe de puissance.

" Il dit à ses disciples : Amassez les morceaux qui sont restés. Ils les ramassèrent et " remplirent douze paniers (12 et 13) ". Jésus-Christ ne fit pas amasser les morceaux par affectation et par vanité, mais afin qu on ne regardât pas le miracle comme une illusion et un prestige, et c'est aussi pour cela qu'il crée de nouveau, en se servant de la matière qu'il à sous sa main. Pourquoi Jésus-Christ a-t-il fait distribuer le pain par ses disciples, et non par le peuple? Parce que ce sont principalement eux qu'il voulait instruire, eux qui devaient être les docteurs de tout le monde. Le peuple ne devait pas encore tirer un grand fruit des miracles; en effet, ils oublièrent aussitôt celui-ci, et ils en demandèrent un autre. Mais les disciples en devaient beaucoup profiter, et aussi ce ne fut point là un faible sujet de condamnation pour Judas, qui avait porté un panier comme les autres. Or, que, ce soit pour leur instruction que Jésus-Christ ait fait cela, l'allusion qu'il y fit ensuite le montre clairement; car il leur dit : " Ne vous souvient-il point encore du nombre des paniers que vous avez emportés ? " (Matth. XVI, 9.) Et c'est aussi pour la même raison que le nombre des paniers fut égal à celui des disciples. Mais dans le second miracle, comme ils étaient déjà instruits, il ne resta que sept corbeilles. Pour moi, dans ce miracle, je n'admire pas seulement la multiplication des pains, mais, avec cette quantité de morceaux, j'admire ce juste nombre de paniers, et le soin qu'eut Jésus-Christ qu'il n'en restât ni plus ni moins, mais précisément ce qu'il voulut, prévoyant la consommation qui serait faite, signe visible d'une puissance ineffable. Ces morceaux confirmèrent donc-le miracle, en prouvant, et qu'il n'y avait point là de prestige ni d'illusion, et que le repas avait laissé des restes. Le miracle des poissons, Jésus-Christ le fit alors des poissons mêmes qu'on lui avait présentés; mais. après sa résurrection, il n'employa plus de matière. Pourquoi? pour nous apprendre que s'il s'était servi dans cette occasion d'une chose déjà créée, ce n'était pas qu'il eût besoin de matière ni d'éléments, mais que c'était uniquement pour fermer la bouche aux hérétiques (1).

" Le peuple disait : C'est là vraiment le prophète (14) ". O prodige de la gourmandise ! Jésus-Christ avait fait une infinité de miracles plus admirables que ceux-ci, et ils n'ont reconnu et confessé qu'il était le prophète (2), qu'après qu'ils eurent été rassasiés. Mais notre récit prouve évidemment qu'ils étaient dans l'attente de quelque grand et excellent prophète. En effet, les uns disaient : " N'êtes-vous pas le prophète? " les autres: " Il est le prophète. Mais Jésus sachant qu'ils devaient ".venir l'enlever pour le faire roi, s'enfuit encore sur la montagne (15) ". Ah ! qu'il est grand le tyrannique empire de la gourmandise! Quelle légèreté d'esprit1 ils ne vengent plus la loi, ils ne se mettent plus en peine de la violation du sabbat. Ils ne sont plus emportés du zèle de l'amour de Dieu; leur ventre est plein, ils ont tout oublié ; le voilà maintenant, leur prophète, et ils vont le couronner roi : mais Jésus-Christ s'enfuit. Pourquoi? Pour nous apprendre à mépriser les dignités, et nous faire connaître qu'il n'a nul besoin des choses terrestres: Celui qui, venant au monde, a cherché la simplicité en tout, dans le choix d'une mère, d'une maison, d'une patrie, dans son éducation, dans ses habits, ne devait pas se rendre illustré par les choses de la terre : il était grand et illustre par les choses qu'il a, apportées du ciel, par les anges, par l'étoile,

1. " Hérétiques ". Les marcionites, les manichéens et leurs sectateurs.

2. " Le Prophète ". C'est-à-dire le prophète attendu, prédit, annoncé par Moïse. (Deut. XVIII, 15.)

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par la voix que le Père a fait retentir, par le témoignage de l'Esprit-Saint, par les prophètes qui longtemps auparavant l'avaient annoncé. Sur la terre, tout était bas, tout était vil, afin que sa puissance en éclatât davantage. De plus, il est venu pour nous enseigner que nous devons mépriser les choses présentes, et ne point admirer ce qui paraît brillant en cette vie, mais nous en moquer et n'aimer que les biens à venir. En effet, celui qui admire les choses de ce monde n'admirera point celles du ciel. Voilà pourquoi Jésus-Christ disait à Pilate : " Mon royaume n'est pas de ce monde " (Jean, XVIII , 36), afin qu'il ne parût pas se servir d'une crainte ni d'une puissance humaine pour persuader son innocence. Pourquoi donc le prophète dit-il : " Voici votre roi qui vient à vous plein de douceur; il est monté sur l'ânon de celle qui est sous le joug? " (Zach. IX, 9; Matth. XXI, 5.) Le prophète parle du royaume céleste et non pas de celui de la terre. C'est pourquoi Jésus-Christ disait encore : " Je ne tire point ma gloire d'un homme ". (Jean , V, 41.)

4. Apprenons donc, mes très-chers frères, à mépriser les dignités humaines, bien loin de les désirer. Nous sommes élevés à une grande et haute dignité; c'est un outrage, une moquerie et une vraie comédie que de lui comparer les dignités, les honneurs de ce monde : de même que les richesses de la terre, si vous les comparez à celles du ciel, sont la pauvreté même, et cette vie sans l'autre, une mort : " Laissez aux morts ", dit Jésus-Christ, " le soin d'ensevelir leurs morts" (Matth. VIII, 22) ; de même aussi cette gloire, si on la compare à celle qui nous attend, n'est qu'une honte, une risée, un jeu. Ne la .recherchez donc pas. Si ceux qui la donnent sont plus vils et plus méprisables que l'ombre et qu'un songe, la gloire elle-même l'est bien plus encore. " La gloire de l'homme est comme la fleur de l'herbe ". (I Pierre, I, 24.) Est-il rien de plus vil que la fleur de l'herbe? Mais quand cette gloire serait de longue durée, quel profit, quel avantage l'âme en retirerait-elle ? Aucun : au contraire, elle nuit extrêmement, elle nous asservit, nous rend ses valets et de pire condition que les esclaves, des valets forcés de servir, non un seul maître, mais deux, trois et mille qui commandent tout à la fois des choses différentes. Combien n'est-il pas plus avantageux d'être libre que d'être

esclave? d'être libre de la servitude des hommes, et d'obéir aux commandements de Dieu ? Enfin, vous voulez aimer la gloire, aimez-la; mais aimez la gloire immortelle : elle est plus brillante et beaucoup plus utile. C'est au prix de votre salut que le monde vous rend son admiration; mais Jésus-Christ vous donne le centuple de tout ce que vous lui donnez, et encore y ajoute-t-il la vie éternelle. Que vaut-il donc mieux : être l'admiration de la terre on du ciel; des hommes ou de Dieu? Pour votre perte ou pour votre profit? Etre couronné pour un jour ou pour des siècles sans fin ?

Donnez à l'indigent et non à ce baladin, de peur qu'avec votre argent vous ne perdiez aussi son âme. Lorsque vous allez curieusement et fort mal à propos le voir danser, vous êtes responsable de sa perte. Si ces malheureux savaient que leur art ne leur sera d'aucun profit, déjà depuis longtemps ils l'auraient abandonné : mais lorsqu'ils vous voient accourir, applaudir, ouvrir votre bourse et épuiser toutes vos richesses pour les enrichir, encore qu'ils ne voulussent plus s'obstiner dans leur métier, l'appétit du gain les y tient attachés. S'ils savaient que personne ne prendra plaisir à leurs exercices, le profit cessant, vite ils quitteraient le métier; mais comme ils se voient admirés, l'approbation publique est une amorce qui les séduit.

Cessons de faire d'inutiles dépenses : apprenons en quoi et quand il faut dépenser : craignons d'irriter la colère de Dieu; et en amassant par où il n'est pas permis d'amasser, et en répandant où il ne le faut point. De quelle vengeance n'êtes-vous pas digne lorsque, laissant là le pauvre, vous donnez à une prostituée? Et quand même vous ne lui donneriez qu'un argent bien acquis, récompenser le crime et honorer ce qui mérite punition, n'est-ce pas là un grand péché? Mais si vous dépouillez l'orphelin et frustrez la veuve pour encourager l'incontinence, songez au feu que Dieu allumera pour punir une action si abominable. Ecoutez ce que dit saint Paul: " Ceux qui font ces choses sont dignes de mort; et non-seulement ceux qui les font, mais aussi quiconque approuve ceux qui les font ". (Rom. I, 32.) Peut-être nos réprimandes sont-elles trop dures et trop fortes, mais notre silence même ne vous préserverait pas des supplices préparés pour ceux qui ne se [308] corrigent point. A quoi bon flatter de douces paroles ceux qui sont menacés d'un supplice effectif? Vous louez ce danseur, vous l'applaudissez, vous l'admirez, donc vous êtes pire que lui. Lui, sa pauvreté semble l'excuser, si elle ne le justifie pas; mais vous, vous ne pouvez pas même nous apporter cette excuse. Lui, si je l'interroge et lui dis: Pourquoi avez-vous laissé de côté les autres arts pour en exercer un qui est impur et exécrable, il me répondra : C'est parce que, moyennant un petit travail, je puis beaucoup gagner. Mais vous, si je vous demande pourquoi allez-vous applaudir un homme sans moeurs, qui vit pour la perte d'une infinité de gens? vous ne pourrez pas avoir recours à une pareille excuse vous serez forcé de baisser les yeux, et vous rougirez malgré vous. Que si, même devant nous, vous êtes hors d'état de vous justifier, lorsque le terrible et redoutable Juge paraîtra assis à son tribunal, lorsqu'il nous faudra rendre compte, et de nos pensées et de nos actions, comment pourrons-nous subsister? De quels yeux regarderons-nous notre juge? Que dirons-nous? Quelle défense apporterons-nous? Quelle excuse bonne ou mauvaise aurons-nous à donner? Dirons-nous que nous avons été six spectacle pour y faire de la dépense, pour le plaisir que nous y trouvions, pour la ruine de ceux que nous faisons périr par cet infâme métier? Sûrement nous ne pourrons rien répondre, mais nous serons infailliblement condamnés à un supplice qui ne finira jamais, qui durera éternellement. Dès maintenant prenons garde de ne pas tomber dans ce malheur, afin que; sortant de cette vie avec une bonne espérance, nous obtenions les biens éternels que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles ! Ainsi soit-il.
 
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XLIII.
LORSQUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DESCENDIRENT AU BORD DE LA MER ET MONTÈRENT SUR UNE BARQUE, POUR PASSER AU DELA DE LA MER, VERS CAPHARNAÜM. IL ÉTAIT DÉJÀ NUIT QUE JÉSUS N'ÉTAIT PAS ENCORE VENU A EUX. — CEPENDANT LA MER COMMENÇAIT A S'ENFLER A CAUSE DU GRAND VENT QUI SOUFFLAIT. (VERS. 16, 17, 18, JUSQU'AU VERS. 26.)
ANALYSE.

1. Jésus traverse la mer sans barque et apaise une tempête. — Jésus faisait certains miracles , sans autres témoins que ses disciples.

2. Inconstance et légèreté du peuple. — Miracle du passage de la mer Rouge, miracle de Jésus-Christ marchant sur la mer; leur différence. — Dieu veut que nous lui rendions grâces des biens terrestres et des biens spirituels qu'il nous fait. — Ne demander à Dieu que les biens spirituels, comme les seuls nécessaires. — Quelles sont les choses que nous devons principalement demander au Seigneur. — Les pécheurs, les scélérats sont riches, pourquoi ? — Aimer des véritables richesses.

1. Ce n'est pas seulement quand Jésus-Christ est, de corps, auprès de ses disciples, qu'il s'occupe d'eux, c'est encore lorsqu'il est absent et même fort éloigné. Sa toute-puissance lui permet de produire des effets pareils dans les conjonctures les plus différentes. Remarquez, par exemple, ce qu'il fait ici : ayant laissé ses disciples , il gravit la montagne. Le Maître étant absent, les disciples, sur le tard, descendirent au bord de la mer et demeurèrent là [309] jusqu'au soir à attendre qu'il revînt; lorsque le soir fut venu, dans l'inquiétude et l'impatience où ils étaient, ils cherchèrent avec empressement leur cher Maître, tant leur âme était embrasée du feu de son amour. Ils ne disent pas: Le soir est venu, la nuit approche, maintenant où irons-nous? Ce lieu est dangereux, l'heure est périlleuse : inspirés par leur ardente affection, ils montent dans une barque. Et ce n'est pas sans raison que l'évangéliste indique le temps, c'est pour montrer l'ardeur de leur amour. Pourquoi donc Jésus s'était-il éloigné de ses disciples ? ou plutôt pourquoi paraît-il de nouveau tout seul, marchant sur la mer? Premièrement, pour leur apprendre combien il était triste et dangereux pour eux d'être seuls et séparés de lui, et pour enflammer davantage leur coeur; en second lieu; pour leur montrer sa puissance. Comme Jésus-Christ ne les instruisait pas seulement en public avec tout le peuple, mais encore en particulier, de même aussi il faisait pour eux des miracles particuliers que le peuple ne voyait pas, parce qu'il était juste que ceux à qui il devait confier la conversion et le gouvernement de tout le monde, reçussent aussi de plus grandes grâces et de plus grands dons que les autres.

Et quels sont les miracles, direz-vous, que les seuls disciples ont vu ? La transfiguration sur la montagne, le miracle que Jésus fait ici sur la mer, beaucoup de choses admirables et merveilleuses après sa résurrection, et, comme je le crois, bien d'autres encore. Les disciples vinrent donc vers Capharnaüm; véritablement ils ne savaient pas où était allé leur Maître, mais ils espéraient de le rencontrer là ou dans leur navigation. Saint Jean l'insinue en disant que le soir étant arrivé, Jésus n'était pas encore venu, et que la mer s'était enflée à cause d'un grand vent qui soufflait. Et les disciples? Ils étaient troublés, et certes, il y avait sujet de l'être ; bien des choses étaient capables de les épouvanter : le temps, car il était nuit; la tempête, car la mer s'était enflée; le lieu, car ils n'étaient pas proche de la terre. Mais " comme ils eurent fait environ vingt-cinq stades (19) ", il leur arrive enfin ce à quoi ils ne s’attendaient pas, " car ils virent Jésus qui marchait sur la mer ", et comme ils étaient fort effrayés, il leur dit : " C'est moi, ne craignez point (20) ". Pourquoi donc leur apparaît-il ? Pour leur faire connaître que c'était lui qui apaiserait la tempête. Ces paroles de l'évangéliste nous le font entendre : " Ils voulurent le prendre dans leur barque ; et la barque se trouva aussitôt au lieu où ils allaient (21) ". Ainsi, non-seulement il les délivra du danger, mais encore il les fit heureusement arriver au port. Il ne se fit pas voir au peuple marchant sur la mer, parce que ce miracle était au-dessus de sa portée, et même il ne s'y fit pas voir longtemps à ses disciples, mais il se montra, il apparut et disparut aussitôt; pour moi, il me semble que c'est ici un autre miracle que celui que saint Matthieu raconte, et même bien des choses prouvent qu'il est différent. Au reste, souvent Jésus-Christ fait les mêmes miracles, afin qu'ils n'étonnent pas seulement ceux qui les voient, mais, qu'étant accoutumés à les voir, ceux-ci les reçoivent avec beaucoup de foi.

" C'est moi, ne craignez point ". Jésus, par sa parole, chasse la crainte de leur coeur; il ne fit pas de même dans une autre occasion où Pierre dit : " Seigneur, si c'est vous, commandez que j'aille à vous ". (Matth. XIV, 28.) Pourquoi donc alors les disciples ne le reconnurent-ils pas aussitôt, tandis qu'à présent ils le reconnaissent et croient en lui ? Parce qu'alors la tempête continuait et tourmentait la barque, et que maintenant sa voix calme la mer. S'il n'en est pas ainsi, c'est sûrement, . comme je viens de le dire, parce que Jésus, faisant souvent les mêmes miracles, les premiers rendaient les seconds plus croyables. Et pourquoi ne monte-t-il pas dans la barque? C'était pour faire un plus grand miracle, et en même temps pour manifester plus clairement sa divinité, et pour montrer que quand il avait rendu grâces, il ne l'avait pas fait par besoin, mais par condescendance. Il permit que la tempête s'élevât, pour les engager à le chercher toujours, et il l'apaisa sur-le-champ, pour manifester sa puissance; enfin , il ne monta point dans la barque pour faire un plus grand miracle.

" Le lendemain le peuple, qui était demeuré à l'autre côté de la mer, ayant vu qu'il n'y avait point là d'autre barque et que Jésus n'y était point entré avec ses disciples (22) ", ils entrèrent aussi eux-mêmes dans d'autres barques, qui étaient arrivées de Tibériade. Pourquoi saint Jean détaille-t-il toutes ces circonstances, ou plutôt pourquoi n'a-t-il pas dit que le lendemain, les gens s'étant embarqués; s'en [310] allèrent? Il veut nous apprendre quelqu'autre. chose. Quoi? Que si Jésus-Christ n'avait pas ouvertement déclaré cela au peuple, il l'avait néanmoins secrètement insinué et donné à penser, car il dit: " Le peuple vit qu'il n'y avait eu là qu'une seule barque ", que Jésus n'y était point entré avec ses disciples; et étant entrés dans des barques. qui étaient arrivées de Tibériade, "ils allèrent à Capharnaüm chercher Jésus ". En effet, que restait-il à penser, sinon que Jésus était allé à Capharnaüm en traversant la mer à pied ? On ne pouvait pas dire qu'il avait passé la mer sur une autre barque, il n'y en avait qu'une, ait saint Jean, celle dans laquelle les disciples sont entrés. Toutefois, après un si grand miracle, ils ne demandèrent pas à Jésus comment il avait fait pour passer la mer, ils ne s'informèrent pas d'un miracle aussi considérable. Que dirent-ils donc ? " Maître, quand êtes-vous venu ici (25) ? " A moins qu'on ne suppose qu'ici l'évangéliste a mis " quand " pour " comment ", et dans le même sens.

2. Ici encore, mes frères, il est important de faire attention à l'inconstance et à la légèreté de ce peuple. Les mêmes qui avaient dit c'est là le prophète; les mêmes qui avaient été chercher Jésus pour l'enlever et le faire leur roi, l'ont-ils trouvé, ils n'y pensent plus, et perdant, il faut le croire, le souvenir du miracle, ils cessent d'admirer Jésus-Christ pour ses oeuvres passées. Peut-être aussi le cherchent-ils, à présent, pour l'engager à leur donner encore à manger, comme précédemment.

Les Juifs passèrent la mer Rouge sous la conduite de Moïse, mais ce miracle était bien différent de celui-ci. Ce que fait Moïse, il le fait comme serviteur, il l'obtient par la prière (Exod. XIV, 22), mais Jésus-Christ opère tout par sa suprême autorité et sa souveraine puissance. Là le souille d'un vent du midi dessèche l'eau , et les Juifs passent la mer à sec; mais ici le miracle est plus grand : l'eau, sans rien perdre de sa nature, porte le Seigneur sur son dos, confirmant cette parole: " Le Seigneur " marche sur la mer comme sur un pavé". (Job, IX, 8, 70.) Au reste, le miracle des pains était bien à sa place au moment où Jésus-Christ allait entrer dans Capharnaüm, au milieu d'un peuple incrédule et endurci: il voulait amollir ces coeurs obstinés; non-seulement par les miracles qu'il opérerait dans la ville, mais encore par ceux qu'il ferait au dehors. Une si grande multitude de gens, entrant dans la ville avec tant d'ardeur et d'empressement, n'était-ce pas un spectacle capable d'émouvoir un rocher? Cependant nul n'en fut ému, nul n'en fut touché ; mais ils ne recherchaient tous que la nourriture corporelle; voilà pourquoi Jésus-Christ " les reprend ".

Instruits par cet exemple, mes très-chers frères, bénissons le Seigneur, rendons-lui grâces, non-seulement pour les biens terrestres qu'il nous accorde, mais beaucoup plus encore pour les biens spirituels. Il veut que nous lui rendions grâces des uns et des autres; et c'est pour répandre sur nous les biens spirituels qu'il nous donne les biens temporels; il prévient, il attire ceux qui sont plus grossiers et plus imparfaits par des bienfaits sensibles, parce qu'ils désirent encore les choses de ce monde. Mais si , après les. avoir reçues, ils s'y renferment, il leur en fait des reproches et des réprimandes. Jésus-Christ voulut première. ment donner au paralytique les biens spirituels ; mais ceux qui étaient présents s'y opposaient et ne pouvaient le souffrir; car Jésus ayant dit: " Vos péchés vous sont remis ", ils disaient: " Cet homme blasphème ". (Matth. IX, 2, 3.) Loin de nous dé tels sentiments, je vous en conjure, mes frères; mais recherchons avant toutes choses les biens spirituels. Pourquoi ? Parce que, si nous avons les biens spirituels, la privation des biens temporels ne nous fera aucun tort, ni préjudice ; et au contraire, si nous ne les possédons pas, quelle espérance, quelle consolation aurons-nous? Prions donc continuellement le Seigneur de nous les accorder, et demandons-les uniquement. Jésus-Christ nous a appris que ce sont là les biens que bous devons demander.

Si nous méditons la prière qu'il nous a enseignée, nous n'y trouverons rien de charnel, nous n'y trouverons rien que de spirituel. Car ce peu de bien sensible qu'on y demande devient spirituel par la manière dont on le demande. En effet, ne demander à Dieu rien de, plus que le pain quotidien ou de chaque jour (Matth. VI, 71), c'est d'une âme spirituelle et d'un vrai philosophe. Mais remarquez ce qui précède: " Que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel ". (Ibid. 9, 10.) Ensuite, après cette demande d'une chose terrestre et sensible , il recommence la suite [311] des demandes spirituelles qu'il nous est prescrit de faire : " Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons " à ceux " qui nous doivent ". ( Ibid. 12.) Dans cette formule de prière que Jésus-Christ, nous a donnée , il n'est question ni de dignités, ni de richesses, ni de gloire, ni de puissance, nous ne demandons que ce qui est utile à l'âme: nous ne demandons rien de terrestre, rien qui ne soit céleste. Puis donc que Dieu nous ordonné de détourner nos yeux des biens de là vie présente, ne serons-nous pas bien malheureux, si nous lui demandons des choses qu'il nous commande de mépriser jusqu'à nous en dépouiller quand nous les avons, afin de nous délivrer de tout soin et de toute inquiétude; et si nous ne demandons pas , si même nous ne désirons point ce qu'il nous prescrit de lui demander? C'est là sûrement parler en pure perte: c'est aussi ce qui rend nos prières vaines et infructueuses.

Comment donc, direz-vous, les méchants s'enrichissent-ils? comment les pécheurs, les scélérats, les voleurs sont-ils dans l'opulence? Ce n'est point Dieu qui leur donne ces richesses: loin de nous cette pensée ! Mais pourquoi le Seigneur le permet-il? Il l'a permis à l'égard du riche, pour le réserver à un plus grand supplice. Ecoutez ce qu'on lui dit: " Mon fils, vous avez reçu vos biens dans votre vie , et Lazare n'y a eu que des maux. C'est pourquoi il est maintenant dans la consolation, et vous dans les tourments ". (Luc, XVI, 25.) Mais, de peur que cette terrible sentence, nous ne l'entendions aussi prononcer contre nous, nous qui perdons notre vie dans les délices, et qui ajoutons péchés sur péchés; aimons les véritables richesses, appliquons-nous à la vraie philosophie , afin d'obtenir les biens que Dieu nous a promis : puissions-nous y participer tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 

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