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Saint Jean Chrysostome
34 Homélies sur la lettre de saint Paul aux Hébreux
.à suivre
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/hebreux/hebr09.htm
Préambule
 

Pourquoi Paul, étant juif, n'a-t-il pas été envoyé vers les juifs. — Pourquoi, à quelle époque et à quelle occasion a-t-il écrit une épître aux Hébreux?
 
 

Le bienheureux Paul écrit aux Romains: « Tant que je serai l'apôtre des gentils, j'honorerai mon ministère, en lâchant d'exciter de l'émulation dans ceux qui me sont unis selon la chair », (Rom. XI, 13, 14) ; et ailleurs il dit encore : « Celui qui a agi efficacement dans Pierre, pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi agi efficacement en moi pour me rendre l'apôtre des gentils ». (Gal. II, 8.) Donc il était l'apôtre des gentils, ce qui résulte des Actes des apôtres où Dieu lui dit : « Va, je vais t'envoyer bien loin chez les gentils ». (Act. XXII, 21.) Qu'avait-il -de commun avec les Hébreux? Pourquoi cette épître qu'il leur adresse, lui surtout qui leur inspirait une haine évidemment prouvée par plusieurs passages ? Écoutez ce que lui dit Jacques : « Tu vois, frère, combien de milliers de juifs ont cru, eh bien ! ils ont tous entendu dire que tu leur prêches l'apostasie de la loi » (XXI, 20; 21) : et bien des questions lui furent souvent adressées à ce sujet.

Pourquoi donc, dira quelqu'un, versé comme il était dans la loi, en disciple élevé aux pieds de Gamaliel, pourquoi transporté comme il était du zèle de cette loi, et capable par conséquent de confondre ses adversaires, n'a-t-il pas été envoyé par Dieu aux juifs? C'est que toutes ces qualités étaient précisément autant de titres à leur antipathie. Cette antipathie, Dieu la connaissait d'avance ; il savait que Paul ne serait pas accueilli par les juifs. Il lui dit donc : « Va trouver les gentils, car les juifs ne recevront pas le témoignage que tu leur rendras de moi ». (Act. XXII, 18.) Il répondit : « Seigneur, ils savent eux-mêmes que c'était moi qui mettais en prison et, qui faisais fouetter dans les synagogues ceux qui croyaient en vous, et que lorsqu'on répandait le sang de votre martyr Étienne, j'étais présent, je consentais à sa mort et je gardais les vêtements de ceux qui le lapidaient ». (Ibid. XIX, 20.) Il veut montrer et prouver par là qu'on ne croira pas à sa parole. Car il en est ainsi : une nation se voit-elle abandonnée par un homme infime et de nulle valeur,. cet abandon ne lui fait pas grand'peine. Mais si le transfuge est un homme distingué et brûlant de zèle qui partageait autrefois ses idées, cet abandon est pour la nation entière un chagrin, un tourment, c'est une atteinte gravé portée à ses dogmes. Il y avait encore une chose qui pouvait rendre les juifs incrédules. Pierre et les autres avaient vécu avec le Christ; ils avaient été témoins de ses prodiges et de ses miracles; mais, pour Paul, rien de tout cela n'avait eu lieu. C'était un transfuge qui, (452) après avoir été avec les juifs, était tout à coup passé dans notre camp, ce qui avait donné beaucoup de force à notre doctrine. Les autres pouvaient passer pour des témoins complaisants qui rendaient témoignage à un maître bien-aimé qu'ils regrettaient; mais lorsque Paul témoignait de la résurrection de Jésus-Christ, il était évident qu'il n'écoutait que la voix de la vérité. Aussi voyez-les à l'oeuvre : ils le détestent du fond du coeur; ils excitent contre lui la sédition, ils font tout pour le perdre. Mais, si les juifs incrédules avaient leurs raisons pour lui être hostiles, pourquoi les croyants ne l'aimaient-ils pas ? C'est qu'il était obligé de prêcher aux gentils la religion chrétienne dans toute sa pureté, et, si parfois il se trouvait en Judée, il ne faisait nulle attention au pays où il était. Pierre et ses compagnons prêchaient à Jérusalem, où le zèle de la loi était dans toute sa ferveur; ils devaient donc permettre l'observation de la loi mais Paul usait d'une grande liberté. Il y avait plus de gentils que de juifs en dehors de. Jérusalem. Ce qui les détachait de la loi, ce qui les portait à s'en affranchir, c'est que Paul prêchait le pur christianisme. De là ces avis adressés à Paul, pour l'engager à respecter la multitude : « Tu vois, mon frère, combien de milliers de juifs ont cru; eh bien ! ils te haïssent, parce qu'ils ont oui dire que tu prêches aux juifs d'apostasier leur loi ».

Pourquoi donc écrit-il aux juifs, puisqu'il n'est pas chargé de les instruire? Où leur écrit-il? A Jérusalem et en Palestine, sel6n moi. Mais comment leur écrit-il ? Comme il baptisait sans en avoir reçu l'ordre. Il dit, en effet (I Cor. I, 17), qu'il n'a pas reçu mission de baptiser; non que cela lui fût interdit, mais c'était un surcroît à son oeuvre. Et pourquoi n'écrivait-il pas à ceux pour lesquels il eût voulu être anathème? (Rom. IX, 3.) C'est ce qui lui faisait dire . « Vous savez que notre frère Timothée est en liberté, et, s'il vient bientôt, je viendrai vous voir avec lui ». (Hébr. XIII, 23.) A cette époque, il n'était pas encore prisonnier. Après deux ans de détention à Rome, il sortit enfin de prison. Puis il partit pour l'Espagne, se rendit ensuite en Judée et vit les Juifs. Ce fut alors qu'il revint à Rome, où il fut mis à mort sous Néron. Cette épître est postérieure à celle à Timothée, où il est dit : «Je suis comme une victime que l'on va immoler » ; et la première fois que j'ai défendu ma cause, nul ne m'a assisté. (II Tim. IV, 6, 16.) Car il a eu bien des luttes à soutenir. Ainsi il écrit aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus les imitateurs des églises de la Judée ». (l Thess. II, 14.) Et s'adressant aux juifs eux-mêmes, il leur dit : « C'est avec joie que vous avez accepté le pillage de vos biens ». (Hébr. X, 34.) Voyez comme il a combattu. Ah ! s'ils traitaient ainsi les apôtres, non-seulement en Judée, mais partout où ils les rencontraient, comment auraient-ils traité le reste des fidèles? Aussi voyez quelle est pour ces fidèles la sollicitude de Paul, lorsqu'il dit : « Je vais prêter mon ministère aux saints de Jérusalem » (Rom. XV, 25), lorsqu'il exhorte les Corinthiens à la bienfaisance, en disant que les Macédoniens ont déjà contribué (II Cor. I, 3), en ajoutant que, s'il le faut, il partira, lorsqu'il dit : « Ils nous recommandèrent seulement de nous souvenir des pauvres, de que j'ai eu aussi grand soin de faire ». C'est la même sollicitude qui le guide (Gal. II, 10) ; c'est elle encore qui lui dicte ces paroles : « Il nous donnèrent la main, à Barnabé et à moi, en signe d'union, pour que nous prêchions l'Evangile aux gentils, et eux aux circoncis ». (Ibid. 9.) Il ne parle pas ainsi des pauvres qui étaient là. Mais il veut nous faire participer à l'œuvre de la bienfaisance qui a ces pauvres pour objet. Il n'en est pas, en effet, de la charité comme de la prédication. Nous n'avons pas chargé les uns de faire la charité aux juifs, les autres de la faire aux gentils. Vous voyez cette sollicitude de Paul, qui s'exerce en tous lieux, et c'était justice. Dans les autres pays où les juifs vivaient pêle-mêle avec les gentils, les choses ne se passaient pas comme en Judée. La Judée avait conservé une apparence de liberté; les Juifs étaient encore autonomes, et n'étaient pas pleinement soumis aux Romains. Quoi d'étonnant s'ils s'arrogeaient le pouvoir le plus tyrannique ? Si dans les villes appartenant aux gentils, comme à Corinthe, ils frappaient le chef de la synagogue, sous les yeux même du proconsul siégeant à son tribunal, que ne devaient-ils pas faire en Judée ?

2. Vous voyez comme dans ces villes, les juifs traînent les apôtres devant les magistrats, en réclamant contre eux l'assistance des gentils. Chez eux, ils n'agissent pas ainsi, ils convoquent un conseil et punissent ceux qu'il leur plaît. C'est ainsi qu'ils ont fait périr Etienne , c'est ainsi qu'ils ont fait subir aux apôtres le supplice du fouet, sans consulter les magistrats; c'est ainsi qu'ils auraient fait périr Paul, sans l'intervention d'un. tribun. Quand ils se livraient à de pareils excès, l'autorité des pontifes subsistait encore, le temple était debout; ils avaient conservé leur culte et leurs sacrifices. Voyez Paul au tribunal du grand prêtre. « Je ne savais pas que c'était le grand prêtre », dit-il (Act. XXIII, 5) ; et cela se passait devant un magistrat romain, tant les Juifs prenaient de licence 1 Voyez quel était à cette époque le malheur des fidèles qui habitaient Jérusalem et le reste de la Judée ! Quoi d'étonnant alors, si l'homme qui voulait être anathème pour les incrédules, et qui s'inquiétait si fort des nouveaux convertis, si l'homme qui consentait à partir au besoin, pour leur venir en aide, daigne leur écrire pour les consoler et pour relever leur courage ? Leurs forces et leurs coeurs succombaient sous le poids de leurs tribulations. C'est ce que montre évidemment la fin de cette épître,: « Relevez donc », leur dit saint Paul, «vos mains languissantes et vos genoux affaiblis ». (Hébr. XII, 12.) Et il dit aussi : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas» ; et plus bas : « Si vous n'êtes point châtiés, quand tous les autres l'ont été, vous êtes donc des bâtards et non des fils légitimes ». (Ibid. X, 37, et XII, 8.) En leur qualité de juifs, ils avaient appris de leurs frères qu'ils devaient s'attendre à rencontrer sous leurs pas lesbiens et les maux, et que la vie était ainsi faite. Maintenant tout leur était contraire. Les biens n'étaient pour eux que des (453) espérances qui devaient se réaliser après leur mort; les maux, ils les touchaient du doigt, et l'excès de leurs souffrances était bien capable de les abattre.

Voilà pourquoi Paul s'étend sur ce chapitre. Mais nous développerons ce sujet en son lieu; pour le moment nous nous bornerons à montrer qu'il devait nécessairement écrire à des hommes dont le sort lui causait tant d'inquiétude. Quoiqu'il ne leur ait pas été envoyé pour les motifs que nous connaissons, rien ne l'empêchait de leur écrire. C'est à leur abattement qu'il fait allusion par ces mots : « Relevez vos mains languissantes, vos genoux qui fléchissent, et marchez dans la droite voie » ; et il leur dit en outre : « Dieu n'est pas injuste pour oublier vos oeuvres et votre charité ». (Ibid. XXII, 12; 13, et VI, 10.) Car l'âme ébranlée par des tentations fréquentes, est sujette à sortir du giron de la foi. De là ces exhortations de Paul qui cherche à les raffermir et à les garantir de l'incrédulité. Voilà pourquoi, dans cette épître surtout, il s'étend sur le chapitre de la foi, et leur montre enfin par de nombreux exemples, que leurs pères aussi n'ont pas vu se réaliser ces promesses d'un bonheur immédiat: Puis, afin que dans leur malheur ils ne se crussent point tout à fait abandonnés de Dieu, il les instruit de deux manières. Il les engage d'abord à supporter toutes les tribulations avec courage, ensuite à espérer une palme assurée ; car Dieu ne laissera pas sans récompense Abel et les justes qui lui ont succédé. Puis il leur offre trois sortes de consolations : c'est la passion du Christ qu'il leur offre pour exemple ; le serviteur ne doit pas être mieux traité que le maître; ce sont les prit que Dieu propose à ceux qui croient en lui : c'est enfin la nature même des tribulations auxquelles ils sont en proie. Pour affermir leurs coeurs, il invoque non-seulement l'avenir qui aurait pu ne pas faire assez d'impression sur eux, mais le passé et l'histoire des malheurs de leurs pères. Et c'est ainsi ce que fait le Christ, lorsqu'il déclare que l'esclave n'est pas plus grand que le maître, lorsqu'il affirme qu'il y a plus d'une place auprès de son père, lorsqu'il ne cesse de crier : Malheur aux incrédules !

L'apôtre fait souvent mention    e l'Ancien et du Nouveau Testament, parce qu'il remarquait que c'était là un puissant moyen pour les faire croire à la résurrection. Pour que la passion de Notre-Seigneur ne jette aucun doute sur sa résurrection, il entasse autour de ce dogme. les témoignages des prophètes, et apprend à ses auditeurs que c'est notre religion et non celle des juifs qu'il faut vénérer. C'est que le temple était encore debout avec ses sacrifices, et voilà ce qui lui fait dire : « Sortons du camp , en portant l'ignominie de sa croix ». (Hébr. XIII, 13.) Ici des contradicteurs pouvaient lui dire : Si tout cela est ombre et symbole, pourquoi toutes ces ombres ne passent-elles pas, pourquoi ne s'effacent-elles pas aux rayons de la vérité qui se lève ? Pourquoi l'ancien état de choses est-il toujours florissant? Il leur fait donc entendre que ce qui n'est point encore arrivé, arrivera en temps et lieu. Il leur fait voir enfin qu'autrefois déjà, et pendant longtemps, ils avaient persévéré dans la' foi, au milieu des tribulations. Depuis le temps qu'on vous instruit, leur dit-il, vous devriez déjà être maîtres. — Que nul d'entre vous ne laisse pénétrer dans son coeur le poison de l'infidélité. — « Vous vous êtes rendus les imitateurs de ceux qui, par leur foi et parleur patience, sont devenus les héritiers des promesses ». (Ibid. V, 12; III, 12; VI, 12.)
 

HOMÉLIE PREMIÈRE. DIEU AYANT PARLÉ AUTREFOIS A NOS PÈRES EN DIVERS TEMPS ET EN DIVERSES MANIÈRES PAR LES PROPHÈTES, NOUS A ENFIN PARLÉ, EN CES DERNIERS JOURS, PAR SON PROPRE FILS, QU'IL A FAIT HÉRITIER DE TOUTES CHOSES, ET PAR QUI IL A MÊME CRÉÉ LES SIÈCLES. (I, 1, 2.)
 

Analyse.
 
 

1. Eloge de saint Paul. — Il est plus grand que les prophètes. — Grandeur du Fils de Dieu. 2. Paul réfute les ariens. — Degrés de la grandeur du Christ.

3. Exhortation à la vertu. — Ce qu'on fait à son prochain, on le fait à Dieu.

4. La médisance, l'envie, l'avarice, la colère retombent sur ceux qui s'en rendent coupables. — Peines de l'enfer. — Exhortation à l'aumône. — Explication de ces paroles de l'Evangile : Facite vobis amicos ex mamona iniquitatis.
 
 

1. Qui, partout où abonde les péchés, on voit surabonder la grâce. (Rom. V, 20.) C'est ce que fait entendre le bienheureux Paul, eh commençant son épître aux Hébreux. Naturellement, les tortures, les persécutions auxquelles ils avaient été en butte de la part des méchants, devaient les rabaisser à leurs propres yeux, au-dessous des autres. Paul leur montre donc que ces persécuteurs mêmes leur ont fait obtenir une grâce surabondante. Au début même de son discours, il éveille l'attention de ses auditeurs, auxquels il dit : « Dieu ayant parlé autrefois à nos pères en divers temps et en diverses manières par les prophètes, nous a enfin parlé, en ces derniers jours, par son propre Fils ».

Pourquoi Paul ne s'est-il pas comparé aux (454) prophètes? II les surpassait de toute la grandeur de sa mission. Mais il n'en fait rien et pourquoi? C'est qu'il ne voulait pas se glorifier; c'est que ses auditeurs n'étaient point parfaits; c'est qu'il voulait les relever davantage à leurs propres yeux, et leur montrer leur supériorité : C’est comme s'il disait : Quelle faveur si grande Dieu a-t-il fait à nos pères, en leur envoyant les prophètes? Il nous a envoyé à nous son Fils unique. Ces belles paroles : « En divers temps et en diverses manières », montrent que les prophètes eux-mêmes n'ont pas vu Dieu, tandis que le Fils de Dieu l'a vu. « J'ai », dit le Très-Haut, « multiplié les visions, et entre les mains des prophètes j'ai pris diverses figures». (Osée, XII, 10.) Nous avons donc sur nos pères deux avantages : Dieu leur a envoyé les prophètes tandis qu'il nous a envoyé son Fils ; les prophètes n'ont pas vu Dieu, et le Fils de Dieu l'a vu. Cette vérité, il ne l'expose pas tout d'abord; il la prouve par ce qui suit, en disant, à propos de l'humanité : « Dieu a-t-il jamais dit à quelqu'un de ses anges : « Tu es mon fils? » et. « Assieds-toi à ma droite (5, 13)?» Voyez ici l'habileté de l'orateur. Il commence par citer les prophètes, pour montrer notre supériorité. Puis, quand il a bien établi ce fait qui doit être tenu pour constant, il déclare que Dieu a parlé à nos pères, par la bouche des prophètes, et à nous, par la bouche de son Fils unique ; et s'il leur a parlé par la. bouche des anges (car les anges aussi se sont entretenus avec les juifs), notre supériorité est encore ici la même. Nous avons eu affaire au maître; ils n'ont eu affaire qu'aux serviteurs. Car les anges, aussi bien que les prophètes, sont les serviteurs de Dieu.

C'est avec raison qu'il dit : « Dans ces derniers temps ». De telles paroles les relèvent et les consolent dans leur accablement. Et ailleurs : « Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude » (Philip. IV, 6) ; puis encore : « Maintenant notre salut est plus proche que, lorsque, nous avons cru ». C'est encore ainsi, qu'il procède en repassage. Que dit-il donc? Il dit que l'athlète qui s'est consumé, qui s'est épuisé dans la lutte, dès qu'il apprend la fin du combat, commence à respirer, envoyant arriver le terme de ses fatigues, et le commencement du repos.

« En ces derniers jours, il nous a parlé en son Fils ».Voici cette parole qui revient. « Par » son Fils, répète-t-il, pour confondre ceux qui veulent que cela s'applique à l'Esprit-Saint. Ici, « en » signifie « par », comme vous voyez. Ces mots, « dans ces derniers temps », ont encore un autre sens. Lequel? Le voici. Il y avait. longtemps que nous devions être châtiés, que les grâces nous avaient abandonnés, que nous avions perdu tout espoir de salut, que nous nous attendions à voir fondre sur nous de toutes parts un déluge de maux. C'est alors que Dieu nous a donné davantage. Mais voyez les précautions oratoires de Paul. Il ne dit pas : Le Christ a parlé, quoique le Christ eut parlé en effet. Mais ses auditeurs étaient faibles d'esprit, et ne pouvaient encore entendre ce qui se rapportait au Christ. Il leur dit donc ; « Il nous a parlé en son Fils ». Que dis-tu là, Paul?. Dieu nous a parlé par son Fils! Oui sans doute.

Mais où donc est la supériorité? Car tu as démontré que l'Ancien et le Nouveau Testament sont d'un seul et même auteur; la supériorité de celui-ci n'est donc pas grande. Voilà pourquoi il poursuit, et il s'explique en ces termes : « Et il nous a parlé en son Fils». Voyez comme Paul se met en cause et sur la même ligné que ses disciples, en disant : Il  « nous » a parlé. Pourtant ce n'est pas à lui qu'il a parlé, c'est aux apôtres, et par eux, à beaucoup d'autres. Mais il les relève à leurs propres yeux, et leur montré qu'à eux aussi il leur a parlé. Et en même temps ce sont les juifs qu'il attaque; car presque tous ces hommes; auxquels les prophètes ont parlé, étaient de grands coupables et des monstres. Et ce n'est pas encore d'eux qu'il parle, mais il parle des bienfaits de Dieu à leur égard. Voilà pourquoi il ajoute: « Qu'il a institué son héritier universel ». Il parle ici de la chair: et c'est ainsi que David a dit: « Demande, et je le donnerai les nations pour héritage ». Car ce n'est plus Jacob qui est la part de Dieu ; ce n'est plus seulement Israël qui est son lot, mais l'univers est . à lui. Que veulent dire ces mots : « Qu'il a insti« tué son héritier?» Ces mots veulent dire qu'il l'a fait maître et Seigneur de toutes choses. C'est aussi ce que dit Pierre dans les Actes. « Dieu l’a fait Seigneur et Christ ». (Act. II, 36.) Ce nom « d'héritier,» a deux significations : il désigne le propre Fils, le véritable Fils de Dieu. Il veut dire aussi que son titre de maître ne peut lui être arraché. « Héritier universel », c'est-à-dire du monde entier. Puis il revient à ce qu'il a dit d'abord : Par lequel il a fait aussi les siècles.

2. Où sont ceux qui disent: Il était quand il n'était pas? Avançant ensuite par degrés, Paul s'élève bien plus haut : « Comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance, et qu'il soutient tout par la puissance de sa parole, après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis au plus haut du ciel, à la droite de la souveraine Majesté (3). Etant aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur (4) ».  O qu'elle, est grande cette sagesse de l'apôtre! Mais que dis-je? Ce n'est pas la sagesse de Paul, c'est celle du Saint-Esprit qu'il faut admirer ici. — Ce n'est pas de son propre fonds qu'il a tiré ces paroles; il n'aurait pas trouvé par lui-même une telle sagesse. Où donc aurait-il appris ce langage ? Serait-ce dans son atelier, au milieu de ses peaux, et son couteau à la main ? Ah ! c'était une inspiration divine qu'un semblable langage. De telles pensées ne pouvaient éclore dans cette intelligence grossière et,simple qui ne dépassait pas celle des gens du peuple. Et pouvait-il en être autrement chez un homme dont les facultés étaient concentrées sur son commerce de peaux? C'était donc la grâce de l'Esprit-Saint qui opérait en lui, cette grâce qui choisit, pour montrer sa puissance, les instruments qu'il lui plaît. Voulez-vous amener un enfant jusqu'à une hauteur dont la cime touche au ciel même, vous le conduisez doucement et peu à peu par les pentes inférieures, puis, quand vous l'avez fait monter, vous lui dites de regarder en bas ; le voyez-vous saisi de vertige, troublé, comme si ses yeux étaient couverts d'un (455) brouillard, vous le prenez, vous le reconduisez plus bas, et vous lui donnez le temps de respirer, puis, quand il a repris ses sens, vous le faites alternativement remonter et descendre. Cette méthode, le bienheureux Paul l'a appliquée aux Hébreux, et partout, après l'avoir apprise de son Maître. Oui, telle est sa méthode : tantôt il élève, tantôt il abaisse les âmes de ses auditeurs, sans jamais leur permettre de rester longtemps dans le même état. Voyez comme il s'y prend dans,ce passage, et combien de degrés il leur fait d'abord gravir. Puis, quand il les a fait monter jusqu'au sommet de la piété, avant qu'un vertige ténébreux ne les saisisse, comme il les fait redescendre, comme il les laisse respirer, en leur disant : « Il nous a parlé en son Fils » ; et plus bas : « En son Fils qu'il a institué son héritier universel ». Quand on comprend cette filiation, on reconnaît que c'est le plus beau de tous les titres, et, quel qu'il soit, on reconnaît que ce titre vient d'en-haut.

Voyez comme il commence par placer ses auditeurs à un degré inférieur, par ces mois: « Qu'il a fait héritier de toutes choses?» Car cette expression « qu'il a fait héritier » n'a rien de bien relevé. Puis il les fait monter plus haut, quand il leur dit : « Par qui il a même créé les siècles ». Enfin il les fait monter encore et jusqu'à une hauteur au-dessus de laquelle il n'y a plus rien, dans ce passage : « Comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Oui : c'est jusqu'aux régions de la lumière matérielle, jusqu'aux régions mêmes de la splendeur qu'il les a fait monter. Mais avant qu'un brouillard couvre leur vue, voyez comme il les fait doucement redescendre, en leur disant : « Comme il soutient tout par la puissance de sa parole, après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis au plus haut du ciel, à la droite, de la souveraine Majesté ». Il ne s'est pas contenté de dire : « Il est assis au plus haut du ciel » ; il a ajouté : « Après la purification de nos péchés ». Voilà le mystère de l'Incarnation, ce mystère, d'humilité. Il s'élève ensuite en disant : « Il est assis au plus haut du ciel, à la droite de la souveraine Majesté ». Puis il prend un langage plus humble et il ajoute:«Étant aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur ». Paul parle ici de ce qui se rapporte à la chair. Par ce mot: Son père l'a « fait» plus grand que les anges; l'apôtre ne parle point de sa filiation spirituelle ; car sous ce rapport, il n'a pas été fait ni créé , mais engendré. Il parle de sa filiation charnelle; car sous ce rapport, il a été fait et créé.

Mais pour le moment il n'est pas question de son essence. Jean avait dit : « Celui qui vient « après moi m'a été préféré, parce qu'il était avant moi ». C'est comme s'il avait dit : Il est plus honoré, plus glorieux que moi. De même ici Paul dit à son tour : « Etant aussi élevé au-dessus des anges », c'est-à-dire, leur étant aussi supérieur en vertu et en gloire, que le,nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur. Paul, remarquez-le bien, parle ici, de la chair, car ce nom de Dieu-Verbe; il l'a toujours possédé; ce n'est pas là un héritage qui lui est survenu avec le temps, et il n'est pas devenu meilleur que les anges, à dater du jour où il nous a purifiés de nos péchés, mais il leur a toujours été supérieur et incomparablement supérieur. Paul parle ici au point de vue de la chair. C'est ainsi qu'en parlant de l'homme, nous le rabaissons et nous l'élevons tour à tour. Quand nous disons. L'homme n'est rien, l'homme est terre, l'homme est poussière, nous prenons l'homme entier par son plus bas côté. Quand nous disons au contraire: L'homme est immortel et doué: de raison, il a quelque chose de céleste, nous prenons l'homme entier par son côté le plus noble. Il en est de même du Christ : tantôt c'est ce qu'il y a d'inférieur, tantôt c'est ce qu'il y a de supérieur en sa personne que Paul considère, pour établir le dogme de l'Incarnation et pour montrer en même temps sa nature immortelle.

3. Puis donc que le Christ nous a purifiés de nos péchés, restons purs et immaculés; cette beauté qu'il nous adonnée, cet éclat, gardons-nous d'en ternir la pureté : point de tache, point de ride, rien qui y ressemble! Les taches et les rides, ce sont les fautes même légères; ce sont les médisances, les injures, les mensonges. Mais que dise? Ce ne sont pas là des fautes légères; ce sont au, contraire des fautes graves et tellement graves qu'elles nous font perdre le royaume des cieux. Et voici comment : celui qui traite son frère d'insensé, encourt, est-il dit, le supplice de la géhenne. Or si telle est la peine qu'entraîne une injure qui semble si légère, et qui a l'air d'un jeu d'enfant, celui qui traite son frère d'homme sans moeurs, de misérable envieux; et qui l'accable d'outrages, à quel châtiment ne s'expose-t-il pas? Quoi de plus affreux que sa situation? Mais laissez-moi poursuivre, je vous prie. Si ce qu'on fait à la plus infime créature, c'est à Dieu qu'on le fait, si ce qu'on ne fait pas à la plus infime créature, c'est à Dieu qu'on ne le fait pas, n'est-on pas louable ou blâmable, comme si cette créature était Dieu lui-même? Ouf, c'est offenser Dieu que d'offenser son frère; c'est honorer Dieu que d'honorer son frère.

4. Apprenons donc à notre langue à parler, comme il faut que notre langue, est-il dit, s'abstienne de dire le mal. Nous ne l'avons pas reçue de Dieu pour en faire un instrument d'accusation, d'insulte et de calomnie. Nous devons nous en servir, pour chanter les louanges de Dieu, pour en faire l'instrument de la, grâce, pour édifier notre prochain, pour lui être utile. Vous avez médit de quelqu'un? Eh bien! qu'avez-vous gagné à vous faire tort ainsi à vous-même, à passer pour un médisant? Le mal, en effet, le mal ne s'arrête pas à celui qui en est victime; il remonte jusqu'à son auteur. L'envieux, par exemple, en croyant faire tomber les autres dans ses piéges, est le premier à recueillir le fruit de son injustice; il se dessèche, il se flétrit, et se rend odieux à tout le monde. L'avare dépouille les autres de leur argent, mais il se prive lui-même de toute affection; que dis-je ? il s'attire les malédictions de tout le monde. Or bonne renommée vaut bien mieux que richesse. L'une n'est pas facile à ôter; l'autre est facile à perdre. Il y a plus. N'ayez pas de fortune, on ne vous fait pas un crime de votre indigence; mais si vous n'avez (456) une bonne réputation, vous voilà en butte au blâme, à la risée, à la haine générale; vous voilà en guerre avec la société. L'homme irascible se punit en se déchirant lui-même avant de châtier celui qui est l'objet de sa colère. Peut-être même est-il réduit à se retirer, après s'être acquis la réputation d'un scélérat et d'un homme abominable, tandis qu'il rend plus intéressante la personne qu'il a attaquée. Quand l'objet de vos médisances, loin de vous rendre la pareille, vous loue et vous admire, c'est son éloge qu'il fait et non pas le vôtre. Car, je l'ai dit plus haut, si la médisance frappe d'abord son auteur, le bien profite d'abord à celui qui le fait. Oui, le bien et le mal que vous faites, commencent, et c'est justice, par tomber sur vous. L'eau salée, aussi bien que l'eau douce, remplit les vases dans lesquels on la puise, sans que sa source diminue; il en est de même du vice ou de la vertu : ils font le bonheur ou la perte de celui dont ils émanent. Voilà la vérité.

Quelle parole pourrait décrire les peines ou les récompenses qui nous sont réservées dans l'autre vie? La parole ici est impuissante. Les récompenses dépassent toute idée et à plus forte raison, toute expression. Les peines ont des noms que nous sommes accoutumés à leur donner. Il y a, dit-on, pour les coupables, du feu, des ténèbres et un ver toujours dévorant, mais il n'y a pas seulement les peines énumérées ci-dessus; il y a des châtiments bien plus terribles encore. Voulez-vous me comprendre? vous devez tout d'abord faire la réflexion suivante. Dites-moi : S'il y a du feu, comment y a-t-il des ténèbres? Voyez-vous combien ce feu est plus terrible que le nôtre; c'est un feu qui ne s'éteint pas. Aussi l'appelle-t-on le feu éternel. Pensons donc quel malheur c'est de brûler sans cesse, d'âtre plongé dans les ténèbres, de se répandre en gémissements, et de grincer des dents sans qu'on vous écoute. Si un homme bien élevé, jeté dans un cachot, trouve que l'odeur fétide de la prison, les ténèbres et la société des hommes de sang à elles seules, sont plus cruelles que la mort la plus affreuse, qu'est-ce donc, songez-y bien, de brûler toujours en compagnie des assassins qui ont infesté la terre, de briller sans rien voir, sans être vu de personne, en se croyant seul au milieu de toute cette foule de coupables? Au milieu de ces ténèbres profondes, ne pouvant apercevoir ceux qui seront près de lui, chacun de nous croira être seul à souffrir. Si les ténèbres suffisent pour troubler nos âmes oppressées, que sera-ce, dites-moi, lorsqu'à l'horreur des ténèbres se joindra l'horreur des tourments? C'est pourquoi, je vous en conjure, réfléchissez sans cesse à ces mystères de l'autre vie, et supportez l'ennui que peuvent vous causer mes paroles, polir n'avoir pas à supporter des supplices qui ne sont que trop réels. Car tout ce que je vous dis là s'accomplira de point en point. De tous ceux qui auront mérité d'être punis, pas un seul n'échappera au châtiment. Personne, ni père, ni mère, ni frère, ne pourra obtenir leur grâce, quelque puissante que soit sa parole, quelque grand que soit son crédit auprès de Dieu. « Le frère ne rachète pas; l'homme rachètera-t-il? » C'est Dieu qui donne à chacun selon ses oeuvres; ce sont nos œuvres qui feront notre salut ou notre perte.

« Faites-vous des amis avec l'argent de l'injustice » : c'est l'ordre du Seigneur, et nous devons obéir; que le superflu de nos richesses soit versé dans le sein de l'indigence ; faisons l'aumône, tandis que nous le pouvons : c'est se faire des amis avec de l'argent: laissons tomber nos richesses entre les mains des pauvres, pour que ce feu tombe et s'éteigne, pour que nous paraissions là-haut avec confiance. Ce ne sont pas ceux qui nous accueillent, ce sont nos oeuvres que nous trouverons là-haut pour nous défendre : que nos amis soient incapables de nous sauver, c'est ce que nous apprend ce qui vient ensuite. Pourquoi en effet le Christ n'a-t-il pas dit: Faites-vous des amis, pour qu'ils vous reçoivent dans lés demeures éternelles? Pourquoi nous a-t-il indiqué en outre le moyen de nous en faire? Ces mots avec « l'argent de l'iniquité » prouvent que ce sont nos richesses qui doivent nous faire des amis. Nous voyons par là que l'amitié à elle seule ne pourra nous défendre, si nous ne faisons provision de bonnes . oeuvres, si la justice ne préside. pas à l'emploi de ces richesses, injustement amassées. Ce que nous disons de l'aumône, doit s'appliquer non-seulement aux riches, mais aux pauvres. Celui-là même qui vit d'aumône doit prendre pour lui nos paroles. Car il n'y a pas, non il n'y a pas de pauvre, quelque pauvre qu'il soit, qui ne possède deux petites pièces d'argent. Le pauvre qui prend sur le peu qu'il a pour donner peu de chose, peut être supérieur au riche qui donne plus que lui. témoin la veuve. Car ce n'est pas à l'importance de la somme, mais au moyen et à la bonne volonté de celui qui donne que se mesure l'aumône. Ce qu'il faut toujours avoir, c'est la bonne volonté; ce qu'il faut toujours avoir, c'est l'amour de Dieu. Que ce mobile nous fasse toujours agir, et quelque modeste que soit notre avoir, quelque modeste que soit notre aumône, Dieu ne se détournera pas de nous, et notre offrande sera reçue de lui, comme si elle était riche et magnifique : c'est la bonne volonté, ce n'est pas le don qu'il regarde; et si notre bonne volonté lui parait grande, le souverain Juge nous accordé son suffrage et nous fait participer aux biens éternels. Puissent-ils devenir notre partage à tous, par sa grâce et sa miséricorde!

HOMÉLIE II. QUI, ÉTANT LA SPLENDEUR DE SA GLOIRE ET LE CARACTÈRE DE SA PUISSANCE, SOUTIENT TOUT PAR LA PUISSANCE DE SA PAROLE, APRÈS NOUS AVOIR PURIFIÉS DE NOS PÉCHÉS. (1, 3.)
 

457
 
 

Analyse.
 
 

1. C'est avec respect que nous devons parler de Dieu. — Hérésies de Marcellus et de Photin. — Contre Sabellius et Arius.

2. Hérésie de Paul de Samosate. — Réfutation d'Arius, de Sabellius, de Marcellin, de Photin et de Marcion.

3. Créer le monde est une oeuvre moins grande que de le conserver. — Le Fils de Dieu est tel, non-seulement par la grâce, mais par la nature.

4. Exhortation à l'humilité. — Combien les choses de cette vie sont passagères.

5. La condition du pauvre vaut mieux que celle du riche.
 
 

1. L'esprit de piété est nécessaire en toute circonstance, mais surtout lorsque l'on parle ou qu'on entend parler de Dieu : la langue en effet ne peut proférer, l'oreille ne peut entendre de parole qui soit à la hauteur de la divinité. Et que dis-je, la langue et l'oreille? notre âme qui leur est bien supérieure ne nous fournit pas des idées bien exactes, quand nous voulons parler de Dieu. Car si la paix de Dieu est au-dessus de toute intelligence, si l'image des biens préparés à ceux qui l'aiment ne peut entrer dans le coeur humain,.combien le Dieu de paix lui-même, le créateur de 1'univers, ne dépasse-t-il pas mille fois la mesure de notre raison! Il faut donc, avec foi et piété, accepter tous les mystères, et c'est quand notre faible raison ne peut saisir sa parole que nous devons surtout glorifier Dieu, ce Dieu si supérieur à notre intelligence et à notre raison. Car nous avons sur Dieu bien des idées que nous ne pouvons exprimer; nous avançons à son sujet bien des propositions que nous ne pouvons comprendre. Nous savons par exemple que Dieu est partout; mais comment cela se fait-il? nous ne le comprenons pas. Nous savons que c'est une force immatérielle, source de tout bien. Mais quelle est cette force? bous j'ignorons. Ici nous parlons sans comprendre. Il est partout : je l'ai dit; mais je ne le comprends pas. Il n'a pas eu de, commencement; je parle encore sans comprendre. Je dis qu'il a engendre un Fils de lui-même, et ici encore je trouve mon intelligence en défaut. Il y a donc de ces choses qu'on ne peut pas même exprimer. L'intelligence conçoit; mais la parole est impuissante. Et tenez; vous allez voir la faiblesse de Paul lui-même, vous allez le voir dans l'impuissance de s'expliquer clairement, et vous frémirez, et vous n'en demanderez pas davantage. Écoutez seulement. Après avoir parlé du Fils de Dieu et avoir établi qu'il est le créateur, qu'ajoute-t il? « Qui était la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Il faut accepter ces paroles avec piété, en en retranchant tout sens déplacé. « La splendeur de sa gloire », dit-il. Mais voyez dans quel sens Paul prend ces paroles, et prenez-les dans le même sens que lui. Il veut dire que le Christ tire de lui-même cette splendeur, qu'elle ne peut souffrir d'éclipse, qu'elle n'Est susceptible ni d'augmentation ni de diminution. Il y a des hommes qui s'emparent de cette image, pour en tirer des conséquences absurdes. La splendeur, disent-ils, n'est pas une substance, mais elle a une existence dépendante.

O homme! ne prenez pas ainsi la parole de l'apôtre; ne gagnez pas la maladie de Marcellus et de Photin. Paul vous met lui-même sous la main un préservatif contre cette erreur; il ne veut pas vous voir affligé de cette maladie mortelle. Que vous dit-il encore? « Le caractère de sa substance ». Cette parole qu'il ajoute montré que, tout comme le Père, le Fils subsiste en lui-même. Par cette parole, il vous fait voir qu'il n'y a pas entre eux de différence, il met devant vos yeux le caractère propre et original du Fils de Dieu, il vous apprend qu'il subsiste en lui-même dans son hypostase. Après avoir dit que Dieu a créé toutes choses par lui, il lui attribue ici la souveraine autorité. Qu'ajoute-t-il en effet? « Soutenant tout par la parole de sa puissance ». Par là il veut nous faire toucher du doigt non-seulement le caractère de sa puissance, mais l'autorité souveraine avec laquelle il gouverne tout. Voyez comme il attribue au Fils les qualités du Père. Pourquoi ne s'est-il pas contenté de dire : « Soutenant tout? » Pourquoi n'a-t-il pas dit simplement : Par sa puissance? Pourquoi a-t-il dit: « Par la parole de sa puissance? » Tout, à l'heure il s'élevait peu à peu, pour redescendre bientôt; maintenant encore de degrés en degrés, pour ainsi dire, il s'élève bien haut, puis il redescend et nous dit: « Par lequel il a créé les siècles ». Voyez comme il sait ici se frayer un double chemin. Pour nous détourner des hérésies de Sabellius et d'Arius, dont l'un ne conserve de Dieu que la substance, dont l'autre partage la nature de Dieu en deux natures inégales, il bat complètement en brèche ces deux systèmes. Et comment s'y prend-il ? Il tourne et retourne sans cesse les mêmes idées pour qu'on n'aille pas s'imaginer que le Fils ne procède pas de Dieu, et qu'il lui est étranger. Et n'allez pas trouver son discours étrange, puisque, après une pareille démonstration, il s'est trouvé des hommes qui ont dit que le Christ n'avait rien de commun avec Dieu, qui lui ont donné un autre père, qui le déclarent ennemi de Dieu; que n'aurait-on pas dit, si Paul n'avait pas tenu ce (458) langage? Obligé de remédier à ces erreurs, il est obligé aussi d'employer un langage plus humble et de dire: Dieu l'a institué son héritier universel, et c'est par lui qu'il a fait les siècles. Puis d'un autre côté, pour ne pas porter atteinte à la grandeur du Christ, il s'élève et parle de sa puissance. Il le met sur la même ligne que le Père, si bien que beaucoup de gens le confondent avec le Père. Mais voyez comme il procède avec prudence. Il pose d'abord et a soin de bien établir ses bases. Puis, quand il a démontré que loin d'être étranger à Dieu, le, Christ est le Fils de Dieu, il s'élève sans difficulté aussi haut qu'il veut. Comme en parlant de Jésus-Christ d'une manière sublime il risquait d'en porter plusieurs à le confondre avec le Père, il a soin d'en parler d'abord d'une manière humble, afin de pouvoir ensuite sans danger donner tout son essor à sa parole. Après avoir dit : « Dieu l'a établi son héritier universel » ; Dieu par lui a créé les siècles, il ajoute : « Il soutient tout par la  parole de sa puissance ». Celui qui d'un seul mot gouverne l'univers, n'a besoin de personne pour le créer.

2. Cela étant, voyez comme Paul va plus loin, comme il donne au Fils l'autorité. Ces mois « par « qui » se trouvent maintenant supprimés. Comme il a fait par lui-même ce qu'il a voulu; Paul le sépare du Père, et que dit-il? « Dès le commencement du monde, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de vos mains ». Il ne dit plus « par qui », il ne dit plus : C'est par lui que Dieu a fait les siècles. Et pourquoi donc? Est-ce que les siècles n'ont pas été faits par lui? Certainement; mais ce n'est pas comme vous le dites, comme vous le croyez. Il n'a pas été réduit au rôle d'un instrument incapable d'agir par lui-même, si son Père n'avait mis la main à l'oeuvre. De même que le Père ne juge personne et juge, dit-on, par la bouche de son Fils, parce qu'il a engendré en lui le souverain Juge, de même c'est, dit-on, par son Fils qu'il crée, parce qu'il a engendré en lui le créateur. ,Car si le Fils est engendré du Père, c'est le Père qui a'engendré à plus forte raison tout ce qui a été fait par le Fils.

Lors donc que Paul veut montrer que le Fils est engendré du Père, il est obligé de baisser le ton. Mais lorsqu'il veut parler un langage plus élevé, il donne prise aux attaques de Marcellus et de Sabellius. Mais entre ces deux excès qu'elle fuit, l'Eglise suit une ligne intermédiaire. Elle ne se renferme pas dans un humble langage, pour ne pas donner lieu à Paul de Samosate; elle ne plane pas toujours. dans les hautes régions et elle nous montre un Dieu qui se rapproche beaucoup de l'humanité, pour éviter les assauts de Sabellius. Paul dit « le Fils » et aussitôt Paul de Samosate l'arrête, en s'écriant : Le Fils soit ! comme tant d'autres. Mais Paul a porté à l'hérétique un coup mortel, avec un seul mot, le mot « d'héritier ». Alors Paul de  Samosate s'allie sans rougir à Arius, car tous les deux s'emparent de ce mot ; l'un pour dire que c'est un témoignage de faiblesse, l'autre pour attaquer ce qui suit. D'un seul mot, en disant : « Par qui il a fait les siècles », Paul a terrassé l'hérétique de Samosate; mais Arius semble encore être fort. Voyez pourtant comme Paul renverse à son tour cet adversaire, en disant:«Qui étant la splendeur de sa gloire ». Mais voici de nouveaux assaillants, Sabellius, Marcellus et Photin. À tous ces adversaires il porte un seul coup. Il dit : « Il est le caractère de sa puissance et soutient tout par la puissance de sa parole ». Ici c'est encore Marcion qu'il frappe, légèrement il est vrai , mais toujours est-il qu'il le frappe; car, dans tout le cours de cette épître, il le combat. Mais, je l'ai dit plus haut, il appelle le Fils « la splendeur de la gloire » et avec raison. Ecoutez en effet le Christ, parlant de lui-même: « Je suis », dit-il, « la lumière du monde ». Voilà pourquoi Paul appelle le Christ « la splendeur de la gloire « divine », pour montrer que c'est là aussi le langage du Christ qui est évidemment lumière de lumière. Il ne s'en tient point là; il montre que cette lumière a illuminé nos âmes. Ces mots «splendeur  de sa gloire » veulent dire égalité de substance, propinquité du Fils avec le Père. Pensez à la subtilité de ces paroles. Il ne prend qu'une essence et une substance, pour nous présenter deux hypostases. Il fait de même pour la science de l'Ésprit-Saint. Selon. lui, la science du Père et celle du Saint-Esprit forment une science unique; car elles ne sont en vérité qu'une seule et même science. De même en ce passage, il se sert d'un seul. mot; pour désigner les deux hypostases.

Il ajoute le mot « caractère ». Le caractère est autre chose que le prototype; il n'est pas tout autre, il n'en diffère qu'en ce qui regarde l'hypostase. Car ici le mot a caractère» annonce une similitude, une ressemblance parfaite.. Lors donc que Paul, emploie ces dénominations de forme et de caractère, que peuvent dire les hérétiques? Mais l'homme aussi a été appelé une image (Gen. I, 26). Quoi donc! Est-ce de la même manière que le Fils? Non, vous dit-on, sachez que l'image n'implique pas la ressemblance. parfaite : le mot image appliqué .à l'homme signifie une ressemblance compatible avec l'humanité. Ce que Dieu est' dans le ciel, l'homme l'est sur la. terre, quant à l'autorité. Si sur la terre l'homme est le maître, Dieu est le souverain maître de la terre et du ciel. D'ailleurs l'homme n'a pas été appelé figure, splendeur, forme, ce qui indique l'essence ou une ressemblance essentielle. De même que le terme «la forme d'esclave » veut dire un homme ayant tous les attributs de l'humanité,ainsi le terme «la forme de Dieu » ne peut rien signifier autre chose que Dieu. « Qui étant là splendeur de sa gloire», dit Paul. Voyez comment l'apôtre s'y prend. Après avoir dit : « Etant la splendeur de sa gloire », il a ajouté : « Il est assis à la droite de la souveraine Majesté ». Examinez les mots dont il se sert; ici il n'est plus question d'essence. Ni le mot de majesté, en effet, ni le mot de gloire ne rendent bien    , son idée. Mais il ne trouve pas de mot, pour l'exprimer. Voilà ce que je disais. en commençant. Il y a bien des choses que nous comprenons, sans pouvoir rendre notre pensée. Car le mot Dieu ne désigne pas l'essence. Mais comment désigner l'essence divine ? Et qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'on ne trouve pas un nom pour cette essence? (459) Le mot ange en lui-même n'a dans sa signification aucun rapport avec l'idée d'essence. Peut-être en est-il de même du mot « âme », qui, selon moi, a la signification de « souffle ». Ame, coeur, pensée, sont termes synonymes. « Mets en moi un coeur pur, mon Dieu », dit le psalmiste. Il y a :même des cas où le mot « âme » s'emploie dans l'acception. « d'esprit». «Et soutenant tout par la parole de sa puissance ». Entendez-vous ce qu'il dit ?

3. Comment donc, hérétiques, pouvez-vous vous armer de cette parole de l’Ecriture : « Dieu dit que  la lumière soit », pour soutenir que lé Père seul a ordonné, que le Fils n'a fait qu'obéir? Mais voilà le Fils qui agit ici par sa parole. « Soutenant tout », dit l'apôtre ; c'est-à-dire gouvernant tout, arrêtant l'édifice dans sa chute. Ah ! c'est une oeuvre aussi grande, que dis-je ? c'est une oeuvre plus grande de soutenir le monde que de le créer. Créer, c'est faire quelque- chose de rien. Mais arrêter dans sa chute ce qui va tomber dans le néant, rattacher entre eux tant d'éléments, voilà qui est grand, voilà qui est admirable, voilà qui révèle un grand pouvoir. Et comme l'apôtre montre que cette oeuvre est facile au Fils par ce seul mot « soutenant». Il n'a pas dit, gouvernant; il a emprunté une image; c'est l'être fort qui remue et porte un fardeau avec un seul doigt. Il montre la pesanteur du fardeau c'est le monde, et ce fardeau n'est rien pour celui qui le porte. Cette dernière vérité est encore exprimée en ces mots : « Par la parole de sa puissance ». C'est bien dit : car c'est montrer la puissance de cette parole divine différente de la parole humaine qui est si peu de chose. Mais en 'nous disant que la parole divine soutient le monde, il ne nous dit pas comment; car il est impossible de le savoir. Il passe à la majesté divine. Et c'est ce qu'a fait saint Jean, qui, après avoir parlé de l'existence de Dieu, parle de la création. Ce que l'évangéliste a fait entendre en disant : « Au commencement était le Verbe et tout a été fait par lui» (Jean, I, 1, 3), l'apôtre le dit à son tour et l'exprime clairement en ces termes: « Parce qu'il a même créé les siècles ». Voilà l’ouvrier qui a fait les siècles et qui subsistait avant tous les siècles. Que dire en présence de ces paroles du Prophète, à propos du Père : « Tu existes depuis le commencement des siècles jusqu'à la fin des siècles » (Ps. LXXXIX, 2), si on les compare à ces paroles de l'apôtre, à propos du Fils: « Il existait avant tous les siècles et il a fait tous les siècles ? » Ne se hâtera-t-on pas d'appliquer au Fils ces mots qui ont été dit du Père: II existe avant les siècles? « En lui était la vie », dit saint Jean, pour faire voir qu'il a la force et le pouvoir de soutenir l'univers, puisqu'il est la vie universelle. Saint Paul tient le même langage: « Il soutient tout par la parole de sa puissance ». Il ne fait pas comme les philosophes grecs, qui, autant que cela dépend d'eux, le dépouillent de sa force créatrice et de sa Providence, et qui renferment son pouvoir dans un cercle qui s'arrête à la. lune.

« Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés ». Après avoir parlé de ses oeuvres, si grandes, qui sont autant de suprêmes merveilles, Paul nous parle de sa sollicitude pour les hommes. Ce mot : « Soutenant tout» était bien vaste et embrassait tout. Le mot suivant est plus grand encore, car lui aussi il embrasse tout. En tant qu'ira dépendu de, lui, le Fils nous a tous sauvés. Jean, après avoir dit: : « En lui était la vie», pour marquer sa providence, ajoute . « Et il était la lumière », ce qui revient à ce que dit saint Paul. « Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés, il est assis à la droite de la majesté suprême ». Il y a là deux preuves éclatantes; de sa sollicitude pour nous: il nous purifie de nos péchés, et il le fait par ses mérites. Que de fois ne le voyons-nous pas se glorifier de cet événement, non-seulement parce que Dieu s'est réconcilié avec les hommes, mais parce que le Fils a été le médiateur de cette réconciliation devenue ainsi de sa part un plus éclatant bienfait. Après avoir dit qu'il s'est assis à la droite du Père, et qu'il nous a purifiés de nos péchés, après avoir rappelé la croix, 'l'apôtre nous parle de sa Résurrection et de son Ascension. Et voyez ici sa prudence ineffable. Il ne dit pas : On l'a fait asseoir; il dit : « Il s'est assis ». Puis, pour qu'on ne pense pas qu'il se tient debout, il ajoute: « Qui est fange à qui le Seigneur ait jamais dit : « Asseyez-vous à ma droite? » —  « Il est assis à la « droite de la majesté suprême, au plus haut des cieux ». Que signifie « au plus haut des cieux ? » Veut-il donc renfermer Dieu dans un espace limité? Loin de là. Il ne veut pas nous donner de Dieu une semblable idée. Quand il a dit: « Il est assis à la droite du Père », il a voulu seulement faire allusion à la dignité de Fils qui égale celle du Père; et, quand il a dit: « Au plus haut des cieux», il a voulu non pas renfermer Dieu dans ces limites, mais nous montrer ce Dieu dominant l'univers, et s'élevant jusqu'au trône de son Père ! Comme son Père, il est au plus haut des cieux, et ce trône qu'ils, partagent montre qu'ils sont égaux eu dignité. Mais, poursuivent les hérétiques, le Père a dit au Fils : « Asseyez-vous à ma droite ». Eh bien ! cela prouve-t-il que-le Fils se tenait debout? Voilà ce que les hérétiques eux-mêmes ne sauraient prouver. D'ailleurs Paul ne dit pas que le mot précédent soit un ordre ou une injonction ; il n'a d'autre but que de nous faire voir que le Fils procède d'un principe et d'une cause. Et la preuve, c'est la place à laquelle ce Fils est invité à s'asseoir. Elle est à la droite du Père... Pour désigner l'infériorité, le Père aurait dit: Asseyez-vous à ma gauche.

4. « Etant aussi supérieur aux anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur ». Le mot « étant » signifie ici « déclaré », pour ainsi dire. Paul le prouve. Comment est-il supérieur aux anges? Par le nom qu'il a reçu. « Voyez-vous que a le nom de Fils désigne ici la parenté légitime ? » Certes, s'il ne se fût agi d'un fils légitime, Paul n'aurait pas tenu ce langage. Pourquoi? Parce que le Fils n'est légitime qu'à la condition d'avoir été engendré par le Père. Paul confirme donc ici sa parole. Car si le Christ est Fils de Dieu par la grâce, loin d'être supérieur aux anges, il leur serait inférieur. Comment? c'est que les justes ont aussi été appelés les fils de Dieu, et le nom de fils, quand il ne s'agit pas du Fils proprement dit, du Fils (460) légitime, n'est pas un titre de supériorité. Et, pour marquer l'intervalle qui existe entre les créatures et le créateur, Paul s'exprime ainsi: « Qui est l'ange à qui Dieu ait jamais dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd'hui ? » Et ailleurs: « Je serai son Père, et il sera mon Fils ». Ces paroles marquent la filiation selon la chair. Car le mot: « Je serai son Père, et il sera mon Fils », fait allusion évidemment à l'Incarnation. Mais cet autre : « Vous êtes mon Fils », ne prouve qu'une chose: c'est qu'il est de lui. De même qu'il est dit « qui est», on, au temps présent, car cela lui convient, admirablement; de même le mot « aujourd'hui m s'applique, selon moi, à l'Incarnation Lorsqu'en effet il aborde ce mystère, son langage est plein d'assurance. La chair participe à l'élévation, comme la divinité à l'abaissement. Dieu n'a pas dédaigné de se faire homme; il n'a pas reculé devant cette humiliation réelle ; pourquoi donc n'accepterait-il pas le mot qui l'exprime ?

5. Puisque nous sommes pénétrés de ces vérités, plus de mauvaise honte, plus d'orgueil. Si Jésus qui est Dieu, maître et Fils de Dieu, a daigné prendre la forme d'un esclave, ne devons-nous pas accepter toutes les tâches, même les plus humbles? Répondez, homme, d'où vient votre orgueil ? Des biens que vous possédez en cette vie? Mais ils s'éclipsent avant de briller. Des dons spirituels? Mais c'en est un que de n'avoir pas d'orgueil. D'où vient donc votre orgueil? De votre droiture? Ecoutez cette parole du Christ: « Quand vous aurez fait toutes choses, dites: Nous sommés des serviteurs inutiles» (Luc, XVII,10), car nous avons fait ce que nous devions faire. Mais c'est votre richesse qui vous rend orgueilleux. Eh! pourquoi donc? Ne savez-vous pas que nous sommes entrés nus dans la vie, et que nous en sortirons nus? Ne voyez-vous pas que ceux qui vous ont précédés sont partis nus, et dépouillés? Pourquoi s'enorgueillir de la possession des biens extérieurs? Ceux qui veulent s'en servir et en jouir, ne s'en voient-ils pas privés, même malgré eux, souvent avant leur mort, toujours au moment de la mort ? Mais; de notre vivant, dites-vous, nous en faisons ce que nous voulons. D'abord on voit rarement les riches jouir de leur fortune, comme ils l'entendent. Et quand on serait assez heureux pour cela, ce ne serait pas là un grand bonheur. Le présent en effet est bien court, quand on le compare aux siècles sans fin.

Tu es orgueilleux de tes richesses,-'ô homme ! Et pourquoi donc ? C'est un avantage qui t'est commun avec les brigands, avec les voleurs, avec les meurtriers, avec une foule de gens efféminés et corrompus, avec tous les méchants. Pourquoi donc cet orgueil? Si tu fais de ta fortune un boit usage, tu dois bannir l'orgueil, pour ne pas enfreindre les commandements; si tu fais un mauvais usage de tes biens, l'orgueil te sied moins encore, puisque tu es l'esclave de ces biens, de ces trésors qui sont devenus tes tyrans. Dites-moi, ce fiévreux qui boit de l'eau avec excès et dont la soif s'éteint un instant pour se rallumer, doit-il s'enorgueillir? Cet homme qui se forge mille soucis inutiles, doit-il s'enorgueillir? De quoi vous enorgueillissez-vous, dites-moi? d'avoir une foule de maîtres? d'avoir mille soucis? d'être entouré de flatteurs ? Mais ce sont autant de chaînes que vous avez là. Voulez-vous sentir le poids de ces chaînes, écoutez-moi bien. Les autres passions ont parfois leur utilité. La colère est quelquefois utile. « Colère injuste », dit l'Ecclésiaste, « colère coupable ». (Ecclés. I , 22) La colère peut donc être juste en certains cas. Ecoutez encore saint Matthieu: « Se fâcher sans raison contre son frère, c'est s'exposer à la géhenne». (Matth. V, 22.) La jalousie et la concupiscence ont aussi leur bon côté: celle-ci quand elle a pour but la procréation des enfants; celle-là quand elle produit une noble émulation. C'est ce que dit saint Paul. « Il est toujours bien d'être jaloux de bien faire », et ailleurs. « Choisissez entre les dons de la grâce et montrez-vous jaloux d'acquérir les meilleurs ». (Galat. IV, 18; I Cor. XII, 31.) Voilà donc deux passions qui peuvent avoir leur utilité. Mais l'orgueil n'est jamais bon; il est toujours inutile et nuisible. S'il faut s'enorgueillir de quelque chose, c'est de la pauvreté, non de la richesse. Pourquoi? C'est que l'homme qui sait vivre de peu, est bien plus grand et bien meilleur que celui qui ne le sait pas.

Dites-moi : voilà des gens qui sont invités à se rendre dans une résidence royale; les uns n'ont besoin en voyage ni de nombreux attelages, ni de serviteurs, ni de parasols, ni d'hôtelleries, ni de chaussures, ni de vaisselles; il leur suffit d'avoir du pain et de l'eau des sources. Les autres disent:Si vous ne nous donnez pas des chariots et de bons lits, nous ne pouvons pas 'venir; nous ne pouvons venir, si nous n'avons pas une suite nombreuse; si nous ne pouvons rions reposer à chaque instant; nous ne pouvons venir, si nous n'avons pas dés attelages à notre disposition, et si nous ne passons une partie du jour à nous promener; et nous avons besoin de bien d'autres choses encore. De ces deux espèces d'hommes, laquelle excitera notre admiration? Sera-ce la première? Sera-ce la dernière? Il est évident que nous réserverons notre admiration pour ceux qui n'ont besoin de rien. Il en est de même ici. Pour faire le voyage de la vie, les uns ont besoin de mille choses, les autres n'ont besoin de rien. Et ce seraient les pauvres qui devraient être orgueilleux, s'il fallait avoir de l'orgueil. Mais, dira-t-on, c'est un être méprisable que le pauvre. Non: ce n'est pas lui qu'il faut mépriser; ce sont ceux qui le méprisent. Eh! Pourquoi ne mépriserais-je pas ceux qui ne placent pas bien leur admiration ? Un bon peintre se moquera de tous ceux qui s'aviseront de le railler, si les rail. leurs sont des ignorants ; il ne fera pas attention à leurs propos; il se contentera du témoignage qu'il se rend à lui-même : et nous autres, nous dé. pendrons de l'opinion du vulgaire! Quelle impardonnable faiblesse !

Aussi sommes-nous méprisables, quand nous ne méprisons pas ceux qui nous méprisent à cause de notre pauvreté, quand nous ne les trouvons pas malheureux. Je passe sous silence toutes les fautes dont la richesse est la source, tous les avantages de la pauvreté. Mais que dis-je? Ni la richesse, ni la pauvreté ne sont pas elles-mêmes des biens; elle ne le deviennent que par l'usage qu'a (461) en fait. La vertu du chrétien brille d'un plus grand lustre dans la pauvreté que dans la richesse. Comment? C'est que dans la pauvreté, il est plus modeste, plus sage, plus respectueux, plus juste, plus prudent; dans la richesse au contraire, la vertu trouve mille obstacles. Examinons les actions du riche, de celui-là surtout qui fait de sa richesse un mauvais usagé. Ce ne sont que rapines, fraudes, pièges, violences.. Que dis-je? Les passions déréglées, les commerces illicites, les sortilèges, les maléfices, toutes les noirceurs en un mot ne dérivent-elles pas de la richesse ? Ne voyez-vous pas qu'il est plus facile d'être vertueux au sein de la pauvreté qu'au sein de la richesse ? Et parce que les riches ne sont pas punis ici-bas, n'allez pas croire qu'ils né commettent pas de fautes. S'il était facile de punir les riches, ils peupleraient les cachots. Mais entre autres inconvénients,la richesse a celui-ci: le riche, qui fait le mal impunément, ne s'arrêtera jamais dans la voie du mal; pour lui, le remède. ne sera jamais à côté de la blessure, et nul homme ne pourra lui mettre un frein. La pauvreté au contraire, si l'on veut y regarder, offrira à nos yeux bien des côtés agréables. N'affranchit-elle pas l'homme des soucis, de la haine, des luttes, des rivalités, des querelles, dé mille maux enfin ? Ne courons donc pas après la richesse, et n'envions pas le sort de ceux qui la possèdent. Avons-nous de la fortune, faisons-en un bon usage. En sommes-nous privés , n'en gémissons, pas, mais remercions Dieu de ce qu'il nous permet d'obtenir facilement la même récompense que les riches, et une plus grande encore, si nous le voulons. Alors notre faible capital nous rapportera un gros revenu. Celui qui rapporta les deux talents ne fut-il pas aussi honoré, aussi admiré que celui qui en rapporta cinq ? Pourquoi ? C'est que ces deux talents lui avaient été confiés, c'est qu'il sut remplir toutes ses obligations; c'est qu'il rapporta le double de ce qu'on lui avait confié. Pourquoi donc cherchons-nous à nous faire confier des trésors, lorsque nous pouvons retirer autant de fruit d'un modeste dépôt que d'un dépôt considérable; lorsqu'avec moins de peine, nous pouvons obtenir une récompense bien plus grande? Le pauvre renoncera plus facilement à ce qu'il possède que le riche, gui nage dans l'opulence. Ne savez-vous pas que, plus on est environné de richesses, plus on a soif de richesses? Pour éviter ce tourment, ne cherchons pas la richesse et supportons sans peine la pauvreté. Avons-nous de la fortune, servons-nous-en, comme le veut saint Paul: que ceux qui possèdent, soient comme s'ils ne possédaient point, et que ceux qui usent de ce monde, soient comme n'en usant point, afin. d'obtenir les biens promis, et puissions-nous les obtenir avec la grâce de Dieu et par un effet de sa bonté!

HOMÉLIE III. MAIS APRÈS AVOIR INTRODUIT SON PREMIER-NÉ SUR LA TERRE, IL DIT : QUE TOUS LES ANGES DE DIEU L'ADORENT ET L'ÉCRITURE DIT DES ANGES : DIEU SE SERT DES ESPRITS POUR EN FAIRE SES ANGES, ET DES FLAMMES ARDENTES POUR EN FAIRE SES MINISTRES. MAIS IL DIT AU FILS . VOTRE TRÔNE, O DIEU, SERA UN TRÔNE ÉTERNEL. (I, 6, 7, JUSQU'A II, 4.)
 

Analyse.
 
 

l. Dieu ne parle pas à son Fils comme à ses anges. — Paul réfute les juifs, Paul de Samosate, les ariens, Marcellus, Sabellius et Marcion.

2. Gloire du Christ. — Ministère des anges.

3.Il faut s'attacher à la parole du Christ.

4. Importance de la parole du Christ. — Témoignages rendus à cette parole.

5. Dieu dispense les grâces avec sagesse.

6. La charité est le plus précieux de tous les dons.
 
 

1. Notre-Seigneur Jésus~Christ appelle son avènement dans la chair: une sortie. C'est ainsi qu'il dit: «Le semeur est; sorti pour semer », et ailleurs «Je suis sorti de mon Père et me voici ». (Matth. XIII, 3; et Jean, XVI, 28.) Il s'exprime de même en plusieurs passages. Paul au contraire donne le nom d'introduction à cet avènement dans la chair «Après avoir introduit son premier-né sur la terre ». L'incarnation, chez lui, prend le nom d'introduction. Pourquoi ces expressions différentes pour désigner une môme chose, et d'où vient ce langage? On voit clairement ce qu'il signifie. Le Christ appelle son avènement dans la chair une sortie, et il a raison, car nous étions en dehors de Dieu.

Voyez les palais des rois. Les prisonniers et ceux qui ont offensé le roi se tiennent en dehors. Celui qui veut les réconcilier avec le prince, ne les introduit pas tout d'abord ; il s'entretient avec eux hors de la maison royale et ce n'est que lorsqu'il lés a rendus dignes de paraître devant le roi qu'il les introduit. C'est ce qu'a fait le Christ. Il est sorti pour venir à nous , c'est-à-dire , a pris notre chair, il nous a parlé de la part du roi, et il ne nous a introduit devant lui qu'après nous avoir purifiés de nos péchés et nous avoir réconciliés avec le Souverain suprême. Voilà pourquoi il appelle son incarnation une sortie. Paul au contraire l'appelle une « entrée », en se servant d'une figure (462) empruntée à la situation de l'homme qui hérite, et qui entre dans son héritage. Ces mots « après avoir introduit son premier-né sur la terre », signifient évidemment « après l'avoir mis en possession de la terre ». Car il est entré en possession de cette terre aussitôt qu'il a été reconnu Fils de Dieu. Ce n'est pas du Verbe divin, c'est du Christ selon la chair qu'il parle ainsi , et avec raison. Car s'il était dans le monde, selon la parole de Jean, et si le monde a été fait par lui, comment pourrait-il y être introduit autrement que dans la chair? « Et que tous les anges de Dieu l'adorent ». Paul a quelque chose dé grand et d'élevé à dire ; il prépare donc son discours et dispose "ses auditeurs à l'accueillir, en faisant introduire le Fils par le Père. Voyez plutôt : il a dit plus haut que Dieu nous a parlé par son Fils et non par les prophètes; il a montré que le Fils est supérieur aux anges, et cela d'abord par le nom qu'il porte, puis par cette circonstance que le Père introduit le Fils.

Autre preuve de cette supériorité : l'adoration. L'adoration fait éclater toute la supériorité du Christ sur l'ange : c'est celle du maître sur le serviteur. Ce que ferait un introducteur en présentant un grand personnage dans la maison d'un roi, et en ordonnant à tous ceux qui s'y trouveraient de se prosterner devant le nouveau venu, Paul le fait ici eu parlant de l'introduction selon la chair du Fils dans le monde et en disant: « Que tous les anges  de Dieu l'adorent ». Quoi ! Les anges seuls, et non les autres puissances! Loin de lui ce langage! Ecoutez ce qui suit. « Et des anges il est dit . Dieu se sert des esprits pour en faire ses anges, et des flammes ardentes pour en faire ses ministres ». Quant au Fils, il lui dit : « Votre trône sera un trône éternel ». Quelle différence entre ces deux sortes de langage! Les anges sont créés; le Fils est incréé. Pourquoi dit-il aux anges : Celui qui « fait» des esprits ses anges; et ne s'est-il pas servi de ce mot, en parlant du Fils? Il pouvait cependant exprimer la différence qui les sépare, en ces termes . Il est dit des anges: Celui qui «fait » des esprits ses anges; et du Fils : « Le Seigneur m'a créé», et ailleurs Dieu l'a fait Seigneur même et Christ ». Mais ces mots n'ont jamais été appliqués ni au Christ, Fils de Dieu Notre-Seigneur, ni à Dieu le Verbe; ils ne l'ont été qu'au Dieu incarné. Quand Paul veut montrer la. vraie différence qui existe entre Dieu et ses ministres, sa parole embrasse non-seulement les anges, mais toute la hiérarchie des ministres célestes. Voyez-vous avec . quelle netteté il sépare les créatures du créateur,. les serviteurs du maître, l'héritier, le Fils légitime des esclaves ? Au Fils il dit : « Votre trône, ô Dieu, est un trône éternel ». Voilà un des emblèmes de la royauté ! La verge de votre royauté est la verge de la justice. Voilà encore un emblème royal ! Puis en parlant de Dieu fait homme : « Vous avez aimé la justice et détesté l'injustice », dit-il, « voilà pourquoi vous êtes l'oint du Seigneur votre Dieu ». Pourquoi ces mots: « Votre Dieu ? » c'est que son langage d'abord si élevé, s'abaisse quand il descend à l'incarnation.

Ici ce sont les juifs, c'est Peul de Samosate, ce sont les ariens, c'est Marcellus, Sabellius et Marcion que Paul attaque à.la fois, et voici comment il frappe les juifs, en démontrant que le Christ est Dieu et homme tout ensemble. Quant aux autres; c'est-à-dire quant aux disciples de Paul de Samosate, il leur montre qu'il s'agit ici de l'éternelle substance et de l'être incréé. A ces mots il a. « fait », il oppose ceux-ci : « Votre trône, ô Dieu, subsiste dans les siècles des siècles ». Aux Ariens il dit que le Christ n'est pas un esclave, et il en serait un, s'il n'était qu'une créature. A  Marcellus et aux autres il répond que le Père et le Fils sont deux personnes hypostatiquement distinctes; aux disciples de Marcion,que l'oint du Seigneur dans le Christ, ce n'est pas le Dieu, c'est l'homme. Puis il dit : «D'une manière plus excellente

que vos participants ». Or ces participants, quels sont-ils, sinon les hommes? Cela veut dire que le Christ a reçu l'Esprit de Dieu sans mesure.

2. Voyez-vous comme il joint toujours, dans son langage, la nature incréée et l'incarnation? Quoi de plus clair ? Voyez-vous la différence qu'il y a entre « créé » et « engendré ? » Autrement il n'aurait pas séparé ces deux manières d'être. Autrement, en regard de ce mot : « Il a fait », il n'aurait pas placé, pour les opposer à lui, ces paroles: « Quant au Fils, il lui a dit : Votre trône, à vous qui êtes le Dieu de l'univers, sera éternel ». Il n'aurait pas; pour marquer sa prééminence, appelé le Christ du nom de Fils, si ce n'était pas là une marque de distinction. Où serait en effet la différence, où serait la prééminence, si « être créé » était la même chose qu'être engendré? Puis voici ce mot « le Dieu », 0 Theos, avec l'article. Puis il dit encore : « Seigneur, vous avez fondé la terre dès le commencement du, monde, et les cieux sont l'ouvrage de vos mains. Ils périront, mais vous demeurerez; tous vieilliront comme un vêtement, et vous les changerez comme un manteau et ils seront changés, mais vous, vous êtes toujours le même; et vos années ne finiront pas ». Et pour que ces mots: « Lorsqu'il a introduit son premier-né dans le mon« de », ne vous fassent pas croire qu'il y a eu un, don accordé au Fils dans la suite des temps; il a corrigé plus haut cette expression et il la corrige encore d'un seul mot : « Dans le principe », c'est-à-dire, non pas maintenant, mais dès l'origine du monde. C'est encore un coup mortel qu'il porte. à Paul de Samosate ainsi qu'à Arius, lorsqu'il applique au Fils les paroles qui s'appliquent au Père.

Il fait entendre en outre, comme en passant, quelque chose de plus grand encore. C'est à la transfiguration du monde qu'il fait allusion, en disant : « Ils vieilliront, comme un manteau, tu les rouleras comme un vêtement, et ils seront changés ». C'est comme dans l'épître aux Romains où il dit qu'il transformera le monde. La facilité avec laquelle cette transformation s'opérera est indiquée par le mot : « Tu rouleras ». Il changera le monde qui sera entre ses mains, comme un vêtement que l'on roule. Si, quand il s'agit de la partie la meilleure et la plus importante de la création, il la transforme avec cette facilité, a-t-il besoin, pour une oeuvre moindre, d'une main étrangère? Jusqu'à quand conserverez-vous ce front d'airain? N'est-ce pas une grande consolation de savoir que (463) le monde ne sera pas toujours le même, et qu'il subira une transformation,, un changement complet, tandis que Dieu lui-même jouit d'une existence éternelle et d'une vie sans fin ? « Vos années », dit-il, « ne s'évanouiront pas. Et quel est l'ange à qui Dieu ait jamais dit : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied ? »

Voilà en outre un encouragement pour ses auditeurs. Leurs ennemis auront le dessous; car leurs ennemis sont les mêmes que ceux du Christ. Un nouveau signe de la royauté, du partage de la dignité divine, un nouveau signe d'honneur et non de faiblesse, c'est cette colère du Père excitée par les offenses qui s'adressent au Fils. Quelle preuve d'amour et de filiation légitime : c'est bien l'attachement d'un père pour son fils véritable. Celui qui s'irrite ainsi en prenant ses intérêts, comment lui serait-il étranger? « Jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis ». Cela revient à ce qui est dit dans le psaume deuxième: « Celui qui habite dans les cieux se rira d'eux, et le Seigneur les raillera amèrement. C'est alors qu'il leur parlera dans sa colère et que, dans son courroux, il les confondra ». Et ailleurs: « Ceux qui n'ont pas accepté mon règne, conduisez-les devant moi et mettez-les à « mort ». (Luc, XIX, 27.) Ce sont bien là des paroles: écoutez en effet ce qu'il dit ailleurs: « Que de fois n'ai-je pas voulu rassembler autour de moi tes enfants ! et vous ne l'avez pas voulu. Votre maison sera donc laissée à l'abandon ». (Luc, XIII, 34.) Et encore: « Le royaume vous sera enlevé, pour être donné à une nation qui le fera fructifier ». Et dans un autre endroit: « Celui qui tombera sur cette pierre, s'y brisera, et celui sur à qui elle tombera sera broyé». (Matth. XXI, 43, 44.)

D'ailleurs, celui qui là-haut doit les juger, a prononcé ici-bas contre eux un arrêt beaucoup plus sévère, pour les punir de leur cruauté envers lui. C'est donc uniquement pour faire honneur au Fils qu'ont été dites ces paroles: « Jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied ».

«Ne sont-ils pas tous ces esprits qui le servent, envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut? » Quoi d'étonnant, dit-il, s'ils sont les ministres du Fils, puisqu'ils doivent s'employer aussi à notre salut, en qualité de ministres?. Voyez comme il relève leurs esprits, et comme il nous montre l'excès d'honneur que Dieu nous fait, en ordonnant à ses anges de s'employer pour nous. C'est comme s'il disait: En quoi consiste le ministère des anges ? A servir Dieu. pour notre salut. C'est donc une oeuvre angélique, de tout faire pour le salut de ses frères ; c'est plus encore, l'oeuvre du Christ. Mais le Christ: travaille en maître à notre salut, et les anges y travaillent, comme serviteurs. Et nous, tout esclaves que nous sommes, nous avons les anges pour compagnons d'esclavages. Pourquoi donc, nous dit-il, lever sur les anges des yeux étonnés? Ce sont les esclaves du Fils de Dieu, et bien souvent c'est pour nous qu'ils sont envoyés, et c'est pour notre salut qu'ils exercent leur ministère; ce sont donc nos compagnons d'esclavage. Songez à cette faible différence qu'il met entre les créatures. Et pourtant elle est grande la distance qui sépare l'ange de l'homme. Mais il les rabaisse jusqu'à nous. C'est à peu près comme s'il disait: C'est pour nous qu'ils travaillent, c'est pour nous qu'ils courent de tous côtés; on pourrait presque dire qu'ils sont nos serviteurs. Etre envoyés partout, dans notre intérêt, voilà leur ministère !

3. A l'appui de cette vérité, les exemples abondent dans l'Ancien Testament; ils abondent dans le Nouveau Testament. Quand les anges annoncent aux bergers la bonne nouvelle, quand ils l'annoncent à Marie, à Joseph, quand ils viennent s'asseoir auprès du monument, quand ils sont envoyés pour dire aux disciples : « Galiléens, pourquoi restez-vous là les yeux levés vers le ciel ? » (Act. I, 11.) Quand ils délivrent Pierre de sa prison, quand ils parlent à Philippe. est-ce que ce n'est pas pour nous qu'ils travaillent ? Quel honneur n'est-ce pas pour nous de voir le Seigneur se servir de ses anges pour les envoyer aux hommes, comme à des amis, lorsqu'un ange apparaît à Corneille, lorsqu'un ange fait sortir de prison tous les apôtres, en leur disant: a Allez et faites en« tendre au peuple, dans le temple, la parole de vie». Pourquoi en dire davantage ? Paul lui-même ne voit-il pas apparaître un ange.? Voyez-vous comme les anges nous servent à cause de Dieu, et cela dans les choses de la plus haute importance ? Aussi saint Paul dit-il: « Tout vous appartient: à vous la vie, à vous la mort, à vous le « monde, à vous le présent,. à vous l'avenir ». Le Fils aussi a été envoyé, il est vrai, mais non comme serviteur, non comme ministre, mais comme Fils unique du Père; et son Père et lui n'ont qu'une même volonté. Ou plutôt il n'a pas été envoyé ; car il n'est point passé d'un lieu dans un autre ; mais il s'est incarné. Les anges au contraire changent de lieux, ils abandonnent le séjour où ils sont, pour aller dans celui où ils n'étaient pas. Et c'est pourquoi il leur dit, afin de les encourager : Que craignez-vous? Les anges vous servent.

Après avoir parlé du Fils, de son incarnation, de sa puissance comme créateur, de sa royauté, de son rang égal à celui du Père, de son autorité qui s'étend non-seulement sur les hommes, mais sur les puissances d'en-haut, il exhorté ceux à qui ii écrit, en usant de précautions oratoires, en nous présentant sous forme de conclusion le devoir de recueillir avec attention ce que nous avons entendu, et il dit : «Nous devons donc à proportion nous attacher avec plus de soin aux choses que nous avons entendues ». Il veut dire qu'il faut s'y attacher avec plus d'attention encore qu'à la loi; mais il a passé le mot de « loi » sous silence. Toujours est-il que son langage est clair, quoiqu'il exprime une conclusion au lieu d'une exhortation et d'un conseil. La forme qu'il emploie était du reste la meilleure. « Car », dit-il, « si la parole sortie de la bouche des anges est demeurée stable, si toute transgression, toute désobéissance à cette parole a reçu son juste salaire, « comment nous autres échapperons-nous au châtiment, si nous négligeons un tel moyen de (464) salut, la parole que le Seigneur a d'abord laissé tomber de sa bouche et qui nous a été confirmée par ceux qui l'ont entendue ? » Pourquoi donc devons-nous nous attacher davantage à ce que nous avons entendu ? Est-ce que les deux doctrines ne viennent pas de Dieu ? Est-ce une attention plus grande que jamais, ou une grande attention qu'il faut ici ? Il n'y a pas là de comparaison, à Dieu ne plaise ! Mais comme l'Ancien Testament devait à sa longue existence une grande autorité, tandis que l'autre était dédaigné comme nouveau, il montre surabondamment qu'il faut être surtout attentif au Nouveau Testament. Comment fait-il pour cela ? Ce qu'il dit revient à ceci Les deux doctrines viennent de Dieu; mais non de la même manière. Cette vérité, il nous la démontre plus tard. Pour le moment il ne fait qu'y toucher superficiellement et il nous prépare à l'entendre; mais plus tard, il devient plus clair et il dit : « Si la première loi eût été sans défaut », puis encore : « Ce qui est ancien et vieux est bien près de périr » et beaucoup d'autres choses semblables. Mais il n'ose encore rien dire de tel en commençant son épître; il s'empare d'abord à l'avance de son auditeur et le captive, à force de préparations. Pourquoi donc devons-nous nous attacher davantage à ce que nous avons entendu ? Il nous le dit : « C'est pour que nous ne passions pas comme l'onde » ; c'est-à-dire ,  pour que nous ne périssions pas, pour que nous ne tombions pas. Et il nous montre ici le danger de la chute, quand elle arrive par notre négligence, en nous mettant sous les yeux cette eau qui coule et qui remonterait difficilement à sa source. Il emprunte son expression au livre des Proverbes : « Mon fils », y est-il dit, « ne passez pas comme l'onde ». Il nous montre combien il est facile de glisser et combien il est dangereux de tomber, c'est-à-dire combien la désobéissance est périlleuse.

En raisonnant ainsi, il nous montre la grandeur du châtiment. Ce châtiment il le livre à nos recherches sans tirer de conclusion expresse. C'est un moyen de faire accepter sa parole que de ne pas toujours porter soi-même un jugement et de laisser à l'auditeur le soin de prononcer : c'est là un moyen de se concilier sa bienveillance. C'est ce que fait dans l'Ancien Testament le Prophète Nathan; c'est ce que fait le Christ dans l'Evangile selon saint Matthieu, en ces termes : « Que fera-t-il aux cultivateurs de cette vigne ? » Il force ainsi les auditeurs à prononcer eux-mêmes. Voilà le triomphe de la parole ! Puis, après avoir dit : « Si la parole des anges a été confirmée », il n'ajoute pas : A plus forte raison celle du Christ le sera. Il omet cette conclusion et se contente de dire : « Comment éviterons-nous le châtiment, si nous négligeons un tel moyen de salut ? » Et suivez la comparaison dans ses détails. Là, c'est la « parole des anges »; ici c'est ce qui est annoncé par le Seigneur. Là c'est « la parole »; ici c'est le « salut ». Et, pour qu'on ne vienne pas lui dire : Ces paroles, ô Paul, sont-elles bien celles du Christ? il prévient l'objection et montre qu'il est digne de foi. Il le prouve, en disant qu'il a entendu lui-même ce qu'il rapporte; il le prouve, en s’appuyant sur Dieu lui-même dont il est l'écho et qui parle non-seulement avec sa voix retentissante qui traverse les airs, comme du temps de Moïse, mais en se manifestant par les prodiges et par les événements.

4. Mais que veulent dire ces mots : « Si la parole transmise par les anges a été confirmée? » Dans l'épître aux Galates aussi, il dit: « Donné par le ministère des anges et par l'entremise du médiateur », et ailleurs : « Vous avez reçu la loi par l'intermédiaire des anges et vous ne l'avez pas gardée ». (Gal. III,19; et Act. VII, 53.) Et partout il est dit que c'est par le moyen des anges qu'elle est donnée. Il y en a qui disent qu'il est fait ici allusion à Moïse; mais cette assertion n'est pas fondée, car il est ici question de plusieurs anges, et ces anges sont ceux qui habitent le ciel. Que dire ? Serait-il ici purement et simplement question du décalogue ? Là c'était Moïse qui parlait et Dieu qui répondait. Veut-on dire que les anges étaient là par l'ordre de Dieu ? Serait-il question de tout ce qui se dit, de tout ce qui se passe dans l'Ancien Testament, comme si les anges y avaient pris part? Mais pourquoi lisons-nous ailleurs que la loi a été donnée par Moïse, tandis qu'ici elle est donnée par les anges ? Car il est dit : Et Dieu est descendu dans une nuée.

« Si la parole transmise par les anges s'est enfermée ». Que veut dire « confirmée ? » Fidèlement vérifiée, parce que tout ce qui a été dit est arrivé en son temps. Cela pourrait signifier encore que la puissance de cette parole s'est révélée, et que les menaces. de Dieu ont eu leur plein et entier effet. Peut-être encore « parole » a-t-il ici le sens de commandements. Car, en dehors de la loi, un grand nombre d'ordres émanés de Dieu ont été transmis parles anges, à l'époque du deuil par exemple, au temps des Juges et de Samson. Voilà pourquoi c'est le mot « parole » et non le mot « loi » qui est ici employé. Mais, selon moi, Paul entend peut-être ici ce qui s'est fait par le ministère des anges. Partant, que devons-nous dire ? Il y avait alors des anges commis à la garde de la nation tout entière qui était avertie par leurs trompettes retentissantes; à eux de susciter les flammes et d'évoquer les ténèbres. « Toute » transgression, « toute » désobéissance recevait « sa juste récompense ». Il ne dit pas telle ou telle transgression, mais « toute » transgression. Ici nulle injustice ne restait impunie et «juste « récompense » veut dire ici châtiment. Mais pourquoi dit-il récompense ? C'est une habitude de Paul de ne pas faire grand cas des paroles, et d'employer en mauvaise part celles qui se prennent d'ordinaire en bonne part et réciproquement. Ainsi il dit ailleurs : « Asservissant toute intelligence à la parole du Christ ». Ailleurs encore il a substitué le mot de récompense à celui de châtiment, et dans le passage suivant, le châtiment devient une rétribution. « S'il est juste », dit-il, « aux yeux de Dieu qu'il rétribue ceux qui vous affligent en les affligeant, et vous qui êtes affligés, en vous donnant la paix ! » (II Thessal. I, 6, 7.) C'est-à-dire, la justice n'a pas perdu ses (465) droits, mais Dieu l'a maintenue et il a frappé les pécheurs, lors même que toutes les fautes n'avaient pas paru au grand jour, bisn que les lois établies n'eussent pas été enfreintes.

« Comment donc, nous autres échapperons-nous, si nous négligeons un tel moyen de salut ? » Il montre par là que la loi n'était pas un grand moyen de salut. Il a raison de dire « ua tel « moyen ». Ce n'est pas des guerres, dit-il, qu'il nous sauvera; ce n'est passa terre, ce ne sont pas les biens terrestres qu'il nous. donnera ; mais c'est la délivrance de -la mort, c'est l'anéantissement du démon, c'est le royaume des cieux , c'est la vie éternelle qu'il nous. apporte. Voilà tout ce qui est renfermé dans ce mot : « Un tel salut ». Et pour montrer qu'il est digne de foi, il ajoute : « Qui ayant été premièrement annoncé par le Seigneur même » ; c'est-à-dire que c'est la source de ce salut qui nous l'annonce. Ce n'est pas un homme qui est venu l'annoncer à la terre, ce n'est pas une puissance créée, mais c'est le Fils unique de Dieu lui-même : « La nouvelle nous a été confirmée par ceux qui l'ont entendue ». Que veut dire : « A été confirmée ? » Cela veut-il dire rendue croyable ou répandue ? Nous avons un gage de sa vérité, dit-il : c'est que la bonne nouvelle ne s'est pas évanouie, n'a pas eu de fin, elle règne et triomphe, grâce à là vertu divine, à laquelle nous la devons. Que signifient ces mots : « Par ceux qui l'ont entendue ? Ils veulent dire que ceux qui l'ont recueillie de la bouche du Seigneur nous l'ont confirmée. Voilà qui est grave et bien digne de foi. C'est ce que dit saint Luc, au commencement de son Evangile : « Ainsi que nous l'ont transmise, dès l'origine, des témoins oculaires et des ministres de la parole divine ». (Luc, I, 2.) Comment donc s'est-elle confirmée ? Mais, pourrait-on dire; si -elle a été inventée par ceux-là même qui l'ont entendue ? C'est pour prévenir une pareille: objection, c'est,pour montrer que l'homme n'est là pour rien, que saint Paul a ajouté : « Dieu même leur a rendu témoignage ». Dieu ne leur aurait pas rendu témoignage, s'ils l'avaient inventée. Or à leur témoignage est venu se joindre celui de Dieu ,qui se manifeste non par ses paroles, non par sa voix qui serait pourtant un témoignage irrécusable, mais par des signés miraculeux, par des prodiges, par les différents, effets de sa puissance. Il a raison de dire, « parles différents effets de sa puissance », pour désigner le grand nombre des grâces. Rien de pareil en effet n'a eu lieu dans les premiers temps; il n'y a eu , ni autant de signes, ni des signes si différents; ce qui revient à dire que nous n'avons pas cru les témoins témérairement et à la, légère, et que notre foi s'est appuyée sur dés signes et sur des prodiges. Ce ne sont donc pas les hommes, c'est Dieu lui-même que nous avons cru. « Et par la distribution des grâces du Saint-Esprit qu'il a réparties. comme il lui a plu ». Les magiciens aussi font des prodiges, et les juifs disaient que, c'était au nom de Belzébuth que le Christ chassait les démons. Mais leurs prodiges ne ressemblent point à ceux que Dieu opère. Voilà pourquoi il est dit ici : « Par les a différents effets de sa puissance ». Car les prodiges des Magiciens n'annoncent point la force et la puissance. Tout -cela n'est que faiblesse, chimères, imaginations et futilités. Voilà pourquoi il est dit ici : « Par la distribution des grâces du Saint-Esprit, qu'il a réparties comme il a voulu».

5. Ici Paul me semble encore faire allusion à une autre circonstance. Probablement, dans l'assemblée à laquelle il s'adresse, il n'y avait pas beaucoup de gens qui fussent pourvus des grâces divines ; ces dons étaient devenus plus rares, parce que les hommes étaient devenus plus négligents. Voilà pourquoi, afin de les consoler et pour ras pas les laisser tomber dans le découragement, il a attribué toutes ces grâces à la volonté divine. Il sait, dit-il, quel est l'avantage de chacun, et c'est là-dessus qu'il se fonde pour distribuer ses grâces: C'est ce qu'il dit encore dans l'épître aux Corinthiens. « Le Seigneur a donné à chacun la place qu'il a voulu ». Et ailleurs : « Les dons du Saint-Esprit qui se manifestent au «dehors ont été donnés à chacun pour l'utilité de l'Eglise ». (I Cor. XII, 18, 7.) Il montre par là que les grâces sont réparties, suivant la volonté du Père. Souvent, à cause de leur vie impure et de leur paresse, bien des gens n'ont eu aucune part aux grâces du Seigneur. Ils ont été quelquefois assez mal partagés, malgré leur existence honorable et pure, Pourquoi cela ? c'est pour qu'ils ne lèvent point une tête orgueilleuse , c'est pour qu'ils ne s'enflent point,-pour qu'ils ne tombent point dans la négligence ou dans la présomption. Car si, même sans la grâce, la conscience que l'on a de la pureté de sa vie, suffit pour donner de l'orgueil, il en est ainsi à plus, forte raison, quand le don des grâces vient s'y joindre. C'est pourquoi ce don est le privilège des humbles et des simples, et surtout dés simples. « Avec joie», dit-il, « et simplicité de coeur ». (Act. II, 46.) Voilà surtout comme il s'y prend pour les exhorter et pour stimuler leur lenteur. Celui qui est humble en effet, celui qui n'a pas de lui-même une haute idée, redouble de zèle; quand il reçoit le don dés grâces; il croit avoir reçu plus qu'il ne méritait; il se regarde comme indigne 'd'un pareil don. Mais l'homme qui a conscience de son mérite, accepte ce don comme s'il lui était dû; et s'enorgueillit. Dieu a donc consulté l'intérêt de l'Eglise pour dispenser ces grâces. Aussi, voyons-nous, dans l'Eglise, le don de l'enseignement accordé à celui-ci, tandis que celui-là ne peut pas même ouvrir la bouche. Il ne faut pas se chagriner pour cela. «Car les dons de l’Esprit, qui se manifestent au dehors, ont été donnés à chacun, pour l'avantage de l'Eglise». Si un maître de maison sait à quoi il peut employer chacun de ses serviteurs, à plus forte raison il doit en être ainsi dé Dieu qui connaît l'esprit des hommes, et qui sait tout avant qu'ils ne soient nés. Une seule chose doit nous affliger, c'est le péché.

Ne dites pas . Pourquoi n'ai-je pas de fortune ? si j'en avais, j'en ferais part aux pauvres. Peutêtre, si vous en aviez, seriez-vous plus ambitieux. Vous parlez ainsi maintenant, mais, si vous étiez mis à l'épreuve, vous seriez un autre homme. Sommes-nous rassasiés, il nous semble que nous (466) sommes à l'épreuve du jeûne, et -bientôt après nous raisonnons autrement. Quand nous ne sommes pas enclins à l'ivrognerie, nous croyons pouvoir surmonter la passion du vin; cette passion s'empare-t-elle de nous, nos idées changent. Ne, dites pas : Pourquoi n'ai-je pas reçu le don d'enseigner ? Si je l'avais, j'aurais édifié bien du monde. Si vous l'aviez eu, on vous en aurait peut-être fait un crime; l'envie et la paresse vous auraient peut-être forcé à enfouir votre talent. Vous êtes maintenant à l'abri de leurs attaques, et si vous ne donnez pas votre mesure de froment, on ne vous fera pas de reproche. Si vous n'étiez pas dans la situation où vous êtes, vous auriez mille comptes à rendre. D'ailleurs, vous n'êtes pas absolument dépourvu des grâces, du Seigneur. Montrez, dans votre humble situation, ce que vous sériez dans une position plus élevée. Si, « quand vous avez un petit dépôt à conserver », est-il dit, « vous ne vous montrez pas fidèle, que sera-ce quand vous serez dépositaire « d'un trésor? » (Luc, XVI, 11.) Faites comme la veuve. Elle .n'avait que deux oboles et elle a donné tout ce qu'elle possédait. Sont-ce les richesses que vous recherchez ? Montrez que de faibles sommes n'excitent pas votre convoitise, pour que je vous en confie de plus grandes. Si vous n'êtes pas au-dessus de quelques deniers, vous serez encore bien plus faible devant une masse d'or. Dans vos discours, montrez que vous savez adresser à propos une exhortation ou un conseil. Manquez-vous d'éloquence ? manquez-vous d'abondance ?vous pouvez faire cependant ce que fait le commun des hommes. Vous avez un enfant, un voisin, un ami, an frère, des proches; si vous ne pouvez parler en public et développer un sujet devant une grande assemblée, vous avez des auditeurs auxquels vous pouvez donner un bon conseil en_ particulier. Il n'y a besoin pour cela ni d'éloquence ni de longs développements. Montrez devant un auditoire restreint que, si vous aviez reçu le don de la parole, vous sauriez le cultiver. Si, quand votre couvre est peu de chose, vous ne déployez aucun zèle, comment vous confierais-je une couvre importante ? Ce que je vous dis là, chacun est en état de le faire. Ecoutez plutôt saint Paul s'adressant aux laïques : « Edifiez-vous », dit-il, « les uns les autres, comme vous le faites »; et ailleurs : « Consolez-vous les uns les autres, dans vos entretiens ». (I Thess. V, 11 et IV, 17.) Valez-vous mieux que Moïse ? Ecoutez-le et voyez comme il se décourage : « Est-ce que je puis les porter », dit-il, « pour que vous me disiez : Porte-les, comme une nourrice porte son nourrisson ? » (Nombr. XI, 12.) Que fait Dieu alors ? Il lui retire son esprit pour le donner aux autres, montrant par là que lorsqu'il leur servait de soutien, ce n'était point par lui-même, mais parla grâce du Saint-Esprit. Si vous aviez les dons de la grâce, souvent vous vous élèveriez, souvent vous seriez abattu; vous ne vous connaissez pas vous-même, comme Dieu vous tonnait. Ne disons pas : A quoi bon ceci ? Pourquoi cela ? Quand c'est Dieu qui ordonne toutes choses, n'allons pas lui demander des comptes; car 'ce serait le comble de l'impiété et de la folie. Nous sommes des esclaves, et il y a entre notre maître et nous, esclaves que nous, sommes, un intervalle immense; nous ne voyons même pas à nos pieds. N'allons donc pas scruter les desseins de Dieu; conservons précieusement ses moindres dons, ses dons les plus infirmes et nous serons considérés. Mais que dis-je?Parmi les dons du Seigneur il n'y en a pas un qui n'ait son prix. Vous vous plaignez de n'avoir pas le don d'enseigner. Dites-moi, je vous prie, lequel préférez-vous du don d'enseignement ou du don de guérison ? Le don de guérison assurément. Et le don de guérir les maladies, n'est-il pas, selon vous, inférieur au pouvoir de rendre la vue aux aveugles, inférieur au don de résurrection ? Et maintenant dites-moi. Ressusciter un mort avec sa parole, n'est-ce pas moins encore que de le ressusciter avec son ombre par le simple contact d'un morceau de linge? Qu'aimez-vous mieux, dites-moi : ressusciter les morts avec votre ombre, par le « simple contact » d'un morceau de linge, ou avoir le don d'enseigner? Assurément, répondrez-vous, je préfère avoir le don de ressusciter les morts.

6. Si donc je parviens à vous démontrer que ce dernier don est bien inférieur à l'autre, et qu'en négligeant d'acquérir ce don le plus grand de tous, vous méritez d'être privé de tous les autres, que direz-vous ? Et le don auquel je fais allusion, ce n'est pas à un ou deux hommes, c'est à toit, le monde qu'il est permis de l'acquérir. Vous voilà tous ébahis, je le vois, vous voilà frappés de stupeur ! Quoi ! vous pourriez acquérir un don encore plus grand que le pouvoir de rendre la vie aux morts et la vue aux aveugles ! Vous pourriez faire ce qui s'est fait au temps des apôtres ! Voilà qui vous parait peut-être incroyable ! quel est ce don enfin ? C'est la charité. Mais croyez-moi bien. Car ce n'est pas moi qui parle; c'est le Christ par la bouche de saint Paul. Que dit-il ? « Entre tous les dons, empressez-vous de choisir les meilleurs, et je vais vous montrer une voie qui est encore au-dessus de tout ». (I Cor. XII, 31.) Qu'est-ce à dire : « Encore au-dessus de tout? » Voici le sens de ces paroles. Les Corinthiens, à cette époque, se faisaient gloire de posséder les dons de la grâce, et ceux qui avaient le don des langues qui est le dernier de tous, étaient gonflés d'orgueil, et se mettaient au-dessus de tout le monde. Paul dit donc : Vous voulez absolument posséder, les dons de la grâce. Eh bien ! je vais vous montrer une voie pour y parvenir, et cette voie n'est pas seulement supérieure aux autres; elle est au-dessus de tout. Puis il ajoute : « Quand je parlerais le langage des anges, si je n'ai point, la charité, je ne suis rien. Et quand j'aurais cette foi vive qui transporte les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien ». (I Cor. XIII, 1, 2.) Voilà ce qui s'appelle un don précieux ! Soyez donc jaloux de l'acquérir. Cela vaut mieux que de ressusciter les morts ! Ce don est de beaucoup au-dessus de tous les dons. Ecoulez plutôt ce que dit le Christ à ses disciples, en s'entretenant avec eux : « A quoi tout le monde reconnaîtra-t-il que (467) vous êtes mes disciples ? à votre charité les uns pour les autres ». (Jean, XIII, 35.) Ce signe particulier qui les fait reconnaître, il le montre ici. Ce ne sont pas les miracles, et qu'est-ce donc ? C'est la charité qu'ils ont les uns pour les autres. Et ailleurs il dit à son Père : « On reconnaîtra que vous m'avez envoyé à ce signe : ils ne seront qu'un ». (Jean, XVII, 21.) Et lui-même dit à ses disciples:«Voici un nouveau précepte que je vous donne, aimez-vous les uns les autres ». (Jean, XIII, 34.)

Il y a donc plus de mérite et de gloire à cela qu'à ressusciter les morts, et c'est justice. Car tous ces dons que nous avons mentionnés, sont des présents de la grâce divine; celui-ci est le fruit du zèle; d'est l'apanage du vrai chrétien ; c'est le sceau du disciple de Jésus-Christ, de ce disciple que l'on crucifie et qui n'a rien de commun lavée la terre. Sans la charité, le martyre même est inutile. Voulez-vous le savoir ? Remarquez bien ceci. Saint Paul divise les vertus en trois classes principales : celle des signes miraculeux, celle de la science, celle qui consiste dans une vie droite. Eh, bien ! ces vertus, selon lui, ne sont rien, sans la charité. Comment cela ? je vais vous le dire : «Quand j'aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, si je n'ai point la charité, cela ne me sert de rien ». (I Cor. XIII, 3.) Il est possible en effet, que celui qui distribue ainsi son bien, ne soit point charitable et ne soit qu'un prodigue. C'est ce qui a été suffisamment développé dans le passage où nous avons parlé de la charité, et nous y renvoyons le lecteur ! Soyons donc jaloux, je le répète, d'acquérir la charité, aimons-nous les uns les autres, et cette voie, à elle seule, nous fera parvenir à la vertu. Tout nous sera facile. Plus de sueurs; tout nous réussira et nous ferons tout avec zèle. Oui, répète-t-il, aimons-nous les uns les autres. Cet homme a deux ou trois amis; cet autre en a quatre. Mais ce n'est pas là ce qui s'appelle aimer pour Dieu; c'est aimer pour être aimé. L'amour qui a Dieu pour cause, ne dérive pas d'un semblable principe. L'homme qui aime pour Dieu regardera tous les hommes comme ses frères. Ceux qui partagent sa croyance, il les aimera comme des frères germains; quant aux hérétiques, aux grecs et aux juifs qui sont ses frères selon la nature, mais qui sont des membres corrompus et inutiles, il en aura pitié, et se consumera dans les larmes, en déplorant leur sort.

Le moyen de ressembler à Dieu, c'est d'aimer tout le monde et même ses ennemis; ce n'est pas de faire des miracles. Car Dieu lui-même, si nous, l'admirons quand il fait des miracles, nous l'admirons bien davantage encore, quand il manifesté sa bonté et sa patienté. Si donc ces vertus sont tellement admirables dans la nature divine, à plus forte raison sont-elles admirables chez l'homme. Montrons-nous donc jaloux d'acquérir la charité, et nous égalerons saint Pierre, saint Paul, et ces hommes qui ont opéré des milliers de résurrections. Oui : nous les égalerons, quand même nous n'aurions pas le pouvoir de guérir une simple fièvre. Mais, sans la charité, quand même nous ferions plus de miracles que les apôtres, quand nous affronterions mille dangers, pour faire triompher la foi, tout, cela sera en pure perte., Et ici ce n'est pas moi qui parle; cette doctrine est celle du nourrisson de la charité, et c'est à lui que nous devons obéir. C'est ainsi que nous obtiendrons les biens qui nous sont promis. Ces biens, puissions-nous tous les acquérir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. A lui, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IV. CAR DIEU N'A POINT SOUMIS AUX ANGES LE MONDE FUTUR DONT NOUS PARLONS. OR QUELQU'UN A DIT DANS UN ENDROIT DE L'ÉCRITURE : QU'EST-CE QUE L'HOMME POUR MÉRITER VOTRE SOUVENIR? ET QU'EST-CE QUE LE FILS DE L'HOMME POUR ]ÊTRE HONORÉ DE VOTRE VISITE? VOUS L'AVEZ RENDU, POUR UN TEMPS, INFÉRIEUR AUX ANGES. (II, 5, JUSQU'A 15.)
 

Analyse.
 
 

1. Pourquoi Dieu n'a-t-il pas voulu nous faire connaître d'avance le jour de notre mort?

2. Le royaume de Dieu. — La gloire du Fils de l'homme. — Les fruits de la croix.

3. L'incarnation et la passion du Christ plus grandes que la création.

4. Le Christ a terrassé la mort et le démon. — Celui qui ne craint pas la mort est libre et grand.

5. Il ne faut pas, dans les funérailles, faire étalage de sa douleur. — Il ne faut pas payer des pleureuses à gages.

6. II faut se soumettre à l'Eglise. — II faut savoir supporter les réprimandes.
 
 

1. Je voudrais savoir positivement si quelques-uns d'entre vous écoutent comme il faut nos paroles, et si nous ne jetons pas la semence le long de la route. Votre attention nous donnerait plus d'ardeur à poursuivre cet enseignement. Quand personne ne devrait nous écouter, nous parlerons sans doute, parce que Nous craignons le Sauveur. Car il est dit: Rendez-nous témoignage devant ce peuple et, s'il ne vous écoute pas, vous n'en serez pas responsable. Mais si j'étais sûr de votre attention, ce n'est pas la crainte qui me ferait parler, mais ce serait avec plaisir que je remplirais (468)  ce devoir. Maintenant, en effet, quand votre inattention serait pour moi sans péril, puisque je fais mon devoir, je me livre à un travail ingrat. A quoi bon,.en effet,quand même on ne me reprocherait rien, poursuivre une oeuvre qui ne profite à personne ? Mais si nous devons trouver en vous des auditeurs attentifs, nous serons encore plus heureux d'obtenir votre attention que d'éviter le châtiment. Comment donc saurai-je que vous m'écoutez? j'observerai ceux d'entre vous qui rie sont pas, très-attentifs, je les prendrai à part, je les interrogerai, et si je vois qu'ils ont retenu quelques-unes de mes paroles (je ne dis pas toutes, ce qui n'est pas très-facile, mais seulement quelques-unes), alors évidemment je serai sûr du reste de mon auditoire. J'aurais dû vous prendre à l'improviste, sans vous prévenir. Mais nous serons heureux, si l'épreuve, telle qu'elle est, nous réussit. Car, même de cette' manière, je puis encore vous surprendre. Je vous interrogerai , je vous en ai avertis, mais quand vous interrogerai-je? Là-dessus je ne m'explique pas. Peut-être sera-ce aujourd'hui, peut-être demain; peut-être sera-ce dans vingt jours, dans quarante jours, plus ou moins.

C'est ainsi que Dieu ne nous a pas révélé d'avance le jour de notre mort. Sera-ce aujourd'hui ?sera-ce demain? sera-ce dans une année entière? sera-ce dans plusieurs années? Là-dessus il nous a laissés dans l'incertitude, afin que, n'étant pas fixés sur ce point, nous restions toujours vertueux. Qu'on ne vienne pas me dire : Il y a quatre ou cinq semaines et plus que j'ai entendu ces paroles, et je ne puis les retenir. Celui qui m'écoute, je veux qu'il retienne fidèlement, mes paroles, qu'elles restent gravées dans sa mémoire et qu'elles n'en sortent pas. Je ne veux pas qu'il les accueille avec dédain. Je veux que vous reteniez mes discours, non pour que vous me les répétiez, mais pour qu'ils vous profitent. Voilà le but que je suis jaloux d'atteindre. Après ce préambule nécessaire, je dois poursuivre la tâche que j'ai commencée. De quoi s'agit-il aujourd'hui?

« Dieu », dit-il, « n'a point soumis aux anges le monde futur dont nous parlons ». Est-ce,qu'il parle d'un autre monde que le nôtre?Cela ne peut être. C'est bien de celui-ci qu'il parle. Aussi ajoute-t-il: dont nous parlons, pour que l'esprit de ses auditeurs ne s'égare pas et n'aille pas en chercher un autre. Mais pourquoi dit-il : Ce monde « futur? », par là même raison qu'il dit ailleurs : « Qui est la figure de celui qui doit venir ». (Rom. v,14.) C'est d'Adam et du Christ qu'il parle dans son épître aux Romains, où il appelle, en ayant égard aux temps, le Christ fait homme, un Adam « futur », car il n'était pas encore venu. De même , dans ce passage, après avoir dit: « Lorsqu'il eut introduit son premier-né dans le monde » pour qu'on n'aille pas croire qu'il s'agit d'un monde autre que celui où nous sommes, il montre que c'est bien celui-là qu'il désigne en divers endroits, et notamment ici par cette expression: le monde « futur »; car ce monde devait avoir un commencement; tandis que le Fils de Dieu a toujours existé. Donc ce monde qui allait commencer, il ne l'a pas soumis aux anges, mais au Christ. Que cela ait été dit au Fils, c'est chose certaine, et l'on ne saurait avancer que cela. ait été dit aux anges. Puis il apporte un nouveau témoignage de cette vérité, en disant,: « Or quelqu'un a dit dans un endroit de l'Écriture ». Et pourquoi donc ne pas nommer ici le témoin? Pourquoi cacher le nom du Prophète ? Nous répondrons que c'est sa méthode et qu'il l'emploie ailleurs, quand il à recours à tel ou tel témoignage. C'est ainsi qu'il dit : « Quand « il eut- envoyé son premier-né sur la terre, il parlé « ainsi : Que tous les anges de Dieu l'adorent». Et ailleurs : « Je serai son père. Et il dit aux anges : Celui qui se sert des esprits pour en faire ses anges. Et il a dit au Fils : Seigneur, vous avez créé la terre dès le commencement du monde». C'est toujours la même méthode qu'il suit, en disant : «Or quelqu'un a dit dans un passage de l'Écriture ». Quand il ne nomme pas, quand il passe sous silence le nom de son témoin, quand il lance ainsi dans la foule une citation, comme si elle était connue de tous, il s'adresse aux Hébreux comme à des hommes versés dans les saintes. Écritures : « Qu'est-ce que l'homme, pour que vous vous souveniez de lui ? — Qu'est-ce que le fils de l'homme, pour que vous laissiez tomber sur lui vos regards? Vous l'avez rabaissé un peu au-dessous des anges ; puis vous l'avez couronné  d'honneur et dé gloire : Vous lui avez donné l'empire sur les oeuvres de vos mains, et vous avez mis l'univers sous ses pieds.».

2. Ces paroles peuvent s'appliquer au commun des hommes; mais elles s'appliquent plus particulièrement, je crois, au Christ incarné. Car ces mots : « Vous avez mis l'univers sous ses pieds»; lui conviennent mieux qu'à nous. Le Fils de Dieu nous. a visités, nous qui ne sommes rien, il s'est revêtu dé notre humanité, et s'est élevé au-dessus de tous. « Car, en disant qu'il lui a assujetti toutes choses, Dieu n'a rien laissé qui ne lui soit assujetti; et cependant nous ne voyons pas encore que tout lui soit assujetti ». Voici le sens de ces paroles. Il avait dit : « Jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied », et probablement les Hébreux étaient encore dans, l'affliction. Alors il leur adresse quelques paroles pour amener un témoignage qui vient confirmer le premier. Pour qu'ils ne pussent pas s'écrier: Comment se fait-il qu'il ait réduit ses ennemis à lui servir de marchepied, puisque nous sommes eh proie à tant de maux? Il avait déjà, dans le texte, précédent, réfuté implicitement cette objection. Ce mot « jusqu'à ce que », en effet, annonçait une délivrance amenée par le temps, et non immédiate. Il revient maintenant encore sur ce point. Parce que tout ne lui est pas encore assujetti, ne. croyez pas, dit-il, que les choses resteront dans: cet état; car tout doit lui être assujetti : tel est le sens de la prophétie. « En disant qu'il lui a assujetti toutes choses, il n'a rien laissé qui ne lui soit assujetti ». Comment donc tout ne lui est-il pas assujetti? C'est que. tout doit l'être un jour. Si donc tout doit être assujetti au Christ et ne l'est pas encore, n'allez pas vous affliger et vous troubler pour cela. Si tout était fini, si tout était soumis et que vous fussiez toujours en proie aux (469) mêmes tourments, vous auriez raison de vous affliger. Mais tout n'est pas encore assujetti, nous le voyons : Le souverain n'a pas, encore pleinement établi son autorité. Pourquoi dont vous troubler, parce que vous souffrez? « La bonne nouvelle » ne triomphe pas encore partout; les temps ne sont pas encore accomplis. Autre consolation : Celui qui doit tout assujettir est mort lui-même, et a souffert mille tourments.

« Mais nous voyons que Jésus a été rendu, pour un peu de temps, inférieur aux anges, à. cause de la mort qu'il a soufferte ». Puis viennent ces belles paroles. « Couronné d'honneur et de gloire ». Voyez-vous comme tout cela s'applique à Jésus? Cette expression « pour un peu de temps » doit s'appliquer à celui qui né reste que trois jours aux enfers, bien plutôt qu'à nous, créatures éminemment périssables. De même les mots de « gloire et d'honneur » lui conviennent bien mieux qu'à nous. Ensuite il leur rappelle la croix, dans un double but, afin de leur montrer la sollicitude de Jésus pour l'humanité, afin aussi de les exhorter à tout supporter avec courage,: à l'exemple du maître. Si celui que les anges adorent, leur dit-il par là, a consenti pour vous a devenir pendant quelque temps inférieur aux anges, à plus forte raison vous qui êtes inférieurs aux anges, devez-vous tout supporter pour l'amour de lui. Alors il leur montré que c'est la croix qui est la gloire et l'honneur. Jésus lui-même ne l'appelle-t-il pas ainsi, quand il dit : Voici l'heure où le Fils de l'homme va être glorifié ? Si donc, à ses yeux, c'est une gloire de souffrir pour des esclaves, .combien doit-il être plus glorieux pour nous de souffrir pour notre maître !

Voyez-vous quels sont les fruits de la croix ? Ne la redoutez pas. Elle vous effraie, et pourtant elle produit de grands avantages. Il nous montre par là l'utilité de la tentation, puis il ajoute; « Afin que, par la grâce de Dieu, il goûtât la mort, pour le salut de tous les hommes ». — « Afin que, par la grâce de Dieu », dit-i1. Oui, s'il a tant souffert, c'est en vertu d'une grâce que Dieu a faite à tous les hommes. « Dieu », dit saint Paul, « n'a pas épargné son propre Fils, et l'a sacrifié pour nous tous». (Rom. VIII, 32.) Ce sacrifice, il ne nous le devait pas; c'est une grâce qu'il nous a faite. Et dans un autre passage de l'épître aux Romains, il nous dit : « La miséricorde et le don de Dieu se sont répandus avec bien plus d'abondance sur plusieurs, par la grâce d'un seul; homme qui est Jésus-Christ ». (Rom. V, 15.) « Pour que, par la grâce de Dieu, il goûtât la mort , pour le salut de tous ». Oui, pour tous les hommes, et non pas seulement pour, lés fidèles, car c'est pour tous qu'il est mort. Mais, si tous n'ont pas cru ? N'importe : il a rempli sa mission.: Cette expression il a « goûté » la mort, est, pleine de justesse. Il n'a pas dit: « Afin qu'il mourût » ; car il n'a fait que séjourner dans la mort, il n'a « fait que la goûter », et sa résurrection a été prompte. Mais ces mots « à cause de la mort qu'il à soufferte », expriment bien la mort véritable. Quant à ces mots « supérieur aux anges », ils font une allusion évidente à la résurrection. Le médecin n'a pas besoin de goûter les remèdes présentés au malade, et cependant, il commence par les goûter, dans sa sollicitude pour ce client qu'il veut déterminer à boire hardiment un breuvage salutaire. Eh bien! ainsi fait le Christ à l'égard de tous les hommes. Il craignaient la mort et, pour les enhardir contre elle, il la goûte, sans nécessité pour lui. Car, dit-il, « voici venir le prince de ce monde, quoiqu'il n'y ait rien en moi qui lui appartienne ». (Jean, XIV, 30.) Ainsi l'explication de ces mots « par une grâce de Dieu » et de ceux-ci «il goûtera la mort pour le salut de tous », se trouve dans ce verset: « Car il était bien digne de Celui pour lequel et par lequel toutes choses ont été faites, que voulant conduire à la gloire plusieurs de ses enfants, il perfectionnât par la souffrance l'auteur de leur salut».

3. C'est du Père qu'il parle ici. Voyez-vous comme ces mots «par lequel toutes choses ont été faites », s'appliquent bien à lai? Tel n'aurait pas été son langage s'il avait voulu exprimer des idées moins relevées, et s'il n'était ici question que du Fils. Voici le sens de ses paroles: Dieu a fait un acte digne de sa bonté pour nous, en revêtant son premier-né d'un éclat dont rien n'approche, et en l'offrant pour exemple au monde comme un athlète généreux et supérieur à tous. Voyez la différence: Il est le Fils de Dieu et nous aussi, nous sommes les enfants de Dieu; mais c'est lui qui nous sauve, et c'est nous qui sommes sauvés. Voyez comme tour à -tour il nous rassemble et nous sépare. « Voulant conduire à la gloire plusieurs, de ses enfants », dit-il, « il devait perfectionner » par la souffrance celui qui allait être l'auteur de notre salut. La souffrance est donc un moyen d'arriver à la perfection, et une source de salut. Voyez-vous quel n'est pas le partagé de ceux que Dieu a abandonnés?

Dieu a donc particulièrement honoré le Fils, en le faisant passer par la souffrance. Et en effet se revêtir de notre chair pour souffrir, est certes bien plus grand que de créer le monde et de le tirer du néant : ce dernier acte est un, bienfait; mais l'autre en est un bien plus grand encore. Et c'est à la grandeur de ce bienfait que Paul fait allusion, par ces mots : « Pour faire éclater, dans les siècles à venir, les richesses surabondantes de sa grâce, il nous a ressuscités avec lui, et nous a fait asseoir dans le ciel, en Jésus-Christ. Il fallait bien que Celui par qui et pour qui toutes « choses ont été faites et qui avait conduit à la gloire de si nombreux enfants, perfectionnât par la souffrance celui qui devait être l'auteur de notre salut ». Il fallait que celui qui a tant de sollicitude pour nous, et qui a fait toutes choses, livrât son Fils pour le salut de tous, un seul pour plusieurs. Mais tel n'est pas le langage de Paul : il a employé les mots : « Perfectionner par la souffrance », pour montrer que, lorsqu'on souffre pour autrui, non-seulement on lui est utile, mais on devient soi-même plus illustre et plus parfait. Il s'adresse à ses disciples pour les encourager. Oui, le Christ a été glorifié, lorsqu'il, a souffert, Mais quand je dis. qu'il a été glorifié, n'allez pas croire qu'il y ait eu là un accroissement de gloire (470) pour lui; car la gloire était dans sa nature et rien ne pouvait .l'augmenter.

« Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés, viennent tous d'un même Père. C'est pourquoi il ne rougit point de les appeler ses frères ». Ici l'apôtre honore et console tous ses auditeurs; de tous ces hommes il fait les frères du Christ, puisqu'ils ont le même Père que lui. Puis établissant bien et montrant clairement qu'il parle selon la. chair, il ajoute : « Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés ». Voyez quelle distance il y a du Christ à nous, c'est lui qui sanctifie, c'est nous qui sommes sanctifiés. Et plus haut, saint Paul l'appelle l'auteur de notre salut. « Il n'y a qu'un Dieu en effet, de qui , procèdent toutes choses; c'est pourquoi il ne rougit point de les appeler ses frères ». Voyez comme il fait ressortir ici la supériorité du Christ. Dire « il ne rougit point », cela signifie que ce n'est pas de sa part chose toute naturelle de nous donner un pareil nom, mais que c'est l'effet d'une bonté et d'une humilité extrême. Car, bien que nous ayons tous le même Père, toujours est-il que c'est lui qui sanctifie et Que c'est nous qui sommes sanctifiés. Quelle différence ! Et puis il procède du Père,'comme un Fils véritable et légitime qui participe à son essence; tandis que nous, c'est en qualité de créatures tirées du néant que nous reconnaissons, Dieu pour Père. La distance entre le Christ et nos est donc bien grande. Voilà pourquoi il dit: « Il ne rougit pas de les appeler ses frères », en disant : « J'annoncerai votre nom à mes frères ». Car en même temps que notre chair, il a revêtu cette fraternité, suite naturelle de l'incarnation; c'est là une conséquence toute simple. Mais que veulent dire ces mots: « Je mettrai en lui ma confiance? » car cette autre expression : « Me voici, et voici les enfants que Dieu m'a donnés », est remplie de justesse. Ici c'est. comme Père des hommes qu'il s'offre à nous; tout à l'heure c'était comme frère. « J'annoncerai », dit-il, « votre nom à mes frères ». Puis vient une nouvelle preuve de sa supériorité et de la différence qu'il y a entre lui et nous.

« Comme donc ses enfants sont d'une nature composée de chair et de sang, il a pris aussi« cette même nature ». La ressemblance, vous le voyez, est tirée de l'incarnation. Que les hérétiques rougissent tous, qu'ils se cachent de honte, ceux qui prétendent que la venue du Christ est une apparence et non une vérité. L'apôtre ne s'est pas en effet borné à dire: « Il s'est fait participant de cette nature », ce qui aurait pourtant suffi ; il a été plus loin et il a dit : « De cette même nature», pour montrer que ce n'est pas là une apparence, une image, mais une fraternité véritable. Autrement, que signifierait le mot « même ? » Puis il nous dit le motif de cette métamorphose providentielle. C'était « afin de détruire par sa mort celui qui était le prince de la mort, c'est-à-dire le démon ». Voilà où est le miracle ! C'est par la mort . que le démon a vaincu; c'est par elle qu'il a été vaincu. Cette arme terrible dont il se servait contre la terre, la mort, a été entre les mains du Christ l'instrument de sa perte, preuve éclatante de la puissance du vainqueur! Voyez-vous quel bien la mort a fait?

« Et afin de mettre en liberté ceux que la crainte de la mort tenait en servitude durant toute leur vie ». Pourquoi frémir, dit-il? Pourquoi redouter cette ennemie détruite à jamais? Elle n'est plus à craindre. La voilà foulée aux pieds; ce n'est plus qu'un objet digne de mépris, une chose vile et abjecte, ce n'est plus rien. Mais que veulent dire ces mots : « Ceux que la crainte de la mort tenait en servitude durant toute leur vie? » cela veut dire que redouter la mort, c'est être esclave et prêt à tout supporter pour ne pas mourir. Cela peut vouloir dire aussi que tous les hommes étaient esclaves de la mort et soumis à l'empire de ce monstre qui n'était pas encore détruit. Cela peut signifier aussi que les hommes vivaient dans des transes continuelles, s'attendant toujours à mourir et redoutant toujours la mort, ne pouvant goûter aucun plaisir, à cause de la terreur qui les assiégeait continuellement. Voilà, en effet, à quoi semblent faire allusion ces mots: « Durant leur vie entière ». Il fait voir ici que les affligés, les bannis, les hommes privés de leur patrie, de leur fortune, et de tous les biens, sont plus heureux et plus libres que ceux qui jadis vivaient dans les délices, que ceux qui n'avaient jamais souffert; que ceux à qui tout réussissait. Ces hommes d'autrefois, durant leur vie entière, étaient sujets à la crainte de la mort, ils étaient esclaves; les hommes d'aujourd'hui au contraire sont délivrés de ces terreurs et rient de ce fantôme qui faisait frémir leurs aïeux. Autrefois nous étions des prisonniers qui devaient être conduits à la mort et qui, en attendant le, moment fatal, s'engraissaient dans les délices : voilà ce que la mort faisait de nous.,

Aujourd'hui la mort n'est plus à craindre. Nous sommes des athlètes; nous avons à lutter contre les délices, et ce n'est plus à la mort, c'est à la royauté que nous marchons. Quel sort est préférable à vos yeux ? Voulez-vous être le prisonnier qui s'en, graisse dans son cachot en attendant chaque jour sa sentence, ou l’athlète qui brave la fatigue et la souffrance, pour ceindre enfin le diadème royal ? Voyez-vous comme il les ranime, comme il relève leur courage ? Il leur montre non-seulement la mort dont le règne est passé, mais notre ennemi implacable, et déclare le démon terrassé par la mort; car l'homme qui ne craint pas la mort est affranchi de la tyrannie du démon. Oui : l'homme qui pour conserver sa vie, donnerait les lambeaux de sa chair et tout au monde, une fois qu'il sera parvenu à mépriser la mort, que craindra-t-il désormais? Le voilà désormais exempt de crainte, au-dessus de tout, le plus libre de tous les êtres! Quand on méprise la vie, en effet, on méprise à plus forte raison tout le reste. Une âme de cette trempe est assurée contre toutes les attaques du démon. A quoi bon, je vous le demande, menacer un pareil homme de la ruine, de l'infamie, de l'exil ? Qu'est-ce que tout cela, dit saint Paul, pour celui qui ne tient pas même à la vie? Voyez-vous comme en nous affranchissant de la crainte de la mort, il a brisé la puissance du démon? Car l'homme qui pense sérieusement à la résurrection, comment craindrait-il la mort? Quel danger pourrait le faire frémir? Ne vous abandonnez donc pas (471) à la tristesse! Ne dites pas : Pourquoi tous ces maux que nous souffrons? Notre victoire n'en sera que plus brillante, et quel éclat aurait-elle, si la mort n'avait été vaincue par la mort? Le miracle, d'est d'avoir vaincu le démon avec les armes qui faisaient sa force, et voilà ce qui fait ressortir le génie fécond en ressources de son vainqueur ! « Car», dit-il, « ce n'est pas un esprit de faiblesse, c'est un esprit de force,. de charité et de sagesse que nous avons reçu ». (Rom. VIII, coll.; II Tim. I, 7.) Résistons donc généreusement et moquons-nous de la mort.

5. Mais il me prend envie de gémir, dans toute l'amertume de mon coeur, quand je compare le degré d'élévation auquel le Christ nous a fait parvenir, au degré d'abaissement auquel nous sommes descendus par notre faute. A l'aspect de cette foule qui se frappe la poitrine sur la place publique, qui gémit sur ceux qui sortent de la vie, à l'aspect de tous ces gens qui hurlent de douleur et se livrent à toutes ces lâches démonstrations, croyez-moi, je rougis devant ces grecs, ces juifs, ces hérétiques qui nous regardent, et dont toutes ces manifestations nous rendent la fable. Désormais toutes les méditations philosophiques que je puis faire sur la résurrection, sont en pure perte. Pourquoi? C'est que ce n'est pas à mes paroles que les grecs font attention, c'est à vos actes. Car ils disent aussitôt : Comment trouver un seul homme capable de mépriser la mort, parmi tous ces hommes qui  ne sauraient envisager un cadavre? Elles sont bien belles les paroles de saint Paul: oui, elles sont bien belles, elles sont dignes du ciel et de la bonté divine. Que dit-il, en effet? « Et il affranchira tous ceux que la crainte, de la mort tenait, durant toute leur vie, dans l'esclavage ». Mais vous empêchez les païens de croire à ces paroles par votre conduite qui est en contradiction avec elles. Et, pourtant Dieu nous a , prémunis contre cette faiblesse et contre ces mauvaises habitudes. Car, je vous le demande, que veulent dire ces lampes qui brillent? Ces morts; ne les accompagnons-nous pas, comme s'ils étaient. des athlètes victorieux? Que signifient ces hymnes? N'est-ce pas Dieu que. nous glorifions, que nous remercions d'avoir enfin couronné le lutteur sorti de la lice; de l'avoir affranchi de ses fatigues, de l'avoir reçu dans son sein, en bannissant toutes ses inquiétudes? N'est-ce pas là le sens de ces hymnes, de ces psaumes,? Ce sont là autant de manifestations joyeuses. « Quelqu'un est-il dans la joie, qu'il chante». (Jac. V; 13.) Mais les grecs ne pensent pas à tout cela. Ne nous parlez pas, disent-ils, de ces hommes qui font les sages, quand ils n'ont rien à souffrir; car il n'y a rien là de bien grand ni de bien merveilleux; montrez-nous un homme qui raisonne en philosophe, au sein même de la souffrance, et nous croirons alors à la résurrection. Que les femmes mondaines se conduisent ainsi, il n'y a rien là d'étonnant, bien qu'il y ait aussi du mal à cela. Car on leur demande aussi à elles, cette philosophie du chrétien, témoin cette parole de Paul : « Quant à ceux qui dorment dans le sein du Seigneur, je ne veux pas vous le laisser ignorer, mes frères, vous ne devez pas vous affliger, comme toutes ces personnes qui n'ont point d'espérance ». (I Thess. IV, 12.) Cela n'est pas écrit pour les religieuses, pour celles qui ont fait voeu de virginité, mais pour les femmes mondaines, pour les femmes mariées, pour les femmes du siècle.

Jusqu'ici pourtant, il n'y a pas grand mal. Mais quand on voit une femme ou un homme soi-disant mort pour le monde, s'arracher les cheveux, pousser de grands gémissements, qu'y a-t-il de plus honteux ? Croyez-moi : il faudrait, pour bien faire, interdire pour longtemps à ces gens-là le seuil de l'église. Ceux qui méritent d'être pleurés en effet, ce sont ceux qui craignent la mort, ceux qu'elle fait frémir et qui ne croient pas à la résurrection. Je crois à la résurrection, me direz-vous, mais .je veux suivre la coutume. Pourquoi donc, dites-moi, quand vous partez pour un long voyage, n'en faites-vous pas autant? — Alors aussi, dites-vous, je pleure, je me lamente et j'exprime mes regrets. Mais les larmes, des funérailles sont celles de l'habitude, les larmes du départ sont celles du désespoir. Réfléchissez donc aux paroles que vous chantez quand vous pleurez ainsi. « Tourne-toi, mon âme, vers ce port tranquille ; car Dieu a répandu sur toi ses bienfaits », et ailleurs : « Je braverai le malheur, car tu es avec moi», et ailleurs encore : « Tu es mon refuge au milieu des tribulations. qui m'environnent ». (Ps. CXIV, 7 ; XXII, 4 et XXXI, 9.) Réfléchissez au sens de ces paroles que vous chantez. Mais vous n'y faites pas attention; vous êtes ivre de douleur. Réfléchissez pourtant, réfléchissez avec soin, durant ces funérailles, afin d'être sauvé quand l'heure de vos funérailles à vous, viendra à sonner. « Tourne-toi, mon âme, vers le lieu du repos; car le Seigneur a répandu ses bienfaits sur toi ». Quoi donc! Voilà ce que vous dites et vous pleurez! N'est-ce pas là une scène de théâtre, n'est-ce pas là un rôle que vous jouez? Car enfin, si, vous êtes bien convaincu de ce que vous dites, votre douleur est gratuite. Si d'un autre côté, tout cela n'est qu'un jeu: d'enfant, un rôle que vous jouez, une fable, pourquoi chanter? pourquoi permettre à vos voisins de chanter? pourquoi ne pas les chasser? Mais, direz-vous, ce serait de la folie. Ah ! votre conduite en est une bien plus grande encore... Pour le moment, je me borne à vous avertir. Avec le temps, j'insisterai sur ce point , car j'ai bien peur que cette coutume ne devienne la plaie de . l'Eglise, Plus tard, je tâcherai de la déraciner. Pour aujourd'hui je me contente de la dénoncer, et je vous conjure, vous tous, riches et pauvres, femmes et enfants, de vous en défaire.

Puissiez-vous tous sortir de la vie, sans être entourés de tout cet appareil de deuil ! que, d'après la loi de la nature, les pères arrivés à la vieillesse soient conduits à leur dernière demeure par leurs fils; que parvenues à une vieillesse avancée et tranquille, les mères soient conduites par leurs filles, par leurs petits-fils et par leurs arrière-petits-fils, et que votre mort ne soit jamais prématurée. Puissiez-vous avoir ce bonheur! Je vous le souhaite et je le demande à Dieu pour vous. Je vous en prie, je vous y exhorte: priez Dieu les (472) uns pour les autres, et que mes voeux soient les vôtres à tous! Si, ce qu'à Dieu ne plaise, votre mort était cruelle (je dis cruelle, non que la mort soit cruelle en elle-même, puisque c'est un sommeil, mais enfin je dis cruelle, pour me mettre à votre point de vue), s'il en était ainsi, et si quelqu'un d'entre vous louait des pleureuses à gages, croyez-moi, car je parle sérieusement et j'y suis bien décidé, croyez-moi, et fâchez-vous , si vous voulez, j'interdirai pour longtemps l'église au coupable. Car si Paul traite les avares d'idolâtres, ils sont bien plus idolâtres encore ceux qui introduisent dans le séjour des fidèles les pratiques de l'idolâtrie. Pourquoi en effet, je vous le demande, appeler des prêtres et des chantres ? N'est-ce pas pour vous consoler vous-même, n'est-ce pas pour honorer celui qui est sorti de ce monde ? Pourquoi donc l'insulter ? Pourquoi le donner en spectacle ? Pourquoi ces pratiques théâtrales? Nous venons à vous pour méditer sur la résurrection, pour vous instruire tous, pour apprendre, par honneur pour l'apôtre, à ceux qui ne sont point encore frappés, le moyen de supporter avec courage les coups du sort, et vous nous amenez des personnes qui s'efforcent pour leur part, de détruire notre ouvrage ?

6. Quoi de plus odieux qu'une dérision aussi amère? Quoi de plus grave qu'une conduite aussi irrégulière? Rougissez et soyez couverts de confusion. Si vous ne voulez pas changer de conduite,.nous ne pouvons souffrir, nous, que ces pernicieuses: habitudes s'introduisent. dans l'Eglise. « Accusez », est-il dit, « les pécheurs devant tout le monde ». ( I Tim. V, 28.) Oui, nous défendons à ces malheureuses que vous amenez ici, d'assister aux funérailles des fidèles, sous peine do, se voir forcées à pleurer, avec des larmes véritables, non pas le malheur des autres, mais leurs propres infortunes. Un père qui aime son fils, quand ce fils se dérange, ne se borne, pas à lui interdire la société des méchants, il effraie les méchants. Je vous engage donc à ne pas appeler ces femmes, et je les engage à ne pas se présenter. Et fasse le ciel que nos paroles soient écoutées et que nos menaces ne soient pas vaines ! Si, ce qu'à Dieu ne plaise, on méprisait nos avis, nous serions forcé de joindre l'effet à  la menace, en vous traitant d'après les lois ecclésiastiques, et en traitant ces femmes, comme elles le méritent. Si quelqu'un accueillait nos paroles avec un mépris insolent, nous lui dirions d'écouter du moins ces paroles du. Christ: « Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter sa fauté en particulier entre vous et lui, s'il ne vous écoute point, prenez encore avec vous une ou deux personnes ; s'il ne les écoute pas non plus, dites-le à l'église; et s'il n'écoute pas l'église même, qu'il soit à votre égard comme un païen et un publicain ».. (Matth. XVIII,.15, 16, 17) Si je dais haïr ainsi celui qui se rend coupable de désobéissance envers moi, je vous laisse à penser la conduite que je dois tenir à l'égard de celui qui est coupable envers Dieu et envers lui-même, puisque vous condamnez la mollesse et l'indulgence dont nous usons envers vous. Si, vous méprisez .nos liens, que le Christ vous instruise en ces termes : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre, sera délié dans le ciel ». (Matth. XVIII, 18.) Malgré notre néant, et tout malheureux, tout digne de mépris que nous sommes, nous ne nous vengeons pas, nous ne vous rendons pas outrage pour outrage, mais noua veillons à votre salut.

Rougissez donc, je vous en supplié, et que votre visage se couvre de confusion; car si l'on souffre la véhémence d'un ami qui s'emporte contre nous, par égard pour le but qu'il se propose, et pour 1a bienveillance dénuée de hauteur qui lui dicte ses paroles, à combien plus forte raison ne devez-vous pas supporter les reproches d'un maître, surtout quand ce maître ne vous parle point en son nom, surtout quand il vous parle non comme un chef, mais comme un tuteur! Ici en effet nous n'avons pas pour but de faire acte d'autorité, puisque notre désir est que vous ne nous réduisiez pas à vous faire sentir notre pouvoir. Mais nous vous plaignons et nous pleurons sur vous. Pardonnez-nous et ne méprisez pas les liens de l'église; car ce n'est pas l'homme qui lie, c'est le Christ qui . nous a donné le pouvoir de lier et qui a voulu , que les hommes fussent honorés, de ce pouvoir: nous voudrions n'en faire usage que pour délier, que dis-je? nous voudrions que ce dernier acte, même ne fit pas nécessaire. Car nous ne voudrions pas qu'il y eût des prisonniers parmi vous ; nous ne sommes point assez infortuné et assez, misérable pour former, un pareil voeu, malgré notre néant. Mais si: vous nous imposez un triste devoir, pardonnez-nous. Ce n'est pas de bon coeur, ce n'est pas de plein gré, c'est en gémissant plus que ceux qui sont dans nos liens, que nous vous chargeons de chaînes. Et si vous méprisez nos liens, le jour du jugement viendra vous instruire. Je ne veux pas,vous en dire davantage, pour ne pas frapper vos âmes de terreur. Car avant tout, nous vous prions de ne pas nous réduire à une dure nécessité; mais, si vous nous y forcez, nous ferons notre devoir, nous vous chargerons des liens. Si vous les brisez, j'aurai fait,ce qui dépend de moi et je ne serai pas en faute. Mais il vous faudra compter avec celui qui m'a donné l'ordre de lier. Que sur l'ordre du roi, un de ses gardes reçoive l'ordre de lier un des assistants et , de le charger de chaînes, si le condamné repousse le garde, et non content de cela, brise ses fers, ce ne sera pas le satellite qui sera outragé, ce sera bien plutôt le roi de qui l'ordre émane. Si donc, selon Dieu même ; ce que l'on fait à ses fidèles, on le fait à Dieu, les outrages que vous adressez, à ceux qui ont reçu mission de vous instruire, remontent jusqu'à lui : n'est comme si vous l'outragiez lui-même.

Mais à Dieu ne plaise que l'un de ceux qui sont. dans cette assemblée en vienne à nette extrémité et nous réduise à le lier ! Car s'il est bon de ne pas pécher, il est utile de savoir supporter les réprimandes; sachons donc les supporter, étudions-nous à ne pas pécher ; mais si nous péchons, sachons supporter la réprimande. Il est bon d'éviter les blessures; mais; en cas de (473) blessure, il faut panser la plaie. Agissons de même ici. Ah! fasse le ciel que personne ici n'ait besoin des secours de la médecine ! « Car nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut, quoique nous parlions de la sorte ». (Hébr. VI, 9.) Si nous vous avons parlé avec quelque vivacité, avec quelque véhémence, c'est pour plus de sûreté. J'aime mieux en effet passera vos yeux pour un homme audacieux, cruel et fier, que de vous voir faire quelque chose qui pourrait déplaire .à Dieu. .Nous avons confiance en lui, et nous croyons que cette réprimande ne vous sera pas inutile; nous croyons que vous vous corrigerez et que, grâce à ces observations, vous finirez par mériter nos éloges. Puissions-nous vivre de manière à nous rendre agréables à Dieu, de manière à obtenir tous tant que nous sommes, les biens qu'il a promis à ceux qui l'aiment, par la grâce de Jésus-Christ, Notre-Seigneur....

HOMÉLIE V. CAR IL N'A PAS PRIS LA NATURE DES ANGES, MAIS IL A PRIS CELLE DE LA RACE D'ABRAHAM. C'EST POURQUOI IL A FALLU QU'IL FUT EN TOUT SEMBLABLE A SES FRÈRES. (II, 16, 17, JUSQU'À III, 6.)
 

Analyse.
 
 

1. Dieu s'est montré libéral envers le genre humain.

2. Jésus, apôtre et pontife de notre religion.

3. Exhortation à s'affermir dans l'espérance et dans la foi.

4. Du bonheur des méchants.

5. Il faut, pour la religion, être prêt à tout souffrir.
 
 

1. Afin de montrer toute la bonté et toute la tendresse de Dieu pour le genre humain, après avoir dit : « Parce que ses enfants avaient une nature composée de chair et de sang, il s'est fait participant de cette même nature », Paul explique ce passage et continue en ces termes. « Car il ne prend pas la nature des anges ». Pour que l'on fasse une sérieuse attention à ces paroles, pour que l'on ne regarde pas comme un léger bienfait cette faveur qu'il nous a faite de se revêtir de notre chair, faveur qu'il n'a pas faite aux anges, il dit: « Il n'a pas pris la nature des anges, mais il a pris celle de la race d'Abraham ». Que signifient ces mots : « Il n'a pas pris la nature de l'ange; il a pris celle de l'homme? » Pourquoi cette expression : « Il a pris ? » Pourquoi ne pas dire : « Il s'est revêtu », mais : «Il a pris? » C'est une métaphore empruntée à l'homme qui court après un autre, quand celui-ci se détourne : c'est une métaphore empruntée à cet homme qui fait tous ses efforts pour saisir le fuyard et pour prendre celui qui s'échappe. Il a pris la nature de l'homme qui le fuyait et qui s'éloignait de lui. « Car nous nous étions éloignés de Dieu, et nous étions dans le monde, sans connaître Dieu ». (Ephés. II, 12. ) Dieu a poursuivi l'homme qui le fuyait et il a pris sa nature. Il montre que cette conduite de Dieu à notre égard est un effet de sa bonté, de sa tendresse et de sa sollicitude pour nous. C'est comme lorsqu'il dit : « Est-ce que tous les esprits, ministres de Dieu, n'ont pas été envoyés pour prêter leur ministère aux héritiers du salut?» (Hébreux, I,14.) Il montre par là toute la sollicitude de Dieu pour la nature humaine, et tous les égards qu'il a pour nous. Ainsi dans le passage qui nous occupe, il met cette vérité dans un jour plus grand encore, au moyen d'une comparaison conçue,en ces termes : « Il ne prend pas la nature des anges ». C'est qu'il y a là un miracle bien capable de nous remplir, d'étonnement; c'est notre chair qui se trouve élevée à ce degré de grandeur et qui devient l'objet de l'adoration des anges, des archanges, des séraphins et des chérubins.

Que de fois, en réfléchissant à ce prodige, j'ai été ravi en extase et quelle haute idée j'ai conçue alors de la nature humaine ! voilà un magnifique et brillant privilège ! Voilà une sollicitude singulière de Dieu pour l'homme ! Et Paul ne dit pas simplement : Il prend la nature de l'homme ; mais, pour élever l'âme de ses auditeurs, pour leur montrer toute la grandeur et toute la splendeur de leur naissance, il leur dit: « Il prend la nature de la race d'Abraham; il fallait donc qu'il fût en tout semblable à ses frères ». Ces mots « en tout», que veulent-ils dire? Ils signifient que le Christ a été enfanté et élevé, qu'il a, grandi, qu'il a souffert tout ce qu'il fallait souffrir, et qu'enfin il est mort. En un mot, il a été en tout semblable à ses frères. Après avoir longtemps entretenu son auditoire de la grandeur du Christ, de sa gloire suprême, il parle de sa Providence. Et voyez comme sa parole est adroite et puissante, comme il fait ressortir l'attention que le Christ apporte à nous ressembler complètement. O sollicitude de Dieu à notre égard ! Après avoir dit: « Parce que ses enfants ont une nature composée de chair et de sang, il s'est fait participant de cette même nature », il insiste et dit ici : « Il est devenu semblable en tout à ses frères ». C'est comme s'il disait. Lui qui est si grand, lui qui est la splendeur de la gloire, le caractère de la substance divine, (474) lui qui a fait les siècles, lui qui est à la droite du Père, il a consenti, il s'est étudié à devenir notre frère en tout, et c'est pour cela qu'il a envoyé ses anges et les puissances d'en-haut, qu'il est venu à nous et qu'il a pris notre nature. Voyez tous les bienfaits dont il nous a comblés : il a détruit la mort, il nous a affranchis de la tyrannie du démon, il nous a délivrés de la servitude, il nous a fait l'honneur de devenir notre frère, et il nous a honorés , non-seulement de ce bienfait, mais d'une foule d'autres bienfaits. Il a bien voulu devenir notre grand pontife auprès de son père. Car saint Paul ajoute : « Pour être envers Dieu un pontife compatissant et  fidèle (17) ». C'est pour cela, dit Paul, que le Christ a pris notre chair. C'est un effet de sa bonté pour les hommes; il voulait que Dieu eût pitié de nous. Voilà le motif, l'unique motif de sa conduite providentielle. Il nous a vus abattus, mourants, tyrannisés par la mort, et il nous a pris en pitié. « Afin d'expier les péchés du, peuple », dit l'apôtre, « afin d'être un pontife compatissant et fidèle ». — « Fidèle », que veut dire ce mot? Il veut dire: sincère et puissant médiateur. Car le seul pontife fidèle, c'est le fils. Il peut, en sa qualité de pontife, absoudre son peuple de ses péchés. C'est donc pour offrir à Dieu une victime capable de nous purifier et d'expier nos fautes, qu'il s'est fait homme; voilà pourquoi l'apôtre a ajouté : «Envers Dieu », c'est-à-dire « nos fautes envers Dieu ». Nous étions, dit-il, les ennemis de Dieu, nous étions condamnés, nous étions notés d'infamie; il n'y avait personne pour offrir, en notre faveur, le sacrifice. Il nous a vus en cet état et il nous a pris en pitié. Il ne nous a pas donné un pontife; mais il s'est constitué lui-même notre pontife fidèle. Puis nous faisant voir en quoi c'est un pontife fidèle, l'apôtre a ajouté : « Afin d'expier les péchés du peuple ». — « Car c'est des souffrances mêmes par lesquelles il a été éprouvé, qu'il tire la force de secourir ceux qui sont éprouvés (18) ».

2. Voilà le comble , de l'humiliation ! Voilà un abaissement indigne d'un Dieu ! « De ses souffrances mêmes ». C'est de l'Incarnation. 'qu'il parle ici, et peut-être avait-il pour but de raffermir ces âmes faibles. Toujours est-il que voici ce qu'il veut dire : C'est pour souffrir ce que nous souffrons qu'il est venu, et maintenant il tonnait nos souffrances, et il les connaît non-seulement comme Dieu, mais comme homme , par l'expérience qu'il en a faite; ses nombreuses souffrances lui ont appris à compatir aux nôtres. Pourtant Dieu ne tonnait point la souffrance; mais Paul aborde ici le mystère de l'incarnation; c'est comme s'il disait: Le corps du Christ lui-même a été en proie à la souffrance. Il sait ce que c'est que l'affliction; il sait ce que c'est que la tentation et il le sait aussi bien que nous qui avons souffert; car il a souffert lui-même. Mais que signifient ces mots : « Il a la force de secourir ceux qui sont éprouvés ? » C'est comme s'il disait : C'est avec ardeur qu'il nous tendra la main ; car il est compatissant. Comme les Hébreux voulaient avoir sur les gentils une supériorité quelconque, il leur montre, sans blesser les gentils, que voilà précisément ce qui les rend supérieurs à eux. C'est d'eux que vient le salut; c'est leur nature qu'il a prise d'abord, puisque c'est chez eux qu'il s'est incarné. Car, dit-il, « il ne prend pas la nature des anges; il prend la nature de la race d'Abraham ». C'est un honneur qu'il fait au patriarche, et il montre aussi ce que c'est que la race d'Abraham. Il leur rappelle cette promesse qui leur a été faite : « Je donnerai cette terre à toi et à ta race». (Genès. XIII, 15.) Un petit mot lui suffit pour leur montrer leur parenté avec le Christ: « Ils sont tous les enfants d'un même père ». Mais, comme cette    parenté , n'était pas grande, il y revient et s'arrête sur cette incarnation providentielle , en ces termes : « Afin d'expier les péchés du peuple ».

Consentir à devenir un homme, c'était nous donner une grande preuve de sollicitude et d'amour. Mais tout n'est pas là ; il y a en outre les biens impérissables qui nous ont été donnés par son moyen. « Pour expier les péchés du peuple ». Pourquoi pas « de la terre ? » N'a-t-il pas porté les péchés de tout le monde? C'est qu'il parlait aux Hébreux des Hébreux. L'ange ne disait-il pas à Joseph : « Tu l'appelleras Jésus, car il sauvera son peuple ? » (Matth I, 21.) Voilà en effet ce qui devait   avoir lieu d'abord : il est venu pour sauver d'abord ce peuple, et par lui les autres hommes; quoique le contraire ait eu lieu. C'est ce que disaient aussi les apôtres, dès le commencement : « Par amour pour vous, il a suscité son Fils et l'a envoyé pour vous bénir ». (Act. III, 26.) Et ailleurs : « Le Verbe du salut vous a été envoyé », (Act. XIII, 26.) Il montre la noblesse du peuple, juif, lorsqu'il dit : « Pour expier les péchés de son peuple ». C'est ici qu'il tient ce langage; car qu'il ait effacé les péchés du monde entier, c'est ce que prouvent ces mots adressés au paralytique: « Vos péchés vous sont remis », c'est ce que prouvent ces paroles adressées à ses disciples, à propos du baptême: «Allez et instruisez toutes les nations, et baptisez-les au nom du Père et du Fils et: du Saint-Esprit ». (Matth. IX, 5 et XXVIII, 19.)Après avoir abordé le chapitre de l'Incarnation, Paul entre sans crainte dans les moindres et dans les plus humbles détails ; voyez plutôt: « Ainsi, mes saints frères, qui avez part à la vocation céleste, considérez l'apôtre et le pontife de notre confession  dans la personne de Jésus, qui est fidèle à celui qui l'a établi, comme Moïse lui a été fidèle en toute sa maison ». (III, 1, 2.)

Il va le comparer et le préférer à Moise, et il parle en premier lieu des devoirs du sacerdoce; car tous ses auditeurs avaient de Moise une haute opinion. Il commence par jeter les germes delà supériorité de Jésus, et part de son incarnation pour arriver à sa divinité ; là nécessairement s'arrêtait la comparaison. Il commence par les mettre comme « hommes» sur la même ligne, et il dit : « Comme Moïse en toute sa maison ». Il ne montre pas tout d'abord la supériorité de Jésus; il craindrait que son auditoire ne se révoltât et ne se bouchât les oreilles. Car ses auditeurs avaient beau être des fidèles, le souvenir de Moïse était (475) encore profondément gravé dans leur coeur. « Qui  est fidèle à celui qui l'a établi ». Dans quelle charge l'avait-il établi ? Dans la charge d'apôtre et de pontife. Passant ici sous silence son essence et sa divinité, il ne parle que de ses dignités, au point de vue purement humain. « Comme Moïse en toute sa maison », c'est-à-dire au milieu de son peuple ou bien dans le temple. Il dit ici : « En sa maison », et c'est comme s'il disait : « Au milieu de ceux qui sont dans cette maison ». Car Moïse était pour le peuple Hébreux comme un intendant, comme un économe. Et, pour, prouver qu'il s'agit ici de ce peuple, il a ajouté : « C'est nous qui sommes sa maison », c'est-à-dire sa chose. Puis voici la supériorité de Jésus mise en pleine lumière : « Il a été jugé digne d'une gloire a d'autant plus grande que celle de Moïse, que « celui qui a bâti la maison est plus estimable que la maison même (3) ».

3. Et lui-même, dit-il, était de la maison. Il n'a pas dit : L'un était l’esclave, l'autre était le maître; mais il l'a fait entendre discrètement. Si maison, veut dire ici peuple; et si Jésus était du peuple, c'est qu'il était de la maison. Nous aussi nous avons l'habitude de dire : Voilà un homme qui est de la maison. Il dit ici « maison » et non pas « temple », car le temple avait été construit non par Dieu lui-même, mais parles hommes. Quant il celui qui l'a établi, c'est Dieu; il est ici question de Moïse. Voyez comme la supériorité de Dieu est indiquée. Il était fidèle, dit-il, en toute sa maison, et il était de cette maison, c'est-à-dire du peuple. Or, l'ouvrier est plus estimable que l'ouvrage, et l'architecte que la maison. « Et l'architecte de toutes choses, c'est Dieu (4)». Vous voyez qu'il est question ici du peuple tout entier; et non du temple. « Quant à Moïse, il a été fidèle dans toute la maison de Dieu, comme un serviteur envoyé pour annoncer au peuple tout ce qu'il lui était ordonné de dire (5)». Voilà encore une autre différente qui résulte de l'état de fils et de celui de serviteur. Voyez-vous comme par ce nom de fils il fait entendre que le titre de Fils de Dieu appartient à Jésus en toute propriété ? « Mais le Christ, comme Fils, a l'autorité dans sa maison (6) ». Voyez-vous comme il distingue et sépare l'oeuvre de l’ouvrier, le serviteur du Fils? Celui-ci entre dans le bien de son père, comme Fils de la maison, celui-là comme serviteur. « Et c'est nous qui sommes sa maison, pourvu que nous conservions jusqu'à la fin une ferme confiance et l'espoir glorieux des biens qui nous attendent ».

Ici nouvelle exhortation à résister fortement, à ne pas tomber dans le découragement. Comme Moïse, dit-il, nous serons de la maison de Dieu, si nous conservons jusqu'à la, fin une- ferme confiance et un glorieux espoir. Celui que la douleur abat dans les épreuves et' qui sent son coeur défaillir, n'est pas glorifié; celui qui; tout couvert de confusion, va se cacher, n'a pas la confiance; celui qui est triste n'est pas glorifié. Et plus c'est faire leur éloge que de dire: « Si nous conservons jusqu'à la fin une ferme confiance et l'espérance de la gloire qui nous attend ». C'est montrer que cette confiance et cet espoir sont déjà entrés dans leur coeur. Mais c'est jusqu'à la fin qu'il faut persévérer; il faut savoir non-seulement résister mais avoir une confiance ferme et stable fortement appuyée sur la foi, sans jamais se laisser ébranler par les épreuves. Ne vous étonnez pas si ce mot: «Il a été éprouvé lui-même », rappelle un peu trop la nature humaine. Si, en parlant du Père qui n'a pourtant pas été incarné, l'Ecriture dit : « Le Seigneur a regardé du haut des cieux et il a vu tous les enfants des hommes » (Ps. XIII, 2); c'est-à-dire, il s'est rendu de toutes choses un compté fidèle et exact : si elle dit : « Je descendrai des cieux et je verrai si leurs plaintes sont légitimes » (Gen. XVIII, 21); si elle dit : « Dieu ne peut supporter les vices des hommes», pour exprimer la grandeur de la colère divine, on peut parler à plus forte raison « des épreuves » du Christ dont la chair a connu la souffrance. Comme beaucoup d'hommes pensent que l'épreuve des maux est le meilleur moyen de les connaître, il veut montrer que celui qui a souffert, tonnait lés souffrances de la nature humaine. « Vous donc, mes saints frères » (donc, c'est-à-dire « par ce motif) vous qui avez part à la vocation céleste ». N'en demandez pas davantage, si vous êtes appelés à cette vocation voilà la récompense! voilà la rémunération ! Ecoutez ce qui suit : « Considérez l'apôtre et le pontife de notre confession dans la personne de Jésus-Christ qui est fidèle à celui qui l'a établi, comme Moïse lui a été fidèle en toute sa maison ». Que signifient ces mots : « Qui est fidèle à celui qui l’a établi ? » Ils signifient : qui pourvoit à tout, qui conduit les siens, qui ne les laisse ni errer au hasard ni s'égarer. « Comme Moïse, en toute sa maison », c'est-à-dire: Apprenez à connaître ce pontife et vous n'aurez pas besoin d'autre consolation, d'autre exhortation. Il l'appelle apôtre, parce qu'il a été envoyé; il l'appelle pontife de « notre confession », c'est-à-dire de « notre foi ». Il a eu raison de dire : « Comme Moïse ». Car, comme lui, Jésus a été chargé de conduire et de gouverner son peuple ;mais sa mission était plus haute et plus importante. Moïse n'était qu'un serviteur; le Christ est le Fils de Dieu. Celui-là avait sous sa tutelle des étrangers; celui-ci est le tuteur des siens.

« Pour annoncer tout ce qu'il lui était ordonné de dire ».Que dites-vous, Paul? Dieu accepte-t-il le témoignage des hommes? Sans doute, il l'accepte. S'il prend à témoin le ciel, la terre et les collines, en disant par la bouche des prophètes « Cieux, entendez-moi; terre, écoute; car le Seigneur a parlé; écoutez, vallées et fondements de la terre » (Isaïe, I, 2 ; Mich. VI, 2), parce que le Seigneur porte son jugement contre son peuple, à plus forte raison peut-il prendre les hommes à témoin. Que veulent dire ces mots: « Pour annoncer, pour rendre témoignage? » C'est qu'il faut à Dieu des témoins contre des hommes qui ont abjuré la pudeur. « Le Christ gouverne comme Fils». Moïse était tuteur d'enfants étrangers; le Christ est le tuteur de sa famille. « Et la glorieuse espérance ». C'est bien dit : car les biens qui leur étaient promis n'étaient encore que des (476) espérances. Or il faut conserver l'espérance et nous glorifier de ces promesses, comme si elles s'étaient réalisées déjà. C'est pour cela qu'il parle « des espérance glorieuse »; c'est pour cela qu'il ajoute Conservons-la fermement jusqu'au bout; car c'est l'espérance qui nous a sauvés. Si donc nous lui devons notre salut, et si nous savons attendre patiemment, ne nous affligeons pas des maux présents et ne cherchons pas à voir l'effet des promesses divines ; « car lorsque l'on voit ce qu'on a espéré, ce n'est plus espérance ». (Rom. VIII, 24.) Ils sont grands les biens qui nous sont promis, et ce n'est point dans cette vie passagère et périssable que nous pouvons les goûter. Mais pourquoi donc alors nous prédire un bonheur qui ne doit pas être ici-bas notre partage? C'est que Dieu, au moyen de cette promesse, veut ranimer notre âme, affermir et fortifier notre ardeur, relever et fortifier nos esprits. Voilà le but véritable de toutes ces promesses.

4. Gardons-nous donc de nous troubler ; n'éprouvons aucun trouble à l'aspect du bonheur des méchants ; ce n'est point ici-bas que le vice et la vertu sont rémunérés; si cela arrive quelquefois, ce n'est pas pour que justice soit faite; c'est un avant-goût du jugement, c'est pour que ceux qui ne croient pas à la résurrection rentrent en eux-mêmes. Quand donc nous voyons le méchant dans l'opulence, ne tombons pas dans le découragement; quand nous voyons l'homme de bien dans le malheur, ne nous troublons pas; c'est là-bas que sont les couronnes; c'est là-bas, que sont les supplices. D'ailleurs, il est impossible que le méchant soit complètement méchant; il peut avoir quelques qualités : il est impossible aussi que le bon soit parfait; il peut avoir quelques défauts. Quand donc le méchant est dans la prospérité, c'est pour son malheur, sachez-le bien ; c'est pour qu'après avoir reçu ici-bas la récompense du peu de mérite qu'il peut avoir, il reçoive là-bas son châtiment plein et entier. Le plus heureux est celui qui est puni ici-bas de manière à sortir de cette vie éprouvé par la souffrance, pur et irréprochable, après avoir déposé le fardeau de ses péchés. Et c'est aussi-ce que nous enseigne Paul, en ces termes : « C'est pour cela qu'il y a parmi vous bien des malades, bien des infirmes, et que beaucoup dorment du dernier sommeil » ; et ailleurs: « Livrez cet homme à Satan, pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée, au grand jour du jugement ». (Cor. XXI, 30, et V, 5.) Et le Prophète dit : « Il a reçu de la main du Seigneur un double fardeau de péchés. » (Isaïe, XI, 2.) Et David dit ailleurs: « Voyez mes ennemis; ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête, et ils me poursuivent de leur injuste haine; pardonnez-moi tous mes péchés ». (Ps. XXIV, 19, 18.) Et nous lisons ailleurs:« Seigneur, notre Dieu, donnez-nous la paix; car vous nous avez rendu tout le mal que nous avons fait ». ( Isaïe, XXVI, 12.) Voilà ce qui prouve que les bons expient ici-bas leurs péchés. Pour vous convaincre maintenant que bien des méchants favorisés ici-bas reçoivent dans l'autre vie un châtiment complet, écoutez ces paroles d'Abraham : « Vous avez reçu votre part de bonheur dans votre vie, et Lazare n'a eu que le malheur en partage ». (Luc, XVI, 25.) De quels biens s'agit-il ici? Ces mots : « Vous avez reçu votre part », montrent que le bonheur de l'un, comme le malheur de l'autre, était le paiement d'une dette. Aussi ajoute-t-il : « C'est pourquoi il est dans la consolation ». Car vous le voyez, il est purifié de ses péchés, « et vous » vous êtes dans les tourments.

Ne nous attristons donc pas , lorsque nous voyons les pécheurs favorisés ici-bas; mais quand nous sommes dans le malheur, réjouissons-nous, car ce malheur est le paiement de nos fautes. Ne cherchons pas le repos; car le Christ a promis l'affliction à ses disciples : et Paul dit : « Tous ceux qui, veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, souffrent la persécution». (II Tim. III,12.) Un courageux athlète, au moment du combat, ne, recherché pas les biens, les tables bien servies; une pareille conduite n'est pas celle d'un athlète, mais celle d'un homme -mou et efféminé. Un athlète qui tombât est tout frotté d'huile, il supporte la poussière, la chaleur, la sueur, les perplexités, les angoisses de la lutte. Voici le moment du combat; donc voici le moment des blessures, de l'effusion du sang; de la douleur! Ecoutez les paroles de saint Paul : « Je ne combats pas en lutteur qui frappe dans le vide ». ( I Cor. IX, 26.) Songeons que notre vie n'est qu'un combat et jamais nous ne chercherons le repos; jamais nous ne regarderons l'affliction comme un accident nouveau et extraordinaire de notre existence; nous ressemblerons à l'athlète qui ne regarde pas la lutte comme un accident; nouveau et extraordinaire pour lui. Il n'est pas temps encore de nous reposer; il faut que nous soyons perfectionnés parla souffrance. Quoique;, nous ne soyons pas en butte à la persécution, aux, vexations, il y a cependant des afflictions journalières qui nous éprouvent; si nous ne savons pas les supporter, comment supporterions-nous la persécution ? « Vous n'avez eu », dit-il, « que des persécutions humaines ». (I Cor. X, 13.) Ainsi prions Dieu de ne pas subir la persécution; mais si nous la subissons, sachons la supporter avec courage. Il appartient au sage qui sait garder une, juste mesure, de ne pas se jeter à la légère dans le péril; mais il appartient à l'homme courageux, au philosophe de se raidir contre le péril, quand il y tombe. N'allons donc pas nous y jeter légèrement;, il y aurait là une audace téméraire, mais, quand nos chefs, quand les circonstances nous appellent, ne reculons pas, il y aurait là de là lâcheté. En un mot, ne courons pas au danger en téméraires, sans cause, sans profit, sans une pieuse nécessité; il y aurait de l'ostentation, un amour de la gloire vain et superflu. Mais pour défendre la religion, bravons mille morts, s'il le faut. N'appelez pas les persécutions, si votre piété né rencontre rien qui l'arrête. A quoi bon attirer sur vous des dangers superflus et inutiles ?

5. Ce qui me dicte ce langage, c'est le désir que j'ai de vous voir observer les lois du Christ qui nous ordonne de prier Dieu, de ne pas entrer en (477) tentation, qui nous ordonne aussi de prendre notre croix et de le suivre. Ce ne sont pas là des ordres contradictoires; ce sont des ordres qui s'accordent et qui sont en parfaite harmonie. Préparez-vous, équipez-vous comme un vaillant soldat, soyez toujours en armes, toujours sobre, toujours vigilant, toujours attendant l'ennemi ; mais n'allumez pas le flambeau de la guerre : ce ne serait pas d'un soldat, ce serait d'un séditieux. Mais la trompette de la foi vous appelle-t-elle? marchez aussitôt, ne tenez plus à la vie, marchez avec ardeur au combat, enfoncez-les bataillons ennemis, frappez le démon au visage, élevez un trophée. Mais si la religion ne reçoit aucune atteinte, si nos dogmes spirituels ne sont point attaqués, si l'on ne vous force point à faire ce qui déplait à Dieu, ne prenez point de peine superflue. Il faut que la vie d'un chrétien soit une vie sanglante. Oui, il doit être toujours prêt à verser le sang, non pas celui d'autrui, mais le sien: quand il s'agit de verser son sang pour le Christ, il faut être prêt à le verser comme de l'eau; car ce sang qui circule dans nos veines n'est que de l'eau; il faut se dépouiller de sa chair avec autant de facilité que d'un vêtement. Et c'est ce que nous ferons, si nous ne nous attachons pas aux richesses, si nous ne sommes pas esclaves des beaux édifices, de la volupté et des biens de ce monde. Si ceux qui passent leur vie sous les drapeaux mènent une vie d'abnégation, vont où la guerre les appelle, entrent en campagne et supportent de bon coeur toutes les fatigues, ne devons-nous pas, nous soldats du Christ, trous tenir toujours prêts et équipés, et nous ranger en bataille pour faire la guerre aux vices ?

La persécution n'existe plus aujourd'hui, et à Dieu ne plaise qu'elle revienne ! Mais nous avons à soutenir d'autres guerres, la guerre de l'avarice, la guerre de l'envie, la guerre des autres passions. C'est à cette guerre que Paul fait allusion, en ces termes : « Nous n'avons pas à lutter contre des hommes de chair et de sang ». (Ephés. VI,12,14.) Cette guerre-là nous menace toujours. C'est pourquoi il veut que nous restions toujours en armes « Soyez donc », dit-il, « toujours armés ». Cette recommandation s'applique même à l'heure présente, et il montre pourquoi il faut toujours être armé. Nous avons une grande guerre à soutenir contre notre langue, contre nos yeux; cette guerre, repoussons-la. Nous avons une grande guerre à soutenir contre nos passions, c'est pourquoi il s'occupe de l'armure du soldat du Christ. « Restez fermes », dit-il, « ceignez vos reins », et il ajouté: « Avec la ceinture de la vérité ». Pourquoi ? C'est que les passions ne sont qu'illusion et mensonge; comme dit quelque part David : « Mes reins étaient remplis d'illusions ». (Ps. XXXVII, 8.) Ce n'est pas la volupté, ce n'est que l'ombre de la volupté. C'est pourquoi, dit-il, ceignez vos reins avec la ceinture de la vérité, c'est-à-dire de la vraie volupté, de la sagesse, de l'honnêteté.

De là ces conseils qu'il nous donne, en voyant combien le péché est déraisonnable, et dans son désir que tous nos membres soient bien munis de toutes parts: « La colère injuste », dit-il, « ne sera jamais innocente aux yeux de Dieu ». (Ecclés. I, 22.) Il veut dire que nous prenions la cuirasse et le bouclier: C'est que la colère est une bête féroce toujours prête à s'élancer. Pour la vaincre, pour la contenir, nous avons besoin de mille fossés, de mille barrières. Voilà pourquoi Dieu a construit avec des os presque aussi durs que la pierre, cette partie de l'édifice humain où la colère cherche à se glisser. Il lui a donné une base solide, il l'a entourée d'un rempart; il ne fallait pas qu'en rompant et en brisant tous les obstacles, la colère détruisît tout l'édifice animé. C'est un feu, dit-il, c'est une tempête et, sans toutes ces précautions, aucun de nos membres ne pourrait soutenir ses assauts. Les médecins disent aussi que, pour ce motif, le poumon a été placé au-dessous du coeur. Il fallait que le coeur, environné de parties molles, se reposât en rencontrant ce poumon spongieux, et non les parois dures et résistantes de la poitrine sur lesquelles, dans ses bonds précipités, il aurait pu se blesser. Nous avons donc besoin d'une forte cuirasse, pour tenir continuellement en respect la bête féroce. Il nous faut aussi un casque; c'est sous le casque qu'est le siége du raisonnement d'où dépend notre salut, quand nous agissons bien, et qui fait notre perte, quand nous agissons mal. Voilà pourquoi il dit : « Le casque du salut » ; car le « cerveau est' mou de sa nature », et voilà pourquoi il est protégé par une sorte de test appelé crâne. La source de tous nos biens et de tous nos maux c'est d'avoir ou de n'avoir pas la connaissance de ce qui nous est utile ou nuisible. Nos pieds et nos mains aussi ont besoin d'armures; mais il ne s'agit pas ici des mains et des pieds du corps ; il s'agit des mains et des pieds de l'âme; les unes doivent s'efforcer de remplir leur tâche, les autres doivent aller où il faut. Armons-nous donc ainsi et nous pourrons vaincre nos ennemis et Ceindre la couronne de gloire par la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur. A lui, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il!

HOMÉLIE VI. C'EST POUR CELA QUE LE SAINT-ESPRIT DIT : SI VOUS ENTENDEZ AUJOURD'HUI SA VOIX, N'ENDURCISSIEZ POINT VOS CŒURS, COMME AU TEMPS DE MA COLÈRE ET AU JOUR DE LA TENTATION DANS LE DÉSERT, OU VOS PÈRES ME TENTÈRENT, OU ILS VOULURENT ÉPROUVER MA PUISSANCE, ET OU ILS VIRENT LES CHOSES QUE JE FIS PENDANT QUARANTE ANNÉES. AUSSI ME SUIS-JE IRRITÉ CONTRE CETTE GÉNÉRATION, ET J'AI DIT : ILS SE LAISSENT TOUJOURS EMPORTER PAR L'ÉGAREMENT DE LEURS COEURS, ILS NE CONNAISSENT POINT MES VOIES ; C'EST POURQUOI J'AI JURÉ, DANS MA COLÈRE, QU'ILS N'ENTRERAIENT POINT DANS LE LIEU DE MON REPOS. (III, 7, 8, 9, 10, 11, JUSQU'À IV, 10.)
 

Analyse.
 
 

1. Repos du sabbat, représentation temporelle du repos éternel.

2. L'incrédulité attire la colère de Dieu.

3. Conservons l'espoir tant que nous vivons.

4. Bonheur réservé aux élus dans le royaume des cieux.
 
 

1. Après avoir parlé de l'espérance, après avoir dit : « Nous serons de sa maison, si nous conservons une ferme confiance en lui et la glorification de l'espérance », Paul nous montre qu'il faut savoir attendre avec confiance, et il le prouve par les Écritures. Mais faites attention; car ce passage est tant soit peu difficile et obscur; c'est pourquoi nous devons vous exprimer notre opinion et vous exposer en peu de mots le sujet dans son ensemble, avant d'arriver au texte. Vous n'aurez plus besoin de nous une fois que vous connaîtrez le but et le plan de l'apôtre. C'était de l'espérance qu'il parlait; il nous disait qu'il faut espérer dans l'avenir, et que ceux qui auront souffert ici-bas trouveront ailleurs leur récompense, le fruit de leurs fatigues et le repos. II le prouve en se servant des paroles du prophète, et en nous disant. « C'est pour cela que le Saint-Esprit dit : Si vous entendez aujourd'hui sa voix, n'endurcissez pas votre coeur, comme au temps de ma colère et au jour de la tentation dans le désert, où vos pères me tentèrent, où ils voulurent éprouver ma puissance, et où ils virent les choses que je fis pendant quarante jours. Aussi me suis-je irrité contre cette génération, et j'ai dit : Ils se laissent toujours emporter par l'égarement de leurs coeurs, ils ne connaissent point mes voies ; c'est pourquoi je leur ai juré, dans ma colère, qu'ils n'entreraient point dans le lieu de mon repos ». (Ps. XCIV, 8, 9, 10, 11.) II y a, dit-il, trois sortes de repos. Il y a le repos de Dieu après la création, le repos de la Palestine où les Juifs devaient entrer, pour se reposer de tant de jours d'afflictions et de leurs travaux, enfin (et c'est bien là le repos), il y a le royaume des cieux où les élus se reposent éternellement de leurs travaux et de leurs afflictions. C'est de ces trois sortes de repos qu'il fait ici mention. Et pourquoi cette mention, s'il ne parle que d'un seul? C'est pour montrer que le prophète parle de cette troisième espèce de repos. Le premier, dit-il, il ne s'en occupe pas. Pourquoi remonter jusqu'aux premiers temps? Le repos de la Palestine, il n'en,parle pas non plus, puisqu'il est arrivé à sa fin. Reste le troisième repos, et ici nous devons ouvrir l'histoire, pour que nos paroles soient plus claires.

Après la sortie d'Égypte, et les fatigues d'une longue route, après avoir en Egypte, sur la mer Rouge et dans le désert, reçu d'innombrables témoignages de la puissance divine, les Juifs se décidèrent à envoyer des éclaireurs, chargés d'explorer la nature du sol. Les éclaireurs revinrent et, pleins d'admiration pour la contrée qu'ils avaient parcourue, ils se répandaient en éloges sur la fertilité du sol, tout en disant qu'il était habité par une nation courageuse et indomptable. Alors les Juifs, peuple ingrat et insensible, au lieu de se souvenir des anciens bienfaits de Dieu qui,lorsqu'ils étaient cernés partant d'armées égyptiennes leur barrant le passage, les avait arrachés aux périls ; au lieu de penser au rocher du désert, ouvert par la baguette de Moïse, à l'eau jaillissante, à la manne, et à tant d'autres miracles bien faits pour affermir leur foi, perdirent complètement la mémoire. Frappés d'étonnement et de stupeur, ils voulaient revenir en Egypte en disant : Dieu nous a amenés ici, pour nous faire périr avec nos femmes et nos enfants. Dieu donc, dans sa colère contre ces ingrats qui avaient sitôt oublié ses bienfaits, jura que la génération qui avait proféré de telles paroles n'entrerait pas dans le lieu du repos, et tous périrent dans le désert. Plus tard, quand cette génération n'était plus, David disait : « Aujourd'hui, si vous écoutez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs, comme autrefois dans des jours de colère ». Pourquoi ? — C'est pour que vous ne soyez pas punis comme vos pères, c'est pour que vous ne soyez pas privés du repos. — Il parle ainsi, sans doute en faisant allusion à l'asile du repos véritable. Car, s'ils avaient déjà trouvé le repos, pourquoi leur dirait-il encore : « Aujourd'hui, si vous écoutez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs, comme autrefois, en des jours de colère?»

Quel est donc ce lieu de repos, si ce n'est le royaume des cieux dont l'image et la représentation est le jour du sabbat? Il cite donc, je le répète, le témoignage du prophète en ces termes: « Aujourd'hui, si vous écoutez sa voix, ne vous, endurcissez pas comme en des jours de colère, comme à l'époque de la tentation dans le désert, lorsque vos aïeux me tentèrent, firent l'épreuve de mes puissances et virent, durant quarante ans, ce que je pouvais faire; c'est pour cela que je me suis irrité contre cette génération, et j'ai dit : Leurs coeurs sont toujours égarés :ils n'ont pas connu mes voies ; et je leur ai juré, dans ma colère, qu'ils n'entreraient pas dans mon lieu de repos ». Puis il ajoute : « Prenez garde, mes frères, que quelqu'un de vous ne tombe dans un dérèglement de cœur et dans une incrédulité qui le sépare du Dieu vivant (12) ». Car c'est la dureté du cœur qui produit l'incrédulité. Semblables à ces membres raides et couverts d'un talus, qui résistent à la main du médecin, les âmes endurcies résistent à la parole de Dieu. Car il y a (479) probablement des hommes qui ne croient plus et pour qui les miracles opérés sont comme s'ils n'avaient pas eu lieu ; c'est pour cela qu'il dit «Prenez garde que quelqu'un d'entrevous ne tombe dans un dérèglement de coeur, et dans « une incrédulité qui le sépare du Dieu vivant ». Quand on parle de l'avenir, on rencontre plus d'incrédules que lorsqu'on. parle du passé. Voilà pourquoi il leur rappelle l'histoire et les circonstances dans lesquelles ils ont manqué de foi. Si vos pères, dit-il, ont souffert pour n'avoir pas espéré comme ils le devaient, à plus forte raison, vous, vous souffrirez; car il s'adresse à eux, aux hommes du temps présent. C'est toujours ce que veut dire ce mot « aujourd'hui ». — « Mais exhortez-vous chaque jour les uns les autres, pendant ce temps que l'Ecriture appelle aujourd'hui (13)»; c'est-à-dire; édifiez-vous les uns les autres, encouragez-vous pour qu'il ne vous arrive pas la même chose qu'à vos pères, « de peur que quelqu'un de vous, étant séduit par lé péché, ne tombe dans l'endurcissement ».

2. Voyez-vous comme le. péché engendre l'incrédulité? Si l'incrédulité produit la vie criminelle, l’âme, arrivée au fond de l'abîme, méprise, et dans son dédain elle ne veut plus rien croire, pour se délivrer de toute crainte. Nous lisons dans le Psalmiste : « Ils ont dit : Le Seigneur ne nous verra pas, et le Dieu de Jacob n'en saura rien ». (Ps. XCIII, 7.) Et ailleurs : « Nos lèvres sont à nous, qui donc est notre Seigneur? » (Ps. XI, 5.) Et encore : «Pourquoi l'impie a-t-il irrité Dieu? » (Ps. X, 13.) Et ailleurs : « L'insensé a dit en son  coeur : Il n'y a pas de Dieu. Ils se sont corrompus et ils ont contracté des penchants abominables ». (Ps. XIII, 1.) Et .ailleurs : « La crainte de Dieu n'est plus devant leurs yeux ». Et ailleurs : «Il a usé de ruse devant lui; Dieu a découvert et détesté l’iniquité de l'impie ». (Ps. XXXV, 2, 3.) Le Christ aussi parle en ces termes : « Tout homme qui agit mal craint la lumière et la fuit ». (Jean,  III, 20.) Puis il ajoute : « Nous sommes entrés dans la participation du Christ » : que veut dire ce mot? Nous ne faisons qu'un,  lui et nous. Il est la tête, nous sommes le corps, nous sommes ses cohéritiers et nous ne faisons avec lui qu'un même corps. Nous ne sommes qu'un seul corps , dit-il, formé de sa chair. et de ses os; « à condition toutefois de conserver jusqu'à la fin ce commencement de substance nouvelle qu'il a mis en nous ». — « Qu'est-ce que ce commencement de substance nouvelle? » C'est la foi par laquelle nous subsistons, par laquelle nous avons été régénérés, par laquelle nous sommes consubstantiels au Christ. Puis il ajoute : « Pendant que l'on «nous dit : aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs comme il arriva au temps du murmure qui excita ma colère. »(15) . — Il y a ici une transposition, voici quelle est la suite des idées : « Craignons donc que, négligeant la promesse qui nous est faite d'entrer dans le repos de Dieu, il n'y ait quelqu'un d'entre vous qui en soit exclu? » (IV, 1.)  — « Car on nous l'a annoncé aussi bien qu'à eux  (2)». — « Pendant que l'on nous dit : Aujourd'hui si vous entendez sa voix». — «Aujourd'hui » signifie « en tout temps » : ensuite il dit : « Mais la parole qu'ils entendirent ne leur servit de rien, n'étant pas accompagnée de la foi dans ceux qui l'entendirent(2)».Il montre pourquoi cette parole est restée inutile; c'est qu'elle n'était point accompagnée de la foi. Il prouve cette vérité par les exemples qu'il expose : « Quelques-uns », dit-il, « ayant entendu sa voix, irritèrent Dieu par leurs murmures; mais cela n'arriva pas à tous ceux que Dieu avait fait sortir de l'Egypte (16) ». —  « Or qui sont ceux que Dieu supporta avec peine pendant quarante ans, sinon ceux qui avaient péché, dont les corps demeurèrent étendus dans le désert (17) ? » — « Et qui sont ceux à qui Dieu jurait qu'ils n'entreraient jamais dans son repos, sinon ceux qui ne crurent pas en lui (18) ? ». — « En effet, nous voyons qu'ils ne purent y entrer, à cause de leur incrédulité (19) ».

Après avoir cité le témoignage de l'histoire, il emploie la forme interrogative, pour donner plus d'éclat à sa parole. « Il a dit, en effet, » s'écrie-il, « aujourd'hui si vous écoutez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs, comme au jour de sa colère ». Quels sont ces coeurs endurcis dont il se souvient? Quels sont ceux qui n'ont pas cru en lui? Ne sont-ce pas les Juifs? Voici le sens de ces paroles : Ils ont entendu comme nous; mais cela ne leur a servi de rien. N'allez donc pas croire qu'il vous suffira d'entendre la parole de Dieu pour en profiter! Eux aussi, ils l'ont entendue, mais sans profit, parce qu'ils n'ont pas cru. Chaleb et Jésus n'ayant pas fait cause commune avec les incrédules, ont évité le châtiment qui leur a été infligé. Et voyez ce qu'il y a ici d'admirable. Il n'a pas dit : Ils n'ont pas fait cause commune ; il a dit « Ils ne se sont pas mêlés à eux ». Ils se sont séparés de ces séditieux unis dans une même pensée. Ici, selon moi, il nous fait entendre que cette pensée était une pensée de révolte.

« Nous entrerons dans son repos » , dit - il, « nous qui avons cru » ; et pour confirmer cette proposition, il ajoute : « Dans ce repos dont il parle en disant : J'ai juré dans ma colère qu'ils n'entreraient pas dans mon repos », et Dieu parle du repos qui suivit l'accomplissement de ses ouvrages, dans la création du monde (3). On pouvait peut-être lui dire: Cela ne signifie pas que nous n'entrerons pas dans le repos; cela signifie que ces hommes d'autrefois n'y sont pas entrés. Que fait-il, pour prévenir cette objection? Il s'étudie à prouver que ce repos des premiers temps n'empêche pas de parler d'un autre; que ce repos D'empêché pas de parler du repos qui nous attend au royaume des cieux. Il veut donc montrer qu'ils n'ont point obtenu ce lieu du repos. Pour que vous sachiez que c'est bien là ce qu'il veut dire, il ajoute : « Car l'Ecriture dit en quelque lieu, parlant du septième jour : Dieu se reposa le septième jour, après avoir achevé toutes ses oeuvres (4) ». Et il est dit encore ici :« Ils n'entreront point  dans mon repos (5) ». Vous voyez qu'un repos n'exclut pas l'autre. « Puisqu'il faut donc », dit-il, « que quelques-uns y entrent, et que ceux à qui la parole en fut premièrement portée, n'y sont (480) point entrés à cause de leur incrédulité (6), Dieu n détermine encore un jour particulier qu'il appelle aujourd'hui, en disant tant de temps après par David, ainsi que je viens de dire (7) ». Que veut-il dire ici? Puisque, dit-il, quelques élus doivent entrer dans le repos de Dieu et que les anciens Hébreux n'y sont pas entrés, voici une troisième espèce de repos qu'il établit. Mais comment prouve-t-il que certains élus doivent entrer dans ce repos de Dieu ? Ecoutons-le : « C'est que », dit-il, « après tant d'années », voilà David qui répète : « Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs, comme aux jours de sa colère. Car, si Jésus les avait établis dans ce repos, l'Ecriture n'aurait jamais parlé, après cela, d'un autre jour (6) ». Ce langage est clair et nous fait entrevoir quelqu'autre récompense. « Il y a donc encore un sabbat réservé au peuple de Dieu (9) »; d'où résulte cette conclusion , ce précepte : « N'endurcissez pas vos coeurs ». Car si un sabbat n'existait pas, et s'ils n'étaient pas exposés à subir les mêmes châtiments, à quoi bon ce précepte, à quoi bon cette recommandation de ne pas retomber dans les mêmes fautes, pour ne pas retomber dans le même abîme de souffrances? Et comment ceux qui étaient en Palestine pouvaient-ils subir les mêmes supplices, s'il n'y avait pas encore un repos?

3. C'est bien conclure que d'employer le mot de « sabbat », et non celui de « repos'», que d'employer ici le nom du jour où le peuple de Dieu courait se réjouir. Le sabbat, selon l'apôtre, c'est le royaume des cieux. Au jour du sabbat, les Hébreux doivent, se garder de tout péché, ils ne doivent songer qu'à adorer Dieu, comme faisaient les prêtres; ils ne doivent songer qu'aux oeuvres spirituelles. Voilà quelle doit être leur occupation au jour du sabbat : voilà quelle sera l'occupation des élus dans le royaume des cieux. Paul n'a pas précisément tenu ce langage, mais voici ce qu'il a dit : « Celui qui est entré dans le repos de Dieu se repose aussi lui-même, en cessant de « travailler, comme Dieu s'est reposé après ses ouvrages (10)». Dieu, dit-il, s'est reposé après ses ouvrages, et l'homme qui est entré dans le repos de Dieu, se repose comme lui ;  il leur parlait du repos, et ils voulaient savoir quand ce repos aurait lieu. Il répond donc à leurs désirs, en finissant.

Quant à ce mot « aujourd'hui », il le leur dit pour les sauver du désespoir. Exhortez-vous les uns les autres, dit-il, exhortez-vous chaque jour, tant que vous pouvez dire : « Aujourd'hui ». Cela veut dire que le pécheur même, tant qu'il peut dire « aujourd'hui », doit espérer. Loin de nous le désespoir, tant que nous vivons! Veillons seulement, dit-il, à ce que notre coeur ne soit jamais en proie à l'incrédulité. Et encore, si cela arrive, ne nous désespérons pas; mais ranimons-nous. Tant que nous sommes de ce monde; tant que nous pouvons dire a aujourd'hui », nous avons du temps devant nous. Dans ce passage, il parle non-seulement de l'incrédulité, mais des murmures. « Des murmures de ces hommes dont les cadavres sont étendus dans le désert». (Hébr. III, 17.) Puis,  pour que ses auditeurs n'aillent pas s'imaginer que le châtiment du coupable se bornera à la privation du repos, il met devant leurs yeux le supplice gui lui est réservé et il ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace, et elle perce plus qu'une épée à deux tranchants; elle pénètre jusque dans les replis de l'âme et de l'esprit, jusque,  dans les jointures et la moelle des os; et elle démêle les pensées et les mouvements du coeur (12) »; c'est cou supplice de la géhenne qu'il parlé ici. C'est un supplice, dit-il, qui pénètre jusque dans les replis de notre coeur et qui dessèche notre âme. Il ne s'agit point ici de cadavres étendus dans le désert, sans sépulture; ils ne sont pas privés de la terré ; ils sont privés du royaume des cieux; ils sont livrés pour toujours à la géhenne ; ils sont livrés à une peine, à un supplice qui n'aura pas de fin.

Mais exhortez-vous les uns les autres ». (Hébr. III, 13.) Remarquez la douceur de ce langage. Il ne dit pas : Adressez-vous des réprimandes, mais exhortez-vous les uns les autres. C'est ainsi que nous. devons nous comporter envers ceux que le chagrin accable : c'est ce qu'il dit dans sa lettre aux habitants de Thessalonique: « Donnez des avis à ceux dont l'âme est inquiète ». Quant aux esprits pusillanimes, voici ce qu'il dit : « Consolez ceux qui ont l'esprit abattu; supportez les faibles; soyez patients envers tous ». (I Thess. V, 14.) Que veut dire ce mot « consolez? » Il veut dire: Ne les faites pas . tomber dans le désespoir; ne leur faites pas perdre courage; car ne pas consoler l'homme que l'affliction accable, c'est le jeter dans l'endurcissement. Il ne faut pas, dit-il, que vous vous endurcissiez , dans les piéges du péché. Les piéges du péché sont peut-être les piéges du démon, car c'est tomber dans le piège et l'erreur que de ne rien attendre de l'avenir, que de croire que nous n'avons pas de comptes à rendre; que nous n'expierons pas nos fautes, que nous ne ressusciterons pas un jour. Une erreur encore, c'est l'indifférence ou le désespoir. Une erreur c'est de tenir ce langage :J'ai péché et il n'y a plus d'espoir pour moi. Puis il les fait espérer en leur disant : « Nous sommes entrés dans la participation de Jésus-Christ ». (Hébr. III, 14.) C'est comme s'il leur disait : Celui qui nous a assez aimés, celui qui nous a assez estimés pour se revêtir de notre chair, ne nous laissera pas, périr. Réfléchissons, dit-il, à l'honneur qu'il a daigné nous faire. Le Christ et nous, nous ne faisons qu'un ; gardons-nous donc de ne pas croire en lui.

Et il revient encore sur ce qu'il a dit ailleurs:, « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons avec lui » (II Tim. II, 12), c'est-à-dire : Nous sommes entrés en « participation avec lui », en participation des biens du Christ. Après avoir exhorté ses auditeurs par ces paroles qui leur montrent la récompense et le prix, après nous avoir dit: « Nous sommes entrés en participation avec le Christ», il les exhorte, en les affligeant et en les inquiétant : « Craignons », dit-il, « que négligeant la promesse qui nous est faite d'entrer dans le repos de Dieu, il n'y ait quelqu'un d'entre nous (481) qui en soit exclu ».    Voici en effet qui est clair et certain. « Ils voulurent éprouver ma puissance et me virent à l’oeuvre durant quarante jours ». Voyez-vous ? Il ne faut pas demander de comptes à Dieu, qu'il nous défende, ou non telle ou telle chose, il faut le croire, car Paul accusé ici ceux;qui ont tenté Dieu. Exiger de lui dés preuves de son pouvoir, de sa Providence, de sa sollicitude, . c'est n'être pas, encore bien sûr de sa puissance, de sa bonté et de sa clémence: C'est ce qu'il fait entendre aux Hébreux dans cette épître. Peut-être, voulaient-ils dans leur tentation, peser et mettre à l'épreuve son pouvoir, sa sollicitude et sa Providence. Voyez-vous aussi comme l'incrédulité irrite Dieu et attire sa colère? Que dit-il maintenant ? « Il y a donc encore un sabbat réservé au peuple de Dieu ». Voyez comme il raisonne et comme il conclut. Il a juré, dit-il, que vos pères n'entreraient pas dans son repos, et ils n'y sont pas entrés. Puis, longtemps après, il s'adresse aux Juifs et leur dit : « N'endurcissez pas vos coeurs comme vos pères ». C'est une preuve évidente qu'il s'agit ici d'une nouvelle espèce de repos. Car le repos de la Palestine, nous ne pouvons plus en parler; les Hébreux y étaient arrivés. Quant au repos du septième jour, il ne peut ici en être question; c'était une histoire des anciens jours. Il est donc ici question d'un autre repos qui est le repos véritable.  4. Oui : c'est bien là le lieu de repos d'où la tristesse, la douleur et les gémissements sont bannis, où l'on ne connaît plus les soucis, les fatigues, les angoisses, les craintes qui frappent et ébranlent l'âme. En fait de crainte, il n'y a là que la crainte de Dieu, crainte pleine dé charmés. On n'entendra point en ce lieu retentir ces paroles : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ». il n'y a là ni épines, ni ronces. Là, on n'entend pas répéter : « Tu enfanteras dans la douleur. Tu te tourneras vers ton époux et il sera ton maître ». (Gen. III, 19, XVIII, 16.) Là tout respire la paix, la joie, la gaieté , le plaisir, la bonté, la douceur, l'équité, la charité. Il n'y a là ni rivalité, ni jalousie, ni maladie, ni mort corporelle, ni mort spirituelle, ni ténèbres, ni nuit partout le jour, partout la lumière, partout le repos. Là point de fatigues, point de dégoût, là toujours un bonheur nouveau en perspective. Voulez-vous que je vous trace ici l'image du sort réservé aux élus, en ce lieu? C'est impossible; mais je m'efforcerai de vous en offrir une ombre. Levons les yeux au ciel, quand il n'y a pas de nuages à l'horizon, quand le ciel nous montre sa coupole azurée; puis, après avoir longtemps contemplé dans l’immobilité de l'extase ce ravissant spectacle, considérons le sol que nous aurons sous nos pieds, sol aussi supérieur à notre sol, que l'or est supérieur à la boue; puis élevons encore nos yeux vers le pavillon qui s'étend au-dessus de nos têtes. Contemplons là-haut les anges, les archanges, la foule innombrable des puissances immatérielles, le palais même de Dieu, le trône du Père. Mais ici, je le répète, la parole est impuissante à tout décrire, à tout peindre. Il faudrait ici l'expérience et la connaissance qui en est le fruit. Vous figurez-vous, dites-moi, l'existence d'Adam, au milieu du Paradis? Entre cette existence et la nôtre, il y a la distance du ciel à la terre. Mais cherchons une autre comparaison. Que l'empereur aujourd'hui régnant ait le bonheur de soumettre à son sceptre l'univers entier, qu'il soit affranchi des maux de la guerre et des soucis, qu'il soit entouré d'honneurs, qu'il passe sa vie dans les délices, qu'il ait une foule de satellites, que l’or afflue vers lui de tous côtés, qu'il commande l'admiration, quel sera, selon vous, la joie de ce souverain qui verra la guerre disparaître de la surfacé du globe? voilà ce qui aura lieu alors. Mais nous ne sommes pas encore parvenus à donner une. idée exacte du bonheur céleste ; il faut chercher une autre image.

Figurez-vous donc un fils d'empereur qui, après avoir été enfermé dans le sein de sa mère, après être resté dans un état complet d'insensibilité, parait. tout à coup à la lumière, monte sur le trône impérial et se trouve en état de goûter non successivement, mais tout à coup et à la fois toutes les joies du rang suprême : tel sera l'élu de Dieu. Il sera encore comme un captif qui, après avoir été chargé de fer, après avoir été en proie à d'innombrables souffrances, se verrait tout à coup transporté dans un palais. Mais non : cette image n'est pas encore fidèle. Ce bonheur, quoique ce soit un bonheur de roi, celui qui le possède le goûtera avec délices deux ou trois jours; avec le temps, il y trouvera encore du plaisir; mais ce plaisir sera moins vif, car ici-bas le sentiment de la félicité, quelle qu'elle soit, s'émousse par l'habitude, là-haut ce sentiment, loin de diminuer, ne fait ,que croître. Réfléchissez en effet au bonheur de l’âme parvenue à ce séjour où elle a devant elle une félicité sans fin, une félicité immuable et toujours croissante, une immortalité qui ne connaît ni les chagrins, ni les périls, une immortalité pleine de joies spirituelles et de délices innombrables.

Quand nous voyons dans la plaine les tentes des soldats formées de riches tapisseries, quand nous voyons briller les lances, les casques et les boucliers, nous voilà; tout ébahis et immobiles d'étonnement ; quand nous voyons le roi traverser le camp avec son armure d'or, et pousser son cheval avec ardeur, rien ne manque à notre admiration. Qu'éprouverons-nous donc, je vous le demande, quand-nous verrons les tabernacles des saints dressés pour toujours dans le ciel ? « Ils vous recevront », dit l'Evangile, « dans leurs tabernacles éternels ». Que direz-vous, quand vous verrez tous ces saints plus resplendissants que les rayons du soleil, et environnés non pas de l'éclat. du bronze ou du fer, mais de cette gloire dont 1'œil de l'homme ne peut supporter les lueurs? Je parle ici des saints, c'est-à-dire des hommes. Mais que direz-vous à l'aspect de ces milliers d'anges, d'archanges, de chérubins, de séraphins, de trônes, de dominations de principautés, de puissances dont la beauté surpasse l'imagination? Mais quand cesserai-je d'énumérer des merveilles que l'on ne peut comprendre?, « Jamais l'œil n'a vu, jamais l'oreille n'a entendu, jamais l'esprit n'a pénétré ce que Dieu prépare à ceux qui l'aiment ». (I Cor. 11, 9.)  (482) Qu'ils sont donc malheureux ceux qui n'obtiennent pas ce bonheur! Qu'ils sont heureux ceux qui .l'obtiennent ! Soyons donc du nombre des heureux, pour acquérir la félicité éternelle en Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel conjointement avec lé Pète et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII. EMPRESSONS-NOUS DONC D'ENTRER DANS CE REPOS, DE PEUR QUE QUELQU'UN DE NOUS NÉ TOMBE DANS UNE DÉSOBÉISSANCE SEMBLABLE A CELLE DE CES INCRÉDULES. CAR ELLE EST VIVANTE ET EFFICACE LA PAROLE DE DIEU; ELLE PERCE PLUS QU'UNE ÉPÉE A DEUX TRANCHANTS; ELLE PÉNÈTRE JUSQUE DANS LES REPLIS DE LAME ET DE L'ESPRIT, JUSQUE DANS LES JOINTURES ET DANS LA MOELLE DES OS; ELLE DÉMÊLE LES PENSÉES ET LES MOUVEMENTS DU CŒUR. NULLE CRÉATURE NE LUI EST CACHÉE, CAR TOUT EST A NU ET A DÉCOUVERT DEVANT LES YEUX DE CELUI AUQUEL NOUS PARLONS. (IV, 41, 42, 13, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
 

Analyse.
 
 

1. Combien la toi est salutaire. — Dangers de l'incrédulité. — Rien n'échappe à l'eeil de Dieu.

2: Images énergiques et terribles employées par saint Paul pour peindre la puissance de la parole divine.

3. La miséricorde de Dieu est une munificence royale. — Les vieillards doivent, comme les jeunes gens, courir dans la carrière de la vertu. — Vices des vieillards contemporains de Chrysostome.

4. La vieillesse est honorable par elle-même.
 
 

1. La foi est une vertu grande et salutaire; sans elle, nous ne pouvons être sauvés. Mais la foi ne suffit pas, il faut encore mener une vie pure. Voilà pourquoi Paul, s'adressant à ces hommes initiés aux mystères du Christ, leur parle en ces termes . « Empressons-nous d'entrer dans son repos». — «Empressons-nous», dit-il, « appliquons-nous ». La foi ne suffit pas, il faut y joindre une vie pure et un zèle ardent. Car il faut avoir un zèle véritable et ardent pour monter au ciel. Si des hommes qui avaient enduré dans le désert tant de souffrances et de calamités n'ont -pas été jugés dignes d'entrer dans la terre promise et n'ont pu atteindre cette terre, parce qu'ils s'étaient livrés à la fornication, comment serions-nous jugés dignes du ciel, nous qui menons une vie inconsidérée; lâche et inactive? Il faut donc avoir beaucoup de zèle. Mais remarquez que, selon lui, la punition du pécheur ne consiste pas uniquement à ne pas entrer dans le repos de Dieu. Il ne s'est pas borné à dire: Efforçons-nous d'entrer dans ce repos, pour ne pas nous voir privés de si grands biens. Il a ajouté quelque chose qui est bien capable d'éveiller nos esprits. Qu'a-t-il donc ajouté? Il a continué en ces; termes : « De peur « que quelqu'un De tombe dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules » , ce qui veut dire que nous devons nous appliquer, nous arranger de manière à ne pas tomber, comme, eux. Il nous donne là un exemple, de l'incrédulité humaine. Ne tombons pas où ils sont tombés, dit-il. Mais n'allez pas vous appuyer sur ces mots pour croire que Dieu. se bornera à vous punir, comme il les a punis; écoutez ce que l'apôtre ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace; elle perce plus qu'une épée à deux tranchants; elle pénètre jusque dans les replis de l'âme et de l'esprit, jusque dans les articulations, jusque dans la moelle des os; elle démêle les pensées et les mouvements du coeur ». Il montre ici la puissance de cette parole de Dieu toujours vivante et immortelle. Ce n'est pas une simple parole, ne le croyez pas, ne vous bornez pas à ce mot : Cette parole est plus perçante qu'un glaive.- Voyez comme il poursuit, et apprenez ici pourquoi les prophètes ont été obligés de parler du glaive, de l'arc et de l'épée de Dieu. « Si vous ne vous convertissez pas » , dit le Psalmiste, « il dirigera contre vous son glaive; son arc est déjà tendu ; son arc est déjà prêt ». (Ps. VII, 13.)

Si aujourd'hui, après tant d'années, lorsque tant d'événements se sont accomplis, il ne suffit pas à l'apôtre de ce seul mot, la parole de Dieu, pour frapper son auditoire, s'il a besoin de tout cet attirail d'expressions, pour montrer par la compas raison combien la parole de Dieu est puissante, cela était nécessaire à plus forte raison, au temps des prophètes. « Pénétrant jusque dans les replis, de l'âme et de l'esprit ». Que signifient ces mots? Quelque chose de terrible. L'apôtre nous montre la parole de Dieu séparant l'âme de l'esprit ou pénétrant même les substances immatérielles, et ne se bornant pas à percer les corps, comme le glaive. Il  montre ici la punition de l'âme, la parole de Dieu qui en fouille les profondeurs et qui pénètre l'homme tout entier. « Elle démêle les pensées et les mouvements du coeur, et nulle créature ne lui est cachée ».. C'est par là surtout qu'il les épouvante. Vous avez beau avoir la foi, leur dit-il, si cette foi n'est pas accompagnée d'une persuasion pleine et entière , ne soyez pas. pleinement rassurés. Dieu jugera ce que vous avez dans le coeur ; car c'est jusque-là qu'il pénètre, pour vous examiner et vous punir. Et pourquoi parler des hommes? Passez en revue les anges, les archanges , les chérubins, les séraphins, les (483) créatures quelles qu'elles soient, tout, pour l'oeil de Dieu, est à découvert, tout est clair et manifeste pour lui, rien ne peut lui échapper. « Tout est à nu et dépouillé devant les yeux de Celui dont nous parlons». Ce mot « dépouillé » est une métaphore tirée des victimes écorchées. Quand un sacrificateur, après avoir égorgé la victime, sépare la peau de la chair, il met à nu les moindres fibres qui apparaissent alors à nos yeux : c'est ainsi que, sous l'œil de Dieu, apparaissent clairement et dans un jour complet, les moindres fibres de notre âme. Voyez comme saint Paul a toujours besoin de recourir à des images matérielles; c'est que ses auditeurs étaient faibles d'esprit. Ce qui. prouve cette faiblesse, c'est qu'il les traite quelque part d'êtres maladifs, auxquels il faut,du lait, auxquels il. ne faut pas une nourriture solide. « Tout est nu et dépouillé », dit-il, « aux yeux de Celui « duquel nous parlons».

Mais que signifient ces mots : « Dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules? » lis ont pour but de répondre à ceux qui demanderaient pourquoi ces hommes n'ont point vu la terre promise. Ils avaient reçu un gage de la puissance de Dieu et, au lieu de croire en lui, ils ont cédé à la crainte, et, sans que Dieu leur donnât aucun avis qui pût, les effrayer, ils ont péri victimes de leur pusillanimité et de leur découragement. On peut dire encore qu'après avoir fait la plus grande partie du chemin, sur le seuil même de la terre promise, en arrivant au port, ils ont sombré. Voilà ce que je crains pour vous, dit l'apôtre, et tel est le sens de ces paroles : « Dans une à désobéissance semblable à celle de ces incrédules », car eux aussi ils ont beaucoup souffert, et c'est ce qui est attesté par saint Paul , quand il dit : « Souvenez-vous de ces anciens jours où vous avez été éclairés par les combats que vous avez eu à soutenir contre la souffrance». (Hébr. X, 32.) Loin de nous donc la pusillanimité et l'abattement! Ne perdons pas courage à la fin de la lutte. il y a des athlètes en effet qui sont tout feu et tout flamme, en commençant le combat, et qui, pour n'avoir pas voulu faire encore quelques efforts, ont tout perdu. L'exemple de vos pères, dit. saint Paul, suffit pour vous instruire et pour vous empêcher de souffrir ce qu'ils ont souffert eux-mêmes. Voilà ce que veulent dire ces mots: « Ne tombez pas dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». Ne nous relâchons pas, dit l'apôtre, ne perdons pas nos forces. Et c'est ce qu'il dit encore en terminant: «Relevez vos mains languissantes et fortifiez vos genoux affaiblis ». (Hébreux, XII, 12.) « Il ne faut pas», dit-il, « que vous tombiez dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». C'est là en effet une chute bien réelle. Puis, pour que vous ne vous attendiez pas à subir seulement, comme peine de cette chute, le même genre de mort qu'eux, voyez ce qu'il ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace; elle est plus perçante qu'un glaive à deux tranchants».

Oui : la parole de Dieu est le mieux affilé de tous les glaives; elle perce les âmes; elle leur porte des coups mortels et leur fait de mortelles blessures. Ce qu'il dit là, il n'est pas nécessaire qu'il le démontre, qu'il le prouve et qu'il l'établisse; l'exemple qu'il cite en dit assez. A quelle guerre en effet, sous quel glaive ont-ils succombé ? Ne sont-ils pas tombés d'eux-mêmes ? Si nous n'avons pas souffert autant qu'eux, ne soyons pas exempts de crainte : tant que nous pouvons dire « aujourd'hui » , relevons-nous et réparons nôs forces. Après avoir ainsi parlé, de peur que ses auditeurs, en apprenant ces châtiments de l'âme, ne restent froids et languissants, il ajoute à ces châtiments des peines corporelles, en faisant entendre que Dieu, armé du glaive spirituel de sa parole, fait comme un souverain qui punit ses officiers coupables de quelque grande faute. Il leur ôte le droit de servir dans ses armées, il leur ôte leur ceinturon et leur grade, et les condamne à une peine proclamée par la voix du crieur public. Puis, à propos du Fils, il laisse tomber ces mots terribles : « Celui auquel nous parlons» : c'est-à-dire, celui auquel nous devons rendre compte. Ainsi ne nous laissons pas abattre, ne nous décourageons pas. Ce qu'il a dit suffisait bien pour nous instruire; mais pour lui, ce n'est point assez et il ajoute : « Nous avons un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel : c'est Jésus, Fils de Dieu (14) ».

2. Il veut par là soutenir notre courage et voilà pourquoi il ajoute : « Le pontife que nous avons n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos faiblesses ». C'est encore pour cela qu'il disait plus haut : Par cela même qu'il a souffert et qu'il a été mis à l'épreuve, il est à même de secourir ceux qui sont éprouvés. Vous voyez qu'il a toujours le même but. Ce qu'il dit là revient à dire : La voie dans laquelle il était entré était encore plus rude que la nôtre; car il a fait l'expérience de toutes les misères humaines. Il avait dit: « Nulle créature ne lui est cachée », pour faire allusion à sa divinité. Mais, lorsqu'il arrive à l'Incarnation, il prend un langage plus modeste et plus humble. « Nous avons », dit-il, « un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel», et il montre sa sollicitude pour défendre et protéger les siens, pour les préserver de toute chute. Moise, dit-il, n'est pas entré dans le repos de Dieu; mais lui, il y est entré, et comment? Je vais vous le dire. Que l'apôtre n'ait tenu hautement dans aucun passage, le langage que je lui prête, il n'y a rien d'étonnant à cela. c'est pour qu'ils ne croient pas avoir trouvé dans l'exemple de Moïse un moyen de défense, qu'il attaque indirectement Moïse lui-même; c'est pour ne pas avoir l'air de l'accuser, qu'il ne dit pas tout cela ouvertement. Car si, malgré sa discrétion, ils lui reprochaient de parler contre Moïse et contre la loi, ils se seraient récriés bien davantage, s'il -avait dit: Le lieu de repos dont je parle ce n'est pas la Palestine, c'est le ciel. Mais il ne se repose pas entièrement du soin de notre salut sur le pontife; il veut aussi que nous agissions de notre côté : il veut que nous demeurions fermes dans la foi dont nous avons fait profession. «Ayant», dit-il, «pour grand pontife, Jésus le Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux , demeurons fermes dans la foi dont nous avons fait profession ».

Qu'entend-il par- là? Il veut dire que nous devons croire fermement à la résurrection, à la (484) rémunération, aux biens innombrables que Dieu nous promet, à la divinité du Christ, à la vérité de notre foi: voilà les croyances dans lesquelles nous devons rester fermes. Ce qui prouvé d'une manière évidente que la vérité est là; c'est le caractère de notre pontife. Nous ne sommes pas encore tombés; restons fermes dans notre foi quand les événements prédits né seraient pas encore arrivés, restons fermes dans nos croyances : s'ils étaient déjà arrivés, ce serait un' démenti donné aux livres saints. S'ils tardent à s'accomplir, cela prouve encore que les livres saints disent la vérité. Car notre pontife est grand. — « Notre pontife n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos faiblesses ». Il ne peut pas ignorer notre situation, comme tant de pontifes qui ne savent pas quels sont ceux qui sont dans l'affliction, qui ne savent pas ce que c'est que l'affliction. Car; chez nous autres hommes, il est impossible que l'on connaisse les tribulations de celui qui est persécuté, si l'on n'a pas fait soi-même l'épreuve du malheur, si l'on n'a pas souffert. Notre pontife à nous a tout souffert. Il a souffert, il est monté aux cieux; pour compatir à nos douleurs: « Il à éprouvé, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché». Voyez comme il revient sur ce mot « comme nous »; c'est-à-dire qu'il a été persécuté, conspué, accusé, tourné en ridicule, attaqué par la calomnie, chassé et enfin crucifié. « Il a souffert, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché ». Il y a encore ici une chose qu'il fait entendre, c'est que les souffrances ne sont pas incompatibles avec l'innocence, et que sans péché on peut souffrir. C'est pourquoi quand il dit « en prenant un corps semblable au nôtre », l'apôtre ne veut pas dire que cette ressemblance fût absolue, il a voulu seulement parler de l'Incarnation. Pourquoi donc ces mots : « Comme nous ? » Il a voulu faire allusion à la faiblesse de la chair, il s'était fait homme « comme nous», matériellement par là; mais, en ce qui concerne le péché, sa nature n'était pas la nôtre. « Allons donc nous présenter avec confiance devant le trône de la grâce, afin d'y recevoir miséricorde et d'y trouver le secours de sa grâce, dans nos besoins (16) ». Quel est ce trône de la grâce? C'est ce trône royal dont il est dit : «Le Seigneur a dit, à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied». (Ps.CIX, 1.) C'est comme s'il disait : Marchons avec confiance, puisque nous avons un pontife exempt de péché, qui a vaincu le monde. «Ayez confiance », dit-il, « j'ai vaincu le monde » (Jean , XVI, 33); ce qui veut dire qu'il connu toutes les souffrances, sans connaître le péché. Mais si nous sommes soumis au péché et s'il en est affranchi, comment ferons-nous pour nous présenter avec confiance? C'est qu'il s'agit ici du trône de la grâce et non du tribunal suprême.

« Approchons donc avec confiance » , dit-il , « pour recevoir cette miséricorde que nous demandons». Cette miséricorde est de la munificence ; c'est un don royal: « Et afin d'y trouver  le secours de sa grâce, quand nous le demanderons à propos ». Il a raison de dire: « Quand nous le demanderons à propos». Approchez-vous de lui maintenant; il vous fera grâce et miséricorde, parce que vous arriverez à temps. Mais si, vous vous présentez aujourd’hui, c'est inutilement; votre arrivée est inopportune; vous ne pouvez plus vous présenter devant le trône de la grâce. Vous pouvez comparaître devant ce trône, tante qu'il est occupé par le souverain dispensateur des grâces, mais une fois que les temps sont accomplis, voilà votre juge qui se dresse devant vous ! « Levez-vous, mon Dieu », dit le Psalmiste, « et venez juger la terre ». Psaume, LXXXI, 8) Disons encore avec l'apôtre :  « Approchons-nous avec confiance », c'est-à-dire , sans avoir de reproche à nous faire, sans hésitation; car celui qui a quelque chose à se reprocher, ne peut pas se présenter avec confiance. C'est pourquoi il est dit ailleurs : « J'ai exaucé votre prière faite en temps opportun, et je vous ai secouru au jour du salut ». (Isaïe, XLIX, 8.) En effet, si ceux qui pèchent, après avoir reçu le baptême, ont la ressource de la pénitence, c'est là un don de la grâce : ne croyez point, parce que vous avez entendu dire que Jésus est un pontife, qu'il reste debout ; saint Paul dit qu'il est assis, quoique le prêtre ordinairement ne soit pas assis, mais se tienne debout. Vous voyez que, s'il a été fait pontife, ce n'est pas là un don de la nature, mais un don de la grâce, un effet de son abaissement volontaire et de son humilité. Disons, il en est temps encore : Approchons-nous de lui avec confiance et demandons. Nous n'avons qu’à lui offrir notre foi; il nous accordera tout. Voici le moment des libéralités; qu'on ne désespère pas de soi-même. Il sera temps de désespérer, quand la salle sera fermée, quand le roi sera entré pour voir ceux qui sont assis au festin, quand les patriarches auront reçu dans leur sein ceux qui en sont dignes. Mais aujourd'hui ce n'est pas l'heure du désespoir. Le théâtre est encore là; c'est encore le moment du combat la palme est encore incertaine.

3. Hâtons-nous donc. C'est Paul qui nous le dit: «Pour moi, je ne cours pas au hasard .. (I Cor, IX, 26.)  Il faut courir et courir, avec ardeur. Quand on court, on ne fait pas attention aux objets environnants, aux prés dans lesquels on entre, aux chemins arides et âpres que l'on traversez. Quand on court, on ne voit pas les spectateurs, on ne voit que le prix. Qu'on ait autour de soi des riches ou des pauvres, qu'on soit en butte aux moqueries ou qu'on reçoive des éloges, qu'on vous adresse des outrages, qu'on vous lance des pierres, qu'on pille votre maison, qu'on voie devant soi ses fils, son épousé, n'importe quoi, on n'est pas distrait, à cette vue ; on ne fait attention qu'à une chose, à courir, à remporter le prix. Quand on court, on ne s'arrête pas, car la moindre lenteur, la moindre halte peut vous faire perdre tout le fruit de vos efforts. Quand on court, on ne se ralentit pas avant d'arriver au but ; que dis-je? C'est quand on est près du but qu'on redouble d'ardeur. Ce que j'en dis s'adresse à ceux qui répètent : Nous nous sommes exercés dans notre (485) jeunesse; nous avons jeûné dans notre jeunesse; aujourd'hui, nous voilà vieux !... Ah ! c'est alors surtout qu'il faut redoubler de piété. Ne racontez pas en détail vos bonnes actions. Voici le moment de vous montrer jeune et vigoureux, comme si vous étiez dans: la fleur de l'âge. Les athlètes qui disputent le prix de la course, quand la vieillesse chenue vient à les glacer, ne sont plus agiles, mais leur vigueur à eux n'est autre chose qu'une vigueur physique.

Mais vous; pourquoi ralentir votre course? Ce qu'il faut ici; c'est la vigueur de l'âme, la vigueur d'une âme toujours éveillée. Or c'est dans la vieillesse que l'âme, se fortifie; c'est alors qu'elle a le plus de vigueur; c'est alors qu'elle s'élance. Le corps a beau être fort et robuste ; tant qu'il est en proie aux fièvres, aux assauts fréquents et successifs de la maladie, les maladies minent ses forces ; mais il les recouvre, quand il est délivré des maladies qui l'assiégent. Il en est de même de l'âme. Tant que dure la jeunesse, elle a la fièvre, elle est en proie à l'amour de la gloire et des plaisirs et à une foule d'autres affections. Mais la vieillesse, en arrivant, chasse tous ces penchants matériels ; ses remèdes pour nous en guérir, sont le temps et la philosophie. En détendant les ressorts de la matière, la vieillesse ne permet pas à l'âme de s'en servir; quand même elle le voudrait; mais, comme si elle domptait ses ennemis de tout genre, elle l'élève à des hauteurs que le tumulte dès passions ne peut atteindre, elle lui donne un calme profond et lui inspire surtout une terreur salutaire. Mieux que personne en- effet les vieillards savent qu'ils doivent mourir et qu'ils sont tout près de la mort. Lors donc que les passions et que les désirs mondains s'éloignent, quand on attend à chaque instant l'heure du jugement, quand cette attente triomphe de notre obstination et de notre désobéissance, comment l'âme, pour peu qu'elle soit bien disposée, ne deviendrait-elle pas plus attentive? Mais quoi? me direz-vous, ne trouve-t-on pas des vieillards plus corrompus que des jeunes gens? Vous considérez ici le vice à ses dernières limites. Ne  voyons-nous pas aussi des fous furieux qui d'eux-mêmes vont se jeter dans un précipice ? Quand donc un vieillard a les maladies de la jeunesse , c'est un grand mal : un vieillard de cette espèce ne peut pas donner son âge pour excuse; il ne peut pas dire : « Ne vous souvenez plus des fautes et de l'étourderie de ma jeunesse ». (Ps. XXIV, 1.) Car celui qui, dans sa vieillesse, ne change pas, montre que les fautes de sa jeunesse ,viennent, non de, l'ignorance, non de l'inexpérience, non l'âge, mais d'un défaut de coeur. Pour avoir, le droit de dire : « Ne vous souvenez plus des fautes de ma jeunesse et de mon inexpérience », il faut se conduire comme un vieilard doit le faire, il faut que là vieillesse nous change: Mais si, dans notre vieillesse, notre conduite est toujours aussi honteuse, aussi déshonorante, méritons-nous le nom de vieillards, alors que nous ne respectons pas notre âge? Lorsqu'on dit: «  Ne vous souvenez pas des fautes de ma jeunesse et de mon étourderie », on parle en vieillard honnête.

Ne perdez. donc point l'occasion que: vous offre votre vieillesse de faire excuser les fautes de votre jeune âge. N'est-elle pas absurde et inexcusable la conduite de ce vieillard qui s'enivre, qui hante les cabarets, qui va voir les courses, qui monte, sur un théâtre, qui court avec la foule, comme un enfant? C'est grande honte et c’est chose bien ridicule d'avoir des cheveux blancs sur la tête, et la légèreté de l'enfance dans le coeur. Si la jeunesse vous outrage, vous parlez aussitôt de vos cheveux blancs: Soyez donc le premier à les respecter: Si vous ne les respectez pas, vous; vieillard, comment voulez-vous que la jeunesse les respecte? Loin de les respecter, vous les couvrez d'opprobre et d'ignominie. Dieu, en vous donnant cette couronne de cheveux blancs, a mis sur` votre front un diadème. Pourquoi méconnaître cet honneur? Comment voulez-vous que la jeunesse vous respecte, quand vous êtes encore plus dissipé, encore plus débauché que. les Jeunes gens? Les cheveux blancs sont respectables , quand celui qui les porte fait ce qu'ils commandent; mais quand le vieillard se conduit en jeune homme, il est, avec ses cheveux blancs, plus ridicule que lui. Comment oserez-vous donner des avis à la jeunesse, vous antres vieillards ivres et dissolus? Ce que j'en dis n'est pas pour accuser tous les vieillards, Dieu m'en garde! je n'accuse ici que le vieillard qui agit en jeune homme. Ceux qui agissent ainsi ;en effet, fussent-ils centenaires, ne sont à mes yeux que des jeunes, gens, de même que les jeunes gens, quand ils seraient tout jeunes, valent mieux, selon. moi, que des vieillards, quand ces jeunes gens ont la modestie et la tempérance en pariage. Et ce que je dis là n'est pas de moi; c'est l'Ecriture qui établit cette distinction . « Ce qui rend la vieillesse respectable », dit-elle, « ce n'est pas le nombre des années, le grand âge; c'est un grand nombre d'années passées dans la  vertu ». (Livre de la Sagesse, IV, 9.)

4. Honneur aux cheveux blancs, non que nous ayons une prédilection pour cette couleur, mais parce que c'est la couleur de la vertu, et parce que, cet extérieur vénérable nous fait conjecturer que l'homme intérieur a aussi des cheveux blancs ! Mais un vieillard qui donné à ses cheveux blancs un démenti par sa conduite, n'en est que plus ridicule. Pourquoi honorons-nous la royauté, la pourpre, le diadème ? C'est que ce sont là les emblèmes du commandement. Mais que ce roi vêtu de pourpre vienne à être conspué, foulé aux pieds par ses satellites, saisi à la gorge, jeté en prison et déchiré, respecterons-nous encore cette pourpre et ce diadème, et ne plaindrons-nous pas cette majesté outragée? N'exigez donc pas qu'on respecte vos cheveux blancs, quand vous les outragez vous-même; c'est vous rendre coupable envers eux que d'avilir une parure si imposante et si précieuse. Mes reproches ne s'adressent pas à tous les vieillards, et ce n'est pas la vieillesse en général que j'attaque; je ne suis point assez insensé pour cela; je m'en prends à ce caractère juvénil qui déshonore la vieillesse; j'adresse ces paroles amères non pas aux vieillards, mais à ceux qui (486) déshonorent leurs cheveux blancs. Un vieillard est roi, s'il le veut; il est plus roi que le souverain revêtu de la pourpre, s'il commande à ses passions, s'il foule aux pieds les vices, comme de vils satellites. Mais s'il se laisse entraîner, s'il se dégrade, s'il se rend l'esclave de l'avarice, de l'amour, de la vanité, des raffinements de la mollesse, du vin, de la colère et dès plaisirs, s'il se parfume les cheveux, si de gaieté de coeur il fait lui-même injure à sa vieillesse, quel châtiment ne mérite-t-il pas? Quant à vous, jeunes gens, n'imitez pas les vices de ces vieillards; vous n'êtes pas excusables non plus, quand vous vous égarez. Pourquoi? C'est que dans la jeunesse on peut être mûr, et s'il y a des vieillards toujours jeunes, il y a des jeunes gens déjà vieux. Les cheveux blancs ne sont pas toujours un préservatif; mais les cheveux noirs ne sont pas un obstacle. Les vices que j'ai signalés sont plus honteux chez un vieillard que chez un jeune homme, sans que, pour cela, le jeune homme vicieux soit complètement à l'abri du blâme. La jeunesse n'est une excuse que lorsque le jeune homme est appelé au maniement des affaires. Dans ce cas son jeune âge et son inexpérience peuvent lui faire pardonner son' inhabileté. Mais faut-il déployer une sagesse virile, faut-il triompher de l'avarice, le jeune âge n'est plus, une excuse. Il y a des cas en effet ou la jeunesse est plus répréhensible que la vieillesse. Le vieillard affaibli par l'âge a grand besoin de se ménages ; mais le jeune homme qui peut, s'il le veut, se suffire à lui-même, est-il excusable de se montrer plus rapace qu'un vieillard , d'avoir plus de rancune que lui, de se montrer négligent, de ne pas être plus prompt que le vieillard à protéger les faibles, de parler sans cesse à tort et à travers, d'avoir l'injure, et la médisance à la bouche, de se livrer à l'ivrognerie? S'il croit qu'on doit lui passer toute espèce de contravention aux lois de la tempérance et de la continence , il faut remarquer qu'il a de bons moyens d'observer aussi ces deux vertus. En admettant que les désirs et les passions aient plus d'empire sur lui que sur le vieillard, on doit pourtant convenir qu'il a, pour leur résister, plus de moyens, et qu'il peut, comme par magie, endormir le monstre. Ses moyens sont les travaux, la lecture, les veilles et le jeûnez Nous ne sommes pas des moines, m'objecterez-vous , pourquoi nous tenir ce langage? Eh bien! adressez cette objection à Paul, quand il vous dit.:  « Persévérez et veillez dans la prière ». (Coloss. IV, 2.) « Ne cherchez point à contenter votre sensualité, en satisfaisant vos désirs ».(Rom. XIII,14.) Ses avis en effet ne s'appliquent pas seulement aux moines, mais aux habitants des villes. Un homme du monde en effet ne doit avoir sur le moine qu'un seul avantage : celui de pouvoir cohabiter avec une épousé légitime. Il a ce droit-là, mais du reste, il a les mêmes devoirs à remplir que le moine. La béatitude dont le Christ a parlé n'est pas le privilège des moines; autrement le monde aurait péri et nous accuserions Dieu de cruauté. Si la béatitude n'est faite que pour le moine, si l'homme du monde ne peut y atteindre, et si Dieu lui-même a permis le mariage, c'est Dieu qui nous a tous perdus.. Si en effet on ne peut, quand on est marié, remplir les devoirs des moines, tout est perdu et la vertu est réduite aux: dernières extrémités. Comment donc serait-ce chose honorable crue le mariage, quand il devient pour nous un si grand obstacle? Que faut-il conclure? Il faut dire qu'il est possible et très-possible, quand on est marié, de suivre le chemin de la vertu, et de la pratiquer si l'on veut. Ayons une femme; mais soyons comme si nous n'en avions pas; ne nous enivrons pas de nos richesses; usons du monde, sans en abuser. (I Cor. VII, 31.) Si pour certains hommes le mariage est un obstacle, ça n'est pas la faute du mariage, qu'ils le sachent, bien; c'est la faute de leur volonté qui leur a fait abuser du mariage. Ce n'est pas non plus la faute du vin, si l'ivresse arrive, c'est la faute de nos goûts dépravés et, de l'abus de cette liqueur. Usez avec modération du mariage, et vous occuperez la première place dans le royaume des cieux, et vous jouirez de tous les biens. Puissions-nous tous des obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur. Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, etc.

HOMÉLIE VIII. CAR TOUT PONTIFE, ÉTANT PRIS D'ENTRE LES HOMMES, EST ÉTABLI POUR LES HOMMES, EN CE QUI REGARDE LE CULTE DE DIEU, AFIN QU'IL OFFRE DES DONS ET DES SACRIFICES POUR LES PÉCHÉS, ET QU'IL PUISSE ÊTRE TOUCHE, DUNE . JUSTE COMPASSION POUR. CEUX QUI PÉCHENT PAR IGNORANCE ET PAR ERREUR, COMME ÉTANT LUI-MÊME ENVIRONNÉ DE FAIBLESSE. ET C'EST CE QUI L'OBLIGE A OFFRIR LE SACRIFICE DE L'EXPIATION  DES PÉCHÉS AUSSI BIEN POUR LUI-MÊME QUE POUR LE PEUPLE. (V, 1, 2, 3, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.
 

Analyse.
 
 

1, 2. Sacerdoce du Christ.

3. Saint Paul reproche aux Hébreux la faiblesse de leur intelligence.

4. Comment peut-on s'habituer à discerner l'erreur de la vérité. — Devoir du lecteur dans l'église.
 
 

1. Saint Paul s'attache maintenant à démontrer combien le Nouveau Testament est préférable à l'Ancien, combien il lui est supérieur, et il commence par exposer les raisons sur lesquelles il se fonde. Sous la loi nouvelle, rien ne parle aux sens, il n'y a pas de représentation matérielle . point (487) de temple, point de saint des saints, point de prêtre revêtu de l'appareil sacerdotal, point de cérémonies légales; tout est plus élevé, tout est plus parfait. Rien pour le corps; tout pour l'esprit. Or, ce qui est du ressort de l'esprit ne frappe pas les âmes. faibles comme ce qui parle"aux sens; voilà pourquoi l'apôtre tourne et retourne son sujet de mille manières. Voyez combien il est habile. Il nous représente d'abord le Christ comme prêtre, il ne cesse de lui donner le nom de pontife; et il part de là pour nous montrer combien il différé des autres pontifes. Il donne la définition du. prêtre , il nous montre les caractères et les symboles du sacerdoce réunis dans la personne du Christ. Ce. qu'on pouvait lui objecter, ce qui lui faisait obstacle, c'est qu'il n'était ni d'une haute naissance, ni d'une tribu sacerdotale, ni revêtu d'un sacerdoce terrestre. On pouvait donc craindre d'entendre sortir de quelques bouches cette question : Comment se fait-il qu'il soit prêtre? Eh bien ! Paul procède ici comme dans l'épître aux Romains. (Rom. IV.) Il s'était chargé de soutenir une thèse difficile;.il fallait prouver que la foi opère des effets que n'ont pu opérer la loi, ni, toutes les peines et tous les travaux qu'elle imposait. Pour montrer que cet effet d'est produit et qu'il pouvait se produire, il a recours à l'exemple des patriarches et il remonte aux temps anciens. C'est ainsi ! qu'il entre dans la seconde voie suivie par le sacerdoce, en citant d'abord les anciens pontifes. De même qu'à propos des peines infligées aux méchants, Il a cité .à ses auditeurs non-seulement la géhenne, mais encore l'exemple de leurs pères; de même ici il commence par leur rappeler les faits présents à leur mémoire. Au lieu de leur montrer le ciel, pour les faire croire aux choses terrestres, il fait le contraire, en considération de leur faiblesse. Il expose d'abord les points de contact que le Christ peut avoir avec les autres pontifes, pour montrer ensuite la supériorité qu'il a sur eux. La comparaison est donc à l'avantage du Christ; puisque sous certains rapports, il y a ressemblance et. affinité entré eux et lui, tandis que sous d'autres points de vue, il leur est supérieur. Autrement, à quoi aboutirait cette comparaison?

«Tout pontife pris d'entre-les hommes ». Voilà une condition qui se rencontre dans le Christ, comme dans les autres. « Est établi pour les hommes, en ce qui tient au culte de Dieu». Même observation. « Afin qu'il offre des dons et des sacrifices pour le peuple ». Cela est encore; jusqu'à un certain point, commun au Christ et aux autres. Mais il n'en est pas ainsi du reste: «Afin qu'il puisse étire touché de compassion pour ceux qui sont dans l'ignorance et terreur». Voilà déjà un avantage que le Christ a sur les autres pontifes. « Comme étant lui-même environné de faiblesse, et c'est ce qui l'oblige à offrir le sacrifice de l'expiation des péchés, aussi bien pour lui-même que pour « le peuple».Puis il ajoute: Il a reçu le pontificat, mais-il ne s'est pas fait lui-même pontife. Il a encore cela de Commun avec lies, autres pontifes. « Nul ne s'est attribué à soi-même cet honneur; mais il faut y être appelé de Dieu comme Aaron,(4) ». Ici c'est autre chose qu'il s'applique à démontrer, il fait voir que le Christ est l'envoyé de Dieu. C'est ce que le Christ ne cessait de dire, en conversant avec les juifs : «Celui qui m'a envoyé est plus grand que, moi». (Jean VIII, 42.) Et ailleurs : « Je ne suis pas venu dé moi-même ». Selon moi, ces paroles font allusion aux pontifes juifs qui envahissaient le sacerdoce au mépris de la loi. « Ainsi Jésus-Christ ne s'est pas élevé de lui-même à la  dignité de souverain pontife (5) ».Quand donc a-t-il été institué et ordonné pontife? Aaron, .en effet, a été souvent institué et ordonné pontife, par la verge, par le feu du ciel, qui consuma ceux qui voulaient lui ravir le sacerdoce. ici, rien de pareil : non-seulement il n'est pas arrivé malheur aux faux pontifes, mais ils sont en bonne odeur. Comment donc saint Paul. prouve-t-il l'ordination de Jésus-Christ? Par les prophéties. Son pontificat n'a rien de matériel et ne tombe pas sous les sens. Ce qui prouve sa dignité de pontife, ce sont les prophéties, la prédiction de ce qui devait arriver, « c'est celui qui lui a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui ». Ces paroles se rapportent-elles au Fils de Dieu? Sans doute, c'est de lui qu'il s'agit ici. Mais quel rapport ces paroles ont-elles avec la question qui nous occupe? Elles en ont un très-grand. C'est la démonstration anticipée qu'il a été institué et ordonné pontife par Dieu même.

Selon qu'il lui dit aussi dans un autre endroit; «Vous êtes le pontife selon l'ordre de Melchisédech (6) ». A qui s'appliquent ces paroles? Quel est ce pontife qui est selon l'ordre de Melchisédech? Nul autre que le Christ. Tous en effet étaient soumis à là loi; tous observaient le sabbat; tous étaient circoncis. Il ne peut être ici question que du Christ. « Ainsi, durant les jours de sa chair, ayant offert avec un grand cri et avec des larmes, ses prières et ses supplications à celui qui pouvait le tirer de la mort, il a été exaucé à cause de son humble respect pour son Père (1). Et, quoiqu'il fût le Fils. de Dieu, il n'a pas cessé d'apprendre l'obéissance par ce qu'il a souffert (8) ». Voyez-vous comme l'apôtre s'applique uniquement à montrer la sollicitude et la haute charité du Christ pour les bommes? Quel est-le sens de ces mots : «Avec un grand cri?» On ne trouve nulle part dans l'Evangile qu'il ait adressé cette prière les larmes aux yeux et en poussant de grands cris :  Mais ne voyez-vous pas que saint Paul descend ici jusqu'à nous, jusqu'à notre faible intelligence? Il ne lui suffit pas de nous montrer le, Christ en prières; il nous le montre poussant de grands cris. .«Et il a été exaucé», dit-il, « à cause de son humble respect pour son Père; quoiqu'il fît le Fils de Dieu, il n'a pas laissé d'apprendre l'obéissance par ce qu'il a souffert. Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent (9). Dieu l'ayant déclaré pontife, selon l'ordre de Melchisédech (10) ». Il a offert ses prières avec des cris, soit : mais pourquoi avec de grands cris? Il les a même offertes en versant des larmes, dit-il, et il a été exaucé à causé de son respect pour son Père. Qu'ils rougissent, les hérétiques qui nient la réalité de l'Incarnation ! Que dites-vous? Quoi ! (488) le Fils de Dieu était exaucé à cause de son respect? Que direz-vous de plus, en parlant des prophètes? Et n'est-ce pas une inconséquence, lorsqu'on a dit « Il a été exaucé à cause de son respect », d'ajouter ces paroles : « Quoiqu'il fût le Fils de Dieu, il n'a pas laissé d'apprendre l'obéissance par tout ce qu'il a souffert». Peut-on tenir un pareil langage, en parlant de Dieu? Qui serait assez insensé pour cela? Où trouver un homme qui aurait assez peu de raison pour parler ainsi? « Il a été exaucé à cause de son respect, il a appris l'obéissance par tout ce qu'il a souffert». Quelle obéissance?' Il avait appris, jusqu'à en mourir, l'obéissance qu'un fils doit à son père? Avait-il donc besoin de faire encore l'apprentissage de l'obéissance?

2. Ne voyez-vous pas qu'il s'agit ici de l'incarnation réelle? Ce qu'il dit là le fait assez entendre. Dites-moi : ne demandait-il point à son Père d'être préservé de la mort; n'était-il pas attristé par cette perspective de la mort? Ne disait-il pas : «Que ce calice, s'il est possible, s'éloigne de mes lèvres? » Mais, pour ce qui est de la résurrection, il n'a jamais prié son Père; au contraire, il dit lui-même tout haut : « Renversez ce temple, et dans trois jours, je le relèverai». Et il dit encore : «Je puis déposer la vie et la reprendre; personne ne me l'ôte; c'est moi-même qui la déposé ». (Jean, II, 19, et X, 18.) Qu'est-ce donc et pourquoi priait-il? Et . il disait aussi : « Nous allons à Jérusalem, et le Fils de Dieu sera livré aux princes des prêtres et. aux scribes qui le condamneront à mort et le livreront aux gentils; afin qu'ils le tournent en dérision, qu'ils le fouettent et le crucifient; et il ressuscitera le troisième jour». (Matth. XX,18,19.) Il n'a pas dit: Mon Père me fera ressusciter. Comment donc peut-on dire qu'il le priât pour le faire ressusciter? Mais pour qui priait-il? Pour ceux qui avaient cru en lui. Ce que dit l'apôtre revient à ceci : Il n'a pas de peine à se faire exaucer. Comme ses auditeurs ne se faisaient pas une juste idée du Christ, il dit qu'il a été exaucé, en tenant le langage que le Christ tenait lui-même, pour consoler ses disciples : «Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez, parce que je vais trouver mon Père qui est plus grand que moi ». (Jean, XIV, 28.) Comment donc ne s'est-il pas glorifié lui-même, ce Dieu qui a été assez dévoué pour s'annihiler, pour se livrer lui-même? «Il s'est sacrifié pour nos péchés», dit l'apôtre. (Gal. I, 4.) Et ailleurs : « C'est lui qui s'est livré, pour nous racheter tous » ( I Tim. II, 6.) Qu'est-ce donc? Ne voyez-vous pas que c'est le Dieu fait chair qui s'humilie? Aussi, quoiqu'il fût le Fils de Dieu, a-t-il été exaucé, en considération de son respect pour son Père. Il veut montrer, en effet, que l'œuvre qui s'est accomplie a été opérée par lui plutôt que par la grâce de Dieu. Tel était son respect filial et sa piété, dit l’apôtre, que Dieu son Père le respectait. Il a: appris à obéir à Dieu. Il montre encore quels sont les fruits de la souffrance. « Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent». Or, si lui qui était le Fils de Dieu a profité de ses souffrances. pour apprendre à obéir, à plus forte raison nous autres devons-nous mettre à profit un semblable. apprentissage. Voyez-vous comme il s'étend sur l'obéissance, afin de parvenir à les persuader? Ils m'ont tous l'air en effet d'être fort disposés à secouer le frein et à se révolter. C'est ce que saint Paul fait entendre par ces mots: «Votre attention s'est refroidie» : Ses souffrances, dit-il, lui ont appris à obéir à Dieu. Et il est entré dans la consommation de sa gloire par la souffrance. C'est donc là ce qui parfait l'homme, et la souffrance est le chemin de la perfection. Non-seulement il s'est sauvé lui-même, mais il a sauvé les autres. « Etant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent, Dieu l'ayant déclaré pontife; selon l'ordre, de Melchisédech; sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer, à cause de votre lenteur et de votre peu d'application pour les entendre (11) ».

Avant d'en venir aux deux espèces de sacerdoce, il reprend ses auditeurs en leur montrant qu'il abaisse son style pour descendre jusqu'à eux, et qu'il les traite comme des enfants à la mamelle; par conséquent il prend un ton plus humble, approprié aux choses de la chair et il parle du Christ, comme on parlerait d'un homme juste. Voyez, sans garder : un silence absolu, il ne s'explique pas complété. ment; il ne dit que ce qu'il faut pour les engager à mener une vie parfaite et à ne pas se priver d'un. haut enseignement; mais il s'arrange de manière à ne pas accabler leur intelligence; et il. s'exprime ainsi: « Sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer, à cause de votre lenteur et de votre peu d'application pour, les apprendre »: C'est parce qu'il a affaire à des auditeurs peu attentifs qu'il lui est difficile de s'expliquer. Car lorsqu'on s'adresse à des auditeurs bornés, dont l'intelligence n'est -pas à la hauteur du sujet, il n'est pas aisé de leur bien faire comprendre la vérité. Mais peut-être y a-t-il parmi vous qui m'écoutez, quelques hommes dont la tête se trouble et qui regrettent que la nature de son auditoire ait empêché saint Paul de mieux s'expliquer. Eh bien ! à l'exception d'un petit nombre d'auditeurs, vous êtes, je crois, dans le même cas que, les Hébreux, et vous pouvez-vous appliquer les paroles de l'apôtre. Malgré cela, je vais m'adresser à ce petit nombre d'auditeurs. Saint Paul a-t-il donc abandonné le sujet qu'il traitait ou l'a-t-il repris dans les versets suivants, comme il l'a fait dans l'épître aux Romains? Car là aussi il ferme tout d'abord la bouche aux contradicteurs en ces, termes : « O homme, qui donc es-tu, pour répondre à Dieu? » (Rom. IX, 20.) Mais il résout aussitôt le problème dont il s'agit. Eh bien ! ici, le crois que, sans garder un silence complet, il ne s'est pas tout à fait expliqué, afin de jeter ses auditeurs dans l'attente. Après les avoir avertis, après leur avoir fait entendre,qu'il abordait un grand sujet, voyez comme il les loue et les reprend tout à la fois Car c'est toujours sa méthode de mêler de douces paroles aux paroles amères. C'est ainsi que, dans son épître aux- Galates, il dit : «Vous couriez avec ardeur; qui donc a pu vous arrêter?» (Galat. V, 7.) «Serait-ce donc en vain que vous avez (489) tant souffert, si toutefois ce n'est qu'en vain? » (Galat. III, 4.) «J'espère pour vous, dans le Seigneur ». (Galat. III, 10.) Et ici il dit de même : « Nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut». ( Hébr. VI, 9.) II fait donc deux choses à la fois: il ne les exalte pas et il ne les laisse pas tomber dans l'abattement. Car si l'exemple d'autrui est propre à exciter l'auditeur et à faire naître dans son âme le sentiment de l'émulation; quand on peut se prendre soi-même pour exemple et qu'on vous engage à être pour vous-même un objet d'émulation, la leçon est encore plus efficace. Voilà ce que saint Paul fait ici : il ne les laisse pas tomber dans l'abattement, comme des réprouvés qui auraient toujours fait le mal; il leur montre que parfois ils ont fait le bien. « Tandis que depuis le temps qu'on vous instruit, vous devriez déjà être des maîtres (12) ». Il montre ici qu'il y a longtemps qu'ils ont commencé à croire; il montre aussi qu'ils devraient instruire les autres. Voyez comme il travaille à amener ce qu'il peut avoir à dire du pontife, et comme il diffère toujours ses explications. Ecoutez son début : « Ayant un grand pontife qui est monté au plus haut des cieux ». Et après avoir passé sous silence l'explication du mot « grand »; il reprend ainsi : «Car tout pontife, étant pris d'entre les hommes, est établi pour les hommes, en ce qui regarde le culte de Dieu ». Puis il dit : « Ainsi Jésus-Christ ne s'est pas élevé de lui-même à la dignité de souverain pontife ». Et après avoir dit: « Vous êtes le prêtre éternel, selon l'ordre de Melchisédech », il remet encore son explication, pour dire : « Qui durant les jours de sa chair, a offert ses prières et ses supplications ».

3.Après s'être détourné tant de fois de son but, par forme de réponse et d'excuse, il leur dit : C'est votre faute. Quelle différence en effet? Ils devraient être des maîtres; et ils ne sont que des disciples, les derniers de tous. «Depuis le temps qu'on vous instruit, vous devriez être des maîtres et vous auriez encore besoin qu'on vous apprit les premiers éléments, par lesquels on commence à expliquer la parole de Dieu ». Ces premiers éléments sont ici la science humaine. Dans les lettres profanes, il faut d’abord apprendre les éléments; ici aussi il faut d’abord apprendre ce qui se rapporte à l'homme. Vous voyez pourquoi il abaisse ici son langage c'est ce qu'il faisait en parlant aux Athéniens «Dieu laissant passer ces temps d'ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes et en tous lieux qu'ils fassent pénitence, parce qu'il a arrêté un jour où il doit juger le monde selon sa justice, par celui qu'il a destiné à en être le juge, de quoi il a donné à tous les hommes une preuve certaine, en le ressuscitant d'entre les morts ». (Act. XVII, 30, 31.) Lorsque Paul exprime quelque idée haute et sublime, il l'exprime brièvement, tandis que dans cette épître, il s'étend en maint endroit sur l'anéantissement de Jésus-Christ. C'est donc à la brièveté de l'expression que l'on reconnaît chez lui l'élévation de l'idée; et d'autre part l'humilité du langage indique sûrement qu'il ne parle pas du Christ entant que Dieu. Ici donc, pour plus de sûreté, il emploie un humble langage à exprimer ce qui se rapporte à l'homme. Il avait pour raison l'intelligence de ses auditeurs qui n'étaient pas en état de comprendre des idées plus relevées. C'est ce qu'il voulait dire dans son épître aux Corinthiens, par ces mots : « Puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n'est-il pas visible que vous êtes charnels? » (I Cor. III, 3.) Voyez quelle est sa prudence, et comme il s'entend à traiter tous ces malades, dont ii est le médecin. La faiblesse des Corinthiens venait en grande partie de leur ignorance ou plutôt de leurs péchés; celle des Hébreux ne provient pas de leurs péchés, mais de leurs afflictions continuelles. C'est pourquoi il emploie des expressions bien propres à faire ressortir cette différence. «N'est-il pas visible que vous êtes charnels? » dit-il aux Corinthiens. Et il dit aux Hébreux : L'excès de votre douleur a émoussé vos facultés. Les Corinthiens, hommes charnels, n'ont jamais pu supporter l'enseignement spirituel; mais les Hébreux le pouvaient autrefois. Car ces paroles : « Votre application à m'entendre s'est ralentie », indiquent qu'autrefois leurs âmes étaient saines, fortes et pleines d'ardeur. Et plus tard, il atteste ainsi leur faiblesse : « Vous êtes tombés en enfance; ce n'est pas une nourriture solide; c'est du lait qu'il vous faut ».

Dans plusieurs passages et même toujours il appelle « lait » le style qui s'abaisse. « Tandis que depuis le temps », dit-il, « vous devriez être des maîtres». C'est comme s'il disait : Ce qui a produit votre relâchement et votre abattement, c'est le temps qui aurait dû vous rendre forts. Le lait, selon lui, c'est ce style terre à terre qui convient aux simples; cette nourriture ne convient pas à des auditeurs plus avancés, et ce serait pour eux un dangereux régime. Aujourd'hui il ne faudrait plus citer l'ancienne loi et y puiser des comparaisons; il lié faudrait plus nous représenter le pontife sacrifiant et priant avec des cris et des supplications. Voyez comme tout cela est devenu pour nous un objet de dédain ; mais alors c'était pour les Hébreux une nourriture qu’ils ne dédaignaient pas. Oui : la parole de Dieu est bien une nourriture qui soutient l’âme. Ecoutez plutôt le Prophète et l'apôtre : « Je ferai en sorte qu'ils soient non pas affamés de pain, non pas altérés d'eau, mais affamés de la parole de Dieu: (Amos, VIII, 11.) Je vous ai donné à boire du lait, au lieu de vous donner une nourriture solide », (I Cor. III, 2.) Il n'a pas dit : Je vous ai nourris, montrant par là que ce n'est pas une nourriture solide, qu'il leur a donnée, mais qu'il les a nourris comme des enfants qui ne peuvent encore manger du pain;. car le breuvage des enfants est leur unique nourriture. Il n'a pas: parlé de leurs besoins ; mais il a dit : « Vous êtes faits pour vous nourrir de lait, et non d'aliments solides »; c'est-à-dire : C'est vous qui l'avez voulu; c'est vous qui vous êtes réduits vous-mêmes à cette extrémité, à cette nécessité. — « Car quiconque n'est nourri que de lait, est incapable d'entendre le langage de la justice; car il n'est encore qu'un enfant (13) ».

Ce langage de la justice, quel est-il? Je crois qu'il entend par là un plan de vie conforme à la (490) vertu, et c'est ce que voulait dire le Christ, quand. il s'exprimait ainsi : « Si votre justice n'est pas « plus abondante que celle des scribes et des pharisiens ». (Matth. V, 20.) C'est ce que l'apôtre lui-même veut dire par ces mots : « Si vous ne connaissez pas le langage de la justice ». Cela signifie : Si vous ne connaissez pas la philosophie d'en-haut, vous ne pouvez pas tendre à la perfection. Peut-être à ses yeux la justice n'est-elle autre chose que le Christ , et la parole élevée et sublime de l'orateur qui parle du Christ. Il les a traités d'esprits faibles et bornés. Pourquoi? Il ne s'est pas expliqué là-dessus. Il leur permet de deviner et il ne veut pas les choquer. Dans son épître aux Galates, au contraire, il a l'air d'être surpris et d'hésiter, et cette forme de style est plus consolante elle est d'un homme qui ne s'attend pas au mal. Voyez-vous la différence qui existe entre l'enfance de l'âme et sa perfection? Tâchons donc d'atteindre à cette perfection. Tout enfants, tout jeunes que nous sommes, noirs pouvons y atteindre; ce n'est point ici l'oeuvre de la nature, c'est l'oeuvre de la vertu. — «La nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l'esprit, par l'habitude et par l'exercice; s'est accoutumé à discerner le bien du mal (14) ». Eh quoi? Leurs sens n'étaient-ils pas exercés? Ne savaient-ils pas ce que c'est que le bien, ce que c'est que le mal ? C'est que, quand il parle de discerner le bien et le mal, il ne parle pas de ce discernement appliqué aux choses ordinaires de la vie. Ce discernement-là, le premier venu en est capable; saint Paul parle ici de ce discernement qui distingue les hautes et sublimes doctrines des croyances fausses et abjectes. Le petit enfant ne sait pas distinguer les aliments bons ou mauvais, souvent il avale de la poussière, il prend une nourriture malsaine, il agit en tout sans discernement. Il n'en est pas ainsi de l'homme fait. Oui. : ce sont des enfants, ces hommes qui croient sans réfléchir à tout ce qu'on leur dit, qui prêtent indifféremment l'oreille à tous les discours; saint Paul reproché ici à ses auditeurs dé tourner à tout vent, de prêter l'oreille tantôt à l'un, tantôt à l'autre. — C'est-ce qu'il finit par faire entendre, lorsqu'il dit : « Ne vous laissez pas séduire par toutes sortes de doctrines étranges ». Et il sous-entend : « Si vous voulez distinguer le bien du mal »; car c'est le palais qui juge des mets, et c'est l’âme qui juge des paroles.

4. Et nous aussi, instruisons-nous, En apprenant que cet homme n'est ni gentil, ni juif, n'allez pas en conclure qu'il est chrétien. Car les manichéens et les hérétiques de toutes sortes ont pris le masque du christianisme pour tromper les âmes simples. Mais, si nous sommes exercés à distinguer le bien du mal, nous pourrons appliquer ici notre discernement. Or quels moyens avons-nous de nous exercer? Nous n'avons qu'à écouter sans cesse la parole de Dieu, et qu'à nous fortifier dans la connaissance de l'Ecriture sainte. Quand nous vous aurons mis devant les yeux l'égarement de ces hérétiques, quand aujourd'hui vous aurez entendu parler de leurs erreurs, quand demain vous serez convaincu de la fausseté de leurs doctrines, il ne vous restera plus rien à apprendre, il ne vous , restera plus rien à connaître, et si aujourd'hui, vous ne comprenez pas; vous comprendrez demain. « Ceux », dit-il, « dont les sens sont exercés ». Voyez-vous comme nos oreilles doivent s'habituer à ces enseignements divins, pour se refuser à entendre des doctrines étrangères? « Nous devons être exercés », dit l'apôtre, « à discerner le bien et le mal »; c'est-à-dire, que nous de  vous être habiles à distinguer l'un de l'autre. L'un ne croit pas à la résurrection ; l'autre ne croit pas à la vie future ; un autre dit qu'il y a un autre Dieu ; un autre dit que Jésus-Christ tire son principe de Marie. Voyez comme tous ces hérétiques sont tombés dans l'erreur, faute de garder une; juste mesure. Les uns ont été trop loin; les autres se sont arrêtés en route. En voulez-vous un exemple ? C'est Marcion qui .a donné le signal de l'hérésie. Il a introduit un autre Dieu qui n'existe pas; il est allé trop loin. Voici venir après lui Sabellius qui prétend, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit rie font qu'une seule et même personne. Puis c'est l'hérésie de Marcellus et de Photin qui prêchent la même doctrine. Puis c'est l`hérésie de Paul de Samosate qui avance que Dieu n'a commencé à exister qu'en- sortant du sein de Marie. C'est ensuite l'hérésie des manichéens, qui vient après toutes les autres. Et puis c'est Arius; et puis ce sont d'autres hérésies encore.

C'est pour cela que nous avons. reçu la foi, c'est afin que nous ne soyons pas obligés de nous jeter dans ces hérésies saris nombre ; c'est afin que, nous n'en soyons pas le jouet et les victimes; c'est afin que nous regardions comme faux tout ce qu'on pourrait ajouter ou retrancher aux articles de la foi. Ceux qui admettent les mesures légales ne sont pas obligés de recourir laborieusement à une foule de poids et de mesures arbitraires; ils veulent que l'on s'en tienne aux mesures établies; il en est de même pour nos dogmes. Mais on ne veut pas faire attention aux saintes Ecritures. Si nous y faisions attention, non-seulement, nous ne tomberions point dans l'erreur, mais nous délivrerions les hommes abusés et nous les tirerions du péril. Un brave soldat, en effet, n'est pas bon pour lui seul ; il sait défendre le camarade qui est près de lui et le soustraire aux coups de l'ennemi. Mais aujourd'hui on ne connaît pas les saintes Ecritures, malgré toutes les précautions prises par le Saint-Esprit pour que ce dépôt conservé. Remontez jusqu'aux premiers temps, et apprenez à connaître l'ineffable bonté de Dieu. C'est lui qui a inspiré Moïse, qui a fait graver ses commandements sur les tables de la loi, qui l’a retenu à cet effet quarante jours sur la montagne; qui l'y a retenu quarante jours encore pour publier sa loi. (Exod. XXIII.) Puis il a envoyé des prophètes qui ont subi des épreuves sans nombre. Voilà la guerre allumée, les prophètes morts; les livres brûlés! Dieu inspire un autre législateur admirable Esdras, pour exposer sa loi et pour en rassembler les débris. Puis il l'a fait interpréter par les Septante.

Le Christ arrive, il prend les tablettes  de la loi, les apôtres vont la publier partout. Le Christ fait (491) des signes et des miracles. Qu'arrive-t-il ensuite?, Après tant de soins, tant de précautions, les apôtres, à leur tour, se mettent à l'oeuvre, comme dit Paul: «Toutes ces choses ont été écrites pour notre instruction, à nous autres, qui nous trouvons à la fin des siècles ». (I Cor. X, 11.) Et le Christ disait : « Vous vous trompez, parce que vous ne connaissez pas les Ecritures ». (Matth. XXII, 29.) Et Paul disait encore : « C'est dans notre résignation et dans les paroles consolantes des saintes Ecritures que nous avons confiance » (Rom. XV, 4) ; et ailleurs : « L'Ecriture sainte, ce livre si utile, est d'un bout à l'autre une inspiration divine. (II Tim. III, 16.) Que la parole du « Christ habite en vous et remplisse vos âmes ». (Col. III, 16.) Et le Prophète dit : « Il méditera la loi, nuit et jour ». (Ps. I, 2.) Et il dit ailleurs : « Ne vous  lassez pas d'expliquer la loi de l'Etre suprême ». (Ecclés. IX, 23.) Et il dit encore : « Que vos paroles sont douces pour mon palais ! » (Il ne dit pas: pour mes oreilles, mais « pour mon palais). Je les trouve plus douces que le miel ». (Ps. XVIII, 11.) Et Moïse dit aussi : « Méditez les saintes Ecritures, en vous levant, en vous reposant, en vous couchant ». (Deut. VI, 7.) C'est ce que dit encore saint Paul dans son épître à Timothée : « Appesantissez-vous sur les saintes Ecritures et méditez-les ». (I Tim. IV, 15.) On pourrait s'étendre à l'infini sur ce chapitre. Et après tout cela pourtant, il y a des gens qui n'ont pas ;la moindre idée de l'Ecriture sainte. Aussi ne connaissons-nous ni les saines doctrines, ni la justice, ni notre intérêt. Pourtant si l'on veut connaître l'art militaire, il faut en apprendre les règles: Si l'on veut connaître la politique, la science du forgeron ou toute autre, il faut apprendre. Eh bien ! pour acquérir la science qui nous occupe, on ne fait rien de semblable, et cependant il faut bien des veilles pour l'acquérir. Si vous voulez le savoir, écoutez cette parole du Prophète : «Venez, mes enfants, écoutez-moi, et je vous enseignerai la crainte de Dieu ». (XXXIII, 12, 14.) La crainte de Dieu est donc une chose qui s'apprend. Puis il est dit : « Quel est l'homme qui veut vivre? » vivre de la vie d'en-haut. Et ailleurs : « Ne souillez point votre langue; que vos lèvres ne laissent point échapper de paroles perfides ; détournez-vous du mal et faites le bien ; recherchez la paix ». Savez-vous quel est le prophète, l'historien, l'apôtre ou l'évangéliste qui a dit cela? Je crois que, parmi vous, il en est peu qui le sachent; et ces quelques hommes qui le savent seraient à leur tour en défaut, si je leur citais un autre passage. Tenez, voici la même pensée exprimée en d'autres termes : « Lavez vos souillures, soyez purs, faites disparaître de devant mes yeux cette perversité que j'aperçois dans vos âmes ; apprenez. à faire le bien ; recherchez la justice . ne souillez point votre langue et faites le bien ; oui, apprenez à faire le bien ». (Is. I, 16, 17.) Voyez-vous comme la vertu a besoin d'être enseignée? Plus haut, nous lisons : « Je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Ici nous lisons : « Apprenez à faire le bien ». Savez-vous d'où ces paroles sont tirées? Peu d'entre vous le savent, à ce que je crois. Et pourtant voilà des choses que nous vous lisons deux ou trois fois par semaine. Et, quand le lecteur arrive, il commence par citer le livre dont il cite un fragment : c'est tiré de tel Prophète, de tel apôtre, de tel évangéliste. Il vous le dit, pour vous faire mieux remarquer et retenir le passage, pour que vous en connaissiez la lettre , l'esprit et l'auteur. Mais toutes ces attentions sont peine perdue; vous ne pensez qu'à la vie présente, sans tenir aucun compte des choses spirituelles. Voilà pourquoi les événements même de cette vie présente ne sont pas conformes à ce que vous souhaitez; voilà pourquoi vous trouvez tant d'écueils sous vos pas. Le Christ ne dit-il pas : « Demandez le royaume de Dieu et vous obtiendrez avec lui tout le reste » (Matth. VI, 33) ; c'est-à-dire, que nous obtiendrons ;tout le reste par-dessus le marché. Mais nous intervertissons cet ordre ; c'est la terre que nous cherchons, et avec elle, tous les biens terrestres, comme si les autres nous devaient être donnés par surcroît Aussi n'avons-nous ni les uns ni les autres. Revenons donc enfin à la raison et désirons les biens à venir; avec eux, les autres nous arriveront. Car, lorsqu'on recherche les choses de Dieu; on obtient aussi nécessairement les biens terrestres, s'il faut en croire la vérité éternelle dont ce sont là les paroles. Recherchons donc les choses de Dieu, pour ne pas tout perdre. Dieu peut nous toucher et nous rendre meilleurs, par la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.
 


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