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Saint Jean Chrysostome
12 Homélies contre les Anoméens
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PREMIÈRE HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DE DIEU (1).
 

ANALYSE. Eloge de Flavien, sa charité. — Sens de ces mots : la science sera abolie. — Réfutation des Anoméens. — Le charitable orateur veut relever et non abattre ces adversaires. — Dieu est incompréhensible, non-seulement dans son essence, mais dans sa providence ; non-seulement dans sa providence en tant qu'elle gouverne la création entière, mais encore en tant qu'on la considère comme réglant les destinées d'un seul peuple, du peuple juif par exemple. — Exhortation.
 
 

1. Quoi donc ! le pasteur est absent, et les brebis viennent paître d'elles mêmes avec beau coup d'ordre dans ces champs sacrés. C'est le mérite du pasteur, que le troupeau montre la même exactitude en son absence qu'en sa présence. Lorsque les brebis, animaux dépourvus de raison, n'ont personne pour les conduire au pâturage, il faut ou qu'elles restent dans l'étable, ou que, si elles en sortent sans pasteur, elles errent au hasard dans la campagne : ici au contraire, quoique le pasteur soit absent, vous accourez de vous-mêmes dans le meilleur ordre aux pâturages accoutumés. Ou plutôt le pasteur n'est pas absent, je le vois ici présent, sinon en personne, du moins par le bon ordre qui règne dans son troupeau; et ce que j'admire surtout en lui, ce qui me le fait proclamer bienheureux, c'est qu'il ait su vous inspirer une si grande ardeur pour la règle; car nous admirons principalement un général, lorsque, même en son absence, ses troupes observent la plus
 
 

1 Traduction de l'abbé Auger revue et corrigée.
 
 

exacte discipline. C'est ce que saint Paul cherchait dans ses disciples lorsqu'il disait : Ainsi, mes très-chers frères, comme vous avez été toujours dociles, ayez soin, non-seulement en ma présence, mais encore plus en mon absence, d'opérer votre salut avec crainte et tremblement. (Philip. II, 12.) Pourquoi encore plus en mon absence ? C'est que si le loup attaque le troupeau lorsque le pasteur est présent, celui-ci l'écarte sans peine des brebis : au lieu que s'il est absent, elles éprouvent de toute nécessité le plus grand embarras, n'ayant personne pour les défendre. Ajoutons que le pasteur, quand il est présent, partage avec son troupeau le prix du zèle, et que, quand il est absent, il lui en laisse tout le. mérite. Votre pontife vous adresse les mêmes paroles que l'Apôtre; et dans quelque endroit qu'il se trouve, il pense à vous et à vos assemblées, moins occupé de ceux qui l’accompagnent que de vous qui êtes éloignés de lui.

Je connais sa charité, je sais combien elle (196) est ardente, toute de feu, et irrésistible`, je sais combien elle est profondément enracinée dans son âme, combien il est jaloux d'y rester fidèle. Il sait que la charité est la racine, le principe, la source de tous les biens, que sans elle toutes les autres vertus né nous sont d'aucune utilité. C'est la marque distinctive des disciples du Seigneur, le signe caractéristique des serviteurs de Dieu, l'indice auquel on reconnaissait les apôtres. C'est en cela, dit Jésus-Christ, que l'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. (Jean. XIII, 35.) Et en quoi le reconnaîtra-t-on? Sera-ce en les voyant ressusciter les morts, guérir les lépreux, chasser les démons? Non, sans doute; mais laissant tous ces privilèges : C'est en cela, dit-il, que l'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. Les prodiges sont de purs dons de la grâce d'en-haut, au lieu que la charité est aussi le mérite de la vertu de l'homme; et ce sont moins les dons d'en-haut qui font connaître une âme généreuse, que les vertus qui sont aussi le fruit de ses propres efforts. Voilà pourquoi Jésus-Christ annonce que l'on reconnaîtra ses disciples à la charité. En effet, aucune partie de la sagesse ne manque à celui qui est doué de la charité, il possède la vertu la .plus entière et la plus parfaite. Sans elle l'homme est dépourvu de tous les biens, c'est la raison pour laquelle saint Paul en fait un si magnifique éloge; ou plutôt tout ce qu'il peut en dire ne saurait atteindre à son excellence.

2. Eh! qui pourrait assez louer une vertu qui renferme toute la loi et les prophètes; une vertu sans laquelle la foi, la science, la connaissance des mystères, le martyre même, rien en un mot ne peut nous sauver? Quand j'aurais livré mon corps pour être brûlé, dit l'Apôtre, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien. ( I Cor. XIII, 3.) Et un peu plus bas, pour montrer qu'elle est la plus excellente de toutes les vertus, qu'elle en est la principale, il ajoute : Les prophéties s'anéantiront, les langues cesseront, la science sera abolie... Or, ces trois vertus, la foi, l'espérance et la charité demeurent, mais la plus excellente des trois est la charité.

Mais, en parlant de la charité, il se présente à nous une question qui n'est pas peu importante. L'anéantissement des prophéties et la cessation des langues n'ont rien qui m'étonne comme ces dons ne nous sont accordés que pour un temps, après avoir rempli pour nous leur office, ils peuvent cesser sans nous faire aucun tort. C'est ainsi qu'à présent les prophéties et le don des langues n'existent plus sans que l'économie de la piété en souffre. Mais l'abolition de la science, c'est là ce qui m'embarrasse.

Après avoir dit que les prophéties s'anéantiront et que les langues cesseront, saint Paul ajoute la science sera abolie. Mais si la science doit être abolie, notre nature se dégradera donc loin de se perfectionner; car, étant dépourvus de science, nous cesserons absolument d'être hommes. Craignez Dieu, dit l'Ecriture, et observez ses commandements, car c'est là tout l'homme . (Eccl. XII, 13.) Mais si craindre Dieu constitue l'homme, si la crainte de Dieu dépend de la science, et que la science, selon saint Paul, doive être abolie, la science n'existant plus, notre nature sera entièrement dégradée, nous n'aurons plus aucun avantage sur les animaux déraisonnables; ou même nous leur serons fort inférieurs, puisque c'est par la science que nous l'emportons sur eux autant qu'ils l'emportent sur nous par toutes les qualités corporelles. Que veut donc dire saint Paul, et quel est son but en annonçant que la science sera abolie? Il ne parle pas, sans doute, de la science parfaite, mais d'une science imparfaite; il appelle abolition un entier accroissement, de sorte qu'une science imparfaite sera abolie pour faire place à la science parfaite. Et comme l'âge de l'enfant est aboli, non parce que la substance de l'enfant est détruite, mais parce qu'en avançant en âge il parvient à l'état d'homme fait; il en sera de même de la science. Cette science, à présent si bornée, né sera plus bornée lorsqu'elle sera devenue pleine et entière. C'est là ce que veut dire le mot d'aboli; et c'est ce que saint Paul explique clairement lui-même dans la suite de son discours ; car afin que par le mot d'aboli vous n'entendiez pas une destruction entière, mais une augmentation et un parfait accroissement, après avoir dit : La science sera abolie, il ajoute : Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très-imparfait; mais lorsque nous serons dans l'état parfait, tout ce qui est imparfait sera aboli, de manière qu'il ne sera plus imparfait, mais parfait. C'est donc l'imperfection seule qui est abolie, et l'abolition dont parle l'Apôtre n'est qu'un plein accroissement, une perfection réelle.

3. Et considérez quelle est la pensée de saint (197) Paul : je vais rendre ses expressions à la lettre. Il ne dit pas : nous connaissons une partie, mais nous connaissons d'une partie, faisant entendre que nous ne saisissons qu'une partie d'une partie. Peut-être désirez-vous savoir quelle est la partie qui nous reste à connaître, quelle est celle que nous saisissons, si cette dernière est la plus grande ou la moindre. Afin donc que vous appreniez que vous ne saisissez que la moindre, et que même vous ne saisissez pas la millième partie, écoutez les paroles suivantes de l'Apôtre ; ou. plutôt, avant de le faire parler lui-même, je vais vous citer un exemple pour vous faire comprendre autant qu'il est possible, par ce moyen, quelle est la partie qui nous reste à connaître, quelle est celle que nous saisissons maintenant. Combien donc la science qui doit nous être donnée à l'avenir diffère-t-elle de celle que nous possédons à présent? Autant un homme fait diffère d'un enfant à la mamelle, autant la science future l'emporte sur la science présente. Et pour preuve que l'une des deux sciences est supérieure à l'autre autant que nous le disons, écoutons saint Paul lui-même. Après avoir dit (je rends toujours ses expressions à la lettre), après avoir dit que nous connaissons d'une partie, voulant montrer quelle est cette partie, et que nous ne saisissons que la moindre, possible, il ajoute : Lorsque j'étais enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant,  je raisonnais en enfant ; mais lorsque je suis devenu homme, je me suis défait de tout ce qui tenait de l'enfant. Il compare la science présente à l'état du plus petit enfant (car c'est la force du terme qu'il emploie) , et la science future à celui d'un homme parfait; et il ne dit pas lorsque j'étais enfant, mais : lorsque j'étais tout petit enfant , nous faisant voir qu'il parle d'un enfant encore à la mamelle. Pour vous convaincre que telle est d'ans l’Ecriture l'acception du mot dont. il fait usage, écoutez le psaume qui dit : Seigneur, notre souverain Maître, que la gloire de votre nom paraît admirable dans toute la terre ! votre grandeur est élevée au-dessus des cieux. Vous avez formé une louange parfaite dans la bouche des plus petits enfants, des enfants ci la mamelle. (Ps. VIII, 2 et 3.) Le Prophète-roi se sert de la même expression que l'Apôtre, et l'entend aussi dans le sens d'enfant à la mamelle. Ensuite le même saint Paul, voyant en esprit l'opiniâtreté de certains hommes qui viendraient après lui, ne s'est pas contenté d'un exemple unique, mais il confirme la même vérité par un second exemple, et même par un troisième. En effet, comme Moïse, envoyé aux Hébreux, reçut de Dieu le pouvoir d'opérer trois prodiges, afin que si les Juifs refusaient de croire le premier, ils écoutassent la voix du second, et que s'ils méprisaient le second, le troisième leur fît impression et les déterminât à recevoir le prophète : de même saint Paul, pour appuyer ce qu'il a envie de prouver, propose trois exemples ; celui d'un enfant : Lorsque j'étais enfant, dit-il, je jugeais en enfant; celui d'un miroir, et celui d'une énigme : après avoir dit: Lorsque j'étais enfant, il ajoute : Nous ne voyons maintenant que comme en un miroir et par des énigmes. Le miroir est donc le second exemple qu'il apporte de la faiblesse et de l'imperfection de la science présente; l'énigme est le troisième. Un enfant encore à la mamelle entend et articule quelques mots, il voit les objets qui l'environnent, mais il n'entend, ne voit, ne dit rien distinctement; il pense, mais il n'a que des idées confuses. De même moi, je connais un certain nombre de vérités dont j'ignore la raison. Je sais, par exemple, que Dieu est partout, qu'il est tout entier partout ; mais je ne sais comment. Je sais qu'il n'a point commencé d'être, qu'il n'a pas été engendré ; qu'il est éternel ; mais j'ignore comment : mon esprit ne peut concevoir une substance qui n'a reçu l'être ni d'elle-même ni d'une autre. Je sais qu'il a engendré le Fils; mais j'ignore comment. Je sais que l'Esprit-Saint procède de lui, mais je ne sais comment il en procède.. Je prends des aliments, mais j'ignore comment ils se changent en pituite, en sang, en humeur, en bile. Et nous, qui ignorons la nature des aliments que nous voyons et prenons tous les jours, nous prétendons scruter l'essence divine !

4. Où sont donc ceux qui se vantent d'avoir une science complète et entière, et qui par cela même tombent dans un abîme d'ignorance? En effet, ceux qui prétendent ici-bas connaître parfaitement les choses, se privent eux-mêmes pour la suite d'une science parfaite. Moi qui avoue ne connaître qu'une partie des objets, je m'avance vers la perfection, parce que ma science imparfaite s'abolit et devient plus parfaite; au lieu que celui qui se vante d'avoir déjà une science complète et entière, et qui (198) avoue que cette science sera abolie par la suite, déclare lui-même qu'il sera privé et de la science qu'il possède actuellement qui sera abolie, et d'une science plus parfaite qui la remplacerait, puisqu'à l'entendre il possède dès à présent une science parfaite et absolue. Vous voyez comme, en soutenant que dès cette vie ils connaissent parfaitement les choses, nos hérétiques n'ont pas la science qu'ils disent avoir ici-bas, et s'excluent eux-mêmes de celle qu'ils pourraient avoir dans une autre vie : tant c'est un grand mal de ne point rester dans les bornes que Dieu nous a prescrites dès le commencement ! C'est ainsi qu'Adam, trompé par l'espoir d'obtenir de nouvelles prérogatives, s'est vu déchu même de celles qu'il possédait. C'est ainsi que souvent les avares perdent ce qu'ils ont entre les mains par le désir d'avoir plus encore. C'est ainsi que ceux contre lesquels je m'élève, en se glorifiant de posséder ici-bas la science tout entière, sont dépouillés même de la partie qu'ils possèdent.

Je vous exhorte donc, mes très-chers frères, à éviter leur folie; car c'est le comble de la folie de soutenir que l'on connaît toute l'essence divine; et c'est ce que je vais prouver par les prophètes. Les prophètes n'annoncent pas seulement qu'ils ignorent l'essence de Dieu, ils sont même embarrassés de connaître toute l'étendue de sa sagesse. Cependant la sagesse n'est pas toute l'essence divine, elle n'en est qu'une partie. Or , puisque les prophètes ne peuvent comprendre entièrement même cette partie, ne serait-ce pas un excès de folie de croire qu'on peut soumettre à sa raison l'essence même de la divinité? Mais écoutons ce que dit le Prophète-roi de la sagesse de l'Etre suprême : Votre science est merveilleusement élevée au-dessus de moi. Reprenons d'un peu plus haut. Je vous louerai, mon Dieu, parce que votre grandeur a éclaté d'une manière effrayante. (Ps. CXXXVIII, 5 et 43.) Que veut-il dire par ces mots : d'une manière effrayante ? Il est beaucoup d'objets que nous admirons, mais sans frayeur; par exemple, la beauté d'un édifice, d'une peinture, ou du corps humain. Nous admirons aussi l'étendue de la mer, mais nous ne considérons qu'avec frayeur ses abîmes profonds et immenses. Ainsi lorsque le Prophète considère la profondeur et l'immensité de la sagesse divine, il en est ébloui; et, plein d'une admiration mêlée de frayeur, il se retire en s'écriant: Je vous louerai, mon Dieu, parce que votre grandeur a éclaté d'une manière effrayante. Vos ouvrages sont admirables. Votre science, dit-il encore, est merveilleusement élevée au-dessus de moi, elle me surpasse infiniment, et je ne puis y atteindre.

Voyez l'humble reconnaissance d'un serviteur docile. Je vous rends grâces, mon Dieu, dit David, de ce que vous êtes pour moi un maître incompréhensible. Il ne parle pas de l'essence divine, il n'en dit rien, parce qu'elle est reconnue comme incompréhensible; mais parlant de la présence de Dieu partout, il fait voir qu'il' ignore comment Dieu est présent partout. Pour preuve que c'est là l'objet qu'il a en vue, écoutez la suite de ses dernières paroles : Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous y êtes encore. Vous voyez comme Dieu est présent partout. Mais le prophète en ignore la raison : il est ébloui, embarrassé, effrayé de cette seule idée. N'est-ce donc point une folie extrême que des hommes qui sont bien éloignés d'être gratifiés des mêmes faveurs, entreprennent de scruter l'essence divine elle-même? Le même David dit dans un de ses psaumes : Vous m'avez révélé les secrets et les mystères de votre sagesse. (Ps. L, 8.) Lui cependant qui avait appris les secrets de la sagesse de Dieu, dit de cette même sagesse qu'elle est immense et incompréhensible : Le Seigneur est vraiment grand, dit-il; sa puissance est infinie, sa sagesse n'a point de bornes. (Ps. CXLVI, 5.) — Sa sagesse n'a point de bornes, c'est-à-dire qu'il est impossible de la comprendre. Comment, je vous prie ! la sagesse de Dieu est incompréhensible pour le Prophète, et son essence serait compréhensible pour nous! n'est-ce point une folie manifeste? sa grandeur n'a point de limites, et voies prétendez borner et circonscrire son essence !

5. Occupé à examiner la même question, le prophète Isaïe disait : Qui racontera la génération divine? (Is. LIII, 8.) Il ne dit pas : Qui raconte? mais : Qui racontera? afin d'exclure à la fois et les hommes de son temps et les races futures. David avait dit : Votre science est merveilleusement élevée au-dessus de moi; Isaïe déclare qu'il est impossible non-seulement à lui, mais à tout le genre humain présent et à venir, de raconter la génération du Très-Haut.

Mais voyons si l'Apôtre comme ayant reçu (199) une plus grande grâce, a connu ce qui était caché aux prophètes. C'est à lui que nous avons entendu dire : Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très-imparfait. Et ce n'est pas seulement dans ce passage, mais dans un autre où, parlant, non de l'essence de l'Etre suprême, mais de la sagesse qu'il montre dans sa providence; je ne dis pas cette providence universelle qui comprend les anges et les dominations supérieures; mais examinant dans cette providence la partie qui s'occupe des hommes sur la terre, et même une portion de cette partie : car il n'examine ni celle qui fait lever le soleil, ni celle qui anime les âmes, ni celle qui forme les corps, ni celle qui gouverne le monde, ni celle qui renouvelle chaque année la nourriture de l'homme et de tous les êtres ; mais laissant toutes ces parties de la providence divine, et n'en examinant qu'une légère portion, celle qui a réprouvé les Juifs et appelé les Gentils, ébloui à la vue de cette portion légère, comme à l'aspect d'une mer immense , ne voyant qu'une profondeur infinie, il se retire aussitôt, et s'écrie à haute voix : O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! que ses jugements sont impénétrables! (Rom. II, 33.) Il ne dit pas incompréhensibles, mais impénétrables; or, si on ne saurait les pénétrer, à plus forte raison ne saurait-on les comprendre. Que ses voies sont impossibles à découvrir! ses voies sont impossibles à découvrir et il serait possible de le comprendre lui-même ! Et que parlé-jn de ses voies ? les récompenses qu'il nous destine ne sont pas compréhensibles : L'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, l'esprit de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. (I Cor. II, 9.) Les dons de Dieu sont ineffables : Rendons grâces à Dieu, dit le même saint Paul, pour ses dons ineffables. (II Cor. IX, 15.) Et ailleurs : Sa paix surpasse tout sentiment. (Philip. IV, 7.) Quoi donc ! les jugements de Dieu sont impénétrables, ses voies impossibles à découvrir, sa paix surpasse tout sentiment, ses dons sont ineffables, l'esprit de l'homme n'a jamais conçu ce qu'il a préparé pour ceux qui l'aiment, sa grandeur n'a point de limites, sa sagesse n'a point de bornes, tout en Dieu est incompréhensible; et vous prétendez que Dieu lui-même est compréhensible ! Pourrait-on rien ajouter à une pareille folie?

Pressons l'hérétique dans ses derniers retranchements, et ne le laissons point partir sans le convaincre. Demandons-lui ce que veut dire saint Paul par ces mots : Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très-imparfait. Il ne parle pas, dira-t-il, de l'essence de Dieu, mais de ses desseins. S'il parle des desseins de Dieu, notre victoire sera beaucoup plus complète; car si les desseins de Dieu sont incompréhensibles, à plus forte raison l'est-il lui-même. Mais, pour preuve que l'Apôtre ne parle pas ici des desseins de Dieu, mais de Dieu lui-même, écoutons la suite du passage. Après avoir dit : Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très-imparfait, il ajoute : Je ne connais maintenant Dieu qu'imparfaitement et en partie ; mais alors je le connaîtrai, comme je suis moi-même connu. (I Cor. XIII, 9 et 12.) — De qui connu? est-ce de Dieu ou de ses desseins? c'est de Dieu, sans doute : c'est donc Dieu qu'il ne connaît qu'imparfaitement et en partie. Quand il dit en partie, ce n'est pas qu'il connaisse une partie de l'essence divine et qu'il ignore l'autre; car Dieu est un être simple mais voici le développement de sa pensée. S'il sait que Dieu existe, il ignore quelle est son essence; s'il sait qu'il est sage, il ignore quelle est l'étendue de sa sagesse ; s'il n'ignore point qu'il est grand, il ne tonnait point les limites de sa grandeur; s'il sait qu'il est partout, il ne sait pas comment il remplit tout de sa présence; s'il sait que sa providence s'étend sur tout et gouverne tout dans le plus grand détail, il ignore de quelle manière; voilà pourquoi il a dit: Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très-imparfait.

6. Mais laissant l'Apôtre et les prophètes, transportons-nous, si vous le voulez, dans les cieux, et voyons si là même il est des êtres qui connaissent l'essence divine. Quand il y aurait de pareils êtres, ils n'auraient rien de commun avec nous, vu la grande distance qui se trouve entre les anges et. les hommes; mais pour vous instruire par surcroît, pour vous apprendre que même dans le ciel il n'est point de puissance créée qui connaisse Dieu parfaitement, écoutons les anges eux-mêmes. Parlent-ils entre eux et dissertent-ils sur l'essence du Très-Haut ? Point du tout. Que font-ils donc? Pénétrés de frayeur et de respect ils le glorifient, l'adorent, lui adressent continuellement des hymnes triomphales et des chants (200) mystiques. Les uns lui disent: Gloire à Dieu au plus haut des cieux! (Luc. II, 14.) Les séraphins s'écrient: Saint, saint, saint! (Is. VI, 3) ils se couvrent le visage, et ne peuvent même soutenir les regards d'un Dieu qui tempère sa gloire. Les chérubins font retentir ces paroles : Bénie soit la gloire du Seigneur, du lieu où il réside! (Ezéch. III, 12.) Ce n'est point que Dieu, ait une place marquée: non, sans doute; mais c'est pour employer un langage humain; c'est comme si nous disions : dans quelque lieu qu'il existe , ou de quelque manière qu'il existe; s'il est même permis à l'homme de se servir de ces expressions humaines en parlant de Dieu. Vous voyez quelle crainte, et quel respect le ciel a pour le souverain Etre, et combien peu la terre le craint et le respecte. Les anges le glorifient, les hommes veulent scruter sa nature; les anges le bénissent, les hommes prétendent le connaître; les anges se couvrent le visage en sa présence, les hommes sans nulle pudeur osent porter leurs regards sur sa gloire ineffable. Qui ne gémirait, qui ne se lamenterait en voyant une telle folie, une telle extravagance ?

J'aurais voulu prolonger davantage mon discours; mais comme c'est aujourd'hui la première fois que je suis entré dans cette dispute, il me semble que pour votre avantage je dois me contenter de ce que j'ai déjà dit, de peur que la multitude des choses qui me restent à dire ne charge trop la mémoire de ceux qui m'écoutent. Je me propose, si telle est la volonté du Seigneur, de m'étendre encore par, la suite sur ce même sujet. Il y a longtemps déjà que j'avais de la peine à résister au désir qui me pressait de vous entretenir sur cette matière ; mais je différais toujours, parce que je voyais plusieurs de ceux qui sont infectés de l'erreur que j'attaque, m'écouter avec plaisir; et comme je craignais qu'ils ne s'éloignassent de nos assemblées, je remettais à ouvrir la dispute et à commencer le combat, jusqu'à ce que je fusse bien assuré de leur attention. Mais puisque, par la grâce de Dieu, je les ai entendus eux-mêmes m'exhorter et me presser d'entrer en lice, je l'ai fait avec plus de confiance, j'ai pris les armes propres à soumettre la raison humaine, propres à abattre toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu. Je les ai prises ces armes, non pour renverser nos adversaires, mais pour les relever de leur chute; car elle est leur vertu, en même temps qu'elles frappent les opiniâtres, elles traitent avec soin les plaies des auditeurs dociles ; elles ne font pas de blessures, elles guérissent ceux qui sont blessés.

7. N'attaquons donc pas nos adversaires avec aigreur ni emportement; montrons-nous modérés dans la dispute, parce qu'il n'est rien de plus fort que la douceur et la modération. Voilà pourquoi saint Paul est si attentif à nous exhorter de ne nous départir jamais de ces vertus. Un serviteur du Seigneur, dit-il, ne doit pas se livrer à la contestation, mais il doit être doux à l'égard de tout le monde. (II Tim. II, 24.) Il ne dit pas : à l'égard de ses frères, mais: à l'égard de tout le monde. Que votre modestie, dit-il dans un autre endroit, soit connue; il ne dit pas : de vos frères, mais : de tous les hommes. (Philip. IV, 5.) Quel mérite avez-vous, dit l'Evangile, à aimer ceux qui vous aiment?

Si l'amitié des hérétiques et des infidèles vous est nuisible, si en les fréquentant ils vous entraînent dans l'impiété, quand ils vous auraient donné le jour, retirez-vous; quand ce serait votre oeil , il faut l'arracher : Si votre oeil droit vous scandalise, dit Jésus-Christ, arrachez-le. (Matth. V, 29.) Il ne parle point de l’oeil corporel, puisque s'il parlait du corps, ce serait accuser l'auteur de la nature. D'ailleurs, il ne faudrait pas arracher un seul oeil, puisque si l'œil gauche restait, il pourrait vous scandaliser également. Mais afin que vous sachiez que Jésus-Christ ne parle pas de l'oeil corporel, il nomme l'œil droit. Quand vous auriez un ami aussi précieux que l’œil droit, chassez-le, retranchez-le de votre amitié, s'il vous scandalise; car à quoi vous sert-il d'avoir un œil s'il doit perdre le reste du corps. Si donc, comme je le disais, l'amitié des hérétiques et des infidèles nous est nuisible, retirons-nous et fuyons; s'ils ne nous font aucun tort pour la piété, tâchons de les attirer à nous. Si, sans être utile à votre ami, vous en recevez quelque préjudice, gagnez du moins en vous retirant de n'avoir éprouvé aucun mal. Fuyez l'amitié des hérétiques et des infidèles, si elle vous est préjudiciable ; fuyez seulement, ne contestez pas; ne disputez pas avec animosité ; c'est le conseil que vous donne saint Paul : Autant qu'il est en vous, ayez la paix, s'il est possible, avec tous les hommes. (Rom. XII, 18.) Vous êtes serviteur d'un Dieu de paix, d'un Dieu qui, après avoir chassé les. démons et (201) comblé les Juifs de biens, traité par ceux-ci d'homme possédé du démon, n'a pas fait .tomber sur eux sa foudre, n'a pas écrasé des opiniâtres, des ingrats, qui ne répondaient à ses bienfaits que par des injures. Il pouvait les punir d'une manière éclatante, il s'est contenté de repousser leur reproche par ces mots : Je ne suis point possédé du démon, mais j'honore Celui qui m'a envoyé. (Jean, VIII, 49.) Lorsque le serviteur du grand prêtre le frappa, que lui dit-il ? Si j'ai mal parlé, faites voir le mal que j'ai dit; si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? (Jean, XVIII, 23.) Le Maître des anges se justifie, il rend compte à un simple serviteur; est-il besoin de longues réflexions ? Repassez seulement ces paroles en vous-même, et répétez sans cesse : Si j'ai mal parlé, faites voir le mal que j'ai dit; si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? Songez à Celui qui prononce ces paroles, à celui auquel il les adresse, au motif qui les lui fait prononcer, et ces paroles seront pour vous un charme divin toujours prêt, qui pourra adoucir votre âme lorsqu'elle s'emportera. Songez à la majesté de Celui qui a été outragé, à la bassesse de celui qui a outragé, et à l'excès de l'outrage. Ce misérable ne s'est pas contenté d'injurier, il a frappé ; et il n'a pas frappé simplement, mais sur la joue, ce qui est le plus sanglant des affronts. Le Fils de Dieu cependant a tout supporté, afin de vous donner un grand exemple de modération et de douceur. Ne réfléchissons pas seulement ici sur ces paroles, mais rappelons-nous-les lorsque l'occasion s'en présentera. Vous avez applaudi à mes discours, montrez-moi par vos oeuvres que vous les approuvez. Un athlète s'exerce dans le gymnase, afin de montrer dans des combats véritables l'utilité de ces exercices; de même vous, lorsque la colère s'emparera de votre âme, montrez le fruit que vous avez retiré de nos discours, et répétez continuellement cette parole : Si j'ai mal parlé, faites voir le mal que j'ai dit ; si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? Gravez cette parole dans votre coeur ; je ne vous la répète si souvent, qu'afin que tous les mots qui la composent restent imprimés dans votre mémoire, pour n'en être jamais effacés, et afin que le souvenir vous en soit utile. Si nous gardons cette parole au fond de notre âme, il n'y aura personne assez dur, assez féroce, assez insensible, pour se laisser emporter à la colère. Elle sera le meilleur des freins pour arrêter l'intempérance de notre langue, pour réprimer les emportements de notre orgueil, pour nous retenir dans les bornes de la modération, et faire habiter en nous une paix parfaite. Puissions-nous jouir toujours de cette paix par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui soient avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'empire et l'adoration, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

DEUXIÈME HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DE DIEU.
 

ANALYSE. En traitant des choses divines, c'est la foi et non la raison qui doit nous guider. — Les Anoméens prétendent connaître Dieu comme il se connaît lui-même. — C'est outrager Dieu que de scruter son essence avec trop de curiosité. — Il faut être modéré dans les discussions avec les hérétiques.

Plusieurs jours auparavant, saint Chrysostome avait prêché contre les Anoméens, ensuite contre les Juifs. — Il avait cessé à cause de la présence des évêques et de la solennité des martyrs. — Maintenant il reprend la parole contre les Anoméens sur la nature incompréhensible de Dieu.
 
 

1. Recommençons la lutté contre les hérétiques Anoméens. S'ils s'indignent d'être appelés infidèles, qu'ils repoussent la chose, et je tairai le nom. Qu'ils s'abstiennent de toute pensée hérétique, et je m'abstiendrai de toute appellation injurieuse. Si, par leurs oeuvres, ils déshonorent la foi, s'ils s'avilissent sans pudeur, pourquoi s'irritent-ils contre moi, quand je ne fais que leur reprocher par mes paroles ce qu'ils étalent dans leur conduite? Vous vous en souvenez; naguère, quand nous descendîmes dans cette arène pour livrer ces mêmes combats, il nous fallut soudain les interrompre pour lutter contre les Juifs; il eût été dangereux de négliger nos propres membres malades. Il est toujours temps de parler contre les Anoméens. Mais nos frères malades et entraînés vers le judaïsme, si nous ne nous étions hâtés de les secourir et de les retirer de l'abîme, les avis leur seraient bientôt devenus inutiles; il fallait prévenir le péché qu'ils auraient commis en jeûnant avec les Juifs contrairement aux lois de l'Eglise. Ces combats terminés, de tous côtés accoururent ici nos Pères spirituels, et alors il ne convenait pas de faire entendre notre voix, au milieu d'une assemblée tout ensemble si auguste et si nombreuse. Après leur départ, survinrent les fêtes de plusieurs martyrs, et il ne fallait pas négliger les louanges de ces athlètes du Christ. Je vous is et raconte tout ceci, pour vous montrer que ce n'est pas par négligence ou paresse que j'ai différé jusqu'ici de vider notre différend avec les Anoméens.

Mais nous voici délivrés de la lutte contre les Juifs; nos Pères se sont retirés dans leurs demeures, nous avons assez célébré les louanges des martyrs; reste à satisfaire par nos paroles votre longue attente. Car, je le sais, vous ne désirez pas moins vivement de m'entendre que moi de vous parler au sujet: des Anoméens. La cause de cette impatience, c'est l'amour que notre ville porte depuis si longtemps à Jésus-Christ. Vous avez reçu cet héritage de vos pères, de ne jamais laisser altérer les dogmes de la religion. Où en est la preuve? Autrefois, du temps de vos ancêtres, des hommes vinrent de la Judée; ils pervertissaient la doctrine enseignée par les apôtres, ils voulaient imposer la circoncision et l'observation de la (204) loi mosaïque. Ceux qui habitaient alors votre ville ne souffrirent pas en silence cette nouveauté. Mais tels que des chiens généreux qui voient le loup s'approcher pour disperser le troupeau, ils attaquèrent ces novateurs, et ils ne cessèrent de les combattre et de les repousser, jusqu'à ce que les apôtres, sur leurs instances, eussent envoyé par toute la terre des décisions pour confondre ces hérétiques et tous ceux qui, dans la suite, troubleraient ainsi les fidèles.

2. Par où faut-il engager la lutte? Par où, si ce n'est par l'accusation d'hérésie? Ils font tous leurs efforts pour détruire la foi dans l'esprit des auditeurs; peuvent-ils commettre un plus grand crime contre la religion? Lorsque Dieu révèle un dogme, il faut recevoir sa parole avec foi, sans la soumettre à une discussion téméraire. Qu'un de ces hommes m'appelle hérétique, je ne m'en fâche point. Pourquoi? parce que mes oeuvres montrent ce que je suis. Que dis-je, qu'il m'appelle hérétique? qu'il m'appelle même fou dans le Christ; je m'en glorifie comme d'une couronne. Car je partage ce nom avec saint Paul. Cet apôtre dit : Nous sommes fous à cause de Jésus-Christ. (I Cor. IV, 10.) Cette folie est plus prudente que toute sagesse. Car ce que la sagesse du siècle n'a pu trouver, la folie selon Jésus-Christ l'a accompli; elle a chassé les ténèbres du monde, et a fait briller la lumière de la vraie science. Qu'est-ce donc que la folie selon Jésus-Christ? Réprimer les excès désordonnés de notre raison, débarrasser et dégager notre intelligence de toute science mondaine , la maintenir libre et pure pour recevoir les enseignements de Jésus-Christ et les paroles divines.

En effet, quand Dieu nous révèle quelque chose, nous devons le croire avec soumission, et repousser toute vaine curiosité. En pareille matière, chercher les causes, demander les raisons, scruter le mode, c'est le propre d'un esprit audacieux et téméraire. Je veux vous le montrer d'après les saintes Ecritures. Zacharie, ce grand homme, cet homme si admirable, élevé à la dignité de grand prêtre, à qui Dieu avait confié le soin de tout son peuple, Zacharie entra dans le saint des saints, dans le sanctuaire même où seul entre tous les hommes il pouvait alors pénétrer. Remarquez qu'il tenait la place de tout le peuple, de sorte qu'il offrait des prières pour tout le peuple, et rendait le Seigneur propice à ses serviteurs (voyez quelle autorité !); il était comme un médiateur entre Dieu et les hommes. Etant donc entré dans le saint des saints, Zacharie vit un ange ,à l'intérieur : cette vue le frappa de terreur; mais l'ange lui dit : Ne craignez pas, Zacharie, votre prière a été exaucée, et voici que vous aurez un fils. (Luc, I, 13.) Quel est le rapport de ces paroles entre elles? Zacharie prie pour le peuple, intercède pour les pécheurs, demande pardon pour ses frères, et l'ange lui dit: Ne craignez pas, votre prière est exaucée; et pour preuve qu'il est exaucé, il lui annonce la naissance d'un fils appelé Jean. Ce rapport, le voici : Zacharie, qui priait pour les péchés du peuple , allait avoir pour fils celui qui devait crier : Voici- l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. (Jean, I, 29.) C'est donc justement que l'ange dit : Votre prière est exaucée, vous aurez un fils.

Mais que fait Zacharie ? N'oublions pas la question qui nous occupe: nous voulons montrer que c'est une faute impardonnable que de scruter témérairement les oracles divins au lieu de les recevoir avec soumission. Il considère son âge, ses cheveux blancs, son corps débile. Il se rappelle que sa femme est stérile, il doute, il veut savoir comment la chose se fera, et il dit : A quoi reconnaîtrai je la vérité de ce que vous m'annoncez ? Comment cela peut-il se faire? je suis vieux, mes cheveux ont blanchi; ma femme est stérile et avancée en âge; avec cette double impuissance de la vieillesse et de la nature, comment croire à l'accomplissement de vos promesses? Plusieurs ne trouveront-ils pas bien raisonnable cette défiance ainsi motivée? Dieu n'en jugea pas ainsi, et avec raison. Lorsque Dieu parle, il faut se soumettre en silence , et ne pas objecter l'ordre habituel des choses, la nécessité de la nature, ni aucun motif semblable, parce que la puissance divine est au-dessus de tout cela, et que rien ne peut lui résister. Que fais-tu, ô homme? Dieu révèle, et tu te rejettes sur ton âge, tu objectes la, vieillesse? Est-ce que la vieillesse peut triompher de la promesse divine? La nature est-elle plus puissante que le Créateur de la nature? Ignorez-vous la force de sa parole? La parole de Dieu a fait le ciel; cette parole a produit les créatures; cette parole a créé les anges, et vous doutez de la naissance d'un fils ! Aussi l'ange s'irrite, et il n'épargne pas la dignité sacerdotale; et même à cause de cette dignité, il (205) châtie plus sévèrement. Car celui qui était comblé de plus d'honneur, devait avoir une foi plus grande. Et quel est le châtiment? Vous allez devenir muet, et vous ne pourrez plus parler. (Ibid. 20.) Votre langue, qui a servi à manifester votre incrédulité, en subira elle-même le châtiment. Vous allez devenir muet, et vous ne parlerez plus, jusqu'au jour où ceci arrivera. Voyez la bonté de Dieu ! Vous vous défiez de moi, dit-il, recevez maintenant le châtiment, et lorsque l'événement aura confirmé ma parole, alors j'apaiserai ma colère. Quand vous aurez reconnu la justice de votre punition, alors je la ferai cesser. Ecoutez , Anoméens, comment Dieu s'irrite contre la vaine curiosité. Si Zacharie est puni pour n'avoir pas cru à la naissance d'un homme, dites-moi, comment éviterez-vous le châtiment, vous qui scrutez la génération ineffable de Dieu? Zacharie n'a rien affirmé, il a voulu apprendre, et il ne fut pas épargné. Vous qui prétendez connaître les choses invisibles et incompréhensibles, quelle sera votre excuse? quel châtiment n'attirez-vous pas sur vous?

3. Mais nous parlerons en temps convenable de la génération divine. En attendant, reprenons le premier raisonnement que nous avons abandonné; efforçons-nous d'arracher cette racine maudite, la cause de tous les maux et d'où sont sorties ces doctrines perverses. Quelle est la cause de tous ces maux? Oui, l'horreur arrête ma langue prête à la nommer. Ma bouche se refuse à raconter les sacrilèges que leur esprit médite. Quelle est donc la source de ces maux? Un homme a osé dire : Je connais Dieu comme Dieu se connaît lui-même. Fautif ici discuter et combattre? Ne suffit-il pas d'énoncer' cette proposition pour en montrer toute l'impiété? C'est une folie manifeste, une extravagance impardonnable, un genre inouï d'impiété. Jamais personne n'eut une telle prétention, ne tint un pareil langage. Pense donc, malheureux, qui tu es, et qui tu prétends connaître ! Homme, tu veux scruter Dieu ! Ces deux noms seuls démontrent la grandeur de cette folie. Homme, c'est-à-dire terre et poussière, sang et chair, herbe et fleur des champs, ombre, fumée et vanité , tout ce qu'il y a de plus chétif et de plus vil l Et ne m'accusez pas de ravaler par ces paroles la nature humaine. Ce n'est- pas moi , ce sont les prophètes qui s'expriment ainsi, non pour déprécier notre race, mais pour abattre l'orgueil des insensés; non pour avilir notre nature, mais pour humilier l'arrogance des superbes. Et si, malgré ce langage énergique, nous rencontrons néanmoins des hommes qui l'emportent sur le démon par leur jactance, dites-moi, dans quel abîme de folie ne seraient-ils pas tombés, sans ces oracles divins? Malgré le remède tout préparé, ils sont remplis d'eux-mêmes; à quel excès d'orgueil et d'arrogance n'en seraient-ils pas venus, si les prophètes n'avaient dévoilé aussi clairement la bassesse de notre nature?

Ecoutez donc ce que dit de lui-même le saint patriarche : Je suis terre et cendre. (Gen. XVIII, 27.) Il s'entretenait avec Dieu, et loin de s'enorgueillir de cette faveur, il n'en devient que plus humble. Ces hérétiques au contraire qui ne valent pas même l'ombre d'Abraham, croient valoir mieux que les anges eux-mêmes; n'est-ce pas la preuve d'une extrême démence? Dites-moi, vous scrutez Dieu, Dieu qui est sans commencement, immuable, incorporel, incorruptible, présent partout, infiniment supérieur à toute créature. Ecoutez ce que disent de lui les prophètes et craignez : Il regarde la terre, et il la fait trembler. (Ps. CIII, 32.) Il n'a qu'à regarder et il ébranle ce globe immense. Il touche les montagnes, et elles s'en vont en fumée. (Ibid.) Il secoue le monde jusque dans ses fondements, et ses colonnes chancèlent; il menace la mer, et la met à sec. (Job. IX, 6.) Il dit à l’abîme : tu seras désert. (Ps. XLIV, 27.) La mer le vit, et s'enfuit; le Jourdain remonta vers sa source; les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme des agneaux. (Ps. CXIII, 3.) Toute la création tressaille, s'épouvante et frémit. Ces hommes seuls négligent, méprisent, dédaignent leur propre salut, car je n'oserais dire le Maître du monde.

Naguère, nous leur montrions l'exemple des puissances célestes, des anges, des archanges, des chérubins, des séraphins; nous leur apportons maintenant celui. des créatures insensibles, et ils n'en sont pas touchés. Ne voyez-vous pas ce ciel si beau, si vaste, couronné de ces innombrables choeurs d'étoiles? Depuis quand existe-t-il? Il y a cinq mille ans et plus qu'il dure tel; et cette longue suite de siècles ne l'a pas fait vieillir. Comme un jeune homme robuste jouit de la plénitude et de la force de. l'âge, ainsi le ciel a toujours conservé sa beauté première; et le temps ne l'a point affaibli. Mais ce beau ciel vaste, brillant, splendide, incorruptible et bravant les ravages du temps, c'est (206) ce Dieu que vous scrutez, que vous circonscrivez dans les limites de la raison, c'est ce Dieu qui l'a créé aussi facilement que l'homme qui construit une cabane en se jouant. Isaïe dit à ce sujet : Il a suspendu le ciel comme une voûte, et l'a déployé comme une tente sur la terre. (Is. XL, 22.) Voulez-vous aussi considérer la terre? Il l'a créée de rien. Il dit en parlant de celui-là : Dieu a suspendu le ciel comme une voûte, et il l'a déployé comme une tente sur la terre. Et en parlant de celle-ci : Il embrasse le globe de la terre, et il a créé la terre comme un néant. Voyez-vous comment à ses yeux cette masse effrayante n'est qu'un néant?

4. Considérez maintenant la masse des montagnes, la diversité des peuples, la hauteur et la multitude des plantes, le nombre des villes, la grandeur des monuments, la quantité de quadrupèdes, de bêtes sauvages, de reptiles de toute sorte, qui sont sur la surface du globe. Et cependant il a créé si facilement cette terre immense, que le prophète, ne trouvant pas d'exemple de cette facilité, dit qu'il l'a créée comme un néant. Comme la grandeur et la beauté du monde visible ne suffisent pas à nous montrer la puissance du Créateur, et sont bien éloignées de la majesté et de la force de celui qui a tout fait, les prophètes ont trouvé une autre manière pour nous donner, autant que possible, une plus grande idée de la puissance divine. Quelle est-elle donc? La voici : Ils font voir, non-seulement la grandeur des créatures, mais aussi le mode de la création. Alors, contemplant d'un côté l'immensité des choses créées, de l'autre, la facilité de la création, nous pouvons, selon nos forces, nous faire une juste idée de la puissance de Dieu. N'examinez donc pas la grandeur seule de l'oeuvre, mais aussi la facilité d'exécution dans l'ouvrier. Non-seulement la terre, mais encore la nature de l'homme nous enseigne cette vérité. Le Prophète dit : Il embrasse le globe de la terre, et ses habitants sont pour lui comme des sauterelles. (Is. XL, 22.) Et ailleurs : Toutes les nations sont devant lui comme une goutte d'eau. (Ibid. 16.) Ne laissez point passer inaperçue cette parole ; méditez-la attentivement. Parcourez toutes les nations, les Syriens, les Ciliciens, les Cappadociens, les Bithyniens, les habitants du Pont-Euxin, la Thrace, la Macédoine, la Grèce entière, les Iles, l'Italie, ceux qui sont au delà de notre continent, les Bretons, les Sauromates, les Indiens, les Perses, les peuplades et les tribus innombrables dont nous ne connaissons pas même les noms toutes ces nations sont comme une goutte d'eau devant lui. Qu'êtes-vous dans cette goutte, dites-moi, pour oser scruter Dieu, devant qui toutes les nations sont comme une goutte d'eau ?

Pourquoi parler du ciel, de la terre, de la mer, du genre humain? Montons au ciel par la pensée, abordons les anges. Un seul ange, vous le savez, est égal et même de beaucoup supérieur à toute cette création visible. Or, si ce monde tout entier n'est pas digne de l'homme juste, comme dit saint Paul : Le monde n'en était pas digne (Hébr. XI, 38), à plus forte raison, n'est-il pas digne d'un ange. Car les anges l'emportent sur l'homme juste. Cependant au ciel habitent des myriades de myriades d'anges et d'archanges, des Thrônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances, d'innombrables tribus, des peuples inénarrables de vertus incorporelles; et Dieu a produit toutes ces créatures avec une facilité qu'aucune parole ne peut exprimer. Il lui a suffi de vouloir : pour nous, vouloir n'est pas une fatigue, ainsi fut pour lui la création de ces Vertus si parfaites et si nombreuses. C'est ce que dit le Prophète : Tout ce qu'il a voulu, il l'a fait au ciel et sur la terre. (Ps. CXXXIV , 6.) Remarquez-le, sa volonté seule a suffi pour produire non-seulement la terre, mais aussi les puissances d'en-haut. Et à cette vue, vous ne pleurez pas sur vous-même? vous ne vous cachez pas sous terre pour avoir osé dire que vous pouviez scruter et comprendre, comme la plus vile créature, Celui qu'il ne faut que glorifier et adorer? Aussi saint Paul comblé des dons de la sagesse, voyant l'incomparable excellence de Dieu, et la bassesse de la nature humaine, s'indigne contre cette curiosité téméraire, et s'écrie avec véhémence : O homme ! qui es-tu, pour répondre à Dieu ? (Rom. IX, 20.) Qui es-tu? Connais d'abord ta nature, car aucun mot ne peut exprimer ta bassesse ?

5. Mais, direz-vous, je suis homme, je jouis de ma liberté. — Vous en jouissez non pour résister, mais pour obéir à Celui qui vous l'a donnée. Dieu vous a honoré, pour recevoir de vous la gloire et non des outrages. Or vous l'outragez, en scrutant son essence. Accepter aveuglément ses promesses, c'est le glorifier, et (207) chercher à pénétrer et à comprendre non-seulement ce qu'il a manifesté, mais ce qu'il est lui-même, c'est l'insulter. Qu'on l'honore en acceptant ses promesses sans discuter, écoutez saint Paul nous le dire en parlant de l'obéissance et de la foi d'Abraham : Il considéra son corps déjà comme mort, et la stérilité de Sara. Cependant il n'hésita pas, il n'eut pas la moindre défiance de la promesse divine, mais il se fortifia par la foi. (Rom. IV, 19.) La nature, l'âge, le jettent dans le doute; la foi soutient son espérance. Il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu, pleinement assuré qu'il peut faire tout ce qu'il a promis. (Ibid. 20 .) Voyez comment, par son entière soumission à la parole divine, il rend gloire à Dieu. Si donc il glorifie Dieu, celui qui croit en lui, celui qui ne croit pas attire sur soi-même l'outrage qu'il fait à Dieu. Qui es-tu pour répondre à Dieu ? Voulant ensuite nous montrer la distance qu'il y a entre Dieu et l'homme, saint Paul ne peut y parvenir. Toutefois l'exemple qu'il apporte est capable de nous en faire concevoir une grande idée. Quelles sont ses paroles ? Le vase d'argile dit-il à celui qui l'a fait : Pourquoi m'avez-vous fait ainsi ? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse un vase d'honneur ou un vase d'ignominie? (Rom. IX, 20.) Que répondez-vous? — Je dois donc me soumettre à Dieu, comme l'argile au potier? — Oui, car la distance de l'homme à Dieu est celle de l'argile au potier, et même elle est plus grande et beaucoup plus grande. En effet, l'essence de l'argile et du potier est la même, comme Job le déclare : Je laisse ceux qui habitent des maisons d'argile, nous sommes formés du même limon. (Job. IV, 19.) Si l'homme paraît plus beau et plus parfait, il le doit non à la diversité de la matière, mais à la sagesse de l'ouvrier, puisque a matière est la même. Si vous ne le croyez pas, interrogez les sépulcres et les urnes funéraires. Allez sur les tombeaux de vos ancêtres, et vous verrez qu'il en est ainsi. Entre l'argile donc et le potier, aucune différence. Mais entre l'essence divine et l'homme, la distance est si grande, qu'aucune parole ne peut l'exprimer, aucune intelligence la mesurer. De même que l'argile docile entre les mains du potier, se laisse manier, porter, travailler par lui à son gré, vous aussi soyez muets comme l'argile devant Dieu, et obéissants comme elle à ses desseins. Ce n'est pas pour détruire nos facultés ou anéantir notre libre arbitre que saint Paul parle ainsi , mais pour réprimer énergiquement notre arrogance.

Si vous le désirez, examinons cette question. Que voulaient connaître ceux que l'Apôtre réprime si énergiquement? l'essence divine? nullement. Personne ne l'eût osé. C'était quelque chose de bien inférieur. Ils cherchaient à connaître les desseins de Dieu : pourquoi l'un est puni, l'autre traité avec miséricorde; pourquoi celui-ci est exempt de châtiments, celui-là accablé de maux; pourquoi le pardon est offert à l'un et non à l'autre. Voilà ce qu'ils discutaient. Cela ressort des paroles précédentes. Après avoir dit : Il fait donc miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. Vous me direz: pourquoi se plaint-il ? qui résiste à sa volonté? L'Apôtre ajoute : O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? (Rom. IX, 18, 19, 20.) Saint Paul réprime donc l'audace de ceux qui s'ingèrent dans les choses de Dieu. Il ne leur permet pas cette curiosité. Vous qui voulez sonder l'essence infinie qui gouverne tout, ne méritez-vous pas d'être écrasé sous les foudres du ciel? N'est-ce pas une extrême folie? Ecoutez le Prophète, ou plutôt Dieu parlant par sa bouche : Si je suis votre père, où est mon honneur, et si je suis votre Seigneur, où est la crainte que vous me devez ? (Malach. I, 6.) Celui qui craint, ne discute pas, il adore; il ne scrute pas, il loue et glorifie. Voilà ce que vous enseignent les Vertus des cieux et saint Paul. L'Apôtre n'a garde de tomber lui-même dans le défaut qu'il reproche aux autres. Il déclare expressément aux Philippiens qu'il n'a qu'une science partielle et incomplète : Je ne pense point encore avoir compris (Philip. III , 13), leur dit-il. Il avait déjà dit aux Corinthiens: Nous ne connaissons qu'en partie. Quoi de plus explicite et de plus clair ? D'une voix plus éclatante que la trompette, il. crie à toute la terre : Aimez et conservez précieusement la mesure de science qui vous est donnée, mais ne croyez pas avoir reçu la science parfaite. —Eh quoi ! grand apôtre, c'est le Christ lui-même qui parle en vous, et vous dites : Je ne pense point encore avoir compris ! — Et c'est précisément, répond-il parce que le Christ parle en moi que je tiens ce langage. C'est lui qui me l'inspire. Si donc ces hommes n'étaient complètement privés du secours du Saint-Esprit , s'ils n'avaient repoussé de leur âme toute sa vertu, lorsque saint Paul dit : Je ne pense point encore avoir (208) compris, ces hommes, dis-je, ne s'imagineraient pas avoir tout compris, et posséder la plénitude de la science.

6. Vous me direz peut-être que dans cet endroit l'Apôtre parle de la foi, de la science et des dogmes de la religion, et non des moeurs et des devoirs de la vie ; comme s'il voulait dire Je ne suis pas instruit à fond des devoirs du chrétien. Lui-même va éclaircir la question : J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; il ne me reste qu'à attendre la couronne de la justice. (II Tim. IV, 7.) Celui qui a achevé sa course et va être couronné, ne dirait pas : Je ne pense point encore avoir compris la justice et la vertu. Car ce qu'il faut faire ou ne pas faire, n'est ignoré de personne; tous les membres de la race humaine, les Barbares, les Perses, les peuples les plus grossiers connaissent la voie du devoir. Afin de faire cesser tout doute, je veux vous réciter la suite de ce passage. Après avoir dit: Gardez-vous des chiens, gardez-vous des ouvriers d'iniquité. (Philip. III, 2) ; après avoir beaucoup parlé contre les judaïsants, il continue: Ce que je considérais alors comme un gain, je le regarde comme une perte à cause de Jésus-Christ. Bien plus, tout me semble une perte afin que je sois trouvé, ayant non la justice qui vient de la Loi, mais la justice qui vient de Dieu par la foi en Jésus-Christ. (Ibid. 7, etc.) Il montre ensuite quelle est cette foi : C'est de connaître Jésus-Christ, la vertu de sa résurrection, et la participation de ses souffrances. Qu'est-ce que la vertu de sa résurrection? Jésus-Christ, au sentiment de l'Apôtre, est ressuscité d'une manière toute nouvelle. Beaucoup de morts ont déjà ressuscité avant Jésus-Christ , mais aucun de la même manière que lui. Les uns, après leur résurrection, retournèrent en poussière; arrachés un moment à la tyrannie de la mort, ils retombèrent bientôt sous son empire. Le corps de Notre-Seigneur ressuscité ne retourna pas en poussière, il monta dans les cieux, il brisa pour toujours le joug de l'ennemi, en ressuscitant il renouvela toute la terre , et il est maintenant assis sur le trône royal de l'éternité. Voilà la vertu de la résurrection du Sauveur.

Saint Paul comprenait tout cela, et pour faire voir que la raison ne peut démontrer de si grandes merveilles, mais que la. foi seule les dévoile et les enseigne, il dit : C'est par la foi qu'il faut connaître la vertu de sa résurrection. Si la raison ne peut comprendre la résurrection ordinaire (laquelle en effet est au-dessus de la nature humaine et des lois de ce monde), quelle raison pourra comprendre cette résurrection qui surpasse toutes les autres? Aucune. La foi seule est notre guide, elle seule peut nous faire croire qu'un corps mortel est ressuscité, et qu'il a reçu une vie immortelle, sans fin et sans limite. C'est ce que l'Apôtre indique ailleurs par ces paroles : Jésus-Christ ressuscité ne mourra plus, la mort n'aura plus d'empire sur lui. (Rom. VI, 9.) Double merveille : ressusciter et ressusciter ainsi. Voilà pourquoi il dit C'est par la foi qu'il faut connaître la vertu de sa résurrection. Si la raison ne peut concevoir la résurrection, combien moins encore concevra-t-elle la génération divine ! Parlant de ces mystères , et aussi de la Croix et de la Passion, saint Paul les soumet tous à la vertu de la foi, et il termine en ajoutant : Mes frères, je ne pense point encore avoir compris. Il ne dit pas : je ne pense pas savoir, mais avoir compris. Ce n'est pas une ignorance complète, ni une science parfaite. Par ces mots : je ne pense pas avoir compris, il indique qu'il est sur la voie, qu'il marche, qu'il avance, mais qu'il n'a pas encore atteint le but. C'est ce dont il avertit les autres en ces termes : Nous tous qui sommes parfaits, demeurons dans ces sentiments; s'il en faut changer, Dieu nous le révélera. (Philip. III, 15.) Ce n'est pas la raison qui enseignera, mais Dieu qui éclairera. Il est clair qu'il ne s'agit pas ici de morale, mais des dogmes de la foi ? Les vérités morales et naturelles n'ont pas besoin de révélation, mais bien les dogmes et la science de la religion. Ailleurs parlant sur le même sujet, il dit : Si quelqu'un croit savoir quelque chose, il ne sait encore rien, comme il faut savoir. (I Cor. VIII, 2.) Il ne dit pas simplement : il ne sait rien; mais: il ne sait rien comme il faut savoir. Il possède une certaine science , mais non une science exacte et parfaite.

7. Pour vous montrer la vérité de ces assertions, laissons de côté les Puissances célestes, et descendons, si vous le voulez, à la création visible. Voyez-vous ce ciel? Qu'il ait la forme d'une voûte, nous le savons non par le raisonnement, mais par l'Ecriture sainte. Qu'il environne toute la terre , nous l'apprenons à la même source. Quelle est son essence, nous l'ignorons. Si. quelqu'un prétend le contraire, qu'il nous dise quelle est la substance du ciel (209) Est-ce un cristal solide, une nuée condensée, un air épaissi? Personne ne peut l'affirmer. Avez-vous encore besoin de preuves pour comprendre toute la folie de ceux qui prétendent connaître Dieu? Vous ignorez la nature du ciel que vous voyez tous les jours, et vous vous vantez de comprendre parfaitement l'essence du Dieu invisible ! Il faudrait être bien dépourvu de sens pour ne pas condamner l'extravagance de ces novateurs.

Je vous en conjure tous; ayez compassion de ces hommes en proie à une frénésie insensée; efforcez-vous de les guérir par des paroles pleines de bonté et de douceur. C'est leur orgueil qui a engendré cette doctrine, et ce vice enfle leur esprit. On ne peut toucher sans de grandes précautions à des tumeurs enflammées. Aussi les médecins habiles emploient pour les laver une éponge douce. Or les Anoméens ont dans l'âme une plaie enflammée. Avec une molle éponge imbibée d'une eau salutaire, c'est-à-dire par un langage plein de mansuétude, efforçons-nous de réprimer leur orgueil, et de guérir leur enflure; et malgré leur résistance, leurs injures, leurs outrages et tout ce qu'ils pourraient faire, ne leur retirons pas nos soins. Ceux qui traitent des furieux sont exposés à tous ces inconvénients. Il ne faut donc pas se décourager, mais au contraire les plaindre et pleurer leur sort . leur maladie est assez grave pour mériter nos larmes. Je parle ici à ceux qui sont solidement affermis dans la foi, et qui n'ont aucun dommage à craindre de leur fréquentation. Mais si quelqu'un est encore faible, qu'il évite leur présence, qu'il fuie leur conversation, afin que le prétexte de l'amitié ne devienne pas une cause d'impiété. C'est ainsi qu'agit saint Paul; il s'approche des malades. Avec les Juifs j'ai été Juif, dit-il, infidèle avec les infidèles. (I Cor. IX, 20.) Mais il n'expose pas ses disciples encore faibles à un tel péril : Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. (Ibid. XV, 33.) Sortez du milieu d'eux et séparez-vous, dit le Seigneur. (II Cor. VI, 17.) La visite qu'un médecin rend à un malade lui est souvent utile à lui-même en même temps qu'au malade. La visite de l'homme infirme lui sera nuisible à lui, aussi bien qu'à celui qu'il va voir. Car il ne peut rendre aucun service au malade, et il en reçoit un notable préjudice. En regardant un mal d'yeux, l'on contracte, dit-on, cette infirmité. La même chose arrive à ceux qui fréquentent les hérétiques. S'ils sont faibles, ils se laissent corrompre par le venin de l'impiété. Pour ne pas nous attirer ces malheurs, fuyons la société des Anoméens ; contentons-nous de prier le Dieu très-clément qui veut sauver tous les hommes et les amener à la connaissance de la vérité; supplions-le pour qu'il daigne les délivrer de l'erreur et des piéges du démon, et les ramener à la lumière de la science, à Dieu Père de Notre-Seigueur Jésus-Christ, à qui soient avec l'Esprit-Saint et vivifiant, gloire, puissance; maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TROISIÈME HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DE DIEU.
 

ANALYSE. Louer Dieu est plus utile à l'homme qu'à Dieu — Dieu est incompréhensible aux anges. — L'homme ne peut pas même pénétrer la substance de l'ange. — Les vertus d'en-haut ne peuvent pas comprendre Dieu, même quand il s'abaisse. — Reproches aux habitants d'Antioche, parce qu'ils quittaient l'église tout après le sermon. — Efficacité de la prière publique.
 
 

1. Quand des cultivateurs laborieux voient un arbre stérile et sauvage nuire à leurs champs, et, par la dureté de ses racines et l'épaisseur de son ombre détruire les plantes utiles, ils s'empressent de le couper. Quelquefois le vent vient seconder leurs efforts; il saisit l'arbre par sa chevelure touffue, et, le secouant avec violence, il le rompt, le jette par terre et abrége le travail des laboureurs. Nous avons aussi à couper un arbre sauvage et stérile,; l'hérésie des Anoméens : prions donc Dieu de nons envoyer la grâce de l'Esprit-Saint, afin que plus puissante que le souffle des vents elle arrache cette hérésie par la racine, et nous rende notre tâche plus légère. Une terre inculte, que les bras du cultivateur n'ont pas remuée, ne produit souvent de son propre fonds que de mauvaises herbes, des épines et des plantes agrestes. Ainsi l'âme des Anoméens, dévastée et privée de la nourriture de l'Ecriture sainte, n'a produit par ses propres forces que cette hérésie grossière et sauvage. Saint Paul n'a point planté cet arbre, Apollo ne l'a pas arrosé, Dieu ne l'a pas fait croître; mais planté par la curiosité coupable de la raison, arrosé par l'orgueil et l'arrogance, il a grandi par l'amour de la vaine gloire. Nous avons besoin des lumières du Saint-Esprit pour arracher, et aussi pour brûler cette racine maudite. Invoquons donc ce Dieu qu'ils blasphèment et que nous honorons; prions-le de diriger notre langue pour arriver plus vite au but, et d'ouvrir notre intelligence pour mieux comprendre ce que nous avons à dire. Car nous travaillons pour lui et pour sa gloire, ou plutôt pour notre propre salut : car Dieu est au-dessus de nos mépris comme de nos louanges; sa gloire immuable ne dépend ni de nos injures ni de nos éloges. Les hommes qui le célèbrent dignement, ou plutôt de toutes leurs forces (car personne ne peut le faire dignement), recueillent le fruit de leurs louanges; mais ceux qui le blasphèment et l'insultent, exposent leur propre salut. Si quelqu'un jette une pierre en haut, elle retombera sur sa tête. (Eccli. XXVII, 28.) Cette parole s'applique aux blasphémateurs. Celui qui lance une pierre en l'air ne peut briser la voûte du ciel, ni atteindre à cette hauteur; mais la (212) pierre, en retombant, vient le. frapper à la tête. De même celui qui outrage l'essence divine, ne peut lui nuire; elle est trop élevée pour éprouver quelque dommage; mais ingrat envers son bienfaiteur, il aiguise un glaive contre soi-même.

Invoquons donc ce Dieu ineffable, inaccessible, invisible, incompréhensible, ce Dieu qui défie toute langue humaine, qui surpasse toute intelligence créée, que les anges ne peuvent scruter, ni les séraphins contempler, ni les chérubins comprendre; qui ne peut être vu ni par les principautés, ni par les puissances, ni parles vertus, ni par aucune créature; mais qui n'est connu que du Fils et du Saint-Esprit. Je sais que les Anoméens m'accuseront de témérité pour avoir dit que Dieu est incompréhensible même aux Vertus célestes. Et moi, je leur renverrai l'accusation en y joignant celle de folie et d'extravagance. Il n'y a pas de témérité à dire que le Créateur surpasse toute intelligence créée, mais il y en a une énorme à dire, comme font les Anoméens, qu'avec leur faible raison ils peuvent le pénétrer et le comprendre, eux qui rampent sur terre si loin au-dessous des anges. Si je ne prouve mon assertion, je consens à être taxé de témérité. Pour vous, mes adversaires, quand j'aurai démontré qu'il est incompréhensible aux puissances des cieux, si vous prétendez encore le connaître, quels abîmes, quels gouffres ne creusez-vous pas devant vous, en vous vantant de pénétrer des mystères inaccessibles à toutes les vertus d'en-haut.

2. Venons à la démonstration, mais auparavant ayons recours à la prière. Les paroles mêmes de la prière pourront nous fournir des preuves. Invoquons donc le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l'immortalité , qui habite une lumière inaccessible, que nul des hommes n'a vu ni ne peut voir, à qui est l'honneur et l'empire dans l'éternité. Amen. (I Tim. VI, 15.) Ce ne sont pas nos paroles, mais celles de saint Paul. Remarquez sa piété et la force de son amour. Plein de la pensée de Dieu, il ne commence à enseigner qu'après lui avoir payé sa dette de reconnaissance, et il ne termine jamais ses instructions sans le louer encore. Si la mémoire du juste est accompagnée de louange (Prov. X, 7), si son nom ne se prononce pas sans éloge, de quelles marques de respects, de quelles ,bénédictions ne doit pas être accompagné le nom de Dieu? C'est aussi l'exemple que nous donne saint Paul dans ses Epîtres. Souvent après avoir commencé à écrire, frappé de la pensée de Dieu, il suspend ses enseignements jusqu'à ce qu'il ait rendu à Dieu la gloire qui lui est due. Ecoutez-le écrivant aux Galates : Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu notre Père et par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui s'est livré lui-même pour nos péchés, pour nous retirer de la corruption du siècle présent, selon la volonté de Dieu le Père, à qui soit la gloire dans les siècles. Amen. (Gal. I, 3, etc.) Et ailleurs : Au Roi des siècles, immortel, invisible, au seul Dieu sage, honneur et gloire dans les siècles. Amen. (I Tim.  I, 17.) Ces hommages, les rend-il au Père seul, et non au Fils? Ecoutez donc comment il s'exprime au sujet du Fils unique. Après avoir dit : J'eusse désiré être anathème à l'égard de Jésus-Christ, pour mes frères selon la chair, les Israélites, à qui appartiennent l'adoption, les testaments, la loi, le culte, les promesses; il ajoute : de qui est sorti, selon la chair, Jésus-Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, et béni dans tous les siècles. Amen. (Rom. IX, 3, etc.) Puis, ayant rendu gloire au Fils de la même manière qu'au Père, il reprend la suite de son discours. L'Apôtre avait entendu les paroles de Jésus-Christ : Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. (Job. V, 23.)

Pour vous montrer que la prière nous fournit des preuves, ayons-y recours. Le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l'immortalité; qui habite une lumière inaccessible. (I Tim. VI, 15, 16.) Arrêtons-nous ici, et demandons à l'hérétique ce que signifient ces paroles : Qui habite une lumière inaccessible. Et remarquez l'exactitude de saint Paul. Il ne dit pas : Dieu qui est une lumière inaccessible, mais : qui habite une lumière inaccessible. Apprenez par là que si la demeure est inaccessible, à plus forte raison Dieu qui l'habite. Par ces paroles, l'Apôtre ne veut pas vous faire croire que Dieu est renfermé dans un lieu, mais vous prouver surabondamment son incompréhensibilité. Il ne dit pas : Qui habite une lumière incompréhensible, mais inaccessible; ce qui est beaucoup plus qu'incompréhensible. On appelle incompréhensible ce que malgré ses efforts et ses recherches on ne peut saisir. L'inaccessible, c'est ce dont l'abord même est interdit. Par exemple nous dirons dans un sens analogue que la mer (213) est insondable; les plongeurs, malgré tous leurs efforts, ne peuvent en sonder les abîmes. Mais pour que l'on pût dire qu'elle est inaccessible, il faudrait qu'il fût impossible même d'en atteindre la surface.

3. Que répondrez-vous à cela? Direz-vous que si Dieu est incompréhensible aux hommes, il ne l'est pas aux anges, ni aux vertus célestes. — Etes-vous,donc un ange, appartenez-vous au choeur des puissances spirituelles? N'êtes-vous pas homme? n'avez-vous pas la même substance que moi, ou bien oubliez-vous votre nature? Supposons qu'il soit inaccessible aux hommes seulement, supposition fausse, puisque saint Paul n'a pas dit : Il habite une lumière inaccessible aux hommes, mais non inaccessible aux anges; mais je vous accorde ce que vous demandez : que pouvez-vous en conclure? N'êtes-vous pas homme? Si Dieu n'est pas inaccessible aux anges, que vous importe, à vous qui prétendez et affirmez que l'essence divine n'est pas incompréhensible à l'intelligence humaine ? Mais, sachez-le, il n'est pas seulement inaccessible aux hommes, il l'est aussi aux anges. Ecoutez Isaïe, ou plutôt le Saint-Esprit qui parle par sa bouche, car tout prophète est inspiré par l'Esprit-Saint: L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé; les séraphins se tenaient autour de lui. Ils avaient chacun six ailes : deux voilaient leur face, deux leurs pieds... (Isaïe, VI, 1.)

Pourquoi se voilent-ils la face de leurs ailes? pourquoi, sinon parce qu'ils ne peuvent supporter les éclairs et les foudres qui s'échappent du trône. Cependant ils ne contemplent pas l'essence pure, ni la pleine lumière de la divinité. Dieu condescend à leur faiblesse , c'est-à-dire que Dieu se montre, non tel qu'il est, mais tel que ses créatures peuvent le voir, en se proportionnant à la faiblesse de ceux à qui il se révèle. Or, cette condescendance, Dieu en use même à l'égard des chérubins, nous le voyons par les paroles du Prophète : Je vis, dit-il, le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé. Dieu n'est pas assis; cela n'appartient qu'aux corps : Sur un trône; mais Dieu n'est point limité. par un trône, puisqu'il est infini. Néanmoins, dans cette vision d'Isaïe, les anges ne pouvaient supporter la splendeur de Dieu ainsi tempérée. Quoique placés près de lui, car les séraphins se tenaient autour de lui, ils ne pouvaient le voir, que dis-je, c'est surtout parce qu'ils étaient près de lui qu'ils ne pouvaient le voir. Il ne s'agit pas d'une proximité de lieu, non, mais le Saint-Esprit veut nous montrer que, quoique plus rapprochés que nous de l'essence divine, ces sublimes créatures ne peuvent néanmoins la contempler. Voilà pourquoi il dit par la bouche du Prophète : Les séraphins se tenaient autour de lui. Il n'indique pas à quelle distance ils sont de Dieu, mais seulement qu'ils en étaient plus rapprochés que nous. Il ne faut pas s'imaginer que nous ayons de l'incompréhensibilité divine la même idée que ces puissances célestes qui, plus pures, ont aussi plus de science et de pénétration que l'homme. Ce n'est pas l'aveugle que le soleil éblouit, c'est celui qui voit clair : nous ne connaissons donc pas l'incompréhensibilité de Dieu aussi bien que les anges. Aussi en entendant le Prophète dire : J'ai vu le Seigneur, ne croyez pas qu'il ait vu l'essence divine elle-même; il l'a vue voilée, et moins parfaitement encore que les vertus d'en-haut. Car il n'a pu en voir autant que les chérubins.

4. Pourquoi parler de l'essence infinie, lorsque l'homme ne peut pas même sans crainte soutenir l'aspect d'un ange? Cependant il en est ainsi. J'en ai pour garant un homme ami de Dieu, à qui sa sagesse et sa sainteté donnaient un grand crédit auprès du Roi du ciel, un homme orné de toutes les vertus, le juste Daniel. Quand donc je vous le montrerai abattu, craintif et tremblant à la vue d'un ange, n'attribuez pas ces effets à ses péchés et à sa mauvaise conscience; n'en accusez que la faiblesse inhérente à la nature humaine, puisqu'un homme à qui sa sainteté aurait.dû donner tant de confiance ne peut s'empêcher de trembler à la vue d'un ange. Daniel a jeûné trois semaines, il n'a mangé aucun mets qui pût flatter le goût; il n'a pas bu de vin; ni chair, ni liqueur enivrante ne sont entrées dans sa bouche; il n'a usé d'aucun parfum. Alors il a une Vision; son âme élevée et spiritualisée par le jeûne était plus apte à la contemplation. Que dit-il? Je levai les yeux et je vis un homme vêtu de baddin, c'est-à-dire d'un vêtement sacré; ses reins étaient ceints d'un or d'Uphaz, son corps était comme la pierre de Tharsis, son visage brillait comme l'éclair, ses yeux comme des flambeaux ardents, ses bras et ses jambes comme un airain étincelant, le son de sa voix était comme le bruit d'une multitude d'hommes. Et moi je vis seul cette (214) vision, et ceux qui étaient avec moi ne la virent point; mais ils furent saisis d'épouvante, ils s'enfuirent pleins d'effroi. Ma force m'abandonna, mon,visage fut tout changé, et ma gloire fut anéantie. (Dan. X, 5 et suiv.) Que veut dire : Ma gloire fut anéantie ? Daniel était beau. La présence de l'ange le remplit de terreur, la vie semble le quitter, il pâlit, la fraîcheur de son visage s'évanouit, il perd toute sa beauté. Voilà pourquoi il s'écrie : Ma gloire fut anéantie. Quand le cocher effrayé laisse échapper les rênes, les chevaux s'emportent et le char se brise. Ainsi en est-il de l'âme, lorsque la crainte et l'angoisse s'en emparent. Epouvantée, elle suspend son action à l'égard de tous les sens, et laisse les membres sans vie. Ceux-ci, privés de &la force qui les anime, tombent en défaillance.

C'est ce qu'éprouva Daniel. Que fait l'ange? Il le relève et lui dit : Daniel, homme de désirs, entendez les paroles que je viens vous dire; levez-vous debout, car je suis maintenant envoyé vers vous. Le Prophète se lève tremblant. Et l'ange continue : Du jour où vous avez résolu d'affliger votre coeur en présence de Dieu, vos paroles ont été exaucées, et vos prières m'ont fait venir ici. (Id. 11 et suiv.) Daniel retombe prosterné en terre, comme il arrive à ceux qui éprouvent une faiblesse. On les voit en effet se ranimer un instant, revenir à eux, puis s'évanouir de nouveau entre les bras des personnes qui les soutiennent et qui cherchent à les rappeler à la vie. Ainsi en est-il du Prophète. Son âme effrayée ne peut supporter l'aspect ni l'éclat de l'ange, elle est saisie de trouble, elle veut s'échapper en brisant les liens qui l'attachent au corps. Quelle leçon pour, ceux qui scrutent le Maître des anges ! Daniel que les lions respectent, Daniel qui dans un corps humain accomplit des choses surhumaines, ne peut supporter la vue d'une simple créature comme lui, et il tombe évanoui. Cette vision, dit-il, a bouleversé tout mon être, et ma respiration s'est arrêtée. (Id. 16.) Les Anoméens, bien moins parfaits que ce juste, s'imaginent connaître parfaitement l'essence divine, cette essence suprême et première qui a créé des millions d'anges, tandis que Daniel ne peut supporter la vue d'un seul de ces anges.

5. Mais revenons à la proposition que nous avons entrepris d'établir, et montrons que Dieu, même en s'abaissant, ne peut être vu des puissances célestes. Pourquoi les séraphins se voilent-ils de leurs ailes? sinon pour proclamer, par leur conduite, ce que dit l'Apôtre : Il habite une lumière inaccessible. C'est ce que font aussi les chérubins supérieurs aux séraphins. Ceux-ci se tiennent auprès du trône; ceux-là sont le trône même de Dieu, non que Dieu ait besoin de trône, non, ce sont là des manières de parler pour nous montrer la différence qui se trouve entre les natures angéliques. Ecoutez un autre prophète sur le même sujet : Dieu adressa sa parole à Ezéchiel, fils de Buzi, près du fleuve Chobar. (Ezéch. I, 3.) Ce prophète était près du fleuve Chobar, comme Daniel près du Tigre. Quand Dieu montre quelque vision extraordinaire à ses serviteurs, il les conduit hors des villes, dans un lieu tranquille, pour que l'âme, à l'abri de toute distraction, puisse en toute sécurité s'appliquer à la contemplation du mystère. Que vit-il donc? Une nuée venait de l'aquilon, un feu l'environnait et une lumière éclatait tout autour; au milieu du feu on voyait un métal brillant, et au milieu de ce même feu, la ressemblance de quatre animaux qui étaient de cette sorte : On y voyait d'abord la ressemblance d'un homme. Chacun d'eux avait quatre faces et quatre ailes. Ils étaient grands et terribles. Leur dos était tout couvert d'yeux. Au-dessus de leur tête, on voyait un firmament qui paraissait comme un cristal étincelant et terrible à voir qui était étendu sur leur tête. Chacun d'eux avait deux ailes dont il se couvrait le corps; et au-dessus de ce firmament on voyait une pierre de saphir; et au-dessus un trône, et un homme paraissait assis sur ce trône. Et je vis comme un métal très-brillant; depuis les reins jusqu'en haut , et des reins jusqu'en bas je vis comme un feu, et son éclat était comme la splendeur de l'arc qui parait dans la nuée en un jour de pluie. (Ezéch. I, 4 et suiv.)

Puis, pour montrer que ni le Prophète, ni les vertus célestes n'ont pénétré l'essence pure de Dieu, il ajoute : Telle fut cette image de la gloire du Seigneur. (Id. II, 1.) Voyez-vous comment partout Dieu se proportionne à la faiblesse de ses créatures ? Et cependant les vertus des cieux elles-mêmes se voilent de leurs ailes, malgré leur profonde sagesse, leur vive pénétration et leur. grande pureté. Les noms de ces habitants du ciel nous révèlent l'excellence de leur nature et la (215) dignité de leurs différents ministères. L'ange s'appelle ainsi parce qu'il porte aux hommes les ordres de Dieu; l'archange, parce qu'il commande aux anges; d'autres prennent le nom de vertus pour signifier leur sagesse et leur pureté; si on leur donne des ailes, c'est pour exprimer la sublimité de leur nature. On peint l'ange Gabriel ailé pour faire entendre que du haut des cieux, il est descendu dans les basses régions de la terre. Il y a de ces esprits bienheureux que l'on appelle Trônes, parce que Dieu semble se reposer sur leurs ministères; le chant continuel qu'on leur attribue, est le symbole de leur vigilance; par leurs yeux on entend leurs connaissances et leurs lumières; d'autres termes marquent d'autres qualités : chérubin signifie science parfaite; séraphin, bouche de feu. Vous le voyez, les noms veulent dire sagesse et pureté. Or, si la science parfaite ne peut soutenir l'éclat même voilé de la majesté divine; si la science imparfaite, comme dit saint Paul, ne connaît qu'en partie, comme dans un miroir et en énigme, quelle folie de prétendre scruter et comprendre ce qui est caché même aux anges !

6. Dieu est incompréhensible non-seulement aux chérubins et aux séraphins, mais encore aux principautés, aux puissances et à tonte vertu créée; je voudrais vous le prouver, si mon esprit n'était accablé, non par la multitude, mais par la sublimité des choses. L'intelligence tremble épouvantée en demeurant trop longtemps dans ces hautes contemplations. Redescendons des cieux, reposons notre âme fatiguée, en reprenant notre exhortation habituelle, que vous connaissez, pour la guérison de ces infortunés. Oui, prions-. Si nous devons prier pour les malades , pour ceux qui gémissent dans les mines ou dans un dur esclavage, pour les énergumènes, combien plus pour ceux-là ! L'impiété est pire que l'obsession du malin esprit; les possédés sont dignes de compassion, tandis que rien n'excuse les hérétiques. Puisque j'ai rappelé les prières pour les énergumènes, je veux vous dire quelques mots à ce sujet, et retrancher de l'Eglise un grave désordre. Il serait absurde de déployer tant de zèle pour guérir les maladies des autres, et de négliger ses propres membres. Quel est donc ce désordre?

Cette multitude innombrable , maintenant réunie et écoutant avec la plus grande attention, je l'ai souvent cherchée des yeux au moment le plus solennel, et je ne l'ai point rencontrée. J'en gémis profondément. Un homme parle, on se hâte , on accourt, on se presse, et l'on demeure jusqu'à la fin de son discours. Jésus-Christ va paraître dans les saints mystères , l'église est vide et déserte ! Cette conduite est-elle pardonnable? Vous avez du zèle pour entendre la parole de Dieu, c'est bien, mais la conduite que vous tenez ensuite vous ravit tout le mérite de votre assiduité à la prédication. Qui, en vous voyant perdre sitôt le fruit de nos discours, ne nous condamnera nous-même? Si vous écoutez la parole divine avec un zèle sincère, montrez-le parles oeuvres. Se retirer tout après l'homélie, c'est une preuve que l'on n'a pas été véritablement touché. Si votre âme conservait les enseignements de la chaire, vous resteriez pour assister pieusement à nos redoutables mystères. Mais vous m'écoutez comme un joueur de cithare; le discours fini, vous vous retirez sans aucun fruit. Quelle excuse banale apportez-vous? — Je peux prier à la maison; je ne puis y entendre prêcher ni enseigner. — Vous vous trompez, chrétien ! On peut, il est vrai, prier à la maison, mais on ne peut y prier aussi efficacement qu'à l'église, où la multitude des Pères spirituels est si nombreuse ; où de tous les coeurs montent vers Dieu les supplications. Vous ne serez pas exaucé, en priant seul le souverain Seigneur, comme si vous le faisiez avec vos frères. Vous trouverez ici ce que vous ne trouvez pas dans vos maisons : l'union des coeurs et des voix, le lien de la charité, la prière des prêtres. Les prêtres président, afin que les prières plus faibles du peuple, unies à leurs supplications plus ferventes, montent ensemble vers le ciel. D'ailleurs que sert la prédication sans la prière? La prière d'abord, et la prédication ensuite.

C'est ainsi que s'expriment les apôtres: Nous nous appliquerons à la prière et à la dispensation de la parole. (Act. VI, 4.) Voilà pourquoi saint Paul commence ses Epîtres par la prière, afin que la prière, comme une lumière, précède et éclaire tout le discours. Si vous vous habituez à prier avec ferveur, vous n'aurez pas besoin de l'enseignement des hommes; Dieu, sans intermédiaire, éclairera votre intelligence. Si la prière d'un seul est si puissante, quelle force, quelle efficacité n'a pas la prière publique? En effet, écoutez saint Paul : C'est lui qui nous a délivré d'un si grand péril, qui nous (216) en délivre et nous en délivrera encore, nous l'espérons, pendant que vous nous aiderez par vos prières, afin que la grâce que nous avons reçue soit reconnue par les actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous. (II Cor. I, 10.) C'est ainsi que Pierre sortit de prison. L'Eglise faisait sans cesse des prières à Dieu pour lui. (Act. XII, 5.) Si la prière de l'Eglise fut utile à Pierre, et ouvrit à ce grand apôtre les portes de la prison , comment osez-vous mépriser cette arme puissante, et quelle excuse avez-vous? Ecoutez Dieu lui-même, montrant qu'il se laisse apaiser par les prières ardentes du peuple. Se justifiant au sujet du lierre, il dit à Jonas : Vous épargnez un lierre, pour lequel vous n'avez point souffert, et que vous n'avez pas finit croître. Et je ne pardonnerais pas à la grande ville de Ninive, où habitent plus de douze cent mille hommes ! (Jon. IV, 10.) Ce n'est pas sans motif qu'il mentionne cette multitude, c'est pour vous montrer que la prière en commun a une grande puissance. Je veux vous prouver cette vérité par un exemple récent.

7. Il y a dix ans, des conspirateurs furent saisis, comme vous le savez : l'un d'eux, personnage éminent, convaincu de son crime, était conduit à la mort une corde à la bouche. Toute la ville se précipite à l'hippodrome, implore la clémence du prince et arrache à la vengeance impériale ce coupable indigne de pardon. Pour fléchir la colère d'un empereur mortel, vous accourez tous ensemble avec vos femmes et vos enfants; et quand il s'agit de vous rendre propice le roi des cieux, de soustraire à sa colère non pas un coupable comme alors, ni deux, ni trois, ni cent, mais tous les pécheurs de la terre, d'arracher les possédés des piéges du démon, vous restez tranquillement assis, vous ne vous empressez pas tous ensemble, afin que Dieu, touché de l'unanimité de vos prières, leur remette leurs peines et vous pardonne vos péchés. Quand vous seriez alors sur la place publique, ou dans vos maisons, ou occupés à des affaires pressantes , ne devriez-vous pas , plus rapides qu'un lion , et rompant tous les liens, accourir aux prières publiques? Quelle espérance de vous sauver pouvez-vous avoir si vous ne le faites pas? Non-seulement les hommes font retentir l'église de leurs supplications, mais les anges se prosternent devant le souverain Maître , mais les archanges lui adressent leurs prières pendant la célébration des divins mystères. C'est pour eux le moment favorable, l'oblation puissante. Les hommes, des branches d'olivier à la main, apaisent le courroux des rois, et les ramènent à la clémence par la vue de ce feuillage, symbole de la clémence. Les anges, au lieu de branches d'olivier, présentent alors le corps de Notre-Seigneur. Ils intercèdent pour les hommes, ils semblent dire à Dieu : Nous vous prions pour ceux que, dans votre bonté, vous avez vous-même aimés le premier, jusqu'à leur donner votre vie; nous répandons nos supplications pour ceux en faveur de qui vous avez répandu votre sang; nous vous conjurons de sauver ceux pour qui vous avez immolé ce corps sacré. Voilà pourquoi dans ce moment le diacre présente les énergumènes, leur fait incliner la tête, pour s'unir à la prière par un extérieur humilié; car il ne leur est pas permis de prier avec l'assemblée des frères. Voilà pourquoi il les amène, afin que, touchés de leur malheur et de leur impossibilité de prier, vous usiez de votre crédit auprès de Dieu pour les secourir.

Pénétrés de ces pensées, accourons tous à ce moment précieux, pour attirer la miséricorde, et trouver grâce et protection. Vous approuvez mes paroles; vous les recevez avec de bruyants applaudissements, mais si vous voulez manifester vos sentiments par vos œuvres , voici le moment de montrer votre obéissance; après l'homélie, la prière, voilà l'approbation que je voue demande; cette approbation qui se manifeste par les actes. Exhortez-vous mutuellement à rester à vos places; si quelqu'un veut se retirer, empressez-vous de le retenir; et recevant la double récompense de votre propre zèle et de cette charité fraternelle, vous répandrez vos prières avec plus de confiance; vous vous rendrez Dieu propice, vous recevrez les biens présents et futurs par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui soient, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUATRIÈME HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DE DIEU.
 

ANALYSE. Récapitulation des discours précédents. — Les anges ne connurent plusieurs mystères qu'avec nous et par nous. — Ils ne connaissent pas l'essence divine. — Félicitations aux habitants d'Antioche pour leur docilité à mettre en pratique les avis donnés. — Nouveaux avis au sujet des filous qui exerçaient leur métier dans l'église.
 
 

1. Nous avons montré que Dieu est incompréhensible aux hommes et même aux chérubins et aux séraphins. Notre tâche semble finie , et nous ne devrions plus rien ajouter. Néanmoins comme notre dessein n'est pas seulement de fermer la bouche à nos adversaires, mais encore de vous instruire de plus en plus, nous reprenons le même sujet, et nous continuons à le développer. De cette manière, nous compléterons votre instruction , et nous remporterons une victoire plus brillante qui dissipera tout ce qui resterait encore de difficultés. Il ne suffit pas de couper la tige des mauvaises herbes; car profondément enracinées elles repoussent bientôt; mais il faut les arracher des entrailles de la terre, les exposer aux rayons ardents du soleil, pour qu'elles se dessèchent rapidement.

Remontons donc au ciel , non pour scruter et chercher à pénétrer les secrets de Dieu, mais pour réprimer la téméraire curiosité de ces hommes qui ne se connaissent pas et ne veulent pas admettre de limites à la nature humaine. Nous avons prouvé surabondamment, en vous lisant son histoire, que Daniel ne put supporter l'aspect, non pas de Dieu, mais des anges ; vous avez vu cet homme juste pâlir, trembler, et en quelque sorte tomber en défaillance comme si son âme eût voulu briser les liens qui l'unissaient au corps. Lorsqu'une douce et paisible colombe, renfermée dans une cage, est tout à coup frappée de la vue de quelque objet terrible, elle se précipite épouvantée contre les barreaux qui la retiennent prisonnière, et cherche à s'échapper par les fenêtres pour s'enfuir au milieu des airs. Ainsi l'âme du Prophète allait briser ses liens, et elle se serait envolée, abandonnant le corps sans vie, si aussitôt l'ange, la prévenant, n'eût dissipé sa crainte et raffermi son courage. Voilà ce que j'ai dit, pour faire comprendre à nos hérétiques la différence qu'il y a de l'homme à Dieu parcelle qu'il y a de l'homme à l'ange. Un juste comblé de tant de faveurs n'a pu soutenir la vue d'un ange; et ces hommes qui sont loin d'avoir sa vertu., scrutent témérairement le Seigneur des anges. Daniel dompte la colère des lions; et nous, nous ne pouvons (218) vaincre des renards. Daniel fait périr un dragon; par sa confiance en Dieu, il triomphe de ce monstre; et nous redoutons de misérables reptiles. Nabuchodonosor, comme un lion enflammé de colère, se précipitait contre les armées barbares; Daniel n'eut qu'à se montrer et sa présence rétablit le calme et la sérénité dans l'âme du roi. Daniel perce les obscurités de l'avenir, et cependant la vue d'un ange l'éblouit , et le renverse. Quelle excuse donc peuvent apporter ceux qui prétendent sonder la nature divine?

Nous n'en sommes pas resté là; nous avons parlé des puissances célestes, nous avons montré comment elles détournent les yeux, et se voilent de leurs ailes; comment, debout autour du trône, elles chantent des louanges continuelles, et comment enfin elles sont toutes pénétrées d'admiration et d'épouvante. Plus sages que nous, plus rapprochées de l'essence bienheureuse et ineffable, elles en connaissent d'autant mieux l'incompréhensibilité. Car une grande science produit une grande modestie. Nous avons expliqué ce qu'est l'inaccessible, comment il l'emporte sur l'incompréhensible. La raison que nous avons donnée, c'est que l'incompréhensible est reconnu pour tel après examen et que l'inaccessible ne supporte même pas l'examen. Ce que nous avons confirmé par l'exemple de la mer. Saint Paul n'a pas dit, avons-nous ajouté : Dieu est une lumière inaccessible, mais : il habite une lumière inaccessible. Si la demeure est inaccessible, à plus forte raison Dieu qui l'habite. Il s'est ainsi exprimé, non pour circonscrire Dieu dans un lieu, mais pour .montrer surabondamment qu'il est incompréhensible et inaccessible. Nous avons mis en scène les vertus et les chérubins; nous avons montré comment au-dessus d'eux est un firmament, un cristal étincelant, l'apparence d'un trône, puis d'un homme, un métal brillant, une flamme, un arc céleste, et après cette vision le Prophète s'écriant : Telle fut cette image de la gloire du Seigneur. (Ezéch. II, 1.) Tout cela n'est que Dieu voilé, avons-nous dit, Dieu tempérant l'éclat de sa gloire , et cependant les vertus des cieux elles-mêmes ne peuvent en supporter la majesté.

2. Cette récapitulation n'est pas inutile. Puisque je me suis engagé envers vous, je veux savoir exactement ce que j'ai déjà fait et ce qui me reste encore à faire pour remplir

ma promesse, à la manière des débiteurs de bonne foi qui examinent sur leurs livres et ce qu'ils ont déjà payé, et ce qu'ils doivent encore. Moi aussi, parcourant le livre de ma mémoire, après avoir passé en revue les différents points déjà prouvés, je viens aujourd'hui traiter les autres. Que reste-t-il donc maintenant? Il nous reste à prouver que ni les principautés, ni les puissances, ni les dominations, ni aucune autre intelligence créée ne comprend Dieu parfaitement. Je dis aucune autre intelligence créée , parce qu'il y en a d'autres dont nous ne connaissons pas même les noms. Voyez l'extravagance des hérétiques ; nous ne connaissons pas les noms des serviteurs; et ils scrutent l'essence du Maître. II y a des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des principautés ; des puissances; mais ce ne sont pas tous les habitants des cieux; il y a des peuples et des nations d'anges en nombre incalculable.

Et comment savons-nous qu'il existe tant de pures intelligences dont les noms mêmes nous échappent? C'est encore saint Paul qui nous l'apprend en parlant de Jésus-Christ : Il l'a placé, dit-il, au-dessus de toutes les principautés, de toutes les puissances, de toutes les vertus, de tous les noms qui peuvent être non-seulement dans le siècle présent, mais aussi dans le siècle futur. (Eph. I, 21.) Vous l'entendez: il est des noms inconnus maintenant et qui seront révélés un jour. Voilà pourquoi l'Apôtre dit : qui peuvent être non-seulement dans le siècle présent, mais aussi dans le siècle futur. Qu'y a-t-il d'étonnant, si les anges, quels qu'ils soient, n'ont pas une compréhension parfaite de l'essence divine ? Ce n'est pas une chose difficile à prouver. Ce n'est pas seulement l'essence, mais ce sont quelquefois les desseins mêmes de Dieu qui demeurent inconnus aux vertus, aux principautés, aux puissances, aux dominations. J'en trouve encore la preuve dans un passage de saint Paul qui nous assure que les anges apprirent en même temps que nous quelques-uns des desseins de Dieu, et qu'ils ne les connurent que par nous. Il n'a point été découvert aux autres générations, comme il est révélé maintenant d ses saints apôtres et aux prophètes, que les Gentils sont cohéritiers, membres d'un même corps participant aux mêmes promesses (les promesses avaient été faites aux Juifs) par l'Evangile dont moi, Paul, j'ai été fait le (219) ministre. (Gal. III, 5.) — Et où est la preuve que les vertus d'en-haut aient alors appris ce mystère? car ces paroles peuvent s'appliquer aux hommes.- L'objection est prématurée, attendez la suite: A moi le plus petit d'entre tous les saints, a été donnée la grâce d'annoncer aux Gentils les richesses insondables de Jésus-Christ. (Eph. III, 8.) Qu'est-ce à dire, insondable ? C'est ce qui ne peut être recherché; entendez bien, je dis recherché, examiné, et non pas trouvé, découvert. Nos adversaires s'aperçoivent-ils des traits acérés que saint Paul leur lance coup sur coup ? Si les richesses sont insondables, comment ne serait-il pas insondable Celui qui les donne? Mais continuons notre citation : Et d'éclairer tous les hommes en leur découvrant quelle est l'économie du mystère caché en Dieu, afin que les principautés et les puissances apprennent par l'Église combien la sagesse de Dieu est admirable et variée. (Eph. III, 9.) Vous le voyez, avant saint Paul, les vertus d'en-haut ignoraient encore le mystère de la vocation des Gentils. Faut-il s'en étonner ? le sujet entre-t-il dans tous les secrets du roi ? Retenez bien ces paroles : Afin que les principautés et les puissances apprennent par l'Eglise combien la sagesse de Dieu est admirable et variée. Quel honneur pour la nature humaine ! C'est avec nous et par nous que les puissances ont connu les mystères du roi.

Mais l'Apôtre parle-t-il des vertus célestes ? Il appelle aussi les démons des noms de principautés et de puissances : Nous avons à combattre, dit-il, non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes du monde, de ce siècle ténébreux. (Eph. VI, 12. ) L'Apôtre ne veut-il pas dire que ce furent les démons qui connurent alors ce mystère pour la première fois? — Nullement; il s'agit ici des vertus célestes. Car après ces mots : Les principautés et les puissances, il ajoute : Dans les cieux. Il parle donc des principautés et des puissances célestes; or, le ciel est interdit aux démons. C'est pourquoi il les appelle princes du monde, montrant que le ciel leur est fermé, et qu'ils n'exercent leur tyrannie que dans ce monde.

3. Concluez donc avec moi que les anges furent instruits en même temps que, nous et par nous de quelques-uns des secrets de Dieu. Mais hâtons-nous de dégager notre parole, et prouvons que ni les principautés, ni les puissances ne connaissent l'essence divine. Qui le dit? 1 Ce n'est plus} saint Paul, ni Isaïe, ni Ezéchiel, c'est un autre saint, le fils du Tonnerre, le disciple bien-aimé de Jésus-Christ, Jean, qui reposa sur la poitrine du Seigneur, et y puisa de divins enseignements. Que dit-il ? Personne n'a jamais vu Dieu. (Jean, I,18.) Il est vraiment le fils du Tonnerre. Il vient de prononcer une parole plus retentissante que la trompette, et capable de confondre tous les téméraires. Mais, pourrait-on objecter, que dites-vous, disciple bien-aimé, personne n'a jamais vu Dieu? Et les prophètes qui nous assurent avoir vu Dieu ! Car Isaïe dit : J'ai vu le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé (Is. VI, 1) ; Daniel : Je regardais jusqu'à ce que des trônes fussent placés et que l'Ancien des jours s'assît (VII, 9.) ; Michée : Je vis le Seigneur Dieu d'Israël assis sur son trône (III Reg. XXII, 19), et un autre prophète : Je vis le Seigneur debout sur l'autel, et il me dit : Frappe sur le propitiatoire. (Amos, IX, 1.) On pourrait recueillir beaucoup d'autres témoignages. Comment donc saint Jean dit-il : Personne n'a jamais vu Dieu? C'est qu'il parle de la compréhension entière et de la connaissance parfaite. Que les prophètes n'aient vu qu'une ombre de Dieu, et non son essence pure, la diversité de leur récit le prouve. Car Dieu est simple, il n'a ni parties ni figure. Or, ils virent tous des images différentes. Dieu proclame cette vérité par la bouche d'un autre prophète, et leur annonce qu'ils n'ont pas vu son essence pure: J'ai multiplié les visions, je me suis montré aux prophètes sous différentes images. (Osée, XII, 40.) C'est comme s'il disait Je n'ai pas montré mon essence elle-même, mais je me suis proportionné à la faiblesse de leurs yeux.

Saint Jean ne parle pas seulement des hommes dans ce texte : Personne n'a jamais vu Dieu. Cela est évident, et par la prophétie que nous ayons citée : J'ai multiplié les visions, etc., et par la révélation faite à Moïse. Ce législateur désirait voir Dieu de ses yeux; Dieu lui dit : Nul homme ne verra ma face sans mourir. (Ex. XXXIII, 20.) Quoi de plus clair et de plus péremptoire ? Il ne s'agit donc pas seulement des hommes, mais aussi des vertus célestes; dans le passage en question : Personne n'a jamais vu Dieu. Voilà pourquoi saint Jean nous montre le Fils unique enseignant ce dogme. Car sans attendre qu'on lui demande de prouver son assertion il ajoute . Le Fils (220) unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître. (Jean, I, 18). II nous donne ainsi un maître et un témoin digne de foi. S'il ne voulait que répéter la parole de Moïse, s'il n'avait cru faire une révélation nouvelle, il était superflu d'ajouter : Le Fils unique l'a fait connaître. Car ce n'est pas le Fils lui-même qui nous a révélé que nul homme ne peut voir Dieu; mais avant que saint Jean l'eût appris du Fils, le Prophète l'avait déjà proclamé comme l'ayant appris de Dieu. L'Évangéliste prétend donc, dans le passage cité plus haut, ajouter quelque chose de nouveau aux révélations faites avant lui sur la vision de Dieu, à savoir, que les vertus d'en-haut ne voient pas Dieu, voilà pourquoi il invoque l'autorité du Fils unique.

Ici, vision est synonyme de connaissance. Car, en parlant des vertus célestes, il ne peut s'agir ni d'yeux ni de paupières: ce qu'est la vision pour nous, la connaissance l'est pour elles. Quand donc vous entendez dire : Personne n'a jamais vu Dieu, cela signifie que personne n'a jamais connu Dieu parfaitement dans son essence. Quand on vous dit que les séraphins détournent les yeux, se voilent la face, et que les chérubins agissent de même, ne vous imaginez pas qu'ils ont des yeux -véritables; cela n'appartient qu'aux corps; par ces expressions, le Prophète marque leur connaissance. Lorsqu'il nous dit, qu'ils ne peuvent supporter la vue de Dieu, il indique simplement qu'ils ne peuvent avoir une connaissance parfaite et une compréhension entière, qu'ils n'osent regarder fixement l'essence pure et sans mélange même voilée. Regarder fixement, c'est connaître. Aussi l'Évangéliste sachant qu'il n'appartient pas à la nature humaine de pénétrer ces mystères, instruit de plus que Dieu est incompréhensible même aux vertus d'en-haut, invoque pour prouver cette vérité qu'il veut nous enseigner le témoignage irrécusable de Celui qui est assis à la droite du Père et qui le connaît parfaitement. Il ne dit pas simplement le Fils. C'en était assez néanmoins pour fermer la bouche aux téméraires. Car si beaucoup sont appelés christs, le véritable Christ est un; si beaucoup sont appelés seigneurs, le Seigneur est un; si beaucoup sont appelés dieux, le vrai Dieu est un; de même, quoique beaucoup soient appelés fils, le Fils de Dieu est un; l'article préposé indique clairement le Fils unique. Cependant cela ne suffit pas à saint Jean, et à ces mots: Personne n'a jamais vu Dieu, il ajoute : Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître. Il dit, d'abord Fils, ensuite unique. Il prend toutes ces précautions contre les hérétiques, qui abusent de ce nom de Fils donné à plusieurs, pour ravir au Verbe sa gloire, en le regardant, comme un fils ordinaire, comme un de ceux à qui ce nom peut s'appliquer. Saint Jean ajoute donc le mot unique, qui lui est propre et le distingue de tous les autres. Apprenez de là que ce nom, commun à plusieurs, n'est plus commun dans ce passage de saint Jean, qu'il est propre, particulier, et qu'il ne, convient qu'à Jésus-Christ.

4. Pour rendre la chose plus claire, entrons dans quelques détails. Le nom de fils convient aux hommes, il convient aussi au Christ; mais à nous métaphoriquement, à lui réellement. Le mot unique lui est propre, et ne convient à nul autre même figurément. Afin donc de vous montrer par un nom, à lui seul réservé, que l'autre nom, commun à tous, lui est ici approprié, l'Apôtre joint au mot Fils le mot unique. Si cela ne suffit pas pour faire luire le jour de la vérité dans l’esprit des Anoméens, voici un troisième argument simple et vulgaire, capable de faire impression sur les esprits les plus grossiers. Que signifie : qui est dans le sein du Père ? Expression tout ordinaire, mais qui peut nous faire saisir la vérité, si nous la prenons dans un sens convenable. En entendant les mots de trône, de droite, ne vous représentez pas un trône réel, un espace circonscrit; ces expressions indiquent l'égalité de la gloire. De même pour le mot de sein, il ne s'agit ni de sein proprement dit ni de lieu, mais des rapports de filiation et de confiance avec le Père. L'étroite union du Fils avec le Père est mieux représentée par ces mots : qui est dans le sein, que par, ces autres : qui est assis à la droite. Le Père en effet ne laisserait pas le Fils habiter dans son sein, s'il n'avait la même essence; et le Fils, s'il était d'une nature inférieure, ne pourrait demeurer dans le sein du Père. Comme Fils donc, et comme Fils unique, étant dans le sein du Père, il connaît parfaitement tout ce qui est du Père: Voilà pourquoi l'Évangéliste se sert de ces paroles . pour mieux montrer la connaissance parfaite que,le Fils a du Père. Car il s'agit de connaissance. Autrement, pourquoi parler de sein? Comme Dieu n'a pas de corps, si l'on n'admet (221) pas que le mot sein employé par l'Evangéliste marque l'union intime du Fils avec le Père, ce mot est superflu et inutile. Mais il n'est pas inutile; loin de là. Le Saint-Esprit ne dit rien sans motif; il indique donc par ce terme les rapports intimes du Fils avec le Père. En résumé saint Jean annonce cette grande vérité, que même les créatures célestes ne voient pas Dieu, c'est-à-dire ne le connaissent pas parfaitement; il veut invoquer une autorité digne de foi; et il ajoute ces paroles : Le Fils unique qui est dans le sein du Père nous a fait cette révélation; afin que vous le croyiez sans hésiter comme vous croiriez le Fils, et le Fils unique demeurant dans le sein du Père.

Et même à examiner les choses en toute simplicité et franchise, ce texte prouve l'éternité du Fils. Par cette parole dite à Moïse : Je suis Celui qui suis (Exod. III, 14.), nous démontrons l'éternité de Dieu; de cette autre : Qui est dans le sein du Père, nous pouvons aussi conclure que le Fils est éternellement dans le sein du Père.

J'ai tenu la promesse que je vous ai faite en commençant, j'ai prouvé, je crois, avec la dernière évidence, que l'essence de Dieu est incompréhensible à toute créature. Reste à montrer que le Fils et le Saint-Esprit seuls le connaissent parfaitement. Remettons cette discussion à une autre fois, pour ne pas accabler votre mémoire de trop de choses, et passons à l'exhortation accoutumée. Quelle est cette exhortation ? C'est de prier avec un coeur pur et un esprit vigilant. Dernièrement je vous ai parlé à ce sujet, et vous vous êtes montrés tous obéissants. Or, il ne conviendrait pas de réprimander votre négligence, sans louer votre zèle.

Je veux donc vous féliciter aujourd'hui, et vous remercier de votre docilité. Comme marque de reconnaissance, je vous montrerai pourquoi la prière l'emporte sur tout, et pourquoi le diacre introduit les possédés et les énergumènes, et leur fait incliner la tête. Quelle est la raison de cette cérémonie ? La possession du démon est une dure et lourde chaîne., plus forte qu'une chaîne de fer. Quand un juge paraît et va s'asseoir sur son tribunal, les geôliers amènent les prisonniers et présentent ces malheureux, sales, les cheveux épars, et couverts de haillons. Ainsi agissent les Pères spirituels, lorsque le Christ va paraître comme sur un tribunal, dans les redoutables mystères; ils amènent les possédés comme des captifs, non pour qu'ils reçoivent le châtiment dû à leurs crimes, comme les prisonniers, non pour qu'ils soient punis et condamnés, mais afin qu'en présence du peuple et de toute la ville, on fasse pour eux des prières publiques, et que tous ensemble supplient le Maître commun , et le conjurent à grands cris d'avoir pitié d'eux.

5. J'ai blâmé ceux qui s'absentent de l'église et qui manquent à cette prière. Je dois aussi réprimander ceux qui restent à l'église, non parce qu'ils y restent, mais parce que tout en y restant, ils ne se conduisent pas mieux que les premiers; à ce moment terrible ils s'amusent à causer. Eh quoi ! près de vous gémissent tant de frères captifs, et vous vous entretenez de futilités ! et leur seule vue n'est pas capable de vous émouvoir et d'exciter votre commisération ! Votre frère est dans les fers, et vous restez dans l'indifférence ! Est-ce pardonnable d'être si dur, si inhumain, si cruel? Pendant que vous,discourez dans l'oisiveté et la négligence, ne craignez-vous pas qu'un démon ne s'élance d'ici, et, trouvant la voie libre, ne s'empare de votre âme vide et sans défiance? Ne faudrait-il pas à cette heure verser des, larmes, ne devrait-on pas voir tous les yeux en pleurs, et entendre dans toute l'église des soupirs et des gémissements? Après la participation aux saints mystères, après les grâces du baptême, après l'union avec Jésus-Christ, le loup infernal a pu ravir les agneaux du troupeau, il en fait sa proie : et vous voyez d'un oeil sec un tel malheur ! Quelle excuse à cette indifférence? Vous ne voulez pas compatir au malheur de votre frère; du moins craignez et tremblez pour vous.

Lorsque le feu est au logis de votre voisin, fût-il votre plus grand ennemi, vous courez pour l'éteindre, dans la crainte qu'il ne gagne aussi bientôt votre maison. Faites de même pour les énergumènes. Car la possession du démon est un horrible incendie. Prenez donc garde qu'il ne se glisse aussi dans votre âme. Lorsque vous le verrez s'approcher, recourez promptement à Dieu, afin qu'en apercevant votre ferveur et votre vigilance, il comprenne que tout accès dans votre âme lui est fermé. S'il vous voit négligent et oisif, il entrera en vous comme dans une hôtellerie déserte. Si au contraire vous êtes vigilant, attentif, occupé des choses du ciel, il n'osera pas même vous (222) regarder. Si donc vous dédaignez vos frères, ayez au moins pitié de vous, fermez au démon toutes les portes de votre âme. Or, rien n'est plus propre à l'éloigner de nous que la prière et des supplications continuelles. Ce n'est pas inutilement et sans raison que le diacre dit à tous : Levons-nous et tenons-nous bien, c'est pour nous avertir, d'élever nos pensées qui rampent à terre, de bannir le souci des affaires temporelles, afin de pouvoir présenter à Dieu des âmes pures et droites.

Tel est le véritable sens de cet avertissement en usage dans le rituel; il ne s'agit pas du corps, mais de l'âme, c'est elle qu'il faut relever. Ecoutons saint Paul; il se sert de cette même formule. Il écrit à des hommes tombés et accablés sous le poids des malheurs : Relevez vos mains languissantes et fortifiez vos genoux affaiblis. (Hébr. XII, 12.) Saint Paul parle-t-il des genoux et des mains du corps? Nullement. Car il ne s'adresse pas à des coureurs ni à des lutteurs. Mais il cherche par ces paroles à ranimer la vigueur de Pâme, abattue par les tentations. Pensez près de qui vous êtes, avec qui vous allez invoquer Dieu. C'est avec les chérubins. Examinez qui vous accompagne et vous serez vigilants, en voyant que, composés de chair et d'os, vous êtes admis avec les vertus incorporelles à louer le même Seigneur. Arrière donc les coeurs lâches ! le zèle est nécessaire pour prendre part aux saints mystères, et aux hymnes mystiques. Dans ce moment bannissez toute pensée mondaine, tout sentiment terrestre; montez au ciel; approchez-vous du trône de gloire, et chantez avec les séraphins l'hymne sacrée au Dieu plein de magnificence et de majesté. L'instant est grave et solennel, voilà pourquoi l'on nous commande de nous bien tenir, c'est-à-dire, comme il convient à des hommes de se tenir devant Dieu, avec crainte et tremblement, pleins de zèle et de vigilance. Qu'il s'agisse en effet de l'âme dans la formule en question, cette autre parole de saint Paul le prouve également : Mes bien-aimés, demeurez ainsi fermes dans le Seigneur. (Philip. IV, 1.) Un archer qui veut frapper au but, commence par assurer sa pose; ensuite placé exactement en face du but, il lance la flèche. Ainsi pour atteindre la -tête maudite du démon, occupezvous d'abord d'affermir votre coeur, puis debout et libres de tout obstacle, vous lui lancerez des traits inévitables.

6. Voilà ce que j'avais à vous dire au sujet de la prière. Mais outre la négligence pour la prière, le démon s'est avisé d'un nouvel artifice pour troubler votre attention ; il faut rendre encore cette ruse inutile. Quelle est donc cette invention diabolique ? Vous voyant réunis en une foule compacte, et très-attentifs à la parole de Dieu, il n'a pas osé envoyer ses suppôts pour vous en détourner par des suggestions et de perfides conseils. Il savait bien qu'aucun de vous ne se laisserait gagner. Alors il a introduit parmi vous d'adroits filous, afin d'enlever l'or que plusieurs d'entre vous portent avec eux. Cela est déjà souvent arrivé. Pour empêcher ce malheur à l'avenir, et pour que la perte de ces richesses n'arrête pas votre zèle à entendre la parole de Dieu, je vous engage et vous exhorte tous à ne plus apporter d'argent avec vous. Ainsi votre empressement ne sera pas une occasion de péché pour ces voleurs, et le plaisir que vous goûtez ici ne sera pas troublé par la perte de votre or. Car le démon a inventé cette ruse non pour vous rendre plus pauvres, mais afin que la perte de l'argent, en vous chagrinant, vous détourne d'entendre la prédication.

C'est ainsi qu'il a dépouillé Job de tous ses biens, non pour l'appauvrir, mais pour l'éloigner de la piété; il n'avait pas pour but de lui ravir des richesses dont il connaît le néant il voulait par la perte de ses biens l'amener à pécher. Ce but manqué, rien ne lui a réussi. Vous voyez maintenant son dessein. Lors donc que vous venez à perdre votre argent par les voleurs ou autrement, rendez gloire à Dieu; vous y gagnerez, et vous ferez éprouver à votre ennemi une double défaite : vous ne vous êtes pas irrités, premier insuccès pour le tentateur et vous avez rendu grâces, seconde déception. S'il voit que la perte des richesses vous afflige, et vous fait murmurer contre Dieu, il ne cessera pas ses manoeuvres. Si au contraire il s'aperçoit que loin de blasphémer Dieu votre créateur, vous lui rendez grâce pour chaque épreuve, il s'abstiendra de vous tenter, sachant que l'infortune est pour vous un motif d'actions de grâces, et qu'elle vous prépare une couronne plus brillante, et une plus grande récompense. C'est ce que Job éprouva. Il avait perdu tous ses biens, son corps n'était qu'une plaie, et il continuait de témoigner à Dieu sa reconnaissance; à cette vue, le démon n'ose pas aller plus loin, il se retire vaincu et couvert de confusion; il n'avait fait qu'augmenter la gloire de l'athlète du Seigneur.
 
 

223
 
 

Pénétrés de ces vérités, ne craignons qu'une chose, le péché. Supportons avec courage tout le reste, perte d'argent, maladie , bouleversement, violence, calomnie, ou toute autre calamité qui nous survienne. Tout cela ne peut nous nuire, et, si nous le supportons avec patience, nous sera même très-utile et embellira notre récompense. Voyez Job ceint de la couronne de patience et de courage, il reçoit le double de ce qu'il avait perdu. Pour vous, ce n'est pas le double, ni le triple que vous recevrez, mais le centuple, si vous êtes généreux; vous aurez la vie éternelle en héritage; puissions-nous tous l'obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.

CINQUIÈME HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DE DIEU.
 

ANALYSE. Le Fils et le Saint-Esprit connaissent parfaitement le Père. — Les mots Dieu et Seigneur sont communs au père et au Fils. — Prudence de saint Paul dans ses enseignements. — Non-seulement la substance des anges, mais aussi celle de notre âme est incompréhensible pour nous. — Les Anoméens objectent : « Vous adorez donc ce que vous ignorez ! » — Réponse à cette objection. — Puissance de la prière. — L'humilité produit la confiance.
 
 

1. Quand on traite un sujet vaste qui exige plusieurs discours, et qui demande non-seulement un, deux, ou trois jours, mais beaucoup plus, il ne faut pas le présenter en . bloc et d'un seul coup à l'intelligence des auditeurs; il convient de le diviser en plusieurs parties; ce qui le rend plus facile à suivre pour tous. La langue, l'ouïe, chacun de nos sens a ses règles et ses limites; quiconque dépasse ces bornes, émousse la vigueur de ces organes. Quoi de plus doux que la lumière? Quoi de plus agréable que les rayons du soleil ? Et cependant cette douceur, ce plaisir trop prolongé devient, pour l'œil, pénible et insupportable. Aussi, Dieu a-t-il fait succéder au jour la nuit qui repose les yeux fatigués, ferme les paupières, ranime la vigueur de l'organe de la vue, et le rend plus apte à ses fonctions du lendemain. Ainsi la veille et le sommeil, quoiqu'opposés, nous offrent, bien réglés, une égale jouissance; la lumière nous est douce, doux aussi est le sommeil qui nous dérobe la lumière. L'excès est partout fâcheux et funeste; la modération, douce, agréable et utile. Il y a déjà quatre ou cinq jours que nous parlons de l'incompréhensible; la discussion ne sera pas encore terminée aujourd'hui; mais après vous en avoir entretenu suffisamment, nous ne fatiguerons pas outre mesure votre attention, et nous laisserons vos esprits se reposer un peu.

            Où en sommes-nous restés la dernière fois? C'est là qu'il faut reprendre, puisque nous continuons aujourd'hui de traiter le même sujet. Selon le fils du Tonnerre, disions-nous, nul n'a jamais vu Dieu, excepté le Fils unique qui est dans le sein du Père, qui nous l'a fait connaître. (Jean, I, 18.) Montrons aujourd'hui en quel endroit le Fils unique a exposé ce dogme, le voici : Il répondit aux Juifs et dit : Nul n'a vu le Père, si ce n'est Celui qui est de Dieu; celui-là a vu le Père. (Ibid. VI, 46.) II appelle encore ici vision la connaissance. Il ne dit pas simplement : Nul n'a vu le Père, sans rien ajouter. On aurait pu croire qu'il s'agit des hommes seuls. Il a ajouté ce qui suit pour exclure et les anges, et les archanges et les vertus célestes. Car après ces mots : Nul n'a vu le Père, il continue : Si ce n'est Celui qui (226) est de Dieu, celui-là a vu le Père. S'il eût dit simplement: Nul, beaucoup d'auditeurs, peut-être, auraient cru qu'il n'était question que de notre nature dans cette exclusion. Mais joignant au mot nul les mots : Si ce n'est le Fils, il exclut par là toute la création. —Et le Saint-Esprit, direz-vous. Aucunement; car le Saint-Esprit ne fait pas partie de la création, et l'expression nul caractérise toujours la créature. Appliquée au Père, elle n'exclut pas le Fils, ni au Fils, le Saint-Esprit.

Montrons encore plus clairement que nul implique l'exclusion de la créature et non du Saint-Esprit. Au sujet de la science qui ne convient qu'au Fils, écoutons ce que dit saint Paul aux Corinthiens : Qui connaît les secrets de l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l'Esprit de Dieu. (I Cor. II, 11.) Comme ici le mot nul n'exclut pas le Fils, de même appliqué au Christ, il n'excepte pas l'Esprit-Saint. Notre assertion est donc vraie. Car si dans ce texte : Nul n'a vu le Père, si ce n'est Celui qui est de Dieu, le Saint-Esprit était excepté , saint Paul n'aurait pas pu dire : que comme l'homme connaît ce qui est en lui , ainsi l'Esprit-Saint connaît parfaitement ce qui est en Dieu. Il en est ainsi du mot un; il a la même force, voyez : Un seul Dieu, le Père, duquel tout découle, et un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui tout a été fait. (Ibid. VIII, 6.) Car si ces mots: Un seul Dieu le Père, ôtent au Fils la divinité, ceux-ci : Un seul Seigneur Jésus-Christ, dépouillent le Père de la domination; mais le Père n'est pas privé de la domination, parce qu'il y a un seul Seigneur Jésus-Christ; ce n'est donc pas non plus ravir au Fils la divinité que de dire : Un seul Dieu, le Père.

2. Le Père, dira-t-on, est appelé un seul Dieu, parce que le Fils, quoique Dieu, n'est pas un Dieu aussi grand que le Père. — De cette distinction, il faudrait conclure, à Dieu ne plaise ! que le Fils étant appelé un seul Seigneur, le Père quoique Seigneur, n'est pas un Seigneur aussi grand que le Fils. Si cette dernière parole est une impiété, que penser de la première? Mais ce mot un seul Seigneur ne dépouille pas le Père de la vraie domination pour la conférer au Fils seul; de même, ce mot un seul Dieu ne prive pas le Fils de la véritable et réelle divinité pour l'attribuer uniquement au Père. Le Fils est Dieu, même Dieu que le Père, tout en restant Fils; la suite le prouve. En effet, si le mot Dieu ne convient qu'au Père, s’il ne peut s'appliquer qu'à cette Personne première et inengendrée, comme une qualification propre à elle seule et distinctive, il est superflu d'ajouter le mot Père. Il suffit de dire un seul Dieu, pour savoir de qui l'on parle. Mais le nom de Dieu étant commun au Père et au Fils, en disant un seul Dieu, saint Paul n'indiquait pas clairement de quelle Personne il était question. Aussi dut-il ajouter le mot Père pour montrer qu'il s'agissait de la première personne inengendrée, le mot Dieu, ne suffisant pas à cet effet, puisqu'il est commun au Père et au Fils. Car il y a des noms commuas et des noms propres; ceux-là indiquent l'identité d'essence , ceux-ci caractérisent les propriétés des personnes.

Ainsi les noms de Père et de Fils sont propres à chaque personne; ceux de Dieu et de Seigneur leur sont communs. S'étant servi du mot un seul Dieu, l'Apôtre emploie encore un nom propre pour montrer de qui il parlait, et nous empêcher de tomber dans l'hérésie de Sabellius. Car les noms Dieu et Seigneur ne sont ni inférieurs, ni supérieurs l'un à l'autre; cela est ici évident. Dans l'Ancien Testament, le Père est sans cesse appelé Seigneur. Le Seigneur ton Dieu, le Seigneur est un (Ex. XX, 2); Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul (Deut. VI, 13) ; Notre-Seigneur est grand, sa puissance est infinie et sa sagesse n'a point de bornes (PS. CXLVI, 5) ; Qu'ils sachent que votre nom est le Seigneur, et que vous êtes seul le Très-Haut sur toute la terre. (PS. LXXXII, 19.) Si ce nom était inférieur à celui de Dieu, et indigne de l'essence divine, il ne faudrait pas dire : Qu'ils connaissent que votre nom est le Seigneur. D'autre part, si le mot Dieu l'emporte sur celui de Seigneur, s'il est plus honorable, il ne faut pas attribuer le nom propre du Père au Fils, qui selon eux est inférieur. Mais il n'en est pas ainsi. Le Fils n'est pas au-dessous du Père, ni le nom de Seigneur moindre que celui de Dieu. Aussi la sainte Ecriture donne ces deux noms indifféremment au Père et au Fils. Vous avez vu le Père appelé Seigneur, voyons maintenant le Fils appelé Dieu. Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils à qui on donnera le nom d'Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous. (Is. VII, 14; Matth. I, 23.) Vous le voyez, le nom de Seigneur est attribué au Père, et celui de Dieu au Fils. (227) Comme il est dit auparavant : Qu'ils connaissent que votre nom est le Seigneur. Il est dit ici : On lui donnera le nom d'Emmanuel. Un petit Enfant nous est né, un Fils nous a été donné, il sera appelé l'ange du grand conseil, le Dieu fort, puissant. (Is. IX, 6.)

Admirez la puissance et la sagesse spirituelle des prophètes. Pour qu'on ne croie pas que, par le mot de Dieu, ils entendent le Père, ils rappellent d'abord l'Incarnation. Car le Père n'est pas né d'une vierge, n'a pas été petit enfant. Un autre prophète s'écrie : Il est notre Dieu, et nul autre ne subsistera devant lui. (Bar. III, 36.) De qui parle-t-il? Du Père? Nullement. Ecoutez comment il rappelle aussi l'Incarnation. Après ces mots: Il est notre Dieu, nul autre ne subsistera devant lui, il ajoute : Il a trouvé toutes les voies de la science, et il l'a donnée à Jacob son serviteur, à Israël son bien-aimé. Après cela il a été vu sur la terre et il a conversé avec les hommes. Saint Paul a dit les paroles suivantes : Desquels est sorti selon la chair, Jésus-Christ qui est Dieu, au-dessus de tout et béni dans les siècles, Amen (Rom. IX, 5); Nul fornicateur, nul avare ne sera héritier du royaume de Jésus-Christ et de Dieu (Ephés. V, 5) ; Par l'avènement du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. (Tit. II, 13.) Saint Jean lui donne aussi ce nom : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu , et le Verbe était Dieu. (Jean, I,1.)

3. C'est vrai, me direz-vous. Mais montrez-nous un passage où l'Ecriture, en parlant du Père et du Fils, nomme le Père Seigneur. Je vais vous le montrer, et de plus vous prouver qu'elle appelle le Père et le Fils indifféremment Dieu et Seigneur. Où cela? Un jour Jésus-Christ, disputant avec les Juifs, dit : Que vous semble du Christ ? De qui est-il fils ? Ils répondirent : De David. Il reprit : Comment David, en esprit, l'appelle-t-il son Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur Asseyez-vous à ma droite ? (Matth. XXII, 42.) Voici un Seigneur et un Seigneur. Voulez-vous savoir où l’Ecriture, en même temps, appelle Dieu et le Père et le Fils? Ecoutez le prophète David et l'apôtre saint Paul : Votre trône, ô Dieu! sera un trône éternel; le sceptre de votre empire sera un sceptre d'équité. Vous avez aimé la justice et vous avez haï l'iniquité; c'est pourquoi, ô Dieu! votre Dieu vous a sacré d'une huile de joie d'une manière plus excellente que tous ceux qui vous sont unis. (Ps. XLIV, 7 ; Héb.  I, 8.) Saint Paul rend encore le même témoignage : L'Ecriture dit des anges : Dieu a fait les esprits ses anges; mais du Fils : Votre trône, ô Dieux! sera un trône éternel. (Héb. I, 7.) Pour quelle raison l'Apôtre appelle-t-il le Père Dieu, et le Fils Seigneur? Il n'a pas agi ainsi sans motif et au hasard, mais parce qu'il raisonnait contre les Grecs entachés de polythéisme. Ils auraient pu objecter : vous nous accusez de reconnaître plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, et vous tombez dans la même faute en disant les dieux et non pas Dieu. Saint Paul, se proportionnant à leur faiblesse, donne au Fils un autre nom qui a la même force.

Telle est la vérité, et en reprenant le texte un peu plus haut, volas verrez clairement que ce n'est point une vaine conjecture. Quant aux viandes offertes aux idoles, nous n'ignorons pas que nous avons tous assez de science. La science enfle, la charité édifie. Quant à ce qui est de manger de ces viandes, nous savons que les idoles ne sont rien dans le monde, et qu'il n'y a nul autre Dieu que le seul Dieu. (I Cor. VIII, 1 et 4.) Il parle, comme vous le voyez, à ces Grecs qui admettaient la pluralité des dieux. Il continue ainsi: Car quoique plusieurs soient appelés dieux, et plusieurs seigneurs au ciel et sur la terre, et qu'il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs (c'est-à-dire ainsi appelés), nous n'avons qu'un seul Dieu le Père, d'où tout découle, et qu'un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui tout a été fait. (Ibid. 5.) Il se sert du mot seul, pour ne pas leur faire croire qu'il introduisait le polythéisme. Il appelle le Père seul Dieu, sans ôter au Fils la divinité, et le Fils seul Seigneur, sans ravir au Père la domination. Il parle ainsi pour condescendre à leur faiblesse et pour ne pas les scandaliser. C'est pour la même raison que, chez les Juifs, les Prophètes ne parlent pas du Fils de Dieu d'une manière claire et évidente, mais rarement et en termes obscurs. Naguère convertis du polythéisme, s'ils avaient entendu dire : Dieu le Père, Dieu le Fils, ils seraient retombés dans leur premier égarement. Aussi les Prophètes proclament-ils partout et sans cesse, qu'il n'y a qu'un Dieu, qu'il n'y en a pas d'autre que lui. (Deut. IV, 35; Is. XLV, 5.) Ils ne nient pas le Fils, non; mais ils veulent ménager la faiblesse des Juifs, et les détourner de la croyance aux faux dieux.
 
 

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En entendant ces expressions : nul et autres semblables, gardez-vous d'en abuser pour amoindrir la gloire de la Trinité, mais apprenez de là combien elle l'emporte sur la créature. Ailleurs il est dit : Qui a connu les desseins de Dieu ? (Rom. II, 34; Is. XL,13.) Ces paroles ne nous donnent pas non plus le droit de refuser cette connaissance au Fils ni au Saint-Esprit; nous l'avons prouvé plus haut, par un texte de saint Paul : Qui connaît les secrets de l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? Ainsi personne ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l'Esprit de Dieu; par un passage de saint Luc où Jésus-Christ dit : Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils (Luc. X, 22) ; nous l'avons prouvé enfin par un troisième témoignage emprunté à saint Jean : Personne n'a vu le Père, sinon Celui qui est de Dieu; celui-là a vu le Père. (Jean, VI, 46.) Ce dernier texte ne nous apprend pas seulement que le Fils connaît Dieu parfaitement, mais encore il nous en donne la raison. Quelle est cette raison? C'est que le Fils est de Dieu. Ainsi l'apôtre saint Jean nous révèle en une seule parole deux dogmes, savoir que le Fils est du Père, et que le Fils connaît le Père; en effet, on ne peut affirmer l'un sans affirmer l'autre; si le Fils connaît le Père, c'est qu'il est du Père et réciproquement. Une substance ne peut bien connaître une substance supérieure, si petite que, soit la distance qui les sépare. Selon le Prophète, il n'y a qu'une très-petite différence entre la nature angélique et la nature humaine : Qu'est-ce que l'homme, pour que vous vous souveniez, de lui, et le fils de l'homme pour,que vous pensiez à lui? Vous ne l'avez abaissé qu'un peu au-dessous des anges. (Ps. VIII, 5.) Mais quelque légère que soit la différence, dès tors qu'elle existe, nous ne connaissons pas parfaitement la nature des anges, et malgré toutes nos investigations, nous ne pouvons la comprendre.

4. Que dis-je, des anges ? l'essence de notre âme elle-même, nous ne la connaissons pas parfaitement, ou plutôt nous l'ignorons tout à fait. Si les Anoméens prétendent le savoir, demandez-leur ce que c'est que la substance de l'âme? Est-ce de l'air? du vent? un souffle ? une flamme? Rien de tout cela, assurément; car tout cela est corps, et l'âme est incorporelle. Ils ignorent la nature des anges et celle de leur âme, et ils se vantent de connaître parfaitement leur Seigneur et leur Créateur? Quoi de plus triste que cette folle? Mais pourquoi parler de la substance de l'âme? Personne ne peut dire comment elle est dans le corps, Est-elle répandue dans la masse ? Ce serait absurde; cette manière d'être est le propre des corps. Cela ne peut se dire de l'âme. Car, les mains et les pieds coupés, elle demeure entière, et en mutilant le corps, on ne mutile pas l'âme. Mais si elle n'est pas répandue dans tout le corps, réside-t-elle dans une partie? Alors les autres parties sont mortes; car ce qui n'est pas animé est mort. Cette hypothèse est inadmissible. Nous savons que l'âme est dans notre corps; comment y est-elle ? nous l'ignorons. Dieu nous a dérobé cette connaissance pour rabattre nos prétentions, nous maintenir dans l'humilité, et nous empêcher de rechercher et de scruter ce.qui est au-dessus de nous.

Mais pour prouver cette vérité sans le secours du raisonnement, revenons à l'Ecriture sainte: Nul n'a vu le Père sinon Celui qui est de Dieu celui-là a vu le Père. —  Ce passage, direz-vous, n'attribue pas au Fils une connaissance parfaite. Il indique que la créature ne connaît pas Dieu: Nul n'a vu le Père, et que le Fils le connaît : Sinon Celui qui, est de Dieu; celui-là a vu le Père. Qu'il le connaisse parfaitement, et comme il se connaît lui-même, cela n'est pas démontré. Il peut se faire que ni la créature, ni le Fils, quoique ayant une science plus grande, ne le comprennent pas parfaitement. Le Fils sait que Dieu existe, voilà tout ce que vous pouvez conclure de votre citation: mais qu'il le connaisse entièrement et comme il se connaît lui-même, rien ne le prouve. — Faut-il vous le montrer . par la sainte Ecriture et par les paroles mêmes de Jésus-Christ ? Ecoutons ce qu'il dit aux Juifs : Comme le Père me connaît, je connais le Père. (Jean, X, 15.) Quelle connaissance plus parfaite désirez-vous ? Interrogez nos adversaires; répondez, Anoméens : Le Père connaît-il le Fils pleinement, en a-t-il une compréhension entière; pénètre-t-il toute l'essence du Fils, sa science est-elle parfaite? Oui, répondez-vous. Si donc le Fils connaît le Père, comme le Père connaît le Fils, cela suffit, puisque de part et d'autre la science est égale.

Ailleurs le Sauveur déclare la même chose : Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. (Matth. XI, 27.) Il révèle non autant qu'il connaît, mais (229) selon que nous sommes capables d'entendre. Si saint Paul en agit ainsi, à plus forte raison Jésus-Christ doit il user de cette prudence. Or, l'Apôtre écrit à ses disciples : Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles. Comme à de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, et non des viandes solides. Vous n'en étiez pas capables. (I Cor. III, 1.) — Mais, direz-vous , l'Apôtre ne parle ici qu'aux seuls Corinthiens. —  Et si nous vous montrons qu'il a connu des mystères cachés à tous les hommes, et qu'il est mort sans les avoir communiqués ? Où en trouver la preuve ? Dans l'Epître aux Corinthiens : J'ai entendu des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter. (II Cor. XII, 4.) Cependant, après avoir entendu ces paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter, il n'a qu'une science imparfaite et bien inférieure à la science future. Car c'est le même qui a dit: Ce que nous avons de science et de prophétie est très-imparfait. Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant. Maintenant nous voyons en un miroir et en des énigmes; alors nous verrons face à face. ( I Cor. XIII, 9, etc.) Ces paroles ruinent tous les raisonnements des Anoméens. Lorsqu'on ignore, je ne dis pas si Dieu est, mais ce qu'est l'essence divine, n'est-ce pas folie de lui imposer un nom et de vouloir la définir? Quand même nous la connaîtrions clairement, ce serait une témérité de donner nous-mêmes un nom à l'essence du souverain Maître. Saint Paul n'a pas osé dénommer les vertus d'en-haut : Il a placé le Christ au-dessus de toutes les principautés, de toutes les puissances, de toutes les vertus et de tous les noms qui peuvent être non-seulement dans le siècle présent, mais aussi dans le siècle futur. (Eph. I, 21.) Il nous apprend que les vertus ont des noms que nous saurons alors, et il craint d'en substituer d'autres à ceux qu'il ne connaît pas, qu'il ne veut pas même scruter. Quel pardon, quelle excuse restent encore à ces hommes qui cherchent à sonder l'essence divine ? Puisque cette essence est inconnue, nécessairement inconnue; arrière les insensés qui affichent la prétention de la connaître ! Dieu est inengendré ; vérité évidente. Que tel soit le nom de sa substance, aucun prophète ne l'a dit; aucun apôtre, aucun évangéliste ne l'a insinué. Et avec raison, car, ignorant l'essence elle-même, comment auraient-ils pu la nommer ?

5. A quoi bon citer l'Ecriture sainte? L'absurdité du système que nous combattons est si évidente, son extravagance si grande, que les païens eux-mêmes, plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie, n'ont rien osé de semblable. Aucun n'a eu l'audace de définir l'essence divine, et de lui imposer un nom; que dis-je? l'essence divine ! Malgré tous leurs efforts, les philosophes n'ont pu définir la nature des esprits, et ils en donnent plutôt.une description obscure, un aperçu, qu'une définition.

A tout cela qu'est-ce qu'objectent nos sages Anoméens ? Vous ne connaissez pas ce que vous adorez. Voilà l'objection.

Certes , après avoir si clairement démontré par l'Ecriture sainte que l'essence de Dieu ne peut être connue parfaitement de personne, je ne devrais pas relever une pareille attaque. Mais puisque c'est le désir de les éclairer et non la haine qui me fait parler, montrons-leur qu'il y a plus d'ignorance dans leur prétention de comprendre Dieu, que dans l'aveu de notre impuissance. Supposons deux hommes qui discutent sur la grandeur du ciel. L'un dit : le regard de l'homme ne peut en embrasser l'étendue; l'autre prétend qu'il le mesure.de la main; dites-moi, quel est celui qui comprend mieux la grandeur du ciel, celui qui se vante d'en connaître la mesure, ou celui qui avoue son ignorance? Si ce dernier connaît mieux l'étendue du ciel que le premier, pourquoi n'aurions-nous pas la même réserve que lui en parlant de Dieu? Agir autrement, n'est-ce pas le comble de la folie ? Il nous suffit de savoir que Dieu existe , sans vouloir pénétrer son essence. Ecoutez saint Paul : Pour s'approcher de Dieu il faut croire qu'il est. (Héb. XI, 6.) Le Prophète reproche à l'impie d'ignorer, non la nature, mais l'existence de Dieu: L'impie a dit dans son coeur : il n'y a pas de Dieu. (Ps. XIII, 1.) Ce qui distingue l'impie, c'est de nier qu'il y a un Dieu, et non d'ignorer quelle est son essence; de même c'est satisfaire à son devoir que de reconnaître que Dieu existe.

Les Anoméens font encore une autre objection. Laquelle? Il est écrit, disent-ils : Dieu est esprit. (Jean, IV, 24.) Mais est-ce la définition de son essence? Qui le croira, pour peu qu'il ait seulement ouvert les saintes Ecritures? A raisonner de la sorte, Dieu sera aussi un feu. S'il est dit: Dieu est esprit, il est aussi écrit : Notre (230) Dieu est un feu dévorant. (Héb. XII, 29.) On l'appelle encore : une source d'eau vive. (Jér. II, 13.) Il ne sera pas seulement esprit, source, feu, mais aussi âme, souffle, intelligence humaine, pour ne rien dire de plus absurde. Je ne veux pas continuer et imiter leur folie. Le mot esprit (pneuma) a plusieurs sens. Il signifie notre âme, comme dans ce passage de saint Paul: Livrez cet homme à Satan, afin que son esprit ou son âme soit sauvée (I Cor. V, 5); le vent, d'après le Prophète : Vous les briserez par le souffle d'un esprit, c'est-à-dire d'un vent impétueux (Ps. XLVII, 8); un don spirituel : L'esprit lui-même rend témoignage à notre esprit (Rom. VIII, 16) ; et encore : Je prierai de coeur, et je prierai d'esprit. (I Cor. XIV, 15); la colère selon Isaïe : N'était-ce pas vous qui vouliez les détruire dans la rigueur de votre esprit, c'est-à-dire de votre colère ? (Is. XXVII, 8); le secours de Dieu : Le Christ, le Seigneur, l'Esprit est devant nous. (Thrén. IV, 20.) Dieu est tout cela d'après eux. Mais laissons ces niaiseries qui n'ont pas besoin de réfutation. Terminons la discussion, recourons à la- prière, et demandons la conversion des hérétiques avec d'autant plus d'ardeur que leur impiété est plus grande.

6. Ne cessons pas d'intercéder pour eux. La prière est une arme puissante, un trésor inépuisable de richesses infinies, un port à (abri des tempêtes, une cause de tranquillité, la racine, la source, la mère d'une foule de biens; elle est préférable à un empire. Souvent quand le roi est en proie à la fièvre et étendu sur sa couche, se pressent autour de lui les médecins, les gardes, les serviteurs, les officiers; mais ni l'art des médecins, ni la présence des amis, ni les soins des serviteurs, ni la variété des remèdes, ni la magnificence des apprêts, ni l'abondance des richesses, nul moyen humain ne peut calmer la maladie. Mais si quelqu'un plein de confiance en Dieu entre et touche seulement le corps en faisant une prière fervente, il chasse subitement le mal. Et ce que la richesse, la multitude des serviteurs, une science rare, une grande expérience, la gloire du roi n'ont pu produire, souvent la prière d'un pauvre mendiant l'a opéré. Je dis la prière, non lâche et distraite, mais fervente et partant d'un coeur contrit et d'un esprit attentif. C'est elle qui pénètre les cieux. L'eau répandue sur un vaste espace ne s'élève pas, mais comprimée par la main d'un habile ouvrier, plus rapide qu'un trait, elle jaillit vers le ciel. Ainsi l'âme de l'homme, tant qu'elle jouit de l'abondance, demeure plongée dans la mollesse; mais quand les revers et les chagrins l'accablent, grâce à cette heureuse épreuve, elle exhale vers Dieu des prières pures et ferventes. Ces prières arrachées par l'angoisse sont plus facilement exaucées; écoutez le Prophète: Dans l'affliction j'ai crié vers le Seigneur, et il m'a exaucé. (Ps. CXIX,1.) Embrasons donc notre coeur; que le souvenir de nos péchés brise notre âme; non pour la jeter dans le désespoir, mais pour la rendre sobre; vigilante, digne d'être exaucée, et pour la conduire au ciel. La lâcheté et la paresse cèdent bientôt devant la douleur et l'affliction qui recueillent l'âme et la font rentrer en elle-même. Celui qui prie ainsi avec larmes, ne tarde pas à éprouver une grande joie dans son coeur. Les nuées en s'amassant obscurcissent d'abord le ciel; mais après qu'elles sont tombées sous forme de pluie, l'air redevient pur et serein. Ainsi la douleur, concentrée à l'intérieur, obscurcit l'intelligence; mais lorsque par une prière accompagnée de larmes, elle s'est exhalée et manifestée au dehors, l'âme recouvre sa joie, et le secours de Dieu, comme un rayon vivifiant, pénètre le coeur qui prie.

Mais dira froidement quelqu'un, je crains, je suis tout confus, je ne puis ouvrir la bouche. —Timidité satanique; prétexte de la paresse. Le démon veut vous fermer tout accès auprès de Dieu. Vous vous sentez découragé? Tant mieux, c'est une raison de plus pour avoir confiance. Vous avez une très-petite idée de vous-même. — C'est ce qu'il faut; c'est un grand avantage : au contraire si vous présumez trop de vous, malheur à vous, votre honte et votre damnation éternelles sont inévitables. Quelles que soient vos bonnes couvres, quelque juste que vous soyez à vos yeux, si vous vous appuyez sur vous-même, votre prière perd sa vertu. Au contraire, quelque nombreux- que soient vos péchés, si vous vous regardez comme le dernier de tous, vous trouverez grâce devant Dieu, quoiqu'il n'y ait pas beaucoup d'humilité à se croire pécheur quand on l'est -réellement. L'humilité consiste à se regarder comme un néant, malgré la grandeur et le nombre de ses mérites. Il est humble celui qui après avoir dit avec saint Paul: Ma conscience ne me reproche rien, ajoute : mais pour cela je ne suis pas justifié (I Cor. IV, 4) ; et encore : Jésus-Christ est venu sauver les (231) pécheurs, entre lesquels je suis le premier. (I Tim. I, 15.) Il est humble celui qui, glorifié par ses oeuvres, s'humilie dans son coeur. Toutefois Dieu, dans sa bonté ineffable, reçoit non-seulement les justes véritablement humbles, mais aussi les pécheurs qui confessent sincèrement leurs fautes, et il se montre envers eux plein de miséricorde. Pour comprendre le grand mérite de l'humilité, supposez deux chars: l'un traîné par la justice et l'orgueil; l'autre par le péché et l'humilité. Vous verrez le char du péché précéder celui de la justice, non par sa propre vertu, mais par la force que lui communique l'humilité; de même la. justice sera vaincue non par sa propre faiblesse, mais parle fardeau dont l'accable l'orgueil. L'humilité, par sou excellence, surmonte la résistance du péché; tandis que l'orgueil, comme un lourd fardeau, l'emporte sur la justice trop faible et en triomphe facilement.

7. Pour mieux comprendre cette comparaison, souvenez-vous du pharisien et du publicain. Le pharisien joint la justice à l'orgueil : Je vous rends grâces, dit-il, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, voleurs, injustes, ni comme ce publicain. (Luc. XVIII, 11.) Insensé ! Le genre humain ne suffit pas pour assouvir son orgueil; il insulte follement â ce publicain qui se trouve à côté de lui. Et celui-ci, que fait-il ? Il ne repousse pas les injures, il supporte ces reproches, et reçoit ces paroles avec reconnaissance. Le trait de l'ennemi fut pour lui un remède; son insulte, une louange; ses reproches, une couronne. Tel est l'avantage de l'humilité; telle est la récompense de quiconque souffre avec patience les calomnies et les injures d'autrui. Nous pouvons aussi en recueillir un autre fruit considérable, comme fit le publicain. Car, en recevant ces reproches, il obtint la rémission de ses péchés. Et après cette prière : Ayez pitié de moi, qui suis pécheur, il descendit justifié, et non pas l'autre; les paroles l'emportent sur les oeuvres, les discours sur les actions. L'un vanta justice, jeûne, dîmes; l'autre fit une humble prière, et tous ses péchés lui furent remis. Car Dieu n'entendit pas seulement les paroles; il vit le fond du coeur, et touché par l'humilité et la contrition du publicain, il eut pitié de lui et le reçut favorablement. Je dis ceci pour vous engager, non à pécher, mais à vous humilier. Car, si un publicain, la pire espèce de pécheur, en confessant ses fautes avec un coeur humble et sincère, en reconnaissant sa misère, a obtenu de Dieu une telle grâce, quelles bénédictions n'obtiendront-ils .pas ceux qui, malgré leurs vertus, sont toujours humbles ! C'est pourquoi je vous exhorte, je -vous conjure de vous confesser à Dieu souvent. Je ne vous oblige pas à révéler vos péchés aux hommes, en présence de vos frères. Ouvrez votre cœur à Dieu; montrez-lui vos blessures; demandez-lui les remèdes nécessaires. Montrez-vous à lui, non comme à un ennemi, mais comme à un médecin; malgré votre silence, il connaît tout. Parlez, et cela vous sera utile. Parlez, et ayant. déposé toutes vos iniquités, vous reviendrez pur et justifié, et vous serez délivré de la honte d'un aveu public.

Les trois enfants étaient dans la fournaise, donnant leur vie pour Dieu. Cependant après un tel sacrifice, ils s'écrient : Nous n'osons ouvrir la bouche; nous sommes devenus un sujet de confusion et de honte à vos, serviteurs et à ceux qui vous adorent. (Dan. III, 33.) Pourquoi donc ouvrez-vous la bouche? Pour dire que cela ne vous est pas permis, et par là apaiser le Seigneur. La puissance de la prière éteint la violence du feu, arrête la fureur des lions, fait cesser les guerres, apaise les combats, calme les tempêtes, chasse les démons, ouvre les portes du ciel, brise les liens de la mort, guérit les maladies, écarte les dangers, raffermit les villes chancelantes, éloigne les fléaux du ciel, les embûches des hommes, et en un mot tous les malheurs. Je dis la prière, non celle que la bouche prononce, mais celle qui s'échappe du fond du coeur. Les arbres qui ont de profondes racines résistent à tous les efforts des vents, sans se rompre ni s'arracher, parce que les racines les attachent fortement au sol; ainsi la prière qui sort du fond de l'âme, qui vient de la partie la plus intime de l'âme, monte sans crainte vers le ciel, sans qu'aucune distraction puisse la détourner de son but. Voilà pourquoi le Prophète s'écrie : Des profondeurs de l'abîme j'ai crié vers vous, Seigneur. (Ps. CXXIX, 1.) Que servent ces applaudissements que j'entends? louez-moi par vos oeuvres, pratiquez ce que vous approuvez.

C'est une consolation pour un malheureux de raconter ses infortunes à des hommes, de leur confier ses chagrins, comme si la parole les faisait disparaître; à plus forte raison, serez-vous ranimés et consolés, si vous découvrez à Dieu les misères de votre âme. Souvent l'homme (232) est importuné par les plaintes et les larmes d'un malheureux; il le dédaigne et le repousse. Il n'en est pas ainsi de Dieu; il invite, il presse, vous lui exposez longuement vos misères, il vous en aime davantage, il exauce vos prières. C'est ce que nous déclare Jésus-Christ par ces paroles : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et accablés, et je vous soulagerai. (Matth. XI, 28.) Il nous invite pour vaincre notre négligence; il nous presse pour triompher de notre opposition. Quand nous serions couverts d'iniquités, allons à lui avec confiance. Car voilà ceux qu'il appelle. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence. (Id. IX, 13.) Par ces mots fatigués, accablés, il entend ceux qui gémissent sous le poids de leurs péchés. Car c'est un Dieu de consolation, un Dieu de miséricorde (II Cor. 1, 3), et sans cesse il console, il encourage les malheureux et les affligés, quels que soient leurs péchés. Allons, courons à lui, ne craignons pas; l'expérience nous prouvera la vérité de ces paroles; rien ne pourra plus nous troubler, si notre prière est fervente et continuelle. Quoi qu'il arrive, la prière nous aidera à tout supporter. Et quoi d'étonnant, qu'elle puisse dissiper nos tristesses, lorsqu'elle efface et détruit si facilement les péchés? Si donc nous voulons parcourir heureusement cette vie, nous purifier des péchés que nous avons commis, et nous présenter un jour avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ, usons de ce remède de la prière, et rendons-le plus efficace parles larmes, le zèle, la ferveur et la patience; ainsi, nos âmes jouiront d'une inaltérable santé, et nous posséderons les biens futurs. Puissions-nous les obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

SIXIÈME HOMÉLIE. SUR SAINT PHILOGONE.
 

ANALYSE. Combien la vie future l'emporte sur la vie présente. — Saint Philogone fréquente d'abord le barreau. — Choisi pour évêque, il pratique toute sorte de vertus. — Exhortation pour la fête de Noël qui approchait. — Une vraie pénitence quoique courte peut purifier la conscience. — Manière de faire pénitence.
 
 

            1. Je voulais encore aujourd'hui descendre dans l'arène contre les hérétiques, et m'acquitter de ma dette 'envers vous; mais la fête de saint Philogone, que nous célébrons en ce jour, m'invite à vous raconter ses grandes actions. Il me faut obéir, car si celui qui maudit son père ou sa mère mérite la mort, celui qui les bénit, au contraire, mérite de vivre. (Ex. XXI, 16; Lév. XX, 9.) Et si tel doit être notre respect pour nos parents, selon, la: nature, combien plus devons-nous honorer nos Pères spirituels, surtout quand la louange, si elle n'ajoute rien à la gloire dont ils jouissent dans l'autre monde, devient pour vous et pour moi une source de bénédictions. Ce grand saint est au ciel, et il n'a pas besoin de nos éloges pour jouir pleinement de son bonheur; mais nous, qui sommes encore sur la terre, il nous faut des encouragements, et c'est en louant ses vertus que nous serons portés à l'imiter. Aussi le Sage nous dit-il : La mémoire du juste est accompagnée de louanges. (Pro. X, 7.) L'avantage n'est pas pour les justes sortis de ce monde, mais pour nous, leurs panégyristes. Le profit que nous retirons de ces louanges n'est pas douteux ; livrons-nous-y donc avec empressement et sans hésitation. La circonstance d'ailleurs est favorable : c'est aujourd'hui que saint Philogone est passé de cette vie terrestre à une vie bienheureuse, et qu'il est arrivé au port où l'on n'a plus à craindre ni naufrage, ni afflictions, ni souffrances. Et quoi d'étonnant si ce séjour est exempt de toute tristesse, lorsque saint Paul dit aux chrétiens encore sur cette terre : Réjouissez-vous toujours, priez sans cesse. (I Thes. V, 16.)

Si dans ce bas-monde, où règnent les maladies, les persécutions, les morts prématurées, la calomnie, l'envie, le découragement, la colère, les désirs mauvais, des embûches sans nombre des inquiétudes journalières , des maux qui se succèdent sans interruption et nous accablent de chagrins, on peut cependant, d'après saint Paul, se réjouir toujours, pourvu que, se débarrassant un peu des affaires du siècle, on sache régler sa vie; à plus forte raison, jouirons-nous de ce bonheur, après avoir terminé notre pèlerinage ici-bas, alors (234) qu'il n'y aura plus ni maladies, ni passion, ni occasion de péché, alors qu'il n'y aura plus ni de tien, ni de mien; cette parole froide et dure, cause de tous nos maux, source de guerres continuelles. Aussi je félicite ce grand saint : il est parti du milieu de nous, il a quitté notre ville, mais il est entré dans une autre cité, dans la cité de Dieu; il a abandonné cette Eglise, mais il a retrouvé l'Eglise des premiers-nés inscrits dans le ciel; et en quittant nos fêtes, il est allé partager les solennités des anges; car dans le ciel, il y a une cité, une Eglise, des solennités. Ecoutez saint Paul : Vous vous êtes approchés de la ville du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, de l'Eglise des premiers-nés, qui sont écrits dans le ciel, de la fête des anges innombrables. (Héb. XII, 22 et 23.)

Ce n'est pas seulement la multitude des vertus célestes, c'est encore l'abondance des biens, de la joie et du bonheur sans fin, que saint Paul exprime par ces paroles ; car une fête (aavrwpts) consiste dans une foule nombreuse et aussi dans un marché considérable. C'est là que l'on expose, que l'on vend et que l'on achète le blé, l'orge, et toute sorte de grains; des troupeaux de brebis ou de bœufs, des habits, etc. Tout cela se retrouve donc dans le ciel, direz-vous ? — Non, mais quelque chose de bien supérieur. Il n'y a ni blé, ni orge, ni autre production semblable; on y recueille en abondance les fruits de l'esprit, la charité, la joie , l'allégresse , la paix, la bonté, la douceur. Il n'y a point de troupeau de bœufs, et de brebis, on y voit les âmes des justes, les vertus des saints et leurs bonnes oeuvres. Il n'y a ni étoffe, ni vêtements , mais des couronnes plus précieuses que l'or, des prix, des récompenses, et mille autres biens réservés à ceux qui ont vaillamment combattu. La multitude réunie au ciel est plus nombreuse et plus vénérable que tout ce qu'on voit sur la terre : ce ne sont pas seulement les hommes d'une ville ou d'un pays que l'on y voit; on y admire des millions d'anges et d'archanges; là, des troupes de prophètes, ailleurs les choeurs des martyrs, le collège des apôtres, les assemblées des justes et de toutes les âmes agréables à Dieu. C'est une fête vraiment admirable, et, pour comble de bonheur, au milieu de la fête apparaît le Monarque suprême. Car, après ces mots: de la fête des anges innombrables, saint Paul ajoute : de Dieu, le juge de tous. Vit-on jamais le roi paraître au milieu d'une fête ? ici-bas, jamais; dans le ciel, au contraire, les saints le voient sans cesse au milieu d'eux, autant qu'ils peuvent le voir; la splendeur de sa gloire embellit leur assemblée. Nos fêtes finissent souvent à midi: celle-là dure éternellement; elle n'attend ni le retour des mois, ni les révolutions des années ou des jours; c'est une fête perpétuelle; ses joies n'ont pas de bornes, ne connaissent pas de fin, ne peuvent ni vieillir ni se flétrir, elles sont toujours jeunes et immortelles. Là, aucun trouble, aucun désordre, mais une harmonie parfaite ; de tous les coeurs s'élève vers le souverain Créateur un concert mélodieux, plus doux que toute musique humaine, et l'âme, comme dans un sanctuaire impénétrable, célèbre une liturgie divine qui ne doit point finir.

2. C'est aujourd'hui que saint Philogone est passé à cette vie bienheureuse et immortelle, Quel discours égalerait la gloire de ce saint, jugé digne d'un tel bonheur? Aucun; garderons-nous pour cela le silence ? Et pourquoi sommes-nous réunis? Dirons-nous que nos paroles ne peuvent atteindre à la sublimité de ses actions? et c'est ce motif même qui nous engage à parler, parce que le plus bel éloge que l'on puisse faire, c'est de reconnaître que l'on ne peut égaler les paroles aux actions; car, pour louer des oeuvres qui surpassent la nature mortelle , le langage humain est insuffisant. Toutefois saint Philogone ne repoussera pas notre parole , il imitera son Maître. Celui-ci, ayant vu une pauvre veuve offrir deus oboles, ne la récompense pas seulement de ces deux oboles. Pourquoi ? parce qu'il considère non la quantité des richesses, mais la libéralité du coeur. Si vous comptez l'or ou l'argent, vous trouverez dans l'aumône de la veuve une grande pauvreté; si vous examinez la volonté, vous verrez un trésor infini de générosité ! Malgré notre dénuement, nous offrons, nous aussi, ce que nous avons. Si cette offrande ne répond pas à la grandeur du glorieux Philogone, il est pourtant de sa générosité de ne la point refuser, et d'en user comme font, ordinairement les riches en pareil cas. Lorsque les riches reçoivent dés pauvres de petits présents dont ils n'ont aucun besoin, ils les récompensent largement d'une offrande proportionnée à leurs moyens. Ainsi ce grand saint recevra nos louanges dont il n'a pas (235) besoin, et en retour nous comblera des bénédictions qui nous sont toujours si nécessaires. Par où faut-il commencer ce panégyrique? n'est-ce pas par la fonction sainte que la grâce du Saint-Esprit lui a confiée? Les charges, dans le monde, ne sont pas toujours une preuve des vertus de ceux qui les exercent, elles forment même souvent une présomption défavorable. Pourquoi? c'est que ces charges s'obtiennent par l'influence des amis, par des démarches et des flatteries, et par d'autres manoeuvres plus honteuses; mais quand Dieu a parlé et a donné son suffrage, quand sa main a touché la tête sacrée de l'élu, l'élection est pure, le jugement à l'abri de tout soupçon, et l'autorité de celui qui a choisi est une preuve infaillible du mérite de celui qui est appelé.

Saint Philogone fut ainsi choisi de Dieu; la pureté de ses moeurs le prouve. C'est du barreau qu'il fut tiré pour être placé sur le trône épiscopal ; il avait une femme et une fille, et exerçait les fonctions d'avocat. Néanmoins il menait une vie si chaste et si pure, ses vertus brillaient d'un si vif éclat que, de suite, on le trouva digne de cette grande charge, et qu'il passa immédiatement du siège des avocats sur ce trône sacré. Avocat, il défendait les hommes contre les embûches de leurs ennemis; il défendait les opprimés contre les oppresseurs. Evêque, il protégea les chrétiens contre les attaques du démon : une preuve évidente de sa vertu, c'est que Dieu, dans sa bonté, l'a jugé digne de cet honneur. Ecoutez ce que Jésus-Christ ressuscité dit à Pierre. Il lui demande d'abord : Pierre, m'aimez-vous? (Jean, XXI, 16) et sur sa réponse : Vous savez, Seigneur, que je vous aime, il ne lui dit pas Quittez vos richesses, jeûnez, travaillez, ressuscitez les morts, chassez les démons; il ne lui parle ni de ces prodiges, ni de ces bonnes oeuvres ; mais laissant tout cela de côté, il ajoute : Si vous m'aimez, paissez mes brebis. Par ces paroles, il nous montre non-seulement combien Pierre l'aimait, mais aussi que la charité de saint Pierre, pour ses brebis, était une grande preuve de son amour pour son divin Maître. Jésus-Christ semble dire : il m'aime, celui qui aime mes brebis. Considérez combien Jésus-Christ a souffert pour ce troupeau : il s'est fait homme , il a pris la forme d'un esclave , il a été bafoué , souffleté, enfin il a accepté la mort, et la mort la plus ignominieuse, puisqu'il a versé son sang sur la croix. Si donc vous voulez lui plaire, veillez sur ses brebis, recherchez le bien publie, travaillez au salut de vos frères. Rien n'est plus agréable à Dieu; aussi ailleurs il dit : Simon, Simon, Satan a demandé de vous cribler comme le froment; j'ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point. (Luc. XXII, 31.) Que me donnerez-vous en retour de mes soins et de ma sollicitude? Mais que demande le Sauveur? le même zèle qu'il a montré lui-même. Une fois converti, dit-il à Pierre, confirmez vos frères. Et saint Paul exprime la même pensée : Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ. (I Cor. IV, 16.) Comment êtes-vous imitateur du Christ, ô grand apôtre? En tâchant de plaire à tous en tout, en cherchant non ce qui m'est avantageux, mais ce qui est avantageux à plusieurs pour être sauvés. (I Cor. X, 33.) Et ailleurs il dit : Jésus-Christ n'a pas cherché à se satisfaire, mais à plaire à plusieurs. (Rom. XV, 3.) La marque distinctive , le caractère propre du fidèle qui aime Jésus-Christ, c'est le zèle pour le salut de son prochain.

3. Qu'ils m'entendent tous, les religieux qui habitent les sommets des montagnes, et qui sont tout à fait crucifiés au monde. C'est un devoir pour eux d'aider, selon leurs forces, les évêques chargés des Eglises, de les assister par leurs prières, leur union et leur charité. Qu'ils le sachent bien, si, malgré leur éloignement, ils ne secourent les évêques chargés du soin des affaires et exposés à tant de périls , ils perdront tout le mérite de leur vie, et leur sagesse sera stérile. Telle est la plus grande preuve de l'amour envers Jésus-Christ. Voyons maintenant comment saint Philogone a exercé l'épiscopat, ou plutôt notre discours, notre parole est inutile , votre zèle le montre assez. Si, en entrant dans une vigne, vous voyez les ceps vigoureux et chargés de fruits, la vigne elle-même entourée de murs et bien défendue, vous n'avez pas besoin de longs discours, ni d'autres preuves, pour reconnaître le zèle du vigneron. De même ici, en contemplant cette vigne spirituelle et ses fruits abondants, la parole est superflue pour montrer ce qu'est votre évêque. C'est ainsi que saint Paul dit : Vous êtes notre lettre écrite dans nos coeurs et lue par tous les hommes. (II Cor. III, 2.) Le fleuve révèle la source, et l'arbre la racine.

Je devrais dire à quelle époque il exerça ses fonctions ; cette circonstance ajouterait à sa (236) gloire, et mettrait en relief ses vertus. Il y avait alors de grandes difficultés; on sortait des persécutions, les suites de cette affreuse tempête duraient encore, et les abus à corriger étaient nombreux. De plus , il faudrait raconter tout ce que, dans sa sagesse prévoyante, il fit contre l'hérésie alors naissante; mais un autre sujet nous arrête. Laissons donc cette tâche à notre Père commun, imitateur de saint Philogone, et mieux instruit que nous de l'antiquité, et passons à la seconde partie de notre discours, car voici venir une fête, la plus belle, la plus vénérable et, sans exagération , la première de toutes les fêtes. Quelle est-elle? La naissance de Jésus-Christ selon la chair.

4. Elle est la cause et l'origine de l'Epiphanie, de Pâques, de l'Ascension, de la Pentecôte. Si Jésus-Christ n'était pas né selon la chair, il n'aurait pas été baptisé , d'où l'Epiphanie; il n'aurait pas été crucifié, ce que nous rappelle le jour de Pâques; il n'aurait pas envoyé le Saint-Esprit, dont la Pentecôte est la fête. De la fête de Noël découlent nos autres fêtes, comme divers fleuves d'une même source. Ce n'est pas là le seul motif de la prééminence de cette solennité; le mystère qu'elle nous représente est de tous le plus digne de vénération..Jésus-Christ fait homme, meurt; conséquence naturelle. Quoiqu'il n'eût pas commis de péché, il avait pris un corps mortel. Ce fait n'en est pas moins admirable. Mais qu'étant Dieu, il daigne se faire homme et s'abaisser au delà de tout ce que l'intelligence peut concevoir , voilà le prodige le plus saisissant, le plus extraordinaire. Saint Paul, plein d'admiration, s'écrie : Sans doute, c'est un grand mystère d'amour. Comment ? Dieu s'est manifesté dans la chair (I Tim. III, 16) ; et ailleurs : Dieu n'a pas sauvé les anges, mais il a sauvé la race d'Abraham; c'est pourquoi il a dû en tout se faire semblable à ses frères. (Hébr. II, 16.) Aussi j'aime et je chéris cette fête, et je vous dévoile mon amour, afin de vous en rendre participants. Je vous en prie tous et vous en conjure, venez avec zèle et empressement; venez voir le Seigneur couché dans une crèche, enveloppé de langes spectacle étonnant et qui pénètre d'une sainte terreur ! quelle excuse, quel pardon, si, lorsqu'il descend du ciel pour nous, nous hésitons à sortir de nos maisons pour aller à lui? Les Mages, barbares et étrangers, accourent de la Perse pour le voir couché dans la crèche; et vous, Chrétiens, vous craignez de faire un pas pour jouir de cet heureux spectacle ! Car si nous approchons avec foi, nous le verrons couché dans la crèche; l'autel en effet, tient lieu de crèche. Là aussi sera déposé le corps du Seigneur, non enveloppé de langes, mais tout revêtu du Saint-Esprit. Les initiés me comprennent. Les Mages ne purent que l'adorer; vous, si vous approchez avec une conscience pure, vous pouvez le prendre et l'emporter avez vous, venez donc avec des présents plus saints que ceux des Mages. Ils offrirent de l'or; offrez la sagesse et la vertu; ils offrirent de l'encens , offrez des prières pures, parfums spirituels. Ils offrirent de la myrrhe, offrez l'humilité, l'aumône, un coeur soumis. Si vous approchez avec ces dons, vous pourrez en toute confiance participer à la table sainte . Je vous parle ainsi, parce que je sais que dans ce jour beaucoup se présenteront pour participer à la victime spirituelle. Pour que vous y trouviez le salut et non votre ruine et votre damnation, je vous prie et vous conjure de vous purifier avec le plus grand soin avant d'approcher des saints mystères.

5. Que personne ne dise :je suis tout confus, ma conscience est chargée de péchés; je suis accablé d'un poids énorme. Car il y a encore cinq jours, et c'est assez, si vous êtes sobres, si vous veillez, si vous priez, pour effacer beaucoup de péchés. Ne songez donc pas à la brièveté du temps; pensez à la miséricorde du Seigneur. En trois jours les Ninivites apaisèrent la colère de Dieu; malgré ce court intervalle, l'ardeur de leur zèle, avec la grâce du Seigneur, put accomplir ce grand oeuvre. La femme adultère, se jetant aux pieds de Jésus, fut en un instant purifiée de tous ses péchés; les Juifs murmuraient de ce que Jésus-Christ l'avait reçue avec tant de bonté, il leur ferma la bouche: et pour cette femme, après lui avoir remis ses fautes et loué son zèle, il la renvoya. Pourquoi? parce qu'elle vint avec une âme dévouée, un coeur brûlant, une foi ardente; parce qu'elle toucha les pieds sacrés du Sauveur, y répandit des parfums, et, les cheveux épars, versa des larmes abondantes. Ce qui lui avait servi pour tromper les hommes, devint pour elle un remède salutaire. Ses yeux, qui avaient fasciné,les impudiques, versent des larmes; de ses cheveux qui en avaient entraîné plusieurs au péché, elle essuie les pieds du Christ. Les (237) parfums, qui avaient servi d'appâts, sont répandus sur les pieds de Jésus.

Qu'il en soit ainsi de vous : que ce qui a irrité Dieu le rende maintenant propice. Vous l'avez irrité par l'avarice. Apaisez-le en restituant surabondamment le bien dérobé, et dites avec Zachée : Je rends le quadruple de tout ce que j'ai pris. (Luc. XIX, 8.) Vous 'l'avez irrité parles intempérances de la langue et les calomnies? Apaisez-le en faisant des prières pures, en bénissant ceux qui vous maudissent, en louant ceux qui vous méprisent; en rendant grâces à ceux qui vous persécutent. Pour cela, il ne faut pas des jours, des années; avec de la bonne volonté , un jour suffit. Fuyez le mal, pratiquez la vertu, rompez avec le péché, promettez de ne plus le commettre , et c'est assez pour vous justifier. Je l'atteste et j’en suis garant; si un pécheur d'entre nous abandonne ses iniquités passées et en toute sincérité promet à Dieu de n'en plus commettre, Dieu ne demande pas autre chose pour l'absoudre. Car il est bon et miséricordieux, et il désire vivement répandre sur nous sa miséricorde : nos péchés sont le seul obstacle. Renversons ce mur de séparation; commençons dès maintenant la fête , en mettant de côté toutes les affaires pendant ces cinq jours. Laissons le barreau, l'assemblée, les soins temporels, le commerce, les traités. Je veux sauver mon âme. Que sert à l'homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme? (Matth. XVI, 26.) Les Mages sortent de la Perse; sortez des affaires de cette vie, et allez à Jésus; il n'est pas loin, si nous le voulons. Il ne faut pas traverser les mers, franchir les sommets des montagnes. Mais chez vous, par la piété et la componction du coeur, vous pouvez le voir, écarter l'obstacle et abréger la longueur de la route. Je suis un Dieu proche, et non éloigné. (Jér. XXIII, 23.) Dieu est près de tous ceux qui l'invoquent en vérité. (Ps. CXLIV, 18.)

Maintenant voyez quel excès de mépris et d'égarement chez plusieurs : accablés d'iniquités, sans aucune préparation, ils osent, les jours de fête, se présenter ainsi à la sainte table; ils ne savent donc pas que la condition pour communier, ce n'est pas de le faire un jour de fête ou de solennité, mais avec une conscience pure et une vie exempte de fautes. Celui qui ne se sent coupable d'aucun péché grave, doit s'approcher chaque jour; de même le pécheur qui ne se repent pas ne peut en sûreté communier même un jour de fête. Venir nous asseoir au banquet sacré une fois l'an , ne nous purifie pas,de nos péchés, si nous le faisons indignement, mais nous rend, au contraire, plus coupables, puisque, ne communiant qu'une fois, nous n'avons pas même alors la pureté requise.

Aussi, je vous en conjure tous, n'approchez pas des divins mystères uniquement à cause de la circonstance de la fête. Mais quand vous devez participer à la sainte Victime, purifiez-vous plusieurs jours d'avance par la pénitence, par la prière, par l'aumône, par les exercices spirituels, afin de ne pas retourner au vice comme le chien à son vomissement. Quelle folie ! on s'occupe du corps avec le plus grand soin : plusieurs jours avant la fête, on prépare ses plus beaux habits, on achète des sandales, on dresse des tables somptueuses, on fait d'amples provisions, on cherche à s'embellir, à s'orner de toutes manières; mais pour l'âme, elle est négligée, aride, hideuse, affamée, impure, et l'on ne s'en inquiète pas; on vient ici le corps bien paré et l'âme dans un état d'affreuse nudité. Votre frère voit le corps, et l'état de ce corps, quel qu'il soit, ne le scandalise pas. Dieu voit l'âme et il châtie sévèrement la négligence. Ne savez-vous pas que sur cette table est un feu spirituel, et qu'il en sort une flamme mystérieuse, comme l'eau jaillit des sources? Ne vous présentez donc pas avec de la paille, du bois, du foin; de peur d'augmenter l'incendie et de consumer votre âme; mais venez avec les pierres précieuses, l'or et l'argent des vertus, pour les purifier de plus en plus et pouvoir vous retirer chargés de richesses. Chassez, expulsez de votre âme tout ce qui est mal.

                Avez-vous un ennemi? avez-vous éprouvé quelque injustice? bannissez l'inimitié, réprimez les soulèvements de votre âme exaspérée; qu'il n'y ait au dedans de vous ni trouble, ni désordre. Vous allez recevoir un roi par la sainte communion; à l'arrivée de ce roi dans votre âme, il faut qu'il y règne le calme, la tranquillité et une paix profonde. Mais vous avez été indignement blessé, vous ne pouvez apaiser votre colère? Pourquoi donc vous nuire encore davantage? Car votre ennemi vous a causé moins de maux que vous ne vous en faites à vous-même en refusant de vous réconcilier et en foulant aux pieds les lois de Dieu. Il vous a injurié ! est-ce une raison pour (238) insulter Dieu? En repoussant la réconciliation, vous punissez moins celui qui vous a offensé, que vous n'outragez Dieu qui a porté cette loi. Laissez donc votre frère, oubliez la grandeur des injures qu'il vous a causées, mais pensez à Dieu, pénétrez-vous de la crainte du Seigneur, et souvenez-vous que plus vous vous ferez violence pour vous réconcilier, plus grand sera votre honneur auprès de Dieu qui commande le pardon. Si vous recevez Dieu ici-bas avec beaucoup de respect, là-haut, il vous recevra avec une grande gloire; il vous rendra le centuple pour récompenser votre obéissance. Puissiez vous jouir tous de ce bonheur par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui soient avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l'honneur, l'empire, l'adoration, dans les siècles des siècles, Ainsi soit-il.

SEPTIÈME HOMÉLIE. LE FILS EST CONSUBSTANTIEL AU PÈRE.
 

ANALYSE. Nécessité de prêter une oreille attentive à la parole de Dieu. — Le Fils est consubstantiel au Père. — Les expressions qui dans l'Écriture semblent rabaisser le Fils, trouvent leur explication dans l'Incarnation. — Autres motifs du langage de l'Écriture. — Il y a deux volontés en Jésus-Christ. — Exhortation à la prière.
 
 

1. Encore les jeux du cirque, encore l'église déserte; ou plutôt non, puisque vous êtes venus, l'église n'a rien perdu. Le laboureur à la vue de sa récolte en pleine maturité, s'inquiète peu des feuilles qui tombent; c'est le sentiment que j'éprouve, car je vous regarde comme des fruits, et ces déserteurs de l'église comme des feuilles; ils ont été emportés par le vent des plaisirs, mais la perte est médiocre puisque vous nous restez. A la vérité leur négligence m'attriste, mais votre assiduité me console. Au reste, ces gens-là, même lorsqu'ils viennent, ne sont pas présents; leur corps est ici, leur esprit divague au dehors. Pour vous, même en votre absence, vous êtes présents; votre corps est ailleurs, votre esprit est ici. Je voulais ne les pas épargner aujourd'hui. Mais réprimander des absents qui ne m'entendent pas, ce serait combattre des fantômes. J'attendrai pour cela qu'ils soient ici, et avec la grâce de Dieu, j'essayerai de vous conduire aux pâturages accoutumés de la sainte Écriture. On a beau y puiser, c'est un océan quine tarit jamais. Soyez dociles et attentifs. Sur mer tous les passagers peuvent dormir; pourvu que le pilote veille, il n'y a aucun danger; sa vigilance, son habileté suffisent à tout. Il n'en est pas de même ici; l'orateur a beau s'appliquer: si les auditeurs n'apportent pas la même attention, la parole tombe inutilement, ne trouvant pas de coeurs préparés à la recevoir.

Il faut donc être attentif et vigilant; car il s'agit d'une affaire importante. Ce n'est pas pour de l'or, de l'argent, des richesses périssables que nous naviguons, mais pour la vie future et les trésors du ciel; les voies différentes par lesquelles les hommes peuvent s'avancer dans la vie, sont plus nombreuses encore que sur terre ou sur mer; et quiconque ne saura pas se diriger sûrement fera un funeste naufrage. Vous tous qui voguez avec nous, montrez, non l'insouciance des passagers, mais le zèle et la vigilance des pilotes. Pendant que les autres dorment, les pilotes, assis au gouvernail, examinent les routes de la mer et les profondeurs du ciel, et guidés par le cours des astres, ils dirigent les navires en toute sûreté; un autre ne pourrait (240) naviguer plus intrépidement en plein jour, qu'ils ne le font au milieu de la nuit, lorsque la mer paraît le plus terrible; ils manoeuvrent attentifs et impassibles; ils considèrent non-seulement les voies de l'océan et le cours des astres, mais aussi la direction des vents ; et telle est leur habileté, que souvent, lorsque la tempête se lève plus violente et prête à engloutir les vaisseaux, ils savent par la disposition des voiles, éviter tout danger; leur science triomphe des efforts des vents, et arrache les passagers au naufrage. Si ces pilotes, parcourant la mer pour des richesses temporelles, montrent une telle vigilance, à plus forte raison, doit-il en être ainsi de nous. Car la négligence aurait des conséquences plus graves, et la vigilance, un résultat plus heureux pour nous que pour eux. Notre barque n'est pas formée de planches, mais des saintes Ecritures; ce ne sont pas les astres du ciel qui nous conduisent, c'est le soleil de justice qui dirige notre course; assis au gouvernail nous n'attendons pas le souffle du zéphyr, mais la douce influence du Saint-Esprit.

2. Veillons donc, examinons attentivement toutes les voies. Nous allons encore parler de la gloire du Fils unique. Naguère nous avons montré que la compréhension de l'essence divine surpasse infiniment la science de l'homme, des anges, des archanges et de toute créature; et que le Fils unique et le Saint-Esprit seuls connaissent clairement cette essence. Maintenant transportons la lutte sur un autre terrain. Nous cherchons si le Fils a la même vertu, la même puissance, la même substance que le Père, ou plutôt nous ne le cherchons pas; car, par la grâce de Jésus-Christ, nous l'avons trouvé et nous le croyons fermement; mais nous voulons le démontrer à ceux qui ont l'impudence de le nier. J'ai honte, je rougis d'aborder ce sujet: qui de vous ne rirait de nous voir occupés à prouver et démontrer des- choses si évidentes. N'est-ce pas se condamner soi-même que de chercher si le Fils est consubstantiel au Père ? Car une telle conduite est en contradiction non-seulement avec l'Ecriture, mais avec l'opinion générale des hommes et la nature des choses. Que l'engendré soit de la même substance que l'engendrant, cela se voit, non-seulement pour les hommes, mais pour les animaux, pour les arbres mêmes. N'est-il pas absurde quand cette loi est immuable parmi les plantes, les hommes et les animaux, de vouloir la violer et la renverser en Dieu seul, Cependant, ne nous contentons pas de ces raisons tirées de la nature des choses, et passons aux saintes Ecritures, dont les paroles prouveront ce dogme. Ce n'est pas nous, fidèles, ce sont ces incrédules qui sont dignes de risée, eux qui repoussent des choses si claires et qui résistent à la vérité.

Quelles objections élèvent-ils contre la croyance universelle? Si, de ce que Jésus-Christ est appelé Fils, il s'ensuit qu'il est con. substantiel, nous sommes aussi consubstantiels, nous tous; car nous sommes appelés fils. N'est. il, pas écrit : J’ai dit : Vous êtes tous des dieux et les fils du Très-Haut. (Ps. LXXXI, 6.) — O imprudence ! ô folie extrême ! Comme ces hérétiques mettent à nu leur démence ! Quand nous parlions de l'Incompréhensible, ils s'arrogeaient ce qui est le propre du Fils, et prétendaient connaître Dieu aussi parfaitement qu'il se con. naît lui-même. Maintenant que nous parlons de la gloire du Fils, ils veulent le rabaisser à leur niveau. Nous aussi, disent-ils, nous sommes appelés fils, et nous ne sommes pas pour cela consubstantiels à Dieu. Vous êtes appelés fils, oui, mais le Christ est Fils; vous en avez le nom; lui, la réalité. Vous êtes appelés fils, mais non comme lui, fils unique; vous n'habitez pas le sein du Père, vous n'êtes pas la splendeur de la gloire, ni la figure de la substance, ni la forme de Dieu. (Hébr. I, 13.) Si notre premier raisonnement ne suffit pas,. laissez-vous du moins persuader par les passages de l'Ecriture, qui prouvent la noble origine de notre Sauveur. Dans les textes suivants, Jésus-Christ montre qu'il ne diffère en rien du Père , quant à la substance ; Celui qui me voit, voit mon Père (Jean, XIV, 9); Mon Père et moi nous sommes un (Jean, X, 30) ; quant à la puissance : Comme le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils vivifie qui il veut (Jean, V, 21); quant au culte : Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père (Ibid. 23) ; quant à l'autorité de législateur : Mon père agit et moi aussi. (Ibid. 17.) Mais laissant de côté tous ces textes, ils refusent de prendre le mot Fils dans son sens propre, par la raison qu'ils sont eux-mêmes honorés de ce nom, et ils rabais. sent jusqu'à eux le Fils de Dieu, en s'appuyant sur ces paroles : J'ai dit: Vous êtes tous des dieux et les fils du très-Haut. Puisque, à vous entendre, le Fils, malgré ce nom, n'a rien (241) de plus que vous, et n'est pas vraiment Fils, il s'ensuit que le Père, malgré le nom de Dieu, n'a rien de plus que vous puisqu'il vous a aussi communiqué ce nom. Carde la même manière que vous êtes appelés fils, vous êtes appelés Dieu. Ce nom de Dieu, bien qu'il vous soit donné, vous n'osez dire que ce soit une simple dénomination sans réalité, mais vous reconnaissez que le Père est vrai Dieu; de même ainsi craignez de vous comparer au Fils et ne dites pas: moi aussi, je suis appelé fils; et puisque je n'ai pas la même substance que le Père, lui non plus n'est pas consubstantiel. Car tout ce que nous avons dit ci-dessus montre qu'il est vrai Fils et qu'il a la même substance que le Père. Ces paroles, en effet: Il est la figure et la forme de Dieu, ne prouvent-elles pas l'identité de substance ! En Dieu il n'y a ni forme ni visage. — Mais, direz-vous, il y a des textes contraires. Il est dit par exemple, que le Fils prie le Père. S'il a la même puissance, la même essence, s'il opère tout par sa vertu, pourquoi prie-t-il ?

3. A cette objection je veux en ajouter d'autres en vous citant divers passages où Jésus-Christ s'humilie dans son langage. Seulement je vous ferai une observation : Nous avons beaucoup d'excellentes raisons qui expliqueront les passages de l'Écriture où Jésus-Christ semble humilié. Au contraire, pour rendre raison de ceux où il est exalté, vous ne trouverez qu'une seule explication que j'ai déjà exposée; c'est qu'il veut nous montrer sa noble origine. Comprenez-moi bien : les textes que vous nous citerez, nous pouvons les interpréter dans le sens de notre croyance, ceux que nous vous apporterons, aucune interprétation ne les fera cadrer avec vos erreurs. En sorte que si vous persistez à entendre vos textes, comme vous faites, vous devrez aboutir à la conséquence absurde qu'il y a contradiction dans l'Écriture. Car dire : Comme le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut, etc, et ensuite prier au lieu d'agir, c'est une contradiction pour vous; pour que toute difficulté disparaisse pour vous comme pour nous, il vous faut pénétrer avec nous les raisons pour lesquelles Jésus-Christ est quelquefois humilié dans le langage de l'Écriture. Quelles sont donc ces raisons ? La première et la principale, c'est qu'il a revêtu notre chair; il veut, en s'abaissant, convaincre ses contemporains et les siècles futurs que son corps n'est pas une ombre ou un fantôme, mais une réalité. Après tant de textes qui prouvent son humanité, des malheureux, poussés par le démon, ont osé nier l'Incarnation, soutenir que le Fils n'a pas pris un corps , et détruire ainsi le plus grand témoignage de la bonté divine; que serait-ce donc si Jésus-Christ n'avait pas employé ce langage humble ? qui aurait évité cet abime? N'entendez-vous pas nier l'Incarnation par Marcion, Manès, Valentin et beaucoup d'autres ? Ainsi Jésus-Christ tient ce langage humble et si éloigné de son essence ineffable pour nous contraindre à croire l'Incarnation. Car le démon s'est efforcé de détruire cette foi parmi les hommes, sachant bien que s'il y réussissait, c'en était fait de tout le reste.

Une autre raison, c'est la faiblesse des auditeurs de Jésus-Christ, qui, le voyant et l'entendant pour la première fois, ne pouvaient comprendre la sublimité de sa doctrine. Ce que j'avance n'est pas une simple conjecture; je veux vous le prouver par l'Écriture. Quand le langage du Sauveur était élevé, sublime, digne de sa gloire; que dis-je élevé, sublime et digne de sa gloire? quand il dépassait quelque peu la portée de l'intelligence humaine, ils étaient troublés, scandalisés. Quand au contraire Jésus-Christ parlait simplement comme homme , ils accouraient pour .l'entendre. Où en est la preuve? Dans saint Jean surtout. Il leur dit : Abraham votre Père a souhaité mon jour, il l'a vu , et s'en est réjoui (Jean, VIII, 56, etc.) ; ils répondent Vous n'avez pas encore quarante ans et vous avez vu Abraham. Ils le regardaient donc comme un homme. Jésus-Christ reprend Avant qu'Abraham fût, je suis. Et les Juifs prennent des pierres pour les lui jeter. Une autre fois, après avoir longtemps parlé des mystères, il ajoute : Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c'est ma chair, et ils répondent : Ce discours est dur, qui peut l'entendre ? Et plusieurs de ses disciples l'abandonnèrent et ne le suivirent plus. (Jean, VIII, 52, etc.)

Que faire ? toujours parler un langage relevé, au risque d'éloigner et de rebuter les âmes qu'il voulait gagner à sa doctrine? Ce ne serait pas le fait de la miséricorde divine. Jésus-Christ avait dit : Celui qui écoute ma parole, ne mourra jamais (Ibid. 51), et ils s'écrient: N'avons-nous pas bien dit que vous êtes possédé du démon ? Abraham est mort, les Prophètes sont morts, et (242) vous dites: Celui qui écoute ma parole ne mourra jamais. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il en fût ainsi de la foule, quand il en était de même des chefs? L'un d'eux, Nicodème, vint avec d'excellentes dispositions trouver Jésus-Christ et lui dit : Maître, nous savons que vous êtes venu de Dieu. (Jean, III, 2.) Cependant son intelligence trop faible ne put comprendre la doctrine du baptême. Car après ces paroles de Jésus-Christ : Quiconque ne renaît de l'eau et de l'Esprit, ne peut voir le royaume de Dieu, il tombe dans le doute, et dit : Comment un homme déjà vieux peut-il naître ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère une seconde fois, pour naître de nouveau ? Que répond Jésus-Christ : Si vous ne me croyez pas quand je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous, quand je vous parlerai des choses du Ciel ? Plus tard au temps de sa Passion, après avoir fait des milliers de miracles, après avoir clairement manifesté sa puissance, il dit : Vous verrez le Fils de l'Homme venant sur les nuées (Matth. XXVI, 64), et à ces mots le grand prêtre indigné déchire ses vêtements. Comment parler à ces hommes qui repoussent tout langage relevé ? Il ne faut donc pas s'étonner qu'à des auditeurs si faibles et si rampants le Christ n'ait rien dit de grand, rien de sublime sur lui-même.

4. Ce qui précède vous montre assez pourquoi Jésus-Christ parle de lui avec tant de modestie. Je veux encore vous en donner une autre raison. Quand le langage de Jésus-Christ est plus relevé ; les Juifs se scandalisent, se troublent, se retirent, insultent et s'enfuient. Si au contraire il est simple et commun, ils accourent et écoutent avec attention. Ils se retirent; puis à ces paroles : Je ne fais rien de moi-même, et je dis ce que mon Père m'a enseigné (Jean, VIII, 28), ils reviennent aussitôt. Pour nous montrer qu'ils crurent à cause de la simplicité de ses paroles , l'évangéliste ajoute : Lorsqu'il disait ces choses, plusieurs crurent en lui. Partout vous pouvez voir le même résultat. Voilà pourquoi il parle tantôt en homme, tantôt en Dieu et d'une manière digne de sa noble origine; par là, tout en condescendant à la faiblesse de ses auditeurs, il maintient l'intégrité du dogme. Cette condescendance, si elle eût été continuelle, aurait pu faire douter de sa divinité dans les siècles futurs : il y a pourvu; et malgré les négligences, les injures, l'abandon qu'il prévoyait, il parla cependant pour établir ce dogme; il expliqua même la raison de la simplicité de son langage ; cette raison, c'est que les Juifs ne pouvaient pas encore comprendre la sublimité des révélations qu'il avait à leur faire. Pourquoi prêcher ces vérités sublimes à des hommes qui ne voulaient ni écouter ni comprendre, s'il n'eût voulu, par cette prédication inutile aux Juifs, nous instruire nous et ceux qui viendront après nous, nous donner une juste idée de lui-même, et nous indiquer qu'il s'est abaissé dans son langage , parce que les Juifs ne pouvaient le comprendre ? Quand donc vous lisez l'Evangile, songez que Jésus-Christ proportionne son langage, non à sa propre essence, mais à la faible intelligence de ses auditeurs.

Voulez-vous une troisième raison? Ce n'est pas seulement à cause de son Incarnation, et de la faiblesse des auditeurs qu'il parle quelquefois de lui-même avec une grande modestie ; c'est encore pour nous enseigner l'humilité : telle est la troisième raison des abaissements de Jésus-Christ. Il nous prêche cette vertu par ses discours et par ses oeuvres il est modeste en paroles et en actions. Apprenez, dit-il, que je suis doux et humble de coeur (Matth. XI, 29) ; et ailleurs : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir. (id. xx, 28.) Il voulait par ses paroles et ses` actions nous enseigner à être humbles, à ne jamais rechercher les premières places, mais à nous contenter des dernières. Il avait de nombreux motifs de tenir un pareil langage.

Il y a une quatrième raison, qui n'est pas la moins forte. La voici : les rapports intimes des personnes divines auraient pu faire supposer qu'il n'y en a qu'une. Il a voulu prévenir cette erreur, où, malgré cette précaution, plusieurs sont tombés. Ainsi Sabellius l'Africain, à cause de ces paroles : Mon Père et moi nous sommes un (Jean, X, 30); Celui qui me voit, voit mon Père (Id. XIV, 9); paroles qui indiquent l'égalité du Fils avec le Père, Sabellius, dis-je, prétend dans son impiété, qu'il n'y a qu'une personne et qu'une hypostase. Ces raisons ne sont pas les seules. C'était encore pour qu'on ne le crût pas la substance première et inengendrée, ou plus grand que le Père. Saint Paul semble aussi avoir redouté cette doctrine perverse et impie. Après avoir dit: Jésus-Christ doit régner jusqu'à ce qu'il lui ait mis ses ennemis sous les pieds... Il a tout mis sous ses pieds, l'Apôtre ajoute : (243) Excepté celui qui lui a tout soumis (I Cor. XV, 25 et 27) ; addition inutile, s'il n'avait pas craint cette erreur diabolique. Souvent encore, pour apaiser la jalousie des Juifs, calmer les soupçons de ses interlocuteurs , Jésus-Christ tempère son langage; par exemple : Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas véritable. (Jean , V, 31.) En parlant ainsi, son intention n'est pas de leur avouer qu'il soit capable de mensonge, mais de leur reprocher qu'ils l'en soupçonnent.

5. On pourrait encore trouver plusieurs autres raisons, qui nous rendraient compte de la simplicité du langage que tient Jésus-Christ, en parlant de lui-même. Mais vous, essayez d'expliquer les passages où Jésus-Christ est exalté, autrement que par la raison que nous avons donnée, savoir, qu'il voulait révéler sa divinité: je vous défie d'y parvenir. Un prince peut, sans s'avilir, parler de lui-même en termes simples, c'est de la modestie; un esclave qui exalte ses grandeurs se fait mépriser, c'est de l'orgueil. Voilà pourquoi nous louons tous le prince qui s'humilie; et personne ne loue l'esclave qui se vante. Si donc le Fils était bien inférieur au Père, comme vous le dites , il ne devrait pas dans ses paroles se donner comme l'égal du Père; ce serait de la jactance. Mais qu'étant égal au Père, il s'abaisse et s'humilie, personne ne peut l'en blâmer; cela fait son éloge et c'est le plus beau spectacle et le plus instructif à proposer aux hommes.

Entrons plus avant dans la question, et vous verrez que nous ne sommes pas en contradiction avec l'Écriture. Examinons la première raison, et montrons comment, à cause de son Incarnation, il tient un langage au-dessous de son essence divine. Étudions, si vous le voulez, la prière qu'il adresse à son Père. Suivez attentivement. Je veux reprendre d'un peu plus haut. Jésus-Christ avait achevé la cène dans cette nuit sainte où il devait être livré. Je l'appelle sainte, parce que d'elle découlent tous les biens qui inondent la terre. Le traître était avec les onze disciples, et pendant le repas, Jésus-Christ dit : Un de vous me trahira. (Matth. XXVI, 21.) Souvenez-vous de ces paroles, et quand nous traiterons de la prière, vous verrez pourquoi il prie ainsi. Admirez l'attention du Seigneur. Il ne dit pas : Judas me trahira. Ce reproche direct aurait rendu le traître plus impudent. Mais quand celui-ci tourmenté par sa conscience répond : Est-ce moi, Seigneur, Jésus ajoute: Vous l'avez dit. (Mat. XXVI, 45.) Même en ce moment, il ne l'accuse point, il le laisse se juger lui-même. Judas n'en devint pas meilleur, et, ayant pris le morceau, il sortit. Après son départ, Jésus s'adressant à ses disciples, leur dit : Je vous serai à tous une occasion de scandale. (Ib. 34.) Pierre, prenant la parole, dit : Quand tous se scandaliseraient, pour moi, je ne me scandaliserai point. Jésus reprit : En vérité, je vous le dis, avant que le coq chante, vous me renoncerez trois fois. Pierre ayant encore nié, Jésus le laissa. Vous ne croyez pas mes paroles, vous me contredisez ; les actions vous apprendront qu'il ne faut pas contredire le Seigneur. Souvenez-vous encore de ces paroles; elles nous serviront quand nous expliquerons la prière. Il indique le traître, il annonce la fuite de ses disciples et sa mort. Je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées. (Ibid. 31.) Il prédit qui le reniera, quand et combien de fois, et le tout avec exactitude.

Après tout cela, après avoir assez montré qu'il connaissait l'avenir, il va au jardin des Oliviers et prie. Les hérétiques prétendent qu'il prie comme Dieu; nous disons qu'il prie comme homme. Jugez vous-mêmes, mes frères, et par la gloire du Fils unique, prononcez sans prévention. Je plaide devant des amis, toutefois je vous en prie, que votre jugement soit impartial, sans égards pour moi, sans haine contre eux. A n'examiner la chose qu'en elle-même, il est évident que ce n'est pas comme Dieu qu'il prie. Car Dieu ne prie pas, il est adoré; il reçoit nos prières, il n'en fait point. Mais à cause de leur impudence , je veux , par les paroles de cette prière , vous montrer que Jésus-Christ prie comme homme, comme revêtu de notre chair. Quand Jésus s'humilie dans son langage, son humilité est si profonde, que les plus téméraires sont forcés de convenir que son langage est bien au-dessous de son essence ineffable et infinie. Examinons cette prière : Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi. Cependant non comme je veux, mais comme vous voulez.

Ici posons une question aux Anoméens Ignore-t-il s'il est possible ou non d'éviter ce calice, celui qui vient de dire pendant la cène : Un de vous me trahira... Il est écrit. Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées... Je vous serai à tous une occasion de scandale; et en s'adressant à Pierre : Vous me renierez... vous me renierez trois fois. L'ignore-t-il, (243) dites-moi. Qui oserait le soutenir ? Si la mort du Seigneur avait été un secret pour les anges et les prophètes, on pourrait jusqu'à un certain point soutenir que Jésus-Christ l'aurait ignorée. Mais c'était une chose si publique, que les hommes ne l'ignoraient pas; ils en avaient une connaissance exacte , ils savaient que Jésus-Christ devait mourir, et mourir sur la croix; bien des années auparavant, David parlant au nom du Messie, disait : Ils ont percé mes mains et mes pieds. (Ps. XXI, 17.) Remarquez qu'il emploie le passé pour le futur; il nous montre par là que sa prophétie se réalisera aussi certainement, que s'est réalisé un événement déjà passé. Isaïe annonçait la même chose : Comme une brebis qu'on va égorger, comme un agneau muet devant celui qui le tond. (Is. LIII, 7.) Jean en voyant l'agneau disait : Voici l'agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde (Jean, I, 29) ; c'est-à-dire, celui qui a été prédit. Et voyez, il ne l'appelle pas simplement agneau, mais agneau de Dieu. En. s'exprimant ainsi, il veut le distinguer d'un autre agneau, l'agneau des Juifs. Celui-ci était offert pour une nation seulement, celui-là est offert pour toute la terre; le sang de l'un guérissait les plaies corporelles des Juifs seuls, le sang de l'autre purifie le monde entier. L'agneau des Juifs n'opérait pas ces effets par sa propre puissance, mais c'est comme figure de l'agneau de Dieu, qu'il avait cette vertu.

6. Où sont donc ceux qui disent: Jésus-Christ est appelé fils et nous aussi, et qui, à cause de cette communauté de noms, le rabaissent à notre niveau? Voici deux agneaux, ils ont un même nom; la distance entre eux est infinie. Ici, malgré ce nom commun à tous deux, vous ne supposez aucune parité; de même, malgré le nom de fils, ne rabaissez donc pas jusqu'à vous le Fils unique. Mais pourquoi tant discuter sur des choses évidentes? Si Jésus-Christ prie comme Dieu; il y a en lui opposition, lutte et contradiction. Il dit ici : Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi; il hésite, il repousse la passion. Ailleurs ayant annoncé que le Fils de l'Homme serait trahi, flagellé, et Pierre .s'étant écrié : A Dieu ne plaise, cela ne vous arrivera pas, il le réprimande fortement en ces termes : Retirez-vous de moi, satan, vous n'êtes un sujet de scandale , parce que vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles des hommes. (Matth. XVI, 22.) Il venait de le louer et de le féliciter, et il l'appelle satan; ce n'est pas pour l'outrager, il veut montrer par ce reproche, non que telle fut la pensée de Pierre, mais que son langage était si étrange, que quiconque parlerait ainsi, fût-ce même Pierre, mériterait d'être appelé satan. Ailleurs il dit : J'ai désiré avec ardeur de manger cette pâque avec vous. (Luc, XXII, 15.) Pourquoi dit-il, cette pâque ? Il avait déjà célébré cette fête avec eux. Pourquoi donc désire-t-il cette pâque plus qu'une autre ? parce qu'après, c'était la croix. Et encore : Mon Père glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie. (Jean, XVII, 1.) Dans beaucoup d'autres passages, il prédit sa passion, et la désire ; c'est pour cela qu'il est venu. Pourquoi dit-il donc : s'il est possible ? Il nous montre la faiblesse de la nature humaine, qui ne voulait pas quitter la vie présente, qui hésitait et tergiversait à cause de l'amour que Dieu, dès l'origine, lui avait donné pour cette vie. Après de telles paroles, quelques-uns osent dire que le Fils ne s'est pas incarné; sans ces témoignages, que diraient-ils donc? Ici il parle comme Dieu, et il désire sa passion; là comme homme il la fuit et la repousse. Il acceptait volontiers la passion, puisqu'il dit : J'ai le pouvoir de quitter la vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me la ravit, c'est de moi-même que je la quitte. (Jean, X,18.) Comment dit-il donc: Non comme je veux, mais comme vous voulez ? Il n'y arien d'étonnant, qu'avant sa mort, il ait mis tant de soin à prouver la vérité de sa chair, lui qui, après sa résurrection, voyant l'incrédulité de son disciple, n'hésite pas à lui montrer ses blessures, les marques des clous, et à lui faire toucher ses cicatrices, en disant : Regardez et voyez, un esprit n'a ni chair ni os. (Luc, XXIV, 39.)

Voilà pourquoi il n'a pas voulu apparaître dès l'origine à l'état d'homme fait; mais il est conçu, il nait, il est allaité, et il reste sur la terre tout le temps nécessaire pour attester son humanité. Car souvent les anges et Dieu lui-même se sont montrés sous une forme humaine. Ils n'avaient pas un corps véritable, ce n'était qu'une apparence. Pour distinguer son avènement de ces apparitions et pour montrer qu'il était vraiment incarné, il est conçu, enfanté, nourri, couché dans une crèche, non en secret, mais dans une hôtellerie, devant une grande multitude, de sorte que sa naissance peut être connue de tous. Aussi les prophètes annoncent-ils non-seulement qu'il est homme, mais aussi qu'il est conçu, mis au (245) monde et nourri comme les autres enfants. Isaïe s'écrie : Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera Emmanuel; il mangera le beurre et le miel. (Is. VII, 14.) Un petit enfant nous est né; un fils nous est donné. (Ib. IX, 6.) Voyez comment ils ont prédit son enfance l Interrogez l'hérétique : est-ce Dieu qui craint, qui tremble , qui hésite, qui est plongé dans la tristesse? S'il répond oui, retirez-vous, mettez-le au rang ou plutôt au-dessous du diable. Car celui-ci n'a pas osé le dire; s'il répond que tout cela ne peut convenir à Dieu, concluez : donc Jésus-Christ ne prie pas comme Dieu. Si c'étaient là les paroles de Dieu, il en résulterait encore une autre absurdité.

En effet ces paroles montrent non-seulement l'angoisse de l'âme, mais l'apparition de deux volontés, celle du Père et celle du Fils. Ce texte : Non comme je veux, mais comme vous voulez, ce texte, dis-je, le prouve. Les hérétiques ne l'admettent pas, et quand, pour prouver la puissance, nous citons le passage : Mon Père et moi nous sommes un (Jean, X, 30) ; ils prétendent qu'il s'agit de la volonté, et disent que le Père et le Fils n'ont qu'une volonté. Si le Père et le Fils n'ont qu'une volonté, comment Jésus-Christ dit-il : Non comme je veux, mais comme vous voulez? En effet, s'il parle comme Dieu, il y a contradiction, et il en résulte une foule d'absurdités; s'il parle comme homme, son langage se conçoit, et l'on ne peut rien y objecter. Car, que la chair repousse la mort, il n'y a rien de surprenant, c'est naturel. Or, Jésus-Christ a pris toute notre nature, excepté le péché, et il l'a prise complètement, afin de fermer la bouche aux hérétiques. Par ces paroles : S'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi... non comme je veux, mais comme vous voulez, il montre qu'il a vraiment revêtu notre chair qui a horreur de la mort. Car il est de la chair de craindre la mort, de trembler et d'être dans les angoisses. Tantôt Jésus-Christ la laisse abandonnée à elle-même, afin qu'en montrant sa faiblesse il atteste sa nature; tantôt il la voile pour prouver qu'il n'est pas seulement homme. On aurait cru à son humanité, s'il l'avait toujours montrée; et s'il avait toujours accompli des oeuvres divines, on aurait douté de l'Incarnation. Voilà pourquoi , dans ses paroles et ses actes, il mêle le divin et l'humain. De la sorte, il ôte tout prétexte à la folie de Paul de Samosate et à la démence de Marcion et de Manès. Voilà pourquoi encore il prédit l'avenir comme Dieu, et le redoute comme homme.

7. Je voudrais vous exposer les autres raisons, et vous montrer, par les faits mêmes, que la prière du Sauveur, ici preuve de son humanité, sert ailleurs à soutenir la faiblesse des auditeurs. Car, s'il tient un langage humble, ce n'est pas seulement à cause de son Incarnation, mais aussi pour les divers motifs énumérés ci-dessus. Cependant, afin de ne pas noyer ce discours dans la multitude de détails qu'il nous reste à donner, arrêtons-nous, remettons la suite à un autre jour et terminons par l'exhortation à la prière. Nous en avons déjà parlé souvent, et il faut encore y revenir. Les étoffes teintes une fois seulement, perdent facilement leur éclat; plongées dans le bain longtemps et à plusieurs reprises, elles conservent indestructible la délicatesse de leur couleur. Ainsi en est-il de nos âmes. En entendant souvent les mêmes choses, nous devenons pour ainsi dire imbus et tout pénétrés d'ineffaçables enseignements. Ecoutons donc avec attention, car rien n'est plus puissant que la prière: rien ne lui est comparable. Un roi tout brillant de pourpre n'égale point celui qui prie et que glorifie son union avec Dieu. Si en présence de l'armée, des généraux, des chefs et des consuls, quelqu'un s'avance et s'entretient familièrement avec le roi, il attire sur soi tous les yeux, et acquiert par là un éclat nouveau. Tels sont ceux qui prient. Quel honneur en effet, qu'en présence des anges, des archanges, des séraphins, des chérubins et de toutes les autres vertus, un homme s'avance avec une entière confiance et s'entretienne avec leur souverain Maître. Mais, outre l'honneur, nous tirons encore le plus grand avantage de la prière, même avant d'être exaucés. Car, en levant les mains au ciel et en invoquant Dieu, on se sépare des affaires temporelles, on se transporte par la pensée dans la vie future, et l'on contemple déjà les splendeurs célestes; dans le temps de la prière, si. elle est bien faite, on n'est plus de cette vie; les transports de la colère s'apaisent sans peine; les ardeurs de la cupidité s'éteignent; les fureurs de l'envie se calment avec la plus grande facilité. Il nous arrive alors la même chose qui se passe dans la nature, au lever du soleil, selon la description du Prophète : Vous avez répandu les ténèbres, dit-il, et la nuit a été faite; c'est alors (246) que passent toutes les bêtes des forêts; les lionceaux, en rugissant après leur proie, cherchent la nourriture que Dieu leur a donnée. Le soleil se lève; elles rentrent et vont se coucher dans leurs retraites. (Ps. CIII, 20.)

De même qu'aux premiers rayons du soleil toutes les bêtes s'enfuient et se cachent dans leurs repaires, ainsi en est-il de la prière; comme un rayon elle s'échappe de nos lèvres, illumine notre âme, chasse et met en fuite toutes les passions brutales, et les fait rentrer dans leurs cavernes, pourvu que nous priions avec attention, avec une âme ardente et un esprit vigilant. Alors le démon se retire. Quand un maître parle à un esclave, aucun autre esclave, même des plus confiants, n'oserait venir troubler cet entretien ; à plus forte raison les dérasons, si odieux au Seigneur, ne pourront-ils nous empêcher de parler à Dieu, si nous le faisons avec le zèle convenable. La prière, c'est le port contre la tempête, l'ancre du salut, le bâton du vieillard, le trésor des pauvres, la sûreté des riches, la guérison des maladies, la gardienne de la santé. La prière nous conserve nos biens intacts et écarte promptement les maux. Survient-il une tentation? elle est facilement repoussée; une perte de richesses ou toute autre affliction? tout est bientôt réparé. La prière chasse la tristesse, excite la gaieté; elle est la source de plaisirs continuels, la mère de la sagesse.

Celui qui prie avec attention, fût-il le plus pauvre, devient le plus riche; celui qui ne prie pas, au contraire, fût-il assis sur le trône impérial, est le plus pauvre de tous les hommes. Achab n'était-il pas roi? n'avait-il pas des monceaux d'or et d'argent? Mais parce qu'il ne priait pas, il lui fallut faire chercher Elie, un homme sans habitation, qui n'avait pour tout vêtement qu'une peau de brebis.O roi, qui possédez de si grands trésors, vous cherchez un homme qui ne possède rien ! Oui, dit-il; car à quoi me servent ces richesses? Le Prophète a fermé le ciel, et tout me devient inutile. Vous le voyez, Elie était plus riche que ce roil Car jusqu'à ce qu'il eût parlé, le roi avec toute son armée était réduit à la dernière misère, O merveille ! Elie n'a pas même de quoi se vêtir et il ferme le ciel. Et c'est cette pauvreté qui lui donne une telle prérogative. Parce qu'il ne possède rien ici-bas, il jouit de cette grande puissance. Il n'a qu'à parler, pour faire descendre du ciel d'immenses trésors. O bouche, source de pluies fécondes ! O  langue, qui verse des ondées bienfaisantes ! Voix, qui répand toutes sortes de biens ! Contemplant toujours cet homme pauvre et riche, riche parce qu'il est pauvre, méprisons les choses présentes, et soupirons après lés biens futurs. De cette manière nous jouirons des uns et des autres. Puissions-nous tous les obtenir parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit soit la gloire, maintenant. et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HUITIÈME HOMÉLIE. JUGEMENT ET AUMONE. — DEMANDE DE LA MÈRE DES FILS DE ZÉBÉDÉE.
 

ANALYSE. Réponse à une objection des hérétiques. — Le Fils a le même pouvoir que le Père. — L'aumône se mesure, non par la grandeur du don, mais par la pureté d'intention. — Louange de saint Paul dont l'orateur cite les paroles. — En quel sens Jésus-Christ a dit : Ce n'est pas à moi de donner. — C'est à celui qui combat, de mériter la récompense.
 
 

l. Hier nous revînmes du combat, du combat et de la lutte contre les hérétiques , nos armes étaient sanglantes; entre nos mains, le glaive de la parole s'était, si je l'ose dire, rougi du sang de l'hérésie ; nous n'avons pas terrassé les corps, mais abattu les sophismes impies et tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu. (II Cor. X, 5. ) Car tel est le genre de ce combat; telle est aussi la nature des armes. Saint Paul dit à ce sujet : Les armes de notre milice ne sont point charnelles, elles sont puissantes en Dieu pour renverser les remparts, détruire les raisonnements et tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu. (II Cor. X, 4.) Il faudrait raconter à ceux qui étaient absents, les péripéties d'hier, l'ordre de bataille, la mêlée, la victoire, les trophées. Mais pour ne pas favoriser votre négligence, je veux passer outre. Vous qui étiez absents, soyez plus diligents à l'avenir, afin de récupérer ce que vous avez perdu par votre absence. Maintenant nous allons continuer. Pour peu que l'on ait de zèle à s'instruire , on pourra, si l'on ne nous a pas entendu hier, apprendre de quelqu'un de nos auditeurs ce que nous avons dit. Rien ne sera plus facile. Car telle fut l'attention des assistants qu'ils se retirèrent, emportant toutes mes paroles dans leurs coeurs, sans en rien laisser perdre. Vous n'aurez donc qu'à les interroger.

Quant à la question à traiter aujourd'hui, nous vous l'exposerons nous-même; nous discuterons une objection que nous font les hérétiques. Quelle est-elle.? Dernièrement nous avons parlé de la puissance du Fils; nous avons montré qu'elle est égale à celle de son Père, sujet que nous avons longuement développé. Repoussés sur ce point, ils nous objectent un autre texte de l'Evangile, texte qu'ils n'entendent pas dans son véritable sens. Le voici : Pour ce qui est d'être assis à ma droite oit à ma gauche, ce n'est point à moi à vous le donner. Cet honneur est pour ceux à qui le Père l'a préparé. (Matth. XX, 23.)

Je vous renouvellerai d'abord le conseil déjà donné si souvent. Ne lisez pas simplement la lettre, pénétrez le sens. Quiconque s'attache uniquement aux mots, et ne s'occupe que (248) de ce qui est matériellement écrit, tombera dans de nombreuses erreurs. L'Ecriture dit que Dieu a des ailes, comme le témoigne le Prophète : Protégez-moi à l'ombre de vos ailes. (Ps. XVI, 8.) Nous n'en conclurons pas que cette essence spirituelle et immortelle a des ailes. Si cela ne peut se dire des hommes, encore moins. de cette nature pure, invisible, incompréhensible. Que signifient donc pour nous les ailes? le secours, la sécurité, la protection, la défense, un asile inviolable. L'Ecriture dit encore que Dieu dort : Levez-vous, pourquoi dormez-vous, Seigneur. (Ps. XLIII, 23.) Nous ne pouvons pas dire que Dieu dort : ce serait le comble de la folie. Mais ce mot dormir nous montre sa patience et sa longanimité. Un autre prophète dit : Serez-vous comme un homme endormi? (Jér. XIV, 9.)

Vous le voyez, il nous faut beaucoup de prudence pour scruter l'Ecriture. En prenant les mots dans leur sens propre et strict, il en résulterait une foule d'absurdités et de contradictions. L'un dit que Dieu dort, l'autre qu'il ne dort pas; et tous deux disent vrai, si vous les entendez convenablement. En disant qu'il dort, l'un montre la grandeur de sa patience; en disant qu'il ne dort pas, l'autre nous révèle son essence pure et incorruptible. Ayons donc beaucoup de prudence et pesons bien ces paroles : Ce n'est point à moi à vous le donner; cet honneur est pour ceux à qui le Père l'a préparé. Ce texte n'ôte rien à Jésus-Christ de sa puissance , ne diminue pas son autorité, mais il nous montre sa sollicitude, sa sagesse, sa providence pour le genre humain. Qu'il ait le pouvoir de châtier ou de récompenser, écoutez ce qu'il dit : Lorsque le Fils de l'homme viendra dans la gloire de son Père, il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche, et il dira à ceux qui seront à sa droite : Venez les bénis de mon Père , possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire. A ceux qui seront à sa gauche il dira : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire ; j'étais étranger et vous ne m'avez pas recueilli. (Matth. XXV, 31 et suiv.) Voyez-vous comment il juge avec autorité, comment il honore ou châtie, couronne ou punit, comment il introduit les uns dans le royaume céleste, et précipite les . autres en enfer ?

2. Admirez ici sa sollicitude pour nous. En s'adressant aux élus il dit : Venez les béais de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Aux damnés il ne dit pas : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu qui vous a été préparé; mais qui a été préparé pour le diable. J'ai préparé le royaume pour les hommes, dit-il; l'enfer, au contraire, je l'ai préparé, non pour les hommes, mais pour le démon et ses anges; si vous menez une vie telle que vous méritiez d'être damnés, vous pourrez vous l'imputer justement. Voyez quelle touchante bonté ! Les athlètes n'existent pas encore; les couronnes et les récompenses sont déjà prêtes. Possédez, dit-il, le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Même instruction à recueillir de la parabole des dix vierges. A l'arrivée de l'Epoux, les folles disent aux sages: Donnez-nous de votre huile. (Ib. 8). Les autres répondent : Nous craignons qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous. L'Ecriture n'entend pas parler d'huile et de feu, mais de la virginité et de la bonté. Le feu est le symbole de la virginité; l'huile celui de l'aumône. Ce passage signifie que la virginité doit être accompagnée de charité; sans quoi le salut des vierges est incertain; mais qui sont ces vendeurs d'huile? Qui, sinon les pauvres? Ils donnent plutôt qu'ils ne reçoivent. Regardez donc l'aumône non comme une perte, mais comme un gain, non comme une dépense, mais comme un prêt avantageux. Vous recevez plus que vous ne donnez. Vous donnez du pain, et vous recevez la vie éternelle ; vous donnez un habit, et vous recevez un vêtement d'immortalité; vous donnez un abri sous votre toit, et vous recevez le royaume des cieux; vous distribuez des richesses périssables, et vous recueillez des biens éternels.

Je suis pauvre, dites-vous, comment faire l'aumône ? C'est surtout dans la pauvreté que vous pouvez faire l'aumône. Le riche enivré par l'abondance de ses biens, en proie à une fièvre ardente, tourmenté d'une avarice insatiable, brûle d'augmenter sa fortune; le pauvre, délivré de toutes ces maladies, donne plus facilement de ce qu'il a. C'est d'après la pureté d'intention et non d'après les biens donnés crue se mesure l'aumône. La veuve de (249) l'Evangile donne deux oboles, et l'emporte, par sa charité, sur les plus opulents. Une autre veuve n'avait qu'une poignée de farine et un peu d'huile, elle reçut néanmoins et nourrit le Prophète dont l'àme était aussi élevée que le ciel. Ainsi la pauvreté ne fut un obstacle ni à l'une ni à l'autre. N'apportez donc pas de vaines, d'inutiles excuses. Dieu ne demande pas des largesses abondantes, mais une volonté généreuse. L'aumône se mesure , non d'après le don, mais d'après l'intention. Vous êtes pauvre et le plus pauvre de tous les hommes ? Mais vous n'êtes pas plus indigent que cette veuve qui l'emporta de beaucoup sur les riches. Vous manquez, vous-même, du nécessaire ? Mais vous n'êtes pas plus dénué que la veuve de Sidon ; réduite à la dernière extrémité, attendant la mort, entourée de ses enfants, elle donne cependant ce qui lui reste, et dans cette extrême indigence, elle acquiert d'immenses richesses ; sa main fut comme une aire; son urne comme un pressoir, et du dénuement elle fit sortir l'abondance.

Revenons à notre parabole pour ne pas tomber dans des digressions sans fin. A l'arrivée de l'Epoux, les vierges tenaient donc le langage que je vous ai rapporté. Les sages envoyaient les autres chez les vendeurs ; mais ce n'était plus le temps d'acheter de l'huile. On n'en fait sa provision qu'en cette vie. Une fois ce monde quitté et le théâtre fermé, il n'y a plus ni remède, ni pardon, ni excuse pour les actions passées; le châtiment seul reste. C'est ce qui arriva alors. Quand vint l'Epoux, les vierges sages entrèrent avec leurs lampes; les autres, se trouvant en retard, frappèrent à la porte et entendirent cette effroyable parole : Retirez-vous, je ne vous connais pas. Vous voyez encore ici comment Jésus-Christ honore ou châtie, couronne ou punit, reçoit ou rejette; c'est lui qui porte les deux sentences. la même vérité se prouve par les paraboles de la vigne, et des talents. Le Seigneur reçoit les bons serviteurs et les comble d'honneurs; pour l'autre, il le fait lier et jeter dans les ténèbres extérieures.

3. Que répondent les hérétiques? Rien de sensé? Il a, disent-ils, le pouvoir de châtier et de couronner, de punir et de récompenser; mais pour le trône du ciel, pour cet honneur suprême, il ne peut le donner. — Si je vous prouve que rien n'a été soustrait à son jugement; cesserez-vous cette controverse téméraire? Or, écoutez le Christ lui-même : Le Père ne juge personne, il a donné tout jugement au Fils. (Jean, V, 22.) Si donc le Père a tout pouvoir de juger, rien n'a été excepté de sa juridiction. Celui de qui tout jugement relève est maître, à l'égard de tous, de récompenser et de couronner. Ces mots: Il a donné, ne doivent pas être pris dans leur sens propre. Le Père n'a pas donné à quelqu'un qui n'avait pas, il n'a pas engendré une personne imparfaite, à qui il aurait fait ce don plus tard. Il a engendré le Fils parfait, infini. Si Jésus-Christ se sert de cette expression, c'est pour exclure deux dieux engendrés, distinguer le fruit de la racine, et non pour vous faire croire à un perfectionnement successif. Ailleurs on lui demande : Vous êtes donc roi (Jean, XVIII, 37) ; il ne répond pas : J'ai reçu la royauté, ni la royauté m'a été donnée plus tard ; mais : C'est pour cela que je suis né. S'il est né roi, à plus forte raison est-il juge et arbitre. Car il appartient au roi de juger, de décider, d'honorer, de punir. D'autres textes nous prouvent aussi que c'est à lui de donner les récompenses célestes. Quand je vous aurai montré le plus saint des hommes couronné par le Fils, quelle excuse aurez-vous encore?

Quel est donc cet homme ! Quel autre, sinon ce faiseur de tentes, ce docteur des nations qui a parcouru la terre et la mer comme avec des ailes, ce vase d'élection, ce paranymphe du Christ, ce fondateur de l'Eglise, architecte sage, héraut, athlète, soldat, qui a laissé par toute la terre des monuments de sa vertu, qui a été ravi au troisième ciel, qui a connu les mystères ineffables de Dieu, qui a entendu des choses que la langue de l'homme ne peut raconter, qui a reçu des grâces abondantes et supporté d'immenses travaux? Qu'il ait travaillé plus que tous les autres, il le dit lui-même; écoutez-le: J'ai travaillé plus que tous les autres. (I Cor. XV, 10.) S'il en est ainsi, sa couronne sera aussi plus belle : Car chacun recevra sa récompense selon son travail. (Ibid. III, 8.) Si sa couronne est plus brillante que celle des autres apôtres, et personne n'égale les apôtres qu'il surpasse lui-même, il est évident qu'il jouira de l'honneur suprême et de la prééminence. Or, qui le couronnera ? Ecoutez : J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi. Il me reste à attendre la couronne de la justice, que Dieu, comme un juste juge, me rendra en ce jour. (II Tim. IV, 7.) (250) Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils. (Jean, V, 22.) La même chose se prouve par ce qui suit : Non-seulement à moi, mais encore à tous ceux qui aiment son avènement. (II Tim. IV, 8.) L'avènement de qui ? Poursuivons : La grâce de Dieu a paru salutaire à tous les hommes, elle nous a appris que, renonçant à l'impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent avec tempérance, justice et piété, attendant la béatitude que nous espérons, et l'avènement glorieux du grand Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ. (Tit. II, 11.)

4. Notre lutte contre les hérétiques est terminée; nous avons élevé des trophées et remporté une brillante victoire. Par tout ce qui a été dit, nous avons montré que le Fils honore et châtie, qu'à lui appartient tout jugement, qu'il couronne et récompense les plus saints, et que dans les paraboles il s'attribue ce double pouvoir. Il nous reste à répondre aux difficultés de nos frères et à montrer pourquoi il a dit: Ce n'est point à moi à vous le donner. Plusieurs sans doute se posent cette question. Pour résoudre le problème et dissiper toute inquiétude dans vos esprits, suivez-moi attentivement : le plus difficile me reste à traiter. Ce n'est pas la même chose de combattre ou d'enseigner, de terrasser un ennemi ou de relever un frère; il faut beaucoup de zèle pour raffermir ceux qui chancellent, et rétablir la tranquillité dans ,les esprits troublés. Que mes paroles ne vous étonnent point, si je disque ce n'est ni au Fils, ni même au Père; et je le proclame à haute voix, non, ce n'est ni au Fils ni au Père à régler les degrés de la gloire. Car si ce droit est au Fils, il est aussi au Père ; s'il est au Père, il est aussi au Fils; voilà pourquoi le Seigneur ne dit pas simplement: Ce n'est pas à moi à le donner; il dit : Ce n'est pas à moi à le donner, mais à ceux à qui mon Père l'a préparé. Il montre que ce n'est ni à lui, ni au Père, mais à d'autres. Que signifie donc ce texte? Votre trouble augmente, votre doute grandit, votre anxiété redouble. Mais ne craignez rien. Je ne me retirerai pas que je ne vous aie donné la solution. Permettez-moi de reprendre d'un peu plus. haut. Autrement je ne pourrais traiter assez clairement toute la question.

Que signifie donc ce texte? Jésus allant à Jérusalem, la mère des fils de Zébédée, Jacques et Jean, s'approche avec ses enfants et dit: Faites que mes deux fils soient assis l'un â votre droite, l'autre à votre gauche. (Matth, XX, 20.) D'après un autre évangéliste, ce sont les fils qui font cette demande à Jésus-Christ. II n'y a cependant aucune contradiction, mais il ne faut rien négliger, la mère ayant commencé, et frayé la voie, les fils firent la même demande, parlant sans savoir ce qu'ils disaient. Quoique apôtres, ils étaient très-imparfaits, comme les petits des oiseaux encore dans le nid et couverts à peine d'un léger duvet.

Il faut que vous le sachiez, avant la Passion ils étaient d'une profonde ignorance. Aussi Jésus-Christ les réprimandait-il souvent. Vous avez si peu d'intelligence! Vous ne comprenez pas encore que je ne parlais pas du pain en disant: Gardez-vous du levain des pharisiens. (Matth. XVI, 11.) J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. (Jean, XVI, 12.) Non-seulement ils ne pénétraient pas les mystères, mais souvent la crainte, la timidité leur faisait oublier ce qu'ils avaient appris. C'est ce que Jésus-Christ leur reproche: Aucun de vous ne me demande: où allez-vous ?Mais parce que je vous dis cela, la tristesse a rempli votre coeur. (Ibid., 5.) Et ailleurs : Il vous rappellera et enseignera tout (Jean, XIV, 26), dit-il en parlant du Saint-Esprit. Il ne dirait pas : Il vous rappellera, s'ils n'avaient oublié beaucoup de choses. Ceci n'est pas une simple conjecture; saint Pierre, qui tantôt confesse courageusement, tantôt oublie tout, nous le prouve clairement. Il a dit: Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant (Matth., XVI,16), et pour cela il est appelé bienheureux; un peu après il commet un péché tel qu'il est traité de satan : Retirez-vous de moi, satan; vous m'êtes un sujet de scandale, parce que vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles des hommes. (Matth. XVI, 23.) Quoi de plus imparfait? ne pas goûter les choses de Dieu, mais celles des hommes? Jésus-Christ parlait de sa Passion et de sa Résurrection; Pierre ne comprenant ni la profondeur de ses paroles, ni ses dogmes ineffables, ni le salut annoncé à toute la terre, lui dit à part: A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera pas. Voyez-vous que les apôtres ne connaissaient rien de certain au sujet de la Résurrection? L'Evangéliste nous l'indique aussi : Ils ne savaient pas encore qu'il devait ressusciter d'entre les morts. (Jean, XX, 9.)

S'ils ignoraient cette vérité, à plus forte (251) raison les autres mystères, par exemple ce qui regarde le royaume de Dieu, les prémices de notre nature, l'Ascension dans les cieux; ils rampaient encore à terre, ils manquaient d'ailes pour prendre leur essor vers les cieux.

5. Ils étaient pénétrés de cette idée, que leur Maître régnerait bientôt à Jérusalem. Ils ne savaient rien de plus. Un autre évangéliste nous le déclare : Ils croyaient, dit-il, que sa royauté approchait, royauté purement humaine selon eux, et ils pensaient que Jésus-Christ allait à l'empire et non à la croix et à la mort. Après l'avoir entendu dire cent fois, ils ne pouvaient le comprendre : trop grossiers pour comprendre clairement ces sublimes vérités, ils supposaient que Jésus-Christ allait prendre possession de ce royaume temporel, qu'il régnerait à Jérusalem. Croyant le moment arrivé, les fils de Zébédée s'approchent de lui sur la route et lui adressent leur demande. Ils se séparent des autres disciples comme si déjà ils étaient à la tête des affaires, et ils demandent la prééminence, la place d'honneur. Ils croyaient que la fin était proche, que tout était achevé et que le temps était venu de distribuer les couronnes et les récompenses. Ce n'est pas une conjecture que je fais, ni une simple probabilité que j'énonce. Jésus-Christ lui-même, qui connaît les secrets des coeurs, va nous le déclarer. Ecoutez ce qu'il leur répond : Vous ne savez ce que vous demandez. Quoi de plus clair? Ils ne savaient ce qu'ils demandaient; ils lui parlent de couronnes, de récompenses, de prééminence, d'honneur, avant d'avoir combattu.

Par ces paroles : Vous ne savez ce que vous demandez, Jésus -Christ nous indique deux choses: la première, c'est que les fils de Zébédée parlent d'un royaume dont Jésus-Christ n'avait rien dit; car il ne s'agissait pas de ce royaume temporel et terrestre; la seconde, c'est qu'en recherchant la prééminence, en voulant paraître plus élevés, plus brillants que les autres, ils font une demande très-inopportune. Ce n'est pas le temps des couronnes et des récompenses, mais des combats, des luttes, des peines, des sueurs , des dangers, des guerres. Voici donc le sens de ces mots : Vous ne savez ce que vous demandez. En me parlant ainsi vous n'avez pas encore souffert, vous n'êtes pas encore descendus dans l'arène; le monde est encore égaré, l'impiété domine, les hommes périssent ; vous ne vous êtes pas encore élancés de la barrière pour courir au combat. Pouvez-vous boire le calice que je vais boire, et être baptisés du baptême dont je vais être baptisé? (Marc, X, 38). Il appelle calice et baptême sa croix et sa mort : calice, parce qu'il l'accepte avec plaisir, baptême, parce que par là il purifie la terre. C'est aussi pour montrer la facilité de sa résurrection. Celui qui est baptisé dans l'eau en sort facilement, la nature de cet élément n'offrant aucune résistance ; ainsi Jésus-Christ descendu au tombeau ressuscite avec la plus grande facilité. C'est pourquoi il l'appelle baptême. Voici ce qu'il veut dire : Pouvez-vous souffrir la mort, car maintenant c'est le temps de la mort, des dangers, des peines. Ceux-ci répondent : Nous le pouvons, sans savoir ce qu'ils disent, et dans l'espoir d'obtenir leur demande. Jésus reprend : Vous boirez le calice, vous serez baptisés du baptême dont je vais être baptisé. Il appelle ainsi la mort. Car, Jacques eut la tête tranchée par le glaive, et Jean mourut plusieurs fois. Mais d'être assis à ma droite et à ma gauche, ce n'est point à moi à vous le donner, mais à ceux à qui il a été préparé.

Voici le sens. Vous mourrez, vous serez torturés et honorés du martyre. Cependant, d'être les premiers, ce n'est pas à moi à vous le donner, c'est aux athlètes à le conquérir par une plus vive ardeur, un plus grand zèle. Pour rendre ceci encore plus clair, faisons une supposition voici un agonothète (1) ; une mère ayant deux fils athlètes vient le trouver avec ses enfants et lui dit : Faites que mes deux fils obtiennent la couronne. Que répondrait-il? La même chose que Jésus-Christ; ce n'est pas à moi à la donner. Je suis agonothète, j'accorde lés récompenses non à la faveur ni aux prières, mais au succès. Car l'agonothète doit donner le prix au courage et non au premier venu. C'est ce que fait aussi Jésus-Christ; par là il ne détruit. pas son essence ni sa dignité de Dieu; il montre que ce n'est pas à lui seul de donner la récompense, que c'est aussi aux combattants de la prendre. Car si cela dépendait de lui seul, tous les hommes seraient sauvés et viendraient à la connaissance de la vérité; les honneurs ne seraient pas divers; puisqu'il a fait tous les hommes et prend un soin égal de tous.

Qu'il y ait des gloires diverses, saint Paul
 
 

1 Celui qui présidait aux jeux, adjugeait et décernait les récompenses.
 
 

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nous l'enseigne : Autre est l'éclat du soleil, autre l'éclat de la lune, autre l'éclat des étoiles, et une étoile diffère d'une autre en éclat (I Cor. XV, 41); Si on élève sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses. (Ibid., III, 12.) Saint Paul parle ainsi pour nous montrer les différentes espèces de vertu; et il nous indique en même temps que ce n'est pas en dormant qu'on entre au royaume des cieux, mais qu'il faut, par beaucoup de tribulations, conquérir cette couronne. Les fils de Zébédée, forts de l'amitié et de la faveur de Jésus-Christ, croyaient qu'ils seraient préférés aux autres. Pour les détromper, et leur ôter cette persuasion propre à les rendre plus négligents, Jésus-Christ leur dit : Ce n'est pas à moi de le donner, c'est à vous de le prendre, si vous le voulez; montrez plus de zèle, plus d'ardeur, plus de dévouement. Les couronnes se donnent aux travaux, les honneurs aux actions, les récompenses aux fatigues; les oeuvres, voilà près de moi la meilleure recommandation.

6. J'avais donc raison de le dire, ce n'est ni à lui, ni au Père, mais aux athlètes, aux combattants. C'est pour cela que Jésus-Christ dit à Jérusalem : Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule ses poussins, et tu ne l'as pas voulu? voici que vos maisons demeureront désertes. (Luc, XIII, 34.) Ainsi vous le voyez, parmi les lâches, les paresseux, les indolents, personne ne sera sauvé. Nous apprenons encore par là un autre mystère; c'est que le martyre ne suffit pas pour donner la prééminence et l'honneur suprême. Jésus-Christ prédit le martyre aux fils de Zébédée, et cependant ils n'obtiennent pas pour cela la première place. Car il y en a d'autres qui peuvent avoir fait davantage. Aussi dit-il : Vous boirez de mon calice, vous serez baptisés du baptême dont je vais être baptisé; mais d'être assis à ma droite et à ma gauche, ce n'est pas à moi à vous le donner. Il ne s'agit pas de siège; cela signifie jouir d'un plus grand honneur, obtenir la prééminence, être le premier de tous. Jésus-Christ en parlant ainsi se proportionne à notre intelligence. Les fils de Zébédée demandaient la première place et la préférence sur tous les autres. Pour être ainsi placés et élevés au-dessus des autres, le martyre seul ne suffit pas. Vous mourrez, il est vrai; mais jouir de l'honneur suprême, ce n'est pas à moi à vous le donner, c'est à ceux à qui il a été préparé. Et à qui est-il préparé? Voyons quels sont ces heureux, trois fois heureux qui obtiennent ces brillantes couronnes. Quels sont-ils et comment arrivent-ils à cette gloire? Ecoutez. Les dix apôtres étaient irrités contre les fils de Zébédée, qui, séparés des autres, voulaient s'emparer des premières places. Voyez comment Jésus-Christ corrige les passions des uns et des autres. Il les appelle et leur dit : Les maîtres des nations leur commandent avec empire; leurs princes ont un pouvoir absolu sur elles. Il ne doit pas en être de même parmi vous; mais quiconque veut devenir le premier, qu'il se fasse le dernier de tous. (Marc, X, 42.)

Vous le voyez, ils voulaient être les premiers, les plus grands et les plus haut placés, et pour ainsi dire les princes des apôtres. Pour réprimer leur ambition, et manifester leur dessein, Jésus-Christ dit : Quiconque veut devenir le premier, qu'il se fasse le serviteur de tous. Si vous désirez la première place, et la dignité suprême, prenez la dernière place, soyez les plus petits, les plus humbles, abaissez-vous au-dessous de tous. C'est la vertu qui donne cet honneur. Ce qu'il prouve aussitôt et surabondamment par un exemple : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs. Voilà ce qui rend illustre et glorieux. Regardez-moi, dit-il, je n'ai pas besoin d'acquérir de la gloire ni de l'honneur, cependant j'ai voulu faire beaucoup de bonnes oeuvres. Avant son Incarnation et ses abaissements, tout était corrompu et périssait; par ses humiliations, il releva tout; il chassa la malédiction, détruisit la mort, nous rendit le paradis, ôta le péché, ouvrit les portes du ciel, fit renaître la piété sur la terre, bannit l'erreur, ramena la vérité, plaça nos prémices sur le trône royal et nous accorda des biens innombrables que ni moi ni tous les hommes ne pourrions raconter. Avant ses abaissements, les anges seuls le connaissaient; après, tous les hommes le connaissent.

Vous le voyez, l'humilité ne diminue pas la splendeur du Fils de Dieu, il en résulte au contraire pour nous des biens innombrables et pour lui une gloire plus brillante. Si pour un Dieu infini et ne manquant de rien l'humilité a produit un si grand bien, lui a procuré plus de serviteurs, et a augmenté son royaume ; pourquoi craindre en vous (253) humiliant de vous abaisser? Alors vous serez grands, élevés, brillants, illustres quand vous vous mépriserez vous-mêmes, que vous dédaignerez les premières places, quand vous ne fuirez pas les humiliations, ni les dangers, ni la mort, quand vous serez soumis, dévoués à tous et prêts à tout faire et à tout endurer. Pénétrés de ces sentiments, mes bien-aimés, recherchons l'humilité avec empressement; les injures, les affronts, les déshonneurs, les outrages, supportons tout avec joie. Car rien n'est plus capable que la vertu d'humilité de nous élever, de nous combler d'honneur et de gloire, de nous exalter. En pratiquant cette vertu, puissions-nous obtenir les biens promis par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit soient la gloire, l'honneur, l'adoration, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

NEUVIÈME HOMÉLIE. SUR LAZARE MORT DEPUIS QUATRE JOURS.
 

ANALYSE. Jésus-Christ n'ignorait pas où était Lazare. — IL ne faut pas croire trop facilement. — Pourquoi Jésus-Christ prie avant de ressusciter Lazare. — Ce n'est pas par nécessité , mais à cause du peuple qui était présent , et pour répondre à la demande de Marthe.
 
 

1. Aujourd'hui la résurrection de Lazare nous donne l'occasion de résoudre diverses questions qui sont pour beaucoup un sujet de scandale. Cette leçon, je ne sais comment, fournit aux hérétiques et aux Juifs un prétexte de contradiction, non pas fondée, loin de là, mais apparente et provenant de leurs mauvaises dispositions. Plusieurs hérétiques disent que le Fils n'est pas semblable au Père. Pourquoi ? Parce qu'il dut prier pour ressusciter Lazare, et qu'il n'aurait pu le ressusciter sans prier, et, disent-ils, comment celui qui prie serait-il semblable à celui qui reçoit la prière ? Or, le Fils prie et le Père reçoit ses supplications. — Mais ils blasphèment, ils ne comprennent pas que Jésus prie pour condescendre et se proportionner à la faiblesse des assistants. Dites-moi quel est le plus grand de celui qui lave les pieds ou de celui à qui on les lave? Evidemment c'est celui-ci. Or notre Sauveur a lavé les pieds de Judas qui était avec les apôtres. Judas est-il donc plus grand que notre Seigneur puisque Jésus-Christ lui a lavé les pieds? Touchez-vous du doigt l'absurdité ? Lequel est le plus humble de laver les pieds ou de prier? C'est certainement de laver les pieds. Pourquoi celui qui n'a pas dédaigné le plus humble office dédaignerait-il d'accomplir le plus noble ? Tout cela se faisait par condescendance pour la faiblesse des Juifs, comme nous le verrons dans la suite de ce discours. Les Juifs prétendent aussi y trouver une contradiction. Comment, disent-ils, les chrétiens peuvent-ils honorer, comme Dieu, celui qui ignorait où Lazare était enseveli? Le Sauveur, en effet, dit à Marthe et à Marie, soeurs de Lazare : Où l'avez-vous placé? (Jean, XI, 34.) Ignorance, faiblesse; il ne sait où est Lazare et il serait Dieu ? — Mais je veux les faire rougir de leur objection.

O Juifs, vous accusez Jésus-Christ d'ignorance, à cause de ces paroles : Où l'avez-vous placé? Dieu le Père ignorait donc dans le paradis où s'était caché Adam? Car il le cherchait dans le paradis et il l'appelait : Adam, où es-tu? c'est-à-dire où es-tu caché? Pourquoi Dieu n'indique-t-il pas tout d'abord le lieu où Adam, plein de confiance, s'entretenait autrefois avec lui? Pourquoi cette question : (256) Adam, où es-tu ? Adam répond: J'ai entendu votre voix quand vous vous promeniez dans le paradis, j'ai craint parce que je suis nu, et je me suis caché. (Gen. III, 9.) S'il y a ignorance dans un cas, il y a également ignorance dans l'autre. Jésus-Christ dit à Marthe et Marie : Où l'avez-vous placé? et vous l'accusez d'ignorance ! Que pensez-vous en entendant Dieu dire à Caïn : Où est ton frère Abel ? (Gen. IV, 9.) Si le Fils ignore, le Père ignore de même. Prenons une autre preuve tirée de la sainte Ecriture. Dieu dit à Abraham : Le cri de Sodome et de Gomorrhe est monté jusqu'à moi. Je descendrai et je verrai si leurs oeuvres répondent à ce cri qui est venu jusqu'à moi, je saurai s'il en est ainsi ou non. (Gen. XVIII, 20.) Dieu qui connaît toutes choses avant qu'elles soient (Dan. XIII, 42), qui sonde les coeurs et les reins (Ps. VII, 10), qui connaît les pensées des hommes (Ps. XCIII, 11), dit : Je descendrai et je verrai si leurs couvres répondent à ce cri qui est venu jusqu'à moi ? Encore une fois, si vous accusez le Fils d'ignorance, soyez conséquents et accusez-en aussi le Père. Mais non, l'Ancien Testament ne prouve pas l'ignorance du Père, ni le Nouveau celle du Fils. Pourquoi dit-il : Je descendrai et je verrai si leurs couvres répondent à ce qui est venu jusqu'à moi ? Le cri, dit-il, est monté jusqu'à moi; mais je veux m'assurer par ma propre expérience. Ce n'est pas que j'ignore; c'est pour enseigner aux hommes à ne pas croire facilement toutes les accusations, et à 'n'ajouter foi qu'après avoir examiné attentivement et par eux-mêmes. Voilà pourquoi il est dit ailleurs : Ne croyez pas à toute parole. (Eccli. XIX, 16.) Rien ne trouble la vie des hommes comme la trop grande crédulité. Le prophète David nous le déclare : Je persécutais celui qui médisait en secret de son prochain. (Ps. C, 5.)

2. Ce n'est donc pas par ignorance que le Sauveur demande : Où l'avez-vous placé? et que le Père dit à Adam : Où es-tu ? et à Caïn : Où est ton frère Abel ? ou bien : Je descendrai et je verrai si leurs oeuvres répondent au cri qui est venu jusqu'à moi. Il nous est facile maintenant de répondre à ceux qui prétendent que Jésus-Christ pria par faiblesse avant de ressusciter Lazare. Suivez avec la plus grande attention. Lazare est mort; Jésus n'était pas là, il était en Galilée. Il dit à ses disciples : Notre ami Lazare dort. (Jean, II, 11.) Ceux-ci, croyant qu'il parlait d'un sommeil ordinaire, répondirent : Seigneur, s'il dort, il sera guéri. Jésus leur dit ouvertement : Lazare est mort. Le Sauveur vient ensuite à Jérusalem, où était Lazare. La soeur de Lazare court à sa rencontre et lui dit: Si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. — Si vous eussiez été ici. Vous êtes faible, ô femme ! Elle ne sait pas que Jésus-Christ absent de corps est. présent par la puissance de la divinité; elle mesure le pouvoir du divin Maître à la présence matérielle. Marthe lui dit : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort; et maintenant je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, il vous l'accordera. C'est donc pour répondre au désir de Marthe que le Sauveur prie. Dieu n'a pas besoin de prières pour ressusciter un mort. N'a-t-il pas opéré d'autres résurrections? Quand il rencontra à la porte de la ville un mort qu'on portait en terre, il ne fit que toucher la bière et le mort se leva. (Luc, vu, 14.) Eut-il besoin de prière pour le ressusciter? Dans une autre circonstance, il ne dit qu'un mot à la jeune fille : Talitha, cumi (Marc, V, 41), et il la rendit vivante à ses parents. A-t-il eu besoin de prier?

Pourquoi parler du Maître? Les disciples d'un mot ressuscitent les morts. Une parole de Pierre n'a-t-elle pas rendu Tabithe à la vie? Les vêtements de saint Paul n'ont-ils pas opéré de nombreux prodiges? Voici quelque chose de plus admirable encore. L'ombre des apôtres ressuscite les morts. On apportait les malades dans des lits, afin que l'ombre de Pierre cou. vrît quelqu'un d'eux, et aussitôt ils étaient guéris. (Act. V, 15.) Quoi donc ? l'ombre des disciples ressuscite les morts, et le Maître, pour ressusciter Lazare; aurait besoin de prier? Le Sauveur prie à cause de la faiblesse de Marthe. Elle lui dit : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort; maintenant je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, il vous le donnera. Vous voulez une prière, voici une prière. La miséricorde du Sauveur est une fontaine où l'on peut remplir tout vase, quel qu'il soit; s'il est grand, il contient beaucoup, peu s'il est petit. Marthe demande une prière et le Sauveur lui donne une prière, Un autre dit : Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, mais dites seulement une parole : qu'il soit fait ainsi, et mon serviteur sera guéri. Le Sauveur lui répondit: Qu'il soit fait selon que vous avez cru. (Matth. VIII, 8 et 13.) Un autre dit : Venez, guérissez ma (257) fille, et il répond : Je vous suis. (Id. IX, 8.) Le médecin proportionne ses remèdes aux désirs des hommes. Une femme touche en secret la frange de son vêtement, et elle obtient en secret sa guérison. (Ibid. 20.} Chacun obtient selon sa foi. Marthe dit : Je sais que tout ce que vous demanderez au Père, le Père vous le donnera. Elle a voulu une prière ; le Sauveur la lui accorde,. non par nécessité, mais par condescendance pour sa faiblesse, pour montrer qu'il n'est point opposé à Dieu, mais que tout ce qu'il fait, son Père le fait aussi.

Dieu a formé l'homme dès le commencement; c'est l'oeuvre du Fils aussi bien que du Père: Faisons l'homme, dit-il, à notre image et à notre ressemblance. (Gen. I, 26.) Jésus-Christ veut introduire le bon larron dans le paradis; il prononce une parole et le larron entre au paradis, et il n'a pas besoin de prière, quoique l'entrée en fût interdite à tous les enfants d'Adam. Car Dieu y avait placé une épée flamboyante pour la garder. (Gen. III, 24.) Jésus-Christ de son autorité ouvre le paradis et y introduit le larron.O Seigneur, vous faites entrer un larron dans le paradis ! Votre Père pour un seul péché en chasse Adam, et vous y introduisez le larron chargé de mille crimes, de mille forfaits ! et pour cela une parole vous suffit? Oui, car l'un ne s'est pas, fait sans moi , ni l'autre sans mon Père. Car je suis dans le Père, et le Père est en moi. (Jean, XIV,10.)

3. La résurrection de Lazare ne fut pas l'oeuvre de la prière; pour vous en convaincre, écoutez cette prière : Je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. (Jean, XI, 41.) Quoi donc? Est-ce là une prière, une supplication ? Je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. Pour moi, je sais bien que vous m'exaucez toujours. Si vous savez, Seigneur, que vous êtes toujours exaucé par le Père, pourquoi l'importuner au sujet de choses que vous connaissez? Je sais bien, dit-il, que mon Père m'exauce toujours , mais je dis cela pour le peuple qui m'environne, afin que tous sachent que vous m'avez envoyé. Prie-t-il pour le mort? fait-il des supplications pour ressusciter Lazare? Dit-il : Mon Père, commandez au mort d'obéir; mon Père, ordonnez au tombeau de rendre le mort, de ne pas se fermer plus longtemps sur lui? Mais je dis cela pour le peuple qui m'environne, afin que tous sachent que vous m'avez envoyé. Ce qui se passe est moins un miracle qu'une instruction pour les spectateurs.

La prière n'est donc pas pour le mort, mais pour les Juifs incrédules, afin qu'ils sachent que vous m'avez envoyé. Comment reconnaître cette mission? suivez, je vous en prie, avec la plus grande attention. De ma propre autorité, semble-t-il dire , j'appelle le mort; de ma propre puissance je commande à la mort; au Père, je dis : Mon Père; j'évoque Lazare du tombeau. Si le Père n'est pas mon père, que ce prodige n'ait pas lieu; s'il l'est, au contraire, que le mort obéisse pour l'instruction de ceux qui m'entourent Pourquoi Jésus-Christ dit-il : Lazare, venez dehors ? Il a prié, et le mort n'est pas ressuscité; il dit : Lazare, venez dehors ! et le mort se lève.O tyrannie de la mort ! O  tyrannie sous laquelle gémissait cette âme ! O  enfer! il prie, et tu ne rends pas le mort ! Non, répond-il. — Pourquoi? — Je n'avais pas reçu d'ordre. Je suis établi gardien, et je ne laisse sortir que sur un ordre formel. La prière ne s'adressait pas à moi; c'était pour les Juifs incrédules. Et à moins d'un ordre précis, je ne délivre personne. Pour délivrer l'âme j'attends la parole: Lazare, venez dehors ! Le mort entend l'ordre du Maître, et aussitôt se brisent les chaînes du trépas. Que les hérétiques soient confondus et qu'ils disparaissent de la surface de la terre. Car vous le voyez par le texte même; le Christ prie non pour ressusciter Lazare, mais pour condescendre à la faiblesse des assistants incrédules. Lazare, venez dehors ! Pourquoi appelle-t-il le mort par son nom? Pourquoi ? Parce qu'en s'adressant aux morts en général, il aurait ressuscité tous ceux qui étaient dans les tombeaux. Voilà pourquoi il dit : Lazare, venez dehors ! Je vous appelle seul devant le peuple, pour montrer par cet acte particulier les prodiges de l'avenir: j'ai ressuscité un mort, je ressusciterai la terre entière : Car je suis la résurrection et la vie. Lazare, venez dehors ! Et le mort sortit enveloppé de bandelettes. O merveille étonnante ! Celui qui a arraché l'âme des liens de la mort, qui a brisé les portes de l'enfer, qui a broyé les portes d'airain et les verrous de fer, qui a délivré l'âme des chaînes de la mort, celui-là n'a pu déchirer les bandelettes du mort ! Si, il le pouvait. Mais il ordonne aux Juifs d'ôter ces liens qu'ils avaient attachés eux-mêmes en ensevelissant le mort. De la sorte, (258) ils devaient reconnaître leurs propres liens, et se convaincre par leur expérience que c'était ce Lazare enseveli par eux, que Jésus-Christ était le Messie envoyé dans le monde par la bonté du Père, et qu'il avait pouvoir sur la vie et sur la mort. A lui, avec le Père et le Saint-Esprit, soient la gloire et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi, Soit-il.

DIXIÈME HOMÉLIE. DES PRIÈRES DE JÉSUS-CHRIST.
 

ANALYSE. Exorde; différence entre les dettes d'argent et les dettes spirituelles. — Jésus-Christ est consubstantiel au Père. — S'il s'abaisse c'est pour se proportionner à notre faiblesse, pour nous instruire d'exemple aussi bien que de paroles. — Il a la même puissance que le Père ; il est créateur et législateur comme le Père. — Preuve tirée de la guérison de l'aveugle-né. — Comment la Loi est imparfaite. — Le Fils est égal au Père ; preuves tirées de l'Ecriture. — II faut déposer toutes les inimitiés. — Exhortation à se réconcilier avec ses ennemis.
 
 

1. Dans nos homélies précédentes, nous avons combattu vaillamment pour la foi, nous nous sommes réjouis à la vue de nos glorieuses victoires spirituelles. Il est temps de payer le reste de notre dette; il n'y a plus d'obstacle. Je sais que ce long délai vous a fait oublier mes engagements : mais je n'ai pas l'intention de rien cacher; je m'acquitterai même avec un véritable bonheur. Je le fais non-seulement par motif de probité, mais aussi pour mon propre avantage. Dans les contrats ordinaires, le débiteur profite de l'oubli du créancier; dans les traités spirituels, l'excellente mémoire du créancier procure la plus grande utilité au débiteur. Là, en effet, la somme rendue, en passant des mains du débiteur à celles du créancier, appauvrit l'un et enrichit l'autre; ici, au contraire, on peut donner et conserver, et, prodige étonnant ! nous avons d'autant plus que nous donnons davantage. Si je garde une semblable dette enfouie dans mon esprit, sans la payer, j'y perds un avantage, je m'appauvris; mais si je donne, si je communique à un grand nombre ce que je sais, mes richesses spirituelles s'en augmentent. Telle est la vérité. Celui qui donne aux autres augmente ses trésors; celui qui retient, diminue sa fortune. La parabole des talents nous le prouve clairement. Les uns rapportent le double de ce qu'on leur avait confié, et ils sont comblés d'honneur; l'autre conserve son talent sans le prêter, il ne peut lui faire produire le double, et pour cela il est puni. (Matai. XXV, 15.) Dans la crainte d'un pareil châtiment, donnons littéralement à nos frères ce que nous avons de bon et d'utile en fait de doctrine.

Communiquons-le à tous sans le cacher, puisqu'en donnant aux autres., nous nous enrichissons nous-mêmes, et qu'en rendant les autres participants de nos biens, nous augmentons nos trésors.

On ne perd rien, ni de sa gloire, ni de ses avantages, en faisant part aux autres de ce que (260) l'on sait: au contraire, on ajoute à l'éclat de sa renommée et l'on gagne en proportion de ce que l'on donne. Quoi de plus glorieux et de plus avantageux que de fouler aux pieds l'envie, de faire taire la jalousie, de pratiquer la charité? Si vous gardez tout pour vous seul, les hommes vous traiteront d'égoïste et d'envieux, ils vous haïront, et Dieu vous infligera, comme à un méchant, le dernier supplice. De plus, la grâce elle-même vous abandonnera bientôt. Le blé conservé trop longtemps dans les greniers se consume rongé par les vers; jeté dans un champ bien préparé, il multiplie et se renouvelle. Ainsi la parole spirituelle longtemps renfermée s'éteint bientôt, et l'âme est rongée par l'envie, la paresse et toute sorte de maladie; semée dans les âmes de nos frères, comme dans une terre fertile, la parole produit une riche moisson, non-seulement pour ceux qui la reçoivent dans leurs âmes, mais aussi pour celui qui l'y jette. Une fontaine où l'on puise sans cesse est plus pure et plus abondante; obstruée, elle tarit. Ainsi les dons spirituels, sans cesse répandus et communiqués à tous ceux qui les désirent, n'en sont que plus abondants; enfouis par l'envie et la jalousie, ils diminuent et finissent par s'anéantir. Puisque tel est l’avantage qui nous est réservé, nous voulons vous payer toute notre dette, après vous avoir rappelé d'abord l'ensemble de la question.

2. Comme vous vous en souvenez, nous avons parlé de la gloire du Fils, nous avons exposé les motifs de la manière simple et humble dont il parle de lui-même. Ce n'est pas seulement à cause de l'Incarnation, avons-nous dit; c'est aussi à cause de la faiblesse des auditeurs que Jésus-Christ s'abaisse ainsi en enseignant; c'est encore souvent pour nous apprendre l'humilité. Ces raisons ont été suffisamment développées; la prière qu'il fit pour Lazare, celle qu'il offrit sur la croix, nous les avons expliquées et nous avons clairement prouvé qu'il fit l'une pour attester son incarnation, l'autre pour condescendre à la faiblesse des auditeurs, et nullement parce qu'il aurait eu besoin de secours. Qu'il ait accompli beaucoup de ces actions pour enseigner l'humilité à ses apôtres, écoutez-en la preuve. Il verse de l'eau dans un bassin : ce n'est pas assez; il se ceint d'un linge, et, poussant l'abaissement aux dernières limites, il commence à laver les pieds des Apôtres, et même ceux du traître. (Jean, XIII, 4.) Qui n'est frappé de stupeur et d'admiration? Il lave les pieds de celui qui va le trahir. Pierre s'y refuse en disant : Quoi! Seigneur, vous me laveriez les pieds ? Il ne le laisse pas pour cela. Si je ne vous lave les pieds, lui dit-il, vous n'aurez point de part avec moi. Pierre reprend : Seigneur, non-seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête. Remarquez le respect du disciple dans son refus et dans son consentement. Quoique contraires, ces paroles sortent également d'un coeur brûlant d'amour. Pierre est tout feu, tout amour ! Mais comme je vous le disais, que cet humble office ne rabaisse pas le Fils à vos yeux, ni la dignité de sa nature. Ecoutez ce qu'il ajoute : Savez-vous ce que je viens de vous faire ? Vous m'appelez Seigneur et Maître, et vous avez raison; car je le suis. Si donc moi votre Seigneur et votre Maître je vous ai lavé les pieds, vous devez faire de même entre vous. Car je vous ai donné l’exemple, afin qu'en voyant ce que j'ai fait à voire, égard, vous le fassiez aussi à l'égard de vos frères. (Jean, XIII, 12-16.)

Vous le voyez, la plupart des actions de Jésus-Christ ont été faites pour nous servir d'exemples. Un maître plein de sagesse balbutie avec les petits enfants; ce qui prouve sa sollicitude pour ces enfants et non son ignorance. Ainsi agit Jésus-Christ, non par suite de l'imperfection de sa nature, mais par condescendance. Pesons bien toutes les circonstances. Si l'on voulait, suivant la méthode des hérétiques, étudier cet exemple objectivement et sans avoir égard aux intentions du Sauveur, on en déduirait une conséquence évidemment absurde. En effet, si celui qui lave les pieds est au-dessous de celui à qui il rend ce service, Jésus-Christ est donc au-dessous des disciples. Personne n'est assez fou pour le prétendre. Quel malheur d'ignorer les raisons qui dirigeaient le Seigneur dans sa conduite ! Quel avantage au contraire de tout considérer attentivement; et de savoir découvrir les raisons cachées et mystérieuses des actions si ordinaires et si simples qui ont rempli sa vie terrestre. Je pourrais citer d'autres passages analogues à celui-ci par l'enseignement qu'ils insinuent : Qui est le plus grand, dit le divin Sauveur, de celui qui est à table ou de celui qui sert ? N'est-ce pas celui qui est à la table ? Et moi je suis parmi vous comme celui qui sert. (Luc, XXII, 27.) Actions et paroles, tout tend au même but : (261) à instruire ses disciples par ses abaissements et à leur enseigner l'humilité. Evidemment, c'est pour l'instruction des apôtres et non par l'infériorité de sa nature qu'il agit ainsi. Ailleurs, en effet, il dit : Les princes des nations dominent sur elles; qu'il n'en soit pas de même parmi vous. Que celui qui voudra être le premier parmi vous, soit le serviteur de tous. (Matth. XX, 25, etc.) Car le Fils de l'Homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir. Si donc il est venu pour servir et pour enseigner l'humilité, ne vous étonnez pas de le voir agir et parler comme un serviteur. Il prie souvent dans la même intention. Ses apôtres s'approchent en lui disant : Seigneur, apprenez-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses disciples. (Luc, XI, 1. ) Que faire, dites-moi ? ne pas leur apprendre à prier? Mais il est venu pour leur enseigner toute sagesse. Il devait donc les instruire, et par conséquent prier lui-même. Il aurait pu le faire en paroles, dites-vous. Les actions sont bien plus puissantes que les paroles pour instruire et persuader. Voilà pourquoi il ne se contente pas de les instruire de vive voix; il prie et il passe en prières les nuits dans les déserts pour nous apprendre, quand nous devons nous entretenir avec Dieu, à fuir le tumulte et les bruits de la foule, à choisir le lieu et le temps favorables à la solitude. La solitude, ce n'est pas seulement une montagne, un désert, c'est aussi votre chambre, pourvu que vous ayez soin d'en écarter tout bruit, toute dissipation.

3. C'est par condescendance que Jésus-Christ a prié. Vous l'avez vu au sujet de Lazare, nous le voyons encore ailleurs. Pourquoi prie-t-il pour les plus petits et non pour les plus grands miracles ? Si, comme vous le prétendez, il priait pour demander du secours, s'il n'avait pas la puissance à sa disposition, il devrait prier et invoquer son Père pour tous les miracles, ou du moins pour les plus considérables. Or, il fait précisément le contraire. Il ne prie pas quand il opère les plus grands prodiges, pour montrer que lorsqu'il prie, il le fait avec l'intention d'instruire les hommes et qu'il n'a pas besoin d'un secours étranger. Lorsqu'il bénit les pains, il lève les yeux au ciel et il prie (Marc, VI, 41), pour nous apprendre à ne pas toucher à la nourriture avant d'avoir rendu grâces à Dieu qui nous la donne. Dans les résurrections de morts il ne prie pas, excepté pour Lazare. J'en ai indiqué la cause; c'était pour condescendre à la faiblesse des spectateurs. Jésus-Christ lui-même l'a manifesté clairement : J'ai dit cela à cause du peuple qui m'environne. Ce n'est pas sa prière, mais sa parole qui a ressuscité le mort, nous l'avons suffisamment montré.

Pour rendre la chose encore plus évidente, continuons. Faut-il punir, récompenser, porter des lois, faire quelque grand miracle, vous le verrez non pas invoquer le Père, ni prier, mais agir avec autorité. Citons des exemples, et vous remarquerez que nulle part il ne prie dans ces occasions solennelles. Venez les bénis de mon Père, dit-il, possédez le royaume qui vous a été préparé. Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu qui a été préparé au démon et à ses anges. (Matth. XXV, 34.) Il punit et récompense de sa propre autorité, sans avoir besoin de prière. S'agit-il de guérir le paralytique : Lève-toi, prends ton lit et marche (Marc, II, 9); de délivrer de la mort : Talitha, cumi, lève-toi (Marc, V, 41); de remettre les péchés : Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis (Matth. IX, 2); de chasser le démon : Je te le commande, esprit mauvais, sors de cet homme (Marc, V, 8); d'apaiser la mer : Tais-toi et fais silence (Marc, IV, 39); de rendre la santé à un lépreux : Je le veux, sois purifié (Matth. VIII, 3) ; de porter des lois : Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point; moi je vous dis que quiconque dira à son frère, Fou, méritera d'être condamné au feu de l'enfer. (Matth. V, 21.)

Voyez comme il fait tout avec une autorité souveraine. Il condamne à l'enfer, il fait entrer au ciel, il guérit les paralytiques, il ressuscite les morts, il remet les péchés, chasse les démons, apaise la mer. Quel est le plus grand de donner le ciel, de jeter en enfer, de remettre les péchés, de porter des lois avec autorité, ou de multiplier les pains ? Evidemment les premiers miracles l'emportent sur le dernier. Cependant il ne prie pas pour ceux-là; il est donc clair qu'il le fait non par faiblesse, mais pour l'instruction, de la foule qui l'entoure. Afin que vous sachiez ce que c'est que remettre les péchés, écoutez le Prophète; il nous dit que ce privilège appartient à Dieu seul : O Dieu, qui est comme vous, qui ôtez les péchés„ et effacez les iniquités? (Mich. VII, 18.) Faire entrer au ciel est encore plus que ressusciter un mort. Cependant Jésus-Christ le fait avec pleine autorité. Porter des lois appartient (262) aux rois et non aux sujets. La nature même des choses le proclame. Les rois seuls peuvent donner des lois. L'Apôtre aussi le déclare : Quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, mais je donne un conseil comme fidèle ministre du Seigneur par sa miséricorde. (I Cor. VII, 25.) Serviteur et ministre, il n'a pas osé ajouter aux lois portées dès l'origine. Il n'en est pas ainsi de Jésus-Christ; avec une autorité souveraine il abroge les lois anciennes, et en établit de nouvelles. Si faire des lois n'appartient qu'au roi, quelle raison peuvent encore alléguer les hérétiques pour la défense de leur impudente doctrine, quand on voit Jésus-Christ, non-seulement porter des lois nouvelles, mais amender les anciennes? Il est clair par là qu'il est consubstantiel au Père.

4. Pour plus d'évidence, étudions le passage de l'Ecriture auquel je fais allusion. (Matth. V, 1.) Jésus étant monté sur la montagne s'assit et commença à parler à la foule qui l'entourait : Bienheureux les pauvres d'esprit, ceux qui sont doux, les miséricordieux , ceux qui ont le coeur pur. Après ces béatitudes, il continue : Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi ou les prophètes, je ne suis pas venu les détruire, mais les accomplir. Est-ce qu'on l'a soupçonné de vouloir détruire la loi? a-t-il énoncé quelque chose de contraire à la loi ancienne, pour s'exprimer ainsi? Il a dit : Bienheureux les pauvres d'esprit, c'est-à-dire les humbles. Mais l'Ancien Testament dit: Un sacrifice agréable à Dieu, c'est un esprit brisé. Dieu ne rejette pas un coeur contrit et humilié. (Ps. L,19.) — Bienheureux ceux qui sont doux, ajoute le Sauveur; et Isaïe, parlant au nom de Dieu, proclame la même chose : Sur qui jetterais-je les yeux, sinon sur celui qui est doux, pacifique, et qui craint mes paroles? (LXVI, 2.) — Bienheureux les miséricordieux, poursuit le Seigneur; et dans la loi ancienne il est partout question de miséricorde : Ne prenez pas la vie du pauvre, ne rejetez pas la prière de l'affligé. (Eccli. IV, 4.) — Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, lisons-nous, toujours dans le sermon sur la montagne. Et David, de son côté, s'écrie : Mon Dieu, créez en moi un coeur pur, rétablissez au fond de mon âme l'esprit de droiture. (Ps. L, 12.)

On trouverait le même accord à l'égard des autres béatitudes. Pourquoi Jésus-Christ, n'ayant rien publié de contraire à la loi ancienne, ajoute-t-il : Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi et les prophètes. C'est à cause de ce qui va suivre, et non de ce qu'il vient de dire. Il allait perfectionner la loi, et c'est afin qu'on ne prît pas ce perfectionnement pour une opposition, qu'il dit : Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi et les prophètes, c'est-à-dire je vais révéler des préceptes plus parfaits que les anciens préceptes. Ainsi : Vous avez entendu dire : Ne tuez pas; et moi je vous dis : Ne vous mettez pas en colère. On vous a dit : Ne commettez point d'adultère; et moi je vous dis : Quiconque regarde une femme avec un mauvais désir, a déjà commis l'adultère, etc. Accomplir n'est pas détruire, et ici il y a accomplissement et non destruction. Ce qu'il a fait pour les corps, il le fait pour la loi. Qu'a-t-il fait pour les corps? En venant sur cette terre, il trouva des membres mutilés, rongés par des maux de toute sorte; il les guérit, et leur rend leur première beauté. Par tout cela il montre clairement qu'il est le même Dieu qui a porté les lois anciennes et créé notre nature.

La guérison de l'aveugle prouve évidemment son intention de nous faire entendre cette vérité. En passant, il voit un aveugle, fait de la boue, oint de cette boue les yeux de l'aveugle et lui dit : Allez vous laver dans la piscine de Siloé. (Jean, IX, 7.) Lui, qui d'un mot ressuscite les morts , sans parler de ses autres miracles, pourquoi prend-il ici la peine de faire de la boue, et d'en oindre les yeux de l'aveugle? N'est-ce pas pour nous apprendre qu'il est le même Dieu qui, au commencement, prit du limon de la terre et en forma l'homme? Autrement, sa peine serait bien superflue. Il n'avait pas besoin de boue pour rendre la vue à -l'aveugle; un seul mot, sans cette matière, lui suffisait; c'est pour nous le faire comprendre qu'il ajoute : Allez vous laver à la piscine de Siloé. Son intention était de nous montrer par la manière dont il opère ce miracle, que c'est lui qui a créé le monde; la leçon donnée, il dit à l'aveugle : Allez vous laver à la piscine de Siloé. Parfois quand un artiste d'un rare talent veut faire éclater toute la gloire de son art, il laisse dans sa statue une partie inachevée, qu'il se propose de travailler et de parfaire sous les yeux mêmes du public; c'est ce que fit le Christ en cette occasion, pour montrer que l'homme est bien son oeuvre; voici un homme qu'il a laissé inachevé, ce sont les (263) yeux qui manquent; qui pourra achever cette partie qui reste à faire, sinon celui qui a créé et formé le tout. Or, Jésus donne à cet homme les yeux qui lui manquent, donc la preuve est évidente, et Jésus-Christ est le créateur de l'homme.

Considérez quel membre Jésus-Christ a rétabli par ce miracle : ce n'est ni une main, ni un pied; c'est l'œil, le plus beau, le plus nécessaire, le plus précieux de tous nos organes. Or, celui qui peut créer l'organe le plus nécessaire et le plus beau, c'est-à-dire les yeux, celui-là peut évidemment créer un pied, une main ou tout autre membre. Qu'ils soient bénis ces yeux qui, comme un magnifique spectacle, attiraient toute la foule présente ; leur beauté est une voix qui apprend à tous la puissance de Jésus-Christ. Prodige étonnant ! Un aveugle apprend à voir aux voyants; c'est ce que Jésus-Christ insinue : Je suis venu dans ce monde pour juger, afin que les aveugles voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. (Jean, IX, 39.) O heureuse cécité ! Ce que la nature refuse à cet homme, il le reçoit de la grâce, et ce refus lui a été moins nuisible que la réparation n'en devint avantageuse. Quoi de plus admirable que ces yeux, que des mains saintes et pures daignèrent former! Ce qui est arrivé pour la femme stérile se renouvelle ici. Le délai, loin de lui nuire, la rendit plus glorieuse , puisqu'elle eut un fils, non par la loi de la nature, mais par la loi de la grâce. Ainsi l'aveugle n'éprouva aucun préjudice de sa cécité passée, il en tira au contraire un grand avantage, puisqu'il contempla le soleil de justice avant de voir le soleil matériel qui nous éclaire.

5. Que cet exemple nous apprenne à garder une pieuse résignation, quand nous, voyons quelque malheur fondre sur nous ou sur ceux qui nous sont chers. Car si nous supportons avec joie et patience tout ce qui nous arrive, nos malheurs deviendront pour nous une source de bénédictions et de toute sorte de biens. Mais je reviens à mon sujet.

Comme Jésus-Christ a perfectionné les corps imparfaits, de même ayant trouvé la loi imparfaite, il l'amenda, la mit en ordre, en un mot, il la perfectionna. Ne croyez pas qu'en parlant de l'imperfection de la loi j'accuse le législateur; elle n'était pas imparfaite de sa nature, elle le devint par le progrès des temps. A l'époque où elle fut portée, elle était parfaite

et proportionnée à l'état des Juifs. Plus tard, la nature se perfectionnant par les leçons du Christ, la loi devint imparfaite, non en elle-même, mais à cause d'une vertu plus grande qui se manifestait dans ceux qu'elle avait instruits. A un enfant on donne un arc et des flèches, moins pour combattre que pour s'exercer, et ces armes lui sont inutiles quand, parvenu à l'âge d'homme, il est apte à la guerre. Ainsi en est-il de notre nature. Quand nous étions faibles et occupés à nous former par l'exercice, Dieu nous donna des armes convenables et faciles à manier; mais quand nos forces se furent accrues, et que notre vertu eut gagné en perfection, ces armes nous devinrent- inutiles. Aussi Jésus-Christ est venu nous en apporter d'autres. Voyez avec quelle prudence il cite les anciennes lois et propose les nouvelles ! Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez point. Par qui cela a-t-il été dit? Par vous, Seigneur, ou par votre Père? Il ne l'indique pas.

Pourquoi ce silence? pourquoi cacher le nom de celui qui a parlé et cité la loi, sans nommer le législateur? En voici la raison: s'il s'était ainsi exprimé : Mon Père vous a dit: Vous ne tuerez point, et moi je vous dis: Vous ne vous mettrez pas en colère; ce langage eût paru bien dur à des auditeurs grossiers, et incapables de comprendre qu'il était venu perfectionner, et non détruire les anciennes institutions; ils lui auraient répondu : Que prétendez-vous? Votre Père a dit : Vous ne tuerez pas, et vous dites : Vous ne vous mettrez pas en colère. C'était donc pour que personne ne s'imaginât qu'il était opposé à son Père, ou qu'il proposait quelque chose de plus sage, qu'il évite de dire : Vous avez appris du Père. D'un autre côté, s'il avait dit : Vous savez que j'ai dit aux anciens, l'inconvénient n'aurait pas été moindre. Si à ces mots: Avant qu'Abraham fût, je suis (Jean, VIII, 58.), on voulait le lapider, que n'aurait-on pas fait, s'il avait déclaré qu'il avait donné la loi à Moïse? Voilà pourquoi il ne parle ni de lui-même, ni de son Père, et se contente de ces mots : Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez point.

En guérissant les corps, il montre qui a créé l'homme au commencement; de même en rendant la loi plus complète et plus parfaite, il déclare qui a porté cette loi dès l'origine. C'est aussi pour la même raison qu'en parlant de la création de l'homme , il ne (264) nomme ni lui-même, ni son Père; et qu'il se sert d'une proposition indéfinie, sans désignation de personne. Celui qui créa l'homme au commencement, le créa homme et femme. (Matth. XIX, 4.) Ses paroles laissent inconnu le nom du créateur; mais ses oeuvres le révèlent, quand il guérit les corps. De même ici : Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens; sa phrase voile le nom du législateur, mais ses oeuvres le font connaître; car celui qui perfectionne est le même qui a ébauché. Il cite les lois anciennes, il les met en parallèle avec celles qu'il promulgue, afin de montrer à ses auditeurs qu'il ne contredit pas son Père, et qu'il a la même autorité. Les Juifs le comprirent et furent remplis d'admiration, témoin. l'Evangéliste qui nous le rapporte : Le peuple était dans l'admiration de sa doctrine, car il les enseignait comme ayant autorité, et non comme les docteurs et les pharisiens. (Matth. VII, 28.) — Si vous prétendez, vous nos adversaires, que leur sentiment n'était pas fondé, je vous répondrai que Jésus-Christ, loin de les redresser et de les réprimander, les confirme dans ce même sentiment; car tout aussitôt un lépreux s'approche en disant : Seigneur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir. Que répond le Sauveur? Je le veux, soyez guéri. Pourquoi ne pas répondre simplement : Soyez guéri? C'est parce que le lépreux avait rendu témoignage à sa puissance par ces mots : Si vous le voulez; et pour montrer que ces paroles : Si vous le voulez, n'expriment pas la croyance du lépreux seulement, mais sont l'expression même de la vérité, le Sauveur ajoute : Je le veux, soyez guéri. Par là il révèle sa puissance et l'autorité avec laquelle il opère toute chose. S'il n'en était pas ainsi, cette parole : Je le veux, serait superflue.

6. Nous savons quelle est sa puissance. Si donc nous le voyons s'abaisser dans ses paroles ou dans ses actions, c'est pour les motifs que nous avons énumérés ; c'est parce qu'il veut apprendre l'humilité à ses auditeurs, et non à cause de la bassesse de sa nature. Il s'incarne par humilité, et non parce qu'il est inférieur au Père; cela est facile à prouver. Les ennemis de la vérité raisonnent ainsi : S'il est égal au Père, pourquoi le Père ne s'est-il pas incarné? Pourquoi le Fils a-t-il pris la forme de l'esclave ? n'est-il pas évident que c'est à cause de son infériorité? Si tel est le motif de l'Incarnation, le Saint-Esprit qui, selon eux, est

inférieur au Fils (nous nous gardons bien de le dire), aurait dû s'incarner. Si le Père est plus grand que le Fils, par la raison que c'est le Fils, et non le Père, qui s'est incarné, le Saint-Esprit sera aussi plus grand que le Fils, pour la même raison; car le Saint-Esprit ne s'est pas incarné.

Mais laissons les preuves de la raison, et prouvons par l'Ecriture que le Fils s'est incarné par humilité. Saint Paul le savait bien. Pour nous exciter à la vertu, il nous en donne des exemples pris au ciel. Ainsi. quand. il exhorte ses disciples à la pratique de la charité et à s'aimer les uns les autres, il leur propose Jésus-Christ pour modèle: Et vous, maris, aimez vos femmes comme Jésus-Christ a aimé l'Eglise. (Ephés. V, 25.) De même en parlant de l'aumône : Vous connaissez la charité de NotreSeigneur Jésus-Christ qui, étant riche, s'est rendu pauvre pour vous afin de vous enrichir par sa pauvreté. (II Cor. VIII, 9.) C'est-à-dire comme Notre-Seigneur s'est rendu pauvre en s'incarnant, ainsi soyez pauvres au milieu de vos richesses; et comme la privation de la gloire à laquelle il s'est volontairement soumis dans son incarnation, n'a pu lui nuire, ainsi la privation des richesses, loin de vous porter aucun préjudice, vous procurera de grands biens. Saint Paul, écrivant aux Philippiens au sujet de l'humilité, leur propose encore l'exemple de Jésus-Christ : Que chacun par humilité croie les autres au-dessus de soi... Et soyez dans le même sentiment où a été Jésus-Christ, qui ayant la forme et la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu, mais il s'est anéanti lui-même en prenant la forme de l'esclave. (Philip. II, 3.) Mais si, comme le veulent les hérétiques, l'infériorité de sa nature est le motif de son incarnation; il n'y a plus d'humilité, et l'exemple apporté par saint Paul tombe à faux. Car l'humilité consiste à obéir à son égal. C'est ce qu'il indique par ces paroles : Ayant la forme et la nature de Dieu, il n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu, etc.

Que signifient ces paroles ? Celui qui possède injustement un bien se garde de le quitter parce qu'il craint et n'a pas confiance en son droit. Mais celui qui possède un bien qu'on ne peut lui enlever, ne craint pas de s'en dessaisir. Un exemple rendra plus claire cette vérité. Un père de famille a un fils et un esclave. Si l'esclave vient à s'emparer d'une liberté (265) imméritée et à résister à son maître, il repousse tout travail servile, il n'obéit plus, il craint que sa liberté n'en souffre et que l'obéissance ne la compromette; il s'est emparé d'une prérogative qui ne lui revient pas. Au contraire , le fils n'hésite pas à accomplir les oeuvres d'un esclave; il sait bien que, malgré ce travail servile, il ne perd rien de sa liberté, qui demeure intacte, et que ces humbles fonctions ne peuvent lui ravir sa noblesse native. Il ne s'en est pas emparé injustement comme l'esclave; c'est un attribut nécessaire de sa condition de Fils. Tel est le sens des paroles de saint Paul. Jésus-Christ, dit-il, étant le vrai fils libre par nature, et possédant justement cette prérogative n'a pas craint de la voiler, et de prendre la forme de l'esclave. Car il savait bien que cette condescendance ne pouvait diminuer sa gloire, gloire qui n'était pas empruntée, usurpée, étrangère ou messéante, mais légitime et naturelle. Voilà pourquoi il a pris la forme de l'esclave, bien persuadé que cela ne pouvait lui nuire. Il ne fut donc pas privé de sa gloire, qui demeura entière, même sous la forme de l'esclave. Ainsi l'Incarnation prouve que le Fils est égal au Père, que cette égalité n'est pas accidentelle, changeante, mais stable, immuable, et comme celle qui existe entre un père et un fils.

Voilà ce qu'il faut apprendre aux Anoméens ; efforçons-nous autant que possible de retirer nos frères de cette hérésie maudite et de les amener à la vérité. Ne croyons pas que la foi suffise à notre salut ; tâchons encore de mener une vie irréprochable, afin d'obtenir par là les plus grands avantages. Je vous adresse la même exhortation que dernièrement. Déposons toutes nos inimitiés, que personne ne conserve de la haine un jour entier, mais qu'avant la nuit toute colère s'apaise, de peur que, resté seul, votre frère repassant en lui-même les paroles et les actes que la colère vous a inspirés contre lui ne conçoive un ressentiment qui rendrait la réconciliation plus difficile. Un os démis peut, si l'on opère sur-le-champ, être, sans beaucoup de douleur, rétabli dans sa place; si l'on tarde trop, il ne peut être remis que difficilement, ci en outre, il faut encore attendre longtemps avant que le membre puisse s'acquitter convenablement de ses fonctions. De même si nous vous réconcilions sans délai avec nos ennemis, lest une chose facile et il ne faut pas beaucoup d'efforts pour rétablir l'ancienne amitié. Si au contraire nous attendons trop longtemps, la haine, invétérée dans notre coeur, nous aveugle tellement que nous ne pouvons plus songer à la réconciliation sans confusion et sans honte ; alors il faut recourir à d'autres personnes qui renouent les relations, les entretiennent adroitement jusqu'à ce que soit rétablie la première intimité. Je passe sous silence le déshonneur et la honte. N'est-il pas blâmable de recourir à d'autres pour nous réunir à ceux qui sont avec nous les membres d'un même corps? Ce n'est pas le seul mal que produise le délai de la réconciliation. On prend pour des offenses ce qui n'en est pas. Nous soupçonnons tout dans un ennemi, ses paroles, ses gestes, ses regards, ses démarches. Sa vue enflamme notre colère ; son absence nous attriste. Sa présence, que dis-je ? son souvenir seul nous tourmente. Si quelqu'un parle de lui, il nous faut en parler aussi ; chaque fois que cela. arrive, c'est pour nous un nouveau chagrin, toute notre vie se passe dans la peine et la tristesse; nous nous faisons plus de mal qu'à notre ennemi en entretenant ainsi une haine éternelle dans notre âme.

Pénétrés de ces vérités, mes bien-aimés, efforçons-nous d'aimer tous nos frères. Si quelque inimitié survient, réconcilions-nous le jour même. Si nous attendons deux, trois jours, ce délai se prolongeant ne fera qu'augmenter l'aversion. Car plus nous différerons et plus la honte nous retiendra. Craignez-vous de prévenir et d'embrasser votre ennemi? Mais c'est là la gloire, la couronne, la louange, l'avantage, un trésor de biens infinis; votre ennemi vous recevra et tous vous féliciteront; et quand les hommes vous blâmeraient, Dieu vous couronnera. Si vous le laissez venir le premier et demander pardon , vous n'aurez plus autant de mérite; il obtiendra la récompense et attirera sur lui toutes les bénédictions. Si au contraire vous le prévenez, loin d'être vaincu, vous triomphez de votre colère, vous surmontez vos passions, vous donnez, en obéissant à Dieu, un grand exemple de vertu, et vous vous préparez une vie plus douce, à l'abri du trouble et des inquiétudes. Auprès des hommes comme auprès de Dieu, il est dangereux d'avoir beaucoup d'ennemis. Que dis-je , beaucoup? il est funeste d'en avoir même un seul ; tandis que des amis nombreux sont un gage et une assurance de salut. Les richesses, les armes, les murs, les remparts, rien n'est capable de nous (266) défendre comme une amitié sincère. Cette amitié est tout pour nous : rempart, protection, richesses, délices; elle nous fait passer dans le calme la vie présente, et obtenir la vie future. Ayant bien médité sur les avantages que nous en retirons, efforçons-nous par toute sorte de moyens de nous réconcilier avec nos ennemis, d'empêcher les divisions, et de rendre nos amis encore plus fidèles. Car le commencement et la fin de toute vertu, c'est la charité. Puissions-nous la posséder toujours en toute vérité, afin d'obtenir le royaume des cieux par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire dans- les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

ONZIÈME HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DIVINE.
 

ANALYSE. Quand il s'agit des vérités de la foi , il faut s'appuyer principalement sur l'Écriture sainte. — Divinité de Jésus-Christ prouvée par le premier chapitre de la Genèse. — Harmonie de l'Ancien et du Nouveau Testament. — Le Chrétien doit assister aux comblées des fidèles et y conduire ses enfants. — L'assistance à ces réunions dans les églises procure un double avantage.
 
 

1. le vous ai déjà parlé une fois (1), et depuis a jour je vous aime comme si dès l'origine jasais vécu parmi vous; je vous suis aussi étroitement uni par les liens de la charité que si depuis longtemps je jouissais de votre présence. Cela vient non de ce que je m'attache facilement, mais de ce que vous avez un caractère aimable et sympathique. Qui n'admirerait votre zèle ardent, votre charité sincère, votre reconnaissance pour ceux qui vous instruisent, l'union qui règne parmi vous ? tout cela est bien suffisant pour émouvoir même le coeur le plus dur. Aussi nous ne vous chérissons pas moins que l'Église où nous sommes né, où nous avons été élevé et instruit. Celle-ci est ma soeur, vous le témoignez par vos oeuvres. Si celle-là est plus ancienne, celle-ci est plus fervente, plus attachée à la foi. A Antioche les assemblées sont plus nombreuses et plus brillantes; ici se manifestent une patience
 
 

1 Cette Homélie est la seconde prêchée par saint Jean Chrysostome à Constantinople.
 
 

plus grande, un courage plus fort. Les loups rôdent autour des brebis , mais le troupeau ne diminue pas. Les vents , les vagues, la tempête assiègent sans cesse le navire; mais les passagers ne sont pas submergés. Les feux de l'hérésie vous environnent de toutes parts, mais au milieu de la fournaise une rosée spirituelle vous rafraîchit. O prodige ! cette Eglise prospère dans cette partie de la ville comme un olivier qui, au milieu d'un brasier, grandirait, se couvrirait de feuilles et de fruits.

Puisque vous êtes si bien disposés, je m'empresse de m'acquitter de la promesse que je vous ai faite, en vous parlant des armes de David et de Goliath. L'un, vous disais-je, est couvert d'armes nombreuses et terribles; l'autre, au lieu de ces armes, n'est protégé que par la foi. L'un brille à l'extérieur par sa cuirasse et son bouclier, l'autre à l'intérieur par la grâce et l'Esprit de Dieu. C'est pour cela que David, sans armes, triomphe de Goliath (268) armé; le berger, du soldat. La pierre du pâtre broya et mit en pièces l'airain du guerrier. Nous aussi saisissons cette pierre, la pierre spirituelle et angulaire. Si saint Paul (I Cor. X, 4) a pu prendre le rocher du désert dans un sens figuré, qui s'opposera à ce que nous fassions de même ici? Ce n'est pas la nature de la pierre visible, mais la vertu de la Pierre spirituelle qui versait aux Juifs l'eau en abondance; de même, ce n'est pas avec la pierre matérielle, mais avec la Pierre spirituelle que David frappa la tête du barbare. Nous vous promettions d'imiter David et de laisser de côté les raisonnements humains. Car nos armes ne sont pas charnelles, mais spirituelles, détruisant les raisonnements et tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu. (II Cor. X, 4.) Nous devons détruire les raisonnements humains et non les relever, les dissoudre et non les fortifier. Les raisonnements des hommes sont timides. (Sap. IX, 14.) Que signifie timides? Le timide, même en pays sûr, se défie, craint et tremble ; ainsi ce qui est démontré par les raisonnements, fût-ce la vérité, ne satisfait pas l'esprit et ne produit pas une foi suffisante. Puisque telle est la faiblesse du raisonnement, recourons à l'Ecriture pour combattre nos adversaires.

D'où tirerons-nous le commencement et le principe de ce discours? Le demanderons-nous à l'Ancien ou au Nouveau Testament? comme il vous plaira. Car ce n'est pas seulement dans les Evangiles et les Epîtres, mais aussi dans les Prophètes et dans toute l'ancienne loi que brille du plus vif éclat la gloire du Fils unique. C'est pourquoi, à mon avis, nous devons aussi puiser dans l'Ancien Testament des armes pour cette lutte. Nous pourrons ainsi terrasser les Anoménts, et beaucoup d'autres hérétiques, comme les Marcionites, lesManichéens, les Valentiniens, et même les Juifs. Goliath tombe sous la fronde de David, et toute l'armée s'enfuit; la mort d'un seul cause la fuite et la déroute de l'armée entière ; de même ici, la défaite d'une hérésie entraînera la ruine des autres. Les Manichéens et leurs adeptes semblent recevoir Jésus-Christ annoncé ; et ils rejettent les Prophètes et les Patriarches qui l'ont annoncé. Les Juifs, au contraire, semblent admettre les Prophètes et Moïse qui ont prédit Jésus-Christ, et ils repoussent Jésus-Christ ainsi prédit. En montrant, avec la grâce de Dieu, que la gloire du Fils a été annoncée dans l'ancienne loi, nous fermerons toutes ces bouches impies, et nous ferons taire ces langues blasphématrices. A la vue de ces prophéties, quelle excuse restera encore ana Manichéens et aux autres contempteurs delà, sainte Ecriture, qui prédit celui qu'ils regardent comme leur souverain Maître? quel pardon pour les Juifs qui repoussent le Messie annoncé par les Prophètes?

2. Avec le sentiment d'une victoire certaine, consultons les plus anciens livres, remontons jusqu'à l'origine, c'est-à-dire à la Genèse, et même au commencement de la Genèse. Jésus-Christ lui-même atteste que Moïse a parlé de lui. Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi; car c'est de moi qu'il a écrit. (Jean, V, 46.) Où Moïse a-t-il parlé du Christ? Tâchons de le montrer. La création était achevée, le ciel était couronné d'astres innombrables, la terre était parée de fleurs aux mille nuances; les sommets des montagnes, les plaines et les vallées, toute la surface du globe était couverte d'herbes, de plantes et d'arbres; les troupeaux bondissaient, le choeur des oiseaux harmonieux remplissait l'air de suaves accents; les poissons parcouraient la mer; les étangs, les fontaines, les fleuves avaient leurs habitants; rien n'était inachevé; tout était parfait. Alors le corps demandait une tête; la cité, un prince; la création, un roi : l'homme enfin. Sur le point de le créer, Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. (Gen. I, 26.) A qui parle-t-il? A son Fils évidemment. Il ne dit pas : Fais, comme s'il eût commandé à un inférieur, mais : Faisons, indiquant par cette forme consultative qu'il parlait à un égal. Dieu semble tantôt avoir un conseiller, tantôt n'en point avoir ; ce n'est pas une contradiction dans l'Ecriture ; cela nous révèle un double mystère. Pour montrer que Dieu n'a besoin de rien, l'Ecriture nous dit qu'il n'a pas de conseiller; pour établir l'égalité du Fils avec le Père, elle appelle le Fils le Conseiller du Père.

Les prophètes appellent le Fils le Conseiller du Père, non que le Père ait besoin de conseil, mais pour nous prouver la dignité du Fils; que Dieu n'ait pas besoin de conseil, saint Paul va vous en convaincre; écoutez : O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! Qui a connu les desseins de Dieu, ou qui a été son conseiller? (Rom. II, 33.) Ainsi saint Paul proclame que (269) Dieu se suffit à lui-même. D'un autre côté, Isaïe, parlant du Fils de Dieu, dit: Et ils désireront devenir la proie des flammes, car un petit enfant nous est né, un Fils nous est donné, et il sera appelé l'Ange du grand conseil, le Conseiller admirable. (Jean, IX, 5.) S'il est un conseiller admirable, comment saint Paul dit-il: Qui a connu les desseins de Dieu, qui a été son conseiller? N'est-ce pas pour montrer l'indépendance du Père tandis que le Prophète proclame l'égalité du Fils ? Voilà pourquoi Dieu ne dit pas fais, mais faisons. Car le mot fais est un ordre donné à un esclave. Ecoutez : le centurion s'approche de Jésus et dit : Seigneur, mon serviteur est malade de paralysie dans ma maison, et il souffre extrêmement. (Matth. VIII, 6.) Que dit Jésus-Christ ? J'irai et je le guérirai. Le centurion n'osait pas emmener le divin Médecin à sa maison; Jésus dans sa miséricorde et de lui-même promet de s'y rendre, afin de donner au centurion l'occasion de montrer sa vertu. Prévoyant les paroles que ce juste allait prononcer, il veut le suivre, pour vous apprendre la piété de cet homme. Que répond le centurion? Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. La circonstance de la maladie ne lui fait pas oublier sa piété; même dans cette infortune il rend hommage à la majesté du Seigneur. Dites une parole et mon serviteur sera guéri; car je suis un homme ayant des soldats sous moi, et je dis à l'un: Va, et il va ; à l'autre; Viens, et il vient; et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait. Ainsi le mot fais est d'un maître s'adressant à son esclave; faisons indique égalité. Quand donc un maître parle à un serviteur, il dit : Fais; quand le Père s'adresse au Fils, il dit : Faisons. — Je n'accepte pas l'autorité du centurion, dira l'hérétique. Le centurion est-il un apôtre? Est-il disciple, pour que je me rende à son témoignage? Il s'est trompé. — Soit, il n'est pas apôtre; mais voyons la suite. Jésus-Christ l'a-t-il réprimandé? lui a-t-il reproché d'errer et d'introduire des dogmes pervers ? Lui a-t-il dit Homme, que faites-vous? vous m'attribuez plus d'honneur qu'il ne convient; vous m'accordez ce qui ne m'est pas dû; vous croyez que j'agis avec autorité, et je n'ai pas d'autorité. A-t-il tenu ce langage? Nullement; au contraire, il le confirma dans son sentiment, et s'adressant à la foule : En vérité je vous le dis, je n'ai point trouvé une si grande foi dans Israël. Ainsi la louange du Maître ratifie les paroles du centurion. Ce n'est plus le langage du centurion, c'est la sentence du Seigneur. Ce que Jésus-Christ loue et approuve de son suffrage, je l'accepte comme un oracle divin, puisque la parole de Jésus-Christ lui communique l'autorité suprême.

3. Voyez-vous l'harmonie des deux Testaments? chacun démontre la puissance de Jésus-Christ. — Vous accordez qu'il a créé l'homme, mais vous soutenez que c'est en qualité de ministre de Dieu. — Ècoutez la suite, et cessez cette dispute téméraire. Après ces mots . Faisons l'homme, Dieu le Père n'ajoute pas : à ton image plus petite, ni à mon image plus grande, mais : à notre image et à notre ressemblance. Ce qui prouve que le Père et le Fils n'ont qu'une image. Il ne dit pas : à nos images, mais : à notre image. Car il n'y a pas deux images inégales ; c'est une seule et même image du Père et. du Fils. Aussi le Fils est assis à la droite du Père. Ce qui montre l'égalité de puissance. Le serviteur n'est pas assis avec le maître, il se. tient debout en sa présence. Etre assis marque la puissance du maître, être debout, l'infériorité de l'esclave. Daniel va nous l'indiquer : Je regardais jusqu'à ce que des trônes furent placés, et l'Ancien des jours s'assit. Des myriades de myriades d'anges le servaient, et des millions se tenaient devant lui. (Dan. VII, 9.) Isaïe dit aussi : Je vis le Seigneur assis sur un trône élevé et sublime, et les séraphins se tenaient autour de lui (Is. VI, 1); et Michée : Je vis le Seigneur Dieu d'Israël assis sur son trône, et toute l'armée du ciel se tenait à sa droite et à sa gauche. (III Rois, XXII, 19.) Partout, vous le voyez, les puissances célestes sont debout, et le Seigneur assis. Si donc le Fils est assis, c'est qu'il possède le pouvoir suprême et non pas seulement la dignité de ministre. Saint Paul savait bien que les choses sont ainsi. Ecoutez : L'Écriture dit touchant les anges : Dieu a pris les esprits pour ses anges et les flammes pour ses ministres; et au Fils : Votre trône, ô Dieu, est éternel. (Hébr. I, 7.) Le trône indique la puissance royale. Puisque nous avons prouvé la souveraine autorité du Fils, adorons-le comme notre Seigneur et comme l'égal du Père. Lui-même nous le commande. Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. (Jean, V, 23.) Unissons à une doctrine pure un zèle ardent et des oeuvres (270) saintes, pour ne pas tronquer l'affaire de notre salut.

Le meilleur moyen de conserver ce zèle et cette pureté de vie, c'est de venir souvent ici entendre la parole de Dieu. Car, ce que la nourriture est pour le corps, la doctrine divine l'est pour l'âme : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole procédant de la bouche de Dieu. (Deut. VIII, 3; Matth. IV, 4.) Ne pas approcher de cette tablé sainte, c'est s'exposer à souffrir de la faim. C'est un châtiment et une punition dont Dieu nous menace. Je leur enverrai, dit-il, non la famine du pain, ni la soif de l'eau, mais la faim de la parole de Dieu. (Amos, VIII, 11.) On a recours à toutes sortes de moyens pour écarter la faim du corps, et l'on recherche celle de l'âme qui est plus terrible et dont les ravages sont plus funestes. Quelle absurdité ! Je vous en conjure ; ne soyez pas si cruels pour vous-mêmes; préférez nos assemblées à toutes les occupations mondaines. Ce que vous gagnez, peut-il compenser la perte que vous cause, à vous et à votre famille, l'absence de ces réunions ? Quand vous trouveriez, en vous absentant, des monceaux d'or , vous perdez encore , parce que les biens spirituels l'emportent beaucoup sur les biens temporels. Ceux-ci, quelque grands qu'ils soient, ne nous suivent pas dans la vie future, ils ne nous accompagnent pas au ciel et ne nous assistent pas devant le terrible Juge; mais souvent même avant la mort, ils nous abandonnent; et s'ils restent jusqu'à la fin de la vie, ils ne vont jamais au delà. Le trésor spirituel est une possession assurée; il nous suit et nous accompagne partout, et nous donne une grande confiance pour paraître au tribunal de Jésus-Christ.

4. Si tel est l'avantage des assemblées en général, nous trouvons dans celle-ci un double profit. D'abord notre âme reçoit la rosée des divins enseignements, ensuite nous couvrons de confusion- nos ennemis, et nous remplissons nos frères de consolation. Dans une bataille, il est utile d'accourir sur le point le plus faible et le plus menacé. De même nous devons tous accourir ici pour repousser les assauts de l'ennemi. Vous ne pouvez faire de longs discours, vous n'avez pas le don d'instruire ? Venez seulement, et cela suffit. Présents de corps vous augmenterez le troupeau, vous encouragerez vos frères, et vous couvrirez de honte vos ennemis. Si en entrant dans l'église , un fidèle aperçoit peu d'assistants, il laisse éteindre son zèle, s'engourdit, devient négligent et paresseux, et se retire; ainsi peu à peu tout le peuple tombe dans la torpeur et le relâchement. Au contraire s'il voit la foule accourir, s'empresser et affluer de toutes parts, quelle que soit sa nonchalance, il devient bientôt plus zélé. Le choc fait jaillir des étincelles d'une pierre, et cependant quoi de plus froid que la pierre, quoi de plus ardent que le feu? Le frottement triomphe de la nature de la pierre. Si cela arrive pour une pierre, à plus forte raison pour les âmes mises en contact et enflammées par les feux de l'Esprit-Saint. Ne savez-vous pas que les premiers chrétiens n'étaient qu'au nombre de cent-vingt (Act. I, 15)? auparavant il n'y en avait même que douze, et l'un d'eux, Judas s'étant perdu, ils n'étaient en tout que onze. Cependant ces onze se multiplièrent jusqu'à cent-vingt, puis jusqu'à trois mille et cinq mille, et ils remplirent toute la terre de la connaissance de Dieu. La cause de cette propagation rapide, c'est que les fidèles ne quittaient pas l'assemblée, ils étaient toujours ensemble, réunis dans le temple, appliqués à la prière et à la lecture. Voilà pourquoi ils allumèrent un grand incendie, pourquoi ils ne se découragèrent jamais, et soumirent toute la terre.

Imitons-les. N'est-ce pas une honte, d'avoir moins de zèle pour l'Eglise que des femmes pour leurs voisines ? Si elles voient une jeune fille pauvre, privée de tout secours, elles lui tiennent lieu de parents, la comblent de présents et assistent en grand nombre à son mariage. Les unes lui apportent des cadeaux, les autres l'honorent de leur présence, ce qui n'est pas peu, car leur zèle cache sa misère, et leur empressement voile sa pauvreté. Faites de même pour l'église. Accourons tous; voilons son indigence, ou plutôt faisons cesser son abandon par notre nombreuse affluence. L'homme est le chef de la femme. (Eph. V, 23.) La femme est l'aide de l'homme. Que le chef ne vienne donc pas à l'église sans le corps, ni le corps sans le chef, mais que l'homme y vienne tout entier, accompagné des enfants. S'il est beau de voir un jeune arbre s'élancer de la racine d'un vieux tronc, il est bien plus beau de contempler un homme, créature bien supérieure aux arbres, environné de ses enfants, comme de tendres rejetons; cela est non-seulement beau , mais utile. Car, comme je le disais, on (274) gagne beaucoup à venir aux assemblées. Nous admirons surtout le laboureur, fion quand il cultive un champ déjà bien préparé, mais quand il travaille avec ardeur une terre abandonnée et inculte. Ainsi faisait saint Paul : il évangélisait avec plus de zèle les peuples qui n'avaient pas encore entendu le nom de Jésus-Christ. Imitons-le pour le bien de l'Eglise et notre propre avantage. Chaque jour assistons à l'assemblée. Si la concupiscence vous embrase, vous éteindrez plus facilement ses feux à la vue de ce temple; si vous êtes irrités, vous apaiserez sans peine la colère; si toute autre passion vous assiège, vous pourrez calmer la tempête et rétablir dans votre âme la sérénité et la paix. Puissions-nous jouir tous de cette paix par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

DOUZIÈME HOMÉLIE. SUR LE PARALYTIQUE ET SUR CE TEXTE : MON PÈRE AGIT JUSQU'A PRÉSENT ET J'AGIS AUSSI. JEAN, V, 17.
 

Cette Homélie et les dix qui précédent ont été traduites par M. l'abbé L. A***, professeur au collège de Saint-Dizier.
 
 

ANALYSE. Le prédicateur comparé au laboureur. — Pourquoi Jésus-Christ se montre aux Juifs les jours de fête. — Guérison du paralytique. — Pourquoi Jésus-Christ interroge le malade. — Eloge du paralytique. — Pourquoi Jésus-Christ lui ordonne d'emporter son lit. — Jésus-Christ est égal au Père en puissance. — Exhortation a assister aux assemblées de l'Eglise.
 
 

1. Dieu soit béni ! à chaque assemblée je vois la moisson grandir, les épis mûrir, les gerbes se multiplier et l'aire se remplir. Il y a quelques jours seulement que nous avons jeté la semence, et déjà germent les fruits abondants de l'obéissance. Evidemment ce n'est pas la puissance de l'homme, mais la grâce de Dieu qui féconde l'Eglise. Telle est la nature de la semence spirituelle; elle n'attend pas le temps, le nombre des jours, le retour des mois, des saisons ni des années; dans le même jour, on peut jeter la semence et recueillir une moisson des plus riches. Le laboureur est obligé de beaucoup travailler et d'attendre longtemps. Il faut attacher les boeufs au joug, tracer de profonds sillons, répandre la semence à pleine main, aplanir la surface de la terre, recouvrir tout ce qu'on a jeté, attendre les pluies favorables, faire beaucoup d'autres travaux, et patienter encore de longs jours avant de recueillir les fruits. Ici au contraire, en été comme en hiver, on peut semer et moissonner, et souvent même dans un seul jour, surtout quand l'âme que l'on cultive est bien disposée. Telles sont vos âmes. Aussi est-ce avec une grande joie que nous venons à cette assemblée, semblable au laboureur qui travaille avec un zèle particulier le champ qui souvent a rempli son aire. Parmi vous une légère fatigue nous procure des fruits abondants. C'est pourquoi nous venons avec empressement vous distribuer les restes de nos premiers entretiens.

Nous avons parlé, la dernière fois, de la gloire du Fils unique de Dieu ; nous avons emprunté nos preuves à l'Ancien Testament. Nous continuerons aujourd'hui. Nous avons cité cette parole du Christ: Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi. (Jean, V, 46.) Aujourd'hui, nous examinerons ce texte de Moïse : Le Seigneur Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi. Ecoutez-le. (Dent. XVIII, 15; Act. III, 22.) Jésus-Christ renvoie donc les Juifs à Moïse, pour les attirer à lui par le moyen de ce prophète; et (274) en effet Moïse annonce aux Hébreux le Maître à qui ils doivent obéir ponctuellement. Que tout soit donc un enseignement pour nous, ses actes, ses paroles, et aussi le miracle que l'on vient de vous lire. Quel est-il? C'était un jour de fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem. Or il y a à Jérusalem la piscine paralytique appelée en hébreu Bethsaïde; elle a cinq portiques. (Jean, V, 1.) L'ange du Seigneur, dit l'Evangile, y descendait à certain temps, ce qu'annonçait l'agitation de l'eau. Le premier qui y entrait après que l'eau avait été ainsi agitée était guéri, quelque maladie qu'il eût. Sous les portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d'aveugles, de boiteux et d'autres qui avaient des membres desséchés, et tous attendaient l'agitation de l'eau.

Pourquoi Jésus-Christ choisit-il toujours Jérusalem de ses plus grandes oeuvres, et se montre-t-il aux Juifs de préférence les jours de fêtes ? C'est qu'alors le peuple était réuni ; c'était le lieu et le temps de rencontrer les malades. Car ces infortunés désiraient moins ardemment leur guérison que le médecin lui-même. Quand la foule est nombreuse, l'assemblée considérable, Jésus-Christ se présente pour procurer le salut. Il y avait donc une grande multitude de malades attendant l'agitation de l'eau ; le premier qui descendait alors était guéri, mais non le second. La puissance du remède était épuisée, l'eau restait sans vertu, et la maladie du premier malade descendu lui avait enlevé toute sa force. Et il devait en être ainsi, car c'était une grâce d'esclave. Mais à l'avènement du Seigneur, il n'en est plus de même. Le premier qui descend dans la piscine des eaux du baptême n'est pas seul guéri. Le premier, le second, le troisième, le quatrième, le dixième, le centième, le sont aussi. Et quand il y en aurait dix mille, cent mille, une multitude innombrable, quand toute la terre descendrait dans la piscine, la grâce ne serait pas diminuée, elle resterait la même et aussi puissante. Telle est la différence entre le pouvoir de l'esclave et l'autorité du maître. L'un ne guérit qu'un malade, l'autre toute la terre; l'un ne guérit qu'une fois l'an, l'autre chaque jour et des millions d'infirmes. L'un descend et agite l'eau; pour l'autre, il suffit de prononcer son nom sur l'eau afin de lui communiquer cette admirable vertu. L'un guérit les corps, l'autre les âmes. Quelle immense différence sous tous rapports !

2. Il y avait donc une grande multitude at. tendant l'agitation de l'eau. Car il s'opérait là des guérisons miraculeuses. Dans un hôpital on voit des malades, des estropiés, des infirmes de toute espèce qui attendent l'arrivée du médecin ; de même on voyait là une multitude nombreuse. Sous ces portiques était un homme malade depuis trente-huit ans. Jésus l'ayant vu couché par terre et sachant qu'il était malade depuis longtemps, lui dit : Voulez-vous être guéri? Le malade lui répondit : Oui, Seigneur; mais je n'ai personne pour me jeter dans la piscine après que l'eau a été troublée, et pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi. (Jean, V, 5.) Pourquoi Jésus-Christ, laissant tous les autres, vient-il à celui-ci ? Pour montrer tout en. semble sa puissance et sa bonté : sa puissance, puisque la maladie était si grave et qu'il n'y avait plus d'espoir de guérison; sa bonté, parce que, bon et miséricordieux, Jésus daigna regarder de préférence celui qui était le plus digne de pitié et de compassion. Le lieu, le nombre de trente-huit ans de maladie, tout est à bien considérer.

Ecoutez, vous tous qui luttez contre la pauvreté et la maladie, qui êtes accablés par les difficultés et les inquiétudes de cette vie, et éprouvés par des catastrophes imprévues. Il y a dans l'exemple du paralytique de quoi consoler toutes les infortunes humaines. Qui donc, en considérant cet exemple, aurait assez peu d'esprit et de coeur pour ne pas supporter avec courage et avec générosité les accidents de cette vie? Vingt ans, dix et même cinq ans, n'était-ce pas assez pour lasser sa constance? Et il attend trente-huit ans sans se décourager, et avec la plus grande patience. Cette persévérance vous étonne ; écoutez ses paroles, et vous admirerez encore davantage sa sagesse et sa vertu. Jésus s'approche et lui dit : Voulez-vous être guéri ? Qui doute qu'il ne le désire? Pourquoi donc l'interroger? Ce n'est pas par ignorance, car celui qui connaît les pensées les plus secrètes n'ignore pas ce qui est clair et évident pour tous. Pourquoi donc l'interroger? Ailleurs, quand Jésus dit au centurion : J'irai et je le guérirai (Mat. VIII, 7) : il n'ignorait pas sa réponse; mais tout en la prévoyant et la connaissant parfaitement, il voulait lui donner l'occasion de manifester sa foi jusqu'alors cachée, et de dire : Non, Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. (275) Il en est de même pour le paralytique. Quoique sûr de sa réponse, le Sauveur lui demande s'il veut être guéri, non qu'il en doute, mais pour lui fournir le moyen d'exposer son malheur et de montrer sa constance. S'il l'avait guéri sans rien dire, t'eût été pour nous une grande perte , puisque nous n'aurions pas connu la générosité de cette âme. Jésus-Christ s'occupe non-seulement du présent, mais aussi de l'avenir. En l'obligeant à répondre à cette question : Voulez-vous être guéri, il le présente au monde entier comme un modèle de patience.

Que répond le paralytique ? Il ne se laisse point aller à la colère ou à l'indignation, il ne dit point à Jésus-Christ : Vous me voyez paralysé, vous savez que depuis longtemps j'ai cette maladie, et vous me demandez si je veux être guéri? Etes-vous venu insulter à mon malheur et rire de l'infortune d'autrui ? — Vous connaissez le caractère difficile des malades cloués sur leur lit depuis une année seulement. Mais trente-huit ans de maladie, n'est-ce pas assez pour lasser la vertu la plus robuste? Cependant telle ne fut point sa réponse ni sa pensée; avec la plus grande douceur, il dit : Oui, Seigneur, mais je n'ai personne pour me jeter dans la piscine après que l'eau a été troublée. Voyez que de maux assiégent cet homme en même temps : la maladie, la pauvreté, la privation de tout secours. Pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi. Misère extrême, capable de toucher un coeur de pierre. Il me semble voir cet homme se traînant chaque année à l'entrée de la piscine, et chaque année frustré dans son espérance, et, pour comble de malheur, cette souffrance dure non deux ou trois ans, mais trente-huit ans. Il montre le plus grand zèle et il ne recueille aucun fruit; il parcourt la carrière, et un autre reçoit le prix de la course, et cela pendant de longues années. Et, ce qui est encore plus pénible, il voit les autres guéris. Car vous savez que nos maux nous deviennent à charge, surtout quand nous en voyons d'autres, qui étaient affligés comme nous, délivrés de leurs maux. Ainsi le pauvre, à la vue d'un ,riche, sent plus vivement sa misère; ainsi le malade souffre davantage en voyant d'autres se guérir, tandis que tout espoir de guérison s'évanouit pour lui. Le bonheur d'autrui nous montre plus clairement notre infortune. C'est ce qui avait lieu pour le paralytique. Il lutte longtemps contre la maladie, la pauvreté, l'abandon; il voit les autres guéris, et, malgré ses efforts continuels, il n'obtient rien, il ne lui reste plus même l'espoir d'être délivré. Cependant il persévère sans se décourager et revient chaque année. Pour nous, si notre prière n'est pas exaucée promptement, nous murmurons et nous tombons dans l'abattement; alors nous cessons de prier et tout notre zèle s'éteint. Pouvons-nous assez louer le paralytique et condamner notre lâcheté ? Quelle excuse nous reste ? quel pardon pouvons-nous espérer ? Le paralytique persévère pendant trente-huit ans, et nous, nous abandonnons si vite nos résolutions !

3. Que fait ensuite Jésus-Christ? Il vient de montrer que ce malade mérite sa guérison; puis s'étant approché de lui plutôt que des autres, il lui dit : Levez-vous, prenez votre lit et marchez. Cette attente de trente-huit ans ne lui fut pas inutile, parce qu'il supporta ses maux avec patience. Pendant ce long temps, son âme, éprouvée par le malheur comme par le feu, fit de grands progrès dans la vertu, et sa guérison fut plus glorieuse. Car ce n'est pas un ange, mais le Seigneur des anges qui le guérit. Pourquoi lui commande-t-il d'emporter son lit? C'est d'abord et surtout pour porter les Juifs à s'affranchir des observances légales. Quand le soleil paraît, une lampe n'est plus nécessaire ; quand la vérité se manifeste, il faut laisser la figure. Devant faire cesser le sabbat, il opère un grand miracle en ce jour, afin qu'en frappant la foule par la grandeur.du prodige, il détruise peu à peu cette observance superstitieuse. C'est ensuite pour fermer la bouche aux téméraires. Les Juifs critiquaient méchamment ses miracles et tâchaient d'en obscurcir l'éclat; en faisant emporter le lit, il leur donne une preuve invincible de la guérison, et les Juifs ne pouvaient plus dire ici ce qu'ils disaient de l'aveugle : C'est lui, ce n'est pas lui, c'est lui-même. (Jean, IX, 8.) Ici ils n'ont rien à objecter; le paralytique, emportant ainsi son lit, met un frein à leur impudence. Il y a encore une troisième raison non moins importante. Pour nous apprendre que c'est la puissance divine, et non la science humaine, qui a tout fait, il lui ordonne d'emporter son lit ; ce qui prouve évidemment une guérison pleine et entière; alors ces blasphémateurs ne peuvent plus dire que c'est un artifice, et que le paralytique a essayé de marcher, par (276) complaisance pour Jésus-Christ. Voilà pourquoi il lui ordonne d'emporter un fardeau sur ses épaules. Car si ses membres n'avaient pas été bien rétablis, ses articulations bien libres, il n'aurait pu porter son fardeau.

De plus cette guérison montre encore que, sur une simple parole de Jésus-Christ, la maladie se retire, la santé revient. Les médecins chassent aussi les maladies, mais ils ne rendent pas subitement la santé, il leur faut du temps pour expulser peu à peu du corps les restes du mal. Il n'en est pas ainsi de Jésus-Christ; dans un clin d'oeil, il fait fuir la maladie, et ramène la santé; le temps ne lui est pas nécessaire; au moment où la parole s'échappe de ses lèvres bénies, la maladie quitte le corps; la parole opère et soudain toute infirmité disparaît. Un esclave en révolte aperçoit-il son maître, il s'arrête aussitôt, et rentre dans l'ordre accoutumé. C'est ce qui arrive ici: la maladie comme un esclave séditieux troublait le corps du paralytique, mais à la vue du Seigneur, elle rentre dans l'ordre, et l'harmonie se rétablit. La parole a tout opéré; car ce n'est pas une parole ordinaire , mais la parole de Dieu dont il est dit : Les oeuvres de sa parole sont puissantes. (Joël, II, 11.) Elle a créé l'homme qui n'existait pas; à plus forte raison peut-elle guérir un paralytique.

Que ceux qui scrutent l'essence de Dieu, me permettent ici une question. Comment ces membres se sont-ils fortifiés? Comment ces os se sont-ils consolidés ? Comment cet estomac délabré s'est-il rétabli? Comment les nerfs affaiblis ont-ils repris leur énergie? Comment la force détruite est-elle revenue? Ils ne le savent. Admirez donc ce prodige sans vouloir en scruter le mode. Le paralytique obéit et prit son lit. A cette vue les Juifs dirent : C'est le sabbat, il ne vous est pas permis d'emporter votre lit. (Jean, V, 10.) Il fallait adorer l'auteur et admirer l'oeuvre; les Juifs disputent sur le sabbat, rejetant un moucheron et avalant un chameau. Que répond le paralytique ? Celui qui m'a guéri m'a dit : Emportez votre lit et marchez. Voyez la gratitude de cet homme ! Il avoue son médecin, et déclare que son bienfaiteur est pour lui un législateur digne de foi. Il raisonne contre eux, comme l'aveugle. Comment raisonnait l'aveugle? On lui objecte : Cet homme n'est point de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat. (Jean, IX, 16.) Il répond : Nous savons que Dieu n'exauce pas les pécheurs; or celui-ci m'a ouvert les yeux. (Ibid. 30.) C'est-à-dire : s'il a transgressé la loi, il a péché; s'il a péché , il n'a pas un tel pouvoir, car le péché , l'exclut absolument. Or Jésus-Christ a ce pouvoir, il n'a donc pas péché même en transgressant la loi. Le paralytique raisonne de même. Par ces mots, celui qui m'a guéri, il indique que celui qui a déployé une semblable puissance, ne peut être accusé d'avoir violé la loi.

Les Juifs reprennent : Où est l'homme qui vous a dit : Emportez votre lit et marchez? (Jean, V, 12.) Voyez quel aveuglement insensé! voyez quelle arrogance ! les envieux ne voient pas ce qui est bien, mais seulement ce qui leur fournit une occasion de nuire. De même les Juifs. Le paralytique proclame deux choses sa guérison et l'ordre d'emporter son lit. Les Juifs cachent l'une et publient l'autre. Ils voilent le prodige, et objectent la violation du sabbat. Car ils ne demandent pas : Où est celui qui vous a guéri? Ils se taisent sur ce point et disent: Où est celui qui vous a dit. Emportez votre lit et marchez? Celui-ci ne le connaissait pas. Car Jésus s'était retiré de la foule qui était là. (Jean, V, 13.) Ceci fait l'éloge du paralytique et en même temps donne une preuve de la sollicitude de Jésus-Christ pour les hommes. Si ce paralytique ne reçoit pas le Sauveur comme le centenier ; s'il ne s'écrie pas : Dites une parole et mon serviteur sera guéri (Matth. VIII, 8), ne l'accusez pas d'infidélité, puisqu'il ne le connaissait pas, il ne savait pas qui il était. Comment aurait-il connu celui qui voyait pour la première fois? Voilà pourquoi il lui répondit : Je n'ai personne pour me jeter ; dans la piscine. (Jean, V, 7.) S'il l'avait connu, il ne lui eût pas parlé de le descendre dans la piscine; il l'aurait prié de le guérir, comme il fut guéri en effet. Il le prenait pour un homme ordinaire, et c'est pour cela qu'il mentionne le remède accoutumé. C'est aussi une preuve de la prudence de Jésus-Christ que de quitter le paralytique guéri sans s'en faire connaître. Car alors les Juifs ne peuvent soupçonner la véracité de ce témoin, ni prétendre qu'il est gagné ou suborné par Jésus-Christ ; son ignorance et l'absence de Jésus-Christ ne permettent pas ce soupçon. L'Evangile dit en effet : Il ne savait qui il était.

4. Jésus-Christ le laisse aller seul, afin que les Juifs, le prenant à part, examinent le fait à leur gré, et une fois bien convaincus de la vérité répriment leur colère ridicule. Voilà (277) pourquoi Jésus-Christ se tait; pour preuve il leur présente les faits, témoignage évident et irréfutable. Que peut-on en effet opposer à ces paroles: Celui qui m'a guéri, m'a dit : Emportez votre lit et marchez? (Jean, V,11.) Le paralytique devient évangéliste, docteur des infidèles, médecin et héraut pour leur honte et leur condamnation. Il guérit les âmes non par des paroles, mais par des exemples. Il apporte un argument invincible et son corps proclame la vérité de son discours. Depuis Jésus le rencontra et lui dit : Vous voilà guéri. Ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis. (Jean, V, 14.)

Admirez la science, le zèle du médecin. Il ne délivre pas seulement de la maladie présente, il prémunit encore pour l'avenir, et avec raison. Quand le paralytique est étendu sur son lit, Jésus-Christ ne lui dit rien de tel, il ne lui rappelle pas ses péchés; car l'esprit des malades est aigri et chagrin. Mais une fois la maladie expulsée et la santé rétablie, une fois la puissance de Jésus-Christ et sa sollicitude prouvées par les couvres, alors le moment est -favorable pour les avis et les conseils; le paralytique les recevra; Jésus-Christ a gagné sa confiance. Pourquoi le paralytique, en s'en allant, fait-il connaître aux Juifs son bienfaiteur? C'est qu'il voulait les rendre participants de la vraie doctrine. — Mais c'est pour cela même que les Juifs haïssaient Jésus-Christ et le persécutaient. — Soyez attentifs; c'est ici le point décisif. Ils le persécutaient parce qu'il faisait ces choses le jour du sabbat. (Jean, V, 16.) Voyons comment Jésus-Christ se défend. Car sa manière de se défendre nous montrera s'il est sujet ou indépendant, serviteur ou maître.

Son action paraissait une transgression considérable. Autrefois un homme ayant ramassé du bois le jour du sabbat, fut lapidé pour avoir en ce jour porté ce fardeau. (Nomb. XV, 32.) On reprochait le même crime à Jésus-Christ, il avait violé le sabbat. Voyons d'abord s'il demande grâce comme un esclave et un sujet, ou s'il ne se donne pas comme ayant puissance et autorité; comme maître , au-dessus de la loi , et auteur des commandements ? Comment se défend-il? Mon Père agit jusqu'à présent, et j'agis aussi. (Jean, V, 17.) Voyez-vous l'autorité? S'il était inférieur au Père, cette parole, loin d'être une apologie, serait un crime encore plus grand et un nouveau motif d'accusation. Si quelqu'un usurpe les fonctions d'un supérieur, et que, pour répondre à l'accusation, il dise : J'ai fait cela parce que le supérieur l'a fait, loin de se laver des crimes qu'on lui reproche, il se rend plus répréhensible et plus coupable. Car c'est de l'orgueil et de l'arrogance que d'ambitionner des fonctions au-dessus de son mérite. Si donc Jésus-Christ est au-dessous de son Père, il ne se justifie pas, il se condamne; mais parce qu'il est égal au Père, il n'y a pas de crime. Un exemple éclaircira ce que je dis. Il n'appartient qu'à l'empereur de porter la pourpre et le diadème. Si un sujet usurpait ces insignes, et si, amené devant le tribunal, il disait: parce que l'empereur porte ces ornements, je les porte aussi, loin de se justifier, il ne ferait qu'aggraver son crime et son supplice. De même il n'appartient qu'à la clémence impériale de gracier les grands scélérats, comme les homicides, les brigands; ceux qui violent les tombeaux, et autres semblables. Si un juge renvoyait un condamné sans attendre la sentence impériale, et s'il s'excusait en disant : Parce que le roi pardonne, je pardonne aussi, loin de se justifier, il s'attirerait une peine plus grande, et il doit en être ainsi. Un inférieur, dans un excès, s'insurge contre l'autorité, et cherche dans ses actes des motifs d'excuse ; n'est-ce pas faire injure à ceux qui lui ont confié sa dignité? Aussi un inférieur ne se défend jamais de la sorte. Mais s'il est empereur, s'il a une dignité égale: il lui sera permis de s'exprimer ainsi. Ayant la même dignité, il a la même puissance. Quiconque par conséquent se justifie de cette manière, a nécessairement la même dignité que celui dont il invoque l'autorité. Quand donc Jésus-Christ se défend ainsi devant les Juifs, il nous prouve clairement qu'il est égal à son Père.

Comparons, si vous le voulez, cet exemple aux paroles et aux actions de Jésus-Christ. Porter la pourpre et le diadème et gracier les coupables, c'est la même chose que de ne pas observer le sabbat. La première prérogative appartient au roi seul et non au sujet; quiconque la possède justement, est nécessairement roi. Il en est de même ici; Jésus-Christ agit avec autorité; puis accusé, il invoque son Père en disant : Mon Père agit jusqu'à présent. (Jean, V, 17.) Il est donc nécessairement égal au Père qui agit aussi avec autorité. S'il n'était pas égal à lui, il ne se (278) défendrait pas ainsi. Rendons encore ceci plus clair. Les apôtres avaient violé le sabbat en arrachant des épis pour manger; Jésus-Christ le viole maintenant, les Juifs l'accusent, comme ils avaient accusé les disciples. Voyons comment il les justifie, et se justifie lui-même; la différence vous montrera quelle est la valeur de son apologie. Comment les défend-il ? N'avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu'il fut pressé de la faim? (Matth. XII, 3.) Quand il défend les serviteurs, il apporte l'exemple d'un serviteur, de David. Quand il se justifie lui-même, il invoque son Père. Mon Père agit, et j'agis aussi. Et que fait-il? demandez-vous, car après six jours Dieu se reposa de tous ses ouvrages. (Gen. II, 2.) Il exerce sa Providence de chaque jour. Il n'a pas seulement créé, il conserve encore les créatures , les anges, les archanges, les puissances d'en-haut, en un mot, toutes les choses visibles et invisibles sont réglées par sa Providence; sans ce secours efficace tout s'en va, se dissipe et périt. Jésus-Christ voulant montrer qu'il gouverne par, sa Providence et n'est pas gouverné, qu'il est créateur et non créature, dit : Mon Père agit, et j'agis aussi; il indique par là qu'il est égal au Père.

5. Souvenez-vous de ces vérités; conservez-les avec soin; à une doctrine pure, joignez une conduite irréprochable. Je vous rappelle ce que je vous ai déjà dit, et je vous le redirai encore. Un moyen puissant pour acquérir la sagesse et la vertu, c'est de venir souvent ici. Une terre inculte que personne n'arrose, se couvre de ronces et d'épines; travaillée par la main du laboureur, elle germe, fleurit, et produit des fruits abondants. Ainsi, l'âme qui est arrosée par la parole divine, germe, fleurit et produit en abondance les fruits du Saint-Esprit; mais l'âme inculte, délaissée, privée de la rosée céleste, se couvre d'épines et de plantes sauvages, c'est-à-dire de péchés. Or les épines sont le repaire des dragons, des serpents, des scorpions et de toutes les puissances infernales. Si ces paroles ne vous convainquent pas, comparons-nous à ces âmes délaissées, et vous verrez quelle différence. Ou plutôt examinons ce que nous sommes quand nous jouissons de la grâce, et ce que nous valons quand nous en sommes privés depuis longtemps. Ne perdons pas cet avantage; l'assistance à l'église nous procure toute sorte de biens. Au retour, l'homme paraît plus respectable à sa femme, et la femme plus aimable à son mari. Car c'est la vertu de l'âme et non la beauté du corps qui rend une femme aimable, c'est la tempérance, la douceur, la crainte de Dieu et non le fard, l'or ou les vêtements précieux. C'est ici dans cette sainte assemblée, que nous pouvons acquérir cette beauté spirituelle; ici les prophètes et les apôtres purifient, ornent, éloignent la vieillesse du péché, ramènent la vigueur de la jeunesse, font disparaître toutes les rides, toutes les taches de nos âmes. Hommes et femmes, efforçons-nous donc tous d'obtenir cette beauté.

La beauté du corps, la maladie la flétrit, le temps la ternit, la vieillesse la détruit peu à peu, la mort l'anéantit complètement; pour celle de l'âme, ni le temps, ni la maladie, ni la vieillesse, ni la mort, rien ne peut l'enlever: elle est immortelle. Celle du corps est souvent une occasion de péché; celle de l'âme conduit à Dieu, comme dit le Prophète en s'adressant à l'Eglise : Ecoutez, ma fille, et voyez, et prêtez l'oreille; oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le Roi sera épris de votre beauté. (Ps. XLIV, 11.) Afin de mériter l'amitié de Dieu, ayons bien soin de conserver cette beauté; enlevons toutes les taches par la lecture des saintes Ecritures, par la prière, par l'aumône et la concorde. Alors le roi, charmé de la beauté de notre âme, nous donnera le royaume céleste. Puissions-nous l'obtenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 
 

Cette Homélie et les dix qui précédent ont été traduites par M. l'abbé L. A***, professeur au collège de Saint-Dizier.
 
 


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