palimpseste Chroniques

L'exécutif confronté aux accusations d'amateurisme
Le Monde 26 octobre 2012

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Les critiques se multiplient, à droite comme à gauche, sur les erreurs de communication et de tempo du gouvernement Ayrault

Les mauvaises langues critiquaient son manque de réactivité. Elles en sont pour leurs frais : Jean-Marc Ayrault peut réagir très vite. Il l'a prouvé mercredi 24 octobre au micro de la matinale de France Inter, en annonçant que " l'UMP - avait - obtenu l'annulation " par le Conseil constitutionnel de la loi sur le logement social. Problème : ce n'est qu'en fin de journée que la décision a été rendue publique.

Jean-Marc Ayrault et François Hollande, à la sortie du conseil des ministres, mercredi 24 octobre.Pour Jean-Marc Ayrault, en pleine opération reconquête depuis quelques jours, cet épisode tombe au plus mal. Il a permis à la droite de hausser d'un cran dans son offensive contre le premier ministre, et au président socialiste de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, de lui administrer une leçon de droit : " Les canons constitutionnels conduisent à penser qu'en général on commente une décision, on ne l'annonce pas. "

Face à ces critiques venues de toutes parts, M. Ayrault a d'abord publié un communiqué dans lequel il assurait n'avoir évoqué que " l'hypothèse " de l'annulation de la loi, avant de se rendre à l'évidence : " Je me suis peut-être trompé en anticipant un peu ", finissait-il par ironiser lors des questions au gouvernement.

Parler trop tôt au risque de créer une réaction en chaîne que quelques heures de patience auraient évitée, puis s'excuser, mais trop tard pour avoir évité le ridicule : ce mercredi, Jean-Marc Ayrault a oublié ce que les anciens Grecs considéraient comme une vertu. Au point qu'ils avaient un dieu pour cela, Kairos, un éphèbe aux épaules et aux talons ailés qui symbolisait la capacité à saisir le moment opportun. Simple erreur ? Peut-être. Mais erreur emblématique, aussi, d'un juste rapport au temps que le gouvernement peine encore à trouver.

C'est un des principaux ministres qui l'admet : " On a un problème de timing. On a ralenti le temps, mais finalement, on a un temps de retard... " Le changement de tempo de la rentrée n'y a rien fait. A la mise en scène de la sérénité et au retour en grâce de la concertation sociale-démocrate, pensée pour trancher avec l'hystérie du précédent quinquennat, a succédé une sorte d'angoisse du résultat immédiat.

Après une session extraordinaire de juillet aujourd'hui considérée, de l'avis de tous les socialistes, comme trop peu remplie, M. Hollande, pressentant la dégradation estivale des indicateurs économiques et sondagiers et souhaitant s'éviter une rentrée parlementaire focalisée sur le traité budgétaire européen, avait dès le dernier conseil des ministres avant les vacances, fin juillet, exigé de son gouvernement une accélération. D'où un calendrier bousculé. Et une précipitation certaine dans la préparation des lois, sanctionnée mercredi par le Conseil constitutionnel au chapitre du logement.

Trop tôt, trop tard ? La question ne cesse de tarauder une équipe gouvernementale où les ministres, bien souvent, s'autorisent des annonces avant arbitrage de Matignon, comme Manuel Valls sur le récépissé des contrôles d'identité ou Vincent Peillon sur la semaine de cinq jours. Voire, pire, après décision du premier ministre ou fixation de la position de l'exécutif, comme l'a fait Marisol Touraine sur la procréation médicale assistée ou Vincent Peillon, encore lui, sur l'opportunité d'un débat sur la dépénalisation du cannabis.

De quoi nourrir le procès en improvisation intenté par l'opposition. A l'image de Jean-François Copé, le secrétaire général de l'UMP, qui a fustigé mercredi la " gigantesque bévue " du premier ministre : " Un tel niveau d'amateurisme et d'impréparation, on n'a jamais vu ça ! "

" La question du temps immédiat revêt une importance capitale, explique un ministre. Qui est le maître des horloges ? Le président doit être en retrait et le premier ministre jouer sur l'immédiat. Mais en réalité, le président est en première ligne. "

Le dossier de la compétitivité illustre au plus haut point ce dilemme calendaire. Pour se donner du temps avant de préparer cette réforme politiquement sensible et socialement explosive, qui fera l'objet d'une deuxième réunion interministérielle le 26 octobre et d'une troisième le 6 novembre, le gouvernement avait commandé un rapport à Louis Gallois. Mais entre les déclarations contradictoires des ministres et la prise de distance, avant même la remise du rapport, de François Hollande selon lequel les propositions de M. Gallois " n'engag - ent - pas le gouvernement ", le message est illisible : l'exécutif donne l'impression de temporiser sur un chantier qu'il ne cesse par ailleurs de présenter comme prioritaire.

" Il laisse se développer le débat et n'intervient qu'au moment où il est certain de tous les effets pervers ", commente un ministre, qui poursuit : " Il sait que les grands hommes politiques sont ceux qui dominent le temps. " Le président avait articulé le second semestre de 2012 autour de trois séquences : d'abord un budget destiné à rassurer les marchés, puis la réforme de la compétitivité et enfin celle du marché du travail.

Une stratégie à long terme censée porter ses fruits en terme de croissance, dans l'esprit du président, à la fin de 2013. Sur le court terme en revanche, la mise en scène de l'action publique demeure erratique : " Gérer les séquences, ça, on ne sait pas faire ", concède un conseiller du chef de l'Etat. Près de six mois après son élection, François Hollande peine à trouver son propre rythme, empêtré entre le modèle d'un Mitterrand soucieux de " donner du temps au temps ", et l'héritage d'un Sarkozy qui, par son activisme, a durablement imprimé sa marque sur l'agenda politique.

David Revault d'Allonnes et Thomas Wieder