Histoire du quinquennat

Roms : Manuel Valls assume les expulsions
Le Monde 1 Aout 2012

Deux ans tout juste après le discours de Grenoble, le 30 juillet 2010, où l'ancien chef de l'Etat Nicolas Sarkozy avait violemment pointé du doigt les Roms vivant en France dans des campements sauvages, scellant ainsi son rapprochement avec les thèses du Front national, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, s'est à son tour positionné avec fermeté sur ce sujet, mardi 31 juillet. Un durcissement qui confirme le virage pris par le Parti socialiste sur les questions d'immigration.

Alors qu'il était interrogé sur Europe 1, à propos des populations roms - environ 15 000 personnes en France -, le nouveau patron de la Place Beauvau a eu cette formule lapidaire, équivalente à celle qu'il avait déjà eue le 25 juillet, dans l'ambiance plus feutrée de la commission des lois : "Les choses sont simples, quand il y a une décision de justice, il y aura démantèlement de campements."

ELUS GÊNÉS AUX ENTOURNURES

A l'été 2010, les socialistes n'avaient pourtant pas ménagé leurs efforts pour dénoncer la politique menée alors par la droite : "La dureté des mots et la dérive des propositions n'ont d'égal que l'ampleur des échecs de Nicolas Sarkozy en matière économique et sociale", avait ainsi fait valoir la patronne du PS, Martine Aubry.

Aujourd'hui, le ton apparaît beaucoup plus mesuré chez la plupart des parlementaires de la nouvelle majorité de gauche. " Manuel Valls est obligé de faire respecter la loi, considère ainsi Eduardo Rihan-Cypel, député PS de Seine-et-Marne. Il faut aussi comprendre les élus locaux, un maire ne peut pas tolérer un tel bidonville (...). En plus, ces camps sont souvent dans les communes les plus pauvres."

A l'Assemblée, mardi après-midi, un certain nombre d'élus semblaient pour leur part gênés aux entournures et refusaient de s'exprimer sur le sujet. Seul Pouria Amirshahi, député PS des Français de l'étranger, a vivement marqué son opposition aux déclarations de M. Valls : "Cela va un peu à rebours d'une culture de la concertation. La culture de la gauche est de dire : l'action réformatrice prend du temps. Décréter le démantèlement en claquant des doigts va donner le sentiment que la politique est impuissante."
                          

A droite, les attitudes variaient. Si Eric Ciotti, le député des Alpes- Maritimes, secrétaire national à la sécurité à l'UMP, a lâché, en début de semaine : "S'il le fait [les démantèlements], je le soutiendrai", le chef du groupe UMP Christian Jacob s'est montré, mardi, soucieux de minimiser le revirement du ministre de l'intérieur : "C'est de la poudre aux yeux pour essayer de se rétablir sur deux jambes après les annonces sur les nouveaux critères de naturalisation."

Pour beaucoup d'acteurs associatifs qui travaillent sur le terrain, les propos de M. Valls sont toutefois très décevants. "On n'est pas des ayatollahs, il y a des campements qu'on ne peut pas laisser comme ça, estime Edouard Donnelly, président de l'association Hors la rue, qui s'occupe des mineurs roms exploités notamment par les réseaux de prostitution. Mais c'est une ligne politique très incomplète."

EN CONTRADICTION AVEC LES PROMESSES DE CAMPAGNE DE FRANÇOIS HOLLANDE

Comme beaucoup, M. Donnelly considère que les démantèlements aggravent la situation des Roms sans la régler. La plupart ne repartent pas en Roumanie ou en Bulgarie d'où ils sont originaires, mais se contentent de s'installer un peu plus loin. En Seine-Saint-Denis, par exemple, les Roms se verraient en moyenne évacués neuf fois par an. Le discours de Grenoble a un temps accéléré ces mouvements, mais leur nombre est maintenant revenu à son niveau d'avant, selon les associations.

Pour tous ces militants, la décision de M. Valls est surtout en profonde contradiction avec les promesses de campagne du candidat François Hollande. "On ne peut pas continuer à accepter que des familles soient chassées d'un endroit sans solution", leur avait écrit le candidat le 27 mars.

Au ministère de l'intérieur, on tempère les déclarations du ministre tout en confirmant la ligne choisie. Ce sont des décisions "compliquées", "pas faciles", souligne-t-on. Il n'y aura "pas de politique centralisée des démantèlements" et M. Valls a demandé aux préfets de "renouer le lien avec les élus locaux et les associations", rassure-t-on. Dans le même temps, la Place Beauvau admet qu'il n'y aura "pas forcément d'alternatives proposées" à tous les Roms qui pourraient être évacués à l'avenir.

Un choix politique soutenu par Matignon. "C'est une ligne qui allie fermeté et dignité dans le respect des valeurs républicaines", justifie-t-on au cabinet du premier ministre, Jean-Marc Ayrault.

Le signe de fermeté envoyé sur les Roms par M. Valls pourrait toutefois être contrebalancé à la rentrée par une proposition de résolution examinée au Sénat mi-octobre. Cette résolution, déposée fin juin par la sénatrice Europe Ecologie Les Verts, Aline Archimbaud, propose la levée des "mesures transitoires" qui pèsent sur les ressortissants roumains et bulgares depuis que leurs pays ont rejoint l'Union européenne en 2007. Ces mesures, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2013, limitent les possibilités d'accès au marché du travail français et assignent les Roms au même régime que les ressortissants extra-européens. "C'est le facteur-clé d'une sortie de la grande précarité ", écrit Mme Archimbaud dans sa proposition de résolution.


Editorial

 

Il y a deux ans, des incidents entre gens du voyage et gendarmes dans un village du Loir-et-Cher déclenchaient une virulente polémique sur la place de ces populations nomades dans la société française puis, par extension, sur le traitement réservé aux Roms, venus essentiellement de Roumanie et de Bulgarie. Dans l'une des prises de position les plus controversées de sa présidence, formulée dans le discours de Grenoble, Nicolas Sarkozy optait pour une stratégie résolument sécuritaire. Pour les Roms, cette stratégie devait se résumer à deux axes : démantèlement des camps illégalement installés sur des communes de France et expulsions de leurs occupants vers leurs pays d'origine – pays membres de l'Union européenne.

Des milliers de Roms (le chiffre exact n'a jamais été rendu public) ont ainsi été rapatriés en Roumanie et en Bulgarie. Le problème, évidemment, n'a pas été réglé pour autant. Des bidonvilles continuent d'orner les bords des autoroutes à l'approche des grandes villes françaises et aucune solution n'a été trouvée à la précarité des Roms. C'est aujourd'hui au tour de la présidence Hollande d'affronter le sujet.

 

Pendant la campagne électorale, François Hollande avait fait part aux associations de défense des Roms de sa volonté d'agir différemment : "Lorsque des campements insalubres sont démantelés, des solutions alternatives doivent être proposées, avait-il écrit. On ne peut pas continuer à accepter que des familles soient chassées d'un endroit sans solution." Mardi 31 juillet, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, a déclaré que chaque fois qu'une décision de justice le justifierait, "il y aura démantèlement de campements".

On ne saurait, bien sûr, reprocher à un ministre de l'intérieur de vouloir faire exécuter des décisions de justice. Mais eu égard aux promesses du candidat Hollande, c'est un peu court. Quid des "solutions alternatives" ?

 

Entendu quelques jours plus tôt par la commission des lois du Sénat, Manuel Valls avait affirmé vouloir "traiter ce sujet dans la sérénité". "Ce n'est pas facile, a-t-il dit. Si le débat est remis sur la place publique de la manière dont cela a été fait il y a deux ans, on n'y arrivera pas."

Il y a, en effet, d'autres façons de poser le débat sur les Roms. Il est urgent de le faire, sans attendre une hypothétique sérénité. Une piste est de mettre fin aux mesures transitoires qui restreignent, jusqu'à 2014, l'accès au travail des Roumains et des Bulgares en France, et de permettre ainsi aux Roms de travailler légalement. Mais la situation de l'emploi en France et le niveau d'éducation des Roms laissent imaginer que cela ne produira pas de miracles.

Avec de 10 à 12 millions de personnes, les Roms sont la plus grosse minorité ethnique d'Europe. La question de leur précarité doit être traitée dans le cadre européen. Et l'UE doit commencer par agir à la racine du problème, c'est-à-dire sur les discriminations dont ils sont victimes dans leurs pays d'origine, afin qu'ils ne soient plus poussés sur les routes d'Europe.