Histoire

Le mandat impératif

 

A chaque crise, la question sitôt posée que repoussée, du mandat impératif. Un ouvrage, bien documenté et souvent surprenant, pour nous rappeler le rêve d’une démocratie totale et la tragédie de ses trahisons.

Le nom dit la chose et la chose doit bien être d’importance pour que son interdiction figure en bonne place dans le texte de la Constitution ! Derrière la question - essentielle - des rapports du peuple avec ses représentants, se joue celle - originelle - du sens de la démocratie ! Et, comme souvent, force est de constater que ces préliminaires se jouent à front renversé ! C’est ceci, d’abord que nous montre PH Zaidman dans son dernier ouvrage sur le Mandat impératif de la Révolution Française à la Commune de Paris (Libertaires Eds, Paris, Mars 2008).

Rousseau est, sans doute, le père de la démocratie ; il en est surtout le parangon. Lui qui perçut si tôt combien se jouaient de contradictions entre ordre et liberté, lui qui comprit, avant tout le monde, combien tout exécutif ne manquerait jamais de se poser comme volonté particulière face à l’intérêt général au point de concevoir non un droit, mais un devoir de révolte sitôt que la loi serait injuste, lui, Rousseau, était opposé à toute démocratie représentative quand même il sût que la démocratie directe fût impossible pour de grands états.

La notion de représentants n’est pas démocratique, mais féodale. Ce qui s’y joue c’est la liberté ! Pour qu’il y ait ordre possible, nous dit-on, il faut bien que le mandataire ait quelque marge de manœuvre faute de quoi, bientôt récusé, il est dans l’impossibilité d’assumer les devoirs de sa charge ! D’un autre côté, pour qu’il y ait liberté, il faudrait bien pourtant que le peuple puisse s’assurer que les décisions prises en son nom fussent bien les siennes et donc que le lien d’avec lui fût impératif, comminatoire !

Quoi d’étonnant alors que Rousseau restât la bête noire de la bourgeoisie bien pensante tant cette question de la nature du pouvoir détermine toute la suite pour poser la question cruciale, fondatrice, de la nature du pouvoir politique. Comment représenter, comment traduire sans trahir ! Rousseau avait compris combien celui qui était assis au lieu de la médiation ne manque jamais de jouer sa propre partition, qu’il n’y avait jamais loin du représentant au parasite, du parasite au président : du symbolique au diabolique !

Quoi d’étonnant encore que cette question se posât à chaque crise politique majeure, à chaque révolution... pour être sitôt évacuée que supposée (1789 ; 1848 ; 1870) ! Car elle engage le sens même du pouvoir ! Car finalement la démocratie représentative, si elle est bien l’institution du peuple pour le peuple, ne peut l’être que... sans le peuple. Convoqué à chaque élection par décret, n’est-ce pas supposer qu’il fût révoqué tout de suite après ! La démocratie représentative ou la démocratie ... par - grande - intermittence !

Quoi d’étonnant que l’on considérât toujours comme anarchistes, comme fauteurs de troubles et adversaires de toute institution, ceux-ci même qui défendirent le principe du mandat impératif puisque, précisément, ils aspiraient à une liaison directe entre souveraineté et pouvoir et, en conséquence, virent à jamais en tout Etat l’instrument de domination du peuple.

Tout semble se passer comme si le moment où s’incarne la souveraineté ne pouvait être qu’un instant, fugace même si magique ; hiératique. L’intrusion du peuple dans l’histoire, marque toujours la bordure sacrée du politique, celle où le principe bouscule tout. Mais le symbole ne fonctionne qu’en différant du symbolisé. Le peuple doit être vite évacué faute de quoi nul ordre ne semble possible. La vacuité du mandataire est patente si le commettant est présent ! L’ordre, la bourgeoisie n’aiment jamais tant le peuple qu’absent, que tant qu’il demeure une idée, un principe !

Telle est la tragédie de la démocratie, sinon de l’histoire, que récusent les partisans du mandat impératif ! Comme si demeurait impossible la démocratie ou que la transaction irrémédiablement dût s’achever en compromission. Comment ne pas aimer ce moment séminal où le Verbe se fait chair, où le peuple, éternel intrus, gomme, biffe et meurtrit, parce qu’impatient, il demeure éternellement en souffrance.

C’est cette histoire que raconte PH Zaidman, avec précision autant que passion, parce qu’il sait que cette histoire est moins triste que tragique, qu’il devine que ce n’est pas une histoire, mais seulement l’itératif retour du refoulé, cet ombilic au-delà de quoi l’on ne peut remonter, cette insensible frontière où le pouvoir frôle la puissance, mais la manque toujours ; où la puissance s’exhausse en vertu pour s’effondrer immanquablement dans le virtuel.

PH Zaidman écrit ici, simplement, une Genèse ; moins une histoire qu’une préhistoire vite oubliée puisque si terrifiante. Quoi d’étonnant enfin que cette proto-démocratie se jouât à front renversé puisqu’elle est, par essence, l’inversion de l’ordre. PH Zaidman feint de s’étonner que les premiers partisans du mandat impératif fussent aristocrates mais qui, plus que la noblesse, savait alors la puissance fondatrice du sacre ? Faut-il s’étonner que ce fussent ainsi plutôt un abbé et un noble qui défendirent l’émancipation des juifs plutôt que le Tiers Etat ? Il faudrait bien méconnaître la partition nécessaire que joue toute société, entre sacré et profane, pour s’en étonner véritablement.

Alors oui, PH Zaidman nous invite en réalité à un jeu, de cache-cache, celui qu’entreprend désespérément le peuple avec l’ordre, l’institution et la liberté ! Où l’espérance traque la trahison, le principe, le réel, et la colère, la trahison.

Ce jeu, nous savons tous qu’il se termine toujours de la même manière, mais est-il interdit, pour autant de rêver ?