Palimpsestes

Hobbes, Léviathan p 129 à 132 Sirey

Et parce que l’état de l’homme, comme il a été exposé dans le précédent chapitre, est un état de guerre de chacun contre chacun, situation où chacun est gouverné par ses propres motifs et qu’il n’existe rien, dans ce dont on a le pouvoir d’user, qui ne puisse éventuellement vous aider à défendre votre vie contre vos ennemis, il s’ensuit que, dans cet état, tous les hommes ont un droit sur toutes choses, et même les uns sur le corps des autres. C’est pourquoi aussi longtemps que dure ce droit naturel de tout homme sur toute chose, nul, aussi fort ou sage fût-il, ne peut être assuré de parvenir au terme du temps de vie que la nature accorde ordinairement aux hommes.
En conséquence c’est un précepte, une règle générale de la raison, que tout homme doit s’efforcer à la paix aussi longtemps qu’il a un espoir de l’obtenir; et quand il ne peut pas l’obtenir, qu’il lui est loisible de rechercher et d’utiliser tous les secours et tous les avantages de la guerre. La première partie de cette règle contient la première et fondamentale loi de nature qui est de chercher et de poursuivre la paix. La seconde récapitule l’ensemble du droit de nature, qui est le droit de se défendre par tous les moyens dont on dispose.
De cette fondamentale loi de nature par laquelle il est ordonné aux hommes de s’efforcer à la paix, dérive la seconde loi: que l’on consente, quand les autres y consentent aussi, à se dessaisir, dans toute la mesure où l’on pensera que cela est nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit qu’on a sur toute chose; et qu’on se contente d’autant de liberté à l’égard des autres qu’on en concéderait aux autres à l’égard de soi-même. Car aussi longtemps que chacun conserve ce droit de faire tout ce qui lui plaît, tous les hommes sont dans l’état de guerre. Mais si les autres hommes ne veulent pas se dessaisir de leur droit aussi bien que lui-même, nul homme n’a de raison de se dépouiller du sien, car ce serait là s’exposer à la violence (ce à quoi nul n’est tenu) plutôt que se disposer à la paix. Cette loi est celle de l’Évangile qui dit: tout ce que tu réclames que les autres te fassent, fais-le leur ainsi que la loi commune à tous les hommes qui dit: quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris.
Se dessaisir de son droit sur une chose, c’est se dépouiller de la liberté d’empêcher autrui de profiter de son propre droit sur la même chose […]
On se démet d’un droit, soit en y renonçant purement et simplement, soit en le transmettant à un autre. En y renonçant purement et simplement quand on ne se soucie pas de savoir à qui échoit le bénéfice d’un tel geste. En le transmettant, quand on destine le bénéfice de son acte à une ou plusieurs personnes déterminées. Et quand un homme a, de l’une ou l’autre manière, abandonné ou accordé à autrui son droit, on dit alors qu’il est obligé ou tenu de ne pas empêcher de bénéficier de ce droit ceux auxquels il l’a accordé ou abandonné; qu’il doit, car tel est son devoir, ne pas rendre nul l’acte volontaire qu’il a ainsi posé; et qu’un tel acte d’empêchement est une injustice ou un tort, étant accompli sine jure. La transmission mutuelle de droit est ce qu’on nomme contrat.