Double regard
Le risque est grand, effectivement, d'aboutir à un cruel dilemme :
Pointer le champ de la communication à partir de la philosophie
c'est risquer inévitablement de le rétrécir à sa plus simple
expression en affirmant soit qu'elle ne serait qu'un doublon maladroit de
la recherche de la vérité à quoi la philosophie et les sciences
pourvoiraient amplement, soit qu'elle ne fût qu'une technique perverse et
fallacieuse de manipulation.
Parce qu'elle ne serait qu'un chancre importun parasitant à la fois la
philosophie, la linguistique, la sociologie etc. elle verrait sa
légitimité remise en question et subirait l'invalidation de son
champ théorique.
Parce qu'elle ne serait qu'une technique d'autant plus dangereuse qu'elle
verrait son efficacité accrue par les nouvelles technologies omniprésente
déjà dans les domaines de la publicité, du politique et du marketing, elle
se verrait invalidée soit du dehors sur le registre à la fois moral et
politique, soit du dedans en la rejetant dans le domaine de la technique,
hors du savoir, du scientifique, de la recherche fondamentale.1
Le risque, pour faire court, d'une auto-proclamation de la philosophie par
étouffement de la communication.
pointer le champ de la philosophie à partir de la communication,
c'est risquer, à l'inverse, de rétrécir celle-là à presque
rien, pour ceci même qu'elle se serait épuisée dans l'avènement des
sciences et que, plus généralement, elle trouve pour fonder ses
recherches, plus ses modèles théoriques dans les mathématiques, la
thermodynamique, la sociologie ou la psychologie qu'elle ne le pourra
jamais dans la philosophie qui n'aurait à lui proposer que sa condamnation
frileuse et sa posture réactionnaire et moralisatrice !
Parce qu'il n'est évidemment pas difficile de prouver que la philosophie
n'est pas une science et que, même si l'on admettait que la philosophie
conservât son originalité dans un objet qui serait moins le réel que le
rapport de l'homme à ce réel, on trouverait maints arguments pour prouver
que cette position interstitielle entre sciences dures et vie pratique est
largement occupée par les sciences sociales ainsi que par les sciences de
l'information et de la communication.
La stratégie du conatus
La tentation est grande d'y voir des effets de pure et
simple stratégie de survie: cette tendance pour un être à persévérer dans
son être produisent ainsi des effets de discours finalement assez drôles au
delà de quoi il va falloir tenter de penser.
Il n'empêche qu'il arrive à la communication ce qui était arrivé à la
sociologie jadis : on puise d'abord dans le marigot philosophique mais ce
dernier devenant de plus en plus étroit on l'en expulse rapidement2 . Au mieux, la philosophie conserve un statut propédeutique pour
n'être plus qu'un socle de départ, utile pour son interdisciplinarité
supposée, préparant une spécialisation dans tel ou tel domaine des sciences
sociales.
Il n'empêche que, par sa sourcilleuse critique de la communication, la
philosophie semble plutôt se replier sur une défense corporatiste de son
histoire où elle manquera d'autant plus d'être entendue que sa place, dans
l'enseignement secondaire notamment, manque désormais de visibilité; que sa
lutte contre la pédagogie3, sa défense si conservatrice de
la dissertation au nom de la rigueur et de l'effort de pensée, brouillent sa
modernité.
Il n'en reste pas moins intéressant d'observer ces effets de discours, ne serait-ce que parce qu'ils utilisent les mêmes procédés argumentatifs : la philosophie renvoie la communication à une simple technique manipulatoire; la communication renvoie la philosophie - au mieux - à une simple technique pédagogique.
Une crise mimétique ?
La tentation est grande d'y voir, en se servant de la problématique de René Girard, une crise victimaire d'autant plus tragique que la gémellité des protagonistes serait avérée. Romulus et Rémus ne purent fonder Rome que par la mise à mort de l'un d'entre eux ! Ce débat présente ainsi quelques rémanences œdipiennes - meurtre du père, de la mère en l'occurrence - dont l'impossible issue serait d'autant plus avérée que les protagonistes se ressembleraient plus ! Procéder ainsi à l'analyse critique du rapport philosophie / communication semble d'autant plus important que l'on chercherait à éviter cette "montée aux extrêmes" où Girard voit la marque de la crise mimétique, montée qui ressemble à s'y méprendre à la tragédie ! D'où la nécessité d'aborder ces effets de discours. Car il ne suffira pas de produire une épistémologie de la communication au moins dans la mesure où cela ferait produire un métadiscours sur un métadiscours ! Et le jeu de miroir de cette gémellité ne ferait que se dédoubler lui-même.
A côté de cette épistémologie, il importera ainsi de mener une analyse de discours sur ce conflit.
Double question, donc !
- quid de la philosophie ?
- quid de la communication ?
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1) C'est bien d'ailleurs ici que se situe la thèse de Ph. Breton que de soutenir que c'est au moment où l'on en aurait le plus besoin que la recherche sur l'argumentation serait tombée en désuétude.
2) il est par exemple tout à fait révélateur que la 71e section du CNU ne reconnaisse pas ou plus la philosophie comme étant une discipline voisine de la communication. Voir le fichier sur le site de la 71e donnant consigne et rapport pour les candidats à la qualification . on consultera avec intérêt le rapport Lecourt de 1999 sur l'enseignement de la philosophie des sciences
3) on se souvient notamment du texte
qu' A Finkielkraut donna au Monde en 2000 :
la révolution cuculturelle à l'école !