Trois français sur cinq disent ne faire confiance à aucun des deux camps 1

Toute la crise tient à ceci qui fit déjà la gloire de 2002.

Mais pourquoi?

Toujours se souvenir que crise signifie d'abord passage, transition d'un état à un autre.

En 2002, le plus grave n'était peut-être pas où l'on croit: Le Pen au second tour n'était que la conséquence d'un désaveu bien plus grave: les deux sortants, les deux représentants des deux grands partis ne recueillirent pas 40% à eux deux. Ce qui signifie que 60% des français votèrent parfois jusqu'au n'importe quoi pour seulement signifier qu'ils ne se reconnaissaient pas ou plus dans la classe politique. 

Plusieurs phénomènes s'entremêlent sans doute:
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une gauche qui est passé trois fois cinq ans au pouvoir sans rien bouleverser de ce qu'elle promit, sans que pour autant son bilan doive être passé par profit et perte. Mais assurément elle ne change pas la vie non plus qu'elle ne changea de société, pas plus qu'elle n'aura changé la société! La mystique éteinte du soir du grand soir, celle de la rupture oubliée, aussi qui ne fit pas long feu,  tout ceci contribua sans aucun doute à épuiser l'espérance qu'y nourrissaient certains, et la crainte qu'en fomentaient d'autres. La droite hypocritement regrette la gauche révolutionnaire d'antan qui faisait un bien bel ennemi: on lui reprochait autrefois son incompétence et sa tendance liberticide! Désormais la gauche de gouvernement, assagie, ne fait plus peur, elle ne fait plus rêver non plus.

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sous l'omniprésence de l'économie, c'est en réalité l'hégémonie du technicisme qui domine le débat (ou son absence) public. C'est à qui gèrera au mieux. Et ceci, décidément, ne fait pas rêver. Surtout, avec le règne du bon sens et la haute autorité de la science, on tente de nous faire croire qu'il n'est pas d'autre solution que de faire ce que l'on fait. Marx avait vu que naturaliser un phénomène, c'est le neutraliser politiquement. La forme moderne de cette neutralisation c'est l'esprit technique, pragmatique. Même la victoire du libéralisme apparaît désormais comme une évidence de bon sens. Comme s'il était une sorte de loi naturelle -  qu'on appellera la réalité - déterminant inéluctablement le cours des choses. On n'aura pas assez remarqué qu'en conséquence c'est la politique elle-même qu'on aura épuisée. Tout à fait révélateur d'ailleurs qu'on ne parle plus de volonté générale comme l'eût fait un Rousseau, et les républicains de la IIIe à sa suite, mais d'intérêt général. L'utilitarisme a fait son oeuvre!
L'incertitude des électeurs c'est peut-être aussi la conséquence logique de l'évidement du politique!

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Derrière le libéralisme triomphant un implicite: on a quitté le gouvernement des hommes pour se vautrer dans le gouvernement des choses. C'est ceci même la définition du fascisme. Il est mou certes, soft assurément. Mais fascisme quand même. N'oublions pas que le gouvernement des choses finit toujours par réifier le citoyen dans la masse.

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L'absence de perspective politique est encore une cause possible. Assez révélateur de ce point de vue que les politiques ne savent pas prendre à bras le coeur le problème écologique. De deux choses l'une: ou bien les spécialistes se trompent en dessinant des perspectives catastrophiques pour la planète et il est logique que l'écologie reste marginale dans e débat! ou bien ,et ce semble quand même le plus vraisemblable, il y a bien urgence climatique ! mais alors le silence politique sur la question est sidéral! sidérant. Comment voudrions-nous que le citoyen ne se sente pas perdu, voire trahi, quand les politiques ne savent donner que des réponses conventionnelles et inappropriées à un problème de fond; lequel d'ailleurs dépasse a priori les traditionnels clivages politiques.
Ce silence est une trahison, et elle se paiera cher, sot par de l'abstention, soit par un éparpillement des voix désignant parfaitement combien 2002 ne fut ni compris ni résolu!

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Nous avons délaissé le progrès. Le sentiment général reste bien que l'avenir est plus inquiétant que prometteur et que sans doute, la situation sociale, économique, professionnelle de nos enfants sera pire que la nôtre. Une société qui n'espère plus, désespère et a peur. Or la peur, souvent en appelle au thaumaturge.

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D'où la possibilité (de l'horreur au conventionnel) pour certains de se présenter  comme des hommes providentiels! Certes on pourra toujours dire que l'absence de culture politique - notamment des jeunes - empêche le corps électoral de toujours reconnaître Le Pen pour ce qu'il est - un fasciste - et Bayrou pour ce qu'il reste - un homme de droite! Il n'empêche l'inculture politique rejoint ici la vacuité idéologique et pragmatique de nos impétrants.
Le corps électoral ne sait pas, certes, mais l'élite ne pense plus; surtout!
 

Les deux se rejoignent pour effacer le clivage et faire le lit de toutes les horreurs.

 

1) Les réalités mouvantes du clivage droite-gauche, Le Monde 23/03