Max Weber

Trois textes

Trois formes d'autorité

Il existe en principe trois raisons internes qui justifient la domination, et, par conséquent il existe trois fondements de la légitimité. Tout d'abord l'autorité de "l'éternel hier", c'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l'habitude enracinée en l'homme de les respecter. Tel est le pouvoir traditionnel que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu (charisme), elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef. C'est la le pouvoir charismatique que le prophète exerçait ou - dans le domaine politique - le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un parti politique. Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la légalité, en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une "compétence" positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au statut établi. C'est là le pouvoir tel que l'exerce le serviteur de l'État moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous ce rapport.

 

Le savant et le politique p 102  (téléchargeable)

Ethique de responsabilité, éthique de conviction

 Nous en arrivons ainsi au problème décisif. Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s'orienter selon l'éthique de la responsabilité [verantwortungsethisch] on selon l'éthique de la conviction [gesinnungsethisch]. Cela ne veut pas dire que l'éthique de conviction est identique à l'absence de responsabilité et l'éthique de responsabilité à l'absence de conviction. Il n'en est évidemment pas question. Toutefois il y a une opposition abyssale entre l'attitude de celui qui agit selon les maximes de l'éthique de conviction – dans un langage religieux nous dirions : "Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action il s'en remet à Dieu" –, et l'attitude de celui qui agit selon l'éthique de responsabilité qui dit : "Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes".

in Le savant et le Politique, Plon, coll. 10-18, Paris, 1993, p. 172

Le rapport protestant au travail

Le temps est précieux, infiniment, car chaque heure perdue est soustraite au travail qui concourt à la gloire divine. Aussi la contemplation inactive, en elle-même dénuée de valeur, est-elle directement répréhensible lorsqu'elle survient aux dépens de la vie quotidienne. Car elle plaît moins à Dieu que l'accomplissement de sa volonté dans un métier. Le dimanche n'est-il pas là d'ailleurs pour la contemplation? […]
Le travail cependant est autre chose encore; il constitue surtout le but même de la vie, tel que Dieu l'a fixé. Le verset de Saint Paul: «Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus» vaut pour chacun et sans restriction. La répugnance au travail est un symptôme d'une absence de la grâce […]
La richesse elle-même ne libère pas de ces prescriptions. Le possédant, lui non plus, ne doit pas manger sans travailler, car même s'il ne lui est pas nécessaire de travailler pour couvrir ses besoins, le commandement divin n'en subsiste pas moins, et il doit lui obéir au même titre que le pauvre. Car la divine Providence a prévu pour chacun sans exception un métier qu'il doit reconnaître et auquel il doit se consacrer. Et ce métier ne constitue pas un destin auquel on doit se soumettre et se résigner, mais un commandement que Dieu fait à l'individu de travailler à la gloire divine.
[…]Pour résumer ce que nous avons dit jusqu'à présent, l'ascétisme protestant, agissant à l'intérieur du monde, s'opposa avec une grande efficacité à la jouissance spontanée des richesses et freina la consommation, notamment celle des objets de luxe. En revanche, il eut pour effet psychologique de débarrasser des inhibitions de l'éthique traditionaliste le désir d'acquérir. Il a rompu les chaînes qui entravaient pareille tendance à acquérir, non seulement en la légalisant, mais aussi en la considérant comme directement voulue par Dieu.
[…] Plus important encore, l'évaluation religieuse du travail sans relâche, continu, systématique, dans une profession séculière, comme moyen ascétique le plus élevé et à la fois preuve la plus sure, la plus évidente de régénération et de foi authentique, a pu constituer le plus puissant levier qui se puisse imaginer de l'expansion de cette conception de vie que nous avons appelée ici, l'esprit du capitalisme.


 

L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme ( téléchargeable)