Votre présence en cet instant est précieuse pour moi.
Je vous ai invités en cet endroit que j’aime, où j’ai des racines, la place républicaine d’une mairie de village, dans les Pyrénées, un endroit à la fois beau et simple, pour vous dire ceci, qui m’engage, et qui va, pour beaucoup d’entre vous, vous engager aussi
1.

Bayrou à Serres-Castet le 2 décembre 2006

 

Entre-deux!

 


Tout en place, ici, pour la mise en scène. Le candidat entouré des siens, comme pour mieux souligner qu'il n'est pas seul ou, ce qui est pire, ne saurait le rester, la montagne en arrière, et, dans le discours, la place républicaine!

Qu'il est difficile d'être du centre!

L'exercice a pu réussir en d'autres temps mais c'est un exercice parlementaire! Pas toujours glorieux de n'être finalement qu'une force moins d'appui que d'appoint; de ne rester que ce petit rien qui manque et qui ne compte que pour ce qui manque!

L'exercice peut-il être présidentiel? C'est toute la gageure de ce candidat, qui réussit autrefois à VGE mais dans un tout autre contexte, car  il s'agissait alors moins de s'inscrire entre deux caciques que de proposer une alternance douce au gaullisme sénescent qui apeurât moins qu'un basculement abrupt vers la gauche.

Car il faut ici rassembler. Voici Bayrou, pratiquement condamné à faire d'abord une campagne de second tour avant de faire celle du premier! 2   A contrefaire la campagne de ses adversaires!

Place étrange que celle du centre:

 

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à équidistance de tout et de tous, ce n'est après tout qu'un point géométrique, une référence! Or, nous savons tous qu'un point n'occupe aucun espace géométrique! Politique?

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au mi-lieu, il ne peut être qu'intermédiaire, celui qui, entre les deux bornes, laisse passer les message ou les bloque. Au lieu du messager, il ne peut faire que l'ange ou la bête. Traduire ou trahir! Symbolique ou diabolique! Parasite ou président!

 

 

Alors, coincé entre montagnes qui barrent l'horizon, et amis qui barrent le passage, voici l'impétrant coincé entre tous ses paradoxes! Son discours ne parle que d'avenir mais il ne peut s'égayer qu'en s'appuyant sur ses racines. Familiales, républicaines.

La place est républicaine qui fantasme l'agora antique où les citoyens se rejoignent pour délibérer de la chose commune, égaux en ceci qu'ils ont délaissé leurs privilèges et différences, figure même de la centralité; figure même du cercle. A équidistance de chaque point de la périphérie, lieu magique, non géométrique en tout cas, nous l'avons dit, la place désigne sans doute moins un espace qu'un temps, celui suspendu, où le bateleur exhibe son adresse et le tribun sa rhétorique. La place est républicaine qui fantasme la IIIe qui fit la gloire des centristes et nourrit leur nostalgie. Voici Bayrou condamné au passé quand il ne veut promouvoir qu'un avenir. Le visage tourné vers la gauche n'est pas bon signe!

Le voici évoquant ses racines dans une furieuse incantation où famille, terre traditions et campagnes sonnent le glas d'un discours d'avenir! L'homme de la tradition républicaine, de la laïcité, celui du progrès et de l'effort n'a que souche et communauté à la bouche!

Coincé par ces montagnes qui l'empêchent d'aller ailleurs, cet homme ne peut parler que des autres, de ses deux challengers, dont il veut se démarquer, mais dont il porte la marque. A vouloir être l'entre-deux, à ne pouvoir en être la synthèse, il court le risque de n'en être que le symbole repoussoir.

Cet homme a une image de marque: pour son malheur cette marque n'est pas la sienne! Cet homme a quelque chose de la sournoise mégalomanie de Diogène qui ne put repousser Alexandre qu'en lui ressemblant dans ce challenge mortifère à vouloir gravir le sommet de la puissance! A entamer le combat, on en accepte implicitement les termes! Bayrou ne survit que comme négatif photographique de ses bornes repoussoirs! Demain, il le sait, il devra composer parce qu'il ne peut occuper que la place de la synthèse. Et l'union qu'il nous propose, pour républicaine qu'elle se veuille, ne sera jamais, ou ne risque en tout cas, que celle de la carpe et du lapin!

 

Il fut un temps où l'homme batelait à bord d'un bus, chevalier errant qui signait au mieux combien ce centre qui n'occupait aucun espace avoisinait l'instant: oui il ne fait que passer! Comme le rêve ou l'angoisse! Figure altière du tragique, cet homme a tout du chevalier à la triste figure: sans doute ne combat-il nul moulin à vent, mais que dire de sa monture? Quichotte des temps modernes, homme d'un autre temps, à moins d'être précurseur intempestif d'une époque lointaine, toujours est-il qu'il vient trop tôt, ou parle trop tard et emprunte certainement des chemins qui ne le mèneront nulle part, à trop vouloir être de partout.

Cet homme est vertueux puisque condamné à ne prôner que l'énergie. Vertueux parce que condamné à l'impossible alchimie d'un lieu qui n'existe pas, d'un espace doublement barré et d'un temps qui fuit. 

Mais Bayrou est vertueux aussi qui porte en sautoir un nom qui signifie précisément ce qu'il est: un entre-deux! 3   Une zone grise entre deux boites noires!

 

1 sa déclaration est accessible sur le site de l'UDF

2 extrait de sa déclaration : L’esprit de rassemblement et de réconciliation, c’est ma conception de la fonction de chef d’État.

3 Bayrou semblerait renvoyer à un sobriquet signifiant ou bien celui qui a des yeux vairons ou celui qui a des cheveux poivre et sel!