Le paysage politique français!
René
Rémond, qui vient de décéder, l'avait parfaitement illustré: le paysage des
droites françaises se présentait comme une sempiternelle litanie toujours
répétée. Quels que fussent les régimes, ou les républiques, on y
reconnaissait sous des noms différents, droite césarienne, droite
légitimiste et droite orléaniste.
Vraisemblablement peut-on dire qu'il en va de même des
gauches françaises, réparties entre girondins et jacobins.
Ce qui semble se jouer sur cette élection , et qui fonde le
pari de Bayrou, tient justement au bouleversement de cet invariant bi
séculaire.
Il y a des apparences de bien fondé:
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la quasi disparition du PC; la transformation des couches
modestes en même temps que l'affaissement des activités primaires et
secondaires font qu'il n'y a plus, ou beaucoup moins, de classe ouvrière
au sens où on l'entendait autrefois, mais plus que des petits employés,
des couches moyennes, des petits bourgeois. |
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l'incapacité de Chirac à entendre la semonce du 21 Avril
et la création sidérante d'une UMP qui ne rassembla rien, et resta sourde
à l'appel du peuple! |
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La logique institutionnelle de l'élection du président au
suffrage
universel.
Ce que De Gaulle avait parfaitement compris, désiré et incarné, c'est
combien il s'agissait là de la rencontre d'un homme et d'un peuple. De
Gaulle avait suffisamment de méfiance à l'encontre des partis où il vit
une partie des causes de la défaillance de la IIIe en 40, pour
désirer une présidence forte qui transcendât l'expression partisane. Dans
cette logique, c'est l'élection qui fait la majorité par les hommes qui se
rassemblent derrière lui. Dans cette logique, nul n'est besoin de se
demander avec qui Bayrou gouvernera: ce sont les élections législatives
(qui suivront) qui donneront la réponse. |
Il y a néanmoins des précédents redoutables!
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celui de Giscard
d'Estaing, en premier. Suffisamment brillant, et porteur d'une
apparente nouveauté pour séduire un électorat qui éprouvait d'autant plus
le besoin de sang neuf qu'avec Pompidou on ne fit que poursuivre un
gaullisme historique mal adapté à cette France jeune où les baby-boomers
avaient atteint l'age adulte , mais manquant cruellement du soutien du
parti majoritaire. Le septennat de Giscard montre à sa manière que le
régime reste quand même parlementaire: sans le soutien indéfectible d'un
gros parti, un président n'est rien. Bayrou élu, l'UDF certes aurait des
élus supplémentaires, mais une majorité? Et quand bien même suffisamment
hétéroclite pour ne pas exploser au premier vent mauvais! N'est pas de
Gaulle qui veut! Je crains que Bayrou n'en ait pas la trempe, même s'il en
a la volonté. Je crains aussi que la crise ne soit pas suffisamment
radicale pour qu'un tel hold-up des partis puise réussir. |
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le centre, par définition, est un non lieu géométrique.
Une force d'appoint. Il est une résultante, parce que ce autour de quoi
tout tourne: il ne peut être un point de départ. La comparaison avec
l'Allemagne de Merckel est fallacieuse: ni le contexte, ni la constitution
ni la culture politique ne sont les mêmes. Non, plus simplement: être du
centre signifie vouloir être au pouvoir quel que soit le vainqueur. Si
cohérence il y a, le 22 Avril, Bayrou sera le troisième et se vautrera
dans la couche du plus offrant. |
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Gare
à la tentation centriste: chaque fois que la gauche socialiste succomba à
ses sirènes, pour tentantes qu'elle furent, cela tourna au désastre. Faute
d'un réel appui que le jeune PC refusa de lui donner, le cartel de 24 se
trahit en Poincaré dès 26. Faute d'un réel courage politique,
le
Front Populaire s'épuisa dès 37, et de trop nombreux députés de gauche
votèrent les pleins
pouvoirs à Pétain en 40, pour réellement laver l'honneur de cette histoire
honteuse.
Et comment ne pas parler du Front Républicain de 56? Tant d'espérances de
gauche pour finir avec Suez et le véritable début de la guerre d'Algérie!
Non, décidément, quand la gauche flirte avec le centre cela finit plutôt
mal! |
Bien entendu l'argument visant à réunir les hommes de bonne
volonté semble empreint de bon sens! Mais il manque cruellement de mémoire!
Bien entendu l'antienne si vulgairement serinée d'un
clivage gauche/droite n'ayant plus de sens recueille aisément l'assentiment
de ceux qui n'ont aucune culture politique, et c'est sans doute pour cela
qu'elle séduit les jeunes électeurs.
Mais l'histoire a la dent dure, et longue: et je gage que
la gauche a un sens qui se prolonge; et la droite aussi!
La négation de cette réalité est une niaiserie d'enfant de
coeur! |